lart du vivant
Que désormais le théâtre se laisse affecter
par ce qui arrive mais aussi affecte et
fasse arriver: non par des œuvres théâ-
trales inédites qui dormiraient en biblio-
thèque, mais par une façon inédite de
faire du théâtre, une autre façon de
jouer, d’opérer la mise en œuvre, de faire
le théâtre.
Jacques Derrida
Cette nouvelle saison, la troisième dans notre
nouvel équipement, sera plus que jamais dédiée
à l’art du vivant. Ce postulat, venant d’un
théâtre de création, peut surprendre! Pourquoi
réaffirmer ici ce qui peut nous sembler, ou de-
vrait nous sembler, une évidence?
Un théâtre n’a-t-il pas, par nature et depuis ses
origines, vocation à être cet espace-temps dans
lequel des êtres vivants s’adressent à d’autres,
leurs semblables? Certes, on continue au-
jourd’hui de venir au théâtre, à Cergy-Pontoise
comme ailleurs, et votre présence, votre enga-
gement lors de la saison passée, cher public, ont
été les signes heureux et nécessaires de notre rai-
son d’être et d’agir. Ainsi, on continue d’écrire
des textes, de monter des spectacles, de rêver ses
envies assez fort parfois pour qu’elles prennent
corps, s’incarnent sur scène, deviennent l’objet
d’une rencontre, d’un partage, dans l’ici et
maintenant d’une représentation. Et pourtant
il y a quelque chose de diffus dans l’air de notre
temps qui doit nous inciter à une certaine vigi-
lance. En effet, comme tout ce qui est vivant,
l’art théâtral est soumis aux aléas du temps, à
l’invasion des écrans, au consumérisme généra-
lisé, à une certaine standardisation culturelle,
aux lames de fond qui traversent notre Histoire.
Comme tout ce qui est vivant, le théâtre est à la
fois fort et fragile; il a besoin de vos soins, de
votre attention constante afin de demeurer à sa
juste place, là où il peut continuer à faire lien et
sens.
Dire cela n’est en rien rétrograde, ni même alar-
miste. C’est un fait que nous constatons au quo-
tidien tandis que se délite peu à peu le tissu
social dans lequel nous vivons, créons, venons
au théâtre. À l’ère des nouvelles solitudes ur-
baines et leurs pendants que sont les sociabilités
virtuelles, le théâtre et ses contraintes diverses
(déplacement, horaires, prix…) semble pour-
tant résister à l’effacement. Preuve s’il en est
qu’il continue de répondre à un véritable be-
soin! Mais, a contrario, le théâtre n’est-il pas
aussi pour beaucoup d’entre nous une persis-
tance, une habitude ancrée, un héritage, au sens
où l’entend Pierre Bourdieu? Le théâtre comme
art vivant implique aussi que nous en ayons un
usage vivant, c’est-à-dire conscient et critique,
au lieu de quoi il deviendrait vite et sans crier
gare un simple produit de consommation, si
semblable à d’autres, dans sa façon d’être pro-
posé, avalé, éliminé.
Sa finalité, trop souvent impalpable, le rend fra-
gile lorsqu’il s’agit d’évoquer les budgets que sa
mise en œuvre implique dans un contexte de
crise économique. Que peut-on bien mesurer?
Au nom de quel principe devrait-on le protéger
des coupes sombres que le réalisme économique
impose dans les comptes publics? Le théâtre vit
dans un monde où la dimension matérielle do-
mine, écrase. Ceux qui vivent et travaillent à
produire le théâtre d’aujourd’hui ne peuvent
continuer à le faire qu’à la condition d’être ins-
crits dans ce monde. Aussi la vie des arts vi-
vants, et du théâtre en particulier, a-t-elle un
prix. Nous tous, artistes, responsables de lieux
de création, acteurs politiques, spectateurs,
tous impliqués à des degrés divers dans ce
«cycle vital », devons veiller ensemble à ce que
l’art théâtral reste vivace, car son affaiblisse-
ment marquerait très probablement le délite-
ment de cette meilleure part de notre «être
collectif» dans lequel il est né et a prospéré : la
démocratie.
C’est pourquoi cette saison nous sommes heu-
reux de créer, de coproduire, d’accueillir des
spectacles qui ouvrent ainsi notre espace à l’in-
vention, à la reformulation, à la mise en pers-
pective.
Du Chant des signes à un nouveau cycle autour
de la parole politique, de Natural Beauty Mu-
seum à Money!, de Camille, Camille, Camille
à Amor Mundi, nous vous proposons cette sai-
son un programme associant des textes, des au-
teurs, des artistes qui développent chacun une
manière de nous adresser à nous-mêmes. «Nous
ne sommes rien, soyons tout, ou au moins
soyons quelque chose», comme a pu l’écrire
Alain Badiou dans son Éloge du théâtre.
Joël Dragutin
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2
Le projet artistique du Théâtre 95 s’élabore et se
développe dans la fabrication, l’écriture, la pré-
sentation, l’accompagnement des textes, des dra-
maturgies, des esthétiques d’aujourd’hui.
Nourri par l’énergie et la novation d’un territoire
singulier et évolutif, irrigué par un dialogue
constant avec les habitants de Cergy-Pontoise, de-
venus source intarissable de l’inspiration de Joël
Dragutin et des auteurs qui résident au
Théâtre 95, ce projet sut trouver sa légitimation
dans le choix de son implantation.
Les mythologies contemporaines qui se succèdent
au rythme hystérique de notre histoire, les termes
des crises traversées sans répit, les déséquilibres
vertigineux, l’obscurcissement politique, le ques-
tionnement des mots magiques actuels – crois-
sance, progrès, bonheur, désir, égalité –, la
société de consommation qui digère nos mots, nos
images, nos arts et le plus intime de nos vies: au-
tant de thématiques abordées par les artistes des
créations et des coproductions que vous allez dé-
couvrir.
Parce que la création signifie commencement,
nouveau départ, volonté de reprendre au début
et de mettre à jour, le théâtre sait transformer ces
questionnements sombres en motifs d’engage-
ment, de motivation, d’éclaircissement, de ré-
jouissance. Voir, s’amuser, mettre à distance
rassure, conforte, rend actif et inventif.
Parce que création signifie également recréation,
une jeune metteuse en scène se verra confier l’une
des pièces-fétiches de Joël Dragutin, Le Chant
des signes, avec pour mission de faire résonner,
vingt ans après, un texte décapant, dont les ac-
cents prophétiques n’ont pas perdu de leur puis-
sance et de leur acuité. Cette tragi-comédie
postmoderne à l’humour grinçant fait rendre
gorge aux langues de bois, aux discours à la fois
gestionnaires et humanistes, décalqués du mana-
gement et de la communication d’entreprise et qui
plus que jamais tiennent lieu de projet politique
dans nos démocraties occidentales vieillissantes.
Pour que le Théâtre 95 demeure un théâtre qui
parle de notre humaine condition, de notre pré-
sent mais qui ouvre aussi des perspectives de dé-
passement et des horizons joyeux, inattendus,
souhaitables, nous vous attendons avec impa-
tience.
De saison en saison, les coproductions racontent
l’histoire du Théâtre 95 avec les dramaturges de
son temps, avec les préoccupations esthétiques,
politiques, thématiques des artistes qu’il écoute,
soutient et accueille et qui, en retour, l’accompa-
gnent et construisent cette expérience commune.
Des rencontres, des dialogues, des fidélités: de
l’amitié avant toute chose.
Nous continuons de soutenir les projets d’au-
teurs, metteurs en scènes, dramaturges, comé-
diens que nous connaissons bien, que notre public
a découverts avec étonnement et plaisir et avec
lesquels nous avons entretenu une fidélité, un
compagnonnage et une profonde résonance artis-
tiques.
Ainsi, cette saison, nous retrouverons notamment
le Collectif Drao qui nous proposait en 2008/2009
son très noir et italien Nature morte dans un
fossé puis en 2010/2011 avec ses insolites et pra-
goises Petites Histoires de la folie ordinaire,
Éléonore Weber qui nous avait présenté son au-
dacieuse première création en 2006/2007 Tu sup-
poses un coin d’herbe…, Gerold Schumann,
dont le public cergypontain avait pu apprécier le
rigoureux et savoureux Mère Courage et ses en-
fants de Bertolt Brecht en 2012/2013, et de très
nombreuses mises en espace ou petites formes sur
nos scènes. Nous reverrons également Marie Mon-
tegani, dont les pétillantes Femmes Savantes en
2012/2013 nous avaient enchantés, ainsi que Va-
lérie Battaglia, conseillère artistique du Théâtre
95 et dramaturge de Joël Dragutin depuis de nom-
breuses saisons et Myriam Saduis, metteuse en
scène qui a su imposer à Bruxelles et Avignon un
audacieux talent d’écriture scénique et de direc-
tion d’acteurs.
Ensemble, nous avons choisi des spectacles qui
nouent entre eux des fils thématiques, dramatur-
giques, artistiques afin que le public puisse cette
saison entendre les échos de recherches com-
munes: des destins de femmes hors normes qui
ont su traverser et transfigurer avec passion et fé-
condité l’histoire terrible de notre modernité –
Camille Claudel (Camille, Camille, Camille) et
Hannah Arendt (Amor Mundi); La Grande Buée
et les femmes de la Grande Guerre; l’exploration
des esthétiques et des mythologies contempo-
raines: Quatre images de l’amour, Natural
Beauty Museum – afin que le théâtre ne devienne
pas une pratique muséale archaïque.
Et dans tous ces spectacles, une volonté commune
d’avancer vers un théâtre qui donne à voir un
monde débarrassé des oripeaux kitsch des médias
de masse, vers un théâtre ouvert, prospectif, cri-
tique et jubilatoire à la fois.
la création
contemporaine :
l’identité du théâtre 95
nous coproduisons…
La mission de notre temps est de développer
un humour postmoderne qui permette aux
cybernéticiens d’avoir des relations ami-
cales avec des cardinaux, des mollahs et
des prêtres vaudous.
Peter Sloterdijk
La Vexation par les machines
Car le monde n’est pas humain pour avoir
été fait par des hommes, et il ne devient pas
humain parce que la voix humaine y ré-
sonne, mais seulement lorsqu’il est devenu
objet de dialogue.
Hannah Arendt
De l’humanité dans de sombres temps
(discours prononcé en 1959
pour la remise du prix Lessing)
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5
«À ceux qui naîtront après nous», comme l’écri-
vait Brecht, nous devons beaucoup. Nous ne de-
vons rien de moins que notre mémoire, notre
survie, une certaine forme de notre immortalité.
Les enfants, aujourd’hui trop souvent considérés
comme des consommateurs dès leur plus jeune
âge, méritent beaucoup mieux que ce que notre
société immature leur impose dans la culture de
masse qu’elle promeut.
Le théâtre – avec ses auteurs, ses metteurs en
scène, ses comédiens – est l’un des rares espaces
publics hors l’école qui s’adresse à l’enfance avec
le respect et la responsabilité nécessaires à l’épa-
nouissement de jeunes êtres en formation.
Le respect et la responsabilité nous demandent de
nous détourner d’une part d’un monde peuplé de
princesses très belles, de sorcières très méchantes
et de chevaliers très bêtes et courageux et d’autre
part du réalisme marketing d’un monde peuplé
d’enfants bons et naïfs, de parents en rupture, de
familles métissées et recomposées avec un happy
end œcuménique.
Respect et responsabilité à l’égard de l’intelli-
gence, de l’humour et de la pudeur enfantines
nous invitent à nous situer à la lisière de la my-
thologie, de la réalité contemporaine, de l’imagi-
naire fantastique et surréaliste. Ce que nous
tentons de faire à travers les spectacles, les ate-
liers, les actions hors les murs que nous propo-
sons au jeune public au fil des saisons et que nous
proposons, in fine, à tous les publics. Car le suc-
cès de ces propositions tient aussi à la qualité de
l’échange avec les adultes, familles et enseignants,
que les jeunes pourront initier et continuer en-
suite avec eux.
La saison dernière, avec J’ te ferai dire…, Joël
Dragutin a réussi une pièce inattendue, touchante
et inhabituelle, dans laquelle il interrogeait le pa-
radoxe contemporain de la place symbolique des
enfants dans notre société: une place à la fois sa-
cralisée et abandonnée par les adultes. En tour-
née, J’ te ferai dire… a confirmé notre volonté
de poursuivre vers un théâtre jeune public dont
le sujet serait justement le lien entre les mytholo-
gies enfantines et celles du théâtre, du jeu, de
l’art.
En 2014/2015, nous retournerons donc au cœur
de la création et de l’univers du théâtre, pour que
le jeune public en découvre toute la richesse,
l’épaisseur, la signification, l’histoire et la puis-
sance. Loin, bien loin, de la disneyfication et de
la consommation du monde.
Jean-Claude Grumberg, immense auteur de
grands succès dramatiques, et Antoine Chalard,
nous entraînent dans une scénographie inspirée
du cirque, dans toute la générosité, la prodigalité
du théâtre de foire. Musique, masques, marion-
nettes, mimes, histoire dramatique et exubérante,
monstruosité et beauté, Le Petit Violon, avec ses
chagrins abyssaux et ses joies extraordinaires,
entre en résonance avec la vie multicolore et dé-
mesurée que s’inventent les enfants de tous les
âges…
Mike Kenny, auteur britannique reconnu, et
Odile Grosset-Grange nous révèlent un théâtre
athlétique, comme un sport de combat au service
du courage, de l’intelligence et de l’art du jeu dra-
matique. Allez, Ollie… À l’eau! nous montre
qu’aujourd’hui ce théâtre «jeune public», géné-
raliste, engagé et audacieux, constitue sans aucun
doute «la part consolante privilégiée du théâtre
français contemporain».
La découverte de la correspon-
dance entre un geste et une inten-
tion, de la beauté d’un mouvement,
d’un regard, d’un son, d’une cou-
leur et de son jeu en écho avec une
autre couleur, d’une odeur, d’un
goût, d’une sensation tactile, de la
résonance sensorielle entre toutes
ces perceptions, des émotions et
des sentiments qui les accompa-
gnent, sont des moments essentiels
pour le développement de l’intelli-
gence dans sa globalité.
Robin Renucci
et pour le jeune public… Je travaille beaucoup en ce moment, contre
une certaine façon qu’a le marketing de
viser les enfants. Parce que dans le marke-
ting on parle de «cibles», et aujourd’hui les
premières de ces « cibles » deviennent les
enfants. Ce qui est ainsi visé, c’est le désir
des enfants, qui est détourné de ses «ob-
jets» normaux – qui sont d’abord les pa-
rents, les proches, les enseignants et les
acteurs sociaux qui entourent l’enfance –
vers les objets de consommation.
Bernard Stiegler
Des pieds et des mains
Découvrez le Théâtre 95 en famille!
journée du patrimoine
samedi 20 septembre
visites du théâtre à 11h00 et à 15h00
7
6
2014/2015 2014/2015
septembre
Présentation de saison 26 septembre / pages 8-9
avec le spectacle
S’il se passe quelque chose
par Vincent Dedienne
octobre
Les Fourberies de Scapin
du 7 au 12 octobre / pages 10-11
Molière / Christophe Thiry
Allez, Ollie… À l’eau !
17 octobre / page 12
Mike Kenny / Odile Grosset-Grange
novembre
Macbeth (The Notes)
6 novembre / page 13
Shakespeare / Dan Jemmett
La Grande Buée
14 novembre / page 14
René Fix / Gerold Schumann
La Vie extérieure
20 novembre / page 15
Annie Ernaux / Hugues Demorge
Money !
du 28 au 30 novembre / pages 16-17
écriture collective / Françoise Bloch
décembre
Le Petit Violon
du 2 au 4 décembre / page 18
Jean-Claude Grumberg / Antoine Chalard
Camille, Camille, Camille
du 3 au 5 décembre / pages 20-21
Sophie Jabès / Marie Montegani
Les 25 ans du lycée Camille-Claudel de Vauréal 8 décembre / page 22
éducation artistique
Petit-Bleu et Petit-Jaune
9 et 10 décembre / page 23
Leo Lionni / Gerold Schumann
Natural Beauty Museum
16 & 17 décembre / pages 24-25
Éléonore Weber et Patricia Allio
Concert de Noël 19 décembre / page 26
Maîtrise de Radio France / Musiciens de Saint-Julien
janvier
Yannick Van de Velde 16 janvier / page 27
Récital Piano Campus
Le Chant des signes
du 20 au 25 janvier / pages 28 à 31
Joël Dragutin / Élodie Chanut
février
L’Ascension de Jipé
12 février / page 32
création collective / Louis Arene, Lionel Lingelser
mars
Les Contemporaines 6 & 7 mars / pages 34 à 37
Laurent Gaudé
Battements d’ailes
14 mars / page 38
Elsa Solal, Alain Pierremont / Vanille Fiaux, Julie Duchaussoy
Je suis une chose qui pense
19 mars / page 39
René Descartes / Xavier Maurel
Quatre images de l’amour
du 26 au 28 mars / pages 40-41
Lukas Bärfuss / Collectif Drao
avril
Amor Mundi
du 14 au 17 avril / pages 42-43
Myriam Saduis, Franck Pierobon, Valérie Battaglia / Myriam Saduis
mai
Tu trembles
du 11 au 13 mai / page 45
Bruno Allain / Marie-Christine Mazzola
Nouvelles du Mexique… du 19 au 22 mai / pages 46 à 49
10es échanges artistiques internationaux
Gaspard Proust 23 mai / pages 50-51
one-man-show
3eFestival des cultures africaines du 29 au 31 mai / pages 52-53
juin
Amabel
2 et 3 juin / page 54
Terry Johnson / Michael Batz
Haïm, à la lumière d’un violon
18 juin / page 55
Gérald Garutti
et au fil de la saison
Conférences-débats page 56
Paroles politiques page 57
Cabarets de La Ruche - les jeudis du slam page 58
Blue Mondays - les lundis du jazz page 59
Hors les murs pages 60-61
Calendrier des représentations scolaires page 62
Action culturelle et éducation artistique pages 64-65
Tarifs et abonnements pages 66 à 68
Calendrier pages 69-70
Nos partenaires page 71
Informations pratiques page 72
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