Si les sujet abordés seront donc divers, unique sera au contraire la manière de Goethe pour
les traiter et le « comment », à savoir la façon par laquelle justement il les affronte, sera
pour nous plus importante que le « quoi ». Steiner dira justement: « Ce qui compte, ce n’est
pas tant ce dont Goethe s’est occupé, mais davantage la façon avec laquelle il s’en est
occupé. »
La matière est donc variée, mais pas l’esprit qui l’observe. Goethe, aimant profondément la
vie, la réalité empirique, les choses et les phénomènes, est en effet parvenu à traduire son
amour en connaissance: à savoir qu’il est parvenu à connaître parce qu’il a aimé et il a réussi
à aimer parce qu’il a connu.
« Voulez-vous avancer dans l’infini — affirme-t-il par exemple — déplacez-vous dans tous
les sens dans le fini ». En lisant ses écrits, on relève tout de suite avec combien de scrupule,
avec combien de prudence, avec combien de respect, sinon même de dévotion, Goethe part
à la recherche de la réalité objective du phénomène, et combien est grande et constante sa
crainte de se laisser aller à des jugements précipités.
Il ne voulait pas transgresser la réalité, mais au contraire lui permettre de se révéler, de lui
parler, de l’inspirer. Celui qui est incapable d’adopter une attitude tout aussi humble et
dévouée (c’est-à-dire, « scientifique ») finit en effet, bon gré, mal gré, par mettre la réalité à
son service: à savoir au service des ses opinions personnelles, de ses interprétations
subjectives, de ce qui, en somme, le sert lui, et non au monde.
Encore une chose.
Voyez-vous ce petit manuel de botanique? Eh bien!, ouvrez-le et vous verrez qu’il
commence en illustrant, non pas les plantes, mais bien la cellule végétale (à savoir le
cytoplasme, le noyau et la paroi cellulaire), et que ce n’est que vers la fin qu’il se met à
parler de « plantes à graines » (des « spermatophytes »).
Il ne part donc pas de la plante, c’est-à-dire de l’ensemble, pour arriver aux parties, mais au
contraire il part des parties pour arriver à la plante; et ceci parce qu’on est aujourd’hui
convaincus que l’ensemble se forme accidentellement, en vertu de l’assemblage fortuit des
parties: ou bien des molécules, des atomes, ou des particules élémentaires.
Mais ce présupposé, pour mieux dire, ce préjugé, est absolument étranger à Goethe. En bon
« phénoménologue », il ne partait pas, en effet, philosophiquement, ni de l’atomisme, ni de
l’holisme, mais plutôt et seulement de ce que ses sens lui présentaient directement.
Avant d’entreprendre la lecture, il sera aussi opportun de rappeler que Steiner, entre 1885,
l’année où il commença son premier travail aux oeuvres scientifiques de Goethe, et 1897,
l’année où il acheva le second, publia les Lignes fondamentales d’une gnoséologie de la
conception goethéenne du monde (1885), Vérité et science (1891) et La philosophie de la
liberté (1894): soit trois de ces oeuvres fondamentales (auxquelles succéderont Frédéric
Nietzsche, un homme en lutte contre son temps, en 1895, et La conception goethéenne du
monde, en 1897).
Commençons donc à lire l’introduction.
« Le 18 août de l’année 1787, Goethe écrivait d’Italie à Knebel: «Après ce que j’ai vu près
de Naples et en Sicile des plantes et des poissons, je serais très tenté, si j’avais dix ans de
moins, de faire un voyage aux Indes, non pas pour découvrir des nouveautés, mais pour
regarder à ma façon les choses découvertes. »
Dans ces paroles est indiqué le point de vue à partir duquel nous avons à considérer les
oeuvres scientifiques de Goethe. Il ne s’agit jamais pour lui de découvrir des faits nouveaux,
mais de l’adoption d’un nouveau point de vue, d’une façon déterminée d’observer la nature.