Ils se lèvent et ils marchent. Dans un joyeux désordre,
avec leurs drôles de gueules d’où s’échappent mille sabirs
entremêlés en un chant fraternel. Certains d’entre eux
sont morts. Robert, retrouvé étendu dans la neige, un
étrange sourire aux lèvres. Pier Paolo, retrouvé étendu
sur la plage d’Ostie, baignant dans un sang rouge comme
un drapeau. Hanokh et son rire salvateur, Fernand
et son rire figé comme un masque d’Ensor.
Ils sont morts et pourtant ils marchent. Main dans la main
avec les vivants : Ascanio, Jacques, Christophe et
Paul, évangélistes titubants, enivrés par une langue
toujours à réinventer.
Tous les huit ouvrent la marche et, derrière eux
– laborieusement tirée par un zinneke dont la langue
balance comme un pendule épileptique – brinquebale
une improbable caravane, gorgée à ras bord de bricoleurs
fous, de géomètres strabiques, de beugleurs enroués,
de cantatrices anorexiques et de danseuses unijambistes.
Pour le meilleur et pour le pire, serrés comme des sardi-
nes. Sur la caravane, grossièrement tracé à la craie jaune :
un R de guingois.
Vers quelles contrées lointaines,
vers quelle terre promise se presse cahin-caha
cette surprenante troupette bariolée ?
D’un clocher à l’autre, les voilà sillonnant ce petit pays
bienveillant où résonnent les doux noms de
Bruxelles-la-Belle, Liège-la-Rebelle, Louvain-la-Neuve,
Tournai-aux-cinq-Clochers, Dinant-la-Couque,
Huy-sur-Meuse…
Il faut se mettre en route.