PRATIQUE DE LA GOUVERNANCE AU CAMEROUN Hugues François Onana PRATIQUE DE LA GOUVERNANCE AU CAMEROUN ENTRE DÉSÉTATISATION ET DÉMOCRATISATION Préface de Jean-Emmanuel Pondi Du même auteur La radio côté cour, Yaoundé, Editions MOL, 1994, 100 p. Les transitions démocratiques en Afrique, le cas du Cameroun, Yaoundé, CEPER, 1995, 170 p. Terrorisme international et contestation de l’ordre impérial : sociologie des attentats du 11 Septembre 2001, Johannesburg, Sherpa, 2002, 255 p. © L’Harmattan, 2011 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-56583-8 EAN : 97822965565838 PREFACE Pratique de la Gouvernance au Cameroun : Les dynamiques subversives ‹‹ du bas ›› face aux logiques institutionnelles. Sous ce titre qui interpelle tout observateur attentif de la scène Camerounaise de ces dernières années, se cache une analyse fine des processus de gouvernance au Cameroun, prosée par le Dr Hugues François Onana. En tant que directeur de la thèse qui a donné naissance au présent ouvrage1 , je puis attesterde l’importance et de la necessité qu’il y avait à entreprendre une analyse à froid du rôle joué par les institutions de Bretton Woods (Banque Mondiale et Fonds Monetaire International) dans la desente aux enfers des économeis des pays tels que le Cameroun entre 1986 et 1996. Dans ce contexte, les processus concomittants de désétatisation et de démocratisation, pilliers de la gouvernance dans l’optique néolibérale, sont passés au crible de l’analyse sociopolitique du chercheur méticuleux qu’est le Dr Onana. Dans cette déconvenue économique, la part jouée par les acteurs nationaux n’est ni minorée ni occultée, d’où l’importance de cette reflexion salutaire sur l’impact réel des différents plans d’ajustement structurel et celle des nombreuses privatisations sur la recrudescence de la mauvaise gouvernance qu’ils étaient censés éradiquer. Le grand interêt du présent livre résude dans les prescriptions faites par son auteur, qui plaide avec passion – comme à son habitude – pour une gouvernance authentique et endogène. En somme, je recommande vivement la lecture de cet important et courageux ouvrage dont la publication vient à point. Pr. Jean-Emmanuel PONDI Professeur titulaire des Sciences Politique et de Relations Internationales, embre de l’Académie des Sciences du Cameroun INTRODUCTION A l’horizon du temps, le 21e siècle s’est levé dans un environnement où les Etats, les systèmes et les organisations traversent une crise multidimensionnelle. Une crise accentuée par le conflit d’intérêt qui perdure entre nations d’inégale importance au triple plan économique, démographique et stratégique, entre le nord développé et le sud sous-développé, entre la civilisation judéo-chrétienne et le monde arabo-musulman. Dans ce contexte, où l’Afrique est qualifiée par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) d’obédience occidentale, de zone à déficit de gouvernance, il s’opère des mutations visant l’émergence d’un nouveau modèle de gestion des affaires publiques. La bonne gouvernance, puisqu’il s’agit d’elle, a vocation à rationaliser les conduites dans la société tant du point de vue économique que politique. Son avènement est le résultat d’une conjonction des dynamiques « du dehors » et des dynamiques du « dedans », selon une dichotomisation chère à Georges Balandier1. Si le concept de gouvernance resurgit au début des années 90 dans le lexique des sciences sociales, c’est grâce à un rapport commis par la Banque mondiale en 1989 sous le titre : l’Afrique subsaharienne, de la crise à une croissance durable, étude prospective à long terme. Sa publication a été suivie du déclenchement au plan interne, des processus concomitants de privatisation et de démocratisation, deux modalités pratiques de mise en œuvre de la gouvernance en Afrique et au Cameroun en particulier. Ainsi qu’affirme Karim Dahou2, « la bonne gouvernance n’est pas née de génération spontanée ». L’actualité et la pertinence de cette problématique sont d’autant plus notoires que l’échec des politiques d’ajustement structurel qui l’ont précédée est pour le moins patent. Cette déconvenue ayant – pour ainsi dire- consacré une sorte d’épuisement et de paradigmes dans la théorie de développement, les institutions financières multilatérales ont dû mettre un bémol à leur 1 G. Balandier, Sens et puissance, Paris, PUF, 1991. K. Dahou, « La bonne gouvernance selon la Banque Mondiale au-delà de l’habillage juridique », Marc Totte (dir.), La décentralisation en Afrique de l’Ouest entre politique et développement, Paris, Karthala, 2011, p. 56. 2 7 approche économiste pour adouber un nouveau modèle de gestion de la société, intégrant des préoccupations plus politiques. Aussi convient-il de rappeler que gouvernance et bonne gouvernance sont loin de recouvrir la même réalité. La gouvernance est l’exercice de l’autorité politique, économique et administrative dans le cadre de la gestion d’un pays à tous les niveaux. La bonne gouvernance, qui s’applique davantage à l’Afrique qu’à d’autres continents, est une obligation internationale qui se matérialise dans une société donnée par la transparence, la responsabilité, l’obligation de rendre compte, la primauté du droit et l’équité. En observant de très près son statut épistémologique et son mode opératoire, l’on se rend à l’évidence que la bonne gouvernance repose sur un soubassement idéologique de type injonctif. Dans la praxis, elle se situe au confluent de deux processus concomitants : - un processus de désétatisation d’essence économique ; - un processus de démocratisation de nature politique. Il en résulte que la problématique de la gouvernance ou de la bonne gouvernance – c’est selon – peut être abordée sous trois angles différents mais complémentaires. Premièrement : quelles sont les conditions de réémergence du concept de gouvernance dans un contexte où les institutions politiques sont instables et où l’Etat postcolonial n’a pas encore renoncé à ses obligations régaliennes ? Deuxièmement : comment ce concept influence-t-il les orientations politiques économiques et sociales du gouvernement camerounais ? Troisièmement : au-delà de l’action publique qui en constitue le paravent, la bonne gouvernance est-elle un vecteur de changement social ? Est-elle une axiologie modernisatrice, une technologie politique réformatrice du système ou une simple technique managériale ? Au Cameroun, les politiques publiques qu’elle énonce, sous les couleurs de la rigueur et de la moralisation dans une rhétorique rebaptisée « les grandes ambitions », ne cachent-elles pas une stratégie de patrimonialisation et d’accaparement des ressources de l’Etat par une classe dirigeante au service de ce que Bayart appelle « la politique du ventre » ? Tout bien pesé, l’importance de cette problématique est plurielle et multidimensionnelle. A cet égard, divers types d’intérêts se croisent et 8 s’entrechoquent dans le traitement systématique de la bonne gouvernance. Ils sont d’ordre politique, économique, social et scientifique. En prime, l’analyse sociologique que charrie la problématique en cause présente l’intérêt d’une reformulation des questions classiques de la sociologie par rapport au pouvoir. Au plan économique, la « bonne gouvernance » apparaît comme un ensemble de techniques modernes de gestion. Le NMP (Nouveau management public) en est la forme la plus achevée. La gouvernance ré instituée permet de techniciser des décisions et des choix que le politique seul ne peut justifier. Les investigations menées dans le cadre du présent ouvrage dévoilent plutôt l’existence d’un paradoxe. La subsidiarisation du rôle de l’Etat dans la gestion économique, officiellement recherchée par les caciques de la Banque mondiale, s’est transformée à bien des égards en un processus de privatisation de la souveraineté camerounaise. La preuve : des secteurs aussi névralgiques que ceux de l’approvisionnement en eau et en électricité, ainsi que celui des télécommunications, sont passés entre les mains des capitalistes étrangers. Les répercussions de ces mutations économiques sur la situation sociale sont intéressantes à analyser. La question de l’appropriation du concept de gouvernance par la société se pose ici dans toute son amplitude. Quant à l’intérêt scientifique que revêt l’étude de la problématique de la gouvernance, elle découle de l’opportunité offerte au chercheur de revisiter les fondements théoriques et épistémologiques d’un concept dont le statut axiologique a la réputation d’être intimidant. C’est pourquoi, pour mieux cerner les contours et les détours de la thématique de la gouvernance au Cameroun, il nous a paru loisible de privilégier la méthode qualitative. Celle-ci, en effet, a l’avantage d’aller audelà de l’écume des phénomènes sociaux pour s’attaquer à leurs dimensions latentes et sous-jacentes. Au demeurant, le cadre théorique qui sous-tend la méthodologie appliquée à cette recherche, est un trépied comprenant l’approche critique, la sociologie dynamiste et la galaxie constructiviste. Dans l’univers des sciences sociales, la sociologie critique vise spécialement à étudier les sociétés occidentales longtemps marquées par un certain nombre de dysfonctionnements au rang desquels figure la crise de la démocratie et de la gouvernabilité. Il s’agit, dans le cadre du présent ouvrage, de faire une lecture critique du fonctionnement et de l’évolution des systèmes de gouvernance dans les sociétés dites modernes, surtout en considérant la prétention du Cameroun 9 d’en faire partie. Plus spécialement, l’approche critique nous permettra de scruter minutieusement les stratégies et les logiques de mise en œuvre de la gouvernance au Cameroun. Outil de dévoilement, de décryptage et de démasquage, la sociologie critique a vocation à s’attaquer à l’ambivalence de ce que « disent » et « font » les acteurs étatiques ou non, à l’ambiguïté de leurs attitudes, aux rituels de leur interaction, à la gestuelle de leurs pratiques. Quant à la sociologie dynamiste, autre outil d’analyse auquel nous avons eu recours, elle a été élaborée par Georges Balandier, sur la base d’une étude des sociétés africaines, bien avant la colonisation. Pour lui, ces sociétés, caractérisées par une sorte de dynamisme et de bouillonnement, restent travaillées par la double rencontre des dynamiques « du dehors » et des dynamiques « du dedans ». Analysée à l’aune de la dynamique politique au Cameroun, la mise en contexte politico-institutionnel marque bien une rupture dans le système d’ordonnancement des affaires publiques. Elle traduit une nouvelle forme de gestion des collectifs et des actifs publics, dans un contexte caractérisé par la démocratisation politique et la libéralisation économique. Appréhendée dans ce sillage, la gouvernance, surtout quand elle est bonne, constitue une avancée dans l’histoire des institutions politiques contemporaines. Tant il est vrai que l’appropriation du concept, c’est-à-dire, son institutionnalisation endogène, procède d’une domestication des contraintes induites par la conjoncture mondiale. Dernier socle méthodologique de l’ouvrage, la galaxie constructiviste. Il s’agit d’une perspective en nette progression dans l’univers des sciences sociales. Elle se propose de battre en brèche les dichotomies du genre holisme/individualisme, société/individu, objectif/subjectif, idéal/réel. Cette approche veut saisir la société comme étant le résultat de pratiques individuelles et collectives simultanément. Ce qui devrait être recherché, c’est la dynamique de « coproduction des parties et du tout »3, afin de restituer à la société sa propre historicité. Norbert Elias, à travers sa notion de configuration, saisit la société comme un collectif d’individus interdépendants4. En dernière analyse, la galaxie constructiviste à laquelle nous avons eu recours permet de comprendre les modalités de l’institutionnalisation de la bonne gouvernance au Cameroun, à la lumière de la capacité de réceptivité des structures publiques existantes et des logiques des acteurs. Cette galaxie 3 4 P. Corcuff, Les nouvelles sociologies, Paris, Nathan, 1995, p. 15. N. Elias, Qu’est-ce que la sociologie, Paris, Minuit, 1984. 10 situe la gouvernance au centre même des espaces où se nouent et se dénouent les alliances ou les luttes pour le pouvoir. Afin de mieux cerner les contours de la problématique du présent ouvrage, il convient de maîtriser le registre lexical propre à son environnement. Gouvernance et bonne gouvernance étant déjà explicitées, nous proposons une relecture des concepts voisins à savoir : - gouvernabilité : c’est la capacité de chaque société ou pays à gérer ou à prendre en charge sa propre destinée, à se conduire convenablement selon les normes de la démocratie libérale. Pour Gaxie, « la gouvernabilité est le degré auquel une unité politique est susceptible d’être gouvernée »5 ; - gouvernement : au-delà de l’élucidation théorique, épistémologique et paradigmatique de la gouvernance, le présent ouvrage s’attelle à décrypter et à analyser les processus concomitants de désétatisation et de démocratisation qui constituent les moteurs de la gouvernance. La refondation de l’Etat postcolonial à l’œuvre en Afrique s’est dotée d’un leitmotiv consensuel à l’échelle mondiale : détruire l’autocratie pour construire la démocratie. Avec comme corrélat au plan économique, la désétatisation en vue d’installer durablement le Cameroun dans la prospérité et la modernité. Il s’agit en dernière analyse, de s’assurer que les différentes composantes de la société camerounaise ont fait leur le concept de gouvernance pour en faire un outil de développement. La question se pose de savoir si celui-ci n’est pas resté une greffe mal accrochée, un produit cosmétique pour amadouer les bailleurs de fonds, bref une simple formule pour frapper les imaginations. L’analyse sociologique qui découle de ce questionnement donne plus de relief au titre de cet ouvrage qui se veut un précis de gouvernance au Cameroun, avec en toile de fond, la sociologie des dynamiques institutionnelles, économiques et politiques. C’est-à-dire qu’en dépit de l’épuisement annoncé des paradigmes dans la théorie du développement de l’Afrique, une gouvernance de bonne qualité peut encore donner à ce continent, des raisons d’espérer. 5 P. Gaxie, « Gouvernabilité et transformations structurelles des démocraties », Jacques Chevalier (dir), La gouvernabilité, CURAPP, Paris, Puf, 1996, p. 249. 11 PREMIERE PARTIE LES FONDEMENTS THEORIQUES ET EPISTEMOLOGIQUES DE LA GOUVERNANCE La gouvernance est aujourd’hui au centre d’un interminable débat. Tout en s’intéressant à ses aspects pratiques, les chercheurs d’horizons divers se passionnent pour la quête de son statut théorique, et de ses fondements épistémologiques. Toutes les disciplines des sciences sociales se focalisent sur le sujet, de la science politique à la philosophie en passant par le droit, l’anthropologie, l’économie ou les relations internationales. L’émergence du concept, à la fin des années 80, trouve son fondement dans les mutations cruciales de la pensée et des pratiques universelles en matière de gouvernement. Consacrer toute une partie du présent ouvrage aux aspects théoriques et épistémologiques du concept qui alimente cette réflexion est d’autant plus nécessaire qu’à l’évidence, la gouvernance est une notion complexe fortement discutée par différents courants et écoles de pensée. Salsabi Klibi observe à ce propos, que la gouvernance n’a point de définition univoque mais qu’ « elle se présente plutôt comme une valeur et en tant que telle, toute société contemporaine qui se respecte doit s’en prévaloir et tout ce qui se situe en dehors de ses réquisits est discrédité voire condamné »6. Nous devons comprendre de ce qui précède que l’armature théorique à laquelle nous consacrons cette première partie de l’ouvrage est bâtie autour d’un triptyque : - le premier chapitre traite de la sociogenèse, de l’historique et du statut épistémologique de la bonne gouvernance ; - le second revisite les écoles de pensée auxquelles se réfère ce concept ; - le troisième chapitre étudie des cas pratiques de pays où la bonne gouvernance a été instituée grâce principalement aux conditionnalités imposées par le FMI et Banque mondiale. 6 S. Klibi, « De l’utilité du concept de gouvernance », Ali Sedjari (dir.), Gouvernance et conduite de l’action publique au 21e siècle, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 50. 15 CHAPITRE I GENESE ET STATUT EPISTEMOLOGIQUE DE LA GOUVERNANCE Dans la recherche théorique en sciences sociales et particulièrement en sociologie politique, gouvernance et bonne gouvernance ont tendance à se confondre. A cet égard, la littérature pléthorique sur le concept d’origine et surtout sur sa variante instituée, constitue un élément de complexification supplémentaire dans la recherche du statut épistémologique de ce concept. Salsabi Klibi apporte un premier élément de clarification en affirmant qu’ « un concept est un outil de connaissance qui permet de saisir un monde réel, fondamentalement complexe ; son efficacité varie donc en fonction de sa précision »7. Aussi convient-il d’établir un distinguo entre gouvernance et bonne gouvernance, et vider une fois pour toute la fausse querelle qui menace en permanence de plomber l’élan de la recherche théorique. Bien que les deux concepts soient inscrits sur le même registre lexical, ils sont loin d’être des synonymes. Par ignorance ou calcul politique, ils sont utilisés l’un pour l’autre. C’est ce qu’ont fait les autorités camerounaises qui ont mis en place un programme national de gouvernance, alors que son contenu prescriptif renvoie aux conditionnalités imposées par les institutions financières multilatérales donc, à la bonne gouvernance A l’évidence, le programme camerounais répond précisément aux exigences de la bonne gouvernance, concept dont il convient de dégager le sens et la puissance. I.1.1. Sens et puissance de la bonne gouvernance Si, à ce jour, il n’existe pas une définition univoque, unique, uniforme et stabilisée de la gouvernance, il n’en demeure pas moins que le concept a une origine connue. Etymologiquement, le terme trouve son origine dans le verbe ‘’gubernare’’ qui signifie en latin gouverner, piloter un navire. Pour Catherine Baron, « il s’agit de l’art et de la manière de gouverner, en favorisant un mode de gestion des affaires original dans un environnement marqué par une pluralité d’acteurs (une firme, un Etat, une collectivité locale, une organisation non gouvernementale, une association ou une instance 7 S. Klibi, « De l’utilité du concept de gouvernance » Ali Sedjari (dir.), Op. cit., p.53. 17 internationale) qui disposent chacun à des degrés divers et de façon plus ou moins formelle, d’un pouvoir de décision »8. Cette définition n’est pas complète, au regard de la pléthore de propositions contenues dans la littérature sur le sujet. Mais, elle a l’avantage d’être suffisamment représentative des différentes approches conceptuelles de la gouvernance : - elle fait référence à la manière de gouverner : c’est un concept à connotation politique ; - elle est assimilée au pilotage d’un navire, ce qui sollicite à la fois l’art et la technique de piloter ; - elle évoque le mode de gestion des affaires, ce qui renvoie à une rationalité économique chère à Max Weber et aux économistes du « public choice ». Les mêmes références sont évoquées par le Programme des nations unies pour le développement qui présente la gouvernance comme « l’exercice de l’autorité politique, économique et administrative dans le cadre de la gestion des affaires d’un pays à tous les niveaux »9. Le PNUD postule que la gouvernance est une notion objective. Sans doute entend-il rappeler qu’elle comprend les mécanismes, les processus, les relations et les institutions complexes au moyen desquels les citoyens et les groupes articulent leurs intérêts, exercent leurs droits et assument leurs obligations. La bonne gouvernance elle, est un nouveau mot pour désigner des réalités anciennes. Et même si par moments, elle chasse sur les mêmes terres que la gouvernance, son contenu est plus normatif et comporte de forts relents d’idéologie. I.1.2. Origine et parcours historique de la gouvernance L’irruption de la bonne gouvernance dans le lexique des sciences sociales à la fin des années 80 est le résultat de ce qu’on pourrait appeler dans les stratégies de développement (de l’Afrique), l’épuisement des paradigmes. Le rapport commis en 1989 par la Banque mondiale, et qui s’intitule L’Afrique subsaharienne, de la crise à une croissance économique durable, étude prospective à long terme, est un constat d’échec des plans 8 C. Baron, « La gouvernance – débats autour d’un concept polysémique », Droit et société, n°54, 2003, p. 330. 9 PNUD, La gouvernance en faveur du développement humain durable, document de politique générale, New York, 1994, p. 40. 18 d’ajustement structurel, établi par ceux-là mêmes qui en sont les concepteurs. Car, à partir du début des années 90, les effets de la dynamique des réformes vont se faire sentir, à un rythme plus rapide qu’on ne l’avait prévu. I.1.2.1. Le concept depuis la genèse En effet « confrontées à une contestation permanente, les élites de l’Etat commencèrent bientôt à reconnaître que, sans un renouveau de légitimité, elles avaient perdu la capacité de gouverner »10. Impensable avant l’institutionnalisation de la bonne gouvernance, l’idée que certains régimes à parti unique allaient courir le risque d’affronter des concurrents à la faveur d’élections démocratiques, commençait à s’échafauder dans les esprits. Derrière la formule lapidaire du ‘’moins d’Etat’’, ‘’mieux d’Etat’’, la bonne gouvernance conférait unilatéralement à quelques acteurs internationaux, notamment les institutions de Bretton Woods, une légitimité que leur déniaient de plus en plus la plupart de leurs Etat-clients. C’est cet environnement institutionnel qui vit émerger de nouveaux termes décrivant le renouveau du libéralisme : la fin de l’Etat-providence, la libéralisation économique, la privatisation des entreprises publiques, la déréglementation, etc. De manière implicite, le ‘’moins d’Etat, mieux d’Etat’’ qu’implique la bonne gouvernance entraîne un recentrage des missions de l’Etat et une redéfinition de son profil. En clair, ‘’le moins d’Etat’’ est un regard sur le passé pour désigner ce qu’il faut changer. Mathématiquement et étymologiquement, le moins est réducteur ; il s’agit, soit de décharger l’Etat d’un surpoids, soit de lui administrer une cure d’amaigrissement, ce qui revient au même. Le ‘’mieux d’Etat’’ quant à lui est un regard vers l’avenir. Il tente de dessiner un nouveau profil de l’Etat. Le « mieux » exprime une amélioration. C’est un jugement de valeur qui suggère un changement qualitatif. Un État reconfiguré, « relooké » surtout dans les pays africains, principaux champs où se déploie la stratégie néo-libérale, est forcément plus vendable, moins exposé aux dérapages dirigistes et à la tentation totalitaire que celui qui a actuellement droit de cité. 10 M. Bratton et V. de Walle., « Vers la gouvernance en Afrique, exigences populaires et réactions gouvernementales », Goran Hyden et Michael Bratton (s.d.), Gouverner l’Afrique. Vers un partage des rôles, Lynne Rienner Publishers, Boulder, Colorado, 1992, p. 56. 19 L’engagement des responsables du FMI et de la Banque mondiale fait penser à celui des religieux du temps des campagnes d’évangélisation. De fait, les missionnaires de ces deux institutions vont effectuer un travail de prosélytisme. Il s’agit, reconnaît Christophe Eberhard, « de convertir et former de nouvelles élites dans chaque pays concerné. Car, si l’on entend se passer au moins pour partie des bureaucraties traditionnelles et des entourages compromis des chefs d’État, il faut se doter de nouveaux interlocuteurs, les former et les sensibiliser »11. Cette vocation des institutions de Bretton Woods, cette mission quasidivine de proposer ‘’la doctrine’’ de la bonne gouvernance est mieux précisée, expliquée et explicitée par Béatrice Hibou : « La vulgate de la Banque Mondiale est un catéchisme économique, comme le suggère la propension des catéchistes à utiliser des adjectifs normatifs comme bon ou mauvais ; les volontés de "faire le bien" et de "développer" partagent une naïveté que partageaient les mouvements religieux et rappellent leur ambition civilisatrice »12. À ce stade de l’analyse, il convient d’énoncer que cette ambition civilisatrice est l’un des facteurs qui donnent à penser que la bonne gouvernance n’est pas exempte d’arrière-pensées politiciennes. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à faire le constat que, depuis l’introduction du nouveau paradigme de bonne gouvernance dans les stratégies de développement, les Institutions financières internationales couvrent dorénavant un champ plus large que la gestion économique et financière des Etats-clients. A elles incombe désormais l’élaboration des ordres du jour politiques, orientés vers le choix des modes de légitimation démocratique des régimes en place dans les environnements où ils interviennent. Les fondements symboliques et culturels des réformes économiques que la Banque mondiale et ses alliés entendent promouvoir en Afrique ont été clairement identifiés par Jean-Marc Ela, pour que lesdites réformes reposent sur un certain nombre de piliers. « - Placer les sociétés africaines sous l’emprise du capitalisme et la religion du marché. 11 C. Eberhard, « Droit, gouvernance et développement durable », Laboratoire juridique de Paris, Faculté université Saint-Louis, 2004. 12 B. Hibou, « Banque Mondiale : les méfaits du catéchisme économique » in L’Afrique estelle protectionniste ? Les chemins buissonniers de la libéralisation extérieure, Paris, Karthala, 1996, p.59. 20