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Le projet artistique du Théâtre 95 s’élabore et se
développe dans la fabrication, l’écriture, la pré-
sentation, l’accompagnement des textes, des dra-
maturgies, des esthétiques d’aujourd’hui.
Nourri par l’énergie et la novation d’un territoire
singulier et évolutif, irrigué par un dialogue
constant avec les habitants de Cergy-Pontoise, de-
venus source intarissable de l’inspiration de Joël
Dragutin et des auteurs qui résident au
Théâtre 95, ce projet sut trouver sa légitimation
dans le choix de son implantation.
Les mythologies contemporaines qui se succèdent
au rythme hystérique de notre histoire, les termes
des crises traversées sans répit, les déséquilibres
vertigineux, l’obscurcissement politique, le ques-
tionnement des mots magiques actuels – crois-
sance, progrès, bonheur, désir, égalité –, la
société de consommation qui digère nos mots, nos
images, nos arts et le plus intime de nos vies: au-
tant de thématiques abordées par les artistes des
créations et des coproductions que vous allez dé-
couvrir.
Parce que la création signifie commencement,
nouveau départ, volonté de reprendre au début
et de mettre à jour, le théâtre sait transformer ces
questionnements sombres en motifs d’engage-
ment, de motivation, d’éclaircissement, de ré-
jouissance. Voir, s’amuser, mettre à distance
rassure, conforte, rend actif et inventif.
Parce que création signifie également recréation,
une jeune metteuse en scène se verra confier l’une
des pièces-fétiches de Joël Dragutin, Le Chant
des signes, avec pour mission de faire résonner,
vingt ans après, un texte décapant, dont les ac-
cents prophétiques n’ont pas perdu de leur puis-
sance et de leur acuité. Cette tragi-comédie
postmoderne à l’humour grinçant fait rendre
gorge aux langues de bois, aux discours à la fois
gestionnaires et humanistes, décalqués du mana-
gement et de la communication d’entreprise et qui
plus que jamais tiennent lieu de projet politique
dans nos démocraties occidentales vieillissantes.
Pour que le Théâtre 95 demeure un théâtre qui
parle de notre humaine condition, de notre pré-
sent mais qui ouvre aussi des perspectives de dé-
passement et des horizons joyeux, inattendus,
souhaitables, nous vous attendons avec impa-
tience.
De saison en saison, les coproductions racontent
l’histoire du Théâtre 95 avec les dramaturges de
son temps, avec les préoccupations esthétiques,
politiques, thématiques des artistes qu’il écoute,
soutient et accueille et qui, en retour, l’accompa-
gnent et construisent cette expérience commune.
Des rencontres, des dialogues, des fidélités: de
l’amitié avant toute chose.
Nous continuons de soutenir les projets d’au-
teurs, metteurs en scènes, dramaturges, comé-
diens que nous connaissons bien, que notre public
a découverts avec étonnement et plaisir et avec
lesquels nous avons entretenu une fidélité, un
compagnonnage et une profonde résonance artis-
tiques.
Ainsi, cette saison, nous retrouverons notamment
le Collectif Drao qui nous proposait en 2008/2009
son très noir et italien Nature morte dans un
fossé puis en 2010/2011 avec ses insolites et pra-
goises Petites Histoires de la folie ordinaire,
Éléonore Weber qui nous avait présenté son au-
dacieuse première création en 2006/2007 Tu sup-
poses un coin d’herbe…, Gerold Schumann,
dont le public cergypontain avait pu apprécier le
rigoureux et savoureux Mère Courage et ses en-
fants de Bertolt Brecht en 2012/2013, et de très
nombreuses mises en espace ou petites formes sur
nos scènes. Nous reverrons également Marie Mon-
tegani, dont les pétillantes Femmes Savantes en
2012/2013 nous avaient enchantés, ainsi que Va-
lérie Battaglia, conseillère artistique du Théâtre
95 et dramaturge de Joël Dragutin depuis de nom-
breuses saisons et Myriam Saduis, metteuse en
scène qui a su imposer à Bruxelles et Avignon un
audacieux talent d’écriture scénique et de direc-
tion d’acteurs.
Ensemble, nous avons choisi des spectacles qui
nouent entre eux des fils thématiques, dramatur-
giques, artistiques afin que le public puisse cette
saison entendre les échos de recherches com-
munes: des destins de femmes hors normes qui
ont su traverser et transfigurer avec passion et fé-
condité l’histoire terrible de notre modernité –
Camille Claudel (Camille, Camille, Camille) et
Hannah Arendt (Amor Mundi); La Grande Buée
et les femmes de la Grande Guerre; l’exploration
des esthétiques et des mythologies contempo-
raines: Quatre images de l’amour, Natural
Beauty Museum – afin que le théâtre ne devienne
pas une pratique muséale archaïque.
Et dans tous ces spectacles, une volonté commune
d’avancer vers un théâtre qui donne à voir un
monde débarrassé des oripeaux kitsch des médias
de masse, vers un théâtre ouvert, prospectif, cri-
tique et jubilatoire à la fois.
la création
contemporaine :
l’identité du théâtre 95
nous coproduisons…
La mission de notre temps est de développer
un humour postmoderne qui permette aux
cybernéticiens d’avoir des relations ami-
cales avec des cardinaux, des mollahs et
des prêtres vaudous.
Peter Sloterdijk
La Vexation par les machines
Car le monde n’est pas humain pour avoir
été fait par des hommes, et il ne devient pas
humain parce que la voix humaine y ré-
sonne, mais seulement lorsqu’il est devenu
objet de dialogue.
Hannah Arendt
De l’humanité dans de sombres temps
(discours prononcé en 1959
pour la remise du prix Lessing)