COLLECTION DE L’UMR DE DROIT COMPARÉ DE PARIS VOLUME 26 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE À LA LUMIÈRE DE L’EXPÉRIENCE EUROPÉENNE EN FRANCE ET EN RUSSIE Sous la direction de Talia Iaroulovna KHABRIEVA et Gérard MARCOU SOCIÉTÉ DE LÉGISLATION COMPARÉE Cet ouvrage de l’UMR de droit comparé de Paris et de l’Institut de législation et de droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie est la première publication en langue française donnant accès aux évolutions récentes du droit administratif russe. Celui-ci est confronté au droit français et aux évolutions d’autres droits européens, sur des thèmes choisis d’un commun accord par les auteurs à partir des questions inscrites à l’agenda des réformes en Russie. Les procédures administratives et le contrôle sont des questions juridiques essentielles. De la façon dont elles sont réglées dépendent le niveau de la protection des droits et des libertés, l’efficacité de la gestion publique, le développement économique et la stabilité de l’État en général. Les transformations du droit administratif russe sont replacées dans la perspective des droits administratifs européens. Le lecteur français verra comment le contexte russe influence la façon de les aborder ; l’édition russe a permis de porter à la connaissance du lecteur russe les principes généraux de la procédure administrative française, le régime des décisions implicites, la place des personnes privées dans l’accomplissement de certaines missions publiques. I.S.B.N. : 978-2-36517-000-0 45 € LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE À LA LUMIÈRE DE L’EXPÉRIENCE EUROPÉENNE EN FRANCE ET EN RUSSIE COLLECTION DE L’UMR DE DROIT COMPARÉ DE PARIS (UNIVERSITÉ DE PARIS 1 / CNRS - UMR 8103) VOLUME 26 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE À LA LUMIÈRE DE L’EXPÉRIENCE EUROPÉENNE EN FRANCE ET EN RUSSIE Sous la direction de Talia Iaroulovna KHABRIEVA et Gérard MARCOU Société de législation comparée 28 rue Saint Guillaume, 75007 Paris, France Tél : (33) 1 44 39 86 23 Fax : (33) 1 44 39 86 28 e-mail : [email protected] www.legiscompare.com Ouvrage publié avec le concours du Conseil scientifique de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, du Groupement de Recherche sur l’Administration Locale en Europe (GRALE), de l’Institut de législation et de droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie et de l’Union des Industriels et Entrepreneurs de Russie Secrétariat de rédaction UMR de droit comparé de Paris Sophie GUY Monique ROBICHON Les contributions des auteurs russes ont été traduites en français par Maria MECHERIAKOVA, chargée de recherche du Centre de recherche de droit public de l’Institut de législation et de droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie, et Gérard MARCOU ; l’ensemble des traductions a été révisé par Gérard MARCOU. Le Code de propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2° et 3° a), d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constitue donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de propriété intellectuelle. © Société de législation comparée – 2012 I.S.B.N. 978-2-36517-000-0 I.S.S.N. 1636-905X Collection de l’UMR de droit comparé de Paris* n°1. Variations autour d’un droit commun. Travaux préparatoires, publié avec le concours du CNRS, 2001, 157 pages. n°2. Variations autour d’un droit commun. Premières Rencontres de l’UMR de droit comparé, sous la direction de Mireille DELMAS-MARTY, Horatia MUIR WATT et Hélène RUIZ FABRI, publié avec le concours du CNRS, 2002, 485 pages. n°3. Clonage humain. Droits et sociétés. Étude franco-chinoise. Volume 1, Introduction, sous la direction de Mireille DELMAS-MARTY et Naigen ZHANG, 2002, réimpression 2005, 238 pages. n°4. Procès équitable et enchevêtrement des espaces normatifs. Travaux de l’Atelier de droit international de l’UMR de droit comparé de Paris, sous la direction de Hélène RUIZ FABRI, 2003, 290 pages. n°5. L’harmonisation des sanctions pénales en Europe, sous la direction de Mireille DELMAS-MARTY, Geneviève GIUDICELLI-DELAGE et Élisabeth LAMBERT ABDELGAWAD, 2003, 592 pages. n°6. Clonage humain. Droits et sociétés. Étude franco-chinoise. Volume 2, Comparaison, sous la direction de Mireille DELMAS-MARTY et Naigen ZHANG, 2004, 219 pages. n°7. Les sources du droit international pénal, sous la direction de Mireille DELMAS-MARTY, Emanuella FRONZA, Élisabeth LAMBERT ABDELGAWALD, 2004, 488 pages. n°8. Clonage humain. Droits et sociétés. Étude franco-chinoise. Volume 3, Conclusion, sous la direction de Mireille DELMAS-MARTY et Naigen ZHANG, 2005, 146 pages. n°9. Mireille Delmas-Marty et les années UMR, 2005, 551 pages. n°10. L’intégration pénale « indirecte ». Interactions entre droit pénal et coopération judiciaire au sein de l’Union européenne, sous la direction de Geneviève GIUDICELLI-DELAGE et Stefano MANACORDA, 2005, 383 pages. n°11. Les juridictions pénales internationalisées, (Cambodge, Kosovo, Sierra Leone, Timor Leste), sous la direction de Hervé ASCENSIO, Élisabeth LAMBERT ABDELGAWAD et Jean-Marc SOREL, 2006, 383 pages. * Éditeur : Société de législation comparée, 28, rue Saint-Guillaume, 75007 Paris. www.legiscompare.com 6 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE n°12. Les transformations de l’administration de la preuve pénale. Perspectives comparées, sous la direction de Geneviève GIUDICELLI-DELAGE, 2006, 374 pages. n°13. Impérialisme et droit international en Europe et aux États-Unis, sous la direction de Emmanuelle JOUANNET et Hélène RUIZ FABRI, 2007, 334 pages. n°14. La clémence saisie par le droit. Amnistie, prescription et grâce en droit international et comparé, sous la direction de Hélène RUIZ FABRI, Gabriele DELLA MORTE, Élisabeth LAMBERT ABDELGAWAD et Kathia MARTINCHENUT, 2007, 645 pages. n°15. Les chemins de l’harmonisation pénale, sous la direction de Mireille DELMAS-MARTY, Mark PIETH et Ulrich SIEBER, 2008, 447 pages. n°16. La circulation des concepts juridiques : le droit international de l’environnement entre mondialisation et fragmentation, sous la direction de Hélène RUIZ FABRI et Lorenzo GRADONI, 2009, 574 pages. n°17. Actualité du droit public comparé en France et en Allemagne – Actes des séminaires franco-allemands de droit public comparé (2006-2007), sous la direction de David CAPITANT et Karl-Peter SOMMERMANN, 2009, 222 pages. n°18. Regards croisés sur l’internationalisation du droit : France – États-Unis, sous la direction de Mireille DELMAS-MARTY et Stephen BREYER, 2009, 274 pages. n°19. Cour de Justice et justice pénale en Europe, sous la direction de Geneviève GIUDICELLI-DELAGE et Stefano MANACORDA, 2010, 323 pages. n°20. Réparer les violations graves et massives des droits de l’homme : la Cour interaméricaine, pionnière et modèle ?, sous la direction de Élisabeth LAMBERT ABDELGAWAD et Kathia MARTIN-CHENUT, 2010, 334 pages. n°21. La Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Premier bilan et défis juridiques, sous la direction de Hélène RUIZ FABRI, 2010, 280 pages. n°22. Le Parquet et la Prokuratura. Étude comparée France-Russie, sous la direction de Nadine MARIE-SCHWARTZENBERG, 2010, 171 pages. n°23. Repenser le constitutionnalisme à l’âge de la mondialisation et de la privatisation, sous la direction de Hélène RUIZ FABRI et Michel ROSENFELD, 2011, 452 pages. COLLECTION DE L’UMR 7 n°24. Les catégories ethno-raciales à l’ère des biotechnologies. Droit, sciences et médecine face à la diversité humaine, sous la direction de Guillaume CANSELIER et Sonia DESMOULIN-CANSELIER, 2011, 170 pages. n°25. Le modèle des autorités de régulation indépendantes en France et en Allemagne, sous la direction de Gérard MARCOU et Johannes MASING, 2011, 408 pages. n°26. Les procédures administratives et le contrôle à la lumière de l’expérience européenne en France et en Russie, sous la direction de Talia Iaroulovna KHABRIEVA et Gérard MARCOU, 2012, 310 pages. Table des matières Les auteurs 13 Avant-propos Alexandre Nikolaevitch CHOKHINE 15 Introduction Talia Iaroulovna KHABRIEVA et Gérard MARCOU 17 L’analyse juridique comparative des institutions de l’administration publique Iouri Aleksandrovitch TIKHOMIROV 27 I PROBLÈMES ACTUELS DES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET DU CONTRÔLE EN DROIT COMPARÉ Les actes administratifs et les procédures administratives dans les États d’Europe occidentale et en Russie. Protection de l’intérêt public et garantie des droits Gérard MARCOU 35 Procédures administratives et barrières administratives : à la recherche d’un équilibre Talia Iaroulovna KHABRIEVA 103 Comment surmonter les juridique comparative Vladimir Ilitch LAFITSKY 125 barrières administratives ? Analyse 10 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE II ACTES ADMINISTRATIFS ET DÉCISIONS ADMINISTRATIVES EN RUSSIE ET EN FRANCE Les actes administratifs : notion, caractéristiques et évolution Aleksandr Fedorovitch NOZDRATCHEV 141 Le pouvoir réglementaire et les sujets de droit privé dans l’ordre juridique français : attribution, exercice et contrôle du pouvoir réglementaire Gérard MARCOU 169 La décision implicite en droit administratif français Paul CASSIA 197 III LES PRINCIPES DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE EN RUSSIE ET EN FRANCE Les principes généraux de la procédure administrative en France David CAPITANT 223 Les procédures administratives : doctrine et pratique Iouri Alexandrovitch TIKHOMIROV 235 IV PROBLÈMES ET INSTRUMENTS DES RELATIONS ENTRE ADMINISTRATIONS PUBLIQUES ET PERSONNES PRIVÉES Procédures et garanties de la participation des personnes physiques et morales dans leurs relations avec les organes d’administration publique Ludmila K. TERECHTCHENKO 247 TABLE DES MATIÈRES 11 La gestion des services publics par les personnes privées en France Jean-Marie PONTIER 267 La participation des organisations privées à la prestation des services publics en Russie Natalia POUTILO 289 LES AUTEURS David CAPITANT, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, École de droit de la Sorbonne, UMR de droit comparé de Paris Paul CASSIA, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, École de droit de la Sorbonne, Membre de l’Institut universitaire de France Alexandre Nikolaevitch CHOKHINE, Professeur de sciences économiques, Président de l’Union des Industriels et Entrepreneurs de Russie Talia Iaroulovna KHABRIEVA, Professeur, membre correspondant de l’Académie des Sciences de Russie, membre associé de l’Académie internationale de droit comparé, membre du conseil de la Fondation pour le droit continental, Directrice de l’Institut de législation et de droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie Vladimir Ilitch LAFITSKY, Professeur, membre associé de l’Académie internationale de droit comparé, Directeur adjoint de l’Institut de législation et de droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie Gérard MARCOU, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, École de droit de la Sorbonne, UMR de droit comparé de Paris, Directeur du Groupement de Recherche sur l’Administration Locale en Europe (GRALE) Aleksandr Fedorovitch NOZDRATCHEV, Professeur et chef de département de l’Institut de législation et de droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie Jean-Marie PONTIER, Professeur à l’Université Paris 1 PanthéonSorbonne, École de droit de la Sorbonne, membre du Conseil scientifique du GRALE Natalia POUTILO, Professeur et chef de département de l’Institut de législation et de droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie Ludmila K. TERECHTCHENKO, Professeur, chef-adjoint de département de l’Institut de législation et de droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie 14 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Iouri Aleksandrovitch TIKHOMIROV, Professeur, membre associé de l’Académie internationale de droit comparé, Premier Adjoint du Directeur de l’Institut de législation et de droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie AVANT PROPOS Alexandre N. CHOKHINE L’économie et le droit sont les deux instruments les plus puissants du développement de la société. Il convient qu’ils agissent de concert. Il n’est cependant pas rare qu’apparaissent entre eux des contradictions qui minent l’unité de l’État et de la société. Pour les surmonter, il est nécessaire de créer un algorithme de relations selon lequel l’économie puisera sa force dans le droit et le droit tracera la voie du développement économique. La nécessité d’une telle relation entre le droit et l’économie est évidente. Elle a cependant été ressentie avec une acuité particulière au cours des dernières décennies. De nouveaux rapports se sont développés, de nouvelles possibilités sont apparues, et avec eux de nouveaux dangers. Le coût des erreurs, dans le domaine du droit comme dans le domaine de l’économie, s’est accru. C’est pourquoi les recherches scientifiques sur les orientations prioritaires de l’économie et du droit sont si importantes. Les recherches sur les procédures administratives sont au nombre de ces orientations prioritaires. En effet, il n’est pas rare que la bureaucratie aspire à vivre, non pas selon les lois de l’économie et du droit, mais selon ses propres règles. Ce n’est pas par hasard que, dans le cadre des réformes administratives qui sont menées en Fédération de Russie, une attention particulière est portée aux normes qui fixent les règlements selon lesquels doivent être exécutés les fonctions de l’État et des collectivités locales ainsi que les services publics. Ces textes fixent précisément les procédures qui doivent être suivies, et contiennent la liste exclusive des documents qui peuvent être demandés aux citoyens comme aux organisations. À l’heure actuelle, 300 règlements administratifs sont entrés en vigueur au niveau fédéral et plus de 3 000 au niveau des sujets de la Fédération. L’intensité de cet effort impressionne. Mais ces textes sont-ils un moyen efficace de surmonter l’arbitraire administratif et la corruption ? 16 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Augmenteront-ils l’efficacité de l’action administrative, au niveau de l’État comme au niveau des collectivités locales ? Des corrections ne sont-elles pas nécessaires dans les règlements administratifs qui ont été adoptés ? Seules des investigations scientifiques peuvent donner une réponse valable à ces questions. C’est pourquoi l’Union des Industriels et des Entrepreneurs de Russie a soutenu l’initiative de l’Institut de législation et de droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie de mener conjointement avec l’École de droit de l’Université Paris 1 PanthéonSorbonne (UMR de droit comparé et GRALE) une recherche sur « Les procédures administratives et le contrôle à la lumière de l’expérience européenne ». Je pense que nous ne nous sommes pas trompés, non seulement dans le choix du sujet, mais aussi des partenaires de ce projet – les centres les plus importants de la recherche juridique en Russie et en France. Le projet est arrivé à son terme. Il a produit beaucoup de matériaux d’un grand intérêt théorique et pratique. On retiendra en particulier les propositions d’amélioration de la législation en vigueur qui visent à simplifier les procédures administratives, à supprimer les restrictions inutiles, à élargir les possibilités de partenariat public-privé. De tels changements sont, sans aucun doute, de nature à renforcer le développement des systèmes économiques et juridiques des deux pays. En terminant la présentation de ce livre, je voudrais souligner un point. La recherche commune menée par l’Institut de législation et de droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie et l’École de droit de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (UMR de droit comparé et GRALE) ne s’inscrit pas seulement dans les traditions de coopération scientifique qui existent entre nos deux pays. Elles les portent à un degré supérieur et donnent un bon exemple de coopération scientifique intégrée entre la Russie et la France. J’espère que cette coopération pourra encore se développer à l’avenir. INTRODUCTION Talia Ia. KHABRIEVA et Gérard MARCOU Dans son livre devenu un classique et traduit en russe, Grands systèmes de droit contemporains, René David affirme qu’en France « le droit administratif a atteint le plus haut degré de développement »1. Cette appréciation est partagée par des auteurs de nombreux pays : États-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, Espagne et d’autres. C’est pourquoi les ouvrages français de droit administratif sont souvent publiés à l’étranger et la Russie ne fait pas exception. L’un des premiers travaux publiés en russe est l’ouvrage classique de Léon Duguit, son Traité de Droit constitutionnel (1908). Vingt ans plus tard a été publiée l’édition russe du livre de Maurice Hauriou, Principes de droit public (1929). La publication d’ouvrages fondamentaux sur le droit administratif français a repris à partir des années 70. En 1973, on a traduit le manuel de Georges Vedel, Droit administratif, en 1982, le cours de Roland Drago, Science administrative, en 1988, celui de Guy Braibant, Droit administratif français, en 1995, le livre de Max Gounelle, Introduction en droit public. Dans les années 1990, une série d’ouvrages français a été publiée en russe sous les auspices de l’ambassade de France à Moscou : L’organisation administrative en France (1993), Le contrôle de l’administration publique en France (1994), Aperçu du droit administratif de France (1995), etc. De nombreux articles d’auteurs français ont été publiés dans les revues russes sur le droit administratif français ; nombre d’entre eux ont influencé le développement de la législation soviétique et, par la suite, russe. On peut citer, par exemple l’article de Michel Lesage, « Le contrôle juridictionnel de 1 R. DAVID, Основные правовые системы современности [Grands systèmes de droit contemporains], Moscou, 1967, p. 100, traduit du français, Dalloz, 1965, 11ème éd., refondue par C. JAUFFRET-SPINOSI, Dalloz, 2002, réimpression 2009. 18 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE l’administration en France »2, et plus récemment celui de Gérard Marcou, « La fonction consultative juridique centrale. Approche de droit comparé »3. En 1988, a été publié le recueil « La République Française : Constitution et législation », réunissant avec la Constitution les traductions des lois les plus importantes en matière administrative. De nombreux auteurs russes se sont également intéressés au droit constitutionnel et administratif français, parmi lesquels notamment S.V. Bobotov, A.N. Kozyrine, M.A. Krutogolov, A.V. Obolonskyi, E.V. Talapina, V.A. Tumanov, P.I. Savitsky, et d’autres) et lui ont consacré des articles sur des questions diverses. En sens inverse, s’il a toujours existé en France un fort courant d’intérêt pour la Russie, la part des questions juridiques et administratives y est restée plutôt modeste et, à quelques exceptions près, parmi elles, ce sont les études sur les institutions et le régime politique qui dominent. Il suffit de parcourir les sommaires de la Revue d’Études comparatives Est-Ouest, publiée par le CNRS, qui a permis depuis longtemps de soutenir les recherches sur l’Union soviétique et les pays de l’Est, pour s’en rendre compte, quelle que soit par ailleurs la très grande qualité de cette revue. Si certains numéros abordent les questions institutionnelles (par exemple en 2008, le numéro 2, « les pouvoirs du président, en Russie et dans d’autres pays de l’ancienne URSS »), les aspects touchant à l’administration et au droit administratif sont peu étudiés (ils le sont, il est vrai, dans le numéro cité, et dans le numéro 4 de 2001 sur les villes russes, dirigé par Anne Gazier). Pendant la période soviétique, ce sont essentiellement les travaux du professeur Michel Lesage qui ont fait connaître et comprendre au public français les institutions politiques et administratives de l’URSS4, mais on ne saurait oublier les travaux de Patrice Gélard5 et, avant eux, l’ouvrage de Mouskhely et Jedryka sur le gouvernement de l’URSS6. Certains spécialistes russes du droit administratif ont été publiés en France à cette époque, notamment les ouvrages des professeurs Jampolskaya7 et Tikhomirov8 par le CNRS. 2 Советское государство и право [L’État et le droit soviétiques], 1981, n° 11. Журнал зарубежного законодательства и сравнительного правоведения [Revue de législation étrangère et de droit comparé], 2007, n° 1. 4 V. not. : Les régimes politiques de l’URSS et des pays de l’Est, Paris, PUF, 1971 ; Le système politique de l’URSS, Paris, PUF, 1987 ; La fonction publique en Union soviétique, Paris, PUF, 1973 ; L’administration soviétique, Paris, Economica, 1981. V. également ses chroniques sur l’administration locale dans l’Annuaire des Collectivités locales, GRALE, Litec 1981 et 1982, 1997. 5 Les systèmes politiques des États socialistes, t. 1 : Le modèle soviétique, Paris, Cujas, 1975 ; « L’administration soviétique », Notes et Études Documentaires, n° 3519, La Documentation française ; L’administration locale en URSS, Paris, PUF, 1972. 6 M. MOUSKHELY, Z. JEDRYKA, Le gouvernement de l’URSS, PUF, 1961. 7 C. JAMPOLSKAYA, Les organisations sociales et le développement de la socialisation de l’État, Paris, CNRS, 1967. 3 T. Ia. KHABRIEVA & G. MARCOU : INTRODUCTION 19 La perestroika, la dislocation de l’URSS et la formation de la Fédération de Russie ont provoqué un regain d’intérêt pour les institutions et le droit de la Russie, mais qui s’est davantage reflété dans des études politiques et de droit constitutionnel9, ainsi que dans le domaine du droit civil10, que dans des études sur l’administration et le droit administratif11 ; l’administration locale et le fédéralisme ont toutefois particulièrement retenu l’attention de chercheurs français12. Enfin, le droit public de l’économie 8 1973. Yu. A. TIKHOMIROV, Pouvoir et administration dans la société socialiste, Paris, CNRS, 9 Michel Lesage et Patrice Gélard ont été les premiers commentateurs des changements constitutionnels et traducteurs de la nouvelle constitution russe. On doit aussi citer les travaux de Jean-Pierre Massias, consacrés notamment aux cours constitutionnelles des pays issus de l’ancienne URSS. 10 V. en particulier les thèses de A. CHAIGNEAU, Le droit de propriété en mutation à la lumière du droit russe, Paris, Dalloz, 2008, et de D. SKODA, La propriété dans le Code civil de la Fédération de Russie, un système entre deux traditions, Paris, Dalloz, 2007 ; celle d’A. SCAGGION, La codification du droit russe (1991-2002), Université Paris 1 (dir. M. LESAGE), n’a pas été publiée. V. également : N. KOLOSKOVA, La rupture du contrat de travail en Russie étudiée à la lumière du droit français : évolution vers les standards internationaux, thèse, Université Paris 2 (dir. F. FAVENNEC-HERY), 2007 ; V. SIMONENKO, Le refondement du droit d’auteur russe à la lumière de l’expérience française, thèse, Université Paris 2 (dir. J.-C. GALLOUX), 2007 ; D. LITVINSKI, La reconnaissance des décisions de justice étrangères : une étude comparative du droit russe par l’entremise du droit français, thèse, Université Paris 2 (dir. B. ANCEL), 2007 ; S. MENAGER-SIBE, Le droit du travail en Russie, thèse, Université Paris 10, 2004 ; D. STOYANOVA, La réforme de l’impôt sur les bénéfices en Russie, thèse, Université de Montpellier 1, 2002. 11 V. cependant les thèses de : H. DONSKOFF, Les limites de l’action de la cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, Université des Affaires internationales du Havre (dir. P. GÉLARD), 2004 ; M. VIEL, Le droit à une audition préalable dans la procédure administrative non juridictionnelle en France et en Russie, Université Paris 2, 2003 ; N. BERGÈS, Les contrats entre les personnes publiques russes et les entreprises privées, thèse, Université Paris 2 (dir. P. DELVOLVÉ), 2002. 12 On relève plusieurs thèses sur les pouvoirs régionaux, malheureusement non publiées : A. HERDAM, Pouvoir central et pouvoirs régionaux en Russie : le cas de la République de Sakha (Yakoutie), thèse, 1998 ; J.-J. LALLEMAND, Étude sur le gouvernement des provinces en Russie (1991-2004) : les exemples de Briansk et de Smolensk, thèse IEP de Paris, 2004 ; G. BERTRAND, La transformation du gouvernement local en Russie. Le cas de Léningrad-Saint-Pétersbourg, ville sujet de la Fédération, thèse, IEP de Paris, 2005. V. également : C. VASCONI, Les relations entre la Fédération de Russie et l’oblast de Moscou, mémoire de recherche, Université Paris 1 (dir. G. MARCOU), 2006. V. en outre sur le fédéralisme : M. LESAGE, La crise du fédéralisme soviétique, Paris, La Documentation française, 1990 et, dans les Mélanges Lesage, les articles de T. Ya. KHABRIEVA, « Constitution et fédéralisme en Russie aujourd’hui », p. 161, et de G. MARCOU, « Fédéralisme et centralisation en Fédération de Russie : le statut des gouverneurs des sujets de la Fédération », p. 475, ainsi que l’article d’A. GAZIER : « Régions et nationalités en Russie : aspects institutionnels et juridiques », p. 405 (L’État et le droit d’est en ouest. Mélanges offerts au professeur Michel Lesage, Paris, Société de Législation Comparée, 2006). Sur cette thématique, v. aussi G. MARCOU, « Les relations budgétaires entre les collectivités locales et les sujets de la Fédération de Russie dans une perspective européenne », Revue française de Finances publiques, sept. 2001, n° 75, p. 135. De nombreux travaux ont été réalisés dans le cadre du Conseil de l’Europe par G. Marcou sur ce thème, en relation avec l’administration russe ; ces travaux n’ont 20 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE apparaît comme une nouvelle thématique de coopération franco-russe, comme le montrent la section juridique du colloque organisé en octobre 2010 à Moscou par l’École Supérieure d’Économie13, à laquelle l’Université Paris 1 a participé avec une délégation importante, le projet en cours entre ces deux universités sur l’efficacité du droit de la concurrence14, la table ronde organisée le 1er mars 2010 entre l’Université Paris 1 (Institut de Recherche Juridique de la Sorbonne) et l’Institut de Législation et de Droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie15. En fait, si on fait le bilan de ces multiples recherches et initiatives de coopération, on peut affirmer que l’intérêt pour le droit russe n’a en fait jamais été aussi élevé qu’aujourd’hui et qu’il gagne des juristes de toutes spécialités, alors que pendant la période soviétique il était limité au petit cercle des spécialistes du régime soviétique. Même s’il reste beaucoup à faire pour développer la connaissance mutuelle de nos systèmes juridiques, on peut y voir une base encourageante pour le développement de la coopération future entre les juristes des deux pays, et en particulier dans le domaine du droit administratif et de l’administration publique. Précisément, le présent ouvrage constitue la première publication en langue française qui donne accès aux évolutions récentes du droit administratif russe, aux problèmes scientifiques et pratiques auxquels il est confronté et à ses façons d’essayer d’y répondre. Le lecteur le découvrira non seulement en lisant les contributions des auteurs russes mais aussi, indirectement, en lisant les contributions des auteurs français, car les sujets qu’ils abordent ont été définis après des discussions préalables qui ont permis de déterminer sur quels points, la présentation aux lecteurs russes de l’état du droit administratif français était utile aux discussions en cours en Russie. Une mise en perspective plus large que la seule confrontation avec le droit français a été jugée souhaitable. C’est l’objet des contributions de Gérard Marcou et de Vladimir Lafitsky, ce dernier sous un aspect plus technique et ciblé sur des débats actuels à propos de ce que l’on appelle en Russie les « barrières administratives », c’est-à-dire les obstacles réglementaires au développement économique. pas été publiés mais sont accessibles, not. : La réforme de l’autonomie locale en Russie et son application par les sujets de la Fédération, avril 2006. 13 Économie, politique et société : nouveaux défis et perspectives, Moscou, 28-29 octobre 2010. 14 L’efficacité du droit de la concurrence en Russie, en France et aux États-Unis, sous la direction de L. VIDAL (Paris 1) et S. HUTCHINSON (École supérieure d’Économie, Moscou). 15 Aspects juridiques du soutien à l’innovation dans le développement économique, table ronde, Université Paris 1, 1er mars 2010, dans le cadre du Forum économique franco-russe, avec le soutien de la Fondation pour le Droit continental, de l’Union des industriels et entrepreneurs de Russie et du MEDEF. T. Ia. KHABRIEVA & G. MARCOU : INTRODUCTION 21 C’est sur les procédures et les contrôles qu’il a été décidé de concentrer ce projet commun de nos deux institutions scientifiques. Parmi de nombreux domaines du droit administratif français encore inexplorés, ce sont ceux qui ont été jugés les plus susceptibles d’alimenter les discussions sur les réformes en cours. Mais ces deux termes sont pris dans un sens large, qui est celui dans lequel ils sont discutés en Russie. Par procédure administrative, on n’entend pas seulement la procédure qui règle les rapports entre l’autorité administrative et le sujet de droit destinataire de l’acte mais, bien davantage les « processus administratifs », que l’on estime nécessaire aujourd’hui de soumettre à des règles explicites et transparentes. Cela concerne donc les modalités d’organisation de la préparation des actes administratifs, aussi bien sur le plan interne à une autorité administrative que dans les rapports avec les tiers, aussi bien les actes réglementaires que les actes non réglementaires et les décisions individuelles16. Les réformes relatives au contrôle concernent aussi bien le contrôle auquel les autorités administratives doivent être soumises que les contrôles qu’elles exercent sur les tiers, notamment pour garantir le respect de la loi, et pour lesquels, justement, des garanties procédurales et des voies de recours sont indispensables à la protection des droits des tiers contre le risque d’arbitraire administratif. Cette acception rattache le contrôle à la notion plus large de « surveillance » (nadzor), propre au droit russe, reprise par le droit soviétique, qui est un mode de contrôle externe ayant pour objet le respect de normes déterminées par des sujets de droit privé ou des autorités administratives, ou des organismes publics, exercé par une autorité investie des pouvoirs de contrôle et d’investigation correspondants17 ; le parquet (prokuratura) est seul investi d’une mission de surveillance générale qui s’exerce aussi bien sur les administrations publiques que sur les organes dirigeants des organisations commerciales ou non commerciales18. Le choix du sujet de recherche n’a donc pas été le fruit du hasard. Les procédures administratives et le contrôle sont des questions juridiques essentielles. De la façon dont elles sont réglées dépendent le niveau de la 16 Cf plus loin la contribution du professeur TIKHOMIROV, « Les procédures administratives, doctrine et pratique ». 17 V. Yu. A. TIKHOMIROV / E. V. TALAPINA, Введение в Российское право [Introduction au droit russe], Moscou, 2003, pp. 358-361 ; S. M. ZYRIANOV, Административный надзор [La surveillance administrative], Moscou, 2010, not. pp. 15-21. 18 V. la loi fédérale n° 168 de 1995 sur la prokuratura, art. 1er. Cf également : V. I. ROKHLINE / I. I. SYDOROUK, Прокурорский надзор защита прав человека [La surveillance par le parquet de la protection des droits de l’homme], Moscou, 2001, p. 25 et s. ; N. MARIESCHWARTZENBERG, « Le parquet et la prokuratura dans une optique de droit comparé », Revue internationale de Droit pénal, 2008, vol. 79, n° 1-2, pp. 239-249 ; N. MARIE-SCHWARTZENBERG (dir.), Le parquet et la Prokuratura. Étude comparée France-Russie, coll. « UMR de droit comparé de Paris », vol. 22, Paris, Société de législation comparée, 2010. 22 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE protection des droits et des libertés, l’efficacité de la gestion publique, le développement économique et la stabilité de l’État en général. Le problème de la réglementation des procédures administratives et des contrôles est très complexe. Le législateur doit concilier des intérêts différents tant publics (les différentes autorités administratives concernées sont loin d’avoir toujours la même vision de la réponse à apporter à un problème) que privés. La portée et l’impact de chaque décision doivent pouvoir être bien évalués. À défaut, les procédures et les contrôles peuvent aussi générer des obstacles injustifiés à l’exercice des droits et libertés, aux initiatives économiques qui sont le ressort du développement et à une gestion publique efficace. La recherche juridique doit donc à la fois évaluer l’état actuel de la réglementation des procédures et des contrôles, et contribuer à leur amélioration dans la recherche d’un équilibre entre des objectifs qui sont partiellement contradictoires, lequel peut d’ailleurs varier à des étapes différentes de l’évolution de la société. Bien entendu, les questions posées par l’évolution du système juridique ne sont pas identiques en Russie et en France. Le droit administratif russe en est encore à ses balbutiements. Il reste beaucoup à faire pour éliminer le fardeau du passé, corriger les erreurs, en développant de nouvelles solutions aux défis anciens ou nouveaux. En particulier, il reste le problème de la fixation législative des principes généraux des procédures administratives, ce qui entraîne inévitablement des difficultés dans l’application des règlements administratifs adoptés pour l’exécution des fonctions de l’État et des collectivités locales et des services publics. Les insuffisances des mécanismes de contrôle auxquels sont soumises les autorités administratives affectent négativement l’efficacité de la gestion publique en général. Les formes inadéquates de la participation des personnes physiques aux procédures de décision conduisent à des réactions de rejet dans la société envers les décisions prises. Il est nécessaire que la loi définisse mieux le régime des actes administratifs, selon leur catégorie, afin que soient harmonisées les conditions de leur préparation et de leur exécution. Ces questions sont au centre de cet ouvrage commun. Il fait l’objet d’une édition russe et d’une édition française, ce qui le rend accessible à un lectorat plus large19. 19 L’édition russe a été publiée en mai 2011 par l’Institut de législation et de droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie : Административные процедуры и контроль в свете европейского опыта. T. Ia. KHABRIEVA & G. MARCOU : INTRODUCTION 23 Ces différents problèmes expliquent l’intérêt particulier de l’expérience française pour la Russie aujourd’hui, à la lumière des normes juridiques internationales et de l’évolution des systèmes de droit administratif des autres pays européens. Au-delà de la valeur cognitive des contributions réunies dans ce livre, celles-ci suggèrent des conclusions pratiques importantes pour la Russie, pour la consolidation et la codification des principes généraux de la procédure administrative ; pour l’introduction dans le droit administratif russe de l’institution de la décision implicite, laquelle permet de surmonter les lenteurs bureaucratiques ; pour améliorer le contrôle juridictionnel des activités administratives, y compris par la mise en place d’un système de justice administrative, au moment où, de nouveau, un projet de loi est en cours d’élaboration, pour lequel les expériences de la France, de l’Allemagne et d’autres pays européens peuvent être utiles ; pour développer le cadre juridique de la participation des personnes privées à la gestion des services publics. Le lecteur français n’aura pas de peine à s’orienter, en lisant les contributions des auteurs russes, et il repérera rapidement les convergences et les questions sur lesquelles les approches demeurent éloignées. La théorie de l’acte administratif exposée par le professeur Nozdratchev paraîtra assez familière au lecteur français ; le droit russe admet en effet une définition large de l’acte administratif, qui inclut les actes réglementaires. En revanche, l’assimilation du contrat administratif à une variété d’acte administratif de puissance publique rappelle la conception allemande, alors qu’en France l’autonomie du contrat administratif et de son régime juridique est reconnue depuis longtemps, bien que l’empreinte de la puissance publique n’en soit jamais absente. Les conditions de diffusion du pouvoir de faire des actes administratifs en dehors du cercle restreint des organes de l’État et des collectivités locales ne sont pas très claires, ni surtout ses limites, nécessairement étroites ; la qualification des organisations professionnelles comme « organisations auto-réglementées » (v. la contribution de Natalia Poutilo) entretient une ambiguïté sur la nature de la « réglementation » qu’elles produisent. Ambiguïtés peut-être, aussi, dans les termes de la discussion qui se poursuit en Russie sur les procédures administratives et les « barrières administratives ». La conception large de la notion de procédures administratives (au pluriel) n’entretient-elle pas une certaine confusion entre les principes généraux et les règles de procédure qui sont nécessaires à la garantie des droits et des intérêts légitimes, y compris les procédures consultatives impliquant des organisations sociales ou professionnelles, d’une part, et les règles qui relèvent de l’organisation du fonctionnement interne de l’administration, d’autre part ? Les premières doivent être fixées par la loi, mais les secondes peuvent être rangées dans les prérogatives, et 24 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE les responsabilités, des dirigeants des organes de l’État ou des collectivités locales, et la confusion de leur objet ne sert-elle pas à justifier indûment les prérogatives de l’administration contre la loi ? De même, l’usage courant du pluriel semble considérer comme allant de soi que le particularisme des différentes administrations prévale sur l’affirmation de principes généraux. Dans les pays qui ont adopté des lois générales de procédure administrative, les dispositions de celles-ci cèdent devant les dispositions spéciales établies par la loi (par exemple en matière fiscale ou douanière), mais on y reconnaît des principes communs. Ces questions ne manqueront pas d’être encore discutées en Russie, comme elles l’ont été en France. Si l’élimination des « barrières administratives » est devenue un objectif politique important des réformes administratives, la relation entre cet objectif et celui du perfectionnement des procédures administratives est complexe et présente des aspects contradictoires. Il n’est pas sans rappeler, bien sûr, les politiques de « déréglementation » apparues aux États-Unis, puis en Europe et qui s’attaquaient aux réglementations, de plus en plus nombreuses, et aux contrôles qui auraient entravé la compétitivité des entreprises20. La critique de l’excès de réglementation a contribué à ouvrir la voie à la réception par les sciences juridiques et administratives de la notion de régulation, laquelle aurait permis d’envisager d’autres modes de régulation que la réglementation21. Par la suite, l’OCDE, notamment a encouragé les « politiques réglementaires » tendant à alléger le fardeau des réglementations de toute nature sur l’économie22. En réalité, la réglementation s’est déplacée. Les politiques d’ouverture à la concurrence des secteurs naguère soumis au contrôle de l’État et à un régime de monopole a rendu nécessaire la construction du marché par la réglementation et des systèmes de contrôle complexes (notamment par l’intervention d’autorités indépendantes de régulation, rendues obligatoires, désormais, par la réglementation communautaire). Les travaux les plus récents de l’OCDE mettent aussi en évidence cette donnée : la réforme de la réglementation, ce n’est pas, en soi, moins de réglementation, mais une meilleure réglementation, adaptée aux besoins de l’économie et de la société. L’agenda est ainsi devenu beaucoup plus large qu’il ne l’était initialement. Les rapports nationaux du programme Better regulation in Europe évaluent ainsi pour chaque pays, non seulement les efforts de simplification et de réduction, ou plutôt de contrôle, du volume de la réglementation, mais aussi, les capacités institutionnelles, la transparence, le 20 Institut Français des Sciences Administratives, Les déréglementations. Étude comparative, Paris, Economica, 1988. 21 Cf l’article de Jacques CHEVALIER dans le même ouvrage : « Les politiques de déréglementation », op. cit. pp. 44-45. 22 OECD, The OECD Report on regulatory reforms: Synthesis, Paris, 1998. T. Ia. KHABRIEVA & G. MARCOU : INTRODUCTION 25 développement de nouvelles réglementations, les procédures tendant à assurer le respect des réglementations et les voies de recours, notamment23. Par analogie, on comprend bien que l’enjeu de la lutte contre les « barrières administratives » en Russie doit se comprendre par rapport à l’héritage du régime soviétique. Il arrive en effet que d’anciennes réglementations et d’anciennes pratiques se perpétuent sous de nouveaux habits, faisant ainsi obstacle à l’application des lois nouvelles en adéquation avec le nouveau régime économique. Cela n’exclut pas le développement de nouvelles réglementations, ni des procédures plus rigoureuses, ni des voies de recours nouvelles, ni plus de transparence dans l’action administrative, comme le réclament d’ailleurs les règlements administratifs publiés par les différentes administrations. C’est pourquoi il est important de bien préciser les critères permettant d’identifier les « barrières administratives » qu’il s’agit de combattre, pour les distinguer des réglementations et des contraintes qui sont absolument nécessaires, même dans la vie économique (par exemple pour la protection de l’environnement, pour la sécurité au travail, etc.)24. Le lecteur français sera aussi sensible à la réception de la notion de « service public » dans le droit administratif russe d’aujourd’hui, mais elle y prend un sens assez différent. Sont considérés comme services publics les activités des autorités administratives dont les destinataires sont des personnes privées (par exemple la délivrance d’autorisations, de certificats ou autres pièces officielles, ce qui serait plutôt considéré en droit administratif français comme relevant de la police administrative) et les services sociaux, qui sont en général gérés par des établissements publics, mais parfois directement par des autorités administratives ; seuls ces derniers peuvent être exercés par des personnes privées selon les modalités prévues par la loi25. Toutefois, selon cette définition, le secteur connu sous le nom d’« économie communale », terminologie héritée de l’époque soviétique, et qui désigne divers services de réseau administrés ou contrôlés par les collectivités locales (eau, assainissement, transports publics…) n’a pas un statut très clair. Il est difficile, cependant, de ne pas y voir des services publics, alors que la loi attribue explicitement des compétences aux organes des collectivités locales en ces domaines. La réflexion doit sans doute être poursuivie pour surmonter ces incertitudes conceptuelles. 23 OECD, Better regulation in Europe. The EU 15 project, http://www.oecd.org/document/ 24/0,3746,en_2649_37421_41909720_1_1_1_37421,00.html Le site du projet, qui a été mené entre 2008 et 2010 et dont les publications seront terminées en 2011, présente des rapports par pays. 24 Cf plus loin la contribution de T. KHABRIEVA, « Procédures administratives et barrières administratives : à la recherche d’un équilibre ». 25 Cf ci-après la contribution de N. POUTILO, « La participation des organisations privées à la prestation des services publics en Russie ». 26 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE De même, pour les activités qui sont déléguées à des personnes privées, si l’on retrouve des modalités qui rappellent des institutions connues, comme les procédures de passation des marchés publics et des contrats passés en dehors de ces procédures pour la fourniture de certains services publics, à l’instar des délégations de services publics, largement pratiquées en France, on s’aperçoit, à la lecture, que l’articulation entre l’intérêt public dont les collectivités publiques sont les garantes, et l’intérêt privé, qui est le moteur de l’engagement du secteur privé dans la fourniture de services publics, n’a pas trouvé dans le droit russe des solutions satisfaisantes. Dans le domaine éducatif et dans le domaine social, les services offerts par le secteur privé, ne sont pas en général, sur le plan économique de même nature que ceux offerts par les établissements publics, si bien qu’ils perdent le caractère d’universalité qui caractérise en principe les véritables services publics vis-à-vis du public desservi. Il s’agit d’un domaine dans lequel l’expérience française peut être particulièrement utile, car la France est le pays européen qui a, depuis le 19ème siècle, le plus développé les instruments juridiques de la participation des entreprises privées à la fourniture de services publics industriels et commerciaux. De même, dans les secteurs désormais concurrentiels, les obligations de service public et de service universel distinguent les entreprises qui en sont chargées des entreprises du secteur qui n’ont pas d’autre objectif à atteindre que leurs propres objectifs commerciaux. On doit toutefois reconnaître que la logique concurrentielle conduit à un rétrécissement du champ du service public et à une réduction de son intensité. Pour conclure, nous voudrions exprimer notre profonde gratitude aux institutions qui ont soutenu ce projet : outre l’Université Paris 1 PanthéonSorbonne et son École de droit et l’Institut de législation de droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie, l’UMR de droit comparé de Paris et le GRALE, au sein de l’Université Paris 1, et l’Union des Industriels et des Entrepreneurs de Russie pour leur appui organisationnel et financier à ce projet, et notre souhait qu’il contribue au renforcement de la coopération scientifique entre les juristes des deux pays. L’ANALYSE JURIDIQUE COMPARATIVE DES INSTITUTIONS DE L’ADMINISTRATION PUBLIQUE Iouri A. TIKHOMIROV Des mouvements d’envergure, dont l’État est l’épicentre, sont en cours dans le monde contemporain. Bien que le rôle de l’État évolue, il reste essentiel. Dans ce contexte, l’administration publique1 porte une responsabilité considérable devant la société pour assurer le développement économique et social durable et, en même temps, répondre aux besoins croissants en ressources de la société. Les garanties réelles des droits et des intérêts des citoyens, des personnes physiques et morales, ainsi que la sécurité d’État, dépendent, dans une large mesure, de l’administration publique. Celle-ci doit répondre à tous les défis du monde actuel, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur. On comprend que les attentes de la société à l’égard de l’administration publique se soient élevées dans la plupart des pays du monde. Au cours des dernières années, les gouvernements, les organisations non-gouvernementales, la Banque mondiale, des organisations du monde des affaires ont multiplié les initiatives pour élever le niveau de l’administration publique, accroître son caractère démocratique et son accessibilité. L’efficacité de la direction par objectifs peut en être présentée comme l’indicateur principal aux yeux de la société civile et de la communauté mondiale. La doctrine internationale de good governance (bonne administration) signifie une gestion transparente et responsable de ressources humaines, naturelles, économiques et financières dans le but de développement durable et équitable. C’est dans cette perspective que, depuis quelques années, les réformes administratives intervenues en France et en Russie ont visé à accroître la 1 Soulignons qu’en russe le même mot, upravlenie, a le double sens d’administration et de gestion (NdlR). 28 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE transparence et l’efficacité de la gestion publique2. C’est aux développements législatifs tendant à améliorer l’efficacité des procédures et des contrôles dans les deux pays que ce projet a été consacré. Deux rencontres leur ont été consacrées, à Moscou et à Paris, en 2009 et 2010, avec la participation de chercheurs en droit, en économie et de représentants des organisations représentatives du monde des affaires. On peut répartir les contributions en deux groupes. Le premier réunit les contributions relatives aux questions de l’organisation du fonctionnement de l’administration ; le deuxième regroupe les contributions traitant des problèmes de la participation des personnes et des organisations privées à l’exécution de certaines missions publiques. Envisageons donc ces sujets en détail. Traditionnellement la doctrine du droit administratif russe porte une grande attention aux actes administratifs. Le professeur A. F. Nozdratchev a caractérisé de manière détaillée la nature et les catégories des actes administratifs, ainsi que les conditions de leur adoption. Il a examiné les questions actuelles de l’exécution de ces actes et du respect de la légalité. En France, le pouvoir réglementaire est compris comme le droit d’établir des normes générales qui règlent la situation juridique des sujets de droit auxquels elles s’appliquent. Ce droit est conféré à l’autorité administrative par la Constitution ou par la loi. Le professeur G. Marcou a envisagé en détail les questions du pouvoir réglementaire et de la participation des personnes privées à son exercice, de l’attribution de ce pouvoir, de sa mise en œuvre et des contrôles auxquels il est soumis. La participation des personnes privées au pouvoir réglementaire emprunte des formes variées, de l’édiction d’actes réglementaires à la forme du contrat, comme on le voit au travers des contrats collectifs de travail, ou dans le domaine des relations entre les professions médicales et la Sécurité sociale, ou encore dans l’édiction des normes techniques. Le professeur D. Capitant caractérise les principes généraux de la procédure administrative française qui reflètent les traditions durables de la doctrine nationale et règlent les relations entre les pouvoirs publics et les citoyens. On voit au premier plan deux acteurs essentiels – l’administration et le tribunal administratif. Les principes du dépôt et de l’examen d’un recours sont marqués par la netteté, la simplicité et la bientraitance. Ce sont les principes de la transparence, du contradictoire (la motivation des décisions), de la sécurité juridique (l’absence d’effet rétroactif). 2 Cf. Y. A. TIKHOMIROV, Управление на основе права [L’administration sur la base de droit], Moscou, 2008 ; Y. A. TIKHOMIROV, Децентрализация урпавления в зарубежных странах [La décentralisation de l’administration dans des pays étrangers], Moscou, 2009. I. A. TIKHOMIROV : ANALYSE JURIDIQUE COMPARATIVE DES INSTITUTIONS 29 Un autre aspect de l’analyse comparative juridique est celui de la perception des problèmes de la gestion publique par les personnes privées. Le professeur J.-M. Pontier expose en détail la conception du service public, qui est une institution caractéristique du droit français. Il est marqué par sa corrélation avec un intérêt public et par son orientation vers la réalisation du bien public dont la notion comporte, évidemment, un sens historique concret. Il est remarquable qu’on ait ajouté il y a longtemps aux organismes publics chargés de ces services les entités du droit privé (associations, sociétés, etc.). Le mandat de gestion dans ce cas est délégué sur la base de la loi ou par contrat, et son objet peut être de nature administrative ou économique. Il existe encore le régime très intéressant de la décision implicite quand la loi fait produire une décision au silence de l’administration, dans l’intérêt du demandeur. Le délai fixé pour l’acquisition de cette décision est pour lui une garantie. L’analyse détaillée de cette institution administrative, que nous livre le professeur P. Cassia, peut être utile pour la doctrine et la pratique du droit administratif russe, notamment en ce qui concerne les procédures relatives au fonctionnement des services publics et les recours administratif. L’exposé de L.K. Terechtchenko est consacré à l’analyse des procédures et des garanties relatives à la participation des personnes physiques et morales à la procédure dans leur relation avec les autorités administratives. On remarque que la doctrine russe travaille aujourd’hui beaucoup sur les notions de services publics et de services municipaux en relation avec les notions de compétence et de fonction, ainsi que sur les questions de procédure liées à la fourniture des services, notamment sur la base de centres multifonctionnels et des règlements administratifs de procédure. Il faut en outre tenir compte des possibilités offertes par la nouvelle loi fédérale sur l’accès aux informations relatives au fonctionnement des autorités administratives et municipales. On trouve des renseignements intéressants dans le rapport de N. V. Poutilo concernant la participation des organisations privées à la fourniture des services publics. En ce qui concerne la Russie, on peut parler ici d’une orientation nouvelle car, auparavant seuls les établissements publics avaient le droit de fournir des services publics. On peut y rajouter maintenant des organisations et entrepreneurs privés. Cette orientation fait appel aux institutions suivantes du droit administratif : l’autorisation administrative, la réglementation conventionnelle, la commande d’État et l’externalisation. Les contrats d’externalisation élargissent les domaines de participation des entités privées à la fourniture de services publics. Il existe en Russie des agences fédérales qui sont principalement chargées d’organiser et de fournir les services publics. 30 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Ces différentes contributions font apparaître l’existence de tendances communes au développement de l’administration publique en Russie et en France. D’un autre côté, on peut constater des traits spécifiques des processus administratifs, de leurs mécanismes et de leurs instruments. On s’interroge naturellement sur l’appréciation que l’on peut en faire. Quelles leçons tirer d’une expérience étrangère? A-t-on besoin des comparaisons? Peut-t-on utiliser les méthodes administratives étrangères? Les réponses à ces questions supposent l’utilisation des critères de l’analyse juridique comparative. On peut distinguer quatre critères : le critère de l’objectif, le critère estimatif, le critère systémique et le critère intégratif. Le premier critère est celui des buts de la comparaison. Le second critère est celui qui se rapporte à l’interprétation des phénomènes, des procédures et des institutions administratives. Le troisième critère est celui qui les replace dans les cadres du droit national et de l’environnement social. Enfin, le quatrième critère se réfère à l’expérience du droit comparé et aux standards internationaux il faut appliquer le critère intégratif qui implique l’expérience concentrée du droit comparé et des standards internationaux. Le respect de ces critères garantit la précision de l’analyse et la justesse des recommandations. On remarquera en particulier les recherches économiques sur le droit qui découlent de la nécessité d’évaluer la dynamique des processus sociaux. Dans chaque pays les agents économiques ont besoin de partenaires et d’un cadre juridique solide pour se développer. Tel est le cas dans les pays étrangers, non seulement des agents économiques mais aussi des cadres juridiques. Cela explique que la réalisation des objectifs stratégiques de la modernisation de l’économie de la Russie exige l’utilisation de l’ensemble des moyens, parmi lesquels la place la plus importante revient au droit. Les agents économiques ont besoin d’une législation développée et correctement appliquée. Cela contribue à la sécurité juridique, fait obstacle aux pressions administrative et garantit leur liberté et leur capacité de prendre des décisions sur la base de critères économiques. Le contrôle de l’État et de la société sur l’application de la loi doit être transparent et efficace. La coopération entre les milieux économiques et la recherche juridique peut permettre des progrès dans cette voie, en Russie comme en France, comme le montre la réalisation de ce projet. Dans un monde qui change, le choix des orientations gagne en importance, aussi bien au niveau national qu’au niveau international. L’intégration des économies nationales ainsi que des autres sphères de la vie des États exige bien plus que par le passé des régulations juridiques efficaces. Leur compréhension et leur conception constituent un vaste champ de coopération entre la France et la Russie dans le domaine de la I. A. TIKHOMIROV : ANALYSE JURIDIQUE COMPARATIVE DES INSTITUTIONS 31 recherche juridique. Cet ouvrage, consacré à l’analyse des procédures et du contrôle administratif en France et en Russie, est un premier pas dans cette direction, et il illustre par les résultats qu’il réunit, la fécondité d’une telle coopération, par exemple à propos des procédures de décision et de la participation des personnes privées à l’exécution de missions publiques. D’autres recherches communes sont nécessaires, notamment en ce qui concerne l’intégration internationale. Les agents économiques, en effet, ne limitent plus leurs activités à l’intérieur des frontières d’un État. On connait l’expérience réussie de l’Union Européenne fondée sur un marché unique et une communauté de droit. Avec l’Union douanière dont la Russie a pris l’initiative, l’étude et l’utilisation de l’expérience accumulée par l’Union européenne permettront de mieux soutenir l’activité économique. La garantie de la sécurité juridique pour les agents économiques pose des problèmes fondamentaux qu’il faut résoudre en tenant compte de normes du droit international et de meilleures « pratiques juridiques » des pays de l’UE, de la CEI et de la Communauté Eurasienne économique (EurAsEC). Il existe un grand besoin de connaissances scientifiques sur le droit qui s’applique à l’administration publique, sur le droit de l’action publique notamment en matière économique, pour soutenir l’initiative privée, pour promouvoir la diffusion du progrès technologique et de l’innovation, aussi bien au niveau régional qu’au niveau sectoriel. Il en va de même des normes techniques et de la réglementation douanière, qui sont indispensable à la sécurité des échanges mais qui peuvent aussi être des barrières efficaces aux échanges, aussi bien dans l’Union européenne que dans l’Union douanière. Il y a là encore des possibilités peu explorées de soutenir le développement des entreprises. Un autre problème actuel est celui d’une juste compréhension du facteur humain. Ces dernières années la formation de l’économie de marché était liée principalement aux questions de la propriété, du profit et du prix de revient, de la compétitivité de la production. Les questions de l’organisation et de la qualité du travail, des services sociaux et de la formation permanente ont été négligées. Il s’agit pourtant de facteurs essentiels du développement économique dont l’importance est aujourd’hui reconnue. C’est pourquoi la reconstruction de l’ensemble du droit social est aujourd’hui à l’ordre du jour en Russie, sur la base de la Charte sociale européenne, qui a été ratifiée par la Russie. On a immédiatement besoin de travaux scientifiques sur les instruments juridiques permettant l’harmonisation des intérêts de tous les participants aux relations de travail. On a en vue les meilleurs moyens de garantir les droits des travailleurs et la réalisation des obligations des employeurs, de contrôler les flux de travailleurs migrants, de développer des formes nouvelles de participation des travailleurs à la gestion de la production, et à l’autorégulation économique. Le cycle « formation – 32 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE science – production » mérite une attention spéciale aussi bien dans les politiques des États qu’au niveau international, ainsi que dans les organisations professionnelles. De la réponse à ce problème dépend le développement des initiatives économiques et juridiques des citoyens, véritable ressource de la société civile. Notamment, les organisations d’employeurs et les syndicats de salariés doivent parvenir ensemble à des mesures concrètes de soutien et d’encouragement des travailleurs d’une part, de renforcement de la discipline du travail d’autre part. On doit lier à cela l’enrichissement des traditions et des institutions du droit continental dans le contexte de coopération internationale qui se développe entre la Russie et la France. Ici le problème clé consiste à garantir l’accès au droit. Pour y parvenir, il est nécessaire de poursuivre la mise en valeur des bases du droit européen et des textes juridiques fondamentaux par l’élaboration de glossaires et par l’enrichissement du langage juridique commun. Ce sont les traditions juridiques communes de nos pays qui encouragent la recherche des tendances du développement de la culture juridique des citoyens et de leur activité sociale et juridique dans toutes les sphères de la vie. Soulignons aussi que la transparence de la justice et la qualité des jugements restent un problème aux yeux des citoyens comme des entreprises. Une coopération entre la recherche juridique et les milieux économiques en Russie et en France peut contribuer à élaborer des réponses à ces différentes questions. Les milieux économiques russes possèdent l’expérience positive de leur collaboration avec l’Institut de législation et du droit comparé auprès du Gouvernement de la Fédération de Russie, qui a instauré des relations stables avec l’UMR de droit comparé de l’Université Paris 1. Tout cela donne une base solide pour de nouveaux projets de recherche en vue d’une étude systématique des problèmes de l’administration publique en Russie et en France. I PROBLÈMES ACTUELS DES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET DU CONTRÔLE EN DROIT COMPARÉ LES ACTES ADMINISTRATIFS ET LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES DANS LES ÉTATS D’EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE Protection de l’intérêt public et garantie des droits Gérard MARCOU Le droit administratif moderne est né de deux exigences fondamentales : assurer la soumission de l’administration à la loi et assurer la protection des droits des citoyens dans leurs rapports avec l’administration. La première exigence donne à l’action administrative sa légitimité : l’administration publique relève du pouvoir exécutif. La seconde est la condition de l’État de droit : tout citoyen doit pouvoir faire respecter ses droits par l’administration comme par n’importe quel autre sujet de droit. Mais, précisément parce qu’elle relève du pouvoir exécutif, l’administration n’est pas n’importe quel autre sujet de droit, et c’est pourquoi le développement d’institutions et de procédures particulières a été nécessaire, même dans les pays de common law, dont le système juridique refuse en principe l’idée que l’administration relève d’un régime juridique spécial. Avec le développement du libéralisme, le droit administratif a donné une expression juridique particulière à la séparation public-privé, qui est apparue avec la formation de l’État moderne. La démocratie a imposé un élargissement considérable des missions de l’État, et avec lui de l’objet du droit administratif. En Angleterre, cela a même été l’argument majeur de ceux qui pensaient que le droit anglais devait faire une place au droit administratif en tant que tel1, contre la tradition de common law qui s’y opposait2. Malgré cela, dans les pays occidentaux, l’idée de la nécessité 1 W. A. ROBSON, Justice and administrative law : a study of the British constitution, 3e éd., Londres, Stevens, 1951 (1ère éd. 1928). 2 A. V. DICEY, An introduction to the study of the law of the constitution, Macmillan, Londres, introduction de E.C.S. Wade (1ère éd. 1885, rééd. 1982). 36 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE d’une séparation entre le public et le privé n’a pas été remise en cause ; bien au contraire, elle a été renforcée par la promotion des droits de l’homme et des droits fondamentaux au rang de normes de droit positif. Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, les mutations économiques survenues depuis les années 70 du siècle dernier et qui ont partiellement remis en cause la vision du rôle de l’État associé à l’Étatprovidence (Welfare State) au profit d’une réhabilitation du rôle du marché, n’ont pas provoqué un reflux du droit administratif. C’est l’inverse qui s’est produit : l’institutionnalisation du marché a nécessité la mise en place de réglementations nouvelles et d’institutions chargées d’en assurer le contrôle et de traiter de nouveaux contentieux3. La Russie a changé de système au moment où ces mutations s’opéraient. Le système soviétique n’ignorait pas la séparation public-privé, mais il reposait sur une vision de l’ordre social et politique selon laquelle l’État soviétique organisait l’ensemble de la société et de l’économie. Cela conduisait à privilégier le bien commun incarné par l’État soviétique, en cas de conflit avec des intérêts individuels et à un déséquilibre entre la protection des intérêts de l’État et la protection des droits individuels. Dans son principe ce déséquilibre n’était pas très différent de celui du droit administratif du 19e siècle dans les autres pays européens, si ce n’est que l’État soviétique contrôlait l’ensemble des activités sociales. C’est seulement vers la fin des années 60 que s’est imposée comme une « perspective » la possibilité d’un contrôle judiciaire de la légalité des actes de l’administration touchant les intérêts personnels et patrimoniaux des citoyens et que l’élargissement de ce type de contrôle a été défendu par les juristes4 mais, à cette époque, avec des résultats limités. Après la dissolution de l’Union soviétique et l’adoption de la Constitution de la Fédération de Russie de 1993, une nouvelle époque s’est ouverte et le droit russe a été confronté à des problèmes désormais très semblables à ceux des autres pays européens. Mais il est plus long et plus compliqué de changer l’administration que de changer la Constitution. La science du droit administratif est donc confrontée en Russie aujourd’hui à une tâche particulièrement difficile et importante pour accompagner l’évolution de la législation et de la jurisprudence sur la base de la nouvelle Constitution, et le droit comparé est alors une ressource irremplaçable. 3 G. MARCOU, « Politiche di liberalizzazione ed espansione del diritto pubblico », in A. LUCARELLI (dir.), Il Diritto Pubblico tra crisi e ricostruzione, Naples, Istituto italiano per gli studi filosofici, Ed. La Scuola di Pitagora, 2009, pp. 43-64. 4 Cf not. le livre de I. A. TIKHOMIROV, Pouvoir et administration dans la société socialiste, Paris, CNRS, 1974, p. 139 (traduit de : Власть и управление в социалистическом обществе, Moscou, 1968). G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 37 En choisissant de se concentrer sur les procédures et les contrôles, les auteurs du projet ont voulu aborder les questions les plus actuelles du droit administratif russe et le replacer dans une perspective européenne. Les procédures forment le cadre de l’activité juridique de l’administration, elles sont la condition première du respect de la légalité et d’une approche équilibrée des intérêts en cause dans le processus de décision. Mais ce sont aussi les procédures qui permettent la participation des citoyens à la prise de décision et de lui donner quelque efficacité ; elles concourent ainsi à la légitimation démocratique des décisions. Les contrôles s’entendent dans deux sens : les contrôles exercés par l’administration pour assurer le respect de la légalité par les sujets de droit, et les contrôles exercés sur l’administration elle-même à l’initiative des sujets de droit. On peut affirmer aujourd’hui que le contrôle juridictionnel de l’administration en est la forme essentielle, car l’efficacité des autres types de contrôle dépend en dernier lieu de l’efficacité du contrôle juridictionnel. Depuis le début des années 1990, celui-ci a progressé de manière remarquable en Russie5, malgré l’abandon de fait du projet d’établir en Russie une juridiction administrative spécialisée. L’étude des procédures et des contrôles fait apparaître que l’administration ne peut plus agir sur la base du seul principe d’autorité, elle doit aussi construire l’accord des personnes privées. Malgré l’importance des recours juridictionnels, ils ne sont pas étudiés dans le cadre de ce projet, mais la jurisprudence des pays européens sera utilisée comme source du droit pour présenter la définition des actes et l’état des procédures, lorsque cela sera nécessaire. Le nouveau droit administratif de la Russie se rapproche aujourd’hui dans les grandes lignes de celui des pays d’Europe occidentale et il est possible de le situer par rapport aux grandes familles des droits administratifs européens. L’activité juridique de l’administration se manifeste essentiellement par deux catégories d’actes : l’acte administratif unilatéral et le contrat. Ces deux catégories d’actes sont soumises à des principes de procédure différents ; ils sont également affectés différemment par le droit communautaire et la mise en œuvre de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés 5 P. H. SOLOMON Jr, « Judicial power in Russia: through the prism of administrative justice », Law and Society Review, sept. 2004, vol. 38, n° 3, pp. 549-581 ; S. BELOV, « Recent developments in Russian constitutional and administrative law », International Journal of Legal Information, 2007, vol. 35, pp. 278-293. Cette évolution a été rendue possible par la loi de l’URSS du 2 novembre 1989 (n° 719-1) rendant possible un recours juridictionnel contre toute action de l’administration portant atteinte à un droit d’un citoyen, puis par la loi de la Fédération de Russie du 27 avril 1993 (n° 4866-1) qui étend ce recours à tout acte portant atteinte à un droit ou à une liberté d’un citoyen, ainsi qu’à l’abstention de l’administration ayant pour effet une atteinte semblable. Ces recours sont aujourd’hui réglés par le Code de procédure civile et par le Code de la procédure d’arbitrage (tribunaux de commerce). 38 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE fondamentales. Il ne s’agira ici que de donner un aperçu des principaux droits européens avec l’objectif de placer le droit russe en perspective. Il ne sera question dans cette introduction que de l’acte unilatéral, sauf dans les cas où la loi prévoit de substituer un accord à l’acte unilatéral. Cela se justifie par le fait que l’acte unilatéral a pu être considéré comme le mode d’action typique de l’administration publique, ce qui la distinguait des sujets de droit privé, et que le développement du recours au contrat est plus récent et qu’il est surtout inégalement considéré dans le droit administratif des différents États. L’importance de cette question justifierait une étude à part, mais ce volume contient une étude qui présente l’expérience française de recours au secteur privé, par différentes catégories de contrats administratifs, pour la gestion des services publics ou d’ouvrages publics6. L’un des critères de différenciation les plus importants entre les systèmes de droit administratif des pays européens est celui du régime des actes unilatéraux, et notamment de la définition de l’acte administratif, selon qu’elle inclut les actes réglementaires (normatifs) ou non (I). Les règles de procédure et les recours sont dans une large mesure déterminés par la notion d’acte administratif admise par le système juridique. Les procédures relatives à l’élaboration des actes réglementaires (II) ont moins retenu l’attention que celles relatives aux actes non réglementaires, en raison des incidences directes de ces derniers sur les droits individuels (III), mais elles n’en sont pas moins très importantes pour la cohérence de l’ordre juridique et le respect de la hiérarchie des normes. Ce sont les procédures relatives aux actes non réglementaires qui nous retiendront le plus longuement. En développant cette comparaison, on prêtera une attention particulière à la distribution du pouvoir réglementaire, aux réformes inspirées par un objectif de simplification administrative, aux pouvoirs qui sont délégués à des organismes privés qui concourent aux missions publiques, aux sources, aux caractères généraux et aux différences significatives des systèmes de procédure administrative. Pour mettre en perspective le droit administratif russe avec les droits administratifs européens, on retiendra à titre principal les pays suivants, connus pour les différences caractéristiques de leurs systèmes de droit administratif : l’Allemagne, l’Autriche, la France, l’Italie, le Royaume-Uni et la Suède, sans nous interdire cependant des références à d’autres pays quand cela paraîtra utile. Il ne s’agira pas de mener une comparaison systématique mais de mettre en évidence les caractéristiques dignes d’intérêt des systèmes étudiés, sur des points particuliers, par rapport aux problèmes du développement actuel du droit administratif russe. 6 Cf infra la contribution de Jean-Marie PONTIER, à rapprocher, pour la Russie, de celle de Natalia POUTILO. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 39 I. LES ACTES UNILATÉRAUX DE L’ADMINISTRATION ET LA NOTION D’ACTE ADMINISTRATIF On entend par actes unilatéraux de l’administration les actes faits dans l’exercice de la puissance publique par une ou plusieurs autorités administratives en application de la loi ou des prérogatives qu’elles tiennent de la Constitution et qui ont pour effet d’établir ou de modifier des situations juridiques, soit par des dispositions générales (normatives), soit par leur application concrète. Ces actes sont traditionnellement considérés comme le mode d’action juridique normal des autorités administratives. Dans beaucoup de pays, cette définition correspond à ce que l’on définit comme l’acte administratif. Cependant, la notion d’acte administratif n’est pas comprise de la même manière dans tous les systèmes juridiques. Elle varie en fonction des recours qui sont ouverts contre ces actes et ceux-ci dépendent eux-mêmes de la conception de la loi et de la représentation des rapports entre l’administration et les individus qui s’expriment dans le système du droit administratif. On peut distinguer globalement trois conceptions. Selon la première, l’acte administratif est un acte d’application de la loi à une situation concrète. Selon la seconde, l’acte administratif est tout acte subordonné à la loi, quelle qu’en soit la nature. Enfin, la troisième peut être comprise comme une hybridation de la première par la seconde. La Russie nous paraît aujourd’hui adhérer à la deuxième conception, avec certaines particularités. Chacune de ces conceptions détermine une typologie différente des actes unilatéraux. Il est vrai qu’il ne faut certes pas exagérer la portée de ces distinctions. Comme le rappelait Eduardo Garcia de Enterria, l’acte administratif est une institution du droit administratif, mais ce n’en est pas l’institution « par excellence »7, et les autorités administratives produisent bien d’autres catégories d’actes juridiques que les actes administratifs dans les sens retenus ici. Mais les différences de conception qui se reflètent dans les régimes juridiques et les procédures relatives à l’acte administratif sont des « marqueurs » pertinents des grands systèmes de droit administratif. 7 Eduardo GARCÍA de ENTERRÍA / Tomás Ramón FERNÁNDEZ RODRÍGUEZ, Curso de derecho administrativo, 10e éd., Madrid, Civitas, vol. 1, 2000, p. 539. 40 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE A. – L’acte administratif comme application de la loi à une situation concrète Cette conception, sans doute majoritaire en Europe, est issue de la conception autrichienne et de la compétence reconnue en 1875 au Tribunal administratif. Elle est liée à l’ancienne conception matérielle de la loi, selon laquelle était loi toute norme générale ; cependant, avec les débuts du constitutionnalisme s’est imposée progressivement l’idée que les questions relatives aux droits fondamentaux ne pouvaient être réglées que par une loi du Parlement (théorie de la « réserve de la loi » - Gesetzesvorbehalt). Mais la limite entre ce qui était réservé à la loi et ce qui pouvait être laissé à des décrets du pouvoir exécutif est restée longtemps indéterminée, ce qui a favorisé en pratique l’intervention de ce dernier (voir notamment en Autriche les lois formant la Constitution de 1867). C’est seulement avec l’article 18 de la Constitution fédérale autrichienne de 1920 et en Allemagne avec l’article 80 de la Loi fondamentale de 1949 que le pouvoir normatif du pouvoir exécutif a été limité. En Autriche, toute autorité administrative peut faire des règlements (Verordnung) sur la base des lois dans les limites de sa compétence. En Allemagne, le gouvernement fédéral, un ministre fédéral ou un gouvernement régional ne peut faire des règlements par décret (Rechtsverordnung) que sur la base d’une habilitation précise et limitée du pouvoir législatif. Dans cette optique, les règlements, parce qu’ils prolongent la loi participent de sa nature et le régime de leur contrôle les rapproche de celleci. La contestation d’un règlement est une question constitutionnelle et en effet, le recours direct contre un règlement, en Autriche et en Allemagne relève en principe du juge constitutionnel, sauf en Allemagne aujourd’hui les règlements des autorités administratives locales ou des Länder. À l’inverse, l’acte administratif se définit comme l’application de la loi à une situation concrète. Cette conception se rattache aux travaux des fondateurs du droit administratif moderne en Autriche (Merkl8) et en Allemagne (Otto Mayer9, Walter Jellinek10), qui visaient à élaborer les relations entre l’administration et les administrés sous la forme d’un rapport juridique donnant naissance à une situation juridique subjective, sur la base de la loi. Sur cette base, le droit administratif autrichien et le droit administratif allemand se sont différenciés. Tandis qu’en Autriche, l’acte administratif (Bescheid) est un acte individuel, en Allemagne, l’application 8 A. MERKL, Allgemeines Verwaltungsrecht, Berlin, J. Springer, 1927, reimpr. Verlag Österreich, 1999. 9 O. MAYER, Deutsches Verwaltungsrecht, 1ère éd., Leipzig, Duncker & Humblot, 1895, 2 vol. 10 W. JELLINEK, Verwaltungsrecht, 3e éd., Berlin, J. Springer, 1931. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 41 de la loi à une situation concrète s’entend également d’une situation matérielle déterminée pouvant rendre les dispositions adoptées applicables à un ensemble indéterminé de destinataires (allgemeine Verfügung), si bien que la notion d’acte administratif (Verwaltungsakt) est plus large et hétérogène. Pour des raisons historiques évidentes, la conception autrichienne a exercé sur les pays d’Europe centrale une influence durable qui a traversé la période communiste. Aujourd’hui encore, en Pologne, en République tchèque, en Hongrie, la notion d’acte administratif est celle qui est issue du droit autrichien. En Pologne, cependant, la compétence de la juridiction administrative a été étendue aux actes réglementaires des autorités locales. Le modèle du tribunal administratif autrichien a influencé aussi la Suède et la Finlande dès le début du 20e siècle, et ces pays ont aussi accueilli la même définition de l’acte administratif. Cela ne signifie cependant pas que la notion ait reçu la même portée ; la compétence de la juridiction administrative a pu en effet être élargie en étant fondée sur un autre critère. Par exemple, en Suède, un acte ne peut faire l’objet d’un recours que s’il affecte significativement la situation juridique d’une personne ; ce critère peut ouvrir un recours contre une décision individuelle aussi bien que contre un règlement. Cependant les décrets du gouvernement ne sont pas des actes administratifs et ne peuvent être contrôlés par le juge en cours d’instance que par voie d’exception et avec les mêmes restrictions que pour une loi11. La conception allemande a exercé une influence plus diffuse à différentes périodes, notamment en Italie et en Espagne au début du 20e siècle. B. – L’acte administratif comme acte subordonné à la loi Cette conception rapproche deux pays que tout paraît opposer en ce domaine : la France, qui a fondé le principe de la soumission de l’administration à un droit spécial, et le Royaume-Uni qui a rejeté un tel principe au nom du rule of law. Ce rapprochement s’explique par la suprématie reconnue à la loi dans les sources du droit. La Révolution française a proscrit l’intervention des tribunaux dans les affaires de l’administration, mais elle a en même temps posé le dogme de la toute puissance de la loi, « expression de la volonté générale ». Le pouvoir exécutif et l’administration devaient donc être soumis au respect de la loi. C’est ce double héritage qui a conduit au développement du contentieux administratif au cours du 19e siècle et finalement à la conquête par le 11 H. RAGNEMALM, Administrative justice in Sweden, Stockholm, Juristförlaget, 1991, pp. 217-219 ; Förvaltningsprocessrättens grunder, 8e éd., Stockholm, Jure Bokhandel, 2007. 42 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Conseil d’État de son indépendance, consacrée par la loi de 1872 et à l’abandon de ce que l’on avait appelé la « justice retenue ». Tout acte d’une autorité subordonnée par la loi devient ainsi un acte administratif, pouvant faire l’objet à ce titre d’un recours pour excès de pouvoir. C’est ce que le Conseil d’État a formellement exprimé dans un arrêt du 6 décembre 1907, en jugeant que les « règlements d’administration publique », bien que faits par le pouvoir exécutif sur le fondement d’une « délégation législative », sont au nombre des « actes des diverses autorités administratives » pouvant faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant lui12. Par conséquent tout acte fait par une autorité du pouvoir exécutif ou dans l’exercice de pouvoirs conférés par la loi est un acte administratif, quel que soit son contenu, règlement ou acte individuel, ou le statut de son auteur, le Premier ministre, ou un modeste chef de service, le maire d’une commune ou une personne privée investie par la loi de prérogatives de puissance publique. Le droit anglais n’emploie pas la notion d’acte administratif, mais la réalité du droit positif n’est guère différente, depuis que la souveraineté du Parlement s’est imposée, à la fin du 17e siècle. Blackstone est le premier auteur à en avoir tiré les conséquences13. Désormais, les actes du Parlement s’imposent à toutes les autorités administratives ou judiciaires ; seuls les domaines qui n’ont pas fait l’objet d’une loi peuvent demeurer régis par la prérogative royale et ils sont aujourd’hui résiduels. Les juges anglais ont alors développé leur contrôle sur la base de la doctrine de l’ultra vires. Cela signifie qu’aucune autorité ne peut s’exercer en dehors des limites des pouvoirs qui lui ont été conférés par un acte du Parlement, et que les juges peuvent annuler tout acte fait ultra vires, qu’il s’agisse d’une mesure d’application de la loi faite par un ministre (statutory instrument, principale expression de ce que l’on appelle, dans la terminologie britannique secondary legislation) ou d’une décision individuelle. Dans ces deux systèmes, l’acte administratif ne se définit donc pas par le rapport juridique qu’il établit mais par la nature du pouvoir exercé pour l’édicter. La notion en est donc très large et peu formaliste. De nombreux pays adhèrent à cette conception, tels que la Belgique, la Grèce et les PaysBas. C’est aussi la conception du droit russe, de manière continue, sans doute à partir d’une idée de la suprématie de la loi qui, à l’époque impériale, 12 CE 6 déc. 1907 « Chemins de fer de l’Est et autres », Rec. 913, concl. TARDIEU, GAJA, 17 éd. 2009, n° 19. 13 Dans son ouvrage classique : An analysis of the laws of England. : To which is prefixed an introductory discourse on the study of the law, 5e éd., Oxford, Clarendon Press, 1762 (lxxvii + 189 p.) (1ère éd. 1756). Bien qu’il n’assigne au droit « écrit » (written or statute laws) qu’un rôle limité, celui de remédier aux défauts du droit non écrit, Blackstone reconnaît dans le Parlement (composé du Roi, des Lords spirituels et temporels et des Communes) l’organe législatif suprême et à celui-ci un « pouvoir absolu » (cf chap. V, par. 4 et 5). e G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 43 s’identifiait aux décrets du tsar (oukaz)14, et de l’étendue du pouvoir administratif. Au début du 20e siècle, le premier département du Sénat impérial, qui était chargé d’examiner les recours administratifs, avait admis sa compétence pour juger au fond de tous les actes administratifs, aussi bien les règlements édictés par les ministres que des décisions individuelles15. Cette conception s’est maintenue à travers la période soviétique jusqu’à nos jours, même si la justice administrative n’a jamais été qu’embryonnaire et ne connaît une certaine réalité que depuis la fin des années 90. Les ouvrages contemporains reprennent cette conception large de l’« acte juridique administratif » (pravovoï akt oupravlenia) : il s’agit d’une décision administrative prise dans le cadre de ses pouvoirs par une autorité administrative relevant du pouvoir exécutif de la Fédération ou d’un sujet de la Fédération, ou d’une autorité locale décentralisée, qui constitue un acte unilatéral impératif ; il peut s’agir d’un acte de portée générale ou au contraire d’un « acte concret »16. Cela a été discuté pour les actes réglementaires du gouvernement fédéral, sur la base de dispositions de la Constitution conduisant à penser, par comparaison avec des formulations antérieures, que les actes juridiques normatifs pour l’application des lois ne sont pas des actes administratifs (art. 115.1), mais l’idée prévaut aujourd’hui que, par leur objet, il s’agit bien d’actes administratifs17. D’ailleurs la loi constitutionnelle sur le gouvernement du 17 décembre 1997 (art. 24, al. 9) prévoit que tous les actes du gouvernement peuvent être attaqués devant un tribunal, sans faire de distinction entre postanovlenie (arrêté - disposition de portée générale) et rasporiajenie (disposition particulière). Alors que cette dernière notion semble assez largement entendue en pratique, il existe une autre position considérant que l’acte non réglementaire est un acte individuel dont l’exécution s’épuise en une seule application18, ce qui donne un champ plus large à l’acte réglementaire (normatif). Il nous semble toutefois que la pratique est dans le sens d’une définition large des mesures particulières (non réglementaires) (v. infra). 14 V. I. KOULIKOV, История государственного управления [Histoire de l’administration publique], Moscou, Ed. Masterstvo, 2001, p. 112, citant l’article 4 des « Lois fondamentales de l’Empire russe ». 15 Selon les données citées par S. KORF, La justice administrative en Russie, SaintPetersbourg, 1910, d’après les extraits traduits et publiés par L. MALAKHOV, RFDA nov.-déc. 2008, p. 1258. 16 A. P. ALEXINE / A. A. KARMOLITSKI / Iu. M. KOZLOV, Административное право Российской Федерации [Droit administratif de la Fédération de Russie], Moscou, Ed. Zertsalo, 2001, pp. 199-200. V. également : Iu. M. KOZLOV / L. L. POPOV (dir.), Административное право [Droit administratif], Moscou, Ed. Iourist, 2002, pp. 268-269, ainsi que l’article du professeur NOZDRATCHEV dans ce volume. 17 N. A. IGNATIUK, p. 394 in T. Ia. KHABRIEVA (dir) (2005), Правительство Российской Федерации [Le gouvernement de la Fédération de Russie], Moscou, Ed. Norma. 18 Iu. A. TIKHOMIROV, Современное публичное право [Le droit public aujourd’hui], Moscou, Ed. Eksmo, 2008, p. 248. 44 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Les actes du Président de la Fédération de Russie ont, à cet égard, un statut ambigu. Dans l’exercice de ses attributions constitutionnelles le Président adopte des décrets (oukaz) et des arrêtés (rasporiajenie) (mesures individuelles) qui sont publiés et ont force obligatoire sur l’ensemble du territoire de la Fédération (Const. Féd. Russie : art. 90)19. Cependant, le Président ne fait pas partie du pouvoir exécutif, lequel est confié au gouvernement (art. 110). On pourrait en déduire que les actes du Président ne sont pas des actes administratifs puisqu’ils n’émanent pas d’une autorité du pouvoir exécutif ; d’ailleurs, ils occupent un rang supérieur aux décrets du gouvernement dans la hiérarchie des normes, juste en-dessous des lois fédérales. Ceux qui ont un caractère normatif sont soumis au contrôle de la Cour constitutionnelle (art. 125.2, a). Certains auteurs considèrent cependant, en se référant à la pratique, que le Président de la Fédération est bien l’auteur d’« actes administratifs normatifs » sous la forme d’oukaz et qu’il détermine « de manière significative » le pouvoir exécutif confié par la Constitution au gouvernement20. C’est l’opinion qui prévaut aujourd’hui : les actes du Président de la Fédération de Russie sont des actes administratifs en raison de leur nature « exécutive ». C. – La conception duale de l’acte administratif Un certain nombre de pays ont été influencés par les influences concurrentes de la doctrine et de la législation de leurs voisins, qui ont parfois prévalu alternativement avant de donner naissance à un système original fondé sur ce syncrétisme. C’est en particulier le cas de l’Italie, de l’Espagne et du Portugal. Dans ces pays, si l’on a admis la notion d’acte administratif comme application de la loi à une situation concrète, la compétence du juge administratif a été étendue aux recours contre les actes réglementaires faits par des autorités administratives dépendant du pouvoir exécutif ou investies par la loi du pouvoir de faire de tels actes (autorités locales). En Italie, la doctrine allemande et autrichienne de la fin du 19e siècle a été assimilée sous l’influence d’Orlando, dont les écrits marquent la naissance d’une science du droit administratif distincte à la fois du droit civil et du droit constitutionnel. Pour Orlando, l’objet de la science du droit 19 Pour une vue d’ensemble du statut constitutionnel et des pouvoirs du Président de la Fédération de Russie, v. T. Ia. KHABRIEVA, « Le statut constitutionnel du Président de la Fédération de Russie », Revue française de Droit constitutionnel, 2010, n° 81, pp. 105-122. 20 B. N. GABRITCHIDZE / A. G. TCHERNIAVSKI, Административное право Российской Федерации [Droit administratif de la Fédération de Russie], Moscou, Ed. Delo i Servis, 2001, p. 228. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 45 public est l’organisation du pouvoir souverain, dont l’État, personne morale, est le titulaire, et donc de fonder le rapport de droit entre l’État et les sujets de droit. Orlando rejetait cependant la théorie des droits publics subjectifs21. Le droit administratif italien a donc admis dès ce moment la conception de l’acte administratif comme acte d’autorité, faisant application de la loi à une situation concrète, établissant ou modifiant un rapport de droit public. Pour Orlando, le rapport d’autorité demeure même si la source de la souveraineté change. Le problème fondamental de l’ « État juridique » est d’établir des garanties individuelles opposables à l’État. Il se résout par la capacité de l’État à se poser des limites par le droit à partir de deux principes fondamentaux : toute restriction imposée à la liberté individuelle doit être justifiée par un intérêt collectif et doit respecter le principe d’égalité. L’intérêt légitime protégé par la loi est ce qui fonde le droit pour un individu de contester un acte de l’administration22. Cependant, Orlando n’a pas luimême abouti à une théorie générale des actes administratifs, et le droit italien est resté longtemps influencé par un modèle de l’acte encore inspiré du droit privé. C’est Giannini qui a introduit en 1950 la notion italienne de l’acte administratif – en italien : provvedimento, défini par lui comme le « moment de l’autorité »23. Zanobini a accentué la séparation entre l’acte administratif et les actes réglementaires faits par le pouvoir exécutif ou d’autres autorités habilitées par la loi en définissant expressément le provvedimento comme un acte de volonté de l’administration dans l’exercice de la puissance publique sous une forme différente de celle qui s’exprime par l’établissement de normes dans l’exercice du pouvoir réglementaire24. Cependant, le droit italien s’est rapidement éloigné de cet héritage dans la mesure où la contestation de l’acte illégal a été fondée sur la protection d’un « intérêt légitime » (interesse legittimo) considéré comme solidaire d’un intérêt public, tandis que les droits subjectifs relevaient du juge ordinaire25. C’est ainsi que la notion de provvedimento est aujourd’hui couramment utilisée dans un sens large, qui inclut des actes réglementaires, comme une autre manifestation de la puissance publique. Cette évolution peut aujourd’hui s’appuyer sur le fait que la compétence de la Cour constitutionnelle se limite au contrôle des lois et des actes ayant force de loi de l’État et des régions (art. 134), tandis que les actes du pouvoir exécutif 21 V. E. ORLANDO, « Introduzione al diritto amministrativo », in V. E. ORLANDO (dir.), Primo trattato completo di diritto amministrativo italiano, Milan, Società Editrice Libraria, 1900, vol. 1, p. 17 et s. 22 Ibid. pp. 38-42. 23 D’après B. G. MATTARELLA, « Il provvedimento », in S. CASSESE (dir.), Trattato di diritto amministrativo. Diritto amministrativo generale, Milan, Giuffrè, t. 1, 2000, pp. 710-711. 24 G. ZANOBINI, Corso di diritto amministrativo, Milan, Giuffrè, 6 vol., 1958-1959, v. t. 1, p. 224 et s. 25 M. S. GIANNINI, Diritto amministrativo, Milan, Giuffrè, 3e éd., 1993, p. 74 et s. 46 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE peuvent toujours faire l’objet d’un recours au Conseil d’État26. Cependant, le terme provvedimento n’est pas toujours employé dans le même sens27. On peut en rapprocher l’évolution du droit espagnol. La loi sur la procédure administrative de 1958, et après le rétablissement de la démocratie, celle de 1992, ont consacré la notion d’acte administratif comme acte d’application de la loi à une situation concrète (art. 53 notamment). Mais l’article 106 de la Constitution de 1978 prévoit que « les tribunaux contrôlent le pouvoir réglementaire et la légalité de l’action administrative, ainsi que la soumission de celle-ci aux fins qui la justifient ». La loi sur la procédure administrative contentieuse, qui est mise en œuvre, il faut le rappeler, par les tribunaux ordinaires, s’applique aux recours dirigés contre des actes réglementaires. De même au Portugal, la Constitution consacre un article aux actes normatifs, ce qui comprend les lois, les actes ayant force de loi et les décrets réglementaires du gouvernement (art. 112), tandis que la définition qu’elle donne de la compétence des tribunaux administratifs suggère une interprétation étroite : elle porte sur « les litiges qui naissent des rapports juridiques administratifs et fiscaux » (art. 212.3). Cependant, la loi n° 13/2002 sur les tribunaux administratifs et fiscaux étend leur compétence aux actes réglementaires sans restriction. II. LES ACTES RÉGLEMENTAIRES : COMPÉTENCE ET PROCÉDURE Cette question doit être envisagée sous cinq aspects : le rapport entre législation et réglementation, la compétence réglementaire, son application à l’organisation administrative, son attribution aux collectivités locales et la participation des personnes privées. L’encadrement constitutionnel de l’exercice du pouvoir réglementaire trouve sa justification dans ses effets sur les droits des tiers ; c’est aussi ce qui explique que l’attribution du pouvoir réglementaire soit plus diffuse quand son objet se limite à l’organisation administrative. En outre, tous les pays connaissent un pouvoir réglementaire des autorités locales décentralisées pour l’exercice de leurs compétences. Enfin, la loi permet la participation des personnes privées à l’exercice du pouvoir réglementaire, mais la délégation de celui-ci est exceptionnelle et elle est exclue dans la plupart des pays. Sous ces différents aspects, les règles ne sont pas homogènes entre les États européens et la Russie présente, comme les autres, certaines particularités. 26 Par ex. : D. SORACE, Diritto dell’amministrazione pubblica. Una introduzione, 3e éd., Bologne, Il Mulino, 2005, p. 91 et s. 27 Par ex. dans un sens étroit dans la loi 241/1990. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 47 A. – Le rapport entre législation et réglementation Le pouvoir réglementaire est d’autant plus puissant que le législateur a lui-même limité l’ampleur de son intervention, laissant ainsi au premier un terrain plus vaste. La principale théorie juridique tendant à prévenir le risque que le législateur ne soit conduit à renoncer à exercer pleinement sa compétence est celle de la réserve de la loi, qui est issue des droits allemand et autrichien (Gesetzesvorbehalt). D’après la conception allemande, elle signifie aujourd’hui deux choses : d’une part, les matières relatives à l’exercice des droits fondamentaux doivent être réglées par la loi ; d’autre part le pouvoir exécutif (le gouvernement fédéral, un ministre fédéral, les gouvernements des Länder) ne peut adopter des décrets réglementaires (Rechtsverordnung) que sur la base d’une habilitation législative qui en détermine le contenu, le but et l’étendue (Loi Fondamentale : art. 80). S’agissant des droits fondamentaux, la réserve de la loi s’exprime dans diverses dispositions constitutionnelles expresses sur les droits fondamentaux et signifie, selon l’interprétation qu’en donne la Cour constitutionnelle fédérale, que le législateur doit fixer lui-même les conditions « essentielles » de l’exercice des droits fondamentaux et de toute restriction relative à l’exercice d’un droit fondamental (Wesentlichkeitskriterium), ainsi que les conditions de la conciliation de différents droits fondamentaux. La jurisprudence constitutionnelle a tendance à se montrer plus exigeante depuis la fin des années 9028. La théorie de la réserve de la loi est reconnue dans d’autres pays, quoique de manière parfois indirecte. Elle est reprise en Espagne dans de nombreuses dispositions relatives au droits fondamentaux de la Constitution de 1978, et en particulier l’article 53.1, selon lequel seule la loi peut régler l’exercice des droits et libertés, en respectant leur « contenu essentiel », et le Tribunal constitutionnel espagnol en a déduit que le gouvernement ne peut ni créer des droits ni imposer des obligations qui ne trouvent leur origine dans la loi29. À l’inverse, la Constitution française de 1958 a entendu distinguer un domaine matériel assigné à la loi et un domaine réservé au pouvoir réglementaire gouvernemental (art. 34 et 37) ; en outre, le parlement peut autoriser le gouvernement à adopter des ordonnances dans les matières législatives pour la mise en œuvre de son programme (art. 38). Cependant, le Conseil d’État avait posé le principe, au début du 20e siècle, que 28 K.-P. SOMMERMANN, comm. sous art. 20 LF, not. pp. 113-116, in V. MANGOLDT / KLEIN / STARK (Hrsg), Kommentar zum Grundgesetz, 5e éd., Munich, Franz Vahlen, 2005, vol. 2. 29 STC 22 juin et 22 déc. 1987 et divers arrêts ultérieurs. V. E. GARCÍA de ENTERRÍA / T. R. FERNÁNDEZ RODRÍGUEZ, op. cit. t. 1, p. 245. 48 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE l’administration dispose d’un pouvoir propre pour l’organisation des services publics, mais que relèvent de la loi toutes les questions relatives à des obligations imposées directement ou indirectement par voie d’autorité aux citoyens30. Surtout, le Conseil constitutionnel n’a pas fait obstacle à l’invasion du domaine réglementaire par le législateur tandis qu’il sanctionne l’incompétence négative du législateur, c’est-à-dire le fait pour celui-ci de ne pas épuiser la compétence qu’il tient de la Constitution, notamment en matière de garanties fondamentales pour l’exercice des libertés publiques31. En sens inverse, on note depuis quelques années une augmentation régulière du recours aux ordonnances de l’article 38, notamment pour la transposition du droit communautaire. De même, en Italie, les décrets législatifs (decreto legislativo) sont-ils devenus la technique courante de législation, sur la base de l’article 76 de la Constitution qui permet au parlement de déléguer l’exercice de la fonction législative au gouvernement selon les principes et les directives définis par la loi. Au Danemark et en Suède, le recours fréquent à des lois cadres a des résultats analogues : renvoyer au gouvernement une partie importante des normes matérielles qui devraient relever de la législation. Il est évident que ces évolutions accroissent le rôle du pouvoir exécutif dans la production des normes. Mais l’excès de détail de la loi n’est pas non plus sans inconvénients. Il affaiblit la lisibilité de la loi et complique l’adaptation de son application à l’évolution des conditions en imposant à chaque fois le recours à la procédure législative. En France, l’article 37 (al. 2) de la Constitution permet de rétablir la compétence réglementaire après l’intervention du législateur en dehors des limites qui lui sont assignées ; le Conseil constitutionnel doit reconnaître que la disposition en cause est de nature réglementaire, lorsqu’elle est postérieure à la Constitution de 1958, le Conseil d’État si elle est antérieure. Malgré cela, on note une tendance à l’allongement des textes de loi. Il en va de même des lois régionales en Allemagne, en Espagne et surtout en Italie, qui sont souvent très détaillées et s’apparentent parfois, notamment en Italie, à de la pure réglementation. Au Royaume-Uni, les lois sont habituellement très détaillées pour des raisons différentes. Il s’agit de prévenir l’établissement d’interprétations jurisprudentielles sur lesquelles la règle stare decisis propre au système de common law rendrait difficile de revenir autrement que par une intervention législative. En Russie, les rapports entre la législation fédérale, la législation des sujets de la Fédération et le pouvoir réglementaire des exécutifs des sujets de 30 CE 4 mai 1906, Babin, Rec. p. 362. CC n° 75-56 DC 23 juill. 1975, Rec. p. 22 ; CC n° 93-323 DC 5 août 1993, Rec. p. 213, not. et, plus récemment, CC n° 2009-590 DC 22 oct. 2009. 31 G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 49 la Fédération soulève des problèmes particuliers, notamment dans le domaine de la « compétence commune » (sovmestnoe vedenie) de la Fédération et des sujets de la Fédération (art. 72 et loi n° 95 du 4 juillet 2003 modifiant et complétant la loi n° 184 du 28 août 1999 sur les principes généraux de l’organisation des organes législatifs (représentatifs) et exécutifs des sujets de la Fédération). D’un côté, la législation « anticipée » (c’est-à-dire les lois adoptées par les sujets de la Fédération dans des domaines ouverts à la compétence fédérale mais avant que celle-ci ne soit exercée) et la modification de lois fédérales impliquant une mise en conformité des lois régionales sont souvent sources de difficultés : la modification de la législation régionale intervient avec retard et de manière rétroactive, et il arrive parfois que le législateur régional ignore la modification de la législation fédérale32. Dans les domaines faisant l’objet d’une législation fédérale, on note aussi une tendance de la législation des sujets de la Fédération à se limiter à des dispositions assez générales et à renvoyer à l’exécutif le soin de fixer par voie réglementaire les dispositions vraiment nécessaires. Cette pratique risque d’affaiblir le crédit de la législation régionale et des organes représentatifs des sujets de la Fédération. Au contraire, les lois des sujets devraient être assez précises et détaillées pour être directement applicables ou conditionner réellement le contenu des dispositions réglementaires d’application indispensables33. On peut penser que la source de cette difficulté se trouve dans l’absence de dispositions claires sur les rapports entre les différents instruments juridiques pouvant être utilisés pour la mise en œuvre des lois fédérales dans la loi modifiée n° 184 du 6 octobre 1999 sur les principes de l’organisation des organes législatifs et exécutifs des sujets de la Fédération. En s’inspirant de l’article 80 de la Loi fondamentale allemande, on pourrait concevoir que la loi fédérale habilite l’organe exécutif des sujets de la Fédération à prendre les mesures réglementaires d’application, et qu’en l’absence d’une telle habilitation, une loi du sujet soit nécessaire pour développer les dispositions de la loi fédérale, l’organe exécutif ne pouvant dès lors adopter, sur la base de la loi régionale, que des mesures de pure exécution. Rappelons que le paragraphe 4 de l’article 80 prévoit aussi que, lorsque le gouvernement du Land est habilité par la loi fédérale à adopter des décrets réglementaires, les mesures correspondantes peuvent être adoptées par une loi du Land. 32 V. N. KARTACHOV / C. V. BAKHVALOV, Правотворческая практика субъектов Российской Федерации [Pratique du pouvoir normatif des sujets de la Fédération de Russie], Iaroslav, Ed. de l’Université d’État de Iaroslav, 2007, pp. 82-83. 33 G. MARCOU, L’application de la législation fédérale en matière de répartition des compétences et de ressources financières par les sujets de la Fédération : résultats, problèmes et perspectives, Strasbourg, Conseil de l’Europe, rapport dans le cadre du programme de coopération entre le Conseil de l’Europe et l’administration du Président de la Fédération de Russie, févr. 2005, 36 p. (non publié). 50 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE B. – La compétence L’attribution du pouvoir réglementaire (ou, selon la terminologie russe, du pouvoir d’édicter des actes normatifs subordonnés à la loi) est habituellement réglée par la Constitution et par la loi. Elle dépend dans une large mesure de la structure de l’État ; dans les États fédéraux ou à autonomies régionales (comme l’Espagne ou l’Italie, ou comme l’Écosse au Royaume-Uni) le pouvoir réglementaire du pouvoir exécutif est partagé entre l’exécutif fédéral (national) et les exécutifs régionaux. Les différents systèmes de droit administratif se différencient moins par l’extension quantitative de la réglementation gouvernementale par rapport à la législation – son développement est une caractéristique commune à tous les pays – que par la concentration ou au contraire la dispersion du pouvoir réglementaire. Par dispersion, on entend non seulement le nombre des autorités exerçant un pouvoir réglementaire, mais aussi l’existence ou l’absence d’une hiérarchie entre ces autorités. La compétence réglementaire est donc conditionnée d’une part par l’organisation du pouvoir central et d’autre part par le degré de décentralisation de la hiérarchie des normes. On peut ainsi apprécier le degré de concentration ou de dispersion du pouvoir réglementaire dans l’organisation du pouvoir central et dans les rapports entre les différents niveaux de l’organisation administrative. La tendance générale est plutôt à l’accentuation de la dispersion, avec la multiplication des autorités dites indépendantes qui disposent d’un pouvoir réglementaire spécial plus ou moins étendu, et par l’effet des politiques de décentralisation ou de fédéralisation, lesquelles peuvent toutefois produire une concentration du pouvoir réglementaire au niveau des exécutifs régionaux. Cependant, les différents pays conservent des structures assez différenciées marquées par leur histoire. En ce qui concerne le pouvoir central gouvernemental, deux facteurs concourent à la concentration du pouvoir réglementaire : l’exigence d’une habilitation législative et les pouvoirs propres du chef de gouvernement. Evidemment, le degré de liberté du pouvoir réglementaire dépend beaucoup de la précision de l’habilitation législative, mais du moins les autorités titulaires de ce pouvoir sont-elles désignées. Certains pays peuvent être considérés comme caractérisés par une concentration assez forte du pouvoir réglementaire gouvernemental. C’est le cas de la France où le Premier ministre est seul titulaire du pouvoir réglementaire général (Constitution, art. 21), sous réserve des pouvoirs réglementaires spéciaux qui peuvent être conférés par la loi, pour des objets limités, à d’autres autorités (ministres, autorités administratives indépendantes notamment) ; en France, ni le gouvernement en tant que tel, ni les ministres, ni le Président de la République ne sont titulaires du pouvoir réglementaire, et le Président de la G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 51 République ne participe au pouvoir réglementaire que par la signature des décrets délibérés en Conseil des ministres, une formalité qui doit être prévue par la loi. En Italie, c’est le Président de la République qui est formellement le titulaire du pouvoir réglementaire, qu’il exerce par décret après délibération du conseil des ministres, lequel en est collégialement l’auteur ; les ministres peuvent exercer un pouvoir réglementaire dans le cadre de leur compétence sur la base d’une disposition législative – leur situation est donc peu différente de celle des ministres français (loi 1988/400, art. 17). Il en va de même en Espagne, où le pouvoir réglementaire général est attribué par la Constitution au gouvernement en tant qu’organe collégial (art. 97) ; si la loi peut conférer aux ministres un pouvoir réglementaire spécifique, celui-ci doit être de pure exécution lorsqu’il affecte les droits des tiers, et le Tribunal constitutionnel a dénié toute qualité normative propre aux arrêtés ministériels34. Au Royaume-Uni, le pouvoir de faire les règlements d’exécution des lois (statutory instruments) est habituellement délégué au Secretary of State, c’est-à-dire au ministre, mais le Premier ministre exerce une forte autorité de direction envers les ministres. En Allemagne, c’est la loi qui attribue à chaque fois le pouvoir d’adopter des règlements, au gouvernement fédéral, à un ministre fédéral ou aux gouvernements des Länder, ce qui exclut le chancelier en tant que tel (art. 80)35. Bien qu’un pouvoir de direction soit formellement reconnu au chef du gouvernement, non seulement au Royaume-Uni, mais également en France (art. 21), en Italie (art. 95), en Allemagne (art. 65) et en Espagne (art. 98), le Premier ministre français est le seul qui soit, parmi ces pays, formellement titulaire du pouvoir réglementaire général. Dans d’autres pays, au contraire, il existe une plus grande dispersion du pouvoir réglementaire au niveau central, pour des raisons à la fois constitutionnelles et pratiques, qui se reflètent dans une plus grande collégialité du fonctionnement du gouvernement et, corrélativement, une autorité politique et administrative plus faible du chef du gouvernement ; la pratique des gouvernements de coalition contribue aussi à affaiblir l’autorité du chef du gouvernement. Tel est le cas notamment des Pays-Bas et de la Suède. Aux Pays-Bas, le Premier ministre est primus inter pares, en pratique chef de coalition, mais n’a guère de pouvoirs propres en dehors de la présidence du Conseil des ministres et du contreseing des décrets de nomination ou de révocation des membres du gouvernement. Les décrets sont signés par le roi et un ou plusieurs ministres (Constitution : art. 47), y compris les règlements d’administration publique (art. 89) ; en pratique ce 34 STC 25 janv. 1982. Cf E. GARCÍA de ENTERRÍA / T.-R. FERNÁNDEZ RODRÍGUEZ, op. cit. t. 1, p. 189. 35 M. BRENNER, comm. sous art. 80 LF, p. 2287, in Von MANGOLDT / KLEIN / STARCK, t. 2, op. cit. 52 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE sont les ministres qui sont les véritables détenteurs du pouvoir réglementaire36. En Suède, la situation est différente en raison du fait que l’administration d’État n’est pas placée sous l’autorité des ministres, mais du gouvernement en tant qu’organe collégial. Le gouvernement dirige l’administration mais les ministres ne peuvent donner d’instructions relatives aux affaires individuelles aux différentes autorités administratives (Constitution, 11 :7) qui forment l’administration de l’État (statlig förvaltningsmyndighet), lesquelles sont au nombre de 400 environ, d’importance variable. De manière générale, s’il incombe à la loi de fixer les dispositions impératives régissant les relations entre les particuliers et l’administration, la loi peut autoriser le gouvernement à faire des règlements (förordning) en ces matières (ces actes sont alors signés au nom du gouvernement par le Premier ministre ou par un ministre – 7 :7) et à en déléguer le pouvoir aux autorités administratives (7 :7 et 8 :3, 8 :7, 8 :11), ce qui est habituel37. De ce fait, le système administratif suédois connaît en pratique une grande dispersion du pouvoir réglementaire. Cette dispersion est compensée par les différents moyens dont dispose le gouvernement pour diriger l’administration : l’organisation et la définition des compétences des autorités administratives, les nominations, le budget, notamment. La Russie se rattache formellement aux pays du premier groupe, mais avec des particularités qui résultent du statut constitutionnel du Président de la Fédération de Russie, et une tendance à la dispersion qui résulte du fait que le gouvernement fédéral délègue un large pouvoir réglementaire d’exécution aux organes du pouvoir exécutif en général. Les réformes récentes tentent d’encadrer ce pouvoir réglementaire diffus. Les décrets normatifs du Président font partie des normes qui s’imposent au gouvernement juste après les lois fédérales dans la hiérarchie des normes (Constitution, art. 115). Le pouvoir réglementaire appartient au gouvernement en tant que corps dans l’exercice des missions que lui confie la Constitution (art. 114) ; il ne se limite pas à l’exécution des lois, bien que la législation contemporaine précise de plus en plus souvent l’objet des arrêtés (postanovlenie) que doit adopter le gouvernement et que leur nombre s’accroisse sur la base de telles dispositions législatives38. Le président du gouvernement dispose de pouvoirs propres définis par la Constitution et par la loi constitutionnelle sur le gouvernement de la Fédération de Russie du 17 36 G. MARCOU / J.-L. THIÉBAULT (dir.), La décision gouvernementale en Europe (Belgique, Danemark, France, Pays-Bas, Royaume-Uni), Paris, L’Harmattan, 1996, v. en particulier G. MARCOU, p. 46 et 50, et la communication de A. TIMMERMANS, p. 243 et s. 37 L. MARCUSSON, « §85. Grundzüge des schwedischen Verwaltungsrechts », par. 28, in A. von BOGDANDY / S. CASSESE / P. HUBER (Hrsg), Handbuch des öffentlichen Rechts in Europa. Ius Publicum Europaeum, Heidelberg, C.F. Müller Verlag, t. V, 2012 (à paraître). 38 N. A. IGNATIUK, pp. 390-391, in T.Ia. KHABRIEVA (dir.), Правительство Российской Федерации [Le gouvernement de la Fédération de Russie], Moscou, Ed. Norma, 2005. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 53 décembre 1997 (art. 24). Il préside les réunions du gouvernement et conduit son action, il signe les actes du gouvernement, mais il n’est pas titulaire du pouvoir réglementaire, et les ministres ne sont pas davantage titulaires d’un tel pouvoir, en dehors des cas où une loi l’a prévu ; il en va de même des agences ou services rattachés à un ministère. La loi sur le gouvernement (art. 26) renforce la participation des ministres au fonctionnement du gouvernement et leurs pouvoirs de direction sur l’administration fédérale ; ils proposent les règlements relevant de leur ressort à l’adoption par le gouvernement mais n’exercent pas de pouvoir propre en matière réglementaire39. Le fait que le président du gouvernement ne soit pas le titulaire du pouvoir réglementaire, et qu’il ait seulement à proposer au Président de la Fédération de Russie les mesures relatives à l’organisation des organes fédéraux du pouvoir exécutif et à la nomination ou à la révocation de leurs dirigeants (art. 24 préc.) interdit la formation d’une dyarchie au sein de l’exécutif et consacre la primauté du Président dans le système constitutionnel russe. De plus, certains domaines de compétence sont placés directement sous l’autorité du Président par la loi sur le gouvernement (art. 32)40. Depuis l’élection présidentielle de mars 2008 et la nomination de Vladimir Poutine comme président du gouvernement, le rôle du gouvernement a été renforcé et, notamment, les ministres rattachés au Président font partie du présidium du gouvernement, que dirige le chef du gouvernement. Mais il n’en résulte pas un changement dans l’équilibre général des pouvoirs41. Cette concentration du pouvoir réglementaire devrait assurer la cohérence de la production réglementaire. Logiquement, les décrets du Président de la Fédération devraient porter seulement sur des questions d’organisation et sur des orientations données au gouvernement, ce qui est, en pratique, le cas de la grande majorité d’entre eux42, seul le gouvernement adoptant des règlements ayant des effets de droit directs sur les tiers. C’est seulement dans les domaines qui lui sont rattachés (v. supra) que le Président pourrait adopter des actes réglementaires ayant des effets directs sur les tiers. En réalité, cependant, on observe la prolifération d’une réglementation administrative émanant, non seulement des ministères, mais des divers départements, ainsi que des services et agences de l’administration fédérale. 39 S. E. NARYCHKINE, « Организация деятельности правительства РФ » [L’organisation de l’activité du gouvernement de la Fédération de Russie], sur ce point pp. 412-413, in T. Ia. KHABRIEVA, 2005, op. cit. 40 Il s’agit des questions de défense, de sécurité, des affaires intérieures, des affaires étrangères, de la sécurité civile. 41 T. Ia. KHABRIEVA, 2010, op. cit. 42 Iu. KOZLOV / L. L. POPOV, op. cit. p. 162. 54 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE En effet, un décret du gouvernement fédéral n° 1009 du 13 août 1997 (modifié à différentes reprises et notamment quatre fois depuis les réformes engagées en 2004 dont il sera question plus loin) charge les organes fédéraux du pouvoir exécutif en général d’adopter les « actes réglementaires (normativnye pravovye akty) pour l’exécution des lois constitutionnelles fédérales, des lois fédérales, des décrets (oukaz) et dispositions du Président de la Fédération de Russie, des décrets (postanovlenie) et des dispositions du gouvernement de la Fédération de Russie » (point 2, par. 1), et le règlement relatif à la préparation de ces actes réglementaires qui est approuvé par cet arrêté précise que ces actes réglementaires sont pris « sur la base et pour l’exécution » des normes précitées, ainsi que « à l’initiative des organes fédéraux du pouvoir exécutif dans les limites de leur compétence » (I.1). Ce texte indique aussi la dénomination que prennent ces actes : arrêté, ordre (prikaz), disposition (rasporiajenie), règle (pravilo), instruction, règlement (polojenie), mais aucune hiérarchie n’existe entre eux ; il existe seulement une hiérarchie entre les organes qui en sont les auteurs. Seuls les organes fédéraux du pouvoir exécutif ont le pouvoir d’adopter de tels actes, non leurs subdivisions ni leurs services territoriaux (I.2)43. Alors que le gouvernement fédéral est seul titulaire, selon la Constitution, d’un pouvoir réglementaire général (v. supra), il utilise ce pouvoir, avec l’arrêté de 1997, pour instituer au profit des divers organes du pouvoir exécutif fédéral un pouvoir de réglementation (appelons-le ainsi pour le différencier du pouvoir réglementaire du gouvernement fédéral), dont l’objet n’est pas précisé, et dont les titulaires ne sont pas non plus très clairement définis. Ce pouvoir de réglementation n’est pas limité, en effet, à des questions d’organisation ou de mise en œuvre administrative ; rien ne paraît s’opposer à ce qu’il ajoute des conditions ou des exigences nouvelles affectant les droits ou les obligations des particuliers ou des personnes morales, dès lors qu’il s’exerce dans les limites de la compétence matérielle de l’organe qui en est l’auteur. Les difficultés qui peuvent en résulter apparaissent, par exemple, dans l’application de la législation sur l’enregistrement des personnes morales et des entreprises individuelles, pour laquelle les pratiques administratives, fondées sur cette réglementation intérieure (vedomstvennye akty) sont à l’origine d’innombrables recours en justice ainsi que de plaintes adressées au Président de la Fédération de Russie44. 43 Iu. A. TIKHOMIROV, « Подзаконный характер актов органов публичной власти » [Le caractère infralégislatif des actes des autorités publiques], p. 230, in Institut de législation et de Droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie / Académie du Parquet fédéral de la Fédération de Russie, Законность в Российской Федерации, Moscou, Kontrakt, 2008. 44 N. A. IGNATIUK, « Причины и виды нарушений компетенции органов испольнительной власти » [Les motifs et les catégories de violation des compétences des organes du pouvoir exécutif], p. 218, in Institut de Législation…, ibid. L’auteur montre que l’administration G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 55 Selon l’arrêté du gouvernement du 13 août 1997, tous les actes réglementaires des organes fédéraux du pouvoir exécutif doivent être transmis au ministère de la Justice qui doit les enregistrer, dès lors qu’ils concernent les droits, libertés ou obligations des personnes, établissent le statut d’organisations, présentent un caractère interministériel, y compris ceux qui se rapportent à des secrets d’État ou à des données confidentielles (II.10). Cette procédure d’enregistrement comporte l’exercice d’un contrôle de légalité, puisque le ministère de la Justice peut refuser l’enregistrement d’un acte qui n’est pas conforme à la législation en vigueur, et retourner cet acte à l’organe dont il émane (II.14 et s.). Mais cette procédure ne paraît pas suffisante pour contenir la réglementation administrative et assurer le respect de la loi. Le décret n° 314 du Président de la Fédération de Russie du 9 mars 2004 modifie les rapports entre le gouvernement et les ministres et renforce le rôle des ministres dans l’exercice du pouvoir réglementaire45. Avant ce décret, les pouvoirs juridiques des ministres n’étaient pas spécifiquement définis. Les ministres étaient au nombre des organes du pouvoir exécutif dont les mesures réglementaires étaient soumises à l’arrêté du gouvernement précité du 13 août 1997. En pratique ces actes n’étaient pas toujours pris avec une base légale et la réorganisation de l’appareil d’État pendant la période de transition a favorisé ces pratiques sous la pression des circonstances ; plus grave, beaucoup de ces actes n’étaient pas publiés, mais néanmoins appliqués par l’administration ministérielle46. Le décret n° 314 prévoit que, désormais, les ministères sont compétents pour prendre euxmêmes (samostoïatel’no) les mesures réglementaires pour l’exécution des lois et des actes du président de la Fédération dans leur domaine de compétence, à l’exclusion des mesures qui, en application de normes de portée supérieure doivent être prises par la loi ou par des actes du président ou du gouvernement (par. 3, b). Ce décret renforce donc considérablement le rôle des ministres, en tant qu’autorités investies du pouvoir réglementaire. Malheureusement, le décret n° 314 n’indique aucun critère relatif aux mesures réglementaires devant être réservées au président ou au gouvernement. En revanche, il réserve aux ministères le pouvoir de réglementation subordonné au pouvoir réglementaire du gouvernement fédéral ; celui des services fédéraux et des agences est désormais limité aux cas prévus par décret du Président de la Fédération de Russie (par. 3.b, 4.c et fiscale continue d’opérer un contrôle préalable sur les documents présentés au titre de la procédure d’enregistrement, alors que la loi fixe la liste des documents devant être déposés pour obtenir l’enregistrement et ne prévoit nullement cette intervention de l’administration fiscale. 45 Ibid. 46 N. A. IGNATIUK, Компетенция федеральных министерств Российской Федерации [La compétence des ministères fédéraux de la Fédération de Russie], Moscou, Ed. Iustitsinform, 2003, pp. 156-160, not. 56 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE 5.d) – ou par la loi. Toutefois, aucune des modifications apportées à l’arrêté du 13 août 1997 à la suite du décret n° 314 n’a limité le pouvoir des organes du pouvoir exécutif fédéral d’adopter des mesures réglementaires. Le décret n° 314 devrait cependant permettre un meilleur contrôle par les ministres de la réglementation administrative, et donc un meilleur respect de la loi. Un autre moyen d’améliorer l’unité du droit et le respect de la loi est d’améliorer la coordination et la coopération interministérielles. Cela nécessite aussi des mesures d’ordre juridique. Un arrêté du gouvernement de la Fédération de Russie n° 30 du 19 janvier 2005 sur les relations entre les organes fédéraux du pouvoir exécutif va dans ce sens, en prévoyant des plans de travail périodiques, des règles pour la préparation des projets devant être soumis par un ministre au gouvernement, la mise en œuvre des missions définies par le président de la Fédération de Russie, le droit de faire objection aux décisions des agences ou services fédéraux contraires à des dispositions légales. L’arrêté du 13 août 1997 a été modifié et complété par les arrêtés du 15 mai 2010 (n° 336) et du 20 février 2010 (n° 72) pour organiser et formaliser la procédure interministérielle (notamment par l’introduction du visa consacrant l’accord sur un projet des organes concernés du pouvoir exécutif fédéral – par., al. 9). Présentant les dispositions de l’arrêté de 2005, Iouliana Demecheva donnait en exemple l’organisation du travail interministériel en France47. On pourrait aussi citer les « conférences de service » instituées en Italie par la loi du 11 février 2005 (modifiant la loi 241/1990) et dont la réunion est provoquée chaque fois qu’un problème suscite des désaccords à résoudre entre plusieurs administrations. D’autres difficultés peuvent résulter de l’hétérogénéité de l’organisation du pouvoir exécutif des sujets de la Fédération. La loi fédérale 184/1999 précitée fixe le mode de nomination et de destitution du « chef » (vychee doljnostnoe litso) du sujet de la Fédération ou du « chef » de l’organe supérieur du pouvoir exécutif du sujet de la Fédération (art. 18 et 19), ses pouvoirs essentiels (art. 20 et 22) et ses relations avec l’organe législatif (art. 23 à 26), mais laisse à la constitution ou au statut du sujet de la Fédération le soin de fixer l’organisation du pouvoir exécutif48. Au niveau 47 Iu. V. DEMECHEVA, chap. 5, par. 2, in Iu. A. TIKHOMIROV (dir.), Правопримениение: теория и практика [L’application du droit : théorie et pratique], Moscou, Ed. Formula Prava, 2008, pp. 186-187 et 191. 48 Parmi les 84 sujets de la Fédération (à la suite de certaines fusions intervenues au cours des dernières années), certains sont des républiques qui s’étaient dotées d’une Constitution entre la dislocation de l’URSS et même le début de décomposition de la Russie, et la formation de la Fédération de Russie. Les autres sujets de la Fédération sont dotés d’un statut. Il n’y a pas de différence du point de vue de la hiérarchie des normes, selon la Constitution fédérale de 1993, après la remise en ordre entreprise à partir de 2000, mais il existe des différences dans l’organisation des institutions. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 57 des républiques, on rencontre une certaine diversité d’organisation : le Président de la République peut être le président du pouvoir exécutif (ex. : Bouriatie), ou bien former un organe chargé du pouvoir exécutif et administratif (ex. : Ingouchie), ou encore un organe exécutif subordonné au président (ex. : République Kabardino-Balkare), ou un organe supérieur du pouvoir exécutif, également subordonné au président (ex. : Mordovie)49. Cette diversité se prolonge au niveau de l’organisation administrative ellemême50. Selon l’article 22.1 de la loi 184/1999, le chef du sujet de la Fédération ou de l’organe supérieur du pouvoir exécutif du sujet de la Fédération a le pouvoir de faire des décrets réglementaires (postanovlenie) et non réglementaires (rasporiajenie) sur le respect du droit fédéral et pour la mise en œuvre de la Constitution (du statut) et des lois du sujet de la Fédération. Il est donc investi du pouvoir réglementaire au sens où on l’a défini plus haut. Mais le même article indique que ses actes et ceux de l’« organe exécutif supérieur du pouvoir d’État», pris « dans les limites de leurs compétences » sont obligatoires à l’intérieur du sujet de la Fédération (par. 2). Il s’en déduit qu’une partie du pouvoir réglementaire peut être exercé par un autre organe que le « chef ». Mais les rapports entre ces deux autorités dans l’exercice du pouvoir réglementaire ne sont pas précisés ; ils ne le sont pas non plus clairement dans les constitutions ou statuts des sujets de la Fédération. La loi 184/1999 indique seulement que ces actes sont dans tous les cas transmis à l’organe législatif, qui peut en demander la modification, ou faire un recours au tribunal pour en demander l’annulation (à la Cour constitutionnelle de Russie si est en cause le respect de la Constitution fédérale). Ces situations n’ont pas nécessairement été remises en cause à la suite de la réforme introduite par la loi du 12 décembre 2004 substituant à l’élection au suffrage direct du « chef » du sujet de la Fédération son élection par l’organe législatif sur proposition du Président de la Fédération de Russie, désormais sur proposition du groupe comptant le plus grand nombre de députés à l’issue des élections51. Il est évident qu’il serait préférable de désigner clairement un seul titulaire du pouvoir réglementaire à ce niveau. 49 Pour plus de détails, v. Iu. KOZLOV / L. L. POPOV, op. cit., en particulier p. 188. V. les exemples donnés par N. A. IGNATIUK, 2008, op. cit. 51 Sur cette réforme, v. G. MARCOU, « Fédéralisme et centralisation en Fédération de Russie : le statut des gouverneurs des sujets de la Fédération », pp. 475-500, in L’État et le droit d’est en ouest. Mélanges en l’honneur du professeur Michel Lesage, P. GÉLARD et G. MARCOU (dir.), Société de législation comparée, 2006. 50 58 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE C. – Pouvoir réglementaire et organisation administrative On remarquera que le pouvoir réglementaire, tel qu’il est attribué au gouvernement par la Constitution en Allemagne, en Suède et en Russie, ne comprend que les actes normatifs du gouvernement produisant des effets sur les tiers. Les actes réglementaires relatifs à l’organisation administrative ou déterminant des directives d’action n’en font pas partie, ou ont une base juridique distincte et, à l’égard de ces derniers, il existe une plus grande dispersion du pouvoir réglementaire. Il en va de même, dans une certaine mesure au Royaume-Uni, où l’organisation gouvernementale, et notamment celle des ministères, fait partie de la prérogative royale ; les mesures qui s’y rapportent peuvent donc s’exercer sans référence à une loi, et elles sont prises par le Premier ministre au nom de la Reine. Une telle distinction n’est pas admise, tout au moins avec une portée aussi large, en France, en Espagne ou en Italie ; l’attribution du pouvoir réglementaire ne dépend pas de son objet. En France, on admet depuis longtemps que tout chef de service dispose d’un pouvoir réglementaire pour l’adoption des mesures d’organisation interne du service. En Suède, les dispositions des articles 7 à 10 du chapitre VIII de la Constitution qui délimitent le domaine d’intervention du pouvoir réglementaire ne concernent que les actes portant dispositions impératives régissant les relations entre les particuliers et la « chose publique » au sens de l’article 3. Mais le pouvoir réglementaire fixe aussi les règles d’organisation et de fonctionnement, ainsi que les missions, des autorités administratives (sur la base de l’article 13 du chapitre VIII), et les orientations politiques fixées sont mises en œuvre dans le cadre d’un dialogue entre les autorités et les ministères dont elles relèvent. C’est en Allemagne, pour des raisons historiques, que cette distinction est la plus nette, et elle prend une importance particulière dans le contexte fédéral. De manière générale, on admet qu’en dehors du pouvoir réglementaire proprement dit du gouvernement fédéral (ou à leur niveau des gouvernements des Länder) (Verordnungsrecht), le gouvernement et plus généralement les autorités administratives peuvent adresser des « prescriptions administratives » (Verwaltungsvorschrift) aux autorités ou services qui leur sont subordonnées. On y voit un instrument de « concrétisation » du droit, mais sous la forme d’une « réglementation administrative interne » pour laquelle aucune habilitation législative n’est nécessaire, mais qui ne peut produire aucun effet direct en dehors de l’administration52. Certains auteurs estiment cependant que des effets externes sont possibles si ces prescriptions règlent des questions secondaires 52 M. BRENNER, op. cit. p. 2272. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 59 en dehors des domaines réservés à la loi53. Mais la Loi fondamentale prévoit formellement le recours à des « prescriptions administratives générales » (allgemeine Verwaltungsvorschrift) pour l’exécution des lois fédérales, non seulement dans le domaine de l’administration fédérale directe, à l’égard des services ou autorités qui lui sont subordonnés, mais aussi à l’égard d’organismes publics dotés de la personnalité morale placés sous son autorité (art. 86), mais également dans le domaine de l’exécution des lois par les Länder en tant que compétence propre, ce qui est le droit commun, selon la Loi fondamentale (art. 83). Les prescriptions administratives générales ne peuvent être édictées que par le gouvernement fédéral en tant que tel, non par un ministre. Dans le domaine de l’exécution des lois fédérales par l’administration des Länder, les prescriptions administratives générales sont soumises à l’approbation du Bundesrat (art. 84.2), y compris dans le cas d’une compétence déléguée (et non plus d’une compétence propre) (art. 85.2) ; le gouvernement fédéral peut d’abord ou de préférence agir par voie de recommandations54. Les prescriptions administratives générales sont des normes impératives pour les gouvernements des Länder ; elles ne peuvent avoir d’effets directs pour les tiers mais elles peuvent porter sur les dispositions d’application des règles de fond. En outre, la compétence des Länder pour déterminer l’organisation et la procédure cède devant la loi fédérale soumise à l’approbation du Bundesrat (art. 84.1). La loi fédérale peut donc, sous réserve de cette approbation, fixer des règles communes concernant l’organisation des autorités et la procédure administrative. La référence à la procédure doit être ici largement entendue et ne se limite pas aux questions qui sont réglées par la loi fédérale sur la procédure administrative55. Par comparaison, le cadre juridique de l’organisation administrative est en Russie beaucoup moins développé, en particulier en ce qui concerne les relations entre la Fédération et les sujets de la Fédération. Le président de la Fédération dispose en ce domaine d’une compétence étendue, mais le gouvernement et, au-delà, les ministères peuvent aussi adopter de nombreuses mesures d’organisation. Leurs formes et leurs conditions, notamment vis-à-vis des organes exécutifs des sujets de la Fédération ne sont que faiblement définies. Un auteur pouvait écrire il y a quelques années que « les pouvoirs régionaux exagérément empêtrés ‘‘par les mains et par les pieds’’ par les réglementations des lois fédérales et d’instructions, n’ayant pas suffisamment de leviers administratifs pour agir, renoncent d’eux-mêmes à leurs responsabilités pour le développement complexe et 53 LÜCKE, comm. sous l’article 80, p. 1663, in M. SACHS (Hrsg), Grundgesetz Kommentar, Munich, C.H. Beck, 2003. 54 DITTMANN, comm. sous l’article 84, p. 1709, in M. SACHS (Hrsg), op. cit. 55 Ibid. p. 1705. 60 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE positif de leur territoire »56. Le décret n° 314, qui opère également un regroupement des ministères au niveau fédéral, devrait contribuer à la résolution de ce problème en renforçant le contrôle des ministres sur la réglementation administrative, Les transferts de compétences importants réalisés depuis 2006 au profit des sujets de la Fédération devraient également réduire l’emprise de l’administration fédérale sur les compétences de ces derniers. D. – Le pouvoir réglementaire des autorités locales Bien entendu, le pouvoir réglementaire n’est pas exercé seulement par les organes centraux du pouvoir exécutif ou des autorités locales de l’État agissant par délégation, ni par les organes exécutifs d’entités fédérées ou de pouvoirs régionaux. Les autorités locales décentralisées exercent aussi un pouvoir réglementaire, et la loi, parfois la Constitution, peuvent aussi autoriser l’octroi d’une telle compétence à des personnes privées. Ces deux sujets nous retiendront moins longuement. Dans tous les pays, les collectivités locales décentralisées disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences. Les pays se différencient par le fondement de ce pouvoir et par les institutions auxquelles il est attribué. Dans la plupart des pays, on considère que ce pouvoir est inhérent au principe de libre administration (autonomie locale) et peut donc s’exercer sans habilitation législative particulière : c’est le cas en Allemagne (où le pouvoir réglementaire local s’exerce sous la forme de Satzung, et non de Verordnung – la terminologie en souligne la différence de fondement), en Autriche, en Italie, en Espagne, en Suède, et en France depuis la révision constitutionnelle de 2003. En revanche, au Royaume-Uni, en Irlande, aux Pays-Bas, la réglementation locale doit avoir un fondement législatif. En pratique la différence entre les deux types de fondement n’est pas très grande. Dans le premier cas, l’autonomie réglementaire doit s’exercer dans le respect des lois et elle n’est vraiment dépourvue d’encadrement législatif que dans des domaines secondaires de pur intérêt local ; mais les compétences essentielles font l’objet d’un encadrement législatif et réglementaire national (ou émanant des autorités fédérées ou régionales), comme par exemple en matière d’urbanisme ou d’éducation. 56 M. V. STOLIAROV, Компетенция власти [La compétence des organes du pouvoir], Moscou, Ed. de l’Académie russe de la Fonction publique auprès du Président de la Fédération de Russie, 2005, p. 92. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 61 E. – La participation des personnes privées à l’exercice du pouvoir réglementaire Plus intéressantes sont les différences d’approche en ce qui concerne la délégation d’un pouvoir réglementaire à des personnes privées. Mais il faut s’entendre sur ce qu’on appelle la délégation d’un pouvoir réglementaire. Celle-ci doit être distinguée de l’hypothèse dans laquelle un organisme privé règle les rapports juridiques internes avec ses membres. Dans la mesure où l’appartenance de ceux-ci est libre, c’est un contrat qui est le fondement de la soumission à la règle commune, par exemple par l’adhésion à une association, ou encore par un contrat de travail qui soumet le salarié à l’ordre juridique interne à l’entreprise (règlement intérieur) ; ces ordres juridiques internes doivent naturellement être conformes à la loi. De telles normes ne constituent pas des manifestations d’un pouvoir réglementaire ; en effet les normes produites par l’exercice du pouvoir réglementaire, comme par la loi, sont impératives pour les sujets de droit qui sont soumis à leurs dispositions indépendamment de leur volonté. Les rapports entre les organisations de droit privé et l’État peuvent être, du point de vue du droit public, envisagés sous quatre catégories juridiques différentes, classées ici par ordre décroissant d’intervention de la puissance publique : 1) La participation d’organismes privés ou professionnels représentatifs à des organismes publics ou à des procédures ayant pour objet la production des normes les concernant : dans ce cas, le pouvoir réglementaire reste entre les mains de l’autorité publique, mais le contenu des normes sera déterminé en association avec les intérêts privés concernés ; 2) La délégation d’un pouvoir réglementaire : la loi confère à un organisme de droit privé le soin de fixer dans un domaine précis des normes obligatoires pour tous les sujets de droit répondant à certaines conditions – même s’ils ne sont pas des membres de cet organisme ; 3) La reconnaissance, sous certaines conditions, d’une portée réglementaire à des normes issues d’un accord de droit privé, ce que l’on rencontre notamment dans le domaine des rapports collectifs de travail et dans le domaine de certaines professions réglementées ; 4) La création par la loi de régimes juridiques permettant l’organisation collective volontaire pour l’exercice de certaines activités ; l’initiative privée est alors obligée de se soumettre à l’un de ces régimes juridiques et à une surveillance exercée par les autorités publiques compétentes, ou par les tribunaux. De manière générale, on peut affirmer que les régimes juridiques mentionnés dans la dernière catégorie peuvent se rencontrer dans tous les secteurs et dans tous les pays étudiés ici. Les deux premières catégories se 62 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE rencontrent essentiellement dans les domaines de l’organisation professionnelle, des services sociaux, des sports et de la normalisation technique. Il est impossible de donner dans le cadre de cet article une vue d’ensemble du droit et des institutions des différents pays pris en compte ici, compte tenu de la diversité sectorielle et juridique à laquelle on est confronté. Cette matière pourrait elle-même faire l’objet d’un vaste projet de recherche comparative, tant l’information et les analyses sont ici fragmentaires. On se limitera donc à la présentation des principes de base qui déterminent les approches caractéristiques des pays étudiés, et à certains exemples. Les ordres juridiques nationaux sont plus ou moins ouverts à l’exercice de prérogatives de puissance publique par des personnes privées habilitées par la loi, mais cela ne signifie pas que la participation des personnes privées à la détermination de certaines normes est nécessairement moindre ; beaucoup dépend en pratique de la place tenue par les consultations. Du point de vue juridique, en tout cas, les pays les moins favorables sont le Royaume-Uni, la Suède et l’Allemagne, la délégation d’un pouvoir réglementaire étant pratiquement exclue, tandis que le droit français l’admet sous certaines conditions, d’autres pays se situant entre les deux. Au Royaume-Uni, il existe une ancienne tradition, selon laquelle il était d’usage que des personnes privées sollicitent du Parlement l’octroi des privilèges nécessaires à l’exercice de leur activité par une « loi privée ». Les véritables lois privées sont aujourd’hui peu nombreuses, car la loi « publique » a introduit des régimes juridiques généraux là où jadis une loi privée était nécessaire. Mais, depuis les années 80, de nombreuses réformes favorables au marché ont eu pour but de transférer davantage de responsabilités au secteur privé, par les privatisations et par la déréglementation de divers secteurs d’activité. C’est cette politique qui a conduit à préciser les fonctions que l’État ne pouvait déléguer ou externaliser. La loi sur la déréglementation et les contrats d’externalisation (Deregulation and Contracting-Out Act 1994) détermine ainsi quatre catégories de compétences qui ne peuvent jamais être déléguées ou externalisées (section 71(1)) : i) l’exercice des fonctions juridictionnelles ; ii) celles dont l’exercice ou le non exercice est de nature à affecter la liberté individuelle ; iii) celles qui sont de nature à porter atteinte à la propriété ; iv) le pouvoir ou l’obligation de faire des règlements (« législation subordonnée »). La délégation de prérogatives de puissance publique ne peut donc porter que sur des actes individuels, ou des mesures d’organisation. En Allemagne, s’imposent les règles relatives à la subdélégation du pouvoir de faire les règlements nécessaires à l’exécution des lois. L’article 80 de la Loi fondamentale, comme on l’a vu, détermine de manière G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 63 limitative les autorités auxquelles la loi fédérale peut attribuer le pouvoir de faire ces règlements. La subdélégation n’est possible que si elle est prévue par la loi elle-même et elle doit être réglée par un décret (Rechtsverordnung) (§1, dernière phrase) et, selon l’interprétation admise de ces dispositions, le subdélégataire doit être immédiatement subordonné au délégataire : par exemple pour le gouvernement fédéral un ministre fédéral ou une autorité fédérale supérieure indépendante (oberste Bundesbehörde), pour le ministre une autorité qui lui est subordonnée ou une personne de droit public de son ressort. En revanche, la subdélégation à des organismes privés n’est pas possible57. Le droit français admet au contraire la possibilité de déléguer un pouvoir réglementaire spécial à des organismes privés, mais il illustre aussi la relativité des qualifications juridiques opérées, lesquelles dépendent fortement du contexte du système juridique. Les fédérations sportives, auxquelles le droit anglais dénie l’exercice de prérogatives de puissance publique, sont en France un des exemples classiques de l’exercice par un organisme privé de prérogatives de puissance publique dans le cadre de sa mission de service public, tels que l’exercice d’un pouvoir réglementaire spécial et le pouvoir de prendre des décisions administratives individuelles, notamment en matière de sanctions58. Ces prérogatives tirent leur origine d’une délégation de pouvoir du ministre chargé des sports, sur la base d’une ordonnance de 1945 ; ces dispositions sont reprises dans les grandes lignes dans l’actuel Code du sport (art. L.131-14 à L.131-16). Ici, le contexte de droit administratif et l’existence d’une juridiction administrative expliquent que la nature administrative des actes soit plus aisément reconnue. Dès les années 30, le Conseil d’État avait reconnu la possibilité pour des organismes privés d’exercer des prérogatives de puissance publique qui leur étaient déléguées par l’État, sous le contrôle du juge administratif59. Le droit français connaît d’autres modes de participation des organismes privés au pouvoir réglementaire. L’un des plus importants en pratique est celui des accords négociés entre les « partenaires sociaux », ou entre la Caisse nationale d’assurance-maladie et les professions de santé, auxquels un arrêté ministériel confère valeur réglementaire en les rendant obligatoires pour 57 M. SACHS (Hrsg), Grundgesetz Kommentar, 3e éd., Munich, C. H. Beck, 2003, p. 1669. Not. CE Sect. 22 nov. 1974, Fédération des industries françaises d’articles de sport, Rec. 576, concl. J. THÉRY, AJDA 1975, p. 19, chron. FRANC et BOYON ; TC 4 nov. 1996, Soc. Datasport c. Ligue nationale de football, Rec. 551, AJDA 1997, p. 142, chron. CHAUVAUX et GIRARDOT. Dans l’arrêt de 1974, la Fédération française de tennis de table exerce bien un pouvoir réglementaire spécial, pour fixer les modalités d’organisation des compétitions sportives dont elle a la charge et les règles d’homologation des balles pouvant être utilisées lors de ces compétitions. 59 Les trois arrêts fondamentaux sont : CE Ass. 13 mai 1938, Caisse primaire « Aide et protection » (organisme privé de sécurité sociale) ; CE Ass. 31 juill. 1942, Monpeurt (organisme de corporatifs chargés de l’organisation de la production industrielle) ; CE Ass. 2 avril 1943, Bouguen (ordre professionnel) – V. GAJA 2011, 18e éd., n° 51-53. 58 64 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE tous les membres de la profession, même non membres des organisations signataires. D’autres procédures existent ; par exemple les Codes de déontologie propres à certaines professions sont adoptés par décret en Conseil d’État, mais leur contenu est largement élaboré par l’organisation professionnelle (par exemple l’ordre des médecins)60. On peut citer encore les chambres consulaires (chambres de commerce et d’industrie, chambres d’agriculture, chambres des métiers), qui sont des établissements publics mais administrés par des élus de la profession concernée ; les actes réglementaires que la loi leur permet de prendre émanent en fait des représentants de la profession. En Suède, la Constitution prévoit formellement la possibilité de confier des attributions administratives à des organismes privés, tels que des sociétés commerciales, des associations, des collectivités, des fondations ou même des personnes physiques ; une loi est nécessaire si ces attributions comprennent l’exercice de prérogatives de puissance publique (11 :6), mais celles-ci ne n’étendent pas à la possibilité de prendre des mesures de nature réglementaire. Mais il existe certaines possibilités pour les organismes privés de participer au pouvoir réglementaire. La Constitution prévoit que, dans la préparation des affaires gouvernementales en général, il sera offert, « dans la mesure requise », aux collectivités et aux particuliers, la possibilité de faire connaître leur opinion (7 :2). En outre, le gouvernement subdélègue habituellement aux autorités administratives le pouvoir de prendre les mesures réglementaires pour l’exécution des lois, lorsqu’il a été lui-même habilité par la loi (8 :11). Ces autorités sont dirigées, selon les cas, par un directeur général assisté d’un comité consultatif ou par un conseil d’administration et son président. Dans les deux cas, une proportion importante des personnalités nommées dans le comité ou le conseil d’administration provient des milieux économiques concernés ainsi que du monde syndical ou des institutions scientifiques. Dans certaines autorités, il existe des comités spéciaux consultatifs dont le rôle est de permettre la participation des intérêts concernés61. En Russie, les réformes législatives des dernières années ont permis l’existence de différentes catégories de personnes morales, tant de droit public et de droit privé, pour lesquelles s’est posée la question de savoir quels pouvoirs elles pourraient exercer et quelle serait la nature de leurs obligations juridiques et financières. En particulier le Code civil de 1994 a prévu l’existence d’« organisations non commerciales », dont le régime a été précisé par la loi n° 7 du 12 avril 1996 ; d’autre part la loi n° 174 du 3 novembre 2006 a prévu la création d’« établissements autonomes » 60 61 Cf pour plus de détails, v. mon autre contribution dans ce volume. L. MARCUSSON, op. cit. n° 10 et 40 en particulier. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 65 (avtonomoe outchrejdenie), lesquels ne peuvent être créés que par les collectivités publiques (la Fédération, les sujets de la Fédération et les collectivités locales) qui leur confient l’exécution matérielle de leurs compétences dans divers domaines. Ces établissements autonomes se distinguent des classiques établissements budgétaires, non seulement par la personnalité morale mais aussi par le fait que leur financement est assuré par des ressources propres, même s’ils reçoivent des dotations et des subventions pour certaines missions. Cette institution, nouvelle en droit russe, est très proche de l’établissement public du droit administratif français. Avec elle, les collectivités publiques disposent d’une institution de droit public adaptée à leurs missions, notamment dans le secteur social ou éducatif, et n’auront plus besoin de recourir à des institutions du Code civil pour l’organisation de leurs missions62. Cependant, la loi sur les « organisation non commerciales » a servi de base au développement de nombreux organismes « autoréglementés » (samoreguliruemaïa organizatsia) dans des domaines variés de la vie économique et sociale, à l’initiative des citoyens, ou dans certains cas à l’initiative du législateur comme par exemple dans le Code fédéral de l’urbanisme (pour certains secteurs professionnels, tels que l’ingénierie, les architectes et urbanistes, la construction) ou pour des professions juridiques (notaires, avocats)63. Par rapport aux grandes catégories distinguées plus haut, ces organismes relèvent de l’« organisation collective volontaire » (à l’exception des professions juridiques, pour lesquelles elle est obligatoire en raison de fonctions de droit public qui leur sont aussi confiées). Cependant, la loi délègue à de telles organisations des prérogatives de droit public telles que la délivrance de licences ou d’agréments, ou le règlement de certains différents64. On peut en rapprocher les organismes d’accréditation et de certification des produits ou procédés en matière de réglementation technique, pour lesquels la loi laisse le libre choix de leur forme juridique aux milieux professionnels concernés : la loi garantit cependant l’indépendance de ces organismes65. En revanche, ces organisations ne 62 T. Ia. KHABRIEVA, « Некоммерческие организации в России в совремменых условиях: вступительное слово » [Les organisations non commerciales de Russie dans les conditions actuelles : propos introductif], p. 7, in IZAK, Некоммерческие организации: теоретические и практические проблемы [Les organisations non commerciales : problèmes théoriques et pratiques], Moscou, 2009. 63 M. I. GORLATCHEVA, « Создание и деятельность саморегулираемых организации в градостройтельной сфере » [La création et l’activité des organisations autoréglementées dans le domaine de l’urbanisme], p. 162, in IZAK, note préc. 64 E. A. PAVLODTSKY, « Саморегулираемые организации России » [Les organisations autoréglementées de Russie], p. 72, in IZAK, note préc. 65 Комментары к Федералному закону « О техническом регулировании » [Commentaire de la loi fédérale sur les normes techniques], A. F. NOZDRATCHEV et I. Z. ARONOV (dir.), Moscou, Ed. Rosispitaniya, 2009, pp. 85-86. 66 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE peuvent pas exercer un pouvoir réglementaire, même restreint, au sens défini plus haut. En ce qui concerne la participation des personnes privées à l’exercice de pouvoirs de réglementation, la Russie ne se distingue donc pas des solutions que l’on rencontre dans les autres pays étudiés. Si l’on délègue des tâches nombreuses à des organismes privés sous le contrôle de l’État, le pouvoir de poser des normes générales et abstraites reste l’apanage des autorités de l’État, sauf quelques exceptions. III. LES PROCÉDURES RELATIVES AUX ACTES NON RÉGLEMENTAIRES On entendra dans ce qui suit par acte non réglementaire tout acte unilatéral d’une autorité administrative qui affecte les droits ou les obligations d’une ou de personnes déterminées (décision administrative individuelle), ou qui se rapporte à une situation concrète, même si les destinataires sont indéterminés, ainsi que l’absence de cet acte lorsqu’il révèle une carence de l’autorité administrative. Pour l’étude comparative des procédures, on se concentrera essentiellement sur les décisions administratives individuelles. C’est pour l’adoption de ces décisions que les procédures administratives juridiquement organisées se sont développées, dans le but de protéger les droits des administrés ou des usagers des services publics, puisqu’elles concrétisent l’application de la loi à leur cas particulier. Cette question a été reconnue ces dernières années en Russie comme un enjeu majeur du développement du droit administratif aujourd’hui, dans des termes qui sont révélateurs des problèmes actuels du droit administratif en Russie66. L’influence des facteurs internationaux est reconnue : la Russie ne peut rester à l’écart de la tendance à « l’unification des droits et des obligations des citoyens » accompagnant dans la sphère juridique les différents processus d’intégration, qui prennent un « caractère global »67. Pourtant, les réformes des dernières années reflètent une conception qui se distingue de celle qui a généralement inspiré le développement du droit de la procédure administrative, et qui visait à assurer la protection des droits des administrés face aux autorités administratives. Dans le cadre de la 66 V. les contributions de L. K. TERECHTCHENKO et A. F. NOZDRATCHEV dans ce volume. 67 N. V. SOUKHAREVA / V. I. KOUZNETZOV, « Концепция развытия административнопроцессульного законодательства » [Le développement de la législation dans le domaine de la procédure administrative], p. 627, in T. Ia. KHABRIEVA / Iu. A. TIKHOMIROV (dir.), Концепции развытия российского законодательства [Les domaines du développement de la législation russe], Institut de Législation et de Droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie, Moscou, Eksmo, 2010. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 67 « Conception de la réforme administrative 2006-2010 », les différentes administrations ont été invitées à se doter d’un « règlement administratif » pour rationaliser leur fonctionnement et l’adoption de leurs décisions. L’amélioration de la protection des droits et des recours s’inscrit alors dans une perspective plus globale de rationalisation et de modernisation de l’administration ; le risque n’est-il pas, alors, de relativiser la fonction de protection des règles de procédure ? C’est pourquoi il est utile de mettre le droit russe en perspective avec le droit d’autres pays qui ont développé depuis longtemps le droit des procédures administratives pour comprendre comment il peut évoluer ou se réformer. Après avoir dégagé les grandes tendances des expériences nationales en matière de procédure administrative (A), on analysera la réforme des procédures administratives en Russie (B). On examinera ensuite les procédures applicables en matière de sanctions administratives ; celles-ci constituent un chapitre distinct et traditionnel du droit russe qui s’est beaucoup renouvelé au cours des dernières années, tandis qu’elles ont gagné en importance dans les pays occidentaux au cours des dernières décennies (C). Enfin, on tentera de dégager de la comparaison les principes généraux de la procédure administrative, ainsi que les caractéristiques particulières de certaines lois de procédure (D). Sur ces différents points, deux observations générales s’imposent : la première, c’est l’importance primordiale du juge dans le développement du droit processuel ; la seconde, c’est qu’il est possible de dégager aujourd’hui des principes généraux, au-delà des particularismes des différents secteurs de l’administration. A. – Le droit de la procédure administrative : diversité des expériences nationales D’un point de vue historique, le droit de la procédure administrative est d’origine jurisprudentielle, mais son développement s’opère aujourd’hui principalement par la loi. On distinguera ici la question des sources du droit de la procédure administrative et la question du champ d’application des lois de procédure. Faute de place, on ne fera qu’évoquer, sans les étudier, les procédures particulières relatives à l’accès aux documents administratifs et à la médiation (ombudsman). 1. Les sources On a coutume d’opposer les pays qui ont développé la codification de la procédure administrative (notamment l’Autriche, l’Allemagne, l’Espagne) et 68 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE les pays dans lesquels c’est la jurisprudence qui a dégagé les principes de la procédure administrative et en a imposé le respect à l’administration (essentiellement le Royaume-Uni et la France). On a contesté, notamment en France, les mérites de la codification en faisant valoir que la soumission de l’administration au juge était plus importante et que le juge administratif avait su imposer à l’administration le respect de règles de procédure conciliant les impératifs de l’action publique et de la protection des droits, tandis que la codification alourdirait la procédure et ferait obstacle à l’efficacité de l’action administrative. On a défendu la codification au nom de la sécurité juridique que donne la loi, d’une meilleure protection des administrés, mais aussi de l’efficacité administrative en simplifiant le travail des fonctionnaires et en facilitant le contrôle de légalité68. Ce débat est aujourd’hui en partie dépassé, mais ses termes se retrouvent dans l’approche russe d’aujourd’hui qui cherche à lier efficacité administrative et protection des droits et il conserve aussi une certaine actualité dans les arguments en faveur de réglementations partielles, propres à chaque administration pour fixer sa propre procédure. Le premier motif de ne pas opposer l’intervention de la loi et le rôle du juge, c’est que la jurisprudence a précédé la codification. Le texte qui a exercé la plus grande influence en ce domaine est la loi autrichienne du 22 octobre 1875, qui établissait un tribunal administratif pouvant annuler les décisions prises en méconnaissance des « norme essentielles de la procédure administrative ». En l’absence d’un texte définissant ces « normes essentielles » et en tenant compte de dispositions contenues dans des lois particulières, cette loi a conduit le tribunal administratif d’Autriche à développer dans sa jurisprudence les principes de l’État de droit, sur des points aussi essentiels que les droits des parties en cause et la motivation des décisions. Le projet de codification est né de cette jurisprudence ; entreprise en 1911 mais interrompue par la guerre, la codification a abouti aux cinq lois du 21 juillet 1925, lesquelles ont été reprises dans la loi générale de procédure administrative (Allgemeines Verwaltungsverfahrensgesetz) de 1950, puis dans celle de 1991, actuellement en vigueur avec de nombreuses modifications. La codification autrichienne a exercé une influence considérable, d’abord sur les nouveaux États issus de l’empire des Habsbourg (Pologne, Tchécoslovaquie, Yougoslavie), puis, après la guerre, sur l’élaboration de la loi allemande sur la procédure administrative de 1976. C’est ainsi la loi qui, dans de nombreux pays, a assuré la pérennité et la diffusion des principales innovations issues de la jurisprudence du tribunal administratif d’Autriche. 68 C. WIENER, Vers une codification de la procédure administrative, Paris, PUF, 1975, not. pp. 31-47. Cet ouvrage réunit de nombreuses traductions de Codes de procédure administrative en vigueur au début des années 70. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 69 On ne saurait, bien sûr, surestimer le rôle de la jurisprudence dans l’élaboration des règles de la procédure administrative en France comme au Royaume Uni. Le Conseil d’État a érigé en « principes généraux de droit »69 s’imposant à toutes les autorités administratives des règles telles que le respect des droits de la défense chaque fois qu’une décision doit être prise en considération de la personne70, la non rétroactivité des actes administratifs71, le droit à un recours hiérarchique contre toute décision d’une autorité subordonnée72 et surtout la possibilité du recours pour excès de pouvoir, même sans texte, contre tout acte administratif73, le principe d’impartialité74 ; c’est également la jurisprudence qui a d’abord fixé les règles régissant le retrait d’une décision individuelle créatrice de droits75. C’est en revanche à la loi que l’on doit les évolutions les plus importantes du droit de la procédure administrative à l’époque contemporaine. C’était une loi de 1905 ayant introduit le droit à la communication du dossier en cas de sanction qui avait permis au Conseil d’État d’en généraliser l’inspiration en consacrant le principe général du respect des droits de la défense. Mais c’est la loi qui a introduit l’obligation de motiver les décisions administratives défavorables (loi du 11 juillet 1979), le droit d’accès aux documents administratifs (loi du 17 juillet 1978), le droit de présenter des observations écrites, et d’être entendu à sa demande pour toute décision soumise à l’obligation de motivation, sauf quand la décision est prise sur la demande de l’intéressé (loi du 12 avril 2000). Le professeur Capitant résume les principes généraux de la procédure administrative en France aujourd’hui, tels qu’ils résultent de la loi et de la jurisprudence, en quatre grands principes : le principe de contradiction, le principe de transparence, le principe de publicité et le principe de sécurité juridique76. On peut rapprocher cette construction jurisprudentielle du développement par la jurisprudence anglaise des principes de « natural justice », qui sont des principes de procédure que les juges ont déduits par analogie de la procédure de common law, et qu’ils ont étendus à la procédure administrative. Selon la 69 et s. 70 Cf R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 1, 15e éd., Paris, Montchrestien, 2001, n° 95 CE 5 mai 1944, Dame Trompier-Gravier, GAJA, 2011, 18e éd. n° 54. CE 25 juin 1948, Société du Journal l’Aurore, ibid. n° 60. 72 CE Sect. 30 juin 1950, Quéralt, Rec. p. 413. 73 CE Ass. 17 février 1950, Dame Lamotte, GAJA, op. cit. n° 61. 74 CE 17 juin 1927, Vaudot, Rec. p. 683 ; CE Sect. 9 nov. 1966, Commune de CloharsCarnoet, D. 1967.92 concl. G. BRAIBANT ; CE Ass. 3 déc. 1999, Didier, GAJA, 2011, op. cit. n° 102. 75 CE 3 nov. 1922, Dame Cachet, Rec. p. 790, RDP 1922, p. 552, concl. RIVET, GAJA, 12e éd. 1999, n° 41 ; CE Ass. 26 oct. 2001, Ternon, GAJA, 2011, 18e éd. n° 107, qui modifie la jurisprudence Dame Cachet. 76 D. CAPITANT, « Les principes généraux de la procédure administrative en France », v. ciaprès dans ce volume. 71 70 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE définition qu’en donnait Wade, « natural justice is a well defined concept which comprises two fundamental rules of fair procedure: that a man may not be judge in his own cause; and that a man’s defence must always be fairly heard ». Ces règles, par leur universalité, ce qui explique qu’on les qualifie de « naturelles », ne sont pas applicables seulement aux cours de justice mais aussi au pouvoir administratif77. La question qui a dominé la jurisprudence anglaise a été alors de savoir jusqu’à quel point le pouvoir judiciaire et le pouvoir administratif devaient être soumis aux mêmes principes78. Au cours de la période de l’après-guerre, le qualificatif « judicial » a conduit les juges à distinguer ce qui était « purement administratif », c’est-à-dire les décisions qui relevaient de la mise en œuvre d’une « politique » (policy), et pour lesquelles l’autorité administrative ne pouvait être tenue que par la procédure prévue par la loi. Cette position a été abandonnée par la Chambre des Lords dans le célèbre arrêt Ridge c. Baldwin de 196379, jugeant que l’autorité administrative qui se prononce sur l’application de la loi à une personne remplit une fonction qui doit respecter les principes de « natural justice » au même titre qu’un juge, y compris dans le cadre d’une procédure prévue par la loi, comme en l’espèce à propos du licenciement du chef de la police locale. Cet arrêt a permis de dégager la procédure administrative des limites que pouvait impliquer le concept de « natural justice » au profit d’une obligation générale, pour toute autorité administrative, de se comporter de manière loyale (« duty to act fairly »80), ce qui a été interprété de manière sans cesse plus large, à la charge des autorités administratives, mais avec une attention aux données de fait et au contexte de l’action administrative, en fonction desquels le juge déplace le curseur de la garantie pour l’intéressé81. On note moins d’interventions du législateur en matière de procédure administrative au Royaume-Uni qu’en France, mais certaines n’en sont pas moins importantes, comme celle de la loi de 1958 qui, d’une part, a judiciarisé la procédure devant les tribunals et imposé à ceux-ci de motiver leurs décisions, le Human Rights Act 1998, qui introduit dans le droit interne la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et le Freedom of Information Act 2000. Cependant, le principe général demeure que l’administration n’est pas tenue de communiquer les motifs de ses décisions, bien que la jurisprudence ait multiplié les exceptions qui tendent à la soumettre à une obligation de transparence, par exemple en assimilant le 77 H. W. R. WADE, Administrative law, 5e éd., Oxford, Clarendon Press, 1982, p. 414. Ibid. p. 415. 79 Ridge c. Baldwin [1964] A.C. 40. 80 McInnes c. Onslow Fane [1978] All ER 211. 81 C. HARLOW / R. RAWLINGS, Law and administration, 3e éd., Cambridge University Press, 2009, p. 626 et s. 78 G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 71 refus de communiquer les motifs à l’indice de l’ « irrationalité » de la décision82, ou en l’assimilant à un manquement à l’obligation de « procedural fairness »83, ce qui est pour le juge, dans les deux cas, un motif d’annulation, et plus récemment en jugeant même que le refus de donner les motifs est en général « unfair »84, ce qui tend à renverser le principe traditionnel, sous réserve du contexte de l’affaire et des implications sur la situation de l’intéressé85. Comme l’écrit John McEldowney, « the requirement to give reasons must therefore depend on the class of case involved and the role of the decision-maker under review »86. Cette conclusion paraît toujours valable et elle vaut pour les autres principes de procédure dégagés par la jurisprudence, qui subordonne la portée de la règle à l’analyse du cas. Malgré le Human Rights Act, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg semble avoir eu moins d’impact sur la procédure administrative au Royaume-Uni qu’en France. En France, elle a eu un impact sur la procédure administrative devant les autorités administratives indépendantes (ou les autorités publiques indépendantes), le Conseil d’État ayant, comme la Cour de cassation, étendu une partie des prescriptions relatives au procès équitable à la procédure administrative en vue du prononcé d’une sanction ou du règlement d’un différend par une telle autorité. Au Royaume-Uni, au contraire, la plupart des affaires mettant en cause l’application du HRA portent sur des questions d’immigration ou de détention. En outre, l’application de la Convention au Royaume-Uni est considérée comme de pur droit interne car elle passe en fait par l’application du HRA ; par voie de conséquence, les juges britanniques ne se considèrent pas comme liés par les décisions de la Cour européenne des Droits de l’Homme mais comme ayant seulement à en « tenir compte »87, ce qui laisse le juge maître de l’étendue du pouvoir discrétionnaire qu’il laisse à l’autorité administrative88. Le common law n’est pas incompatible avec l’intervention du législateur ou même la codification, comme le montre l’exemple des ÉtatsUnis depuis l’introduction de l’Administrative Procedure Act de 1946. La codification est l’occasion d’une remise en ordre et en cohérence, comme ce fut le cas en Suède où, en 1971, furent adoptées, de manière coordonnée, la loi sur procédure administrative et la loi de procédure des tribunaux administratifs. Dans la plupart des pays, cependant, justement parce qu’ils ne disposent généralement pas d’un corpus jurisprudentiel suffisant, les 82 Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food [1968] AC 997. R. v. Civil Service Appeal Board, ex p. Cunningham [1991] 4 All ER 310. R. v. Home Secretary, ex p. Doody [1993] 3 WLR 154, HL. 85 C. HARLOW / R. RAWLINGS, op. cit. pp. 628-633. 86 Public Law, Londres, Sweet and Maxwell, 1994, p. 478. 87 Re P [2008] UKHL 38. 88 C. HARLOW / R. RAWLINGS, op. cit. pp. 137-138. 83 84 72 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE garanties de la procédure administrative ne peuvent être développées que par la loi. Les pays d’Europe de l’Est ont en général adopté une loi sur la procédure administrative, ou ont réformé celle qui, quelquefois, avait été adoptée, sous le régime socialiste (Pologne, République tchèque, Slovaquie, notamment). Le Kazakhstan s’est doté d’une loi sur la procédure administrative en 2000 (loi du 27 novembre 2000), et l’Ukraine a adopté en 2004 un Code de procédure administrative et en 2005 une loi établissant au second degré de juridiction une cour administrative suprême séparée des juridictions ordinaires. Parfois, la codification de la procédure a pu être préparée par l’élaboration de règles internes à chaque administration portant essentiellement sur l’organisation de la procédure. C’est le cas de l’Espagne, où la loi du 19 octobre 1889 avait établi, en un texte court, les principes fondamentaux (notamment l’enregistrement des demandes, la transmission d’office à l’administration compétente, les délais de procédure), sur la base desquels chaque ministère devait établir son propre règlement. Ce système a perduré jusqu’à l’adoption de la loi sur la procédure administrativecontentieuse de 1958, dont la qualité technique explique que sa conception d’ensemble ait été reprise, après le rétablissement de la démocratie, dans la loi actuelle, n° 30/1992 du 26 novembre, sur le régime juridique commun des administrations publiques et de la procédure administrative (LRJPAC). La loi espagnole est de portée plus large que les autres codifications, car elle concerne non seulement la procédure et les recours relatifs aux actes administratifs individuels mais aussi la procédure d’élaboration des actes réglementaires et les recours à objet indemnitaire89. Elle ne règle que la procédure administrative ; le recours au juge fait l’objet des dispositions de la loi sur la juridiction contentieuse administrative (LRJCA), n° 29/1998 du 13 juillet. 2. Le champ d’application des lois sur la procédure administrative Les lois générales de procédure administrative ont habituellement un caractère subsidiaire, c’est-à-dire que leurs dispositions cèdent devant les dispositions législatives établissant des règles particulières de procédure pour certaines administrations ou certains secteurs. Tel est le cas en France, où de nombreux codes sectoriels contiennent des dispositions de procédure (par exemple le Code de l’urbanisme, le Code des procédures fiscales, le Code de la sécurité sociale…). La loi du 12 avril 2000 n’est pas une loi régissant l’ensemble de la procédure administrative ; elle règle en revanche de manière générale certaines questions particulières des procédures 89 2000. Cf J. GONZÁLEZ PÉREZ, Manual de procedimiento administrativo, Madrid, Civitas, G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 73 administratives. La loi allemande sur la procédure administrative est plus claire : ses dispositions ne valent qu’à défaut de dispositions particulières ayant le même objet ou de dispositions contraires pour l’application du droit fédéral (§1) ; la procédure fiscale et la procédure en matière de sécurité sociale sont les principales exceptions à l’application de la loi de 1976, mais on retrouve les mêmes principes dans ces législations sectorielles ; il existe de nombreuses autres exceptions. La loi espagnole se distingue également des autres codifications par le fait qu’elle a une portée générale, et non subsidiaire. Elle s’applique à l’ensemble des administrations publiques, sans préjudice, cependant des développements que peuvent introduire les lois des communautés autonomes pour leur propre administration dans le respect du régime juridique commun. Mais elle prévoit elle-même un grand nombre d’exceptions : la procédure fiscale, les recours en matière de sécurité sociale et d’assurance-chômage, les procédures disciplinaires des différentes administrations publiques, notamment (voir les dispositions additionnelles de la loi). La loi française du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations est, semble-t-il, la seule dont les dispositions s’appliquent, non seulement aux autorités administratives au sens organique, mais également à des organismes de droit privé s’ils sont chargés de la gestion d’un service public administratif, ce qui inclut non seulement les organismes de sécurité sociale, mais aussi les organismes d’assurance chômage et bien d’autres organismes de droit privé. On peut toutefois en rapprocher l’évolution de la jurisprudence anglaise qui étend le recours de judicial review aux organismes privés à la suite des politiques de privatisation et de libéralisation, en raison des pouvoirs qu’ils exercent. Cette évolution a alimenté le débat sur le champ d’application de la procédure de judicial review, et donc du droit administratif anglais, dont elle a déterminé un élargissement potentiel avec l’abandon de facto de la théorie de l’ultra vires comme fondement de ce contrôle. Dans l’affaire « Datafin » de 1987, il a été jugé que le recours en annulation était recevable contre une décision du « panel » de contrôle des concentrations sur le marché financier, un organisme professionnel qui n’avait pas été créé par la loi mais qui était placé sous le contrôle du gouvernement et de la Banque d’Angleterre, bien qu’aucun texte ne lui conférât de prérogatives de puissance publique ; selon la cour c’est la « nature » des pouvoirs exercés qui justifiait le judicial review. Le « panel » exerçait une mission publique résultant de la volonté du gouvernement de limiter la législation en ce domaine et constituant un « transfert implicite de l’appareil réglementaire » du gouvernement, elle était soumise au contrôle d’autorités publiques et les justiciables n’avaient pas d’autres voies de droit ouvertes à eux, en l’absence 74 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE d’un contrat ou d’un délit civil de nature à engager la responsabilité90. Cette approche a été régulièrement confirmée dans la jurisprudence ultérieure. En revanche, la jurisprudence s’est montrée plus restrictive et a exclu la recevabilité du recours de judicial review en présence d’actes de personnes privées dans les cas manquant d’« éléments de droit public ». Tel est le cas des décisions des organismes organisant des courses de chevaux91 ou des compétitions sportives92, ou encore de Lloyds of London, le célèbre organisme de réassurance, qui avait été créé par une loi privée, au motif que celui-ci n’était pas un organisme public de régulation du marché mais plutôt un opérateur sur le marché93. Ces jugements, rendus la même année à quelques mois d’intervalle illustrent bien l’affirmation d’une ligne jurisprudentielle, même si le critère des « éléments de droit public » est très flou, et sert seulement aux juges à fixer des limites à l’extension du champ d’application du judicial review94. Pour les mêmes raisons, les organismes privés soumis au judicial review sur la base des « éléments de droit public » de leurs décisions, sont également soumis à l’obligation de respecter les principes de natural justice95. Dans les États fédéraux se pose la question de la compétence pour établir des lois de procédure. Aux États-Unis, tous les États fédérés ont aujourd’hui adopté une loi sur la procédure administrative qui suit un modèle de loi fondé sur la loi fédérale. La procédure administrative est donc en fin de compte très homogène dans l’ensemble du pays. En Allemagne, les Länder sont compétents pour fixer la procédure administrative pour leur propre administration, mais leurs lois reprennent largement les dispositions de la loi fédérale, si bien que la Cour administrative fédérale est également compétente, selon la loi sur la juridiction administrative (§137), pour interpréter les lois de procédure des Länder. Ce problème se pose aussi en Russie, où la plupart des services publics sont administrés, non pas par la Fédération, mais par les sujets de la Fédération et les collectivités locales. B. – Les procédures administratives en Russie aujourd’hui La Constitution de la Fédération de Russie du 12 décembre 1993 contient plusieurs dispositions concernant les relations entre les citoyens et l’État ou les collectivités locales. L’article 33 énonce le droit de tout citoyen 90 R. v.Panel on Take-Overs and Mergers Ex p. Datafin plc [1987] Q.B. 152. R. v. Disciplinary Committee of the Jockey Club Ex p. Aga Khan [1993] 1 W.L.R. 909. 92 R. v. Football Association Ltd Ex p.Football League Ltd [1993] 2 All E.R. 833. 93 R. v. Lloyds of London Ex p. Briggs [1993] 1 Lloyd’s Rep. 176. 94 P. CRAIG, Administrative law, 6e éd., Londres, Sweet & Maxwell, 2008, pp. 884-885. 95 J. McELDOWNEY, op. cit. p. 475. 91 G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 75 de s’adresser à tout organe de l’État ou d’une collectivité locale, par une demande individuelle ou collective. Selon l’article 46, chacun a droit à la protection juridictionnelle de ses droits et libertés et peut former un recours juridictionnel contre les décisions ou les actes, ou l’inaction, des organes de l’État, des collectivités locales ou d’organisations sociales ; cet article reconnaît même le droit de chacun de former un recours auprès d’organes internationaux de protection des droits et libertés après épuisement des voies de recours internes. Malgré cela, il n’existe actuellement en Russie aucune loi de procédure administrative au sens retenu ici. Bien entendu, de nombreuses lois comportent des dispositions de procédure, par exemple le Code des impôts, le Code des douanes, le Code de l’urbanisme, mais aucun texte ne présente, ne serait-ce qu’à titre subsidiaire, un corpus systématique de règles de procédure. En fait, l’approche de la procédure administrative en Russie est étroitement liée à la réforme administrative, dont fait partie l’amélioration des relations entre les citoyens et l’administration ; ce n’est donc pas une approche contentieuse, même si les voies de recours ont été développées au cours des deux dernières décennies. On peut en trouver l’expression dans la loi fédérale n° 210 du 27 juillet 2010 sur l’organisation de la fourniture des services d’État et municipaux, qui fait des « règlements administratifs » la base de cette organisation (v. infra). 1. Les recours Trois lois fédérales prévoient, de manière générale, la possibilité de recours administratifs, mais elles sont inspirées par des conceptions différentes et elles n’en règlent que certains aspects. En outre, comme la Russie est un État fédéral, il existe des lois régionales plus ou moins développées pour ce qui concerne spécifiquement l’administration du sujet de la Fédération et des collectivités locales. L’article 72.1, k range dans la « compétence commune » de la Fédération et des sujets de la Fédération la législation sur l’administration et sur la procédure administrative, ce qui permet aux sujets de la Fédération de légiférer en la matière mais les lois régionales cèdent devant les dispositions des lois fédérales avec lesquelles elles ne sont pas compatibles96. Cet article rend possible une législation 96 Pour plus de détails, v. G. MARCOU, « Распределение властных полномочий в Российской Федерации в свете существующей практики федеративных государств членов Совета Европы » [La répartition des compétences en Fédération de Russie à la lumière de la pratique des États fédéraux membres du Conseil de l’Europe], Журнал Российского Права [Revue de Droit russe] 9/2002, 2002, pp. 111-119 et 10/2002 pp. 129-140, en particulier pp. 116-117 ; G. MARCOU, « Взгляд на юридический статус взаимоотношений между Российской Федерацей и субъектами Федерации после принятия закона от 4 июля 2003 » [Regard sur le statut juridique des rapports entre la Fédération de Russie et les sujets de la Fédération après l’adoption de la loi du 4 juillet 2003], pp. 69-88 in Institut de législation et de droit comparé près le 76 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE fédérale détaillée, dans un domaine où l’intérêt de l’uniformité du droit est évident, pour la clarté du droit et pour l’égalité devant la loi. On rappellera que les États fédéraux ou quasi-fédéraux ont généralement abouti en matière de procédure administrative à l’uniformité du droit, soit par la reproduction au niveau des entités fédérées de la loi fédérale (cas des États-Unis et de l’Allemagne), soit par l’exercice de la compétence fédérale (Autriche et Espagne). La plus importante des trois lois que l’on vient d’évoquer est la loi du 27 avril 1993 (n° 4866-I) déjà citée et modifiée en 1995 et en 2009 sur les recours (objalovanie) contre les actes et les décisions portant atteinte aux droits et libertés des citoyens, pour lesquels aucun recours juridictionnel n’est prévu par une autre loi (art. 3). Cette loi organise le recours juridictionnel devant les tribunaux ordinaires contre les actes des autorités administratives, mais aussi d’entreprises ou d’associations qui porteraient atteinte aux droits et libertés d’un citoyen, feraient obstacle à leur exercice ou lui imposeraient des obligations ou une responsabilité contraires à la loi ; le recours est possible aussi contre l’inaction de l’autorité en cause si elle a les mêmes conséquences, et il peut mettre en cause l’auteur des informations sur la base desquelles la décision a été prise (art. 2). Le tribunal peut aussi suspendre l’acte ou la décision à la demande du requérant (art. 4, al. 6). Le délai de recours est de trois mois à compter du moment où le citoyen a connaissance de la violation de l’un de ses droits ou libertés (art. 5). Le tribunal peut déclarer illégal l’acte ou la décision attaqués, en interdire l’application ou rétablir le requérant dans ses droits de toute autre façon, engager la responsabilité de l’administration et ordonner la réparation des dommages, y compris le dommage moral, selon les règles du Code civil (art. 7). En revanche le tribunal n’annule pas l’acte ou la décision attaqué ; au nom de la séparation des pouvoirs, c’est à l’auteur de l’acte de retirer l’acte ou la décision illégal, et en informer le tribunal dans un délai d’un mois97 (art. 8). Dans la procédure, c’est à l’autorité en cause de démontrer qu’elle a agi dans le respect de la légalité ; le requérant doit seulement établir l’atteinte portée à l’un de ses droits ou libertés (art. 6). Les règles de procédure applicables à ces recours sont fixées respectivement par le Code de procédure civile (art. 245-258) et le Code de la procédure d’arbitrage (tribunaux de commerce) (art. 189-201), adoptés l’un et l’autre en 2002. Il Gouverment de la Fédération de Russie, Конституция и законодательство [Constitution et legislation], Moscou, 2004. 97 À ce sujet, v. le point de vue critique de : A. V. MINACHKINE, « Концепция развития административного-процессуалного законодательства » [Le développement de la législation dans le domaine de la procédure administrative], p. 534, in T.Ia. KHABRIEVA / Iu. A. TIKHOMIROV / Iu. P. ORLOV (dir.), Концепции развития российкого законодательства [Les domaines du développement de la législation russe, Institut de Législation et de Droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie, Moscou, Gorodets, 2004. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 77 serait évidemment préférable que toutes les règles relatives à ces recours soient contenues dans ces codes, si l’on a renoncé à établir une juridiction administrative spécialisée. La même loi de 1993 fonde les recours administratifs. En effet, le citoyen peut adresser son recours directement au tribunal ou former un recours hiérarchique (art. 4). En cas de rejet par l’autorité supérieure ou du silence de celle-ci pendant un mois à compter de l’introduction du recours hiérarchique, le requérant peut se tourner vers le tribunal. Le citoyen peut introduire le recours lui-même ou être représenté par un tiers mandaté par lui, ou par le représentant d’une organisation sociale (par exemple un syndicat ou une association) ou du collectif de travail ; cette possibilité de représentation vaut aussi bien pour le recours hiérarchique que pour le recours juridictionnel. La loi ne fixe pas de délai pour l’introduction du recours hiérarchique, mais seulement l’obligation pour l’autorité saisie du recours de statuer dans un délai d’un mois ; à l’expiration de ce délai le requérant peut se tourner vers le tribunal (art. 4, al. 2). On remarquera que l’invocation d’une illégalité et d’un intérêt à agir ne suffisent pas pour assurer la recevabilité du recours, selon la loi de 1993. Il faut établir la violation d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution. Cette loi n’a pas abrogé la loi de l’URSS du 2 novembre 1989 introduisant un recours juridictionnel contre les décisions administratives ouvert à toute personne dont un droit a été lésé par une telle décision. La loi de 1989 impose un recours hiérarchique préalable, elle est limitée aux seules décisions administratives, les actes réglementaires étant exclus, et ne règle pas la question de la responsabilité de l’administration. Pour le reste, la loi de 1993 en a repris de nombreuses dispositions et la loi de 1989 ne définit pas plus largement l’intérêt à agir. Il ne semble donc plus exister aucune raison de former un recours sur la base de la loi de 1989. En revanche, la loi fédérale n° 59 du 2 mai 2006, ajoute une procédure d’examen des requêtes (obrachtchenie) des citoyens. Le champ d’application en est plus large, mais la procédure est entièrement entre les mains de l’administration. La notion de requête est bien plus large que celle de recours utilisée dans la loi de 1993. Elle exprime le droit de tout citoyen de s’adresser personnellement (obrachtchat’sia) à toute autorité administrative, et de lui adresser une requête individuelle ou collective, tel qu’il est reconnu par l’article 33 de la Constitution fédérale de 1993. Elle peut constituer (art. 4), par son contenu, une proposition (predlojenie), qui formule une recommandation pour améliorer la législation ou la réglementation, ou l’activité de l’administration ; une demande (zaïavlenie) tendant à la réalisation d’un droit ou d’une liberté, ou faisant état d’une violation de la légalité, ou critiquant l’activité de l’administration ; une plainte (jaloba) par laquelle un citoyen demande d’être protégé ou rétabli dans ses droits, 78 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE libertés ou intérêts légitimes. La requête est présentée sous forme écrite mais elle est aussi recevable si elle est formulée oralement lors d’un entretien, ou par voie électronique. Cette procédure est peu formaliste, gratuite, elle permet aussi de demander au tribunal la réparation du dommage subi du fait de l’illégalité commise (art. 16). La présentation de la requête n’est soumise à aucun délai, l’organe d’État ou le fonctionnaire qui reçoit la requête doit la transmettre s’il n’est pas compétent pour y répondre ; l’auteur de la requête peut présenter des documents à l’appui de sa requête et a accès aux documents qui la concernent. L’administration est tenue d’examiner la requête sous tous ses aspects et objectivement, elle peut demander d’autres informations ou documents à d’autres administrations, et elle doit répondre par écrit dans un délai de 30 jours, sous réserve de prolongation de ce délai. En cas de décision de rejet, l’auteur de la requête peut introduire un recours hiérarchique ou un recours juridictionnel dans les conditions prévues par la loi (art. 5, 4°), c’est-à-dire par la loi de 1993 en dehors des cas où une procédure particulière est applicable. En revanche, l’examen de la requête est entièrement sous le contrôle de l’administration compétente pour y répondre ; la participation de l’auteur de la requête à son examen est possible « quand elle est nécessaire » (art. 10, par. 1, 1°), et donc si l’administration en décide ainsi. La loi sur les requêtes des citoyens abroge et remplace plusieurs textes législatifs de l’URSS de 1968 et de 1980 ayant le même objet98 et dont elle conserve l’esprit. Elle permet de soumettre aux diverses autorités des propositions, des demandes ou des plaintes, mais elle ne permet pas au citoyen de défendre ses droits au cours d’une procédure à laquelle il participerait ; ce n’est qu’une procédure de recours gracieux. Toutefois, la loi de 2006, c’est sans doute le principal changement, permet au citoyen de contester la décision de rejet, non seulement par un recours hiérarchique (ce que prévoyait la législation soviétique) mais aussi par un recours juridictionnel99. 2. Procédure administrative et réforme administrative Le besoin d’un cadre juridique plus complet et plus cohérent en matière de procédure administrative et de recours est reconnu depuis plusieurs années et de nombreux projets ont été élaborés, dans des perspectives 98 En particulier le décret du présidium du Soviet suprême de l’URSS du 4 mars 1980 et la loi de l’URSS du 25 juin 1980. 99 D’après des sources en langue allemande éditées dans l’ancienne RDA : décret du présidium du soviet suprême de l’URSS du 12 avril 1968, in UdSSR – Staat, Demokratie, Leitung. Dokumente, édité par Wolfgang Lungwitz, Berlin, Staatsverlag der DDR, 1975, p. 426, et commentaires in Staatsrecht der UdSSR, S. S. KRAVCHTCHOUK (dir.), Berlin, Staatsverlag der DDR, 1982, pp. 111-112. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 79 différentes100. Ils n’ont cependant pas abouti et les liens entre cette réforme, celle de la justice administrative et la modernisation de l’organisation administrative inspirée par les préceptes managériaux ont certainement compliqué les débats. Néanmoins la justice administrative s’est développée dans le cadre de la juridiction ordinaire, la modernisation de l’organisation administrative a été mise en œuvre sur la base du décret n° 314 du Président de la Fédération de Russie. Faute de pouvoir s’accorder sur le contenu d’une législation d’ensemble sur la procédure administrative, il a été décidé d’harmoniser les procédures administratives par l’élaboration de ce qu’on a appelé des « règlements administratifs » élaborés sur la base de règlements types adoptés par le gouvernement. Cela a conduit à une approche de la procédure administrative qui se rattache aux finalités de l’action administrative (fournir les services dont les citoyens ont besoin) et non à l’organisation du contentieux. Plusieurs arrêtés du gouvernement adoptés au cours de l’année 2005 ont prescrit et organisé l’adoption de « règlements administratifs » (administrativny reglament) par les organes fédéraux du pouvoir exécutif : - L’arrêté n° 30 du 19 janvier 2005 sur le règlement type relatif aux relations entre les organes fédéraux du pouvoir exécutif ; - L’arrêté n° 452 du 28 juillet 2005 sur le règlement type relatif à l’organisation interne des organes fédéraux du pouvoir exécutif ; - L’arrêté n° 679 du 11 novembre 2005 sur les modalités d’élaboration et d’adoption des règlements administratifs relatifs à l’exécution des fonctions de l’État et à la fourniture des services publics. Les deux premiers arrêtés concernent essentiellement l’organisation et les procédures internes ou les relations entre organes d’État, tandis que celui du 11 novembre 2005 concerne essentiellement les rapports avec les tiers. Mais l’objet de ces différents arrêtés comporte des recoupements ; on trouve dans les deux premiers des dispositions intéressant les recours, tandis que le dernier traite aussi des procédures internes. Celui-ci définit ainsi l’objet des règlements administratifs : « le règlement administratif établit les délai et le déroulement des procédures administratives et des actes administratifs de l’organe du pouvoir exécutif fédéral, les modalités des relations entre ses unités internes et entre ses fonctionnaires, ainsi que les relations de l’organe fédéral du pouvoir exécutif avec les personnes physiques et morales » (I.2). Rappelons que les décisions individuelles relatives à des tiers ne sont plus prises par le ministre. Ces règlements trouvent une base légale, aussi bien pour les organes d’État de la Fédération que pour ceux des sujets de la Fédération, dans l’article 47, paragraphe 1, de la loi fédérale sur la fonction publique d’État, 100 A. V. MINACHKINE, op. cit. p. 526 et s. 80 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE n° 79, du 27 juillet 2004, selon lequel les fonctionnaires exercent leur activité professionnelle en conformité avec le règlement de service, qui fait partie du « règlement administratif de l’organe d’État ». La Commission du gouvernement fédéral pour la réforme de l’État a joué un rôle important pour la mise en œuvre et la coordination de cette politique tournée vers le développement de « relations inédites en Russie »101 entre l’administration et les citoyens et organisations de la société civile, et pour que les règlements administratifs deviennent un « instrument juridique habituel » de l’activité des organes du pouvoir exécutif, tant au niveau fédéral qu’au niveau des sujets de la Fédération. Sur la période 2006-2009, 515 projets de règlement ont été élaborés, dont 300 ont été adoptés au niveau fédéral ; plus de 3000 ont été adoptés au niveau des sujets de la Fédération102. Toutefois, ce qu’il faut comprendre par les « organes » qui doivent être dotés d’un règlement administratif n’est pas très clair. La notion d’« organe d’État » ou d’« organe exécutif du pouvoir d’État » est très couramment utilisée par la législation russe mais elle ne trouve qu’une définition assez générale et laconique dans la loi fédérale n° 8 du 9 février 2009 sur l’accès à l’information relative à l’activité des organes de l’État et des organes des collectivités locales. Selon l’article 1er de cette loi, les « organes d’État » sont les « organes du pouvoir d’État de la Fédération de Russie et des sujets de la Fédération, ainsi que les autres organes d’État formés conformément à la législation fédérale ou des sujets de la Fédération ». Cela signifie, selon V. I. Kouznetsov, qu’il s’agit de composantes de l’appareil d’État caractérisées : a) par des compétences et des pouvoirs déterminés et établis par la loi ou en application de la loi ; b) par le fait qu’ils sont « juridiquement distincts » (iouriditcheskaïa obosoblennost’) ; c) par une certaine autonomie de gestion103. Mais cette définition laisse subsister des incertitudes sur les entités qui doivent être dotées d’un règlement administratif. Il résulte de l’arrêté du 19 janvier 2005 (n° 30) que chaque ministère, chaque agence fédérale et chaque service fédéral, ainsi que l’administration de chaque fonds non budgétaire, élabore un règlement administratif. Selon l’arrêté n° 679 du 11 novembre 2005, tel que modifié en dernier lieu par l’arrêté du 2 octobre 2009, les règlements administratifs sont arrêtés par chaque ministre pour les organes d’État placés sous son autorité sur présentation par les directeurs de ces organes, qui sont donc chargés de leur 101 V. I. KOUZNETSOV, Административные регламенты. Юридические вопросы, [Les règlements administratifs. Questions juridiques], Institut de Législation et de Droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie, 2010, p. 6. 102 Ibid. pp. 6-7. 103 Ibid. p. 15. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 81 élaboration dans un cadre coordonné par le ministère (I.9). Dans la mesure où certaines fonctions de l’État ou services publics nécessitent la participation d’administrations de plusieurs ministères, le règlement est arrêté conjointement par les ministres compétents (I.10). Tous les projets de règlement administratif sont soumis préalablement au ministère du Développement économique, qui doit donner son accord, ainsi qu’au ministère des finances s’ils nécessitent la mise en œuvre de moyens supplémentaires (I.12). Les règlements administratifs sont ensuite enregistrés par le ministère de la Justice, comme tous les actes réglementaires, et publiés (I.14 et I.17). La question de la structure et du contenu des règlements administratifs a donné lieu à des discussions et à certaines hésitations, à en juger par les variations dans les dispositions à ce sujet des différents arrêtés du gouvernement fédéral. Finalement, l’arrêté n° 813 du 29 novembre 2007 a modifié l’arrêté du 11 novembre 2005 et introduit une structure simplifiée et uniforme des règlements administratifs. Le plan désormais fixé par l’arrêté du 11 novembre 2005 ne comprend plus que cinq sections, alors que le règlement type de l’arrêté du 28 juillet, il est vrai en ce qui concerne l’organisation interne des organes de l’État, en prévoyait quinze. Ces cinq sections sont les suivantes : a) les dispositions générales, b) l’organisation des fonctions administratives et des services publics, c) les procédures administratives, d) les contrôles et e) les recours. L’arrêté détermine ainsi le contenu de ces règlements pour toutes les administrations (Partie II, paragraphes 20 à 34). En ce qui concerne les rapports avec les usagers, cela comporte notamment la définition des attributions, la définition des ayant-droits, les obligations d’information, les délais de traitement des demandes, les conditions dans lesquelles la fourniture d’une prestation peut être interrompue, les conditions d’accueil du public, les modalités de contrôle de l’activité et un chapitre sur les plaintes (v. par. 34), qui distingue entre les recours administratifs et les recours juridictionnels, et détermine qui doit informer les ayant-droits des conditions dans lesquelles ils peuvent former un recours, l’autorité supérieure à laquelle ils peuvent l’adresser, les règles de procédure, les délais d’examen de la plainte, ainsi que les délais de recours juridictionnel. Mais l’arrêté du gouvernement ne détermine pas luimême le contenu de ces différentes dispositions ; c’est ainsi à chaque règlement administratif de le faire, avec les variations que cela implique nécessairement en ce qui concerne la précision des procédures et la garantie des droits. La section XII du règlement type de l’arrêté du 28 juillet 2005 reprend à peu de choses près les dispositions de la loi du 2 mai 2006 sur les requêtes des citoyens mais ne détaille pas davantage les garanties de procédure. Les paragraphes 30 à 32 sur les procédures concernent les formes 82 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE de la prise de décision et le paragraphe 33 porte sur le contrôle ; ces paragraphes font peu de place à la participation des citoyens ou des personnes morales. Dans l’ensemble, ce sont les dispositions relatives à l’organisation administrative (par exemple celle des services extérieurs), à l’organisation du travail administratif pour la préparation des décisions, aux relations entre les différents organes d’État, qui dominent. La prévention de la corruption est aussi l’un des objectifs de cette réforme. L’arrêté du gouvernement fédéral du n° 452 du 28 juillet 2005 prévoit formellement (par. 5.1) que les projets de règlement administratif doivent faire l’objet d’une expertise indépendante du point de vue de la prévention des risques de corruption104. Dans la mesure où le règlement administratif se rapporte à l’exécution des fonctions de l’État ou à la fourniture des services publics il peut donc concerner plusieurs organismes extérieurs à l’organe d’État, y compris des collectivités locales ou des organisations de droit privé qui y participent ; le règlement administratif doit alors régler les relations entre ces organismes et l’organe d’État dont dépend la mission qui leur est confiée105. L’une des réformes les plus caractéristiques des dernières années, à cet égard, a été la création des « centres multifonctionnels ». La loi fédérale n° 281 du 25 décembre 2008 (art. 30) a donné un cadre légal à la création de ces centres par les organes d’État de la Fédération et des sujets de la Fédération et par les collectivités locales, ainsi que d’autres organisations fournissant des services publics pour délivrer les informations nécessaires aux citoyens, recevoir et délivrer les documents nécessaires à l’ouverture d’une procédure administrative ou délivrés au terme d’une telle procédure, et traiter les données personnelles liées à la fourniture d’une prestation de service public. Ces centres multifonctionnels ont pour objet de simplifier les démarches administratives lorsque l’intervention de ces différentes autorités administratives est nécessaire. Ils sont créés sous la forme d’établissements publics, autonomes ou non, de l’État ou des collectivités locales. Ils exercent leurs attributions sur la base des lois et règlements applicables à leurs prestations, mais aussi des règlements administratifs et des standards se rapportant aux services fournis. Cette version russe du « guichet unique » a 104 V. N. NAÏDENKO / Iu. A. TIKHOMIROV / T. Ia. KHABRIEVA (dir.), Правовые акты: антикоррупционный анализ, [Actes juridiques : l’analyse anticorruption], Moscou, WoltersKluwer, 2010, p. 129. Plus largement sur ce sujet, v. E. V. TALAPINA, Комментарий к законодательству Российской Федерации о противодействии коррупции [Commentaire de la législation de la Fédération de Russie contre la corruption], Moscou, Wolters Kluwers, 2010 : l’auteur commente la loi fédérale n° 273 du 25 décembre 2008 contre la corruption et présente les arrêtés du gouvernement fédéral n° 195 et 196 sur la mise en œuvre de l’expertise anti-corruption de la réglementation. 105 V. I. KOUZNETSOV, op. cit. pp. 64-65, 2010. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 83 été largement appliquée mais se heurte à des difficultés tenant aux relations entre les différentes administrations concernées106. Selon le professeur Khabrieva, l’amélioration de l’efficacité et de la qualité du fonctionnement de l’administration rend nécessaire l’adoption de règles de procédures permettant une direction plus rigoureuse de son activité, un meilleur contrôle, une amélioration de la qualité des décisions et de réduire le « potentiel de corruption » des décisions administrative107. Avec l’adoption de « règlements administratifs », il s’agit de l’introduction de règles formelles de procédure pour l’adoption des décisions administratives. D’après la définition qu’en donne le professeur Khabrieva, le « règlement administratif » ainsi compris est « l’acte juridique qui réglemente la partie processuelle de l’activité des organes du pouvoir exécutif, qui règle le fonctionnement (procédure administrative) de ces organes essentiellement dans leur activité interne »108. Mais, comme le remarque également le professeur Khabrieva, ces règlements administratifs sont tournés vers l’amélioration du fonctionnement interne de l’administration, ce qui prend en compte les relations avec les intéressés, tandis que dans les autres pays la législation sur la procédure administrative est tournée vers l’extérieur, c’est-à-dire vers la production de l’acte administratif, et elle assure la participation du citoyen à la détermination de l’acte par la réalisation de ses droits dans la procédure109. De ce point de vue, les règlements administratifs doivent être considérés comme une étape, qui pourra déboucher ultérieurement sur une loi. Si les règlements administratifs peuvent être un moyen adapté d’améliorer le fonctionnement de l’administration, ils sont insuffisants pour donner de véritable de garanties ; on ne peut exclure que leurs dispositions se trouvent en conflit avec d’autres dispositions occupant un rang plus élevé dans la hiérarchie des normes, dans tel ou tel domaine, qui tiendront en échec leur application. Même à l’étape actuelle, on peut se demander s’il est vraiment judicieux de regrouper dans un même texte des dispositions nombreuses et détaillées qui n’intéressent que l’organisation administrative, ses règles de fonctionnement interne et les relations entre organes d’État, d’une part, et les règles relatives à l’adoption des décisions, individuelles ou réglementaires qui constituent véritablement l’objet de la procédure administrative. Réunir ces règles dans un document séparé leur donnerait plus de visibilité et favoriserait leur diffusion. 106 Ibid. p. 43. T. Ia. KHABRIEVA, « Основные правовые асректы адмнистративной реформы в субъектах Российской Федерации » [Les bases juridiques de la réforme administrative en Russie], p. 20, in IZAK, Административная реформа в субъектах Российской Федерации [La réforme administrative dans les sujets de la Fédération], Moscou, 2008. 108 Ibid. p. 22. 109 Ibid. pp. 22-23. 107 84 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Enfin, il ne faut pas oublier qu’en Russie, c’est surtout au niveau des sujets de la Fédération que la procédure doit garantir les droits des citoyens. La plupart des procédures et des services publics sont en effet gérés par les sujets de la Fédération, par les collectivités locales. Sous l’impulsion du pouvoir fédéral, les sujets de la Fédération se sont engagés dans cette voie, parfois suivis par les villes importantes. 3. La loi du 27 juillet 2010 sur les services fournis par l’État et les collectivités locales La loi n° 210 du 27 juillet 2010 marque une étape importante. Elle constitue une synthèse législative des réformes de ces dernières années en ce qui concerne les rapports entre les usagers et l’administration, et pose les bases de l’informatisation de ces rapports. Cette loi n’est pas une loi de procédure mais contient des dispositions importantes en matière de procédure. Les services fournis par l’État et les collectivités locales, auxquels elle se rapporte, ne sont pas seulement des services publics entendus dans le sens de prestations matérielles, mais aussi la délivrance de documents administratifs ou des actes nécessaires à l’exercice de telle ou telle activité. Ce sont des « services » (usluga) dans la mesure où ils supposent une demande (zapros) de l’usager (zaïavitel’) (art. 2, 1° et 2°). La loi consacre aussi la place centrale des « règlements administratifs » et des « centres multifonctionnels » pour les services (au sens ci-dessus) fournis par les organes de l’État et des collectivités locales. Pour la fourniture de ces services, la loi comprend aussi les bases d’un système de procédure autorisant un contrôle sur le fonctionnement des organes de l’État ou des collectivités locales. L’article 4 définit les principes qui gouvernent la fourniture des services par les organes d’État ou les organes des collectivités locales : légalité ; l’initiative de l’usager ; la légalité des droits et redevances perçus pour le service rendu (v. également les articles 8 et 9) ; la transparence ; l’accessibilité ; la possibilité d’obtenir les services par voie électronique. L’article 5 définit, pour la première fois, les droits de l’usager : recevoir le service adéquat et selon le standard prévu ; recevoir une information « actuelle, complète et accessible » sur les conditions de fourniture du service ; la fourniture du service par voie électronique ou sous une autre forme au choix de l’usager ; le droit de former un recours administratif ; le droit d’obtenir les services fournis par les organes de l’État et les organes des collectivités locales à partir d’un centre multifonctionnel dès l’entrée en vigueur de l’accord qui l’établit. L’article 6 définit ensuite les obligations des organes qui fournissent les services relevant de l’État ou des collectivités locales ; ces obligations sont le miroir des droits des usagers, G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 85 mais il est indiqué que les services sont fournis conformément aux règlements administratifs. L’article 7 leur interdit de réclamer des pièces ou des informations, ou de faire des démarches qui ne sont pas prescrites par les dispositions applicables au service demandé. Le chapitre 3 est consacré aux règlements administratifs, qui doivent désormais régir les conditions dans lesquelles les différents services sont rendus aux usagers. Tous les règlements administratifs en vigueur devront être mis en conformité avec la nouvelle loi avant le 1er juillet 2012 (art. 29, par. 2). L’article 12 détermine la nouvelle structure que devront avoir les règlements administratifs : 1) dispositions générales ; 2) les standards du service ; 3) la procédure administrative ; 4) le contrôle de l’application du règlement administratif ; 5) les recours administratifs. En ce qui concerne l’élaboration des règlements administratifs, la loi prévoit la publication sur le site internet de l’organe du projet de règlement de manière à permettre à l’expertise indépendante de s’exprimer pendant le délai fixé ; les conclusions en sont transmises à l’organe qui est l’auteur du projet mais la loi ne précise pas qui établit ces conclusions (art. 13). La loi précise en revanche ce que sont les standards que doit fixer le règlement administratif (art. 14) : parmi les éléments qu’ils doivent comporter figurent les délais, la liste exclusive des documents à produire selon les dispositions applicables au service demandé, la liste exclusive des motifs de rejet de la demande, le montant des droits à acquitter si les dispositions applicables le prévoient, des conditions relatives à l’accueil des usagers et enfin des indicateurs de performance et de qualité ; chaque organe peut ajouter dans le règlement les indicateurs spécifiques correspondant aux services fournis. Tout en laissant un large pouvoir discrétionnaire aux différents organes d’État qui élaborent les règlements administratifs, la loi du 27 juillet 2010 représente un progrès notable en matière de procédure administrative. Le chapitre 4, consacré aux centres multifonctionnels, développe leur statut juridique, au-delà des dispositions assez générales de la loi de 2008. Dans la mesure où ils y sont habilités, ce sont eux qui doivent fournir le service demandé par l’usager, même si cela requiert l’intervention d’administrations différentes. La loi précise que les services offerts par les centres multifonctionnels doivent être fondés sur un accord entre les organes d’État et les organes des collectivités locales, selon des modalités devant être fixées par un arrêté du gouvernement fédéral (art. 15). Cependant, l’administration fédérale semble devoir jouer un rôle prépondérant dans les centres multifonctionnels : ce sont des organes fédéraux du pouvoir exécutif habilités par le gouvernement qui doivent établir les directives relatives à leur établissement, le règlement type de ces centres, leur régime comptable, leur direction (art. 16). Les centres multifonctionnels sont des interfaces entre les usagers et les organes compétents – ils ont à représenter, selon la 86 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE loi, les intérêts des usagers mais aussi ceux de ces organes. Ils reçoivent les demandes des usagers, leur remettent les documents ou actes qu’ils ont demandés au terme de la procédure ; ils élaborent des informations et peuvent réclamer des documents et des informations aux organes qu’ils représentent ; ils doivent coopérer avec ces derniers selon des règles fixées par l’accord passé avec eux (art. 18). Les centres multifonctionnels sont nés de la volonté de simplifier les démarches administratives des usagers, individus ou entreprises en confiant à un service spécialisé le soin de contacter tous les services devant intervenir dans une procédure. Cependant, deux questions au moins se posent avec le développement de cette institution. Tout d’abord, il ne faudrait pas que les centres multifonctionnels deviennent un écran entre l’usager et l’organe responsable, faisant obstacle à ce que l’usager puisse participer à la procédure s’il l’estime nécessaire. Rien dans la loi ne garantit que ce risque sera toujours évité. Ensuite, un recours éventuel ne devra pas être adressé au centre multifonctionnel mais à l’autorité supérieure de l’organe qui aura, par exemple, pris la décision. Mais il se peut que le centre multifonctionnel puisse aussi être mis en cause pour la façon dont il aura rempli sa mission. La loi du 27 juillet 2010 fixe aussi le régime d’une autre mesure, audacieuse, de simplification administrative : la « carte électronique universelle » (chap. 6). Il s’agit d’une carte électronique nominative contenant les informations relatives à son utilisateur et pouvant être utilisée pour l’accès à ses différents droits et à différents services (art. 22). Les informations pouvant être contenues dans la carte doivent être fixées par la loi. Cette nouvelle procédure mériterait à elle-seule une étude complète ; si elle est en effet de nature à faciliter l’accès à de nombreux services, elle appelle aussi une attention particulière à la protection des données personnelles. C. – Procédure administrative et pouvoir de sanction En Russie, c’est essentiellement avec le droit des sanctions administratives, prononcées en cas de contraventions administratives (administrativnoe pravonaruchenie) que la notion de procédure administrative est réapparue, à l’époque soviétique, au début des années soixante, comme une exigence de l’exercice du pouvoir de sanction, lequel pouvait être assimilé, sur le plan matériel, à la fonction d’un juge. La responsabilité administrative est en effet une ancienne institution soviétique, régie en dernier lieu par une loi de 1980 qui en fixait les bases pour l’ensemble de l’URSS, et par les codes adoptés dans les différentes G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 87 républiques soviétiques110. L’importance reconnue à cette matière jusqu’à aujourd’hui et l’existence d’une législation spécifique expliquent qu’elle soit considérée comme un domaine distinct de la procédure administrative111. En Europe occidentale, le développement du libéralisme a longtemps contribué à réduire le domaine des sanctions administratives au profit de la procédure pénale, bénéficiant des garanties que comporte l’intervention d’un juge. Quelques pays ont une loi générale sur les contraventions administratives, mais tous connaissent aujourd’hui un nouveau développement des sanctions administratives, notamment en matière économique. 1. Russie : l’évolution de la « responsabilité administrative » Cette législation s’exprime dans un texte très important, le Code des contraventions administratives de la Fédération de Russie. Le code actuel est issu de la loi n° 195 du 31 décembre 2001 et a connu depuis de nombreuses modifications112. La contravention administrative est définie comme « l’action ou l’inaction illicite et fautive d’une personne physique ou morale » sanctionnée, selon le Code – ou la loi du sujet de la Fédération sur les contraventions administratives – par la mise en jeu de la « responsabilité administrative » (Code, art. 2.1). La « responsabilité administrative » (administrativnaïa otvetstvennost’) ne signifie pas ici la responsabilité de l’administration envers le sujet de droit ayant subi un dommage de son fait, mais au contraire la responsabilité du citoyen – de la personne morale – envers l’administration pour la faute qu’il a commise ; cette faute peut être intentionnelle ou non intentionnelle et résulter seulement de la négligence. Elle donne lieu par une sanction administrative, dont l’échelle est fixée par la loi et qui peut aller du simple avertissement à la suspension de l’activité exercée et à la détention administrative, en passant par des amendes (Code, art. 3.2)113. Les sanctions sont prononcées, selon les cas, par une autorité administrative ou par un tribunal ; seul un tribunal peut prononcer une peine de détention administrative114. 110 M. LESAGE, L’administration soviétique, Paris, Economica, 1981, p. 78. Le dernier Code des contraventions, pour la République de Russie au sein de l’ancienne Union soviétique datait de 1984. 111 N. V. SOUKHAREVA / B. I. KOUZNETSOV, 2010, op. cit. pp. 628-629. Les auteurs rappellent le rôle en ce domaine des professeurs Salichtcheva et Kotiourguine. 112 V. en particulier : A. F. NOZDRATCHEV (dir.), Комментарий к Кодексу Российской Федерации об администравных нарушениях [Commentaire du Code de la Fédération de Russie sur les contraventions administratives], Moscou, Ed. Iouraït, 2010. 113 Ibid. pp. 58-59, et p. 83. 114 En raison de l’article 22 de la Constitution qui réserve aux tribunaux le pouvoir de prononcer des peines privatives de liberté. Cf A. F. NOZDRATCHEV (dir.), op. cit. p. 99. 88 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Le nouveau Code a étendu la compétence des tribunaux pour prononcer les sanctions et renforcé les garanties de procédure115. Le chapitre 23 du Code précise, par renvoi à des listes d’articles, quelles sont les autorités compétentes pour prononcer les sanctions dans les différents domaines, et en particulier l’article 23.1 donne la liste des infractions qui doivent être jugées par un tribunal. Désormais, la sanction est toujours susceptible d’appel à un tribunal (art. 30.1). Enfin, la quatrième partie du Code est consacrée à la procédure et comprend plusieurs chapitres qui, notamment, définissent les parties à la procédure (chap. 25), les règles de preuve (chap. 26), les mesures provisoires qui peuvent être prises pour prévenir ou faire cesser l’infraction (chap. 27), le déclenchement de la procédure et en particulier la liste exclusive des autorités pouvant dresser un procès-verbal d’infraction ainsi que les cas dans lesquels, pour des contraventions mineures, le constat de l’infraction est immédiatement suivi de la sanction (avertissement ou paiement de l’amende) (chap. 28), l’examen de l’affaire par le tribunal ou par l’autorité administrative selon les cas, avec notamment une procédure de récusation (art. 29.3) et l’audition des intéressés (art. 29.7, par. 2), l’établissement de la décision qui clôt la procédure (art. 29.9). La cinquième partie porte sur l’exécution des décisions. Selon Mme Pankova, la responsabilité administrative est « une forme de coercition administrative et en même temps l’une des formes de la responsabilité juridique »116. Elle prend place à côté de la responsabilité pénale, souvent prévue dans les mêmes domaines pour des infractions plus graves. Si les infractions routières (chap. 12) et les troubles à l’ordre public (chap. 20) demeurent quantitativement les domaines d’élection de la « responsabilité administrative », la loi du 31 décembre 2001 et les modifications intervenues depuis en ont sans cesse étendu le régime à de nouveaux domaines, tels que la protection de l’environnement (chap. 8), les communications électroniques (chap. 13), les infractions à la réglementation économique et commerciale et à la protection des consommateurs (chap. 14), les infractions à la réglementation des marchés financiers (chap. 15). C’est aussi l’évolution du cadre juridique de l’économie qui explique la plupart des modifications du Code intervenues depuis son entrée en vigueur en 2002. Les nombreuses lois spéciales intervenues dans ces domaines ont été suivies de modifications du Code des contraventions administratives pour y introduire de nouvelles infractions permettant de sanctionner la violation de leurs dispositions. Comme le souligne le professeur Nozdratchev, la tendance caractéristique des dernières années a 115 O. V. PANKOVA, Настольная книга судьи по делам об административных правонарошениях [Mémento du juge pour les affaires de contraventions administratives], N. G. SALICHTCHEVA (dir.), Moscou, Ed. Prospekt, 2009, p. 5. 116 Ibid. p. 9. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 89 été le renforcement de la responsabilité administrative par la création de nouvelles sanctions et l’alourdissement des amendes administratives, aussi bien pour les personnes physiques que pour les personnes morales117. Les deux nouvelles sanctions sont la « disqualification » et la « suspension d’activité ». L’une et l’autre ne peuvent être prononcées que par un tribunal, à titre de sanction principale et seulement dans les cas prévus par le Code. La disqualification est une interdiction d’exercer certaines fonctions : des fonctions publiques, mais aussi des fonctions de direction dans des entreprises ou d’autres personnes morales ; elle peut être prononcée pour une durée de 6 mois à 3 ans (art. 3.11) en cas d’infraction à la législation du travail et à la protection du travail, de faillite frauduleuse, notamment118. La suspension d’activité peut être prononcée si l’activité exercée présente un risque pour la sécurité des personnes, et pour une durée maximale de 90 jours ; cette durée peut être ultérieurement réduite par le tribunal si les circonstances le permettent (art. 3.12). Il nous semble que la suspension d’activité devrait cependant être considérée comme une mesure de police visant à faire cesser ou à prévenir un risque plutôt que comme une sanction, et à ce titre elle devrait aussi pouvoir être prononcée par une autorité administrative sous le contrôle du juge. Cette évolution change dans certains cas la fonction de l’institution. Notamment en matière d’infractions économiques, la responsabilité administrative devient parfois indépendante de la responsabilité pénale, et elle tend même à s’y substituer dans un mouvement de « dépénalisation » de la réglementation économique119, que l’on relève aussi dans les pays d’Europe occidentale. L’une des conséquences de cet élargissement du champ de la responsabilité administrative est le nombre croissant d’infractions administratives qui visent des personnes morales et des fonctionnaires. Le développement de la réglementation économique qui accompagne l’organisation du marché donne lieu à la définition de nombreuses infractions nouvelles, qui débouchent sur des sanctions frappant les entreprises qui les commettent. On trouve en particulier au chapitre 14 les dispositions relatives à la répression des ententes, de l’abus de position dominante et de la concurrence déloyale, introduites à la suite de la loi n° 135 du 26 juillet 2006 (not. art. 14.31, 14.31.1 et 14.32, lois n° 45 du 9 avril 2007 et n° 160 du 17 juillet 2009). Les sanctions sont prononcées par le Service fédéral anti-monopole (FAS)120. De même, dans le chapitre 15, l’article 15.29 sanctionne la violation des règles qui s’imposent aux 117 A. F. NOZDRATCHEV, op. cit. 2010, p. 23. Ibid. p. 104. Ibid. p. 23. 120 Ibid. pp. 795-796 et p. 1256. 118 119 90 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE opérateurs professionnels sur les marchés financiers et l’article 15.30 la manipulation des cours ; les sanctions sont prononcées par le Service fédéral des marchés financiers (FSFR)121. La définition de nouveaux cas de « responsabilité administrative » est aussi le moyen couramment utilisé pour sanctionner des comportements fautifs de la part des fonctionnaires. De telles infractions ont toujours existé, y compris à l’époque soviétique, comme un moyen de matérialiser la responsabilité des cadres dirigeants. Mais les nouveaux domaines couverts par le Code des contraventions administratives ont conduit à en multiplier les cas ; on en trouve de nombreux exemples dans le chapitre 8 en matière de protection de l’environnement et des ressources naturelles. La responsabilité des personnes physiques et celle des personnes morales ne sont pas exclusives l’une de l’autre dans l’application du Code des contraventions administratives, mais les personnes morales peuvent être exonérées en apportant la preuve que l’infraction commise était hors de leur contrôle, bien que les mesures qui leur incombaient aient été prises. Les personnes morales peuvent être des organismes publics, tels que des entreprises ou des établissements publics de l’État ou des collectivités locales, mais non des organes d’État ou des organes des collectivités locales122. Cependant, la législation sur les contraventions administratives et les législations sectorielles sont souvent mal harmonisées, en partie parce qu’elles sont trop souvent modifiées, et il en résulte des contradictions et de réelles difficultés d’application (par exemple entre le Code des contraventions administratives et le Code fiscal123). On retrouve une législation sur les contraventions administratives dans les pays issus de l’ancienne Union soviétique et dans la plupart des pays qui ont fait partie du bloc soviétique, mais ce système de répression administrative est aujourd’hui passé, comme en Russie, sous le contrôle des tribunaux. Sous sa forme actuelle et avec les garanties procédurales qu’il comporte désormais, le Code des contraventions administratives offre un exemple intéressant de codification des sanctions administratives, une catégorie qui, dans les pays d’Europe de l’ouest, après avoir décliné au profit de la répression pénale avec les progrès du libéralisme, connaît de nouveau un développement important depuis deux ou trois décennies. 121 Ibid. p. 902 et s., et p. 1254. Ibid. p. 46 et pp. 59-60. 123 O. V. PANKOVA, op. cit. p. 19 et s. 122 G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 91 2. Le retour des sanctions administratives et la question de la procédure dans les pays d’Europe occidentale Quelques pays d’Europe occidentale ont une législation sur les sanctions administratives. Mais cette législation porte habituellement sur l’attribution du pouvoir de sanction, sur la procédure, la prescription, non sur la définition des infractions ni sur la fixation des sanctions. Par exemple, en Espagne, la LPC124 comporte un titre IX consacré au pouvoir de sanction, complété par un décret royal 1398/1993 du 4 août qui précise les dispositions de la loi sur certains points (par exemple l’instruction)125. De même aux Pays-Bas, le nouveau chapitre 5 (« quatrième tranche », ajoutée par une loi de 2004) de la loi générale sur le droit administratif (Algemene wet bestuursrecht) règle la procédure relative au prononcé de sanctions administratives et à la nature des sanctions, mais ne définit pas les infractions. En Allemagne, en revanche, il existe une loi de 1968 sur les contraventions (Ordnungswidrigkeiten), republiée en 1987, qui donne une définition étroite de la contravention : c’est un acte illicite et intentionnel sanctionné par la loi par une amende, qui peut être prononcée par une autorité administrative, ou par un tribunal lorsque la loi le prévoit ; toutefois, les articles 111 à 130 définissent quatre catégories de contraventions et les amendes, parfois lourdes, qui peuvent être infligées, et notamment : la dissimulation d’identité à une autorité administrative, divers troubles à l’ordre public, l’usage abusif d’insignes officiels, la falsification de documents et la diffusion de faux billets, sans préjudice des poursuites pénales. En France, les contraventions sont des infractions pénales et la procédure qui leur est applicable est réglée par le Code de procédure pénale ; les sanctions sont prononcées par le tribunal de police ; mais il existe de nombreuses contraventions définies par des lois spéciales ou par des décrets réglementaires pour autant que la sanction ne comporte pas de peines privatives de liberté. Le développement des sanctions administratives depuis quelques années n’a pas fait l’objet d’une législation particulière, mais il est étranger au domaine des contraventions ; un recours juridictionnel est toujours ouvert contre la décision de sanction. En revanche, en Italie, a été poursuivie une politique dite de dépénalisation qui a consisté à substituer des infractions administratives, donnant lieu à des sanctions administratives, à des infractions pénales (loi n° 689 du 24 novembre 1981 ; loi de délégation n° 205 du 25 juin 1999 ; décret législatif n° 507 du 30 décembre 1999). 124 LPC : Ley de Régimen Jurídico de las Administraciones Públicas y del Procedimiento Administrativo Común. 125 E. GARCÍA de ENTERRÍA, op. cit. t. 2, p. 184 et s. 92 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Mais l’essentiel est ailleurs. En dehors des domaines où se sont depuis longtemps maintenues les sanctions administratives, on observe dans tous les pays le retour de celles-ci avec les politiques de libéralisation qui ont été mises en œuvre sous l’impulsion de l’Union européenne, et la répression administrative supplante aujourd’hui dans ces domaines la répression pénale. C’est d’abord le cas pour la police de la concurrence : sous le contrôle du juge, ce sont les autorités de concurrence qui sont chargées, au niveau communautaire (Commission européenne) et au niveau national, de faire cesser et de sanctionner les atteintes aux règles générales de concurrence, notamment l’interdiction des ententes et de l’abus de position dominante. C’est ensuite la régulation sectorielle : la construction du marché là où il n’existait pas et la poursuite, cependant, de politiques publiques, nationales ou communautaires, dont les objectifs doivent prévaloir, le cas échéant, sur la logique de marché, s’accompagnent de la mise en place d’autorités de régulation dotées de pouvoirs de sanction. Toutes les industries de réseau ont aujourd’hui donné lieu à de telles législations et à la mise en place de ces autorités sectorielles dans les pays de l’Union européenne. Cette évolution s’est opérée sous le contrôle des cours constitutionnelles, des juridictions administratives, de la Cour de Justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Pour cette dernière, les sanctions administratives relèvent de la matière pénale et doivent donc donner lieu à un recours de pleine juridiction devant un tribunal indépendant et impartial, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; la procédure administrative est conforme à l’article 6, paragraphe 1, si la décision de sanction peut faire l’objet d’un recours juridictionnel répondant à ses exigences. En France, cependant, les jurisprudences du Conseil d’État et de la Cour de cassation ont imposé le respect de la plupart de ces exigences dès le stade de la procédure administrative. En Allemagne, en revanche, la Convention n’a guère tenu de place dans les discussions sur les modalités de la régulation, et ce sont les principes constitutionnels et les règles générales de la procédure administrative qui ont servi de référence à l’exercice de ce nouveau pouvoir de sanction126. On peut expliquer ce retour des sanctions administratives par trois considérations : 1) la rapidité, par rapport à une procédure pénale ordinaire ; 2) l’expertise du domaine considéré par les membres des autorités chargées 126 On ne peut entrer ici davantage dans le détail, et on renvoie à nos travaux antérieurs sur ces sujets : G. MARCOU / F. MODERNE (dir.), Droit de la régulation, service public et intégration régionale, coll. « Logiques juridiques », Paris, L’Harmattan, 2 vol., 2005 ; G. MARCOU / J. MASING (dir.), Le modèle des autorités indépendantes de régulation en Allemagne et en France, Paris, Société de législation comparée, 2011 (éd. allemande : Tubigen, J.C.B. Mohr, 2010). G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 93 de prononcer les sanctions (également, pour les régulations sectorielles, le règlement de différends) ; 3) par voie de conséquence, une plus grande efficacité par rapport au rythme de la vie économique, y compris avec des sanctions souvent plus lourdes que les peines que pourraient prononcer le juge pénal ; 4) mais c’est aussi le reflet d’une tendance diffuse à la « dépénalisation » des infractions économiques : il est moins infâmant d’être condamné à une amende administrative par un instance spécialisée que de comparaître devant un juge chargé de tous les délits de droit commun. Cette orientation, comme on l’a vu, se retrouve aussi en Russie. D. – Principes généraux de la procédure administrative La codification de la procédure administrative, telle qu’on l’a entendue plus haut, ne porte pas sur les sanctions administratives, mais sur l’édiction des actes administratifs et sur les recours. Bien que le sujet soit plus large, on se limitera ici aux procédures relatives à des actes administratifs individuels. En raison de la convergence qui s’opère entre les États européens en vue de réaliser les valeurs d’un État de droit, et de la meilleure connaissance réciproque des expériences et des systèmes juridiques, il n’est pas surprenant que l’on puisse relever également une forte convergence entre les droits administratifs européens en matière de procédure administrative. Il existe également une convergence, comme on aura eu l’occasion de le remarquer dans ce qui précède, dans le fait que la procédure administrative est dans une large mesure garantie et précisée par la jurisprudence à l’occasion de recours mettant en cause son application. On ne sera pas surpris que ce soit des auteurs français et britanniques qui aient le plus insisté sur la valeur de la jurisprudence en matière de procédure administrative. « The administrative process is shaped not only by executive and legislature but also by courts » : cette formule de Carol Harlow et Richard Rawlings127 pourrait être étendue à tous les États, à des degrés divers bien sûr. Sa valeur est soutenue par le constat d’expérience que le respect de la procédure administrative par les autorités administratives ne peut être garanti que par un juge. Les progrès de la procédure administrative sont donc solidaires des progrès de la justice administrative. L’intérêt de ces convergences est qu’elles permettent d’élaborer plus facilement une loi sur la procédure administrative, en se fondant sur les diverses expériences connues et en tenant compte des particularités du système juridique et du système administratif de chaque pays. 127 Op. cit. p. 616. 94 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE On pouvait autrefois distinguer les régimes de procédure administrative en opposant les régimes fondés sur une conception subjective de la relation entre l’administration et le sujet de droit et ceux qui étaient fondés sur une conception objective, c’est-à-dire le droit de tout intéressé à réclamer le respect du droit. L’exemple le plus typique des premiers est sans aucun doute la loi autrichienne sur la procédure administrative, qui est fondée sur la notion de « partie », laquelle tend à établir l’égalité entre le requérant et l’administration dans le procès administratif ; cette conception se reflète toujours dans la terminologie de la loi autrichienne, et dans d’autres lois, comme la loi polonaise sur la procédure administrative (l’article 28 de cette loi reste très proche de l’article 8 de la loi autrichienne). L’exemple le plus typique des seconds est certainement la France, où c’est le juge administratif, garant du respect de la légalité par l’administration, qui est l’origine des principes de la procédure administrative, mais dans un cadre juridique qui supposait une certaine inégalité entre le requérant et l’administration. Cette distinction s’est cependant aujourd’hui beaucoup atténuée ; la satisfaction du justiciable, si ses demandes sont fondées, est aujourd’hui passée au premier rang des objectifs de la procédure administrative comme des objectifs de la procédure contentieuse. En outre, l’application de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui impose, selon l’interprétation que la Cour donne de l’article 6, l’égalité des armes entre les parties au procès, ne peut manquer d’avoir des prolongements dans la procédure administrative. Les législations sur la procédure administrative règlent toutes au moins les questions suivantes : - L’ouverture de la procédure, à l’initiative de l’intéressé ou d’office par l’administration ; elle est en général peu formaliste en ce qui concerne la demande de l’intéressé, mais elle doit l’être quand elle procède de l’initiative de l’administration ; - La possibilité pour l’intéressé de se faire assister ou représenter ; - Le droit d’être entendu ou de faire des communications écrites quand la procédure est ouverte à l’initiative de l’administration ; - L’accès au dossier ; - L’instruction, qui est contradictoire, lorsqu’elle est nécessaire ; - Les questions de preuve : témoignages, expertises, etc. ; - Les délais de procédure ; - Le règlement des questions de compétence entre autorités administratives ; - La décision finale ; - Les conditions de la motivation de la décision ; - Les formes et la publicité de la décision ; G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 95 - Le retrait ou l’abrogation de la décision ; - L’information de l’intéressé sur ses droits à chaque stade de la procédure ; - Les voies de recours ; - Les conditions de réouverture de la procédure. À partir de ce contenu de base, il existe une assez grande variété entre les lois ou codes de procédure administrative, notamment quant au domaine couvert128. Certaines lois ou certains codes ne traitent que des décisions administratives individuelles (Autriche, Pologne, Suède). D’autres s’étendent à des procédures aménageant la participation du public à certaines procédures de décision (Allemagne : procédures de décisions sur des projets d’ouvrages ou d’équipement – Planfeststellungsverfahren). D’autres encore contiennent également des dispositions sur l’élaboration et l’adoption des actes réglementaires (Espagne, Portugal). La loi néerlandaise sur le droit administratif s’étend à la codification des grands principes du droit administratif matériel. Enfin, dans certains pays il n’existe qu’une législation partielle, une grande partie des règles de la procédure administrative ayant été fixées par la jurisprudence (France, Royaume-Uni – dans ce dernier cas en particulier pour les enquêtes publiques). La loi italienne (1990/241) règle la procédure relative aux décisions individuelles ou aux déclarations administratives, ainsi que la collaboration par voie d’accords entre administrations publiques. Certaines particularités propres à certains systèmes méritent de retenir l’attention. On laissera cependant de côté les procédures relatives à la participation du public à certaines décisions, notamment en matière d’urbanisme ou d’environnement, faute de place pour les présenter. L’Allemagne se distingue notamment par le fait que le contredit (Widerspruch), c’est-à-dire la demande que soit annulé ou modifié l’acte administratif (loi sur la juridiction administrative – Verwaltungsgerichtsordnung – VwGO : §§70-73), comme le recours en annulation devant le tribunal administratif, entraîne la suspension de l’acte contesté ; cependant les exceptions sont assez nombreuses dans l’intérêt public (§80). On remarquera que le contredit n’est pas régi par les dispositions de la loi sur la procédure administrative mais par la loi sur la juridiction administrative. Il se présente en effet comme faisant partie de la procédure préalable avant que ne soit engagée une procédure juridictionnelle. L’effet suspensif du recours existe aussi en Autriche ; toutefois, l’autorité administrative peut l’exclure si la suspension de l’acte est de nature à menacer gravement l’intérêt public ou l’intérêt d’une des parties (Allgemeines Verwaltungsverfahrensgesetz : § 64). 128 M. FROMONT, Droit administratif des États européens, Paris, PUF, 2006, pp. 212-214. 96 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Dans certains cas, l’acte administratif individuel peut être substitué par un contrat administratif. Cette possibilité est prévue par la loi allemande sur la procédure administrative : un contrat de droit public peut être signé entre l’autorité administrative et l’intéressé pour mettre fin à l’incertitude d’une situation juridique ou quand le signataire s’engage à une contrepartie qui concourt à l’exécution de sa mission par l’autorité administrative (§§ 54-58). Elle a été reprise par la loi italienne sur la procédure administrative dans des termes plus larges, pour déterminer, dans les cas prévus par la loi, le contenu discrétionnaire qui pourrait faire l’objet d’un acte unilatéral (loi n° 241, 7 août 1990, modifiée, art. 11), et par la loi polonaise sur la procédure administrative (loi du 14 juin 1960, modifiée notamment en 2000 et depuis : art. 114 et s. : accord – ugoda – entre le sujet de droit et l’autorité administrative compétente), qui l’autorise sans autre restriction que le respect de la loi et des droits des tiers ; cet accord est alors soumis au régime des actes administratifs pour tout ce qui n’est pas prévu par le code à propos de ces accords. En présence de l’inaction ou du silence de l’administration, deux types de solution se rencontrent dans le droit de la procédure des différents pays. La première solution consiste à permettre de faire un recours à un juge pour qu’il ordonne à l’administration de prendre la mesure : la seconde consiste à considérer que le silence de l’administration a pour effet de produire une décision. La première solution est la plus ancienne : c’était l’un des prerogative remedies de l’ancien droit anglais, le mandamus ; c’est toujours l’un des pouvoirs du juge dans le cadre du judicial review moderne. C’est aussi ce que prévoient certaines législations. Ainsi la loi allemande prévoit-elle un recours tendant à faire condamner l’administration à prendre une décision qu’elle a l’obligation de prendre (VwGO : § 42). Le tribunal peut être saisi trois mois après le contredit ou après la demande que soit prise une décision déterminée ; il fixe le délai dans lequel la décision attendue doit être prise ; si l’abstention de l’administration est illégale et viole un droit du demandeur, le tribunal prononce l’obligation pour l’administration de prendre la décision demandée si le dossier est en état ; à défaut elle doit se prononcer selon l’appréciation du tribunal (§ 75). En Russie, en cas de carence de l’administration, le Code de procédure civile (art. 258.2) et le Code de la procédure d’arbitrage129 (art. 201.5, 3°) donnent aux tribunaux le pouvoir de prononcer l’obligation de prendre les mesures demandées dans les délais qu’ils fixent. 129 Les tribunaux d’arbitrage forment un ordre de juridiction spécialisé dans le contentieux économique et doté de sa propre Cour suprême. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 97 En France, le principe demeure que le silence de l’administration (pendant deux mois) donne naissance à une décision administrative de rejet, que l’on peut contester devant le juge administratif (ou au préalable par un recours hiérarchique), sauf dans les cas où la loi prévoit que le silence de l’administration vaut acceptation de la demande (loi du 12 avril 2000, art. 21 et 22)130. En revanche la loi espagnole et la loi italienne posent un principe inverse. Selon la loi espagnole (LPC : art. 43), le silence de l’administration vaut acceptation de la demande, sauf si une loi ou une disposition du droit communautaire en dispose autrement et dans le cas où la procédure est ouverte à l’initiative de l’administration en vue d’une décision accordant des droits ou établissant la situation juridique d’une personne (art. 44). La loi italienne sur la procédure administrative (n° 241 de 1990, modifiée, art. 20) pose également le principe que le silence de l’administration vaut acceptation de la demande, à moins, notamment, que l’administration n’ait fait connaître dans le délai prévu qu’elle se réservait de prendre une décision expresse ou n’ait engagé une procédure d’examen de la demande par une conférence de service. Le régime de la décision implicite présente un avantage important sur la solution du recours au juge pour lui demander une injonction ou de prononcer l’obligation de l’administration. Une telle mesure n’est possible qu’en présence d’une compétence liée, au moins si l’injonction est de prendre la décision dans un sens déterminé. Au contraire, le régime de la décision implicite est applicable même dans le cas où l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation. En outre, dans le cas de la décision implicite d’acceptation, la procédure est close sans qu’il soit besoin de saisir le juge. Enfin, des politiques de simplifications administratives peuvent alléger l’application de la procédure administrative tout simplement en supprimant l’exigence de certaines décisions administratives. La révision périodique de la législation et de la réglementation en vigueur est une nécessité pour éliminer des procédures devenues inutiles et qui pèsent sur l’économie. L’un des exemples les plus typiques de telles politiques, et des problèmes qu’elles posent, est celui de la loi n° 15 du 11 février 2005 (modifiant la loi 241/1990 déjà citée) complétée et modifiée par le décret législatif n° 35 du 14 mars 2005 et la loi de ratification n° 80 du 14 mai 2005. Cette loi : - Généralise la règle selon laquelle le silence de l’administration vaut acceptation de la demande, sauf les exclusions prévues par la loi ou résultant du droit communautaire ; toutefois l’administration peut s’opposer, dans un 130 V. l’article de Paul CASSIA dans ce volume, p. 195 et s. 98 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE délai de 90 jours de la demande, à l’application de cette règle ; l’administration peut aussi décider de renvoyer la demande à une « conférence de service » (cf supra) ; - Remplace par une obligation de déclaration, assortie de pouvoirs de contrôle a posteriori de l’administration, toutes les autorisations, licences, concessions ou obligations d’inscription auxquelles était subordonnée l’exercice d’une activité entrepreneuriale, commerciale ou artisanale, lorsque ces actes étaient seulement subordonnées à des conditions légales, sauf dans certains domaines énumérés par la loi (défense nationale, environnement, patrimoine culturel et paysager…) ; - Remplace la production des pièces établissant divers titres et qualités dans le cadre d’une procédure par l’« auto-certification », c’est-àdire par l’obligation pour l’administration de rechercher elle-même ces informations lorsqu’elles sont déjà en sa possession, ou celle d’une autre administration auprès de laquelle elle doit les obtenir ; - Permet à l’autorité responsable de la procédure de faire appel à d’autres organismes publics que ceux prévus pour produire les évaluations techniques auxquelles l’édiction d’un acte administratif est subordonnée. Toutefois, la mise en œuvre de ces dispositions, comme d’ailleurs pour la mise en œuvre de la règle du silence-consentement en Espagne, a soulevé plusieurs difficultés. Tout d’abord, en ce qui concerne cette dernière règle, diverses interventions législatives ou réglementaires ont multiplié les exceptions, si bien que la situation n’est plus si différente de celle du droit français, qui pose le principe inverse (le silence vaut décision de rejet, mais la loi prévoit qu’il vaut acceptation dans les cas qu’elle détermine – par exemple pour l’octroi d’un permis de construire). En second lieu, l’étendue du régime déclaratif est incertaine, car les exceptions sont largement formulées et surtout soulève des difficultés liés à l’ « autocertification », qui peut rendre difficile à l’administration de faire les vérifications dans le délai pendant lequel elle peut s’opposer au commencement de l’activité pour nonconformité aux exigences légales. De telles mesures sont de nature à alléger les coûts administratifs pour l’État comme pour les entreprises, mais leur adoption ne peut pas être décidée seulement pour ce motif. Il faut que des procédures de contrôle adaptées soient mises en place pour prévenir ou réprimer les fraudes, et éviter, selon les mots du professeur Erminio Ferrari, que l’« inertie du contrôle » ne succède à l’« inertie de la décision »131, avec les coûts pour la collectivité que cela peut comporter. Autrement dit, les mesures de simplification de la réglementation doivent être accompagnées de mesures 131 E. FERRARI, « Dall’inerzia nel provvedere all’inerzia del vigilare », in V. PARISIO (dir.), Silenzio e procedimento amministrativo in Europa : una comparazione tra diverse esperienze, Milan, Giuffré, 2006, pp. 99-117. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 99 de réformes administratives pour adapter l’administration à ses nouvelles missions. CONCLUSION Avec toute la prudence qui s’impose, la confrontation du droit russe avec les droits des pays qui ont été pris en compte dans cette comparaison permet de proposer en conclusion quelques pistes pour le développement du droit administratif et de la procédure administrative en Russie. On relèvera tout d’abord que les questions fondamentales concernant la définition de l’acte administratif, les rapports entre la loi, le règlement et les mesures d’application concrète, le besoin d’une véritable procédure administrative se posent aujourd’hui dans des termes très proches en Russie et dans les autres pays européens. La Russie est membre du Conseil de l’Europe et elle est liée par toutes les conventions signées dans le cadre du Conseil de l’Europe, en premier lieu par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle en partage donc les valeurs avec les autres États européens. L’étude de la production des actes réglementaires a montré qu’il serait utile de simplifier la hiérarchie des actes réglementaires, quant aux autorités habilitées et quant à leur objet. Au niveau de l’État, il ne devrait exister qu’une seule autorité dotée du pouvoir général d’édicter des règlements affectant les tiers, pour la Fédération, d’une part, pour chaque sujet de la Fédération d’autre part, sous réserve des compétences des administrations directement placées sous l’autorité du Président de la Fédération de Russie. La distinction entre les actes réglementaires qui affectent les sujets de droit et ceux qui portent seulement sur des questions d’organisation interne, de gestion des moyens et sur des directives politiques est importante. Pour ceux de la première catégorie, il importe que soit assurée une concentration suffisante du pouvoir réglementaire. C’est la seule façon d’éviter des contradictions entre les réglementations sectorielles et surtout de freiner la prolifération de celles-ci. En dehors de l’autorité titulaire du pouvoir réglementaire général, seule la loi devrait pouvoir habiliter d’autres autorités administratives à adopter des règlements dans des domaines précis et limités. Les réformes mises en œuvre depuis 2004 ont permis de renforcer la concentration du pouvoir réglementaire en prenant appui sur les ministres, et de fixer les limites des pouvoirs des différents organes du pouvoir exécutif. Malgré les améliorations réalisées depuis 2004, il semble encore nécessaire de perfectionner le travail interministériel pour assurer la cohérence de l’action administrative et des normes. 100 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Les règlements administratifs préparés dans le cadre des ministères fédéraux représentent un progrès important pour améliorer la qualité de la préparation des décisions et organiser des recours administratifs donnant des garanties aux citoyens, mais ils devraient être suivis de l’élaboration d’une véritable législation sur la procédure administrative. Celle-ci donnerait une force juridique supérieure aux règles de procédure et permettrait leur unification. La loi du 27 juillet 2010 sur les services fournis par l’État (organes fédéraux et sujets de la Fédération) et les collectivités locales constitue un pas important dans cette direction. L’expérience internationale montre qu’un certain nombre de principes généraux sont aujourd’hui communément admis et doivent s’appliquer à toutes les administrations. Quant aux modalités de mise en œuvre, on doit prendre en compte le risque que les règlements administratifs ne fassent apparaître des disparités qui n’ont d’autre raison d’être que la commodité de l’administration qui est l’auteur de ces règlements. En effet, les arrêtés du gouvernement fédéral ont imposé un plan uniforme pour l’écriture de ces règlements administratifs, mais ils n’uniformisent pas le contenu des articles prévus. L’hétérogénéité de ceux-ci ne peut manquer de gêner la diffusion des règles dans le public et donc leur application effective. Enfin, les progrès de la procédure administrative doivent être étendus au niveau des sujets de la Fédération. Cette évolution est déjà engagée. L’intervention de la loi fédérale permettrait une unification des règles, sur la base de l’article 72 de la Constitution qui range dans la compétence commune de la Fédération et des sujets de la Fédération la législation sur l’administration et la procédure administrative. Certaines institutions juridiques expérimentées dans d’autres pays pourraient être utiles en Russie, comme l’introduction de la décision implicite. On devrait aussi prendre appui sur les dispositions procédurales du Code des contraventions administratives, qui se sont rapprochées des standards européens, et pour lesquelles il existe déjà une pratique administrative et judiciaire importante, afin de développer les autres procédures administratives. Le recours au secteur privé pour l’accomplissement des missions publiques nécessite également des procédures adaptées pour garantir l’intérêt public et pour qu’il n’en résulte pas des distorsions de concurrence. L’allégement de la réglementation, dans le but d’améliorer les conditions du fonctionnement de l’économie, ne doit pas compromettre les intérêts supérieurs garantis par la Constitution, comme, par exemple, la protection de l’environnement ou du patrimoine. L’impact de ces mesures doit être évalué au préalable ; les mesures d’ordre réglementaire doivent être accompagnées de mesures d’organisation administrative adéquates. On a souligné le rôle de la jurisprudence dans le développement de la procédure administrative, à côté du rôle de la loi. À notre connaissance, G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 101 aucune étude de la jurisprudence de la Cour suprême et de la Cour supérieure d’arbitrage intéressant la procédure administrative n’a été réalisée. Une telle étude serait utile et mettrait sans doute en valeur le rôle des juges. Surtout, la création d’un répertoire de cette jurisprudence lui donnerait toute sa force en permettant à la pratique de s’appuyer sur elle. PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES : À LA RECHERCHE D’UN ÉQUILIBRE Talia Ia. KHABRIEVA I. INTRODUCTION SUR LE PROBLÈME DE LA CORRÉLATION ENTRE PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES Contrairement à la science du droit administratif de la France et de nombreux autres États1 la science russe du droit administratif ne s’est pas suffisamment intéressée à la question des procédures administratives. La recherche s’est consacrée principalement aux problèmes d’organisation des organes administratifs et de la responsabilité administrative pour les faits illicites. Les questions de procédure administrative, à quelques exceptions près2, ont été traitées sous l’angle juridictionnel3. 1 G. VEDEL, Droit administratif, PUF, 1958 ; Y. GAUDEMET, Traité de droit administratif, LGDJ, 5 vol., 2002 ; J.-C RICCI, Droit administratif, 4e éd., LGDJ, 2004 ; M. LONG, P. WEIL, G. BRAIBANT, P. DELVOVÉ, B. GENEVOIS, Les Grands Arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, 2009 ; R. CHAPUS, Droit administratif général, 2 vol. Paris, Montchrestien, 2001 ; K.C. DAVIS / R.J. PIERCE, Administrative law treatise, 3 vol., 5e éd., Boston, New York, Toronto et Londres, Little, Brown and Company, 2010 ; C. KOCH, Administrative Law and Practice, 3 vol., 3e éd., Eagan, Westlaw, 2010 ; P. CANE, Administrative law, Oxford, Oxford University Press, 1986 ; O. MAYER, Allgemeines Verwaltunsrecht, 2 vol., Leipzig, Duncker & Humblot, 1896. 2 Cf., par ex. B. M. LAZAREV (dir.), Управленческие процедуры [Les procédures administratives], Moscou, 1988. 3 Cf., par ex. N. G. SALICHTCHEVA, Административный процесс в СССР [Le procès administratif en URSS] Moscou, 1964. 104 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Depuis le début des réformes sociales, économiques et politiques, on a entrepris de former un nouveau système d’organes administratifs régis par un système clair et unifié de procédures administratives4. Toutefois, des études récentes ont montré que ces procédures administratives sont toujours caractérisées par un manque d’unité de conception5. Cet état de la science du droit administratif affecte dans une certaine mesure l’administration publique et la législation. En l’absence d’orientations établies sur une base scientifique, l’élaboration des procédures a commencé de manière dispersée et spontanée. En Russie, à la différence de nombreux autres États, y compris d’anciennes républiques soviétiques, il n’existe pas de loi générale sur les procédures 4 Cf. Décret du Président de la Fédération de Russie du 09.03.2004 n° 314 « Sur le système et la structure des organes fédéraux du pouvoir exécutif » ; Arrêté du Gouvernement de la Fédération de Russie du 11.11.2005 n° 679 « Sur l’ordre du développement et l’approbation des règlements administratifs des services publics ; Conception de la réforme administrative en Russie de 2006 à 2010, (approuvée par un arrêté gouvernemental du 25.10.2005 n° 1789-r) ; Conception de développement sociale et économique à long terme de la Fédération de Russie jusqu’à 2020 (approuvé par le Gouvernement fédéral le 17 novembre, 2008 n° 1662-r) ; Directives générales d’action contre la crise du Gouvernement de la Fédération de Russie pour 2010 (approuvé lors de la réunion du Gouvernement (Procès-verbal du 30 décembre, 2009 n° 42). 5 Cf., par ex., Y. A. TIKHOMIROV, E. V. TALAPINA, « Административные процедуры и право », Журнал российского права, 2002, n° 4, [Les procédures administratives et le droit, Journal du droit russe, 2002, n° 4] ; I. M. LAZAREV, Административные процедуры в сфере взаимоотношений граждан и их организаций с органами исполнительной власти в Российской Федерации: Дис. канд. юрид. наук. [Les procédures administratives dans le domaine des relations des citoyens et de leurs organisations avec des autorités exécutives de la Fédération de Russie : thèse de doctorat], Moscou, 2002 ; J. N. STARILOV, « Реформа административноправового регулирования: « идеология », проблемы и будущее », Административное право и административный процесс: актуальные проблемы / Отв. ред. Л.Л. Попов и М. С. Студеникина. [« La réforme de la réglementation administrative : « idéologie », problèmes et avenir »], p. 35, in Droit et contentieux administratifs : enjeux actuels, L. L. POPOV et M. S. STUDENIKINA (dir.), Moscou, 2004. S. A. KHAZANOV, « К проблеме формирования института административных процедур » [Le problème de la formation de l’institution des procédures administratives] Административное право и процесс [Droit et procès administratifs] 2005, n° 4, p. 44, M. V. NIKIFOROV, Проблемы теории административных процедур [Problèmes de la théorie des procédures administratives] Nijni-Novgorod, 2006, p. 23 ; S. Z. JENETL, Административные процедуры в ракурсе административных реформ [Les procédures administratives dans la perspective de réformes administratives], Moscou, 2008 ; V. A. ZYUZIN, Административные процедуры: теория, практика и проблемы законодательного регулирования в Российской Федерации [Les procédures administratives : théorie, pratique et problèmes de réglementation législative dans la Fédération de Russie] thèse de doctorat, Moscou, 2007 ; A. A. NIKOLSKAYA, Административные процедуры в системе публичного управления: проблемы административно-правового регулирования [Les procédures administratives dans le système de la gestion : les enjeux de la réglementation administrative et juridique], thèse de doctorat, Voronej, 2007. Pour les besoins de cette étude, on entendra par procédure administrative un système d’actions administratives liées entre elles pour la mise en œuvre du droit du fond et des règles de procédure, tendant à délivrer des prestations matérielles ou immatérielles aux personnes physiques et morales. T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES 105 administratives6. Les règlements administratifs adoptés à ce jour ne couvrent qu’une petite partie des procédures administratives pour la mise en œuvre des fonctions de l’État (des collectivités locales) et la fourniture de services de l’État (des collectivités locales). Bien sûr, l’absence d’une réglementation d’ensemble des procédures administratives n’est pas seulement due au retard de la science du droit administratif. Le problème est que la législation russe se trouve dans un processus de modernisation qui entraîne des changements constants. La mauvaise application des lois aggrave la situation. La réglementation se limite essentiellement aux lois et règlements fédéraux du gouvernement de la Fédération de Russie. Les actes administratifs nécessaires pour les appliquer ne sont pas publiés, et ceux qui sont publiés ne font pas l’objet d’un système efficace d’analyse et de contrôle de leur mise en œuvre7. L’absence d’une approche systématique des procédures administratives mène au fait que beaucoup d’entre elles commencent à fonctionner inefficacement ou se heurtent à des obstacles (les barrières administratives) qui entravent la réalisation des droits et libertés et empêchent de répondre aux défis sociaux, économiques et politiques auxquels l’État et la société sont confrontés. Cela est directement lié au problème des conséquences de l’impact de la réglementation sur les relations sociales. Il convient de noter que le terme « barrières administratives » n’a pas reçu une interprétation unique ni dans la littérature scientifique ni dans la pratique. Il existe une variété de définitions et l’on y range ainsi : les obstacles créés par les responsables de l’exécutif ; les règles redondantes pour les activités des autorités administratives, les mesures restrictives imposées par la réglementation ou des actes administratifs individuels, etc.8. 6 Cf. par ex., la Loi de la République du Kazakhstan « Sur les procédures administratives » de 2000 ; la Loi de la République du Biélorussie « Sur les bases des procédures administratives » de 2008 ; la Loi de la République d’Arménie « Sur les bases des activités administratives et des procédures administratives » de 2004, la Loi de la République de Kirghizie « Sur les procédures administratives » de 2004, la Loi de la République d’Azerbaïdjan « Sur la procédure administrative » de 2005, la Loi du Tadjikistan « Sur les procédures administratives » de 2007, etc. Dans la Fédération de Russie les projets de loi fédérale sur les procédures administratives n’ont pas abouti, mais ils ont été utilisés en cours de préparation des documents conceptuels sur la réforme administrative, et de certains règlements administratifs examinés par la Commission gouvernementale sur la réforme administrative. La Conception de la réforme administrative dans la Fédération de Russie en 2006-2010 a prévu l’adoption de la loi fédérale sur les règlements administratifs. Une partie des questions administratives liées aux procédures se retrouve dans la Loi fédérale du 27.07.2010 n° 210-FZ « Sur l’organisation des services délivrés par l’État et les collectivités locales » (RL FR. 2010. n° 31, p. 4179). 7 Cf. Правовой мониторинг: Научно-практическое пособие [Le monitoring juridique : guide scientifique et pratique], Moscou, 2009. 8 Cf., par exemple, l’Arrêté du Gouvernement de la Fédération de Russie du 19.05.2009 n° 691-r « Sur l’approbation du programme de développement de la concurrence dans la Fédération 106 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Une telle variété d’opinions existe en raison de la diversité ce que l’on désigne par la notion de « barrières administratives », qu’il s’agisse des sujets, de l’objet ou des effets, ou des conséquences, de la réglementation, selon les sphères de la société. Les lacunes de la réglementation mais aussi une réglementation excessive sont aussi une source bien connue de barrières administratives, comme en témoignent en pratique de nombreux règlements relatifs à l’exécution des fonctions et à la fourniture de services publics9. Les pays de l’UE ont intensifié leur travail d’évaluation et d’élimination des excès d’intervention administrative au début des années 80 du siècle dernier. Ce travail, appelé la déréglementation, est le résultat de la nécessité de renforcer le rôle du secteur des petites entreprises comme le secteur le plus dynamique de l’économie. Depuis le milieu des années 90, ce travail a été entrepris par les États de la CEI, et on observe en Russie, depuis le début des années 2000, une tendance soutenue à réduire les charges administratives pesant sur les entreprises10. La législation introduit de plus en plus de mesures visant à améliorer l’accès aux services publics. On simplifie les conditions pour entrer sur le marché. Par exemple, on passe à la procédure de notification de l’enregistrement des entreprises selon le principe de « guichet unique » pendant le délai légal. On a réduit considérablement le nombre des activités soumises à autorisation11. On a retiré aux organismes de réglementation leurs pouvoirs de supervision et de contrôle sur les activités des entités qui y sont de Russie » (avec : « Plan d’action pour la mise en œuvre du développement de la concurrence dans la Fédération de Russie pour 2009 – 2012 »), RL FR. 2009, n° 22, art. 2736 ; « Некоторые административные барьеры в сфере осуществления предпринимательской деятельности: анализ судебной арбитражной практики и пути преодоления административных барьеров » [De quelques barrières administratives aux activités des entreprises : une analyse des pratiques d’arbitrage judiciaire et des moyens de surmonter les barrières administratives], Арбитражный и гражданский процесс [Procédures arbitrales et civiles], 2007, n° 11. 9 Cf. Rapport du Département du développement des petites et moyennes entreprises du ministère du Développement économique, Об исполнении полномочий по государственному контролю (надзору), муниципальному контролю государственными (муниципальными) предприятиями и учреждениями [Sur l’exercice des pouvoirs de contrôle (surveillance) de l’État, de contrôle municipal par des entreprises et des établissements publics (municipales)], Moscou, 2010. 10 Cf. pour plus de détails : L. A. ISTOMIN, G. V. GERMANOVICH, S. F. PYATKINA, alii, Малое предпринимательство: как снизить административные барьеры? Зарубежный опыт [Les petites entreprises : comment réduire les barrières administratives ? L’expérience étrangère], Moscou, 2003. 11 V., par ex., l’Arrêté du Gouvernement de la Fédération de Russie du 19.07.1999 n° 829 « Sur la déclaration du Gouvernement de la Fédération de Russie et de la Banque centrale de la Fédération de Russie sur la politique économique en 1999, une lettre du Gouvernement de la Fédération de Russie et la Banque centrale de la Fédération de Russie sur la politique de développement pour le troisième prêt pour les réformes structurelles de l’économie et le plan d’action pour les mettre en œuvre » (avec les « Mesures de mise en œuvre du programme à moyen terme des réformes structurelles (lettre de politique de développement pour le troisième prêt pour la restructuration de l’économie) »), RL FR, 1999, n° 30, art. 3829. T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES 107 soumises12. On poursuit de même l’élimination des formes redondantes de surveillance et d’inspection. À cet effet, par exemple, la législation limite même la possibilité, les délais et la périodicité des contrôles. En revanche, on précise les règles de procédure administrative qui pourraient menacer les droits et libertés13. D’une part, ces mesures peuvent réduire sensiblement le niveau de l’arbitraire bureaucratique, de l’autre, elles accélèrent le processus global de la déréglementation croissante des rapports sociaux. On a considérablement réduit le nombre d’actes réglementaires visant à réglementer les activités des entreprises et d’autres activités. On a étendu la pratique de la délégation de fonctions publiques à des organisations qui fixent elles-mêmes les règles qui leur sont applicables14. 12 Cf., par ex., l’Arrêté du Gouvernement de la Fédération de Russie du 27.12.2010 n° 116 « Sur la procédure d’octroi des subventions du budget fédéral de la Fédération de Russie aux budgets des sujets de la Fédération sur la mise en œuvre des pouvoirs de la Fédération de Russie, transférés aux organes d’État des sujet de la Fédération, relatifs à l’inspection d’État sur le respect de la législation de la Fédération de Russie dans le domaine de l’enseignement, au contrôle de l’État de la qualité de l’enseignement, aux licences relatives aux activités d’enseignement et à l’accréditation d’État des établissements d’enseignement » (avec les « Règles relatives à l’attribution des subventions du budget fédéral de la Fédération de Russie aux budgets des sujets de la Fédération sur la mise en œuvre des pouvoirs de la Fédération de Russie, transférés aux organes d’État des sujet de la Fédération, relatifs à l’inspection d’État sur le respect de la législation de la Fédération de Russie dans le domaine de l’enseignement, au contrôle de l’État de la qualité de l’enseignement, aux licences relatives aux activités d’enseignement et à l’accréditation d’État des établissements d’enseignement », et la « Méthodologie pour la détermination du montant total des subventions prévues par le budget fédéral de la Fédération de Russie pour la mise en œuvre des transferts aux autorités publiques du bureau de la Fédération de Russie de la Fédération de Russie des pouvoirs de la Fédération de Russie, transférés aux organes d’État des sujet de la Fédération, relatifs à l’inspection d’État sur le respect de la législation de la Fédération de Russie dans le domaine de l’enseignement, au contrôle de l’État de la qualité de l’enseignement, aux licences relatives aux activités d’enseignement et à l’accréditation d’État des établissements d’enseignement »), RL FR. 2011, n° 1, art. 234. 13 Cf., par ex., pour le ministère des Finances de la Russie du 10.06.2010 n° 57n « Sur l’approbation du Règlement administratif du ministère des Finances de la Fédération de Russie sur l’exécution de fonctions de l’État : Organisation de l’accueil des citoyens, examen complet dans les délais prévus des demandes orales et écrites, décision et orientation des réponses selon les lois de la Fédération de Russie », Bulletin des actes normatifs des organes fédéraux du pouvoir exécutif, 2010, n° 38 ; Instruction du ministère des Transports de Russie du 27.12.2006 n° 174 « Sur l’approbation du Règlement d’administration de l’Agence fédérale des transports ferroviaires sur l’exécution de fonctions de l’État selon le délai prévu d’entrée en vigueur de la grille des horaires de circulation des trains de voyageurs », Bulletin des actes normatifs des organes fédéraux du pouvoir exécutif, 2007, n° 17. 14 Ministère du Développement économique de la Fédération de Russie, Доклад « Об итогах анализа практики применения законодательства Российской Федерации о саморегулируемых организациях в отдельных сферах и отраслях экономической деятельности » [Rapport « Sur des résultats de l’analyse de la pratique de l’application de la législation de la Fédération de Russie sur les organismes d’autoréglementation dans certains domaines et secteurs d’activité économique »]. http://www.economy.gov.ru/wps/wcm/connect/57a5be004573a3e6b78fbf4dc8777d51/doklad. 108 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Toutefois, il convient de noter que la situation dans ce domaine est très mobile : les barrières administratives anciennes évoluent, et de nouvelles apparaissent. Souvent, cela se produit comme une réaction au renforcement des mesures pour les surmonter. On peut citer comme exemple de nombreuses structures commerciales et non commerciales formées auprès des autorités régionales et locales dans le but « d’assister » les personnes et les entreprises, dans la solution de différents problèmes ou affaires15. Convenons que de tels problèmes se sont rencontrés dans tous les pays du monde. Les programmes gouvernementaux, les lois, les décisions de justice, les rapports d’enquêtes parlementaires ou de recherche qui s’y rapportent sont innombrables16. De nombreuses organisations internationales se sont ensuite donné pour tâche de faire des propositions pour y remédier. C’est, par exemple, le projet de la Conférence sur le commerce et le développement des Nations Unies préparé en 2010 en forme de Code modèle « Sur la concurrence ». Dans le cadre de notre étude, on doit relever le chapitre 7 de cette loi, qui, fondée sur une analyse comparative de la législation dans de nombreux États, propose la définition suivante des barrières réglementaires et administratives à la concurrence : « Le terme « réglementation » englobe les actes divers par lesquels les gouvernements imposent des obligations aux entreprises, organisations et personnes physiques. Ils comprennent les lois, les ordonnances formelles et informelles, des instructions administratives qui en précisent les règles et sont émises par les autorités de tous les niveaux, ainsi que les règles émises par des organismes non-gouvernementaux ou professionnels d’autoréglementation auxquels l’État a délégué des pouvoirs réglementaires » (art. II). « Contrairement à des barrières dues à des circonstances structurelles et stratégiques, les barrières du domaine de la réglementation sont le résultat d’actes adoptés ou accomplis par les organismes du pouvoir exécutif gouvernemental, les collectivités locales, les organismes nongouvernementaux ou professionnels d’autoréglementation auxquels l’État a délégué des pouvoirs réglementaires. Elles comprennent les barrières administratives à l’entrée sur le marché, réservant des droits exclusifs, l’introduction de certificats, de permis et autres licences dont la délivrance 15 Cf., par ex. M. FRANGULYAN, « Правовое регулирование иммиграции в Канаде и России: сравнительный анализ » [La réglementation juridique de l’immigration au Canada et en Russie : analyse comparative], Кадровик. Трудовое право для кадровика [Administrateur du personnel. Le droit du travail pour l’administrateur du personnel] 2008, n° 4.щк 16 Cf., par ex. les lois britanniques « Sur le commerce équitable » de 1973, « Sur la concurrence » de 1980 et 1989, « Sur les entreprises » de 2002 ; les lois « Sur la concurrence » de l’Irlande (2002), de la Norvège (2004), de l’Espagne (1989) et d’autres pays européens. T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES 109 conditionne le début de l’activité ou des opérations d’une entreprise » (art. III)17. Parmi les projets internationaux, on doit mentionner l’initiative de la Banque Mondiale, de la Société Financière Internationale, du Groupe consultatif sur l’investissement international (FIAS) de créer un « Manuel de formation sur l’identification et l’élimination des barrières administratives à l’investissement »18. Dans ce document il est recommandé d’identifier les types de barrières administratives suivants faisant obstacle à la conduite des affaires : visas de migration, permis de travail et de placement ; autorisations préalables à la réalisation d’investissements ; procédures d’enregistrement, licences commerciales ; enregistrement des droits de propriété, permis de construire et des travaux de construction ; les services communaux ; les déclarations fiscales et le suivi du paiement des impôts ; les procédures d’import/export ; les procédures de change ; les procédures de placement, de formation et cessation des rapports de travail ; la certification (normalisation) des produits ; les principales inspections d’État (incendie, santé, travail, protection de l’environnement), etc. Les auteurs recommandent une séquence d’actions comprenant quatre étapes : l’identification des questions prioritaires ; la recherche et la formulation des solutions des questions prioritaires ; l’exécution du programme de réforme ; le suivi de l’action du programme. Il existe actuellement plusieurs recherches et programmes d’évaluation des organisations internationales qui, d’une manière ou d’une autre, sont liés au problème des barrières administratives. En cadre d’un projet de la Banque mondiale « Indicateurs de la conduite des affaires » (Doing Business) on évalue annuellement la liberté de l’activité entrepreneuriale. La Banque mondiale effectue également une surveillance constante de l’attractivité des États pour les investissements (Investment Climate Assessements), publie les panoramas à l’échelle mondiale de la vie des affaires (World Business Environment Survey) où sont analysées les questions d’évaluation du poids des barrières administratives et les possibilités d’alléger celles-ci. Le problème de la réduction des barrières administratives est aussi l’objet de l’attention de l’Organisation de la coopération économique et du développement19. 17 United Nations Conference on Trade and Development. Model Act on Competition (2010) // http://www.unctad.org./eng/docs/tdrbpconf7L7_en.pdf 18 A Manual for the Identification and Removal of Administrative Barriers to Investment, 2006. 19 Cf., par ex., le rapport de l’OCDE, Overcoming Barriers to Administrative Simplification Strategy. Guidance for Policy Makers, 2009. 110 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Toutefois, la nécessité de nouveaux progrès dans la résolution de ce problème, qui est conditionné par la poursuite de recherches non seulement appliquées, mais théoriques, y compris sur les critères permettant de distinguer les procédures administratives et les barrières administratives. II. APPROCHES THÉORIQUES DE LA DÉLIMITATION DES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET DES BARRIÈRES ADMINISTRATIVES La gamme doctrinale des questions de la délimitation des procédures et des barrières administratives ne peut pas être résolue seulement par les moyens de la science juridique, elle se réfère non seulement aux faits juridiques, mais aussi à la réalité économique et sociale. On a besoin d’une approche intégrée et interdisciplinaire pour profiter des différentes approches théoriques et méthodologiques. Pendant longtemps le droit, l’économie et la sociologie ont évolué séparément. Et ce n’est que ces dernières années qu’on observe une certaine convergence des disciplines scientifiques. Des recherches communes sont menées par des juristes, des économistes et des sociologues. Leur objectif principal est de surmonter une approche « étroite », d’une part de l’économie, avec son approche stricte par les « prix », d’autre part du droit avec les limites des méthodes d’analyse juridique, ainsi que de la sociologie, qui met l’accent sur l’influence des structures et des particularités du développement des rapports sociaux. Des recherches approfondies permettent d’améliorer les mécanismes de la régulation juridique, d’élaborer de meilleures méthodes d’évaluation de l’impact de la réglementation aux stades de leur élaboration et de leur application, et donc d’agir sur son respect, d’identifier les tendances et de prévoir l’évolution des cycles de l’évolution juridique, économique et sociale20. La pratique de la recherche intégrée grandit21. On voit ainsi se dégager progressivement une méthodologie nouvelle de la recherche interdisciplinaire 20 Sur cette question, cf. T. Y. KHABRIEVA, « Экономико-правовой анализ: методологический подход » [L’analyse économique et juridique : une approche méthodologique], Журнал российского права [Revue de Droit russe], 2010, n° 12, pp. 5-26. 21 Un exemple de coopération féconde de chercheurs de différentes disciplines est offert par les activités du Centre d’étude des problèmes économiques et juridiques de l’administration de l’État et des collectivités locales de l’Institut de législation et de droit comparé auprès du Gouvernement de la Fédération de Russie. Le Centre a mené les recherches suivantes : « Problèmes et perspectives de la réforme municipale dans la Fédération de Russie » (2007) ; « Les investissements étrangers et les domaines clés de l’économie russe » (2007) ; Commentaire de la Loi fédérale « Sur les banques et les activités bancaires » (2008) ; « L’amélioration des relations inter-budgétaires au niveau T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES 111 qui peut être appliquée pour résoudre le problème de la démarcation des procédures administratives et les barrières administratives afin de déterminer des critères appropriés. Ainsi, comme premier critère, on peut retenir le critère traditionnel pour la science – celui de la conformité à la forme et au contenu, ainsi qu’aux modalités de l’adoption des actes juridiques qui fixent les procédures administratives. Le mécanisme de mise en œuvre du pouvoir d’État dont les procédures administratives sont l’un des moyens, doit être fixé par la législation de manière claire et compréhensible. Cela est d’autant plus nécessaire parce que les activités professionnelles des agents de l’État et des collectivités locales, par lesquelles est assurée l’action de l’administration, exigent, en raison de la subjectivité de chaque personne investie des pouvoirs qui en sont le support, une surveillance publique constante. Dans la Fédération de Russie, il n’y a pas de règles uniformes fixées par la loi fédérale pour l’adoption des actes juridiques, y compris de caractère individuel. Cette lacune dans la législation est partiellement comblée par différents actes réglementaires des organes du pouvoir exécutif. En conséquence, il y a un risque réel de violation des droits des citoyens, car en Russie les procédures administratives se concentrent davantage sur l’identification des actions déviantes et les infractions administratives que sur la sauvegarde des droits et libertés des citoyens et l’encouragement à un respect actif de la légalité22. régional » (2008), « Évaluation de la possibilité des sujets de la Fédération de Russie d’une politique active d’innovation » (2008), « Les problèmes de salaires dans l’industrie et les mécanismes de mise en œuvre de nouveaux systèmes de salaires » (2008), « Les instruments de crédit pour soutenir la croissance économique dans les régions » (2008), « Les ressources intellectuelles de la nation : les possibilités et les limites de la réglementation juridique » (2009), « Le droit au soutien de l’innovation » (2009), « Les investissements étrangers et le développement économique de la Russie » (2010). 22 Cf. à ce sujet : Y. A TIKHOMIROV (dir.), Законодательная техника [La technique législative], Moscou, 2001 ; A. I. ABRAMOVA, Законодательный процесс в Российской Федерации: Научно-практическое пособие [Le processus législatif en Russie: guide scientifique et pratique], Moscou, 2005 ; T. N. RAKHMANINA, Кодификация законодательства [La codification des lois], Moscou, 2005 ; Y. A. TIKHOMIROV, Правовое регулирование: теория и практика [La régulation juridique : théorie et la pratique], Moscou, 2010 ; M. PIGOLKIN (dir.), Язык закона [La langue de la loi], Moscou, 1990 ; N. A. VLASENKO, Теория государства и права [Théorie de l’État et du droit], Moscou, 2009 ; T. Y. KHABRIEVA, Y. A. TIKHOMIROV (dir.), Концепции развития российского законодательства [Les conceptions du développement de la législation russe], Moscou, 2010 ; Законность в Российской Федерации [La légalité dans la Fédération de Russie], Moscou, 2008 ; T. Y. KHABRIEVA, N. A. VLASENKO (dir.), Юридическая техника [La technique juridique], Moscou, 2009 ; I. L. BRAUDE, Избранное [Textes choisis], Moscou, 2010 ; T. Y. KHABRIEVA, « Стабильность закона, модернизация законодательства и задачи юридической науки » [La stabilité du droit, la modernisation de la législation et les objectifs de la science juridique], pp. XI-XXVI, in Закон: стабильность и динамика [Le droit : stabilité et dynamique], Actes du colloque international de l’École-Atelier de 112 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE À une étape de la réforme administrative en Russie, le système des règlements administratifs23 a acquis une définition institutionnelle. Les règlements administratifs du pouvoir exécutif doivent être abordés comme un moyen transitoire des institutions qui permettront d’améliorer le fonctionnement de l’administration publique dans notre pays24. Les règlements administratifs doivent aider à résoudre un certain nombre de défis : améliorer la capacité à administrer des organes du pouvoir, renforcer le contrôle sur leurs activités de la part de la société, formuler de manière exhaustive les exigences auxquelles doivent répondre les décisions et le contenu des fonctions exercées par les fonctionnaires, réduire le pouvoir discrétionnaire administratif et la potentiel de corruption des décisions administrative. Les règlements administratifs doivent contenir l’information nécessaire et suffisante, tant pour le destinataire du service que pour l’exécution des fonctions qui incombent aux responsables des organes du pouvoir exécutif. Les règlements administratifs simplifient et de précisent les obligations des organes du pouvoir exécutif envers la société. La base juridique à partir de laquelle se sont développés les règlements administratifs sur les rapports entre les pouvoirs publics et les citoyens (ou les organisations) dans l’exercice des fonctions publiques et la fourniture de services publics est constituée par le Décret présidentiel du 9 mars 2004 n° 314 « Sur le système et la structure des organes fédéraux du pouvoir exécutif ». Les règlements administratifs sont également rendus nécessaires par la Loi fédérale du 27 juillet 2004 n° 79-FZ « Sur la fonction publique de l’État dans la Fédération de Russie »25 qui fixe les règles relatives à l’activité des fonctionnaires de la Fédération de Russie et des sujets de la Fédération, qui représentent l’autorité des organes du pouvoir exécutif. Après l’adoption de cette loi, son application pratique a soulevé des difficultés, car elle ne donne aucune définition du règlement administratif, et jeunes chercheurs et praticiens du droit, Moscou, 1-3 juin 2006, sous la direction de T. Y. KHABRIEVA, Moscou, 2007. 23 On a pu montrer la formation des « règlements administratifs » comme institution du droit administratif, incluant des éléments des règles de service, la réglementation de l’organisation de l’activité des organes du pouvoir exécutif et la réglementation de la gestion dans des domaines spécifiques (cf. A. YATSKIN, Правовое регулирование административной реформы в современной России [La réglementation juridique de la réforme administrative en Russie aujourd’hui], thèse, Moscou, 2007). 24 Y. N. STARILOV, « Исполнительная власть в структуре современного административно-правового регулирования: проблемы и основные направления разрешения » [Le pouvoir exécutif dans la structure du droit administratif contemporain : problèmes et réponses possibles], p. 85, in История становления и современное состояние исполнительной власти в России [Histoire et position actuelle du pouvoir exécutif en Russie], Moscou, 2003. 25 Il est remarquable que dans la Loi fédérale « Sur la fonction publique » en vigueur jusqu’en 2004 ne contenait pas de dispositions sur les règlements. T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES 113 laisse ouverte la question du type d’acte juridique par lequel un tel règlement doit être édicté. Les éléments constitutifs et la structure de ces règlements ont été identifiées par l’Arrêté du Gouvernement de la Fédération de Russie du 19 janvier 2005 n° 30, approuvant le Règlement-type sur les rapports entre les organes fédéraux du pouvoir exécutif26, ainsi que par l’Arrêté du Gouvernement de la Fédération de Russie du 28 juillet 2005 n° 452 portant approbation du Règlement-type sur l’organisation interne des organes exécutifs fédéraux27. La définition d’un règlement administratif relatif à l’exécution des fonctions de l’État et à la fourniture des services publics a été donnée dans la « Conception de la réforme administrative dans la Fédération de Russie en 2006-2010 »28, selon laquelle il est entendu comme un acte juridique d’un organe du pouvoir exécutif fédéral ou d’un sujet de la Fédération, qui détermine la séquence de ses actions (procédure administrative), quand il exécute les fonctions de l’État, y compris la fourniture des services publics, assure l’efficacité de l’action des services administratifs et des fonctionnaires et garantit les droits des citoyens et des organisations. L’Arrêté du Gouvernement de la Fédération de Russie du 11 novembre 2005 n° 679 (modifiés par les arrêtés du 29 novembre 2007 n° 813 et du 2 octobre 2009 n° 779), qui a approuvé la procédure d’élaboration et d’adoption des règlements administratifs de l’exécution des fonctions de l’État (et des services publics), n’a pas clarifié la place des règlements administratifs parmi les catégories d’actes juridiques. Mais certaines de leurs dispositions, indiquées dans l’Arrêté, permettent de déduire la nature juridique des règlements administratifs. Dans le droit russe, le règlement administratif est généralement considéré comme un acte de la réglementation juridique des aspects procéduraux des activités des autorités exécutives, contenant une description des actions (procédures administratives) de l’organisme, qui vise principalement à réglementer l’activité interne de l’autorité. La législation nationale des pays étrangers met l’accent sur la réglementation de l’activité externe des autorités, orientée vers la vérification des conditions de l’affaire, la préparation et la publication d’un acte administratif29. 26 RL FR, 2005, n° 4, art. 305. 27 RL FR, 2005, n° 31, art. 3233. 28 Pour plus de détails, v. la décision du gouvernement de la Fédération de Russie du 25 octobre 2005, n° 1789-r (RL FR 2005 n° 46, art. 4720). 29 Par ex., en Allemagne, la Loi de procédure administrative (1977) réglemente l’édiction des actes de l’administration et les conditions de leur validité ; les formes de ces actes ; les modalités de leur publicité ; les moyens de corriger les erreurs qui ont affecté leur production ; les modalités du retrait d’un acte administratif et d’introduction de l’acte corrigé. Cette Loi règle également les 114 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Dans les pays de la CEI de tels actes sont compris selon une conception très proche de celle de la pratique russe. Par exemple, la loi de la République du Kazakhstan (2000) « Sur les procédures administratives » vise à établir des procédures administratives qui contribuent à améliorer l’organisation des activités administratives, à assurer le bon fonctionnement des organes de l’État, la prise rapide de décision, le respect des droits de l’homme et des libertés, la protection de l’intérêt public, empêcher l’utilisation par les fonctionnaires de leurs pouvoirs à des fins étrangères à leurs fonctions, ainsi que la prestation des services publics. En définissant que la procédure administrative se présente sous la forme d’une liste exhaustive des activités, la Loi dispose (art. 9-1) que l’organe d’État adopte des règlements et des normes relatifs à son organisation et aux modalités internes de ses activités, ainsi que de ses opérations internes, et à ses rapports avec les personnes physiques et morales dans l’exécution des services publics. L’analyse comparative de la législation russe et des législations étrangères confirme l’idée que les éléments les plus importants de la réglementation de l’activité administrative, car il s’agit de l’action des organes du pouvoir exécutif, qui concerne à un degré plus ou moins élevé les droits des citoyens, doivent être fixés par la loi. C’est sous cette forme que doivent être formulés les éléments les plus essentiels de la réglementation des activités administratives car toute atteinte substantielle aux droits et libertés de la personne doit avoir un fondement légitime. Il est évident qu’on a besoin de trouver un accord, une autre approche de l’évaluation de la place et du rôle des règlements administratifs dans le système des actes réglementaires, leur structuration et leur contenu, la fixation de limites à l’ « inflation » des règles de procédure, etc. Pour le moment, la législation en vigueur ne détermine pas de manière exhaustive le contenu et les règles générales relatives à l’élaboration, à l’adoption et à la modification des règlements administratifs des organes d’État30. L’unification des règles relatives à la préparation des règlements administratifs et aux modalités d’exécution des services publics est un modalités de la participation du citoyen à la procédure de décision. La Loi fédérale suisse « Sur les procédures administratives » (1968), établit les procédures d’adoption, de modification et d’annulation des actes administratifs individuels. Elle ne traite pas de l’adoption des règlements. Par exemple, le champ d’application de la Loi du canton suisse Bâle-Campagne couvre les procédures pour l’édiction, la modification et l’annulation d’actes individuels d’organismes administratifs. 30 Les études sur le processus d’élaboration et d’approbation des règlements administratifs dans le cadre de la réforme administrative, se sont souvent tournées vers les procédures de l’élaboration et l’adoption des normes techniques suivant la Loi fédérale du 27 décembre 2002, n° 184-LF « Sur les normes techniques ». Cette Loi fédérale a défini des cadres très stricts pour les procédures d’élaboration et d’approbation des normes techniques. Cette expérience a renforcé la position que les règlements dans le cadre de la réforme administrative peuvent et doivent être des actes juridiques normatifs des autorités exécutives. T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES 115 moyen important de la mise en œuvre des orientations prioritaires de la réforme administrative. Cela permettra non seulement d’unifier la plupart des procédures administratives, mais aussi : - d’améliorer le fonctionnement des organes d’administration, quel que soit le territoire de laquelle ils se trouvent ; - de renforcer le contrôle sur la régularité de l’activité administrative ; - de préciser la responsabilité des fonctionnaires en cas de violation des dispositions relatives aux procédures administratives ; - d’établir des garanties pour protéger les droits et intérêts de l’État et de ses citoyens dans l’exercice des activités administratives. Cependant, il semble évident que l’efficacité de la mise en œuvre des règlements administratifs ne peut être atteinte seulement par des réformes relatives à l’organisation et à l’information (délais et lieu d’exécution, informations à fournir). Par conséquent, le droit doit répondre aux questions, principalement conceptuelles, qui se posent, comme celle d’une délimitation plus claire de l’exécution des services et des autres fonctions de l’État, et celle de définir les sujets de réglementation, les objets des règlements, etc., tant au niveau fédéral qu’au niveau régional31. Ce critère suppose, bien sûr, le respect des règles établies dans la doctrine de la technique juridique. La réglementation des procédures administratives doit être conforme à des exigences telles que la cohérence et l’unité, la précision et la clarté de l’énoncé, l’impérativité des prescriptions32. Le non respect de ces exigences est l’une des principales causes connues des barrières administratives. Un autre critère de délimitation des procédures administratives et des obstacles administratifs est l’unité systémique des procédures administratives. Les procédures administratives doivent être intégrées dans la conception générale du développement de la législation dans son ensemble, et du droit administratif en particulier33 ; l’expérience montre que l’introduction de certaines procédures administratives n’est pas compatible avec la ligne générale du développement du droit, ce qui réduit leur efficacité et, en définitive, elles deviennent des barrières administratives. À cet égard, les principes juridiques des procédures administratives ont une grande importance en tant qu’institution du droit administratif. D’une 31 Pour plus de détails, cf. C. E. NARYCHKINE, T. Y. KHABRIEVA (dir), Административная реформа в субъектах Российской Федерации [La réforme administrative dans la Fédération de Russie], Moscou, 2008. 32 Pour plus de détails, cf. T. Y. KHABRIEVA, N. A. VLASENKO (dir.), Юридическая техника [La technique juridique], Moscou, 2009. 33 Cf. T. Y. KHABRIEVA, Y. A. TIKHOMIROV (dir.), Концепции развития российского законодательства [Les conceptions du développement de la législation russe], Moscou, 2010. 116 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE part, ils limitent le pouvoir discrétionnaire des fonctionnaires dans les administrations publiques, d’autre part, ils assurent un maximum de flexibilité dans l’application des droits et intérêts légitimes des personnes34 car elles sont l’instrument par lequel les valeurs constitutionnelles s’incarnent dans les règles de droit régissant l’action administrative sous ses différentes formes35. La liste concrète et le contenu des principes des procédures administratives dans l’activité des organes du pouvoir exécutif doivent être déterminés à partir des principes des différentes branches du droit russe, ainsi que des principes suivant lesquels se réalise l’action administrative. Les principes du droit administratif n’ont pratiquement pas été développés par la doctrine russe36, et aujourd’hui leur définition n’est pas achevée. On relève parmi eux : la légalité ; le fédéralisme et l’unité du système du pouvoir exécutif ; l’orientation sociale de l’activité des organes et des fonctionnaires de l’administration publique ; le contrôle judiciaire de toutes les autorités du pouvoir exécutif sans exception ; la réglementation détaillée des procédures juridiques concernant les rapports entre les citoyens et les sujets du pouvoir exécutif et la protection des droits de l’homme contre l’arbitraire administratif; la prévisibilité ; la capacité d’anticipation ; l’attention portée aux données scientifiques ; la systématicité, etc.37. Se rattachent aux principes du fonctionnement de l’administration, notamment : la résolution de toutes les affaires administratives, sur la base de la législation existante, conformément aux procédures établies par les règles administratives et procédurales ; l’égalité de traitement dans la procédure de toutes les personnes impliquées, devant la loi et l’organe compétent pour le règlement de l’affaire ; la transparence de la procédure administrative ; la responsabilité de l’organe administratif (fonctionnaire) et de ceux qui ont participé au traitement de l’affaire ; le bien fondé et la 34 Cf. M. O. EFREMOV, Административные процедуры как форма реализации компетенции органов публичной власти во взаимоотношениях с частными лицами [Les procédures administratives comme forme de mise en œuvre de la compétence de la puissance publique dans les relations avec les individus], Moscou, 2005, résumé p. 19. 35 Cf. V. A. ZYUZIN, op. cit. p. 10. 36 Pour plus de détails, cf. K. S. BELSKY, « О принципах административного права » [Sur les principes du droit administratif], Государство и право [L’État et le droit], 1998, n° 8, p. 7. 37 Cf., par ex. S. D. KNYAZEV, « Принципы российского административного права» [Les principes du droit administratif russe], p. 29, in Административное и информационное право (состояние и перспективы развития) [Droit administratif et droit de l’information (état et perspectives de développement)], Moscou, 2003 ; S. R. AGAFONOV, M. G. SALNIKOV, E. V. TREGOUBOVA, « Принципы реализации административных процедур и запретов в исполнительной деятельности органов государственной власти » [Principes de la mise en œuvre des procédures administratives et des interdictions administratives dans l’activité exécutive des organes du pouvoir d’État], Административное и муниципальное право [Droit administratif et municipal], 2009, n° 12. T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES 117 légalité de la procédure suivie et de la décision finalement prise ; l’efficience et l’efficacité du processus, etc.38. Dérivant de ceux qui précèdent, d’autres auteurs ont proposé les principes suivants des procédures administratives : la légalité ; la primauté des droits et des intérêts légitimes ; l’ouverture, l’accessibilité, la nécessité et la concentration de l’action ; la coordination des procédures ; le bienfondé des décisions ; etc.39. Ainsi, les principes des procédures administratives doivent-ils guider les organes du pouvoir exécutif pour assurer : - l’analyse complète et objective, sous tous leurs aspects des problèmes et des tâches de l’application correcte de la loi ; - les conditions nécessaires de la réalisation des droits, des intérêts légitimes et des obligations des personnes physiques et morales ; - le développement des principes démocratiques dans l’administration, la participation de la société civile et la prise en compte de l’opinion publique ; - la coopération avec les autres organes de l’État et les personnes physiques et morales usagers des services ; - l’économie d’effort, d’argent et du temps de travail des fonctionnaires ; - la mise en œuvre du principe de la responsabilité de chaque organe du pouvoir exécutif et dirigeant pour leurs missions40. Le troisième critère est le critère de l’utilité des procédures administratives. Formulé par M. M. Speranski au début du XIXe siècle dans l’« Introduction au Code des lois de l’État », il s’exprime dans la formule suivante : « La loi doit être utile à tout le monde ». Le critère de l’utilité des procédures administratives peut être adapté en paraphrasant l’économiste Wilfredo Pareto : elles doivent améliorer la position au moins d’un sujet de droit privé, sans pour autant compromettre la position des autres. 38 Cf., par ex. P. I. KONONOV, Административный процесс в России: проблемы теории и законодательного регулирования [Le fonctionnement de l’administration en Russie : problèmes de théorie et de réglementation juridique], Kirov, 2001, p. 41 ; I. V. PANOVA Административнопроцессуальное право России [Droit administratif processuel de la Russie], Moscou, 2003, p. 35 ; V. D. SOROKIN, Административно-процессуальное право [Droit administratif processuel], Saint-Pétersbourg, 2004, p. 209. 39 Cf., par ex. Y. A. TIKHOMIROV, E. V. TALAPINA, « Административные процедуры и право » [Les procédures administratives le droit], Журнал российского права [Revue de droit russe], 2002, n° 4, p. 5 ; A. K. ECKSTEIN, « Административная процедура – основа административного процесса » [La procédure administrative comme base du fonctionnement de l’administration], Конституционное право: восточноевропейское обозрение [Droit Constitutionnel : panorama de Europe de l’Est], 2002, n° 4, p. 147 ; S. R. AGAFONOV, M. G. SALNIKOV, E. V. TREGOUBOVA, op. cit. 40 Pour plus de détails, cf. C. E. NARYCHKINE, T. Y. KHABRIEVA (dir.) Административная реформа в России [La réforme administrative en Russie], Moscou, 2006. 118 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Le quatrième critère est la formation et le développement de l’environnement du marché. Il s’applique aux procédures qui sont liés aux marchés de tout type, de monopole ou hautement concurrentiel, qu’il s’agisse du marché des services de logement, du marché des services publics, du marché des métaux précieux, de l’automobile, de l’aviation, du marché du travail ou, enfin, ce que certains appellent le marché politique41. Par exemple, selon les experts de la Banque mondiale, on peut considérer que la masse critique de réformes visant à créer les conditions du marché pour les entreprises est atteinte quand les petites entreprises représentent 40 % de l’emploi total. Dans les pays développés, cette proportion est dépasse généralement 50 %. Les petites entreprises sont un stimulant important pour la croissance économique, l’emploi, la création d’un environnement concurrentiel. Mais, contrairement aux grandes entreprises, elles sont plus sensibles aux barrières administratives. Ce n’est donc pas par hasard que, dans les pays développés et les pays à économie en transition, on prévoit des mesures spéciales pour réduire le fardeau administratif pour les petites entreprises42. Dans la distinction des procédures et des barrières administratives le cinquième critère déterminant est la faisabilité des procédures administratives. À bien des égards elle est due à la qualité des textes des actes juridiques qui établissent des procédures administratives, à l’efficacité de l’application de la loi, au niveau de sensibilisation aux questions juridiques et de la culture juridique des citoyens. Mais les ressources (financières, matérielles, organisationnelles, informationnelles, etc.) consacrées à l’application du droit ne sont pas un facteur moins important. Le sixième critère est la correspondance des dépenses aux résultats attendus. En évaluant les procédures administratives nécessaires, on doit distinguer une évaluation quantitative et une évaluation qualitative. Dans le premier cas, on peut prendre comme mesure de la performance les coûts et des indicateurs physiques et matériels (dépenses pertes financières et les coûts des ressources humaines et matérielles mises en œuvre etc.). L’évaluation qualitative, construite sur la base d’indicateurs quantitatifs, suppose d’évaluer, en fonction de l’ensemble des procédures administratives mises en œuvre, le développement économique et social, l’amélioration de 41 James Buchanan, prix Nobel d’économie, définit la politique comme un produit qui se vend lui-même (cf. J. BUCHANAN, in Нобелевские лауреаты по экономике [Les lauréats du prix Nobel en économie], Moscou, 1987. 42 V. plus, L. A. ISTOMIN, G. V. GERMANOVICH, S. F. PYATKINA, Малое предпринимательство: как снизить административные барьеры? Зарубежный опыт [Les petites entreprises : comment réduire les barrières administratives ? Expériences étrangères], Moscou, 2003. T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES 119 l’efficacité administrative de l’État et de la confiance du public envers l’État en général et les différentes administrations, etc. L’application de ce critère ne peut pas se limiter à relever les indicateurs qualitatifs de l’efficacité ou de l’inefficacité des procédures ou bien des évaluations quantitatives en ce qui concerne, par exemple, le coût de leur exécution et de la garantie de leur exécution. Le fait est que les défauts des procédures administratives n’apparaissent qu’au bout d’un certain temps, mais beaucoup d’entre elles sont inefficaces à long terme. Pour évaluer les procédures administratives, on peut utiliser l’évaluation prédictive et rétrospective de l’efficacité de leur action. L’évaluation prédictive est possible au stade de la préparation du projet de loi, ou d’autres actes normatifs, instituant une nouvelle procédure administrative. Effectuer une telle évaluation nécessite de se doter d’une base statistique suffisamment précise pour pouvoir faire des prévisions. Non moins importante est l’utilisation de l’évaluation rétrospective des procédures administratives existantes, à partir de l’analyse pendant un certain temps de leur application, ainsi que des effets qu’elles produisent. Le septième critère est la correspondance des procédures administratives aux objectifs de leur utilisation. L’application du droit est un système complexe de liens et de rapports concernant la substance des normes, les procédures, l’organisation, les techniques, la psychologie et d’autres encore. Ce système peut contribuer à la réalisation des objectifs de la législation. Mais il peut aussi fausser ces objectifs, lorsque l’administration leur substitue des exigences légales qui réduit l’efficacité de la réglementation. La complexité de ce critère est déterminée par la multiplicité des objectifs qui sont poursuivis en cours de la mise en place d’une procédure. Les questions des objectifs du développement du droit et de la législation ont toujours été au centre de l’attention de la science juridique43. Selon la théorie classique, on doit tenir compte de différentes catégories d’objectifs, selon qu’ils se rapportent à la fonction et à l’objet, ou qu’ils sont d’ordre matériel et juridique44. Toutefois, il est nécessaire de dégager un 43 Cf., par ex. R. VON JHERING, Der Zweck im Recht, Leipzig, 1877 ; Цель в праве [Le but dans le droit], Saint-Pétersbourg, 1881; D. A. KERIMOV, « Категория цели в советском праве » [Le but comme catégorie dans le droit soviétique], Правоведение [Jurisprudence], 1964, n° 3 ; V. K. ORLOV, A. I. EKIM, « Цель в норме социалистического права » [Le but dans la norme du droit socialiste], Правоведение [Jurisprudence], 1968, n° 5 ; E. S. SAMOCHENKO, V. I. NIKITINSKY, « Цели правовых норм – масштаб оценки их эффективности » [Les buts des normes juridiques, mesure de leur efficacité], Уч. зап. ВНИИСЗ [Notes scientifiques VNIISZ], Moscou, 1969, vol. 19, p. 52 ; M. MIKHAILOVA, Цел и целесъобразност в правото [Le but et l’intérêt en droit], Sofia, 1983 ; L. D. CHULYUKIN, Природа и значение цели в советском праве [La nature et l’importance des objectifs dans la législation soviétique], Kazan, 1984, not. 44 V. K. KUDRYAVTSEV, V. I. NIKITINSKY, I. S. SAMOSCHENKO, V. V. GLAZYRIN, Эффективность правовых норм [L’efficacité des normes juridiques], Moscou, 1980, p. 36. 120 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE objectif général, qui manifeste au présent l’expression idéale de ce qui doit être par l’effet de la loi45. Les buts des procédures administratives sont souvent d’ordre non juridique, bien que certains d’entre eux soient directement formulés dans les actes, qui établissent les procédures. Dans leur évaluation, on doit se concentrer non seulement sur la légalité des demandes de l’administration, la légalité des comportements ou des actions des personnes, mais aussi sur les résultats tangibles des procédures administratives. La complexité de l’utilisation de ce critère est due aux contradictions entre l’intérêt public, les intérêts des groupes et les intérêts individuels. Néanmoins, ce critère permet d’éviter l’excès de formalisme. Le service ne devrait pas être refusé en raison de la non-conformité à la forme (par exemple, de la demande), si l’objectif peut être atteint sans la respecter. À cet égard, dans de nombreux États on définit un ensemble minimum de documents nécessaires à la fourniture d’un service. Le citoyen n’est pas obligé d’établir les conditions que l’administration peut connaître à raison de ses attributions. Dans la Fédération de Russie, cette obligation de l’administration a été inscrite pour la première fois dans la Loi fédérale du 27.07.2010 n° 210-FZ « Sur les services fournis par l’État et les collectivités locales »46. Comme le huitième critère, on peut considérer la conformité des procédures administratives aux attentes de la société. De nombreuses procédures administratives ne sont pas comprises par la société, dans son ensemble ou bien par certains groupes sociaux, en raison non seulement parce qu’elles ne correspondent pas aux attentes de la société, mais aussi en raison de la faible information du public sur leur contenu ou le manque de justification des actes auxquelles elles conduisent. Des études sociologiques sont nécessaires aussi bien sur la phase de l’élaboration des actes que sur celle de leur application. Pour l’État de droit moderne, la question de la transparence du gouvernement est primordiale. La transparence dans l’information gouvernementale permet aux citoyens d’avoir une représentation adéquate et de se former un jugement critique sur l’état de la société et du gouvernement russes, et renforce l’efficacité et l’efficience du contrôle du public sur leurs activités. La transparence des autorités à tous les niveaux, la disponibilité réelle de l’information sur les décisions qu’ils prennent, sur leur activité actuelle n’est pas seulement un élément indispensable d’une communication 45 V. les détails, T. Y. NASYROVA, T. Y. KHABRIEVA, Телеологическое (целевое) толкование советского закона [L’interprétation téléologique (selon le but) du droit soviétique], Kazan, 1988, pp. 13-27. 46 RL FR. 2010, n° 31, art. 4179. T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES 121 constante et fiable entre les citoyens et leurs représentants dans les structures du pouvoir, mais aussi du fonctionnement efficace de celles-ci. La Loi fédérale du 9 février 2009 n° 8-FZ « Sur l’accès à l’information sur les activités des organes de l’État et des collectivités locales »47 établit les principes suivants pour la mise en œuvre du droit à l’information sur les activités des organes du pouvoir : 1) la transparence et l’accessibilité des informations sur les activités des organismes gouvernementaux et les autorités locales, excepté les cas prévus par la loi fédérale ; 2) la sincérité des informations sur les activités des organes de l’État et des collectivités locales et la rapidité de leur mise à disposition ; 3) la liberté de rechercher, de recevoir, de communiquer et de diffuser des informations sur les activités des organes de l’État et des collectivités locales par tout moyen légal ; 4) le respect des droits des citoyens à l’inviolabilité de la vie privée, de l’intimité personnelle et familiale, à la protection de leur honneur et de leur réputation, du droit des organisations à la protection de leur réputation dans les informations fournies par les organes de l’État et des collectivités locales. Une information ouverte est l’un des buts des mesures visant à créer ce que l’on appelle le Gouvernement électronique, qui devrait s’appliquer aux relations garanties entre les citoyens et les pouvoirs publics en tout lieu et à tout moment. L’utilisation de formulaires électroniques peut grandement accélérer et simplifier la prestation des services publics, faciliter l’accès des citoyens et des organisations, ainsi que réduire les coûts de l’administration dans l’exercice des fonctions qui s’y rapportent. Ces procédés permettent d’accéder à des projets de lois et de règlements et aux citoyens de participer à leur discussion avant leur adoption finale. Des lois qui l’organisent ont été adoptées dans plus de 70 pays48. Le passage à la technologie électronique – la dématérialisation des procédures administratives – est un aspect important de la simplification des formalités administratives dans la relation « citoyen – administration ». En raison de la numérisation de la vaste gamme d’informations détenues par les organes du pouvoir exécutif, on peut obtenir une réduction significative des coûts de diffusion des documents pour faciliter la 47 RL FR. 2009, n° 7, St. 776. Un examen détaillé de la législation du monde entier et des liens vers le texte intégral des dispositions sont inclus dans le rapport d’une organisation internationale : Privacy International: Freedom of Information and Access to Government Records Around the World, par D. BANISAR (http://www.freedominfo.org/survey.htm). 48 122 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE participation à la réglementation d’un nombre significatif d’intervenants et d’experts, ce que n’était jamais possible auparavant. Il semble que l’augmentation de la transparence des organes du pouvoir exécutif permettrait d’atteindre plusieurs objectifs. Le premier est de rendre l’État russe plus démocratique, plus ouvert envers les citoyens. Le second est d’accroître l’efficacité de l’appareil d’État. L’expérience mondiale montre qu’un pouvoir opaque et, par conséquent, irresponsable, est inefficace. Et enfin, le troisième objectif consiste en l’établissement d’un contrôle du public sur le gouvernement, ce qui augmentera la responsabilité des agents de l’État et des collectivités locales pour leur activité, rendra plus efficace la lutte contre la corruption, le gaspillage, l’abus de position officielle, car la transparence et la corruption sont incompatibles. Il est clair que nous parlons des premières tentatives de formuler des critères pour distinguer les procédures administratives nécessaires des barrières administratives à éliminer. Il nous reste beaucoup de travail non seulement à propos des bases théoriques de ces critères, mais aussi de leur mise en œuvre pratique. Différents critères tendant à déterminer quelles procédures administratives peuvent constituer des barrières administratives sont utilisés dans le mécanisme d’évaluation de l’impact des actes normatifs. Le « format » du nouveau module d’analyse est programmé par l’Arrêté du Gouvernement du 15 mai 2010, n° 336 « Sur la modification de certains actes du Gouvernement de la Fédération de Russie ». L’arrêté exige que, pendant la préparation des actes normatifs, on étudie soigneusement tous les effets et les risques possibles de l’introduction de la réglementation ; les conséquences positives et négatives ; qu’on évalue les coûts pour le budget et pour les entreprises et les consommateurs. Et, ce qui est le plus important, si la nouvelle réglementation est réellement de nature à résoudre le problème auquel elle est censée répondre. L’évaluation de l’impact de la réglementation concerne les domaines suivants : - l’organisation et la mise en œuvre des contrôles (inspections) de l’État ; - établir, appliquer et faire respecter les obligations relatives aux produits ou des procédés (y compris les recherches), à la fabrication, la construction, l’installation, l’application, l’entretien, l’entreposage, le transport, la commercialisation et l’utilisation ; - évaluation de la conformité ; - la sécurité des processus de production. Il est trop tôt pour parler de l’efficacité du mécanisme d’évaluation de l’action réglementaire. Néanmoins, on peut noter une tendance positive. Au Ministère du Développement économique a commencé à fonctionner le T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES 123 Département de l’évaluation d’action réglementaire. Les méthodes de la préparation des avis sur les projets de lois et des actes réglementaires se perfectionnent49. En particulier, depuis 2011, on mène des enquêtes dans les régions, ce qui augmente sans aucun doute le niveau général de l’expertise50. Toutefois, il est nécessaire de surmonter les limites de la méthode d’évaluation de l’impact des normes. Comme le montre l’analyse des avis, celles-ci sont en grande partie un produit de l’analyse économique. Des critères juridiques et sociologiques sont rarement utilisés ou insuffisants, ce qui appauvrit le contenu de l’évaluation de l’impact des normes. L’élaboration de nouvelles méthodologies intégrées pouvant être mises en œuvre pour améliorer la législation demeure ainsi une tâche actuelle. Elle doit notamment contribuer à la rationalisation des procédures administratives et à l’élimination de barrières administratives excessives. 49 http://vvww.economy.gov.ru/minec/about/structure/depRegulatingInPI=1&WCM_Page. ba829c0043dd990bb210b6ca0b86d358=l 50 Décision du 22 décembre 2011, affichée sur le site officiel du Ministère du développement économique. Cf. Information sur la prise en compte des points de vue régionaux dans la préparation par le Ministère du développement économique de la Russie des avis sur l’évaluation de l’impact des normes, http://www.economy.gov.ru/minec/about/structure/depregulatinginfluence/doc2010122 2_07. COMMENT SURMONTER LES BARRIÈRES ADMINISTRATIVES ? Analyse juridique comparative Vladimir I. LAFITSKY INTRODUCTION : APPROCHE D’UN PROBLÈME L’un des objectifs principaux de la pratique législative des dernières décennies est la réduction du niveau des barrières administratives faisant obstacle à la réalisation de droits et de libertés constitutionnels, au développement politique, économique et social. Le problème de la réduction de barrières administratives est constamment au centre de l’attention des organisations internationales : on élabore des recommandations, on évalue des mesures au niveau national, on identifie des facteurs qui influent sur leur mise en œuvre. Le problème de la réduction des barrières administratives est traité par de nombreuses organisations internationales, y compris l’Union Européenne. Ainsi la directive 2006/123/ES du Parlement européen et du Conseil de 12 décembre 2006 sur les services dans le marché intérieur appelle à éliminer les barrières à la libre prestation des services dans les États membres de l’Union. Dans ce cas, on souligne la nécessité de la « sécurité juridique » (legal certainty) dans l’exercice de ces droits et libertés (art. 5). Néanmoins, la tâche de la réduction des barrières administratives est loin d’être résolue. L’une des raisons en est qu’il est extrêmement difficile de trouver la limite qui sépare les procédures administratives des barrières administratives. Elle est très mobile. Des procédures administratives peuvent se transformer en barrières administratives. D’un autre côté, les barrières administratives commencent au cours du temps à être perçues comme des 126 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE procédures administratives nécessaires qui régissent les relations dans la société et assurent sa sécurité. Les initiatives de réduction des barrières administratives causent souvent la résistance des structures bureaucratiques. Sans un soutien public, elle ne peut pas être surmontée. Mais bon nombre de propositions n’est pas accepté en raison de la complexité du langage juridique ainsi que de la distance entre les autorités et la société. Chaque État est à la recherche de sa façon de surmonter les barrières administratives. Et pourtant il existe des tendances générales qui peuvent distinguer les tendances suivantes. I. LA DÉRÉGLEMENTATION L’une des tendances majeures est la déréglementation. Cela ne signifie pas l’abandon de la réglementation mais la comprend dans le cadre des restrictions minimales qui sont nécessaires pour protéger l’État et la société, les collectivités territoriales et professionnelles, personnes physiques et morales. Un nombre croissant de pays se détourne des pratiques législatives imposant des réglementations trop détaillées. En particulier dans le domaine économique, on utilise des standards ou des normes techniques qui réglementent de manière minutieuse les produits et services. Mais, de plus en plus, on a recours à des directives où sont principalement formulés des principes de solutions techniques, des résultats attendus et des exigences de la sécurité de produits et services. La déréglementation est également réalisée sous la forme de la délégation des fonctions aux organismes d’autoréglementation. Les associations des producteurs de biens et de services élaborent les règles dont beaucoup sont approuvés par les autorités administratives compétentes. De plus en plus se répand largement la pratique « corporative » des règlements qui sont adoptés par les grandes corporations. Par exemple, au sein du groupe Siemens il existe un grand nombre d’actes locaux. À titre d’exemple on peut citer le document : « Standardisation, réglementation technique et évaluation de conformité : principes généraux ». La déréglementation présente un certain nombre d’avantages : - Le processus de l’élaboration et de l’harmonisation de la législation devient moins laborieux ; - On donne aux textes juridiques une plus grande flexibilité qui répond au processus continu de renouvellement des relations sociales ; - On assure pour la société et les citoyens une plus grande liberté d’action sous réserve des règles de responsabilité. V. I. LAFITSKI : COMMENT SURMONTER LES BARRIÈRES ADMINISTRATIVES ? 127 En plus, pour ce qui concerne notre sujet – le niveau de barrières administratives réduit sensiblement. Par conséquent, nous considérons ce mécanisme en détail. L’Union Européenne a choisi la voie de la déréglementation. Et ce n’était pas en raison de la question de la complexité de l’harmonisation des solutions ou des difficultés de l’élaboration de standards détaillées pour l’ensemble des biens et services, mais pour favoriser la liberté d’entreprise et d’autres activités. Par conséquent, on a choisi une voie différente – celle d’élaborer des directives pour les catégories appropriées de biens (services) en termes nettement définis : « exigences essentielles à la santé et la sécurité ». Cependant, avec des directives nouvelles, l’Union Européenne élaborait des standards traditionnels sous la forme de « spécifications techniques » pour les produits particuliers. On observe la même tendance à remplacer les directives par des standards ou des actes d’un autre niveau (y compris les actes des organisations d’autoréglementation) non seulement dans les États de l’Union européenne, qui suivent les lignes générales de sa politique juridique, mais aussi dans d’autres pays à travers le monde. Particulièrement, aux ÉtatsUnis, les standards adoptés par les autorités publiques ne concernent, pour l’essentiel, que les produits, qui exigent des mesures de sécurité d’une importance particulière pour la société en général. Un exemple en est l’énergie. La réglementation et le contrôle dans ce domaine relèvent de nombreux organes : Ministère de l’Énergie, Ministère du Commerce, Ministère du Travail, Ministère des Transports, Ministère de l’Agriculture, de l’Agence pour la protection environnementale, Commission de réglementation de l’énergie atomique, Commission de commerce interétatique, Corps des Ingénieurs du Génie de l’Armée américaine. Dans ce domaine, le rôle essentiel appartient aux gouvernements des États. Ce contrôle croisé (de la Fédération et des États) assure un niveau suffisamment élevé à la sécurité énergétique. Les États-Unis ne reconnaissent pas les standards de l’énergie adoptés dans d’autres pays. Les produits importés doivent respecter les normes pertinentes des autorités fédérales et étatiques. Un autre exemple d’un règlement assez strict est celui des technologies de l’information, relevant de la compétence de la Commission Fédérale de Communications (FCC). Cette réglementation a été développée sur la base des normes de la Commission électrotechnique internationale (y compris son Comité spécial international des perturbations radioélectriques). Le même niveau de contrôle est conservé pour des médicaments. L’Administration de l’alimentation et du médicament, qui relève du Ministère de la Santé et des Services sociaux, élabore des standards pour 128 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE répondre aux exigences de l’Organisation mondiale de la santé (en particulièrement, au standard de « pratiques convenables de la production de produits pharmaceutiques »). En général, il convient de noter que la politique de déréglementation a un impact significatif presque partout sur la nature changeante et la réduction de la fréquence des différentes inspections et autres formes du contrôle par les autorités administratives. Elle est ainsi considérée comme l’une des principales orientations des politiques visant à surmonter les barrières administratives. II. LA RÉDUCTION DE PROCÉDURES D’OCTROI DE LICENCE ET DES HARMONISATIONS Dans tous les pays étrangers, on applique les licences pour protéger l’intérêt public, sauvegarder l’environnement, protéger des consommateurs, etc. Dans certains pays, le nombre total de licences, permissions, approbations monte de plusieurs centaines à plusieurs milliers, en affectant négativement la dynamique du développement économique et social. En cours de recherche de la solution à ce problème de nombreux États ont établi des mécanismes permanents de surveillance des barrières et contraintes administratives. Ainsi, on a introduit aux Pays-Bas la méthode du monitoring MISTRAL (Meetinstrument Administratieve Lastendruk). À l’aide de cette méthode on a constaté que, pour la période 1993 à 1998, les coûts administratifs des entreprises néerlandaises ont augmenté de 5,9 milliards à 7,6 milliards d’euros. Sur la base de ces données, le gouvernement néerlandais a pris certaines mesures pour réduire le fardeau. En 2002, ils ont diminué de 25 %. Notamment, on a utilisé les mesures suivantes. On a limité les obligations de production d’informations à transmettre aux autorités administratives. On a normalisé les formulaires, ce qui a permis d’adresser les mêmes documents à des instances administratives différentes. On a largement mis en œuvre des technologies de l’information qui facilitaient la recherche documentaire et les écritures. Le Gouvernement a aboli ou simplifié les procédures les plus lourdes. En particulier, on a révisé les actes réglementaires, qui établissaient les procédures de collecte d’informations. Le Gouvernement a raisonnablement jugé que « le résultat est plus important que la procédure pour y parvenir ». En Belgique, une loi adoptée en 1998 a autorisé l’Agence de simplification des procédures administratives à développer un système d’évaluation et réduction du fardeau des procédures administratives. En effet V. I. LAFITSKI : COMMENT SURMONTER LES BARRIÈRES ADMINISTRATIVES ? 129 on a introduit un « tableau de bord » spécial, qui permet d’évaluer la charge administrative. En Norvège, en 1997, une loi a été adoptée qui a prévu la mise en place d’un Répertoire des obligations des entreprises pour la présentation de leurs comptes. Aux États-Unis, on a adopté la Loi sur la réduction des écritures, qui a autorisé l’OMB (Office of Management and Budget) à surveiller le fonctionnement des procédures administratives. Les décisions de liquidation, de simplification ou d’unification des procédures d’attribution de licences, ou les obligations d’harmonisation, s’inscrivent généralement dans le cadre de programmes gouvernementaux. En général, elles sont fondées sur les principes suivants : - les licences et les obligations d’harmonisation ne doivent être imposées que dans les cas où il existe un risque évident pour l’intérêt public ; - on ne doit pas demander ultérieurement des certificats, permis, approbations, s’il n’y a aucun doute sur les capacités des candidats ; - les exigences relatives aux capacités des candidats doivent être déterminés en tenant compte principalement d’un seul facteur – la conduite des affaires sans compromettre l’intérêt public ; - les exigences relatives aux informations à fournir et aux procédures doivent être limitées aux objectifs mentionnés ci-dessus. Ainsi, aux Pays-Bas l’application de ces principes a permis en 1998 de supprimer plus de 500 procédures de licences, permis et autorisations, en vertu des règles de la Direction générale de la vérification. En Belgique, en 2000, l’Agence pour la Simplification Administrative a entrepris une étude de toutes les procédures existantes relatives à l’établissement des entités commerciales. Sur cette base, on a organisé l’introduction de la procédure unique d’enregistrement des personnes morales dans certaines branches de l’économie. En Pologne depuis 1999 on a réduit de 30 à 8 les catégories d’activités économiques pour lesquelles des permis sont requis. Depuis 2000, la France a mis en œuvre plusieurs initiatives visant à réduire les procédures de licences, permis et approbations, ce qui a rendu possible la réduction de leur nombre total de plus d’un quart. Au Mexique, en janvier 2002, on a établi le Système d’Ouverture Rapide de l’Entreprise (Sistema de Apertura Rapida de Empresas). Il permet de réduire le nombre de procédures exigées par les offices fédéraux d’enregistrement des entreprises commerciales. À présent, il y a seulement deux procédures d’enregistrement : en tant que contribuable et en tant qu’entité juridique. Des personnes morales sont enregistrées en quelques jours (un jour pour les entrepreneurs individuels). Mais la nouvelle entité 130 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE doit, dans les trois mois suivant l’enregistrement, s’acquitter de toutes les autres formalités, mais très simplifiées, exigées en vertu de la loi fédérale. Le « guichet unique » est devenu l’un des moyens les plus efficaces pour réduire les procédures de licences et d’approbation. Cette mesure est utilisée pour l’enregistrement des nouvelles entreprises et pour résoudre les problèmes courants liés à leurs activités, pour fournir des services publics aux personnes physiques, pour le traitement des demandes des personnes physiques. L’introduction du principe de « guichet unique » a de nombreux avantages. Il facilite l’ouverture et la conduite des entreprises, réduit le temps et l’argent nécessaires à la recherche des informations et à la coordination des questions, fournit un meilleur niveau de déclaration des entreprises et de leur interaction avec des autorités de régulation et de surveillance. Dans la pratique des pays étrangers on utilise plusieurs modèles. Ils peuvent être généraux et spécialisés : pour des petites et moyennes entreprises, pour des industries spécifiques, pour les questions relatives à la fourniture de certains services, etc. Par exemple, en Irlande, en 1998 a été crée l’Office pour les entreprises (Enterprise Ireland), qui fournit des services principalement aux petites entreprises engagées dans la production et l’exportation de marchandises. L’Office fonctionne selon le principe de « guichet unique », offrant un ensemble d’informations et de services sur l’organisation et la conduite des affaires. En Italie, il existe depuis 1999 l’Agence de développement régional et des affaires (Sviluppo Italia). Elle regroupe les institutions créées antérieurement pour soutenir et encourager l’activité entrepreneuriale. Une de ses activités est d’attirer les investissements et d’améliorer l’efficacité de leur utilisation. En Grèce, en 1997, une agence spécialisée pour attirer les investissements étrangers a été créée sur le principe de « guichet unique » (ELKE). Il convient de noter l’expérience du Mexique où les structures pertinentes sont établies dans des structures non étatiques, mais des organismes publics, principalement dans les chambres de commerce (par exemple, Chambre de commerce de la ville de Mexico). Le principe de « guichet unique » est le plus largement utilisé pour résoudre les questions de licences. Par exemple, en Australie on a créé un service d’information sur les licences des entreprises (BLIS), qui fournit toutes les licences, permis et autorisations, dont les services sont installés à tous les niveaux de gouvernement – national, régional (États) et locaux. V. I. LAFITSKI : COMMENT SURMONTER LES BARRIÈRES ADMINISTRATIVES ? 131 Selon certaines estimations, l’introduction de « guichet unique » a réduit de 10 à 15 fois le coût de ces formalités. Les offices similaires pour faciliter l’ouverture de business opèrent en France (Centres d’établissement de la documentation des entreprises), en Espagne, au Luxembourg et dans plusieurs autres États. III. AMÉLIORATION DE LA QUALITÉ DES RÈGLEMENTS ADMINISTRATIFS ET DES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES L’exemple classique est celui des États-Unis. Dans ce pays, le développement des actes administratifs est effectué en vertu des règles générales établies par la Loi sur les règles de la procédure administrative. En particulier, elle prévoit les exigences suivantes. Les organismes compétents doivent publier dans le Registre des actes fédéraux (Federal Register) les informations sur le développement de projets des actes réglementaires. Les entreprises et les organisations intéressées peuvent soumettre leurs suggestions et commentaires pour les projets publiés et participer aux audiences publiques. Les actes réglementaires peuvent prendre effet au plus tôt 30 jours après leur adoption (art. 553 du titre 5 du Code des lois des États-Unis). Les procédures similaires sont établies dans beaucoup d’autres pays (Grande-Bretagne, Canada, Allemagne, Suède, Norvège, Danemark, etc.). Aux États-Unis, on a adopté en 1980 la Loi sur la réduction des écritures. La loi a établi dans le cadre de l’Administration du Président un Bureau spécial de l’information et de la gestion. La responsabilité du Bureau est d’évaluer la charge des actes administratifs pour la société, y compris les entreprises. Le Bureau analyse les projets d’actes des ministères fédéraux. Si le Bureau refuse de les approuver, ils ne peuvent pas être adoptés par le ministère ou l’organe qui les a préparés. Comme on l’a déjà indiqué, tous les projets d’actes administratifs doivent être antérieurement publiés. Il convient de souligner qu’ils sont publiés avec la note et le numéro de la décision du Bureau de leur approbation. L’approbation du Bureau de l’information et de la gestion n’est valable que pour trois ans. Après cette période un acte valide doit être réévalué. Le projet de décision est publié 30 jours avant l’entrée en vigueur, ce qui permet aux parties intéressées d’exprimer leurs objections ou suggestions. S’il est nécessaire on tient les audiences publiques, qui sont largement rapportées dans les médias. De nombreux pays ont adopté des mesures spécifiques pour réduire les délais de l’adoption des actes. Par exemple, en Italie, la Loi de procédure 132 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE administrative de 1990 prévoit que le terme de la décision après la demande de personnes physiques et morales ne peut excéder trois mois. Aux Pays-Bas, le terme ne peut excéder quatre semaines. Seulement dans des cas exceptionnels, il peut être prolongé de quatre semaines. En Espagne, la Loi de procédure administrative prévoit une période maximale de prise de la décision de six mois. Ces dernières années, de nombreux États ont sensiblement simplifié les procédures de décision sur requêtes et plaintes des personnes physiques et morales (Loi sur la procédure administrative de Grèce de 1999, Loi française du 12 avril 2000, etc.). Certains d’entre eux ont introduit l’institution des « décisions implicites » dans lesquelles « le silence vaut consentement ». Cette institution est établie par la Loi sur la procédure administrative en Italie, la Loi fédérale sur les procédures administratives du Mexique, etc. Elle est appliquée en France seulement dans les cas expressément prévues par la loi ; dans les autres cas, le silence de l’administration vaut décision implicite de rejet, que l’on peut contester1. Dans de nombreux pays, après les États-Unis, les projets des actes règlementaires sont coordonnés avec les représentants du monde des affaires. Une attention particulière est portée à la terminologie de la réglementation administrative. Ainsi, en France en 2001, a été formé un Comité d’orientation pour l’amélioration du langage administratif. Aux États-Unis on a créé un site spécialement conçu pour aider les gens à comprendre les textes des procédures administratives. Dans certains pays on a adopté les Chartes de services publics. Par exemple, en Corée depuis 1998 à l’initiative du Ministère de la gestion publique et des affaires intérieures (MOHAGA) a commencé le processus de l’élaboration des chartes de services publics avec une description détaillée des critères, des procédures de prestation, des mesures visant à protéger les droits des consommateurs de services publics. En Corée, deux fois par an, sont organisées des conférences nationales où des représentants d’organisations non gouvernementales présentent leurs propositions pour l’amélioration des procédures administratives, l’élimination et la réduction des barrières administratives. Au Danemark, depuis 1996, les enquêtes sont menées auprès de 500 représentants d’entreprises sur certaines questions de gestion dans le domaine de l’entrepreneuriat, qui sont compilées et publiées. Dans la plupart d’États, on a formé des organes spéciaux qui coordonnent les efforts du gouvernement pour réduire les charges administratives. 1 Pour les détails, cf. l’article de P. CASSIA, p. 195 et s. V. I. LAFITSKI : COMMENT SURMONTER LES BARRIÈRES ADMINISTRATIVES ? 133 En France en 1998 a été fondée une Commission sur la simplification des procédures administratives. Elle présente un rapport annuel au Premier ministre sur la conduite de ces réformes. Il rend compte chaque année au Premier ministre sur l’exécution de ces réformes. Des fonctions similaires ont été données à l’Agence pour la simplification des procédures administratives de la Belgique. En 2000, la Commission fédérale du Mexique a été crée pour améliorer la gestion (COFEMER). En Corée, en vertu de la loi de 1997 a été crée une commission de réforme de la gestion. En 2000, le Gouvernement néerlandais a créé le Comité consultatif pour évaluer la charge administrative (ACTAL). Dans l’amélioration des réglementations et procédures administratives revêt une importance particulière compte tenu de l’introduction à grande échelle des technologies de l’information. Ainsi, en France, la Commission sur la simplification des procédures administratives est prévue en 1998 un programme d’action national pour fournir des services publics par Internet. En octobre 2000, on a donné l’accès libre aux 1000 des 1600 formulaires administratifs existants, questionnaires, exemples d’applications, etc. En 2006, presque tous sont devenus disponibles. L’accès par Internet est aussi largement assuré aux documents administratifs dans d’autres pays, ce qui peut non seulement réduire les barrières administratives, mais aussi réduire considérablement les dépenses administratives. Par exemple, en Corée, l’économie des fonds publics de l’introduction des technologies de l’Internet est d’environ $ 100 millions par an. On crée des portails intégrés et spécialisés. Ainsi, le portail du gouvernement américain intégré permet d’accéder à l’un des 20 000 sites d’agences et ministères fédéraux et d’obtenir gratuitement une information sur un large éventail de questions. Il convient de noter un autre avantage des technologies de l’information. Ils permettent aux investisseurs de prendre conscience de ce qui se passe au sein du gouvernement. Il ajoute certainement la « crédibilité » auprès des autorités réglementaires. Sur les sites Web du gouvernement et des organes administratifs sont publiées les informations nécessaires aux personnes physiques et morales. Par exemple, au Danemark, un portail gouvernemental présente les avantages offerts aux entreprises en précisant les règles administratives existantes et les conditions. En Australie, on a effectué des recherches qui ont montré que les technologies de l’Internet peuvent économiser en moyenne une à deux heures pour obtenir des informations sur un sujet d’intérêt pour les investisseurs). Une autre forme des technologies d’Internet est l’échange par l’Internet des rapports, des mémos et d’autres documents, que les entreprises, les 134 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE organisations et les citoyens devraient fournir aux organismes de régulation ou de contrôle. Par exemple, en Hollande, le Bureau fiscal, le Service de la sécurité sociale et le Service national des statistiques ont élaboré des standards communs pour de tels documents. En outre, aux Pays-Bas on a achevé la mise en place d’un système unique d’échange d’informations entre les entreprises et les administrations. Cela contribue à une réduction considérable (jusqu’à 50 %) du niveau des barrières administratives existantes. Dans la plupart des pays industrialisés on achève la mise en place des registres uniques d’entreprises sur l’Internet. Par exemple, en Australie on a établi le Registre australien des entreprises basé sur une utilisation des numéros d’identification unique des organisations commerciales dans toutes les institutions gouvernementales. Dans de nombreux pays, à travers l’Internet on réalise les contrats administratifs sur la fourniture des biens et services. Par exemple, en Italie, il existe un système centralisé de passation des marchés publics (Consip S.p.A), qui relève du Ministère de l’économie et des finances. Un système similaire fonctionne en Belgique, en France, au Canada et dans plusieurs autres États. IV. LA CRÉATION D’AGENCES SPÉCIALISÉES POUR PROMOUVOIR LES ENTREPRISES INNOVANTES ET LES PROJETS À IMPACT SOCIAL, LES ENTREPRISES PETITES ET MOYENNES L’orientation principale suivante est la création d’institutions spécialisées pour promouvoir des entreprises innovantes et des projets à impact social, les entreprises petites et moyennes. Une attention particulière devrait être donnée à l’expérience de la France. Un rôle clé est joué par les Centres Régionaux d’Innovation et de Transfert de Technologie. Elles établissent un lien entre des institutions scientifiques et éducatives, des centres de recherche et de laboratoires, d’un côté, et les structures d’entreprise, de l’autre côté. Les objectifs d’une telle interaction sont imposés sur les organismes gouvernementaux et leurs bureaux régionaux. Parmi eux, on doit relever l’Agence nationale pour la recherche, l’Association nationale des techniques de recherche, l’Agence de l’Environnement et de l’énergie, l’Agence pour la diffusion de l’information technologique. Une attention particulière devrait être accordée à l’Agence nationale pour la recherche crée en 2005 pour financer des projets de recherche des entités publiques, ainsi que privées. Dans bien des égards il ressemble à une Fondation Scientifique Nationale des États-Unis. En 2006, l’Agence a été V. I. LAFITSKI : COMMENT SURMONTER LES BARRIÈRES ADMINISTRATIVES ? 135 dotée de 800 millions d’euros pour des projets de recherche dans un spectre très large, y compris la recherche interdisciplinaire. Une expérience également intéressante est celle de l’Agence pour l’évaluation de la recherche et l’enseignement supérieur, qui est chargé de contrôler les activités de recherche des établissements d’enseignement supérieur. Chaque année, l’Agence prépare un rapport sur le secteur scientifique d’État en France. La loi organique sur les lois de finances (2001) impose la transparence des comptes publics aussi dans le domaine de la science, et donc à l’ANR. En 2005, le Groupe OSEO a été formé par la fusion de l’Agence nationale pour la valorisation de la recherche et de la Banque du développement des entreprises petites et moyennes. Son objectif est de fournir un soutien financier dans les phases les plus critiques de l’innovation : la création d’entreprises innovantes, le développement d’innovation dans la production, etc. Le Groupe dispose d’un vaste réseau de bureaux régionaux. Au niveau régional, la fonction de coordination est effectuée par les Centres de développement technologique et les Délégations régionales pour la recherche et la technologie, en collaboration étroite avec le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Au niveau local, la politique d’innovation est mise en œuvre par les centres d’excellence, de nombreux départements de l’Institut Carnot, ainsi que des centres scientifiques et éducatifs, publics comme privés. Un autre modèle est introduit en Irlande. La mission de promouvoir le développement économique est effectuée par des organismes tels que l’Agence pour l’investissement et le développement (Investment and Development Agency), le Conseil national politique et consultatif pour les entreprises, le commerce, les sciences, la technologie et l’innovation (The National Policy and Advisory Board for Enterprise, Trade Science, Technology and Innovation), Ministère de l’entreprise, du commerce et de l’emploi (Department of Enterprise, Trade and Employment, abrégée – Enterprise Ireland), l’Agence pour l’enseignement supérieur (The Higher Education Agency), etc. On effectue la recherche de nouvelles structures organisationnelles d’aide aux entreprises. Récemment, selon une instruction du Premier ministre on a créé une unité spéciale pour l’innovation (Innovation Taskforce). Ses tâches principales : l’évaluation des options pour développer l’innovation et la commercialisation des innovations ; expansion de la base des produits du renseignement national ; l’élaboration de recommandations sur l’approfondissement de la coopération entre les entreprises privées et les institutions et organismes gouvernementaux ; l’élaboration de recommandations sur l’amélioration de la législation. 136 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE De nombreux pays européens essaient de construire un système de promotion de l’innovation à trois niveaux. On peut remarquer l’expérience du Royaume-Uni. À présent, l’organe responsable du développement économique est le ministère du commerce, de l’innovation et de la formation (Department for Business), de l’Innovation et des Compétences (BRI). Au niveau régional les objectifs de promouvoir le développement économique sont poursuivis par les Agences de développement régional (Regional Development Agencies Act 1998) au nombre de neuf2. Les objectifs de ces organismes régionaux sont : (1) encouragement du développement économique et revitalisation du territoire ; (2) promotion de l’efficacité de la conduite des affaires, d’investissements, de la compétitivité du territoire ; (3) action sur l’emploi ; (4) faciliter l’acquisition et l’application des compétences nécessaires à l’emploi ; (5) contribution à la réalisation du développement durable du Royaume-Uni, dans la mesure où cela est possible dans un territoire donné. Les agences régionales, avec l’accord du Secrétaire d’État, peuvent attribuer une aide financière, fournir des lotissements à un prix inférieur au prix de marché, prendre (former, acheter) des parts dans le capital social. En plus des agences régionales, il existe aussi des Agences indépendantes de développement d’Irlande du Nord, d’Écosse, du Pays de Galles, rattachées aux assemblées régionales. Un système à trois niveaux pour promouvoir le développement économique s’est ainsi construit dans de nombreux pays du monde entier, également en Suède avec l’agence nationale d’investissement, des autorités régionales et municipales, ou en Espagne. Dans ce cadre une attention particulière est accordée à la promotion des entreprises petites et moyennes. Plusieurs études montrent que la charge financière des entreprises petites et moyennes pour l’exécution des procédures administratives en proportion du nombre de travailleurs employés est environ cinq fois plus élevée que pour les grandes entreprises. Ces faits sont un témoignage éloquent de la nécessité de prendre des mesures spéciales pour aider les entreprises petites et moyennes. On peut distinguer plusieurs approches pour résoudre ces problèmes. La première approche consiste à apporter une assistance aux petites et moyennes entreprises dans la mise en œuvre des procédures formelles et des conditions établies par la loi. 2 Ces agences viennent d’être supprimées, début 2011, par le gouvernement Cameron (NdlR). V. I. LAFITSKI : COMMENT SURMONTER LES BARRIÈRES ADMINISTRATIVES ? 137 La seconde approche se fonde sur la suppression ou la simplification des formalités et des conditions, ce qui les rend moins lourdes pour les petites et moyennes entreprises. La troisième approche est celle de la création d’organes spéciaux destinés à examiner et à protéger les intérêts des petites et moyennes entreprises (aux États-Unis - Small Business Administration, au RoyaumeUni - Services pour les petites entreprises, etc.). Dans certains pays, on a adopté des programmes nationaux visant à promouvoir les entreprises petites et moyennes et des lois complexes régissent ce segment de l’économie nationale. Ainsi, aux États-Unis, en 1996, on a adopté la Loi sur l’ « administration équitable de la petite entreprise ». Au Royaume-Uni à l’initiative du gouvernement, a été mis en œuvre un ensemble de mesures d’encouragement aux petites entreprises (en particulier, la simplification des comptes annuels pour les entreprises de moins de 50 salariés). En Australie, en 1996, a été fondé le Service de la déréglementation des petites entreprises. Au moment de sa création, les petites entreprises consacraient en moyenne 16 heures par semaine à des tâches administratives exigées par la réglementation. En conclusion, il est nécessaire d’étudier l’expérience des pays étrangers pour surmonter les barrières administratives. Bien sûr, tous les mécanismes et outils ne sont pas applicables à la réalité russe. En particulier, on doit faire preuve de prudence en matière de déréglementation. Dans les conditions d’un faible développement des institutions de la société civile, la déréglementation peut avoir des effets très négatifs. D’un autre côté, dans la pratique des pays étrangers, on peut trouver de nombreux mécanismes universels et des instruments qui s’appliquent indépendamment des différences dans l’ordre économique et politique. Et ce sont eux qui doivent inspirer le législateur. II ACTES ADMINISTRATIFS ET DÉCISIONS ADMINISTRATIVES EN RUSSIE ET EN FRANCE LES ACTES ADMINISTRATIFS EN RUSSIE : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION Aleksandr F. NOZDRATCHEV I. LA NOTION D’« ACTE ADMINISTRATIF » Dans la doctrine russe du droit administratif, il est généralement admis que les actes administratifs représentent la forme principale et la plus significative de réalisation des missions, objectifs et fonctions du pouvoir exécutif. Par le biais de ces actes, les organes du pouvoir exécutif (ou leurs fonctionnaires) dans le cadre de leur compétence : - définissent les missions ; - prescrivent les mesures ; - édictent les règles de conduite ; - attribuent les droits ; - imposent les obligations ; - modifient ou abrogent les relations de droit administratif ; - prévoient les sanctions. De cette manière, les actes administratifs sont directement « incorporés » dans le système d’administration et dans les procédures administratives internes correspondantes des organes du pouvoir exécutif. Des termes différents ont été utilisés jusqu’à aujourd’hui dans la doctrine russe du droit administratif : « acte d’administration », « acte juridique d’administration », « acte juridique de l’organe du pouvoir exécutif », « décision administrative », « acte de décision administrative » etc1. Ce n’est que dans la dernière période, avec la révision de l’appareil 1 V. par ex. R. F. VASILIEV, Правовые акты органов управления [Les actes juridiques des organes administratifs], Moscou, 1970, p. 5 ; ibid., Акты управления (значение, проблемные исследования, понятия) [Les actes d’administration (leur importance, les problématiques, les notions)], Moscou, 1987, p. 3, et plus récemment : L. L. POLOVA / M. S. STUDENIKINA (dir.), Административное право: Учебник [Droit administratif. Manuel], Moscou, 2008, p. 237 (chap. 8, 142 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE conceptuel du droit administratif russe que l’on commence à utiliser des termes nouveaux : « acte d’administration publique », « acte juridique administratif », « acte exécutif » et « acte administratif », aussi bien pour des actes individuels que pour des actes à caractère réglementaire des organes du pouvoir exécutif2. Avec le changement de l’objet du droit administratif russe et des relations qu’il régit, il convient de reconnaître que le rejet du terme « acte d’administration » est justifié. À notre avis, il est préférable de favoriser l’emploi du terme « acte administratif » pour désigner, en tant qu’institutions juridiques, les actes des organes du pouvoir exécutif. Précisément le terme « acte administratif » exprime avec le plus de netteté l’expression de la puissance publique par l’organe du pouvoir exécutif, à la fois expression de volonté et manifestation extérieure de celleci – c’est l’acte par lequel il exécute les fonctions qui lui sont imparties par les prescriptions juridiques et avec l’objectif de produire des effets juridiques dans les relations de droit administratif correspondantes. L’avantage du terme « acte administratif » consiste en ce que même sémantiquement il démontre sans ambiguïté l’action volontaire et la manifestation d’autorité de l’organe du pouvoir exécutif dans le cadre de sa mission administrative et réglementaire. L’emploi du terme « acte administratif » a également une signification non moins importante au niveau international et comparatif, car ce terme est le plus universel et le plus largement utilisé dans la doctrine du droit administratif des pays étrangers. Les juristes français ont joué et jouent toujours un rôle éminent pour la théorie des actes administratifs du droit administratif russe, et parmi eux notamment : Jean-Marie Auby, Guy Braibant, Pierre Delvolvé, Léon Duguit, Georges Dupuis, Marie-José Guédon, Maurice Hauriou, Benoît Jeanneau, Gaston Jèze, Jean-François Lachaume, Letourneur, Georges Vedel, Yves Petit, Paul Roubier et d’autres. Cette dénomination ne contredit pas le fait que les actes administratifs peuvent être de nature juridique et avoir des effets juridiques différents : par M. V. GALKINA) ; Y. N. STARILOV (dir.), Общее административное право: Учебник [Droit administratif général], Voronej, 2007, (chap. 11, par Y. N. STARILOV). 2 Y. A. TIKHOMIROV, Курс административного права и процесса [Cours de droit et de contentieux administratifs], Moscou, 1998, p. 137 ; D. N. BAKHRAKH, Административное право: Учебник [Droit administratif. Manuel], Moscou, 1996, p. 157 ; D. N. BAKHRAKH / S. D. KHAZANOV, Формы и методы деятельности государственной администрации [Formes et méthodes de l’activité de l’administration publique], Ekaterinbourg, 1999, p. 7 ; O. V. TOKAREV, Администратвиные акты: материальные и процессуальные проблемы современной теории [Les actes administratifs : problèmes matériels et processuels de la théorie contemporaine], thèse, Voronej, 2001 ; F. F. YAKHIN, Действие административно-правовых актов [L’effet des actes juridiques administratifs], thèse, Moscou, 2004. A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION 143 actes réglementaires, qui conditionnent l’apparition de relations de droit administratif stables trouvant leur fondement dans la loi ; ou actes individuels déterminent l’apparition des relations concrètes de droit administratif. La nature juridique des actes administratifs peut donc varier. Ils peuvent être de nature réglementaire, individuelle, et certains sont « mixtes ». La valeur juridique des actes administratifs en tant qu’expression de leur « subordination » à d’autres actes est également différente. Selon ce critère, ils forment un système hiérarchique complexe au sein duquel la place de l’acte est strictement conforme à celle de l’organe du pouvoir exécutif l’ayant édicté dans l’appareil d’État et à sa compétence. Les actes administratifs se distinguent par domaine de leur action. Ils peuvent produire leur effet seulement dans les limites d’un territoire défini, ne concerner que certaines personnes et se différencier par leur objet. Mais ce qu’ils ont en commun justifie que l’on puisse les regrouper au sein d’une même catégorie d’actes des organes du pouvoir exécutif, sous l’appellation commune d’« actes administratifs ». Selon les caractéristiques communes qui les unissent, les actes administratifs : - émanent des organes du pouvoir exécutif de l’État et, par conséquent, ont le caractère d’actes de la puissance publique de l’État. Leur exécution est obligatoire pour tous les sujets auxquels ils s’adressent ; - ne peuvent être édictées qu’en fonction de la compétence, matérielle ou territoriale, de l’organe du pouvoir exécutif, déterminée par la Constitution ou par la loi ; - se rapprochent par leurs modalités d’adoption et leurs formes juridiques. Les formes des actes administratifs normatifs sont spécifiques et variées (arrêté, décision, ordre, instruction, directives, etc.). Mais, dans la majorité des cas, il est impossible de définir la nature juridique d’un acte administratif par sa forme. On peut reconnaître à tous les actes administratifs comme catégorie spécifique d’actes juridiques un certain nombre de caractéristiques communes qui permettent de les distinguer au sein du système juridique. Le terme « actes administratifs » permet de saisir la totalité des actes des organes du pouvoir exécutif et de les différencier en fonction des relations sociales, des missions, des objectifs dont ils sont chargés et de les relier organiquement aux autres mesures prises par les organes du pouvoir exécutif. Les termes « du droit » (ou : « juridique ») dans la dénomination des actes administratifs apparaît superflue. Toutes les démarches et toutes les relations des organes du pouvoir exécutif sont régies par le droit. Ces 144 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE autorités fonctionnent dans les conditions du régime du droit, et « l’outillage » principal de leur activité revêt inévitablement un caractère juridique. La réglementation juridique des moyens d’action des organes du pouvoir exécutif, qui s’expriment dans les actes administratifs, est une composante obligatoire de ce régime. Dans la doctrine du droit administratif russe, jusqu’à présent, il n’y a pas de réponse précise à la question de savoir si les organes du pouvoir exécutif ont un pouvoir exclusif d’édicter des actes administratifs ou si de tels actes peuvent également émaner d’autres sujets exerçant certaines fonctions dans le domaine de l’administration publique. Ainsi, la Banque Centrale de Russie ne fait pas partie du système des organes fédéraux du pouvoir exécutif, mais en même temps, elle constitue un organe d’administration de l’État. Pour les questions relevant de sa compétence : l’organisation de la circulation monétaire et les règlements par compensation (clearing), l’application de la politique monétaire et du crédit, l’exécution des opérations bancaires, la surveillance des activités des établissements de crédit etc., la Banque Centrale de Russie édicte aussi bien des actes définissant des normes, que des actes établissant des rapports concrets de droit. Comme tous les actes administratifs des organes du pouvoir exécutif, les actes de la Banque Centrale de Russie ne peuvent pas contredire les lois fédérales et sont obligatoirement enregistrés par le Ministère de la justice. Cela signifie que les actes de la Banque Centrale de la Russie ont toutes les caractéristiques génériques des actes administratifs. Le pouvoir exécutif en Russie possède une structure à deux niveaux : le niveau de l’État (les organes du pouvoir exécutif) et le niveau local (municipal). Au niveau des collectivités locales, sont institués des organes exécutifs de caractère non étatique, car les organes des collectivités locales ne font pas partie du système des organes du pouvoir exécutif. L’administration locale est l’autorité exécutive et gestionnaire de la collectivité locale. Par les dispositions des statuts de la collectivité locale, elle est investie du pouvoir de régler les questions d’importance locale et du pouvoir d’exercer certaines fonctions de l’État déléguées aux organes des collectivités locales par les lois fédérales et les lois des sujets de la Fédération de Russie. La capacité d’édicter des actes administratifs concernant les questions relevant de leurs attributions constitue l’élément indispensable de la compétence de l’administration locale. Les actes administratifs de l’administration locale peuvent déterminer des droit et obligations des fonctionnaires de la collectivité locale, les conditions de procédure relatives à la fourniture des services communaux et à l’exercice de ses pouvoirs. Il n’est pas rare que l’on trouve dans des actes administratifs municipaux des interdictions : interdiction de l’activité d’entreprises commerciales A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION 145 produisant de l’alcool ou du tabac la nuit ; interdiction des décharges dans les limites d’agglomération ou dans les territoires interstitiels, etc. Les actes administratifs des administrations locales concernant les droits, les libertés et les obligations de l’homme et du citoyen entrent en vigueur après leur publication officielle. De cette manière, la notion des « actes administratifs » englobe aussi bien les actes juridiques des organes du pouvoir exécutif et d’autres autorités publiques exerçant leurs fonctions dans le domaine de l’administration publique, que les actes juridiques des administrations locales. Les actes administratifs des collectivités locales forment le premier degré du système général des actes administratifs en Fédération de Russie et possèdent un objet propre, des limites spécifiques et une base normative. Sur la base de la loi, ils constituent des actes juridiques unilatéraux, adoptés par l’organe de la collectivité locale (ou son chef) qui établissent, modifient ou abrogent les normes juridiques locales, ou servent à établir, modifier ou interrompre les rapports juridiques d’ordre municipal nécessaires à la réalisation des missions et des fonctions de la libre administration locale. Du point de vue de leur nature juridique, de leur valeur juridique et de leur protection, les actes administratifs des collectivités locales sont reconnus et étudiés par la doctrine russe comme des actes des pouvoirs publics (N.A. Antonova, O.V. Koudriakova, E.I. Koliouchine, T.S. Maslovskaïa, A.N. Postovoï, E.C. Chougrina, notamment). II. PRINCIPAUX CARACTÈRES D’UN ACTE ADMINISTRATIF Nonobstant les différences entre les actes administratifs au niveau de leur nature et de leur valeur juridique, ils possèdent certains caractères « génériques » inhérents, par lesquels ils se distinguent dans la hiérarchie des actes juridiques et occupent une place définie. La forme. La législation définit précisément la forme des actes administratifs, à laquelle on ne peut déroger. Les organes du pouvoir exécutif ne peuvent édicter que les types des actes qu’ils sont habilités à adopter. Ces types d’actes sont précisés concrètement soit par la loi, soit par le règlement concernant l’organe etc. Tous les autres actes des organes du pouvoir exécutif édictés sous une autre forme ne sont pas des actes administratifs et n’ont pas le caractère de droit. Le rattachement. Les actes administratifs concernent les activités exécutives et font partie des principaux moyens de droit de leur organisation et de leur exercice pratique, d’où il résulte que leur édiction est strictement conditionnée par la compétence de l’organe du pouvoir exécutif établie aussi bien par la loi, que par un acte du pouvoir exécutif. La compétence est à la 146 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE fois une référence normative et une restriction juridique. Un acte administratif ne concernant pas un objet entrant dans les attributions d’un organe du pouvoir exécutif ou dépassant les limites de sa compétence est entaché d’ « incompétence » et ne peut être exécuté. Afin d’assurer la compétence d’un acte administratif, l’organe du pouvoir exécutif est tenu de vérifier lui-même, sans le concours du procureur, les limites de ses attributions du point de vue matériel, fonctionnel et territorial. Un acte administratif adopté par une instance incompétente est entaché d’incompétence et passible d’annulation. Propriétés et caractéristiques formelles du document. Un acte administratif est un document fixant des informations sous la forme d’un texte, destiné à être communiqué dans le temps et dans l’espace afin de régler les affaires concrètes qui se présentent à l’occasion du fonctionnement des organes du pouvoir exécutif. L’idée affirmant qu’un acte administratif est « …un document écrit … », ne reflète pas toute la spécificité des activités des organes du pouvoir exécutif. L’un des aspects de la spécificité des actes administratifs est le mode d’expression des informations qu’ils comprennent. Pratiquement dans 100 % des cas, il peut être exprimé par écrit, mais il peut également l’être en forme orale, aussi bien que par des signaux, des gestes etc. Néanmoins, dans tous les cas, c’est la langue normative qui est inhérente à l’acte administratif, les termes du droit, le respect des règles supérieures et les références propres à chaque acte. La puissance publique. L’acte administratif exprime de manière unilatérale la volonté de l’organe du pouvoir exécutif sur un sujet défini par la loi ou par un acte normatif de l’organe hiérarchique supérieur du pouvoir exécutif. L’acte administratif est une forme de résolution d’un problème administratif. L’essence de cette solution administrative peut consister en l’établissement, la modification ou l’abrogation d’une norme juridique, ou de dispositions concrètes de caractère exécutif et administratif sans l’accord du destinataire de l’acte. « À l’aide de ces actes, émanant de la volonté qui se forme au sein de celui qui, par une manifestation psychique se tourne vers l’extérieur, l’expression de la volonté est capable de produire un effet juridique déterminé »3. L’organe du pouvoir exécutif (ou le fonctionnaire) adopte seul et de manière indépendante, guidé seulement par la loi et les prescriptions d’actes réglementaires subordonnés à la loi, ainsi que par les données de fait, l’acte administratif et contrôle son exécution. L’autorité et l’indépendance de l’organe du pouvoir exécutif (du fonctionnaire) dans la préparation et l’adoption de l’acte administratif ne 3 S. S. ALEXEEV, Общая теория права [Théorie générale du droit], Moscou, 1981, vol. 2, t. 1, p. 194. A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION 147 sont pas l’expression de l’arbitraire administratif. L’acte administratif peut être contesté ou reconnu illégal ou nul, donc privé d’effet, selon les modalités extrajudiciaires ou judiciaires établies par la législation (cf not., art. 253.2 du Code de Procédure civile de la Fédération de Russie). Légalité (légitimité). L’essence de la légalité (de la légitimité), ou plutôt de la subordination à la loi des actes administratifs est définie par les formules juridiques suivantes. Les actes sont toujours adoptés : - « conformément à la Constitution et aux lois », ils sont donc liés par les normes supérieures ; - « sur la base et pour l’exécution d’une loi », ils ont donc pour but l’exécution de la loi ; - « dans les limites des droits établis par la loi », la loi en fixe donc aussi la limite ; - « dans les cas prévus par la loi », l’acte administratif ne peut donc intervenir que pour les motifs prévus par la loi ; - dans le respect des limites et des exclusions prévues. Aucun acte administratif ne peut abroger ou modifier une loi. Si un acte administratif est contraire à une loi, c’est la loi qui est appliquée, tandis qu’une loi peut abroger ou suspendre l’effet d’un acte administratif. De cette manière, la loi représente à la fois la base et le cadre pour les actes administratifs. Le même rôle est joué par les actes administratifs « hiérarchiquement supérieurs » (par exemple, les actes du Gouvernement) contenant les normes et créant les droits et les obligations qui s’imposent aux organes visés du pouvoir exécutif. C’est pourquoi l’essence de la légalité se résume en ce que les actes administratifs sont édictés sur la base et en exécution de la loi et d’autres sources « légales » du droit. Les actes administratifs peuvent être édictés par les organes du pouvoir exécutif sur la base et en exécution non seulement des lois, mais également des instructions (ordres – prikaz, prescriptions – rasporiajenie) des organes supérieurs du pouvoir exécutif, lesquels, dans les limites de leur compétence dans l’exécution de leur mission, sont dotés du pouvoir de formuler des prescriptions dont l’exécution est obligatoire pour leurs destinataires. Une norme législative (ou d’un acte administratif « hiérarchiquement supérieur ») peut être la source d’une série de nouvelles normes infralégislatives, dont elle devient la « norme de base », « se dissoudre » en éléments des normes d’actes exécutifs, servir de source d’interprétation et d’application du droit, être porteuse de sanctions. Ainsi, l’article 18 (al. 7) du Code de l’urbanisme de la Fédération de Russie prévoit que les modalités de participation des citoyens de la Fédération de Russie et de leurs groupements à la discussion et à la prise de décision en matière d’urbanisme sont définies par des actes juridiques normatifs des organes des collectivités locales conformément aux lois et actes réglementaires de la Fédération de 148 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Russie, ainsi que conformément aux lois et actes réglementaires des sujets de la Fédération de Russie. En même temps, la doctrine du droit administratif considère qu’il faut éviter la surabondance de normes dans les actes administratifs (exécutifs), car alors on risque de perdre « le sens de l’application de la loi » et d’ouvrir la voie au « dépassement » de la loi, aux « dérogations » à la loi et à « l’interprétation arbitraire »4. Les motifs de droit et de fait. Les actes administratifs détaillent les normes générales contenues dans la loi ou dans l’acte administratif « hiérarchiquement supérieur ». Ils ont pour objet l’activité exécutive au quotidien, dans sa dimension opérationnelle, diversifiée et réglant les multiples aspects de la vie publique et sociale. Au moyen des actes administratifs, le pouvoir exécutif réalise les droits et les obligations des sujets auxquels s’adressent les activités administratives, règle les comportements, satisfait ou rejette les demandes des personnes morales et physiques, des fonctionnaires. Pour cette raison, les actes administratifs doivent être fondés sur les motifs de droit et les motifs de fait prévus par la législation et édictés au moment où ils sont nécessaires. Existence d’une décision. Les actes administratifs sont édictés, pour régler les questions déterminées par la loi, les règlements sur les organes et d’autres actes, sous une forme qui correspond à la typologie (ou à la liste) des questions ou des différentes missions de l’organe supérieur. Par son contenu, un acte administratif est une décision administrative réalisant les missions et les fonctions des activités exécutives et administratives d’un organe du pouvoir exécutif. Les organes du pouvoir exécutif adoptent ces actes dans le cadre de la gestion opérationnelle quotidienne et de la réglementation des domaines et branches économiques, socio-culturels, politico-administratifs et autres. Seuls les actes administratifs peuvent contenir une décision administrative. Uniquement dans ce cas celle-ci peut avoir des effets juridiques sous la forme de : - l’établissement (modification, abrogation) d’une norme juridique ; - ou établissement (modification, cessation) d’un rapport juridique concret relevant d’un organe du pouvoir exécutif. Pour ces raisons, la présence d’une décision administrative doit être considérée comme un indice essentiel et distinctif d’un acte administratif. Il est généralement admis que la décision administrative est l’expression juridique de l’autorité d’un organe du pouvoir exécutif fondée 4 Y. A. TIKHOMIROV, Теория закона [Théorie de la loi], Moscou, 1982, p. 222 ; ibid., Действие закона [L’action de la loi], Мoscou, 1992, р. 79 ; ibid. (dir.), Правоприменение: теория и практика [L’application du droit : théorie et pratique], Мoscou, 2008, p. 90. A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION 149 sur l’analyse et l’évaluation d’une situation administrative concrète, visant la réalisation d’un objectif déterminé et prévoyant les moyens de sa réalisation5. La décision de l’organe du pouvoir exécutif produit un effet juridique parce qu’elle prend la forme juridique d’un acte administratif, réglementaire ou individuel, édicté dans les limites de sa compétence. La décision est préparée et validée selon les règles établies de procédure administrative dans le but de réaliser des fonctions de l’administration publique et de traiter des problèmes administratifs concrets. Mais sans décision il ne peut y avoir d’acte administratif. Par ailleurs, toute décision d’ordre administratif n’est pas un acte administratif. Ne peut être considérée comme acte administratif que la décision prise dans les formes, et présentant la totalité des caractères, d’un acte administratif. Par leur contenu, tous les actes administratifs sont des décisions administratives comportant dans leur essence les objectifs, les tâches, les méthodes et les fonctions des organes du pouvoir exécutif. Les situations administratives sont réglées au moyen d’actes administratifs. Le pouvoir d’appréciation. Un acte administratif vise toujours à résoudre au mieux les affaires et questions administratives à partir de conditions concrètes. C’est pourquoi, un acte administratif est caractérisé non seulement par le critère de la conformité à la loi (légalité), mais par le pouvoir d’appréciation. Celui-ci ne signifie pas que tout est permis. Les organes du pouvoir exécutif exercent leur pouvoir dans le cadre de la Constitution de la Fédération de Russie et des principes constitutionnels et ne sont pas en droit de prendre des décisions arbitraires. Les actes administratifs doivent correspondre au sens général, à l’esprit et au but de la législation. Ces restrictions à leur pouvoir d’appréciation dans la préparation d’un acte administratif sont étroitement liées à l’obligation de l’organe du pouvoir exécutif de motiver toute décision. Les actes administratifs dépourvus de motifs, qui apparaissent déraisonnables, qui contiennent des infractions grossières à la législation en vigueur ou aux principes généraux du droit, qui portent atteinte au principe de légalité, ne sont pas l’expression du pouvoir d’appréciation mais de l’arbitraire. Caractère exécutoire. L’essence juridique d’un acte administratif consiste en ce qu’il contient la réponse juridique obligatoire à un problème administratif. Sans décision, l’acte administratif serait vide de sens. Pourtant, certaines décisions de l’organe du pouvoir exécutif n’acquièrent pas de portée juridique. Ne peut être considérée comme acte administratif que la décision prise dans les formes et présentant tous les caractères d’un acte administratif. Dans ce cas seulement elle est exécutoire, c’est-à-dire que 5 Y. A. TIKHOMIROV, Управленческое решение [Les décisions administratives], Moscou, 1972, p. 33. 150 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE son exécution s’impose directement à tous les sujets auxquels elle s’adresse. L’exécution d’un acte administratif est garantie par les institutions correspondantes de l’État qui, le cas échéant, ont recours à l’exécution forcée. Portée juridique. En fonction de leur nature juridique, les actes administratifs établissent, modifient ou abrogent les normes juridiques, ou ils établissent des relations concrètes de droit administratif comportant des droits ou des obligations pour un sujet déterminé. Pour leur plus grand nombre, les actes administratifs contiennent des décisions concrètes (individuelles), se réfèrent à un cas défini (ou à un certain nombre de cas) et dans cette qualité ils s’appliquent à des faits juridiques qui déterminent la survenance, la modification ou la cessation de relations concrètes de droit administratif. Les actes administratifs de toute nature juridique peuvent constituer : - la base juridique pour l’adoption d’autres actes administratifs (inférieurs dans la hiérarchie des actes administratifs) ; - le moyen d’une action en justice, qu’il s’agisse d’une instance devant une cour constitutionnelle (ou cour instituée par le statut d’un sujet de la Fédération)6, d’une cour d’arbitrage ou d’un tribunal de droit commun ; - la condition de validité d’autres actes des organes du pouvoir exécutif, y compris d’actes ne relevant pas de droit ou d’actes de droit civil (par exemple, un contrat d’achat ou de vente). Caractère officiel. Le caractère officiel d’un acte administratif s’exprime en ce que la décision administrative correspondante de l’organe compétent du pouvoir exécutif (par les fonctionnaires) est prise, non pas en leur nom propre, mais exclusivement au nom de l’État. La volonté exprimée dans un acte administratif est toujours la volonté de l’État. Les actes administratifs sont préparés et édictés dans l’exercice du pouvoir exécutif et des attributions de l’État qui s’y rattachent. De là découle un autre caractère important des actes administratifs : ils sont exécutoires parce qu’ils sont l’expression de la puissance publique. 6 NdT : les sujets de la Fédération n’ont pas tous le même titre pour des raisons historiques et politiques ; notamment, certains portent le titre de République, et sont dotés d’une Constitution, tandis que tous les autres sont dotés d’un statut. Il n’y a pas de différence de valeur juridique entre la Constitution et le statut de sujets de la Fédération. Mais il en résulte que la juridiction constitutionnelle porte selon les cas le titre de cour constitutionnelle ou de « cour statutaire ». A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION 151 III. LES ACTES DES ORGANES DU POUVOIR EXÉCUTIF AUTRES QUE LES ACTES ADMINISTRATIFS Certains actes édités par les autorités du pouvoir exécutif ne sont pas des actes administratifs. L’acte administratif se distingue obligatoirement par la présence d’une décision concernant : - l’établissement de normes juridiques ; - la survenance, la modification ou la cessation de rapports juridiques individuels ; - la reconnaissance, la création ou la modification de situations juridiques ; - l’application de normes juridiques, la protection juridique d’intérêts légitimes etc. Les actes du caractère déclaratif, ainsi que les différents documents préparatoires – notes, notices d’informations, vues d’ensemble, rapports etc. ne peuvent pas être considérés comme des actes administratifs, étant donné l’absence de la décision d’un organe du pouvoir exécutif. On rejoint sans réserve la position de Max Gounelle, lequel, en traitant des actes administratifs parmi les sources du droit public, les qualifie de décisions exécutoires7. Les actes dépourvus de « caractère exécutoire » et, par conséquent, n’apportant pas de modifications dans l’ordre juridique existant, ne peuvent pas être considérés comme des actes administratifs. Les déclarations, les interprétations, les conseils, les mémorandums et les actes similaires de l’organe du pouvoir exécutif ne sont pas considérés dans la théorie du droit administratif comme les actes administratifs, car ils sont dépourvus du « noyau juridique », c’est-à-dire de la décision. Il en va de même pour les promesses. La théorie du droit administratif n’inclut pas non plus dans les actes administratifs les différents documents édités par les organes du pouvoir exécutif, notamment les cartes de service, lesquels, tout en ayant une signification juridique, ne contiennent aucune décision concernant les relations du droit, c’est-à-dire qu’ils ne les établissent, ni ne les modifient, ni ne les abrogent. Ils ne font que documenter (certifier) certains faits. Les documents dépourvus de signification juridique (les attestations et les notes de services, les sténogrammes des réunions de service etc.) sont des sources d’informations de service mais n’ont pas de portée juridique. Néanmoins, les actes dépourvus de portée juridique et ne faisant pas partie des actes administratifs peuvent servir de base à l’adoption d’actes administratifs par les organes du pouvoir exécutif. 77 M. GOUNELLE, Введение в публичное право, Moscou, 1995, p. 239, traduit du français : Introduction au droit public. Institutions, fondements, sources, 2e éd., Paris, Montchrestien, 1989. 152 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Jusqu’à présent, on a discuté dans la littérature juridique sur les documents appelés « concepts », doctrines, lettres, communications, consignes, instructions et autres documents de service par lesquels l’organe du pouvoir exécutif communique aux autorités subordonnées les décisions prises concernant le domaine de leurs activités. Il apparaît justifié de considérer les lettres des ministères et départements comme des actes administratifs si elles « modifient la situation juridique des subordonnés », c’est-à-dire si elles imposent certaines obligations, confèrent certains droits, établissent des modalités d’action etc. Dans ce cas, elles peuvent faire objet de recours administratifs ou de recours en justice. Les instructions (directives) constituent un type spécifique d’actes administratifs. Sont classées dans cette catégorie, les différentes instructions émanant des organes du pouvoir exécutif en ce qui concerne l’exercice d’un pouvoir discrétionnaires dans l’application de critères généraux à des cas individuels. La théorie du droit administratif leur reconnaît une certaine valeur juridique, mais cette position n’est pas admise par tous. Il faut attendre ce que décideront les tribunaux à l’occasion de recours portés devant eux, c’est-à-dire, s’ils assimilent ces documents à des actes administratifs avec toutes les suites juridiques qui en découlent. Le problème n’est pas si simple qu’il peut paraître à première vue. Elle a soulevé des difficultés devant la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie. Dans une décision du 14 juillet 2005, la Cour constitutionnelle a vu dans un acte de vérification fiscale un acte d’application du droit8. Cette position est cependant contestable. L’acte de vérification fiscale établit la réalisation de certains faits juridiques, et sert de fondement (de motif) à l’adoption d’un acte administratif, dans ce cas, en matière fiscale. Bien que le terme « contrat (accord) administratif » ne soit pas employé dans la législation russe, la pratique administrative utilise des contrats administratifs : pour la délimitation des compétences, pour organiser une coopération ou des actions communes, pour l’admission dans la fonction publique etc. Cependant, dans tous les cas, la passation du contrat administratif est soumise à la décision ultime de l’organe compétent du pouvoir exécutif (du fonctionnaire), expression unilatérale de la puissance publique, qui sanctionne l’accord conclu. Cela signifie que le contrat administratif ne doit être considéré que comme une variété d’acte administratif. Le nombre d’expressions de volonté ne suffit pas à distinguer substantiellement le contrat administratif de l’acte administratif, au point d’imposer leur classement dans des catégories différentes. Le contrat administratif indique seulement l’intensité des rapports entre l’organe compétent du pouvoir 8 RL FR 2005, n° 30 (partie II), art. 3200. A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION 153 exécutif et les administrés, le degré de coopération entre organes du pouvoir exécutif fondée sur leur proximité, qui permet de parvenir au meilleur résultat juridique, la décision commune. Si le degré de l’interaction est plus faible, le résultat de droit (la décision) est établi (communiqué) par l’organe du pouvoir exécutif sous la forme de l’acte administratif unilatéral. De cette manière, le nombre d’expressions de la volonté ne fait que différencier les actes administratifs en unilatéraux, bilatéraux et multilatéraux, mais cela signifie que le contrat administratif représente seulement une variété d’actes administratif9. Compte tenu de ces conclusions, on peut donner la définition suivante de la notion d’acte administratif : un acte administratif est un acte juridique unilatéral ou contractuel, édicté par l’organe du pouvoir exécutif sans l’accord du destinataire ou avec son accord (dans le cadre du contrat), n’engendrant pas de relations de droit privé entre les parties, mais modifiant l’ordre juridique existant en affectant les droits ou obligations de personnes physiques ou de personnes morales. IV. LES FONCTIONS DES ACTES ADMINISTRATIFS Les actes administratifs sont des documents officiels écrits émanant du pouvoir exécutif, présentés selon une forme juridique définie, qui sont l’expression de la puissance publique et qui régissent, dans les limites de la compétence de leur auteur, des rapports sociaux. La vocation fondamentale des actes administratifs est d’assurer la régulation des rapports avec l’administration publique, en vue d’atteindre les objectifs et de réaliser les missions de l’administration publique. En cette qualité, les actes administratifs remplissent les fonctions sociales importantes. Les objectifs, les tâches, les fonctions et les méthodes du pouvoir exécutif se reflètent dans ces actes ; les organes du pouvoir exécutif traitent ainsi des différentes questions et situations qu’ils ont à résoudre. 9 Y. A. TIKHOMIROV / N. V. KOTELEVSKAÏA, Правовые акты [Les actes juridiques], Moscou, 1995, p. 95 ; D. N. BAKHRAKH, Административное право: Учебник [Droit administratif. Manuel], Moscou, 2000, p. 340. 154 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE V. LA PORTÉE DES ACTES ADMINISTRATIFS La portée des actes administratifs est confirmée par le fait que la compétence des organes du pouvoir exécutif englobe le domaine le plus large des activités de l’État. Il s’agit de la réglementation des rapports : - économiques ; - budgétaires ; - financiers ; - de crédit et de monnaie ; - en matière sociale ; - en matière environnementale et de toute une série d’autres domaines. L’adoption par les autorités du pouvoir exécutif des actes administratifs n’est pas une action arbitraire, au jour le jour. L’acte administratif n’est jamais seulement le règlement de la question concrète à laquelle il se rapporte ; il doit aussi prendre en compte les missions générales dont l’organe du pouvoir exécutif a la charge. La proclamation des objectifs politiques, sociaux et autres est, dans une certaine mesure, un trait caractéristique des actes administratifs. Les actes administratifs comportent l’indication du but des mesures prises ou des règles édictées. Par exemple, dans l’ordonnance du Ministère de la Santé de la Fédération de Russie du 11 mai 2007, n° 325, « De l’approbation des critères d’évaluation de la performance de l’activité des médecins généralistes (médecins de famille), il est directement indiqué que l’ordonnance vise à « poursuivre l’amélioration de l’organisation des soins médicaux de premier niveau offerts à la population » ; et dans l’annexe de l’ordonnance il est expliqué que l’ « objectif fondamental de l’introduction de critères d’évaluation de la performance des médecins généralistes (médecins de famille) était l’analyse de diagnostic, du travail de soin et de prévention, d’organisation du quartier du médecin généraliste (médecin de famille) des établissements de soin et de prévention en vue d’améliorer la qualité des soins de premier niveau et le suivi de l’état sanitaire de la population résidente ». Les actes administratifs ont un caractère politique. Ils expriment l’orientation de la politique administrative de l’État. Ils contribuent à définir le régime (politique) de l’État, le contenu et les formes de l’activité des organes du pouvoir exécutif. La question d’actualité aujourd’hui est l’élaboration, l’adoption et la mise en pratique par les organes du pouvoir exécutif d’une nouvelle politique administrative conforme aux standards d’un État démocratique et de droit. L’importance de l’élaboration de cette politique, son rôle dans le respect des droits de l’homme, rendent nécessaire l’étude fondamentale de son concept. Les principes des relations entre le pouvoir exécutif et les A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION 155 citoyens, ainsi que les institutions de la société civile, doivent constituer le cœur de la politique administrative. Les actes administratifs sont des éléments constitutifs du système juridique, dans lequel ils ont un rôle considérable. Avant tout, ils remplissent des fonctions importantes au sein du mécanisme de régulation juridique et d’action par le droit. Les actes administratifs donnent vie à la loi. Ils servent à la mise en pratique des lois et des décisions des organes du pouvoir exécutif. L’essentiel de cette « mise en pratique » consiste en ce que, par le biais des actes administratifs, les dispositions de la loi sont portées à la connaissance des exécutants directs, et en ce qu’ils comportent des mesures visant la réalisation de celles-ci. La nécessité des actes administratifs résulte de l’insuffisance des énoncés juridiques généraux face à la variété des situations concrètes et aux intentions du législateur. Les actes administratifs permettent de réglementer les aspects des rapports sociaux qui s’avèrent trop concrets pour être traités dans des termes généraux au niveau d’une loi. De cette manière, les actes administratifs déchargent les lois des détails de « caractère technique ». À défaut des actes administratifs, l’application de beaucoup de lois serait une cause perdue, et ceci est lié au caractère inévitablement général des normes contenues dans les lois. C’est pour cette raison que, ces derniers temps, les lois sont adoptées en « bloc » avec les actes réglementaires nécessaires à leur application, et cette pratique doit être chaleureusement approuvée. Les actes administratifs peuvent ainsi être mis au point pendant la préparation de la loi. La qualité de l’application des lois, et donc de celle des mesures d’application, leur efficacité sociale, dépendent dans une grande mesure de la nature des actes administratifs adoptés et des résultats qu’ils permettent d’obtenir. Les actes administratifs, en effet, peuvent aussi bien renforcer qu’affaiblir la portée des dispositions législatives en influençant leur action. Pour assurer l’application des lois, les actes administratifs doivent introduire des détails importants concernant l’objet de la réglementation, la procédure, les délais, etc. C’est pour cette raison, que la science du droit administratif a toujours souligné l’importance des actes administratifs pour l’application des lois. La phase de préparation des actes administratifs est essentielle à cet égard, car c’est à ce moment que se décide l’efficacité de la loi. On doit donc rechercher les meilleures méthodes de préparation des actes administratifs, sur la base d’observations scientifiques. Elles doivent comporter une discussion de fond des questions les plus importantes avec 156 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE les citoyens, l’introduction d’expertises dans la préparation des décisions les plus importantes, etc. Les actes administratifs doivent répondre de manière rapide et opérationnelle aux nouveaux besoins de la société qui apparaissent spontanément. C’est un devoir des organes du pouvoir exécutif, représentant l’État. Par les actes administratifs, s’opère également la communication directe entre l’administration et les administrés. Dans le système de l’appareil d’État, les organes du pouvoir exécutif sont les plus proches des problèmes nécessitant de nouvelles mesures, en raison de leur expérience dans le domaine ou la branche de l’administration dont ils ont la charge. Au moyen des actes administratifs, les organes du pouvoir exécutif notifient aux destinataires les dispositions légales et organisent leur exécution. Les actes administratifs incorporent des connaissances et expériences spécifiques (économiques, financières, d’enseignement et de formation, de protection de la santé publique etc.), des connaissances approfondies sur des questions spécialisées (par exemple ; la classification des marchandises en vue du dédouanement et le contrôle des marchandises franchissant la frontière douanière de la Fédération de Russie) ; ils sont le reflet des relations réciproques entre les organes du pouvoir exécutif et les destinataires d’une prescription normative, lesquelles résultent d’une pratique sociale établie, formant la base de la réglementation juridique. Tout comme les lois, les actes administratifs doivent partir de besoins du développement social et se conformer à ses objectifs et missions. Selon la Constitution de la Fédération de Russie (art. 7), ils doivent viser « la création des conditions assurant la vie digne et le développement libre de l’homme ». VI. LA DYNAMIQUE DES ACTES ADMINISTRATIFS La dynamique des actes administratifs se rapporte aux faits de leur origine et de leur application effective. On peut considérer que l’acte administratif existe dès l’expression de la puissance publique dont il est porteur. Dès ce moment, il a la capacité de produire des effets juridiques. Par la « dynamique de l’acte administratif », on entend l’exécution de l’acte administratif, telle qu’il s’incorpore dans les faits, les évènements, les énoncés, les rapports sociaux, qu’il détermine, modifie ou interrompt. La dynamique des actes administratifs conduit à apprécier pleinement leur force réelle, à vérifier leur influence effective sur les processus qu’ils déterminent. Le véritable critère de l’efficacité des actes administratifs, c’est le degré de A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION 157 réalisation des objectifs en vue desquels ils ont été adoptés par l’organe du pouvoir exécutif. Dans l’application pratique des actes administratifs comme prescriptions juridiques obligatoires le fil conducteur doit être, non dans les procédures, mais dans les énoncés juridiques : l’établissement, la modification ou l’interruption de rapports juridiques ; l’application à la solution de litiges et à d’autres affaires administratives individuelles ; l’examen de différentes affaires en ce qui concerne les droits, les obligations, les modes d’action, etc. ; l’utilisation en tant que documents juridiques ayant valeur de preuve auprès des organes de l’État (par exemple devant un tribunal ou un organe administratif contentieux). L’application de l’acte administratif dans le cadre d’un litige ou pour régler des rapports sociaux n’est possible qu’en raison de sa valeur juridique. Par la valeur juridique de l’acte administratif, on entend la réalité de l’utilisation de formes juridiques données de l’action administrative. La notion de valeur juridique se rattache au rapport étroit qui s’établit entre les actes administratifs et la loi, à la définition des bases et du cadre de leur adoption, à leur contenu. Les formules « sur la base de », « conformément à », « en exécution de » expriment cette relation juridique. La valeur juridique démontre la capacité de l’acte juridique de régler les rapports juridiques administratifs, et de régler ainsi des questions concrètes (ou générales) de l’administration publique et de la réalisation de ses fonctions. Elle assure l’exécution obligatoire de l’acte par tous les sujets auxquels il s’adresse ; en cas de non exécution ou de violation de l’acte administratif, l’État et ses organes ont le pouvoir d’exiger l’exécution ; en outre, dans quelques cas, ils peuvent prendre des mesures d’exécution forcée. En ce sens, l’acte administratif se distingue nettement des actes d’« administration » pris par les organes de multiples associations qui ne se caractérisent pas par la mise en œuvre de la puissance publique dans la conduite de leur action. Les actes administratifs bénéficient d’une présomption de légalité (on présume qu’ils sont conformes aux dispositions de la loi, qu’ils ont été édictés dans le cadre des compétences de leur auteur et des règles de procédure), et on présume la régularité de leurs motifs (on suppose que l’acte juridique est toujours édicté conformément aux conditions légales et répond à des besoins sociaux réels), et on leur reconnaît ainsi le privilège du préalable (les destinataires de l’acte administratif sont dans l’obligation de s’y soumettre immédiatement et d’en exécuter les prescriptions). Les actes administratifs commencent à acquérir force juridique dès le moment de leur édiction (adoption, approbation) ou de leur publication selon les modalités prévues et ils s’appliquent jusqu’au moment de leur abrogation (ou de leur modification) ; ils cessent d’être en vigueur à 158 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE l’expiration du terme fixé pour leur application. Dans certains cas, il existe des modalités particulières d’entrée en vigueur des actes administratifs (par exemple, on fixe la date de leur prise d’effet, ou on établit un autre délai et des modalités d’entrée en vigueur). Les modalités de préparation, d’entrée en vigueur et de publication des actes administratifs sont fixées par des normes différentes en fonction du type d’acte et du type d’organe d’État, ou d’une collectivité locale, qui en est l’auteur. À cet égard, on peut dégager une série de procédures qui sont caractéristiques de tous les processus d’édiction d’actes administratifs10 : - la détermination dans les règlements administratifs11 des modalités d’édiction ou d’adoption des actes administratifs ; - les types d’actes administratifs que l’organe du pouvoir exécutif, ainsi que son chef, a le pouvoir d’édicter ; - la préparation du projet d’acte administratif ; - la détermination de la structure du projet d’acte ; - la concertation du projet d’acte administratif avec les autres départements et responsables intéressés (si c’est prévu dans le règlement administratif) ; - la préparation de propositions de modification ou d’adjonction, ou de déclaration de perte d’effet d’actes administratifs, ou de parties de tels actes, à la suite de l’adoption d’un nouvel acte administratif ; - l’édiction (signature, approbation) de l’acte administratif ; - la notification de l’acte administratif aux personnes qu’il oblige ; - la transmission de l’acte administratif adopté et approuvé au ministère de la Justice de la Fédération de Russie pour son enregistrement ; - la publication officielle de l’acte administratif et son entrée en vigueur comme condition la plus importante du début de son application ; elle remplit une fonction procédurale importante car la publication est, dans de nombreux cas, le moment de l’entrée en vigueur de l’acte ; elle conditionne l’application régulière des actes administratifs des organes d’État, des organisations, des fonctionnaires et des citoyens. L’effet des actes administratifs dépend du respect des conditions relatives à leur contenu juridique et des modalités de leur édiction et de leur entrée en vigueur. S’ils respectent ces conditions et les actes juridiques auxquels ils sont subordonnés, ils sont légaux et commencent à s’appliquer. 10 Y. N. STARILOV, Общее админисиративное право. Учебник [Droit administratif général. Manuel], Voronej, 2007, p. 346. 11 Il faut entendre ici par cette expression les « règlements » de procédure qui ont été introduits dans tous les organes de l’État depuis le décret présidentiel n° 679 de 2004 (NdT : v. dans ce volume les articles de G. MARCOU et T. Y. KHABRIEVA). A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION 159 Dans le cas contraire, ils sont reconnus comme nuls, perdant leur valeur juridique. L’acte administratif perd sa valeur juridique quand : - un tribunal le reconnaît illégal ; - il est abrogé par l’organe qui en est l’auteur ou l’organe supérieur s’il est habilité à prendre une telle décision. Les motifs pour modifier et compléter, ou abroger un acte administratif sont les suivants : - l’illégalité de l’acte administratif (il contredit une norme supérieure) ; - son inutilité pratique : il ne produit pas les résultats escomptés ; - son obsolescence : il est nécessaire de remplacer un acte administratif qui a vieilli par un autre ou d’y introduire de nombreuses modifications sur des points essentiels ; - l’expiration de sa durée de validité. VII. LA SUSPENSION DES ACTES ADMINISTRATIFS La suspension (priostanovlenie) de l’acte administratif signifie l’impossibilité d’en faire application jusqu’à l’adoption d’une décision définitive par l’organe compétent ou par le tribunal sur la validité ou la nullité de l’acte. L’interruption temporaire officielle de l’application de l’acte administratif ne signifie pas la perte de sa valeur juridique. La suspension de l’acte administratif se produit toujours quand l’organe d’État ou le fonctionnaire habilité découvre que l’acte est illégal, mal motivé, inutile ou inacceptable et se tourne vers l’organe compétent auquel il propose de « modifier ou abroger » l’acte administratif, c’est-à-dire d’en éliminer les vices constatés. Le pouvoir de suspendre temporairement un acte administratif n’appartient qu’aux autorités spécialement habilités à cet effet : le Président de la Fédération de Russie, le Gouvernement de la Fédération de Russie, le procureur, le tribunal de droit commun, ainsi que l’organe qui est l’auteur de l’acte et l’organe supérieur. À la suite de l’examen de l’acte administratif par l’organe compétent du point de vue de la légalité, de l’utilité et des motifs, l’effet de l’acte peut être rétabli, si les motifs de sa suspension ont disparu. Dans les autres cas, l’acte administratif est abrogé. La suspension par décision du Président de la Fédération de Russie. Le Président de la Fédération de Russie a le pouvoir de suspendre les actes des autorités du pouvoir exécutif des sujets de la Fédération de Russie (les actes 160 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE du responsable suprême d’un sujet de la Fédération de Russie ou de l’organe du pouvoir exécutif d’un sujet de la Fédération de Russie) en cas de contradiction avec la Constitution de la Fédération de Russie, la législation fédérale, les engagements internationaux de la Fédération de Russie, la violation des droits et libertés de l’homme et du citoyen – jusqu’au règlement au fond par une instance judiciaire compétente (art. 85.2 de la Constitution de la Fédération de Russie ; art. 29 de la Loi fédérale du 6 octobre 1999 « Sur les principes généraux d’organisation des organes législatifs (représentatifs) et exécutifs du pouvoir d’État des sujets de la Fédération de Russie »). Selon l’article 15 de la Loi fédérale constitutionnelle du 30 mai 2001, n° 3 « Sur l’état d’urgence »12, le Président de la Fédération de Russie est habilité à suspendre les actes juridiques des organes du pouvoir d’État des sujets de la Fédération de Russie, des actes juridiques des collectivités locales en vigueur sur le territoire où est proclamé l’état d’urgence, en cas de contradiction avec le décret du Président de la Fédération de Russie sur l’instauration de l’état d’urgence sur le territoire concerné. Suspension sur proposition du Gouvernement de la Fédération de Russie. Le Gouvernement de la Fédération de Russie peut décider la suspension des actes des organes fédéraux du pouvoir exécutif ou adresser au Président de la Fédération de Russie la proposition de suspendre un acte d’un organe du pouvoir exécutif d’un sujet de la Fédération de Russie (art. 12.7 de la Constitution de la Fédération, art. 44.4 de la loi constitutionnelle du 17 décembre 1997 n° 2 sur le Gouvernement de la Fédération de Russie). Suspension par décision de justice. Le tribunal de droit commun est habilité à suspendre la décision contestée d’un organe du pouvoir exécutif, d’un organe d’une collectivité locale, du dirigeant, d’un fonctionnaire de l’État ou de la collectivité locale jusqu’à la date d’effet légal du jugement au fond sur recours d’une personne physique ou morale (art. 254.4 du Code de procédure civile de la Fédération de Russie). Toutefois, l’introduction d’un recours juridictionnel contre un acte normatif ne suspend pas l’application de celui-ci (art. 251.7). Suspension sur pourvoi (protest) du procureur. Le pourvoi du ministère public suspend exécution de l’arrêté prononcé sur une infraction administrative jusqu’à l’examen du pourvoi (art. 31.6 (1) et art. 30.11 du Code des infractions administratives de la Fédération de Russie). Le juge, l’organe, le fonctionnaire ayant ordonné la sanction administrative en suspendent l’exécution à la suite du pourvoi. La suspension de l’exécution 12 V. RL FR 2001, n° 23, art. 2277. A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION 161 est formalisée par un arrêté qui est, le cas échéant, notifié à l’organe, aux fonctionnaires chargés de l’exécution. Suspension par décision de l’organe auteur de l’acte administratif. Les organes du pouvoir exécutif ont le pouvoir de suspendre l’exécution de leurs actes de leur propre initiative ou à la suite de la plainte d’un citoyen ou d’une personne morale. De nombreuses lois fédérales russes contiennent des dispositions donnant aux citoyens et aux personnes morales la possibilité de former un recours en cas de violation de leurs droits et intérêts légitimes par l’action ou la décision des organes du pouvoir exécutif et de leurs fonctionnaires. À présent, il existe des actes normatifs spéciaux qui organisent de manière détaillée la procédure de recours : ordre du Ministère de l’Intérieur (MVD) de Russie du 22 septembre 2006, n° 750 (dans la rédaction du 27 août 2010, n° 626) « Sur l’approbation de l’Instruction sur le traitement des recours des citoyens dans le système du MVD » (enregistré au ministère de la Justice le 15 novembre 2006, n° 8487)13 ; ordre du ministère de la Justice du 26 décembre 2006, n° 383 (version du 17 septembre 2010, n° 228, avec les modifications introduites par la décision de la Cour suprême de la Fédération de Russie du 19 octobre 2010, n° GKPI 10-1128) « Sur l’approbation du règlement administratif sur l’exécution des fonctions de l’État concernant l’examen des propositions, demandes et plaintes des condamnés et des personnes en garde à vue » (enregistré au ministère de la Justice le 17 janvier 2007, n° 8761)14 ; ordre de l’Agence fédérale de la Pêche (Rosrybolovstvo) du 26 juillet 2010 n° 658, « Sur l’approbation du Règlement administratif de l’Agence fédérale de la pêche concernant l’exécution des fonctions de l’État relatives à l’accueil des citoyens, à l’examen immédiat et complet des demandes orales ou écrites des citoyens, à l’adoption des décisions qui s’y rapportent et leur transmission au demandeur dans le délai prévu par la loi » (enregistré au ministère de la Justice le 20 août 2010, n° 18208)15. Les modalités du traitement des recours des citoyens et des personnes morales sont élaborées de manière très détaillée dans le chapitre XII du Règlement type sur l’organisation interne des organes fédéraux du pouvoir exécutif (approuvé par l’Arrêté du Gouvernement de la Fédération de Russie du 28 juin 2005, n° 452)16. Cessation (prekrachtchenie) de la validité des actes administratifs par décision de justice. Les actes administratifs peuvent être reconnus comme nuls (nedeïstvouïoutchtchiï) par voie juridictionnelle. Le nombre des actions 13 Rossiïskaïa Gazeta, 2006, 23 nov. Rossiïskaïa Gazeta, 2007, 25 janv. Bulletin des actes réglementaires des organes fédéraux du pouvoir exécutif, 2010, n° 37. 16 V. Recueil de la législation de la Fédération de Russie, 2005, n° 31, art. 3233. 14 15 162 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE en justice tendant à faire reconnaître l’illégalité d’actes réglementaires des organes du pouvoir exécutif se monterait, selon certaines sources, à environ 10 000 par an17. La condition nécessaire pour que le tribunal décide de mettre fin à l’application d’un acte administratif est exclusivement son illégalité. La Constitution de la Fédération de Russie donne aux citoyens le droit d’introduire un recours au tribunal contre la décision des organes du pouvoir exécutif et des dirigeants. Il n’existe aucun obstacle juridique au recours contre n’importe quel acte. L’acte administratif cesse de produire ses effets par une décision de justice à la suite d’un débat judiciaire dont la procédure est réglée par la loi et au cours duquel sont examinés et tranchés les moyens de droit dont dépend la légalité de l’acte administratif contesté, c’est-à-dire le litige administratif18. Il n’existe pas en Russie de juridiction spécialisée pour l’examen de ces litiges, d’où il résulte que c’est dans différents soussystèmes du pouvoir judiciaire que peut être prise la décision qui met fin à l’application d’un acte administratif reconnu illégal. La décision qui prononce ainsi l’impossibilité de poursuivre l’application d’actes administratifs qui ne respectent pas les exigences légales peut ainsi être prise par : - la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie ; - les cours constitutionnelles (ou prévues par leur statut) des sujets de la Fédération ; - les tribunaux de droit commun ; - les tribunaux d’arbitrage. Les compétences des différents groupes de juridictions qui opèrent le contrôle de la légalité des actes administratifs sont déterminées par : - l’étendue du contrôle de la légalité ; - les conditions et les sujets de l’initiative de la procédure de contrôle (recevabilité) ; - les particularités de suites du contrôle. 17 E. V. GORINE / M. V. KOSTENNIKOV / A. V. KOURAKINE et autres, Антикоррупционная политика в системах государственной службы зарубежных государств. Монография [La politique de lutte contre la corruption dans les systèmes de fonction publique des États étrangers. Monographie], Moscou, 2010, p. 11. 18 NdT : donc, la nullité constatée ne produit ses effets qu’à compter de l’entrée en vigueur du jugement ayant acquis autorité de la chose jugée (C. pr. civ. : art. 253.3 pour les actes réglementaires ; pour les décisions, l’action ou l’inaction de l’autorité administrative, celle-ci doit mettre fin à l’illégalité sur la base du jugement : art. 258.1 ; C. procédure d’arbitrage : art. 195, le tribunal ayant constaté la nullité, l’auteur de l’acte réglementaire doit introduire les modifications nécessaires pour que la légalité soit respectée ; art. 201 : s’il s’agit d’un acte non réglementaire reconnu nul ou d’une décision, ou d’une action ou inaction reconnues illégales, le jugement fait obligation à l’auteur de l’acte de restaurer la légalité) ; le jugement qui prononce la nullité ou l’illégalité n’a donc pas d’effet rétroactif. A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION 163 Par exemple, les actes administratifs des organes du pouvoir exécutif des sujets de la Fédération sont soumis au contrôle de la cour suprême du sujet. Cela n’exclut pas le contrôle par la cour constitutionnelle du sujet de la Fédération (ou prévue par le statut du sujet) dans les cas prévus par sa législation. L’article 120 de la Constitution de la Fédération de Russie ne donne pas aux tribunaux le pouvoir de reconnaître qu’un acte administratif ne peut être appliqué ou de l’annuler (otmeniat’). Cependant, le Plenum de la Cour suprême de la Fédération de Russie, dans son arrêté du 31 octobre 1995, n° 8 « Sur quelques questions de l’application de la Constitution de la Fédération de Russie par les tribunaux dans l’administration de la justice » (par. 7) explique que, pour appliquer la loi à la place de l’acte d’un organe de l’État ou d’un autre organe qui ne lui est pas conforme, le tribunal a le pouvoir de prendre une ordonnance provisoire et d’attirer l’attention de l’organe et du dirigeant qui sont à l’origine de l’acte contesté, sur la nécessité de mettre cet acte en accord avec la loi ou de l’abroger. À la suite de cette décision du tribunal, l’organe du pouvoir exécutif prend un acte administratif qui reconnaît que l’acte contesté ne peut plus être appliqué, en totalité ou en partie, ou l’abroge19. En Russie, il n’existe pas une norme unifiée qui réglerait les questions les plus importantes de la justice administrative. Les modalités selon lesquelles est reconnue la nullité ou l’illégalité des actes réglementaires ou non réglementaires des organes du pouvoir exécutif sont fixées par les dispositions de la loi constitutionnelle fédérale du 21 juillet 1994, n° 1 « Sur la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie20, le Code de procédure civile et le Code de procédure d’arbitrage ». Cette loi constitutionnelle prévoit (chap. IX) que la Cour constitutionnelle, saisie par le Président de la Fédération, le Conseil de la Fédération, la Douma d’État, un cinquième des membres du Conseil de la Fédération ou des députés de la Douma d’État, le Gouvernement de la Fédération de Russie, la Cour suprême de la Fédération de Russie et la Cour supérieure d’Arbitrage de la Fédération de Russie, les organes législatifs et exécutifs des sujets de la Fédération, se prononce sur la conformité à la Constitution d’un acte réglementaire d’un organe du pouvoir d’État ou d’un contrat passé entre organes du pouvoir d’État, ou de certaines de ses dispositions, d’un acte réglementaire d’un sujet de la Fédération, d’un contrat entre des organes du pouvoir d’État de la Fédération et des organes 19 NdT : le Code de procédure civile et le Code de procédure d’arbitrage de 2002 (modifiés de nombreuses fois) ont donc adopté des solutions dérivant de cette position de la Cour constitutionnelle. 20 RL FR 1994, n° 13, art. 1447. 164 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE du pouvoir d’État de sujets de la Fédération, ou entre organes du pouvoir d’État de sujets de la Fédération. Le chapitre IX en règle les modalités. Selon les articles 26 et 27, ainsi que les chapitres 24 et 25 du Code de procédure civile de la Fédération de Russie, les tribunaux ordinaires (de droit commun) ont le pouvoir de déclarer nuls les actes réglementaires, en totalité ou en partie, et de se prononcer sur la légalité des décisions, de l’action ou de l’inaction, des organes du pouvoir d’État, des organes des collectivités locales, de leurs dirigeants, des fonctionnaires de l’État et des collectivités locales sur la demande de citoyens ou de personnes morales qui considèrent qu’ont été violés leurs droits et libertés garantis par la Constitution, les lois et d’autres normes, ainsi que du procureur. Les recours qui contestent des actes réglementaires en totalité ou en partie sont de la compétence du tribunal d’arrondissement (raion), à l’exclusion des recours visant des actes réglementaires des organes du pouvoir d’État des sujets de la Fédération affectant les droits, libertés et intérêts légitimes des citoyens et des personnes morales pour lesquels la cour suprême du sujet de la Fédération statue en première instance, et des recours visant des actes réglementaires du Président de la Fédération, du Gouvernement de la Fédération de Russie, ainsi que des actes réglementaires d’autres organes fédéraux du pouvoir d’État qui concernent les droits, libertés et intérêts légitimes des citoyens et des personnes morales qui sont examinés par la Cour suprême fédérale statuant en première instance. En outre, le chapitre 24 du code procédure civile réglemente les modalités de procédure relatives à la contestation, totale ou partielle, des actes normatifs. Il convient de remarquer que le traitement de l’appareil conceptuel des actes normatifs est d’une grande importance. Les documents des organes judiciaires qui donnent une interprétation de tel ou tel terme pour compléter les normes contenues dans le code de procédure civile donnent à la jurisprudence des orientations en cas de lacune de la législation. Ainsi, par exemple, selon le paragraphe 9 de l’arrêté du Plénum de la Cour suprême de la Fédération de Russie du 29 novembre 2007, n° 48 « Sur la pratique de l’examen par les tribunaux des recours visant des actes normatifs en totalité ou en partie » les éléments essentiels qui caractérisent un acte juridique normatif sont : son édiction par l’organe compétent du pouvoir d’État ou de l’autonomie locale ou son dirigeant ; la présence dans l’acte d’énoncés normatifs (règles de comportement) obligatoires pour un ensemble indéterminé de personnes, dont l’exécution ne s’épuise pas en une seule fois et visant à régler des rapports sociaux ou à modifier ou faire cesser des rapports juridiques existants. Les affaires relatives à la contestation des actes réglementaires ou non réglementaires, des décisions et de l’action ou de l’inaction des organes de l’État, des collectivités locales, d’autres organes, de leurs dirigeants qui A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION 165 concernent les droits et intérêts légitimes des entreprises ou d’autres activités économiques sont jugées par les tribunaux d’arbitrage, sur recours des citoyens, des personnes morales, ainsi que du procureur, des organes de l’État, des organes des collectivités locales et d’autres organes selon les modalités fixées par les chapitres 23 et 24 du code de procédure d’arbitrage. Selon l’article 34 de ce code, les recours visant des actes réglementaires, non réglementaires, les décisions et l’action ou l’inaction des organes de l’État, des organes des collectivités locales, d’autres organes, de leurs dirigeants concernant les droits et intérêts légitimes des entreprises et d’autres activités économiques sont introduits par les citoyens ou les personnes morales, mais aussi par le procureur, les organes de l’État, les organes des collectivités locales et d’autres organes, et jugés en première instance, dans le cas général, par les tribunaux d’arbitrage du sujet de la Fédération, à l’exclusion des recours qui sont de la compétence en première instance de la Cour supérieure d’arbitrage de la Fédération de Russie : il s’agit des recours visant des actes réglementaires du Président et du Gouvernement de la Fédération de Russie, des organes fédéraux du pouvoir exécutif, et des recours contre des actes non normatifs du Président de la Fédération de Russie, du Conseil de la Fédération et de la Douma d’État, du Gouvernement de la Fédération de Russie, de la Commission gouvernementale de contrôle des investissements étrangers en Fédération de Russie, concernant les droits et intérêts légitimes des demandeurs dans le domaine des entreprises et des autres activités économiques. Il n’existe en Russie aucune loi qui règle la répartition des compétences en ce qui concerne la contestation des actes réglementaires entre les tribunaux de droit commun et les tribunaux d’arbitrage. La norme de renvoi du code de procédure d’arbitrage (art. 27) qui attribue aux tribunaux d’arbitrage compétence en ces matière économique crée des difficultés bien connues pour les justiciables qui recherchent la protection de la justice21. En outre, les normes processuelles prévoient des procédures différentes de protection judiciaire selon la juridiction compétente pour l’examen de recours relatif à un acte réglementaire. Selon le code de procédure d’arbitrage, (art. 29), quand un acte réglementaire est contesté, comme dans 21 NdT : il s’agit du paragraphe 2 de cet article, dont la traduction est la suivante : « les tribunaux d’arbitrage règlent les litiges économiques et examinent les autres affaires auxquelles sont parties les organisations dotées de la personnalité morale, les citoyens exerçant une activité d’entreprise sans avoir constitué une personne morale et qui ont le statut d’entrepreneur individuel, acquis selon les modalités établies par la loi (dans ce qui suit : entrepreneurs individuels) mais aussi, dans les cas prévus par le présent code et d’autres lois fédérales, la Fédération de Russie, les sujets de la Fédération, les collectivités locales, les organes de l’État, les organes des collectivités locales, d’autres organes, leurs dirigeants, les formations n’ayant pas le statut de personne morale et les citoyens n’ayant pas le statut d’entrepreneur individuel (dans ce qui suit : les organisations et les citoyens) ». 166 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE les autres cas concernant des rapports juridiques de droit public, le recours est examiné selon les règles du contentieux administratif, dont les particularités sont réglées par le code de procédure d’arbitrage. En même temps, selon le code de procédure civile, ce type d’affaires est jugé par les tribunaux ordinaires selon les règles du procès civil. La Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie constatait ainsi dans son arrêt du 27 janvier 2004, n° 1 : « Les affaires qui naissent de rapports juridiques de droit public, parmi lesquelles celles relatives à la légalité des actes réglementaires, en dehors des cas où elles sont liées à l’examen de la contestation de décisions d’application prises sur leur fondement par des organes des pouvoirs publics et leurs dirigeants, comme cela résulte des articles 71 (o), 72.1 (k), 118.2, 120, 126 et 127 de la Constitution de la Fédération de Russie, ne sont pas, en raison de leur nature, des affaires de droit civil, mais des affaires administratives, et elles doivent être examinées selon les règles du contentieux administratif »22. Le législateur est ainsi placé devant la responsabilité d’introduire les règles qui assureront le contrôle des actes réglementaires conformément aux exigences de la Constitution de la Fédération de Russie en ce qui concerne l’examen des affaires administratives selon les modalités du contentieux administratif, et à la position de la Cour constitutionnelle, qui s’est prononcée plus d’une fois en ce sens. La recherche sur la nature juridique des actes administratifs, les conditions relatives à leur contenu, à leur forme, aux délais, aux procédures d’adoption et d’exécution sont la tâche actuelle de la science du droit administratif en Russie. Son importance tient à la nécessité d’assimiler les formes juridiques contemporaines de l’activité des organes du pouvoir exécutif dans les conditions de la mise en œuvre en Russie de la réforme administrative, dont l’un des objectifs les plus importants est l’harmonisation de la législation nationale en matière administrative avec les standards européens. Dans le cadre de la commission gouvernementale sur la mise en œuvre de la réforme administrative se poursuit un travail de révision des dispositions sur les organes du pouvoir exécutif de tous niveaux, d’élaboration d’indicateurs d’activité des organes du pouvoir exécutif et d’évaluation de leur efficacité ; on poursuit l’élaboration, l’adoption et la mise en œuvre des règlements administratifs relatifs à la fourniture des services publics et à l’accomplissement des fonctions des organes du pouvoir exécutif ; on cherche à mettre en accord les normes formelles et les normes du droit matériel. 22 Rossiïskaïa Gazeta, 3 févr. 2004. A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION 167 Les questions de la théorie des actes administratifs sont étroitement liées aux problèmes pratiques que l’on rencontre pour surmonter les aspects négatifs de la création de normes par les différents ministères ou départements23 dans le système juridique russe. Ce problème mérite attention aux plus hauts niveaux : le Gouvernement, les organes fédéraux du pouvoir exécutif doivent adopter des mesures radicales en relation avec la production de règlements ministériels, jusqu’à l’abrogation complète du corpus de ces règlements dans les cas où les lois fédérales sont d’application directe mais se trouvent en fait substituées par des actes ministériels. L’élaboration de la théorie des actes administratifs est d’actualité dans le contexte de l’augmentation du contrôle juridictionnel de l’activité et des actes des organes du pouvoir exécutif. Les problèmes du contentieux administratifs ont été l’objet, ces dernières années, de recherches sérieuses et fécondes (N.G. Salicheva, N.Y. Khamaneva, Y.N. Starilov, M.Ya. Maslennikov, I.V. Panova, V.D. Sorokine, D.N. Bakhrakh, A.P. Cherguine, H.V. Soukhareva et d’autres). Le contentieux administratif possède un potentiel scientifique important, qui suscite non seulement un grand intérêt scientifique mais aussi la création de nouveaux projets de loi, dans le choix des modèles d’organisation de la justice administrative. En Russie se dégagent de réelles perspectives d’adoption d’une loi constitutionnelle sur les tribunaux administratifs et d’un code de justice administrative dont les projets ont été préparés. Actuellement, est en préparation le projet d’une loi fédérale « Sur les procédures précontentieuses de recours contre les décisions et l’action (ou l’inaction) des organes de l’État et des collectivités locales qui vise à prévenir l’adoption d’actes juridiques défectueux ». En conclusion, on soulignera la nécessité de construire une théorie moderne des actes administratifs visant à résoudre les questions pratiques qui se posent au pouvoir exécutif. 23 NdT : dans le texte : ведомственный. LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ DANS L’ORDRE JURIDIQUE FRANÇAIS Attribution, exercice et contrôle du pouvoir réglementaire Gérard MARCOU Le pouvoir réglementaire s’entend, dans le droit français, du pouvoir attribué par la Constitution ou par la loi à une autorité administrative de fixer des normes générales qui affectent la situation juridique des sujets de droit auxquels elles s’appliquent. Cette notion se comprend en relation avec la suprématie reconnue à la loi dans le droit public français depuis la Révolution française, comme expression de la volonté générale, et avec le principe de la séparation des pouvoirs. Une norme générale émise par le pouvoir exécutif ou une autorité qui en dépend ne peut être qu’un acte réglementaire subordonné à la loi. La loi peut créer des autorités administratives dotées du pouvoir de faire des actes réglementaires. Comme on le sait, c’est seulement à l’époque contemporaine que le contrôle de constitutionnalité a rendu effective la suprématie de la constitution, et que les dispositions de celle-ci peuvent désormais limiter la liberté du législateur sur ce point. De ce que le pouvoir réglementaire trouve nécessairement sa source dans la constitution et dans la loi il ne résulte nullement que son exercice soit le monopole du pouvoir exécutif. Bien au contraire, le législateur a multiplié les formes de délégation du pouvoir réglementaire, y compris à des sujets de droit privé, pour l’exercice de missions de service public. De nombreux organismes privés sont ainsi investis du pouvoir de faire des actes réglementaires pour l’exercice de certaines de leurs missions, tout comme des établissements publics ou des collectivités territoriales, mais avec une compétence beaucoup plus étroite que ceux-ci. Ces développements posent la question des critères permettant de différencier les actes réglementaires, 170 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE qui sont l’expression de prérogatives de puissance publique, des mesures que des organismes de droit privé peuvent adopter à l’égard de leurs membres, lesquels peuvent créer des obligations à leur égard mais ne sont pas pour autant des actes règlementaires. Cette distinction est particulièrement importante dès lors que l’on se situe dans un ordre juridique qui admet la séparation entre le public et le privé, car celle-ci impose des mécanismes différents de protection des droits. Pour y voir plus clair, dans la perspective d’une comparaison avec le droit russe, il est nécessaire de commencer par préciser certaines définitions. La notion de norme est au cœur de cette comparaison. Mais c’est une notion qui est susceptible de recevoir plusieurs acceptions. Du point de vue de la théorie du droit, on considère que la norme est « un énoncé impératif ou prescriptif appartenant à un ordre ou un système normatif, et obligatoire dans ce système »1. Une norme peut donc être générale ou individuelle, et un contrat peut être le support d’une norme, tout comme un acte unilatéral de la puissance publique. Les normes générales sont des « règles », par opposition aux normes individuelles2. On doit distinguer la norme de l’acte qui en est le support ; il existe d’ailleurs des normes juridiques qui ne font pas l’objet d’un acte : notamment la coutume, les usages ou encore les « principes généraux du droit » quand le système juridique leur reconnaît une portée juridique, même s’ils sont parfois repris et énoncé dans un acte (par exemple une décision de justice). Mais surtout, la référence à un ordre ou à un système normatif oblige à envisager les rapports entre des ordres juridiques différents, qui posent des normes obligeant les sujets de droit qui en font partie. Ces ordres juridiques sont inséparables des institutions qui les produisent, et ils entretiennent entre eux des rapports qui peuvent être, ou non, de nature hiérarchique, mais qui le sont dans le cas qui nous intéresse ici. C’est l’ordre juridique supérieur qui détermine le degré de liberté avec lequel un ordre juridique inférieur peut régler les droits et obligations des sujets de droit dans la mesure où ils y sont soumis (par exemple pour certaines activités ou certains rapports juridiques). C’est la relation de « relevance », définie ainsi par Santi Romano : « pour qu’il y ait relevance juridique, il faut que l’existence, le contenu ou l’efficacité d’un ordre soit conforme aux conditions mises par un autre ordre »3. Ces conditions peuvent varier, ce qui permet à Santi Romano de faire la typologie de la « relevance ». Pour l’étude de la diffusion du pouvoir réglementaire dans le système juridique français, et notamment vers 1 Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 2ème éd. 1993, p. 399. 2 3 Ibid. p. 406. S. ROMANO, L’ordre juridique, Dalloz, 1975, p. 106 (traduit de l’italien). G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 171 des sujets de droit privé, ce sont les rapports de supériorité et de dépendance entre ordres juridiques qui sont pertinents. Il convient aussi de préciser le sens des notions de compétence et de pouvoir, dont la polysémie est toujours accentuée par le passage d’une langue à une autre. Or, on utilise en russe trois mots au lieu de deux en français dans ce champ : compétence (vedienie), qui désigne un domaine d’action, ce qui est du ressort – ou de la juridiction – de telle autorité ; pouvoir (polnomotchie), en tant que moyen ; compétence (kompetentziia) en tant que titre (ou habilitation). La définition que donne le professeur Tikhomirov de ces notions éclaire cette distinction : « La matière de la compétence suppose l’existence de droits constitutionnels et conventionnels et de possibilités légales pour la Fédération et ses sujets. Mais la notion de pouvoirs, qui lui est associée, s’applique plutôt aux caractéristiques des organes d’État qui ont l’obligation de réaliser ces droits et d’agir efficacement dans les limites de leur part de la matière de la compétence »4. Ajoutons que la compétence, en tant que titre, est toujours propre à l’exercice de prérogatives de puissance publique ou de missions de service public. Une personne de droit privé n’a pas de compétence au sens juridique du terme ; elle a seulement des droits ou des obligations, à moins qu’elle ne tienne de la loi une mission de service public et/ou l’exercice de certaines prérogatives de puissance publique, et dans ce cas toujours sous le contrôle d’une autorité administrative. Une personne de droit public a aussi des droits et des obligations, en tant que sujet de droits, mais elle est avant tout titulaire de compétences. Ces distinctions peuvent nous permettre de clarifier l’analyse du pouvoir réglementaire dans le droit administratif français lorsqu’elle prend en compte les cas dans lesquels ce pouvoir est délégué à une personne de droit privé ou comporte la participation de multiples instances. Nous essaierons ainsi de répondre à deux questions : 1) qui est titulaire de la compétence réglementaire, et comment les actes réglementaires se distinguent-t-ils des normes privées dont le droit reconnaît l’existence ? 2) comment s’exerce le pouvoir réglementaire, notamment du point de vue de la participation de personnes privées ? 4 Yu. A. TIKHOMIROV, Теория компетенции [Théorie de la compétence], Moscou, 2001, p. 123 (trad. de l’auteur). 172 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE I. LA COMPETENCE RÉGLEMENTAIRE La compétence réglementaire est propre à la puissance publique. Son expression la plus importante est le pouvoir réglementaire gouvernemental. La législation a cependant permis une certaine diffusion du pouvoir réglementaire. En outre, l’exercice des missions de service public implique souvent l’exercice d’un pouvoir réglementaire, y compris lorsque ces missions sont confiées à des personnes de droit privé. Cette délégation du pouvoir réglementaire, qui accompagne la délégation de la gestion du service public, ne doit pas être confondue avec les normes que peuvent édicter des ordres juridiques privés dans le cadre des lois en vigueur, et dont le fondement est radicalement différent. A. – Les titulaires de la compétence réglementaire Dans le droit administratif français, la hiérarchie des actes réglementaires est essentiellement une question de compétence, tandis que la notion d’acte réglementaire est une notion avant tout matérielle. En d’autres termes, la notion d’acte réglementaire dépend du contenu de l’acte, tandis que la qualité de l’acte dépend de la compétence de l’autorité qui l’a édicté. Tous les actes réglementaires sont soumis au principe de légalité, qui implique le respect des normes constitutionnelles, législatives ou même « infra-législatives » mais « supra-décrétales », s’il s’agit de normes dont le juge administratif a le pouvoir de sanctionner la violation (ainsi les principes généraux du droit dégagés par la seule jurisprudence administrative5). Le pouvoir réglementaire a d’abord pour fonction d’assurer l’exécution des lois. Il est donc une prérogative du pouvoir exécutif. Aujourd’hui, selon l’article 21 de la Constitution, le Premier ministre « assure l’exécution des lois » et il « exerce le pouvoir réglementaire ». Cela signifie que le pouvoir réglementaire est une compétence propre du Premier ministre, et non du gouvernement en tant que tel, ni des ministres. Ce pouvoir est largement interprété depuis deux arrêts du Conseil d’État de 1918 et 1919 (c’était à l’époque le Président de la République qui était, juridiquement, chargé de l’exécution des lois), d’où l’on a déduit que le pouvoir exécutif dispose d’un pouvoir propre de réglementation, qui est indépendant de toute « délégation » législative, et qui trouve à s’exercer aussi bien en matière de 5 R. CHAPUS, « De la valeur juridique des principes généraux du droit et autres règles jurisprudentielles du droit administratif », D. 1966, chron. n° 119. G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 173 police que pour assurer le bon fonctionnement des services publics6. C’est ce qu’on appelle aussi le pouvoir réglementaire général. La révision constitutionnelle de 2003 a donné, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 17 janvier 2002 (n° 2001-454 DC, loi relative à la Corse), une base constitutionnelle au pouvoir réglementaire des collectivités territoriale. Selon le nouvel article 72, alinéa 3, les collectivités territoriales disposent, « dans les conditions prévues par la loi », d’un « pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences ». Un tel pouvoir réglementaire local existait au moins depuis la fin du 19ème siècle sur la base de la loi ; la nouveauté est de lui reconnaître un fondement constitutionnel. Mais il n’habilite pas les collectivités territoriales à faire des règlements pour l’exécution des lois ; il s’exerce toujours sur la base de la loi et pour la mise en œuvre de leurs compétences (par exemple l’adoption de documents d’urbanisme ou l’organisation de services publics locaux), car c’est la loi qui détermine les compétences. Le fait que le Premier ministre soit seul titulaire du pouvoir réglementaire signifie qu’il a compétence pour l’édiction, non seulement des règlements d’exécution des lois, mais aussi des règlements de l’article 37 de la Constitution, c’est-à-dire dans les matières qui ne sont pas réservées à la loi par l’article 34. Cette distinction n’a pas d’incidence sur la hiérarchie des normes : les décrets de l’article 37 ne sont pas supérieurs à ceux pris pour l’exécution des lois et ils sont contrôlés de la même manière par le Conseil d’État. Mais cela ne signifie pas qu’il n’existe pas de hiérarchie entre les actes faits dans l’exercice de ce pouvoir réglementaire : on distingue ainsi les décrets simples et les décrets en Conseil d’État. Les décrets en Conseil d’État sont soumis à la consultation préalable obligatoire du Conseil d’État ; ils occupent un rang supérieur dans la hiérarchie des normes. La forme du décret en Conseil d’État résulte habituellement d’une disposition législative ou d’un autre décret ; elle s’impose de plein droit lorsqu’il s’agit de modifier une disposition législative antérieure à 1958, mais dont l’objet ne fait plus partie du domaine de la loi. Certains décrets doivent être délibérés en Conseil des Ministres, par l’effet d’une disposition législative. Ils sont alors signés par le Président de la République ; celui-ci participe ainsi à l’exercice du pouvoir réglementaire. Toutefois, n’importe quel décret peut être inscrit à l’ordre du jour du Conseil des Ministres, ce qui a pour effet d’en faire un 6 CE 28 juin 1918, Heyriès : « le président de la République est placé à la tête de l’administration française et chargé de l’exécution des lois ; il lui incombe dès lors de veiller à ce qu’à toute époque, les services publics institués par les lois et règlements soient en état de fonctionner… » ; CE 8 août 1919, Labonne : « il appartient au chef de l’État, en dehors de toute délégation législative et en vertu de ses pouvoirs propres, de déterminer celles des mesures de police qui doivent en tout état de cause être appliquées dans l’ensemble du territoire… » (cf M. LONG / P. WEIL / G. BRAIBANT / P. DELVOLVÉ / B. GENEVOIS, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Paris, Dalloz, 18ème éd. 2011 (GAJA dans ce qui suit), p. 188 et 216. 174 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE décret en Conseil des Ministres qui ne pourra plus être modifié sans la signature du Président de la République7. Les ordonnances que le gouvernement peut être habilité par la loi à prendre dans des matières du domaine de la loi sont également soumises à la consultation préalable du Conseil d’État. Les ordonnances, tant qu’elles n’ont pas été ratifiées par le Parlement, tout comme les décrets, sont des actes administratifs et à ce titre soumises au principe de légalité et au contrôle du juge administratif ; il n’y a pas de différence à cet égard entre les décrets de l’article 37 et les autres. Pour toutes les autres autorités administratives, le pouvoir réglementaire est une compétence spéciale, attribuée par la loi ou en application de la loi pour un objet déterminé. Tel est le cas, tout d’abord, pour les autorités de police générale, qui sont exclusivement, outre le Premier ministre, le maire (Code général des collectivités territoriales – CGCT : art. L. 2212-1 et 2) et le préfet du département (CGCT : art. L. 2215-1 à 8). Ces autorités ont le pouvoir de prendre par voie de règlement toute mesure nécessaire pour assurer l’ordre public général dans leur circonscription. En second lieu, tout chef de service a le pouvoir de prendre les mesures réglementaires nécessaires à l’organisation du service placé sous son autorité. Tel est le cas pour le ministre comme pour le chef de n’importe quel établissement public8. Troisièmement, les mesures d’organisation du service public sont toujours considérées comme de nature réglementaire, quelle que soit la nature de l’acte qui contient ces mesures. Tel est le cas de mesures d’organisation du service public contenues aussi bien dans une délibération d’une société anonyme chargée d’une mission de service public9 que dans un contrat ayant pour objet l’exécution du service public10. Des tiers peuvent ainsi, non seulement invoquer de telles mesures pour en demander le respect, y compris à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir, mais aussi en contester directement la légalité au moyen d’un tel recours. Enfin, le législateur peut attribuer un pouvoir réglementaire spécial à d’autres autorités administratives, mais dans d’étroites limites. Si les dispositions constitutionnelles relatives au pouvoir réglementaire gouvernemental ne font pas obstacle à ce que la loi confie à une autorité publique autre que le Premier ministre le soin de fixer des normes permettant de mettre en œuvre une loi, c’est à la condition que cette loi ne 7 CE Ass. 10 sept. 1992, Meyet, Rec. p. 327, concl. KESSLER. À moins que le décret n’en dispose lui-même autrement. 8 CE Sect. 7 février 1936, Jamart, GAJA p. 300. 9 Tribunal des Conflits 15 janv. 1968, Compagnie Air France, GAJA p. 567. 10 CE Sect. 18 mars 1977, Chambre de Commerce de La Rochelle, Rec. p. 153 ; CE Ass. 10 juillet 1996, Cayzeele, Rec. p. 274. G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 175 concerne que « des mesures de portée limitée tant par leur champ d’application que par leur contenu »11. Bien que cette position ait été exprimée par le Conseil constitutionnel à propos des autorités administratives indépendantes, c’était déjà l’état du droit et la pratique pour d’autres autorités administratives investies d’un pouvoir réglementaire par la loi, à commencer par les ministres ou des établissements publics (par exemple les caisses nationales de sécurité sociale, qui sont des établissements publics nationaux). B. – L’attribution du pouvoir réglementaire Nous venons de voir que le législateur pouvait attribuer un pouvoir réglementaire aux autorités les plus diverses, à condition de ne pas porter atteinte aux prérogatives du pouvoir réglementaire général détenu par le Premier ministre. Mais, dans certains cas, la qualité d’actes réglementaires peut aussi être reconnue à des actes émanant d’un sujet de droit privé. Ces cas sont assez nombreux mais ne portent que sur une compétence très limitée. Rappelons tout d’abord que le droit public ne connaît que trois catégories de personnes publiques : l’État, les collectivités territoriales, et les personnes publiques spéciales. Ces dernières étaient toutes, naguère, des établissements publics ; aujourd’hui il faut y ajouter d’autres entités, telles que les groupements d’intérêt public et les autorités publiques indépendantes (semblables par leurs missions et leurs pouvoirs aux autorités administratives indépendantes, mais dotées de la personnalité morale). Les personnes publiques spéciales sont nécessairement rattachées à l’État ou à une collectivité territoriale. Ce rattachement est l’expression du fait qu’elles ne sont que l’externalisation d’une compétence de l’État ou d’une collectivité territoriale ; elles ont un caractère fondatif et demeurent placées sous leur contrôle. De nombreuses personnes de droit privé sont dans la même situation. Elles ont été créées par la puissance publique pour remplir certaines missions de service public (par exemple la société France Télévision, ayant le statut de société commerciale, mais chargée du service public national de l’audiovisuel et dont l’intégralité du capital est détenue par l’État, ou l’Association Française de Formation des Adultes, créée par l’État sous la forme d’une association de la loi de 1901 – loi sur la liberté d’association, les régions sont entrées dans l’Association avec l’adoption de nouveaux statuts le 27 janvier 2011 sous le double effet de l’ouverture à la 11 CC n° 89-260 DC, 28 juillet 1989, Commission des Opérations de Bourse. 176 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE concurrence et des transferts de compétences aux régions). D’autres ont été créées à l’initiative de l’État et selon un cadre juridique établi par la loi, comme les organismes professionnels d’intervention économique ou les ordres professionnels (l’ordre des médecins ou l’ordre des pharmaciens, par exemple). Il y a eu de longues controverses sur leur nature juridique depuis la fin des années 30. Aujourd’hui, la jurisprudence y voit des personnes morales de droit privé12. Dans un cas comme dans l’autre, elles demeurent sous le contrôle de la puissance publique. Mais il existe aussi des personnes privées, formées dans un but d’intérêt privé, qui se trouvent investies de la gestion d’un service public, et donc partiellement soumises à un régime de droit public. Cette hypothèse est très différente de la délégation de service public, qui trouve son origine dans le régime des concessions de service public, et qui suppose un contrat entre la personne publique et une entreprise. Dans le cas des organismes de droit privé chargés de la gestion d’un service public, la situation est plus floue et peut être révélée a posteriori à l’occasion d’un contentieux, compte tenu des évolutions que l’organisme en cause a parfois connues. Le premier cas important est celui des caisses d’assurances sociales, en 193813. Aujourd’hui, dans le dernier état de la jurisprudence, on identifie le service public, non seulement d’après les prérogatives de puissance publique conférées, mais encore par les obligations et les objectifs qui lui sont imposées ainsi que les moyens mis en œuvre pour en vérifier la réalisation (cf plus loin la communication de J.-M. Pontier). Certains de ces organismes privés tiennent de leur statut la compétence pour prendre des actes administratifs. Pour la jurisprudence, le point essentiel est la qualification d’acte administratif de certaines décisions. La qualification d’acte réglementaire ou non réglementaire vient en second lieu, puisqu’elle ne détermine pas la compétence du juge et ne conditionne pas les recours qui peuvent être exercés. La nature réglementaire ou non réglementaire de l’acte se déduit du contenu des actes auxquels le caractère d’acte administratif est reconnu. Ainsi en est-il, par exemple, des conditions d’exercice de la médecine en groupe ou en équipe, pour lesquelles le conseil national de l’ordre des médecins peut établir des contrats types et contrôler la conformité des contrats conclus à ces contrats types, en vertu du pouvoir réglementaire qui lui est reconnu14. 12 CE Sect. 13 janv. 1961, Magnier, Rec. p. 33 (« groupements de défense des ennemis des culture ») ; CE 7 déc. 1984, Centre d’études marines avancées, AJDA 1985, p. 274 ; RFDA 1985, p. 381, concl. O. DUTHEILLET de LAMOTHE (Institut français du pétrole). 13 CE Ass. 13 mai 1938, Caisse primaire Aide et Protection, GAJA n° 51, p. 320. 14 CE Sect. 14 février 1969, Association syndicale nationale des médecins exerçant en groupe ou en équipe, AJDA 1969, p. 161. G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 177 Un domaine classique d’application est celui des fédérations sportives. Le Conseil d’État avait jugé en 1974 que les fédérations sportives étaient chargées par la loi de l’exécution d’un service public administratif, bien qu’elles fussent organisées sous la forme d’associations de la loi de 1901, et qu’en vertu de la délégation qui leur était consentie elles prenaient des décisions constituant l’exercice de prérogatives de puissance publique. Tel est en particulier le cas d’une décision modifiant les règles d’homologation des balles de tennis de table pouvant être utilisées lors des compétitions organisées par la Fédération française de tennis de table. Cette décision a été prise, selon le Conseil d’État, « pour l’accomplissement d’un service public et dans l’exercice de prérogatives de puissance publique », et sur la base de l’arrêté du ministre qui, conformément à la loi, déléguait à la Fédération « le pouvoir de définir les modalités d’organisation des compétitions dont elle a la charge ; (…) il lui était en particulier loisible de déterminer les règles d’homologation des balles devant être employées lors de ces compétitions ». L’exercice d’un pouvoir réglementaire par une personne privée ne fait donc ici pas de doute. Cependant, le Conseil d’État annule la décision car, en fixant le montant forfaitaire exigé des titulaires d’agrément à un niveau excédant largement le coût de l’examen technique et justifié par la publicité et le monopole de fourniture dont bénéficieraient les intéressés, la Fédération avait excédé les limites de la délégation qui lui avait été consentie15. La délégation du pouvoir réglementaire est donc interprétée strictement. Dans le domaine des sports, le rôle des fédérations sportives avait été reconnu par l’ordonnance du 28 août 1945 qui avait permis au ministre de leur déléguer l’organisation des compétitions nationales. La législation récente a renforcé le rôle officiel des fédérations sportives. Selon les articles du Code du sport résultant de la loi du 16 juillet 1984, il existe une seule fédération sportive par discipline, agréée pour une durée déterminée et qui reçoit délégation du ministre chargé des sports (art. L. 131-14). Dans ce cadre, les « fédérations délégataires » organisent les compétitions à l’issue desquelles sont décernés les titres (internationaux, nationaux, régionaux…) (art. L. 131-15) et édictent les « règles techniques propres à leur discipline » et les « règlements relatifs à l’organisation de manifestation ouverte à leurs licenciés » (art. L. 131-16 ; v. également art. R. 131-32 à 36). Cette jurisprudence connaît de nombreuses applications, pour des organismes sociaux16, les fédérations de chasse et de pêche17 ou la 15 CE Sect. 22 nov. 1974, Fédération des industries d’articles de sport, Rec. p. 577, concl. THÉRY. 16 TC 22 avril 1974, Directeur régional de la Sécurité sociale d’Orléans c. sieur Blanchet, AJDA 1974, p. 439 : à propos d’une circulaire émise par la Caisse nationale de l’assurance maladie et de l’assurance maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles, personne de 178 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Fondation pour la cité universitaire internationale, qui est une fondation de droit privé18. À propos de cette dernière, le Conseil d’État exprime de manière très nette le fondement de sa compétence : « la Fondation nationale pour le développement de la cité internationale universitaire de Paris et les fondations qui lui sont rattachées ou associées sont chargées de l’exécution d’un service public administratif et dotées, pour l’exécution de ce service, du pouvoir de prendre des décisions unilatérales qui s’imposent aux usagers ; (…) les recours dirigés contre de telles décisions relèvent par suite de la compétence de la juridiction administrative ». Ces décisions individuelles peuvent être individuelles ou réglementaires. Les limites et les contrôles relatifs aux actes administratifs des organismes privés chargés de la gestion d’un service public s’expliquent par la portée des actes administratifs unilatéraux. Ils sont directement exécutoires envers leurs destinataires et, si en principe l’autorité administrative doit demander au juge l’exécution forcée, elle peut y recourir elle-même en cas d’urgence, si la loi le prévoit ou s’il n’existe pas de voies de droit. Seule la poursuite de l’intérêt général peut justifier le recours à ces prérogatives. Tel n’est pas le cas des ordres juridiques privés. C. – Les ordres juridiques privés Il est en fait tout à fait habituel que des organismes privés établissent des normes qu’ils appliquent à leurs ressortissants, de manière générale, et conformément à la loi. Tel est le cas en particulier du règlement intérieur d’une entreprise, arrêté par le chef d’entreprise, selon le Code du travail, ou de règles internes adoptées par le conseil d’administration ou l’assemblée générale d’une association. Le cas du règlement intérieur d’une entreprise est particulièrement intéressant, en raison de l’unilatéralité de son édiction, même s’il donne lieu à diverses consultations obligatoires. Son édiction est même obligatoire dans les entreprises de plus de 20 salariés, son contenu est défini par la loi de droit privé régie par le Code de la mutualité, néanmoins chargée d’une mission de service public administratif : « les circulaires qu’elle est amenée à prendre dans la sphère de ses attributions constituent, par nature, des actes administratifs ». 17 TC 24 sept. 2001, M. Bouchot-Plainchant c. Fédération départementale des chasseurs de l’Allier, AJDA 2002, n° 2, concl. J. ARRIGHI de CASANOVA, p. 155 : constituent des actes administratifs les décisions prises par les fédérations départementales de chasseurs « dans le cadre de leur mission de service public qui manifestent l’exercice d’une prérogative de puissance publique » ; tel est le cas de la décision fixant le montant du timbre fédéral devant être acquitté par leurs adhérents et qui est une cotisation obligatoire. 18 CE 15 oct. 1982, Mlle Mardirossian, Rec. p. 348. G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 179 manière limitative et il est soumis au contrôle administratif de l’inspection du travail (C. trav. : art. L. 1311-1, L. 1321-1 à 3, L. 1322-1 à 3). En effet, il s’agit d’une norme générale qui s’applique à tous les salariés de l’entreprise19. Pourtant, la situation est, en droit, très différente, des mesures réglementaires adoptées par un ordre professionnel ou par tout autre organisme privé chargé de la gestion d’un service public. En effet, le règlement intérieur n’est obligatoire qu’en raison du contrat de travail, signé par le salarié, et qui a pour effet de soumettre le salarié à l’autorité du chef d’entreprise. Par conséquent l’autorité de la norme tire sa source, non du statut du chef d’entreprise, mais du contrat. Par le contrat de travail s’exprime un accord de volonté sans lequel le salarié ne fait pas partie de l’entreprise et le règlement intérieur ne peut lui être appliqué. La réglementation par la loi du règlement intérieur de l’entreprise répond à un objectif de protection du salarié qui se trouve placé sous l’autorité du chef d’entreprise. De même, l’association repose sur un contrat par lequel les membres investissent certains d’entre eux, qui composent les organes statutaires, de certains pouvoirs pour le fonctionnement de l’association. C’est par ce contrat, qu’ils acceptent en même temps de se soumettre aux décisions de ces organes, dans la mesure où elles sont régulièrement adoptées. En principe, les membres de l’association qui veulent contester de telles décisions doivent agir en justice, devant le juge civil, mais ils restent soumis en attendant le jugement, à l’obligation de respecter ces décisions. La même chose, vaut, à peu de choses près, pour les syndicats de copropriétaires et l’application du règlement de copropriété, ainsi que les décisions des organes de la copropriété. Alors que les mesures réglementaires adoptées par des organismes de droit privé chargés d’une mission de service public tirent leur autorité de la loi et des compétences conférées à ces organismes, dans les ordres juridiques de droit privé, l’autorité des normes générales trouve son fondement dans le contrat. Cette différence est essentielle, même si le contrat n’est qu’un contrat d’adhésion. II. L’EXERCICE DU POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LA PARTICIPATION DES PERSONNES PRIVÉES On peut distinguer trois catégories de procédures qui peuvent s’interpréter comme un partage du pouvoir réglementaire. La première 19 Ph. NEAU-LEDUC, La réglementation de droit privé, Paris, Litec, 1998. 180 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE consiste à conférer une portée réglementaire à une norme contenue dans un accord ou une convention, ou à une norme privée. La seconde consiste à déléguer l’édiction de la norme mais à retenir le pouvoir de lui conférer force exécutoire, ce qu’on appelle l’homologation. La troisième consiste à conditionner l’exercice du pouvoir réglementaire par l’intervention, plus ou moins contraignante, d’autres institutions. Cette dernière catégorie met en relation plutôt des autorités publiques, tandis que les deux premières impliquent, ou peuvent impliquer, des sujets de droit privé. Ces différentes catégories de procédures sont déterminées par la loi et ne peuvent être mises en œuvre que lorsque la loi les prévoit. Bien entendu, cela n’exclut pas l’existence de normes privées non impératives, que l’on tend aujourd’hui à encourager et que l’on regroupe habituellement sous des appellations telles que « soft law », « codes de bonne conduite », etc. A. – Conférer une portée réglementaire à une norme contenue dans un accord ou une convention, ou à une norme privée Cette possibilité est prévue notamment dans trois domaines : la négociation collective en droit du travail, les conventions ou accords pour la mise en œuvre du Code de la Sécurité sociale ; les normes industrielles et techniques. 1. Les conventions collectives et accords collectifs prévus par le Code du travail Le Code du travail donne une place essentielle à la négociation collective. Celle-ci s’étend à l’ensemble des conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle, ainsi qu’aux garanties sociales des salariés (C. trav. : art. L. 2221-1). La négociation collective est un droit collectif pour les salariés, et ce droit trouve une base constitutionnelle dans le préambule de la Constitution de 1946. Il s’exerce par la négociation entre syndicats professionnels représentants les salariés d’une part, et représentants les employeurs d’autre part. La loi distingue la convention collective, qui a vocation à traiter de l’ensemble des matières visées par l’article L. 2221-1, et les accords collectifs, qui peuvent traiter seulement un ou plusieurs sujets dans cet ensemble (art. L. 2221-2). Ces conventions collectives ont une valeur contractuelle et lient seulement les parties ainsi que les entreprises membres des organisations signataires. Cela résulte clairement de l’article L. 2261-1 : « Sans préjudice des effets attachés à l’extension ou à l’élargissement, l’application des conventions et accords est obligatoire pour tous les signataires ou membres des organisations ou G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 181 groupements signataires ». Les contrats de travail doivent être conformes aux dispositions de la convention collective, dès lors que l’employeur est lié par elle, sauf dispositions plus favorables (art. L. 2254-1). Toutefois, le ministre du travail peut, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, prendre des arrêtés d’extension qui rendent alors obligatoires ces conventions collectives ou accords collectifs pour l’ensemble des employeurs et des salariés du champ d’application de la convention ou de l’accord, même s’ils ne font pas partie des organisations signataires (art. L. 2261-15). Le ministre peut de même rendre obligatoire par arrêté tout avenant à la convention ou à l’accord (art. L. 2261-16) et, en cas d’impossibilité d’aboutir à une convention collective ou à un accord collectif, le ministre peut rendre obligatoires les stipulations d’une convention ou d’un accord ayant déjà fait l’objet d’un arrêté d’extension dans un secteur professionnel présentant des analogies ; il en va de même pour l’élargissement de la portée d’une convention ou d’un accord applicable à un secteur territorial déterminé à d’autres secteurs territoriaux, ou encore pour l’extension d’accords interprofessionnels (art. L. 2261-17). Pour pouvoir faire l’objet d’un arrêté d’extension ou d’élargissement, une convention collective ou un accord collectif doit avoir été négocié et conclu en commission paritaire. La commission paritaire se compose des délégués des organisations syndicales de travailleurs et d’employeurs représentatives dans le champ d’application de la convention ou de l’accord. L’autorité administrative peut convoquer la commission paritaire, de sa propre initiative ou à la demande de l’une de ces organisations ; elle doit le faire si une organisation de salariés et une organisation d’employeurs le demandent (art. L. 2261-19 et 20). Mais le Code du travail prévoit aussi la liste des clauses que doit comporter une convention collective de branche conclue au niveau national pour pouvoir être étendue (par exemple : les éléments essentiels de la détermination des classifications professionnelles ; le salaire minimum professionnel et l’ensemble des éléments affectant le calcul du salaire par catégorie professionnelle ; les conditions de recrutement des salariés ; l’organisation des institutions représentatives du personnel dans l’entreprise) (art. L. 2261-22). Le ministre n’est pas pour autant tenu de prendre un arrêté d’extension d’un accord collectif dont aucune clause n’est contraire aux lois et règlements. Selon le Conseil d’État, il conserve un pouvoir d’appréciation et peut refuser l’extension « pour des motifs d’intérêt général tenant notamment aux objectifs de la politique économique et sociale ou à la protection de la situation des tiers », sous le contrôle du juge de l’excès de 182 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE pouvoir20. Le juge administratif contrôle le champ d’application de la mesure d’extension et, par exemple, il annule l’exclusion d’activités qui ne constituent pas une branche d’activité distincte, ce qui suppose une appréciation d’ordre économique21. Mais le juge administratif peut aussi annuler un arrêté d’extension pour un motif étranger au droit du travail, notamment si les effets d’une disposition étendue par l’arrêté sont « de nature à porter une atteinte excessive à la libre concurrence » selon un avis émis par le Conseil de la concurrence, et il peut limiter l’annulation aux clauses litigieuses, de telle sorte que l’arrêté d’extension demeure pour toutes les autres clauses de la convention collective22. En résumé, la loi fixe le cadre légal selon lequel les partenaires sociaux doivent fixer, par la négociation collective, le régime de l’emploi et de la rémunération des salariés. La négociation collective produit ainsi des normes de portée générale, mais au moyen d’un type d’engagement contractuel, la convention collective ou l’accord collectif. Mais l’État est le garant de la négociation collective et des droits qui doivent en résulter pour les travailleurs. Il a les moyens de pousser les parties à la négociation ; il détermine l’objet de la négociation collective et, par les arrêtés d’extension ou d’élargissement du ministre du travail, il rend obligatoire une convention collective ou un accord collectif pour tous les employeurs entrant dans son champ d’application, mais qui ne seraient pas liés par l’effet du contrat. Comment analyser l’opération juridique réalisée par l’arrêté d’extension ou d’élargissement ? Elle opère le changement de statut de la norme sans changer la nature de l’acte qui en est le support. L’arrêté confère à la convention collective, ou à l’accord collectif, la force exécutoire d’un acte réglementaire. Mais la convention collective reste un acte de nature contractuelle et le contentieux de son application relève des juridictions du travail sous le contrôle des cours d’appel et de la Cour de cassation. Le régime d’assurance-chômage dont bénéficie les salariés involontairement privés d’emploi est institué par la loi, suivant la même logique, mais l’intervention du pouvoir réglementaire est encore plus accentuée. Il s’agit d’un régime d’assurance obligatoire, pour les employeurs comme pour les salariés, qui acquittent les cotisations 20 CE 21 nov. 2008, Syndicat national des cabinets de recouvrement de créances et de renseignements commerciaux, et autres, n° 300135 : refus d’extension justifié du ministre à cause de clauses, que la loi permettait, favorisant le départ en retraite de salariés avant l’âge limite de 65 ans, alors que la politique du gouvernement vise à favoriser l’emploi des « seniors ». 21 CE Sect. 3 avril 1998, Fédération de la plasturgie, n° 177962. 22 CE Sect. 30 avril 2003, Syndicat professionnel des exploitants indépendants des réseaux d’eau et d’assainissement, n° 230804 : clauses allant au-delà des exigences légales en matière de continuité des contrats de travail en cas de reprise de l’entreprise ou du service, et de nature à rendre plus difficile l’entrée sur le marché d’exploitants concurrents des entreprises dominantes du secteur pour la passation de marchés publics ou de contrats de délégation de service public dans ce secteur. G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 183 nécessaires à son financement (art. L. 5422-13 et s.). Mais la loi confie expressément à un accord interprofessionnel négocié au niveau national les conditions d’application du régime d’assurance-chômage qu’elle prévoit (art. L. 5422-20). Cet accord porte notamment sur son financement (les cotisations doivent assurer l’équilibre financier du régime), sur les prestations versées aux demandeurs d’emploi et sur la gestion de l’assurance-chômage par un organisme de droit privé désigné par l’accord interprofessionnel, et en fait constitué par lui, l’UNEDIC (art. L. 5427-1). Toutefois, cette dernière disposition, telle qu’elle résulte de la loi n° 2008128 du 13 février 2008 (art. 16), confie le service des allocations de chômage aux bénéficiaires à un établissement public chargé du service public de l’emploi, et notamment du placement (« Pôle emploi »). Selon la loi (art. L. 5422-21), c’est l’agrément prononcé par le Ministre du travail qui rend obligatoire cet accord pour l’ensemble des employeurs et des salariés. L’accord interprofessionnel n’a donc par lui-même aucun effet direct. La portée de l’agrément est donc ici très différente de celle de l’arrêté d’extension, dont l’absence n’empêche pas la convention collective (l’accord collectif) de s’appliquer entre les parties. Pour être agréé par le ministre, l’accord interprofessionnel ayant pour objet exclusif le versement des allocations de chômage doit satisfaire à un certain nombre de conditions : avoir été négocié au niveau national par des organisations professionnelles représentatives ; ne pas comporter des stipulations incompatibles avec les dispositions légales (ibid.). Lorsque l’accord n’a pas été signé par toutes les organisations syndicales les plus représentatives de travailleurs et d’employeurs, le ministre ne peut procéder à l’agrément de l’accord qu’après avis favorable motivé du comité national de l’emploi (art. L. 5422-22). En cas d’opposition écrite et motivée de deux organisations syndicales de travailleurs ou d’organisations syndicales représentatives d’employeurs représentés dans ce conseil, le ministre peut solliciter un nouvel avis, à la suite duquel il a le pouvoir de prononcer l’agrément par une décision motivée (art. R. 5422-17). Le comité supérieur de l’emploi est un organe consultatif établi par la loi, présidé par le ministre et composé de représentants des organisations syndicales les plus représentatives des travailleurs et des employeurs, des principaux opérateurs du service public de l’emploi et de la formation professionnelle des adultes, des administrations intéressées, des collectivités territoriales et de « personnalités qualifiées » (art. L. 5112-1). À défaut d’accord ou d’agrément de l’accord, les mesures d’application de la loi sont déterminées par décret en Conseil d’État (art. L. 5422-20, al. 3) ; le gouvernement peut de même dans ce cas confier à un établissement public administratif la gestion de l’assurance-chômage (art. L. 5427-7). Cependant, jusqu’à maintenant, ce pouvoir d’intervention en dernier ressort de l’État n’a jamais dû être mis en œuvre, et le régime 184 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE d’assurance-chômage a toujours été réglé par voie d’accords collectifs interprofessionnels. C’est pourquoi, compte tenu du caractère de droit privé de ces accords, le recouvrement des cotisations est confié, non pas à l’administration fiscale, mais aux organismes de recouvrement de la Sécurité sociale, qui relèvent également du droit privé, et le contentieux qui s’y rapporte relève de la compétence des juridictions de la Sécurité sociale, lesquelles sont soumises à la Cour de cassation (art. L. 5422-16 – il y a quelques exceptions). Les arrêtés d’agrément du ministre sont des actes réglementaires et, à ce titre, il peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, qui relève de la compétence en premier et en dernier ressort du Conseil d’État. Mais, en dehors d’erreurs de forme ou de procédure, l’arrêté d’agrément n’est légal ou illégal qu’en fonction du contenu des dispositions de l’accord et, saisi, d’un tel recours, le juge administratif examine en fait la légalité des dispositions de l’accord interprofessionnel, au fond et quant à la régularité de la procédure suivie. L’arrêté sera donc annulé en tant qu’il approuve des dispositions jugées illégales. Un bon exemple en est donné dans un arrêt important du 11 mai 2004, qui annule l’arrêté d’agrément en tant qu’il approuve des dispositions précises jugées illégales par le Conseil d’État, et expressément mentionnées par celui-ci dans le dispositif de son arrêt23. Comme à l’égard de n’importe quel acte administratif, l’annulation a pour effet d’imposer le retour à l’état du droit antérieur à la date d’adoption de l’acte annulé. Dans cet arrêt, les conséquences financières et sociales de l’annulation rétroactive étaient telles que le Conseil d’État a saisi cette occasion pour se reconnaître désormais le pouvoir de ne prononcer l’annulation que pour l’avenir. Mais cette affaire nous montre bien qu’en conférant force exécutoire à l’accord interprofessionnel l’arrêté d’agrément soumet indirectement cet accord au régime contentieux des actes réglementaires. 2. Les conventions et accords réglant les rapports entre les professions de santé et la Sécurité sociale Le Code de la sécurité sociale offre d’autres exemples importants d’accords qui sont à l’origine de normes réglementaires. En France, la plus grande partie du système de soins du premier degré est assuré par les médecins, chirurgiens-dentistes, infirmières et diverses catégories d’auxiliaires médicaux et de professions paramédicales (ex. : masseurs kinésithérapeutes) qui exercent en pratique libérale. Mais les actes médicaux et les soins sont financés par la Sécurité sociale, qui les rembourse une partie 23 CE Ass. 11 mai 2004, Association AC ! et autres, RFDA 2004, p. 454, concl. DEVYS, GAJA p. 859. G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 185 plus ou moins importante du coût pouvant être laissée à la charge du patient. Pour régler les rapports entre la Sécurité sociale et les différentes professions, le Code de la sécurité sociale prévoit de nombreuses conventions passées entre leurs organisations représentatives et l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie, laquelle est un établissement public administratif. Il en résulte une différence importante avec les cas précédents : les conventions collectives et les accords collectifs prévus par le Code du travail sont des contrats passés entre des personnes de droit privé ; au contraire, les conventions et accords prévus par le Code de la sécurité sociale sont des contrats passés entre des personnes de droit privé et une personne publique et qui, à raison de leur contenu, sont des contrats administratifs, dont l’objet est bien de poser une réglementation. On est ici en présence de conventions qui, par la volonté du législateur, sont à effet réglementaire. Le Code définit très précisément les clauses que doivent contenir ces conventions, y compris des clauses de suivi et même de sanction, des clauses intéressant l’exercice de la profession. La tarification des actes est régie par ces conventions sur la base des nomenclatures établies par la Sécurité sociale (notamment : art. L. 162-5 pour les médecins ; L. 162-9 pour les chirurgiens-dentistes, les sages-femmes et les auxiliaires médicaux ; L. 162-12-2 pour les infirmiers ; L. 162-14 pour les directeurs de laboratoires d’analyse médicale ; L. 162-14-1 pour les dispositions communes à toutes ces conventions). Pour être valides, ces conventions doivent être signées par au moins une organisation représentative et que les signataires représentent au moins 30% des suffrages exprimés aux élections professionnelles (art. L. 162-14-1-2). Mais, à la différence des conventions collectives et des accords collectifs du Code du travail, elles ont d’emblée vocation à s’appliquer à tous les professionnels qu’elles visent (art. L. 16215, al. 9 et 10). L’exercice de la profession n’est pas interdit à des praticiens qui n’accepteraient pas ces conditions, mais leurs actes ne seront pas remboursés par la Sécurité sociale, si bien que de tels praticiens ne se rencontrent pratiquement que dans des activités non prises en charge par la Sécurité sociale (par exemple, la chirurgie esthétique). L’application de ces conventions est subordonnée à leur approbation par le ministre chargé de la santé et de la sécurité sociale (art. L. 162-15), responsable également du respect de la loi de financement de la Sécurité sociale votée par le Parlement et qui vise à encadrer les dépenses de santé. Cette approbation peut être tacite : elle est acquise si, dans le délai de 21 jours de sa réception, le ministre n’a pas fait savoir qu’il s’oppose à la convention, ou à certaines de ses clauses du fait « de leur non-conformité aux lois et règlements en vigueur ou pour des motifs de santé publique ou de 186 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE sécurité sanitaire ou lorsqu’il est porté atteinte au principe d’un égal accès aux soins » ; les dispositions contestées peuvent être disjointes (al. 2 et 3). Par conséquent, si les normes sont coproduites par les professions et l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie, la force exécutoire des normes contenues dans ces conventions dépend d’un acte administratif, l’approbation exprimée par le ministre, qui présente lui-même le caractère d’un acte réglementaire pour le juge administratif. L’arrêté d’approbation peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et le juge administratif apprécie la légalité de cet arrêté en fonction des clauses de la convention qu’il approuve. Comme le rappelle le Conseil d’État à propos de la convention nationale des médecins généralistes, les dispositions de l’article L. 162-5 habilitent les parties à la convention à « intervenir dans les domaines visés » par cet article, sous réserve de l’approbation de l’autorité ministérielle, mais les dispositions ainsi fixées par cette convention doivent respecter la compétence du législateur, qui détermine les principes fondamentaux de la Sécurité sociale, et qui charge le pouvoir réglementaire gouvernemental, qui s’exerce par voie de décrets, de fixer certaines obligations incombant aux organismes de Sécurité sociale et aux médecins24. Le Conseil d’État contrôle, à l’occasion d’un recours contre l’arrêté d’approbation, la conformité des clauses de la convention aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur et il n’est pas rare qu’il annule partiellement un arrêté d’approbation pour des clauses auxquelles celui-ci donnait effet mais qu’il juge illégales parce qu’elles méconnaissent les limites de l’habilitation donnée par le Code de la Sécurité sociale. Le Conseil d’État assimile les clauses de ces conventions à des normes réglementaires ; il les déclare « opposables » aux médecins « conventionnés » (c’est-à-dire dont les actes sont réglementés par la convention), et il examine au regard du principe d’égalité les clauses qui établissent des différences entre les praticiens dans les même termes que pour tout autre acte réglementaire25. Le Code de la Sécurité sociale prévoit, pour la mise en œuvre des conventions nationales précitées la conclusion d’« accords de bon usage des soins » (art. L. 162-12-17), de « contrats de bonne pratique » (art. L. 162-1218) et de « contrats de santé publique » (art. L. 162-12-20). Ces accords, qui peuvent être conclus au niveau national ou au niveau régional, développent l’encadrement des pratiques professionnelles, fixent les engagements de professionnels et les contreparties financières de leur contribution à la maîtrise des dépenses médicales. Ils ne sont pas soumis à approbation ministérielle, mais doivent être signés par les parties signataires de la convention nationale ou leurs représentants au niveau régional, et être 24 25 CE Sect. 14 avril 1999, Syndicat des médecins libéraux, n° 202605 et 203623. V. not. : CE 30 nov. 2005, Syndicat des médecins d’Aix et région, n° 278291. G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 187 conformes à la convention nationale, ou l’accord national dans le cas d’accords régionaux. Les accords régionaux sont soumis à l’approbation de l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie. On ne peut entrer ici davantage dans le détail de ce dispositif complexe. Mais le Conseil d’État rattache toujours la portée réglementaire de ces accords à un acte d’une autorité administrative. Ainsi, dans le cas d’un recours d’une entreprise pharmaceutique contre une clause d’un « accord de bon usage de soins » qu’elle estimait défavorable à un médicament qu’elle fabriquait, le Conseil d’État juge que la requête « doit être regardée comme dirigée contre la décision de l’UNCAM (Union nationale des caisses d’assurance-maladie), révélée par la publication au Journal Officiel de la République Française (…) de l’accord de bon usage de soins (…), de faire publier cet accord en vue de permettre son entrée en vigueur »26. Autrement dit, on peut relever que dans ce cas, comme dans les cas où la procédure est plus clairement organisée par la loi, le Conseil d’État fait dépendre la portée réglementaire des clauses de la convention d’un acte d’une autorité administrative, en l’espèce l’UNCAM, qui en commande l’effet exécutoire. 3. Les normes techniques Les normes techniques occupent une place très importante dans la vie économique ; elles peuvent faciliter l’expansion du marché ou au contraire y faire obstacle et segmenter le marché. Selon la définition qu’en donne l’International Standardization Organization (ISO) : « Une norme est une spécification technique ou un autre document accessible au public, établi avec la coopération et le consensus ou l’approbation générale de toutes les parties intéressées, fondée sur les résultats de la science, de la technologie et de l’expérience, visant à l’avantage optimal de la communauté et approuvé par un organisme qualifié, sur le plan national, régional ou international ». L’organisme qualifié peut être reconnu par les autorités publiques, par divers moyens, ou seulement par les agents économiques concernés, mais distinct de ceux-ci pour assurer sa neutralité à leur égard. En principe, la norme n’est pas obligatoire ; son application est volontaire ; il existe des organismes de normalisation émanant des milieux professionnels qui élaborent les normes, lesquelles peuvent se limiter aux exigences essentielles, car la normalisation ne signifie pas la standardisation27. Cependant, si la norme technique n’est pas en tant que telle et immédiatement une règle de droit, elle n’en est pas moins une norme, au sens sociologique du terme. On a pu dire qu’il s’agissait d’une norme 26 CE 31 déc. 2008, Société SANOFI Pharma Bristol-Myers Squibb, n° 286279. J. IGUALENS / H. PENAN, La normalisation, coll. « Que sais-je ? », Paris, PUF, 1994, n° 1954, pp. 71-72. 27 188 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE exerçant « une fonction directive souple » qui s’appuie sur l’adhésion et le consentement28. En outre, si on a pu opposer naguère les régimes libéraux, dans lesquels les normes techniques étaient d’application volontaire, aux régimes dirigistes ou autoritaires, dans lesquels elles étaient impératives, on doit reconnaître qu’aujourd’hui la normalisation est de plus en plus réglementée. Cependant, les normes techniques ne sont pas produites par l’État, mais par les agents économiques et, dans cette mesure, dans un pays comme la France et en général dans l’Union européenne, elles sont d’origine privée. L’État détermine seulement lesquelles, et à quelles conditions, peuvent devenir obligatoires. En France, la normalisation s’est d’abord développée dans le domaine militaire et s’est organisée dans le domaine civil entre les deux guerres, avec la création l’AFNOR (Association française de normalisation) en 1926. La norme technique est alors élaborée avec la coopération des intéressés et elle n’est pas obligatoire. C’est sous le régime de Vichy que les bases de la réglementation de la normalisation ont été posées (loi du 24 mai 1941, toujours en vigueur). Un décret de 1984 a organisé la publicité des normes homologuées par l’AFNOR, dont le rôle central a été consacré, et déterminé quelles normes pouvaient être rendues obligatoires, devenant ainsi des normes juridiques, malgré leur contenu technique. Dans les années 80, la Communauté européenne s’est préoccupée d’éviter une utilisation protectionniste des normes techniques et elle a adopté des dispositions organisant une procédure d’information systématique et réciproque sur les normes, et favorisant les organismes européens de normalisation (directive 83/189). De plus, si le respect des normes est volontaire, la référence aux normes est obligatoire dans la passation des marchés publics ; compte tenu de l’importance économique des marchés publics, il est donc très difficile de s’en dispenser. Le régime français de la normalisation vient d’être réorganisé par le décret n° 2009-697 du 16 juin 2009, qui abroge et remplace le décret de 198429. Le rôle de l’AFNOR est renforcé, tant sur le plan interne que dans les organisations non gouvernementales de normalisation européennes. Elle est chargée de la programmation des travaux de normalisation et de l’organisation des enquêtes publiques, auxquelles sont soumis les projets de normes élaborés par des bureaux de normalisation, agréés par le ministre chargé de l’industrie et agissant par délégation de l’AFNOR sur la base d’une convention, laquelle est approuvée par le délégué interministériel aux normes, haut fonctionnaire nommé par décret et placé sous l’autorité du 28 F. VIOLET, Articulation entre la norme technique et la règle de droit, Aix-en-Provence, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2003, p. 45. 29 G. MARCOU, « La procédure de normalisation et l’innovation », RFDA n° 1/2011, janvierfévrier, pp. 135-140. G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 189 ministre. L’AFNOR évalue les bureaux de normalisation périodiquement et veille en particulier à la participation de tous les intéressés au sein de commissions de normalisation. Elle peut aussi exercer la fonction de bureau de normalisation, notamment pour des secteurs où n’existe aucun bureau de normalisation ou pour des normes intéressant un grand nombre de secteurs. Le décret du 16 juin 2009 rappelle que « les normes sont d’application volontaire ». Mais les normes peuvent être, du point de vue juridique de trois catégories différentes : 1) certaines normes sont purement privées et peuvent être enregistrées par l’AFNOR ; 2) une norme peut aussi être homologuée, à l’issue d’une enquête publique organisée par l’AFNOR ; 3) une norme peut être rendue obligatoire par arrêté ministériel (art. 17). En outre, le délégué interministériel peut s’opposer à l’homologation d’une norme qui serait contraire à des dispositions législatives ou réglementaires, aux orientations de la politique française des normes ou de nature à compromettre la mission d’intérêt général dont l’AFNOR est chargée, ou encore pour défaut d’une version en langue française de la norme. Le Conseil d’État a jugé que le simple enregistrement d’une norme ne ressortit pas de l’exercice d’une prérogative de puissance publique, et ne constitue donc pas un acte administratif, alors même que l’AFNOR est un organisme privé chargé d’une mission de service public30. En revanche, l’homologation d’une norme prononcée par le directeur général de l’AFNOR ne se borne pas à exprimer une recommandation, mais prend « une décision qui présente, en raison des effets qui y sont attachés, un caractère réglementaire »31. La norme homologuée a donc bien la nature d’un acte administratif à caractère réglementaire, alors même que, selon l’article 11 de l’ancien décret de 1984 alors en vigueur, la norme homologuée n’est pas obligatoire. Mais c’est sans doute son caractère de référence obligatoire dans les marchés publics qui justifie la portée reconnue ici à l’homologation, et qui permet au juge d’admettre le recours pour excès de pouvoir ou l’exception d’illégalité contre la décision d’homologation d’une norme. Comme dans les hypothèses précédentes empruntées au droit social, c’est en fonction de l’appréciation de la légalité du contenu de la norme homologuée que le juge prononcera éventuellement l’annulation totale ou partielle de la décision d’homologation, privant alors de sa force juridique la norme en cause. A fortiori les normes rendues obligatoires par arrêté ministériel ontelles un caractère réglementaire. Elles doivent alors être consultables 30 CE 17 février 1992, Société Textron, AJDA 1992, p. 450. CE 14 oct. 1991, Section régionale Normandie-Mer du Nord du comité interprofessionnel de conchyliculture, n° 90260 : rejet d’un recours pour excès de pouvoir contre la décision du directeur de l’AFNOR homologuant une norme relative aux huîtres creuses. 31 190 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE gratuitement sur le site internet de l’AFNOR (art. 17 du décret du 16 juin 2009). Ce sont donc des normes d’origine privée qui peuvent être revêtues par la puissance publique d’une portée réglementaire, avec des degrés d’impérativité différents, en fonction de la procédure mise en œuvre. Par l’homologation, l’AFNOR confère un caractère officiel et public à la norme ; par arrêté ministériel elle peut être rendue obligatoire et elle devient donc juridiquement opposable à tous les intéressés. Il existe d’autres exemples de normes d’origine privée qui sont revêtues d’une force exécutoire par leur homologation par une autorité administrative, ou peuvent être imposés dans les clauses contractuelles de contrats d’adhésion (par exemple certains tarifs publics fixés par des entreprises privées). Le ministre chargé de l’économie peut en particulier homologuer par arrêté les codes de conduite élaborés par des organisations représentatives des professionnels du secteur financier en matière de commercialisation d’instruments financiers, d’opérations de banque, de services de paiement, de produits d’épargne, et de divers autres contrats ; l’homologation est prononcée après avis du comité consultatif de la législation et de la réglementation financières (art. L. 611-3-1 C. mon. fin.). Le non-respect de ces codes de conduite expose alors au prononcé de sanctions administratives, par l’Autorité de Contrôle Prudentiel notamment. B. – Déléguer l’édiction de la norme mais retenir le pouvoir de lui conférer force exécutoire Ce mode d’organisation du pouvoir réglementaire est différent des hypothèses précédentes, bien qu’il s’exprime par un acte que l’on appelle l’homologation. L’homologation peut avoir, en droit, plusieurs sens. Dans un sens assez général, c’est un acte qui a pour objet de reconnaître qu’un matériel, un dispositif, une installation respecte bien certaines normes préétablies. Tel est le cas, par exemple, de l’homologation prévue par le Code de l’environnement pour divers matériels, par rapport aux normes d’émissions sonores à respecter, ou de l’homologation des enceintes sportives par l’autorité administrative prévue par le Code des sports. L’homologation a pour effet d’en permettre l’utilisation. À l’égard d’une norme juridique, l’homologation a aussi pour objet de reconnaître que celle-ci est conforme à d’autres normes. Mais elle a aussi une autre portée, celle de lui conférer force exécutoire. La différence entre le cas dont il sera question ici et l’homologation des normes techniques présenté ci-dessus, réside dans le fait que les normes G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 191 techniques sont par leur origine des normes privées sur lesquelles les pouvoirs publics estiment nécessaire d’établir leur contrôle, alors que, dans ce qui suit, il s’agit de la délégation par l’État, à un organisme public ou privé du pouvoir de produire des normes réglementaires mais qui ne tiennent leur force exécutoire que d’un acte d’une autorité administrative supérieure, l’homologation. Autrement dit, la norme réglementaire est imparfaite, ou incomplète, tant que l’homologation ne lui a pas conféré force exécutoire. L’homologation est une procédure qui se rencontre assez fréquemment, dans des domaines très divers, et habituellement pour maintenir un contrôle d’une autorité administrative supérieure sur l’exercice d’un pouvoir réglementaire spécial délégué à une autorité administrative, ou publique, indépendante, à un établissement public ou à une personne privée. Dans les trois cas, l’indépendance relative de l’organisme délégataire d’un pouvoir réglementaire spécial est contrebalancée par les limites du pouvoir qui est délégué et les contrôles qui peuvent être exercés. Le législateur ne peut ainsi déléguer à une autorité administrative indépendante qu’un pouvoir réglementaire spécial : si les dispositions constitutionnelles relatives au pouvoir réglementaire gouvernemental ne font pas obstacle à ce que la loi confie à une autorité publique autre que le Premier ministre le soin de fixer des normes permettant de mettre en œuvre une loi, c’est à la condition que cette loi ne concerne que « des mesures de portée limitée tant par leur champ d’application que par leur contenu »32. Cette jurisprudence légitime les dispositions de l’article L. 36-6 du Code des postes et des communications électroniques qui soumet à l’homologation ministérielle les mesures réglementaires que l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) doit adopter selon cet article, mais qui ne s’impose que si lesdites mesures concernent la diffusion des services de radiodiffusion et de télévision. On peut citer d’autres exemples dans le domaine des autorités administratives ou publiques indépendantes. Ainsi, le règlement général de l’Autorité des marchés financiers, qui fixe les règles applicables aux différentes professions exercées sur les marchés financiers, est soumis à homologation du ministre des finances (art. L. 621-6 C. mon. fin.). La décision de l’Autorité de sûreté nucléaire qui définit les modalités d’organisation du réseau national de mesures de la radioactivité de l’environnement, la nature des informations qui lui sont transmises et les modalités selon lesquelles ces informations sont mises à la disposition du public, est homologuée par le ministre chargé de la santé (art. R. 1333-11.III CSP). Certaines des règles techniques dont l’adoption est confiée à l’Autorité de Régulation des Activités ferroviaires, instituée par la loi du 8 décembre 2009 (art. L. 2131-7 32 Cons. const. n° 89-260 DC, 28 juillet 1989, Commission des Opérations de Bourse. 192 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE C. transports). En revanche l’homologation n’est pas prévue pour les mesures que doit adopter la Commission de régulation de l’énergie (CRE), et il en va de même du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). L’homologation est un pouvoir attribué par la loi au ministre dont l’effet est de dissocier le contenu de l’acte de sa force exécutoire. L’acte soumis à homologation est bien établi par l’ARCEP mais il ne prend effet que par l’homologation, laquelle présente le caractère, par là-même, d’un acte réglementaire33. L’homologation réserve donc un contrôle en dernier ressort au ministre. En pratique on comprend qu’un acte qui ne pourrait être homologué ne sera pas présenté. Du point de vue contentieux, la décision d’homologation conditionne la mise en œuvre de la mesure, et c’est elle que vise éventuellement une demande de suspension devant le juge administratif des référés34. Cependant, au fond, c’est l’ARCEP, dans le cas cité, qui est bien l’auteur de la mesure dont l’annulation est demandée35. Quoi qu’il en soit l’homologation n’est possible que lorsqu’elle est expressément requise par la loi, elle ne peut donc pas être un instrument général de contrôle supérieur du ministre sur les actes faits par une autorité administrative indépendante. Il est plus rare de rencontrer l’homologation à propos de normes que des organismes privés sont habilités par la loi à adopter. C’est par exemple le cas en matière d’organisation de producteurs agricoles. Ainsi, les accords nationaux ou régionaux conclus dans le cadre de l’organisation interprofessionnelle constituée entre les producteurs de lait, les groupements coopératifs agricoles laitiers et les industries de transformation du lait par les organisations les plus représentatives de ces professions peuvent être homologués par arrêtés ministériels. Si l’homologation est prononcée, les mesures ainsi arrêtées par l’organisation interprofessionnelle sont obligatoires pour tous les producteurs et transformateurs de la zone concernée, notamment les contrats de fourniture de lait entre producteurs et transformateurs (art. L. 632-12 C. rur.). Mais il faut admettre que la terminologie utilisée n’est pas toujours rigoureuse. On peut ainsi rapprocher de l’homologation telle qu’on l’a décrite la « reconnaissance » par l’autorité administrative des groupements de producteurs agricoles lorsqu’ils édictent des règles dont l’objet est défini par la loi (adapter la production à la demande en respectant des cahiers des charges, instaurer la transparence des transactions, promouvoir des méthodes de production respectueuses de l’environnement...) ; cette reconnaissance leur confère une priorité pour l’attribution des aides de l’État 33 34 35 195430. CE Ord. réf. 20 oct. 2003, Soc. Louis Dreyfus Communications, n° 260477. CE Ord. réf. 19 janv. 2004, Soc. T-Online, n° 263012. CE Ass. 26 juin 1998, Soc. AXS Télécoms, n° 194151 194152 195427 195428 195429 G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 193 pour l’organisation des marchés (art. L. 551-1 et s. C. rur.). Les organismes de producteurs peuvent, pour un même secteur de produits et pour une région déterminée, se constituer en comités économiques agricoles, qui disposent de certaines prérogatives y compris l’exercice d’un pouvoir réglementaire spécial : ils édictent des règles communes à leurs membres, contribuent à la mise en œuvre des politiques nationales et communautaires, peuvent établir un fonds de mutualisation pour lutter contre les crises et en atténuer les effets sur le revenu des agriculteurs (art. L. 552-1 et 2). Ces règles peuvent être « étendues » par arrêté ministériel, à la demande des comités économiques agricoles, sous condition de représentativité, à l’ensemble des producteurs de leur circonscription, pour lesquels elles deviennent alors obligatoires (art. L. 554-1 et 2)36. Bien que le vocabulaire rappelle celui du Code du travail, les rapports juridiques en cause sont un peu différents. On est ici en présence d’une forme d’organisation corporative, réglementée par la loi, et qui tient de la loi le pouvoir de fixer certaines règles pour ses membres. Ces règles sont obligatoires pour les membres du comité économique agricole, sur une base contractuelle ; c’est l’arrêté d’extension qui les rend obligatoires indépendamment du contrat. Mais, à cette occasion, le ministre peut demander des modifications à ces règles, et il a le pouvoir de retirer son arrêté d’extension (art. D. 554-1 à 6). Il exerce donc un pouvoir plus directif qu’en matière de négociation collective. C. – Conditionner l’exercice du pouvoir réglementaire par l’intervention d’autres institutions Cette modalité de participation à l’exercice d’un pouvoir réglementaire est plus classique et nous retiendra moins. Elle se manifeste par le fait que l’autorité investie du pouvoir d’adopter un acte réglementaire ne peut le faire que sur la proposition, ou après consultation, ou avec l’accord d’un autre organisme. L’autorité n’est pas liée par la proposition ou l’avis, mais elle est liée par l’accord lorsqu’il est requis par la loi. Il existe ainsi dans l’administration française un grand nombre d’organismes consultatifs spécialisés, au sein desquels sont représentés les intérêts du secteur en cause, des experts indépendants et d’autres 36 Pour un exemple récent, v. CE 28 nov. 2011, SNC Doux Élevage, Société coopérative agricole UKL – Arrée, n° 334183 et 334215 : recours contre la décision implicite du ministre par laquelle a été réputée acceptée la demande d’extension d’un avenant à l’accord interprofessionnel de la dinde française établissant une cotisation interprofessionnelle ainsi rendue obligatoire ; question préjudicielle posée à la CJUE pour savoir si un tel arrêté d’extension peut être considéré comme une aide d’État. 194 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE administrations ou les collectivités territoriales, selon les cas. Les avis sont soutenus par une forte légitimité et l’administration les suit généralement. En ce sens, ces procédures assurent une participation des intérêts en cause au pouvoir réglementaire. Les organismes professionnels sont souvent impliqués dans de telles procédures : par exemple, la consultation des chambres d’agriculture, des chambres de commerce et d’industrie sur les projets de documents d’urbanisme ; les ordres professionnels (ordre des médecins, ordre des vétérinaires, ordre des géomètres-experts...) sont consultés sur les Codes de déontologie qui doivent encadrer les pratiques professionnelles et qui sont arrêtés par décret. Conformément aux recommandations du Conseil d’État, la loi n° 2011525 du 17 mai 2011 (art. 16) élargit considérablement le champ de la consultation. Quand la loi prévoit la consultation obligatoire d’une commission avant l’édiction d’un acte réglementaire, l’autorité administrative peut organiser une « consultation ouverte » permettant de recueillir sur un site internet les observations des personnes concernées. La commission consultative peut faire part de ses observations dans ce cadre. L’autorité administrative établit et rend publique la synthèse des observations recueillies. Cette nouvelle procédure concerne non seulement l’État, mais également les collectivités territoriales et les établissements publics. Elle n’est cependant pas obligatoire. Certaines consultations obligatoires ne sont pas soumises à ce texte (appl. : D. n° 2011-1832 du 8 décembre 2011). *** En conclusion, si le pouvoir réglementaire est bien une prérogative de puissance publique, la loi en a organisé empiriquement une certaine diffusion. D’une part, un grand nombre d’organismes publics exercent un pouvoir réglementaire spécial ; d’autre part, de nombreuses procédures ont été introduites pour permettre la participation des intéressés à l’établissement des règles auxquels ils devront être soumis. La loi fait largement usage du contrat, sous différentes formes, pour l’édiction de règles fondées sur l’accord plutôt qu’imposées par l’acte unilatéral, notamment dans le domaine social. Des normes privées peuvent aussi être reconnues et être revêtue de la force exécutoire propre à l’acte réglementaire. Cette évolution, nullement remise en cause, au contraire, par les politiques de privatisation, se traduit par une diffusion du droit public bien au-delà de sa sphère traditionnelle, au travers des actes par lesquels la puissance publique confère une portée réglementaire à ces diverses dispositions. C’est aussi une garantie pour les ayants-droits, dans la mesure G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 195 où la possibilité de contester un acte administratif est ouverte bien plus largement que celle de contester un contrat auquel on n’est pas partie. Mais cette diffusion ou ce partage, selon les cas, du pouvoir réglementaire ne saurait aller au-delà de ce que prescrit la loi ni empiéter sur les prérogatives du pouvoir réglementaire gouvernemental, car seuls le législateur et le gouvernement ont des comptes à rendre à l’ensemble de la société. LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS Paul CASSIA 1. La règle de la décision implicite – ou décision tacite – participe à l’établissement d’un État de droit. Elle a deux effets protecteurs vis-à-vis des administrés : elle leur donne le droit d’obtenir une décision administrative – particulière, car dépourvue d’existence matérielle –, en évitant que l’administration puisse indéfiniment garder le silence sur la demande dont ils l’ont saisie sans qu’aucun effet juridique ne s’attache à cette inertie ; elle permet l’exercice du droit à un recours juridictionnel, lequel ne peut être formé, devant le juge administratif saisi du principal, que contre une décision faisant grief1. 2. Pour limiter les hypothèses dans lesquelles le contentieux ne serait pas lié en raison d’un défaut de décision préalable, un décret du 2 novembre 1864 prévoyait que le silence d’un ministre gardé pendant quatre mois à la suite d’une demande d’un administré dirigée contre une décision de l’un de ses subordonnés valait décision de refus. Cette règle avait été confirmée par l’article 3 de la loi du 17 juillet 1900 ; elle avait été rendue applicable non seulement aux requêtes formées devant le Conseil d’État, mais également, par l’effet du décret du 30 septembre 1953 et de la loi n° 56-557 du 7 juin 1956 relative aux délais de recours contentieux en matière administrative, devant les juridictions subordonnées, puis étendue aux demandes formées devant toutes les autorités administratives (et plus seulement les ministres) par le décret n° 65-29 du 11 janvier 1965 relatif aux délais de recours contentieux en matière administrative2. 1 Art. R. 421-1 du CJA : « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision ». 2 Ce texte, toujours en vigueur, a été profondément remanié par le décret n° 2001-492 du 6 juin 2001 évoqué ci-après ; dans sa version initiale, l’article 1er de ce texte prévoyait que « le 198 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE 3. La valeur juridique de ce principe a posé difficulté. Le Conseil d’État a longtemps jugé que la règle selon laquelle le silence gardé par l’administration vaut décision de rejet n’est pas un principe général du droit3 ; par conséquent, le pouvoir réglementaire pouvait de lui-même, sans autorisation législative préalable, instituer un régime de décision implicite d’acceptation. Le Conseil constitutionnel a de son côté considéré que la règle selon laquelle le silence de l’administration pendant un délai déterminé vaut rejet de la demande est un « principe général », qui a valeur législative et non constitutionnelle, auquel seul le législateur peut déroger en inversant les conséquences du silence, qui pourrait valoir acceptation4. Le Conseil d’État a fini par se rallier à cette analyse, en reconnaissant à son tour un « principe général du droit selon lequel le silence gardé par l’administration vaut décision de rejet »5 ; le pouvoir réglementaire ne peut pas, sans habilitation législative préalable, instaurer un régime d’approbation implicite, par dérogation à la règle générale. 4. Désormais, le régime applicable aux décisions implicites est pour l’essentiel6 fixé par la loi n° 2000-31 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. L’objectif du législateur a été d’améliorer le traitement des demandes par les administrations entrant dans le champ d’application de la loi. Elle fixe une règle d’apparence simple : en l’absence de texte spécial, le silence de deux mois (et non plus de quatre mois) gardé par l’administration sur une demande vaut rejet. La loi ajoute qu’il est toujours possible au pouvoir réglementaire – plus précisément au gouvernement, par l’adoption de silence gardé pendant plus de quatre mois sur une réclamation par l’autorité compétente vaut décision de rejet ». 3 CE 25 mars 1966, Épx Richet, Lebon, p. 233, sol. impl. ; CE, Ass., 27 févr. 1970, Cne de Bozas, Lebon, p. 139 ; CE 23 avril 1975, Vilain, Lebon, p. 249. 4 Cons. const., décision n° 69-55 L du 26 juin 1969, Protection des sites : « Considérant que, d’après un principe général de notre droit, le silence gardé par l’administration vaut décision de rejet et, qu’en l’espèce, il ne peut y être dérogé que par une décision législative » ; Cons. const., décision no 94-352 DC du 18 janv. 1995, Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité sur la vidéosurveillance, Rec. Cons. const., p. 170. 5 CE 14 févr. 2001, Ministre de l’emploi et de la solidarité c/ Bouraïb, n° 202830, Lebon, p. 793. 6 Mais pas seulement, car la loi du 12 avril 2000 a un champ d’application limité : ainsi, aux termes de son article 18, elle ne s’applique pas aux relations entre l’administration et ses agents (sauf pour l’article 21 de la loi relatif au délai de survenance d’une décision implicite de rejet) ou aux relations entre une collectivité territoriale et une administration centrale ou déconcentrée. Les établissements publics à caractère industriel et commercial (SNCF, RATP…) n’entrent pas davantage dans le champ d’application de la loi du 12 avril 2000 : CE 7 mai 2008, Comité pour la réouverture de la ligne Oloron-Canfrac, n° 299013, à mentionner au Lebon. Par ailleurs, des dispositions législatives peuvent instaurer des procédures spécifiques conduisant à l’adoption d’une décision implicite : v. par ex. la manière dont le silence du ministre chargé de l’économie est, aux termes de l’article L. 430-7 du Code de commerce, réputé autoriser une opération de concentration qui a fait l’objet d’un examen approfondi par l’Autorité de la concurrence. P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS 199 décrets en Conseil d’État7 – de déroger à cette règle, soit pour modifier le délai de deux mois, soit même pour inverser le sens du silence et prévoir que celui-ci vaudra acceptation. 5. Le mécanisme de la décision implicite n’est pas sans faille. Il en existe au moins trois. D’abord, il ne joue que lorsque l’administration est saisie non d’une simple démarche mais d’une « demande », c’est-à-dire d’une réclamation provocant l’adoption d’un acte produisant des effets de droit pour l’administré – condition au demeurant interprétée libéralement comme le montre la rareté de contentieux sur le point de savoir si le fait générateur est une « demande » au sens de la loi du 12 avril 20008. L’administré doit, sans qu’il soit besoin à ce stade de recourir aux services d’un avocat, fournir par 7 De sorte qu’une autorité administrative telle qu’un maire ne peut décider de fixer un délai différent de celui posé par la loi ou des décrets en Conseil d’État : CAA Nantes 5 juin 2007, Sté TGB Aménagement, n° 05NT01414 : « Considérant que dans le cas où le demandeur ne peut bénéficier d’une autorisation de lotir tacite par application des dispositions précitées du code de l’urbanisme, le silence gardé par l’autorité administrative sur sa demande vaut décision de rejet de cette demande, non au terme du délai d’instruction qui lui est notifié, mais, à l’issue du délai de droit commun de deux mois prévu par les dispositions précitées de l’article 21 de la loi du 12 avril 2000 » ; CE 7 juill. 2008, M. Auquier, n° 310985, à mentionner au Lebon ; BJDU 2008, p. 262, concl. C. de SALINS : « il ressort des pièces du dossier que la demande de permis présentée par M. Auquier a été enregistrée le 23 janvier 2004 ; que, dès lors, le délai d’instruction de deux mois expirait le 23 mars 2004 à minuit ; que, par suite, la décision du maire de Vénasque en date du 22 mars 2004 refusant le permis demandé, présentée au domicile de l’intéressé le 23 mars, constituait un refus de permis de construire et non le retrait d’un permis tacite, alors même que la lettre notifiant à M. Auquier, en application des dispositions de l’article R. 421-12 du Code de l’urbanisme, le délai d’instruction de sa demande de permis indiquait par erreur qu’elle vaudrait autorisation si l’autorité compétente ne s’était pas prononcée avant le 23 mars 2004 ». Il en va de même pour un ministre, qui n’a pas compétence pour établir des règles différentes de celles posées par la loi pour la survenance d’une décision implicite de refus : CE 5 oct. 2005, Sté Endymis, n° 267949, AJDA 2006, p. 429, note D. COSTA. 8 V. pour de rares exemples : CE 31 oct. 1986, Fédération nationale des syndicats libres des PTT, n° 53872, Lebon, p. 249 ; Dr. soc. 1987, p. 390, concl. Ch. VIGOUROUX : le silence gardé à la suite du dépôt d’un préavis de grève n’a fait naître aucune décision implicite, l’administration n’ayant pas l’obligation de répondre à ce préavis mais pouvant se borner à en prendre acte ; CE 18 févr. 1987, Rocache, n° 29562, Lebon, p. 61 : le silence gardé par l’administration sur une demande d’autorisation ne vaut pas décision implicite dès lors que l’activité en cause n’était pas soumise à autorisation ; CE 10 mars 1989, Mlle Fournier, n° 53591, Lebon, p. 776 : le silence gardé par le préfet sur une demande auquel il ne pouvait donner aucune suite juridique, faute d’être compétent, n’a pas fait naître de décision faisant grief ; CE 29 avril 2009, Chambre syndicale des loueurs d’automobiles de place de Paris Ile-de-France, n° 305695 : « Considérant que si le préfet de police a présenté, le 20 novembre 2002, à la commission des taxis et des véhicules de petite remise, un projet de création de 1 500 nouvelles autorisations de stationnement de taxi parisien sur une période d’au moins cinq ans, ces indications n’ont pu avoir ni pour objet ni pour effet de limiter le pouvoir dont le préfet de police dispose pour réglementer le nombre de taxis dans sa zone de compétence ; qu’en l’absence de tout caractère décisoire de ces indications, le courrier adressé le 21 novembre 2002 par la chambre syndicale des loueurs d’automobiles de place de Paris-Ile-deFrance au ministre de l’intérieur ne saurait être regardé comme un recours hiérarchique à l’origine d’une décision implicite de rejet susceptible d’être déférée devant le juge de l’excès de pouvoir ; que, par suite, le silence gardé par le ministre à la suite de ce courrier n’a pu, lui-même, faire grief ». 200 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE écrit9 et en français10 tous les renseignements susceptibles de mettre l’administration à même de se prononcer en connaissance de cause : lorsque tel n’est pas le cas, le juge considère qu’aucune décision implicite ne peut intervenir11. On y reviendra, l’exécutif a limité les risques d’une invocation trop systématique du caractère incomplet de la demande, en obligeant l’administration à faire savoir à l’intéressé que des pièces supplémentaires sont nécessaires au traitement de son dossier12. Le juge pourrait être amené à contrôler le caractère abusif de la suspension de la procédure administrative, lorsque l’administration réclame des pièces complémentaires pour un motif en réalité dilatoire – afin de retarder la survenance de la décision13. Ensuite, il peut arriver dans des hypothèses exceptionnelles qu’une demande adressée à l’administration ne puisse donner lieu à la naissance d’une décision implicite, en dépit du silence indéfiniment conservé sur cette demande. Tel est le cas en premier lieu lorsque les textes prévoient qu’un organisme collégial14 ou qu’une autorité doit être consulté préalablement à la prise de décision, à moins que ces textes permettent de passer outre leur carence ; par exemple, l’article 50 du décret du 29 juillet 1927 relatif aux distributions d’énergie prévoit une procédure complexe d’approbation des travaux concernant les lignes électriques, qui peut ne pas connaître 9 La demande au sens de la loi du 12 avril 2000 ne peut pas être faite oralement, l’oralité ne s’accommodant pas de la formalité de l’accusé de réception imposée à l’administration. Avant 2000 toutefois, la demande de nature à faire naître une décision implicite pouvait être orale (CE 7 nov. 1956, Delzont, Lebon, p. 421). 10 V. par ex. : CE 10 juin 1991, Kerrain, n° 99608, Lebon, p. 1107 : « Considérant que les deux documents que M. Kerrain a adressés à l’administration n’étaient pas rédigés en langue française et que, par suite, leur objet ne pouvait être identifié ; que, dans ces conditions, ces documents n’étaient pas de nature à faire naître une décision implicite de rejet ». 11 V. anciennement : CE 27 juin 1962, Ministre des travaux publics c/ Chodas, Lebon, p. 1055, à propos d’une démarche tendant à ce que le ministre adresse « des instructions à ses subordonnés en ce qui concerne le droit de pêche » ; CE 4 juin 1982, Hensel, n° 37007, Lebon p. 213 ; Droit social 1982, p. 641, concl. B. STIRN ; D. 1983, p. 260, note F. MODERNE. 12 Art. 2 du décret n° 2001-492 du 6 juin 2001 relatif à l’accusé de réception des demandes présentées aux autorités administratives : « Lorsque la demande est incomplète, l’autorité administrative indique au demandeur les pièces manquantes dont la production est indispensable à l’instruction de la demande et celles des pièces rédigées dans une langue autre que le français dont la traduction et, le cas échéant, la légalisation sont requises. Elle fixe un délai pour la réception de ces pièces ». Auparavant, en application de la jurisprudence Hensel de 1982 préc., le Conseil d’État considérait que le caractère incomplet de la demande faisait obstacle à la survenance d’une décision implicite d’acceptation, sans que l’administration soit tenue de réagir en invitant l’administré à lui transmettre les pièces manquantes. 13 V. en ce sens : concl. P. FOMBEUR sur CE 13 janv. 2003, Camara, préc. : « Il faut considérer que la demande de pièces complémentaires ne peut suspendre le délai au terme duquel une décision implicite de rejet intervient que si cette demande est justifiée ». 14 V. par ex. : CE 26 mai 1986, Albin, n° 55822, Lebon, p. 150 : la décision définitive statuant sur le recours d’un candidat au titre d’agréé en architecture ne saurait résulter du silence conservé pendant par le ministre, dès lors que ce dernier ne peut se prononcer qu’après avis du conseil régional de l’ordre des architectes. P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS 201 d’aboutissement si le comité technique de l’électricité ne donne pas d’avis à l’autorité décisionnelle – l’ingénieur en chef « de la circonscription électrique » ou le préfet. Tel est le cas en deuxième lieu dans le domaine des installations classées (il s’agit d’une exploitation industrielle ou agricole susceptible de créer des risques de pollution ou de nuisance sur la sécurité ou la santé des riverains), le juge considérant que l’administration n’est pas dessaisie de la demande d’autorisation à l’expiration du terme – indicatif donc – fixé par les textes : aux termes de l’article 11 d’un décret du 21 septembre 1977, « le préfet statue [sur les demandes d’autorisation de construire et d’exploiter une installation classée] dans les trois mois du jour de la réception par la préfecture du dossier de l’enquête (…). En cas d’impossibilité de statuer dans ce délai, le préfet fixe, par arrêté motivé, un nouveau délai ». Le Conseil d’État a jugé qu’une décision implicite ne naît pas lorsque le préfet dépasse ce délai de trois mois sans prendre d’arrêté de prorogation15 ; bien que cette jurisprudence ne paraissait pas pouvoir être maintenue à la fois en raison de la logique même du décret de 1977 (quel intérêt y aurait-il à prévoir la possibilité de proroger le délai de trois mois par arrêté si celui-ci n’a pas de conséquence juridique ?) et de l’adoption de la loi du 12 avril 2000, laquelle a renforcé la portée du silence de l’administration, le Conseil d’État l’a récemment confirmée, au motif que le délai de trois mois imparti au préfet pour statuer n’a pas de caractère impératif, de sorte qu’il reste saisi de la demande en dépit du dépassement de ce délai16. Ces textes et jurisprudences paraissent dépassés au regard du droit des administrés à obtenir une réponse à leurs prétentions dans un délai raisonnable (v. infra § 24). Enfin, en troisième lieu, le silence ne fait naître aucune décision implicite lorsque la loi le prévoit : tel est le cas par exemple pour les décisions prises par l’office français de protection des réfugiés et 15 CE, Section, 6 juin 1995, Tchijakoff, n° 127163, Lebon, p. 233 ; confirmé à plusieurs reprises, par ex. : CE 12 mars 1999, Melle Carrière, n° 256378. 16 CE 2 mai 2007, Ministre de l’écologie et du développement durable, n° 295024, à mentionner au Lebon ; LPA, n° 207, 16 oct. 2007, p. 8, note M. STAUB : « si le second alinéa de l’article 11 du décret du 21 septembre 1977 fait obligation au préfet, sauf pour celui-ci à proroger la durée d’examen par arrêté motivé, de statuer dans un délai de trois mois sur les demandes d’autorisation d’ouverture d’installations classées, l’expiration de ce délai ne fait pas naître une décision implicite et ne dessaisit pas l’autorité administrative, qui reste tenue de statuer sur la demande qui lui a été présentée ». Cet arrêt confirme donc par ricochet un précédent intervenu relativement à l’autorisation d’exploitations de centrales hydro-électriques : CE 11 déc. 2000, Ministre de l’environnement, n° 169437, Lebon, p. 1005 : le décret n° 81-375 du 15 avril 1981, pris pour l’application de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie électrique qui prévoit notamment qu’est soumise à un régime d’autorisation préfectorale l’exploitation d’une centrale hydro-électrique d’une puissance inférieure à 4500 kW, dispose, dans le premier alinéa de son article 16, que « l’acte d’autorisation porte règlement d’eau de l’entreprise et fixe la durée pour laquelle l’autorisation est accordée » et, dans son second alinéa, qu’il « doit intervenir au plus tard dans les quatre mois qui suivent la clôture de l’enquête ... ». Cette disposition ne dessaisit pas l’administration à l’issue du délai qu’elle fixe. 202 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE apatrides, pour lequel le second alinéa de l’article L. 723-3-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que, pour les demandes d’asile dont il est saisi, « aucune décision ne peut naître du silence gardé par l’office » ; si l’article 21-25-1 du Code civil laisse 12 ou 18 mois à l’autorité publique pour répondre à une demande de naturalisation, le dépassement de ce délai ne provoque pas la survenance d’une décision implicite. Enfin, au-delà d’une apparente simplicité – le silence de l’administration fait en principe naître, dans le délai de deux mois, une décision implicite de refus ou d’acceptation – le régime mis en place par la loi du 12 avril 2000 est extrêmement complexe, car de nombreux décrets dérogent à ce délai de deux mois, soit en réaffirmant l’ancien délai de droit commun de quatre mois, soit en instaurant des délais particuliers. Il n’y a donc pas un, mais plusieurs délais applicables à la naissance d’une décision implicite. 6. Ce dernier inconvénient est en partie neutralisé par l’article 19 de la loi, qui oblige sauf exceptions17 l’administration à accuser réception des demandes – à défaut, le délai de recours contentieux contre la décision implicite de refus ne commencera pas à courir – et par son décret d’application18, lequel prévoit que l’accusé de réception doit indiquer la date à laquelle, à défaut d’une décision expresse, la demande sera réputée acceptée ou rejetée19. 7. Complexe donc, le droit applicable aux décisions implicites est désormais scrupuleusement encadré par la loi pour ce qui concerne aussi bien leur survenance (I) que leur régime (II). I. LA NAISSANCE DES DÉCISIONS IMPLICITES 8. Transposant les jurisprudences administrative et constitutionnelle convergentes, la loi du 12 avril 2000 rappelle que la règle est que le silence 17 Ces exceptions, énumérées en particulier à la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 19 de la loi (un décret en Conseil d’État « détermine les cas dans lesquels il n’est pas accusé réception des demandes en raison de la brièveté du délai imparti à l’autorité pour répondre, ou lorsque la demande n’appelle pas d’autre réponse que le service d’une prestation ou la délivrance d’un document prévus par les lois et les règlements »), ont été précisées par l’article 3 du décret n° 2001-492 du 6 juin 2001 relatif à l’accusé de réception des demandes présentées aux autorités administratives, préc. D’autres exceptions tenant à un souci de bonne administration sont posées par le 2e alinéa de l’article 19 : « l’autorité administrative n’est pas tenue d’accuser réception des demandes abusives, notamment par leur nombre, leur caractère répétitif ou systématique ». 18 Décret n° 2001-492 du 6 juin 2001 relatif à l’accusé de réception des demandes présentées aux autorités administratives, préc. 19 À défaut d’une telle mention, les délais de recours contentieux ne sont pas opposables à l’administré : CE 13 janv. 2003, Camara, préc. P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS 203 vaut rejet (A) ; par exception, le législateur a autorisé l’administration instituer un régime de décision implicite d’acceptation (B). A. – Le principe : le silence de l’administration fait naître une décision implicite de refus 1. La règle du délai de deux mois 9. Elle est posée par le premier alinéa de l’article 21 de la loi : « le silence gardé pendant plus de deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet ». Avant l’expiration de ce délai, en l’absence de réponse expresse de l’administration, il n’existe pas de décision administrative20. Contrairement à la règle pour le délai de recours contentieux qui est franc (c’est-à-dire que ne sont pris en compte ni le jour où il commence à courir, ni celui où il expire), et sauf si un décret en dispose autrement21, le délai de naissance de la décision implicite de rejet commence à courir le jour où la demande a été reçue par l’autorité administrative ; il expire à l’issue du délai fixé par les textes (compté en général de mois en mois), sans que ce délai puisse être prolongé par la circonstance que le dies a quem est un dimanche ou un jour férié. Par exemple, si le délai est de deux mois, une demande parvenue à l’administration un 31 mars fait courir le délai le jour même ; il expire le 31 mai à 24 heures, moment où naît la décision implicite de refus22. 20 CE, réf., 20 déc. 2005, Meyet, n° 288253, Lebon, p. 586 : par une lettre en date du 25 nov. 2005, dont il a été accusé réception le 28 novembre, le requérant a demandé au Président de la République de « bien vouloir faire adopter et signer le décret en Conseil des ministres qui mettra un terme à l’institution de l’état d’urgence en métropole ». En l’absence de décision expresse et faute que soit écoulé le délai de deux mois nécessaire à la naissance d’une décision implicite de rejet, il n’a été justifié, ni à la date de l’introduction de la requête aux fins de suspension ni à la date à laquelle le juge des référés a statué, d’aucune décision administrative dont la suspension serait susceptible d’être ordonnée par le juge des référés du Conseil d’État sur le fondement de l’article L. 521-1 CJA. 21 V. par ex. l’article 5 du décret n° 2005-795 du 15 juill. 2005 relatif à l’exercice du droit de recours à l’encontre des sanctions disciplinaires et professionnelles : « Le ministre de la défense fait instruire le dossier par un inspecteur général des armées, décide de la suite à lui donner et répond à l’intéressé dans un délai de soixante jours francs à compter de la réception du recours par le ministre. L’absence de réponse à l’expiration de ce délai vaut décision implicite de rejet ». 22 Pour une illustration contentieuse, s’agissant d’une décision implicite d’acceptation acquise dans le délai de deux mois, v. CE 7 juill. 2008, M. Auquier, préc. Il peut y avoir des cas plus complexes, par exemple lorsque l’année est bissextile : une demande adressée le 30 ou 31 décembre (ce qui est rare) conduira à la survenance d’une décision de refus le 28 ou le 29 février à 24 heures, selon les années. Certains textes, comme le décret précité du 15 juillet 2005, prévoient que le délai de naissance de la décision implicite de refus se compte de jour en jour, ce qui, pour une demande 204 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Pour la décision de rejet, cette règle joue alors même que l’administré n’a pas saisi l’autorité administrative compétente pour statuer sur sa demande, comme le prévoit le deuxième alinéa de l’article 20 de la loi, aux termes duquel : « Le délai au terme duquel est susceptible d’intervenir une décision implicite de rejet court à compter de la date de réception de la demande par l’autorité initialement saisie ». Dans ce cas, l’autorité administrative incompétente est réputée avoir transmis la demande à celle qui est compétente23 ; cette dernière doit être considérée comme l’auteur de la décision de refus24. Des dispositions réglementaires rappellent ce délai de deux mois, de manière pédagogique mais superfétatoire puisqu’il s’applique de plein droit – sauf disposition législative ou décrétale contraire – dès lors que la demande est adressée à une « autorité administrative » au sens de la loi du 12 avril 2000 : ainsi, l’article 40 du décret n° 2006-504 du 3 mai 2006 relatif aux associations syndicales de propriétaires (il s’agit de la personne morale regroupant notamment les copropriétaires d’un immeuble) dispose que le silence, conservé pendant deux mois, du préfet auquel a été transmis un projet de modification des statuts d’une association syndicale libre ou de dissolution de celle-ci « vaut décision implicite de rejet ». En application de l’article 2 du décret précité du 6 juin 2001, le délai de naissance de la décision implicite de rejet peut être suspendu quand l’administration demande à l’administré (dans le délai de naissance de la décision implicite de rejet) de produire les pièces nécessaires au bon traitement d’un dossier incomplet ; la suspension prend fin au jour de la production de celles-ci25. adressée le 31 décembre, reporte aux tous premiers jours de mars la date de naissance de la décision implicite de refus. 23 CE 27 juill. 2005, Ghenim, n° 267084, Lebon, p. 803 ; AJDA 2005, p. 2355, obs. J.-P. THIELLAY : les autorités consulaires n’ont pas compétence pour délivrer un certificat de nationalité française, ni même pour instruire les demandes qui leur sont adressées en ce sens, qui sont réputées avoir été transmises, en vertu de l’article 20 de la loi du 12 avril 2000, à l’autorité administrative compétente, c’est-à-dire au greffier en chef du tribunal d’instance territorialement compétent ; à l’issue du délai de deux mois courant à compter de la date de sa réception par les autorités consulaires, ces demandes sont réputées avoir été implicitement rejetées par l’autorité administrative compétente, en vertu des mêmes dispositions ; CE 20 juill. 2007, Sté Immobart, n° 278611, à publier au Lebon ; AJDA 2007. 1943, concl. C. LANDAIS : lorsqu’il est saisi incompétemment d’une demande tendant à ce que soit indemnisé le préjudice subi du fait des décisions qu’il a prises en tant qu’agent de l’État, le maire est tenu de transmettre la demande à l’autorité compétente. 24 Si par extraordinaire l’autorité incompétemment saisie se prononçait au fond sur la demande, sa décision expresse serait immanquablement annulée : CE 8 déc. 1989, Ministre de l’agriculture c/ Joslet, n° 87434, Lebon, p. 841. 25 CE 13 janv. 2003, Camara, n° 237034, AJDA 2003, p. 327, concl. P. FOMBEUR : rejet du moyen selon lequel, « en permettant à l’administration de suspendre le délai au terme duquel, à défaut de décision expresse, une demande est réputée rejetée, l’article 2 du décret [du 6 juin 2001] aurait méconnu les dispositions de l’article 21 de la loi du 21 avril 2000 ». P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS 205 10. Lorsque le délai n’est pas précisé par les textes, la décision de rejet est réputée être intervenue dans un délai de deux mois26. Ainsi, alors que, comme on le verra, un décret du 3 mai 2002 donne à l’administration un délai de quatre mois pour répondre explicitement aux demandes de titre de séjour, à l’issue duquel intervient une décision implicite de rejet, l’étranger peut à nouveau saisir l’administration en formant un recours administratif contre cette décision de rejet de sa demande de titre de séjour ; dans ce cas, le délai de droit commun de deux mois posé par le premier alinéa de l’article 21 de la loi s’applique à la décision prise sur le recours administratif27. La question a été posée de savoir si le délai de droit commun est également opposable aux décisions prises sur un recours administratif lorsque la décision implicite de rejet est rendue dans un délai inférieur à celui de deux mois, pour tenir compte de l’urgence à ce que la situation de l’administré soit fixée. Le bon sens voudrait que l’urgence à ce que la décision initiale soit prise « déteigne » sur la décision consécutive à un recours administratif formé contre la première : par exemple, à un délai d’un mois fixé pour la naissance d’une décision implicite de rejet d’une demande initiale devrait correspondre ce même délai d’un mois lorsque l’administré demande à l’autorité administrative, avant le cas échéant de saisir le juge, de reconsidérer sa position. Comme cela a été relevé, « dans l’hypothèse d’un délai de recours plus bref que le délai de droit commun, l’urgence qui a pu justifier l’institution d’un tel délai serait logiquement mise à mal si un recours administratif ne devait être rejeté qu’au terme d’un délai de deux mois »28. Toutefois, la lettre de l’article 21 de la loi ne paraît pas autoriser une symétrie quant au délai de survenance d’une décision de rejet lorsqu’il est demandé à l’administration de revenir sur un rejet implicite ; la situation de l’administré est fixée dès la décision implicite de rejet ; si, plutôt que de se tourner directement vers le juge, il souhaite à nouveau saisir l’administration cette fois-ci d’un recours administratif et non d’une demande initiale, il devra, dans tous les cas, patienter deux mois avant d’être en possession d’un second refus implicite. D’ailleurs, l’article 18 de la loi prévoit clairement que « les recours gracieux ou hiérarchiques, adressées aux autorités administratives » sont assujettis au régime de droit commun de la décision implicite : il n’appartient qu’au pouvoir réglementaire, par décret 26 CE 7 févr. 2003, Fondation Lenval, n° 231871, Lebon, p. 899 : en l’absence de dispositions particulières, prises par décret en Conseil d’État et dérogeant à celles de l’article 21 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, le silence gardé pendant deux mois par l’autorité ministérielle sur un recours hiérarchique formé sur le fondement des dispositions des articles L. 6121-4 et L. 6121-8 du CSP vaut décision de rejet de ce recours. 27 CE 27 mars 2006, Kaci, n° 283409, Lebon, p. 899 ; AJDA 2006, p. 1212, concl. I. de SILVA ; JCP Adm. 2006, 1275, note P.-O. CAILLE. 28 P.-O. CAILLE, note préc. 206 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE en Conseil d’État, de « dupliquer », dans les situations d’urgence, le délai de naissance d’une décision implicite pris sur le recours administratif avec celui dans lequel est née la décision initiale. 2. Les exceptions à la règle dans les procédures complexes ou en cas d’urgence 11. L’exécutif ne dispose pas d’une liberté de choix dans l’établissement d’un délai dérogatoire à celui de deux mois : il ne peut le faire que si la procédure d’examen de la demande est complexe ou en cas d’urgence. Le juge exerce un contrôle normal sur le caractère complexe de la procédure ou l’existence d’une urgence29. Le délai est parfois plus long, lorsque la procédure d’examen de la demande est « complexe ». Le Conseil d’État a considéré que la « complexité » pouvait notamment résulter de la nature collégiale de l’organisme qui doit se prononcer, des conditions de l’instruction de demandes administratives, notamment l’exigence d’une procédure contradictoire devant un organisme collégial, ainsi que de la diversité des personnels concernés et des situations sur lesquelles pourront porter les recours administratifs30. Ainsi, selon l’article R. 311-12 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, « le silence gardé [par le préfet] pendant plus de quatre mois sur les demandes de titres de séjour vaut décision implicite de rejet ». Le Conseil d’État a jugé que ce délai supérieur à celui de droit commun avait légalement pu être fixé par le pouvoir réglementaire, dans la mesure où la procédure d’instruction des titres de séjour « exige notamment que l’administration vérifie les indications et les pièces justificatives présentées par l’étranger », de sorte que, « eu égard aux obligations et formalités qui incombent à l’administration, elle est ainsi au nombre des procédures dont la complexité justifie qu’il soit dérogé au délai de deux mois fixé par l’article 21 [de la loi] »31. Selon l’article R. 712-44 du Code de la santé publique : « le recours hiérarchique prévu au premier alinéa de l’article L. 712-16 contre les décisions de la commission exécutive de l’agence régionale de l’hospitalisation doit être formée dans un délai de deux mois à partir de la notification de la décision au demandeur. (…) Lorsqu’un recours hiérarchique a été formé contre une décision de la commission exécutive de l’agence régionale de l’hospitalisation accordant 29 CE 27 juill. 2005, Sté Arbed, n° 264913, Lebon, p. 341 : le juge de l’excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur le caractère urgent ou complexe de la procédure justifiant que le délai à l’expiration duquel le silence de l’administration vaut décision de rejet soit fixé à une durée différente de celle de deux mois. 30 CE 27 nov. 2002, Bourrel, n° 234748, Lebon, p. 412. 31 CE 30 déc. 2003, Groupe d’information et de soutien des immigrés, n° 248288, Lebon, p. 619. P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS 207 ou refusant la délivrance ou le renouvellement d’une autorisation, le recours est réputé rejeté à l’expiration d’un délai de six mois à partir de sa réception par le ministre chargé de la santé si aucune décision de sens contraire n’est intervenue dans ce délai ». Le législateur a décidé de fixer à huit mois le délai de survenance d’une décision de rejet pour l’établissement ou la délivrance d’un acte lorsque l’administration dispose d’un doute sur la validité d’un acte de l’état civil étranger, de manière à laisser à l’administration le temps de procéder « aux vérifications utiles auprès de l’autorité étrangère compétente »32. Le Conseil d’État a jugé que le pouvoir réglementaire avait légalement pu, par le décret n° 2003-1264 du 23 décembre 2003, porter à dix-huit mois le délai à l’issue duquel naît une décision implicite de rejet, dans le domaine de la renonciation au droit d’exploiter un titre minier, eu égard à sa complexité33. Le délai est parfois plus court que celui de droit commun, en cas « d’urgence ». Ainsi, l’article R. 1441-50 du Code du travail laisse au maire un délai de dix jours pour rendre une décision explicite lorsqu’il est saisi d’une contestation mettant en cause la régularité de la liste électorale prud’homale34 ; à défaut de réponse explicite, le silence du maire vaut rejet de la contestation, cette décision pouvant elle-même être contestée devant le juge judiciaire (tribunal d’instance) ; l’article R. 423-9 du Code de l’environnement dispose que le silence du préfet pendant plus d’un mois sur une demande de permis de chasser vaut rejet de celle-ci ; l’article 17 du décret n° 2005-1755 du 30 décembre 2005 relatif à la liberté d’accès aux documents administratifs prévoit que « le silence gardé pendant plus d’un mois par l’autorité compétente, saisie d’une demande de communication de [certains] documents (…), vaut décision de refus ». 32 Art. 22-1 de la loi du 12 avril 2000, inséré par la loi n° 2006-1376 du 14 nov. 2006 : « par dérogation aux articles 21 et 22 et sous réserve d’exceptions prévues par décret en Conseil d’État, lorsque, en cas de doute sur l’authenticité ou l’exactitude d’un acte de l’état civil étranger, l’autorité administrative saisie d’une demande d’établissement ou de délivrance d’un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l’article 47 du Code civil, aux vérifications utiles auprès de l’autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet ». 33 CE 27 juill. 2005, Sté Arbed, préc. : c’est à bon droit que le pouvoir réglementaire a estimé que la complexité de la procédure de renonciation à un titre minier justifiait que soit fixé à dix-huit mois le délai d’intervention d’une décision implicite de rejet. 34 Art. R. 1441-50 du Code du travail : « Le maire se prononce sur la contestation et notifie sa décision à son auteur dans le délai de dix jours à compter de sa date de réception. La décision de refus est motivée. Lorsque la décision du maire a des conséquences sur la liste électorale d’une autre commune, il en informe le maire intéressé. Le silence gardé par le maire à l’expiration de ce délai vaut décision de rejet ». 208 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE B. – L’exception : le silence de l’administration fait naître une décision implicite d’acceptation 12. L’administration doit faire un choix préalable, consistant à décider si la procédure d’autorisation implicite relève d’un régime d’acceptation ou de rejet. Contrairement à celui relatif à la durée du délai, le choix du régime est discrétionnaire, laissé à la libre opportunité de l’administration sous réserve d’une erreur grossière : le juge n’exerce qu’un contrôle restreint – et non un contrôle normal – sur ce choix35. Le mécanisme de la décision implicite d’acceptation n’est pas toujours possible. Le second alinéa de l’article 22 de la loi l’exclut en plusieurs matières : des décrets « ne peuvent instituer un régime de décision implicite d’acceptation lorsque les engagements internationaux de la France, l’ordre public, la protection des libertés ou la sauvegarde des autres principes de valeur constitutionnelle s’y opposent. De même, sauf dans le domaine de la sécurité sociale, ils ne peuvent instituer aucun régime d’acceptation implicite d’une demande présentant un caractère financier ». Le législateur a tiré sur ce point les conséquences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Saisi en 1995 d’une loi relative à l’installation de systèmes de vidéosurveillance qui prévoyait que « l’autorisation sollicitée est réputée acquise à défaut de réponse dans un délai de quatre mois », le Conseil constitutionnel a censuré ce régime de décision implicite d’acceptation en considérant qu’il était inconstitutionnel « compte tenu des risques que peut comporter pour la liberté individuelle l’installation de systèmes de vidéosurveillance »36. Appliquant cette jurisprudence, le Conseil d’État a jugé que, dans la mesure où la protection du domaine public est un impératif d’ordre constitutionnel en vertu de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « le pouvoir réglementaire ne peut donc légalement instaurer un régime d’autorisation tacite d’occupation du domaine public, qui fait notamment obstacle à ce que soient, le cas échéant, précisées les prescriptions d’implantation et d’exploitation nécessaires à la circulation publique et à la conservation de la voirie »37. 35 CE 27 juill. 2005, Sté Arbed, n° 264913, préc. : le juge de l’excès de pouvoir exerce un contrôle restreint sur le choix opéré, au regard des intérêts publics et privés en présence, par les auteurs d’un décret de retenir un régime de décision implicite de rejet plutôt qu’un régime d’acceptation implicite. 36 Cons. const., décision n° 94-352 DC du 18 janv. 1995, préc. 37 CE 21 mars 2003, Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l’électricité et les réseaux, n° 189191, Lebon, p. 144 ; RJEP 2003, p. 351, concl. S. AUSTRY ; AJDA 2003, p. 1935, obs. P. SUBRA de BIEUSSES ; RFDA 2003, p. 903, note J. SOULIÉ. P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS 209 Dans les travaux préparatoires à la loi du 12 avril 2000, le Sénat a relevé qu’il existait alors « plus de quatre cents régimes d’autorisation relevant de l’accord tacite dans des domaines très divers »38. 1. Le point de départ du délai de naissance de la décision implicite d’acceptation 13. Il diffère sur trois éléments de celui de la décision implicite de rejet. Ces différences reposent sur les conséquences de la décision implicite d’acceptation, qui n’a pas seulement pour effet de lier le contentieux : contrairement à la décision de rejet, elle créé des droits au profit de son bénéficiaire. Dès lors, comme l’a relevé René Chapus, « il importe que soient, autant que possible, réunies les chances que cette décision soit justifiée et, en même temps, de faire en sorte que l’administration soit en mesure de tenir en échec la formation des décisions implicites injustifiées. De là un régime plus exigeant que celui qui, très libéralement, gouverne la formation des décisions implicites de rejet »39. En conséquence, le point de départ du délai de naissance de la décision implicite de rejet n’est pas celui de la transmission de la demande à l’autorité administrative, dans trois hypothèses. La première est constituée lorsque la demande a été transmise à une autorité incompétente. Pour la décision implicite de rejet, on l’a vu, celui-ci court à compter de la date à laquelle l’administration a été saisie, peu importe sa compétence pour se prononcer sur la demande. Rien de tel pour la décision implicite d’acceptation : selon le troisième alinéa de l’article 20 de la loi en effet, « le délai au terme duquel est susceptible d’intervenir une décision implicite d’acceptation ne court qu’à compter de la date de réception de la demande par l’autorité compétente ». Le législateur a repris sur ce point une règle posée par la jurisprudence40, tout en cherchant à neutraliser les effets négatifs de cette jurisprudence41 : alors qu’auparavant le délai de naissance d’une décision implicite d’acceptation ne courrait jamais faute pour l’administration incompétente d’être tenue de transmette 38 Sénat, rapport n° 248, 3 mars 1999. R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, 13e éd., 2008, p. 583, § 666. 40 CE, Section, 18 déc. 1981, Vernet-Lozet, n° 23979, Lebon, p. 483 : une autorisation tacite de licenciement pour motif économique ne peut naître que dans le cas où l’employeur a adressé sa demande à une autorité compétente pour y statuer. Par suite, la demande adressée par un employeur à un inspecteur du travail qui n’a reçu aucune délégation régulière aux fins de signer de telles autorisations ne peut faire naître, en l’absence d’une obligation de transmettre incombant à l’inspecteur du travail en matière d’autorisation de licenciement (sol. impl.), une autorisation tacite à l’expiration du délai prévu à l’article R. 321-8 du Code du travail. 41 L’article 7 du décret du 28 novembre 1983 avait déjà partiellement procédé à cette neutralisation en obligeant les autorités de l’État (mais non les autres autorités administratives) à transmettre la demande à l’autorité compétente. 39 210 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE la demande à celle seule habilitée à la traiter, désormais, ce délai court lorsque l’administration incompétente a satisfait à son obligation de transmission à l’autorité compétente posée par le premier aliéna de l’article 20. Cependant, il peut arriver que l’administration incompétente, en méconnaissance du premier alinéa de l’article 20, n’exécute pas cette obligation de transmission : dans ce cas, en pratique, le délai de naissance de la décision implicite d’acceptation ne court pas42 ! La seconde différence survient lorsque la demande de l’administré est incomplète. À la différence de la décision implicite de rejet, où seule une suspension du délai de sa formation est prévue, l’article 2 du décret précité du 6 juin 2001 dispose que lorsque la demande est considérée comme incomplète par l’administration, le délai d’acquisition de la décision implicite d’acceptation ne court qu’à partir de la réception des pièces demandées : la transmission de ces informations enclenche le délai de deux mois, qui n’a donc pas été seulement suspendu par l’incomplétude du dossier. Enfin, en dernier lieu, la jurisprudence a aménagé un régime particulier applicable en cas d’annulation ou de retrait d’une décision expresse prise avant que le délai de survenance d’une décision implicite d’acceptation n’arrive à son terme : l’administration se trouve certes à nouveau saisie de la demande initiale, en conséquence de l’effet rétroactif de l’annulation ou du retrait43 ; mais le délai de naissance de la décision implicite d’acceptation n’est déclenché qu’à condition que l’administré ait confirmé sa demande postérieurement au retrait ou à l’annulation44 – sans alors qu’il ait à « reprendre toutes les formalités exigées lors de l’instruction de la demande initiale »45, le renouvellement de la demande pouvant même être fait oralement46. 42 CE 31 mai 1989, SA Baltz-Sanirec, n° 71508, Lebon, p. 441 : la société anonyme BaltzSanirec a demandé le 10 août 1984 à l’inspecteur du travail de Béziers l’autorisation de licencier MM. G., R. et Mlle E. L’inspecteur du travail de Béziers, qui n’était pas compétent, n’a pas transmis la demande au directeur départemental du travail et de la main d’œuvre dans le ressort duquel est situé le siège de la société anonyme Baltz-Sanirec. Ainsi le délai au terme duquel l’autorisation tacite de licenciement est acquise n’a pas commencé à courir. Par suite, la société anonyme BaltzSanirec n’a pas acquis l’autorisation de licencier MM. G., R. et Mlle E. 43 V. par ex. : CE 27 juin 2005, SARL Lien social, n° 272678, Lebon, p. 1005 : l’annulation d’un refus implique un nouvel examen de la demande. 44 Sur l’absence d’effet d’une confirmation prématurée, faite avant le retrait ou l’annulation : CE 2 mars 1983, Ministre de l’agriculture c/ M. Paillet-Ribeaudeau, n° 37788. 45 CE Sect. 7 déc. 1973, Ministre de l’éagriculture c/ Sté civile agricole des Nigritelles et Entreprise J. Fayolle, Lebon, p. 699 et 703 ; AJDA 1974, p. 81, chr. M. FRANC et M. BOYON et p. 85, note B. G. : « dans l’hypothèse où une décision expresse, de refus ou d’acceptation, prise dans ce délai est légalement rapportée ou annulée par le juge de l’excès de pouvoir, sa disparition rétroactive ne rend pas le demandeur titulaire d’une autorisation tacite ; l’autorité administrative doit, en principe, procéder à une nouvelle instruction de la demande, et le délai de nature à faire naitre une décision implicite ne commence à courir qu’à dater de la confirmation de la demande » ; P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS 211 2. La durée du délai de naissance d’une décision implicite d’acceptation 14. Elle est normalement de deux mois, aux termes de la première phrase de l’article 22 de la loi : « le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision d’acceptation dans les cas prévus par décrets en Conseil d’État ». Plusieurs décrets en Conseil d’État sont venus mettre cette disposition en œuvre : aux termes de l’article R. 424-1 du Code de l’urbanisme dans sa version issue du décret n° 2007-18 du 5 janvier 2007, le défaut de notification d’une décision expresse dans le délai de deux mois vaut décision implicite d’acceptation de la demande de permis de construire d’une maison individuelle47 ; selon l’article R. 4321-129 du Code de la santé publique dans sa version issue du décret n° 2008-1135 du 3 novembre 2008 portant Code de déontologie des masseurs-kinésithérapeutes, le silence gardé pendant deux mois par le conseil départemental de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes à compter de la date de réception de la demande CE 19 juin 1981, Fraval de Coatparquet, Lebon, p. 283 ; R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, préc., p. 585, § 667 et p. 1120, § 1237 ; CAA Douai 27 déc. 2004, M. Olivier, n° 01DA00033 : « l’annulation pour incompétence par le Tribunal administratif de Lille, par jugement du 27 avril 2000, confirmé en appel le 23 octobre 2003, de la décision expresse, en date du 2 mai 1997, rejetant entièrement la demande d’agrément en qualité d’assistant maternel à titre non permanent présentée par M. en février 1997, n’a pas eu pour effet de rendre ce dernier titulaire, antérieurement au 16 octobre 1997, date de la décision en litige, d’un agrément tacite pour l’accueil de plusieurs enfants ». 46 CAA Marseille 7 nov. 2005, M. Dalquié, n° 02MA00884 : « Considérant (…) que M. Montes a demandé à l’administration, le 11 mars 1997, l’autorisation d’exploiter le domaine de Saint Luc après avoir préalablement informé de cette démarche la propriétaire du domaine, le 5 mars 1997 ; qu’il doit être réputé avoir obtenu cette autorisation tacitement à l’expiration du délai prévu par l’article L. 331-8 du Code rural alors applicable ; que, toutefois, le préfet des Pyrénées Orientales l’ayant informé, le 30 décembre 1997, de la reprise de la procédure, cette autorité doit être regardée comme ayant procédé au retrait de l’autorisation accordée ; que l’administration restant saisie, contrairement à ce que soutient M. Dalquié, de la demande initiale de M. Montes, cette circonstance l’obligeait à procéder à une nouvelle instruction de la demande, un nouveau délai de nature à faire naître une décision implicite d’acceptation ne pouvant toutefois commencer à courir qu’à dater du jour de la confirmation de sa demande par l’intéressé ; Considérant à cet égard, et contrairement à ce que soutient encore M. Dalquié, que M. Montes doit être regardé comme ayant renouvelé oralement sa demande lors de sa comparution devant la commission départementale des structures agricoles le 4 février 1998 ; qu’aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe général de droit n’imposant un formalisme particulier pour cette demande, M. Dalquié n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que le préfet a statué sur la demande présentée le 11 mars 1997 ». 47 À propos de cette disposition, le Conseil d’État a précisé que : « le demandeur d’un permis de construire n’est réputé être titulaire d’un permis tacite que lorsqu’aucune décision ne lui a été notifiée avant l’expiration du délai réglementaire d’instruction de son dossier ; que cette notification doit être regardée comme étant intervenue à la date à laquelle le pli a été présenté pour la première fois à son adresse » : CE 7 juill. 2008, M. Auquier, préc. 212 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE d’ouverture d’un ou plusieurs lieux supplémentaires d’exercice de cette profession « vaut autorisation tacite ». 15. Elle peut être d’une durée différente « lorsque la complexité ou l’urgence de la procédure le justifie ». Le délai est parfois plus long, lorsque la procédure d’examen de la demande est « complexe ». Ainsi, l’article R. 1322-37 du Code de la santé publique, dans sa version issue du décret n° 2003-463 du 21 mai 2003, prévoit un délai de trois mois pour les demandes d’autorisation adressées au préfet par une entreprise qui souhaite procéder à l’embouteillage d’eau48 ; aux termes de l’article R. 331-6 du Code rural, applicable aux demandes d’autorisation d’exploitation de terres agricoles : « À défaut de notification d’une décision dans le délai de quatre mois à compter de la date d’enregistrement du dossier ou, en cas de prolongation de ce délai dans les conditions prévues à l’article R. 331-5, dans les six mois à compter de cette date, l’autorisation est réputée accordée » ; il a été prévu un délai de 6 mois pour la naissance d’une décision implicite d’acceptation par le préfet d’une libéralité faite aux associations, fondations et établissements du culte49. Le délai est parfois plus court, en cas « d’urgence ». Ainsi, l’article D. 1332-5 du Code de la santé publique fixe un délai d’un mois à l’issue duquel est accepté la demande faite au préfet tendant à ce qu’il autorise une dérogation aux normes fixées sur la qualité des eaux des « baignades aménagées » (c’est-à-dire en particulier des piscines). 16. Une particularité doit être notée en matière d’urbanisme : alors qu’en règle générale les actes des collectivités territoriales ne sont exécutoires qu’après leur transmission au représentant de l’État, et non au jour de leur adoption, tel n’est pas le cas pour les décisions tacites d’acceptation portant sur une demande de permis de construire. L’article L. 424-8 du Code de l’urbanisme dans sa version applicable depuis le 1er juillet 2007 dispose que le permis tacite (comme la décision de nonopposition à certains travaux) est exécutoire à compter de la date à laquelle il est acquis ; sa transmission au préfet n’est donc plus nécessaire pour qu’il soit exécutoire, ce qui constitue une amélioration de la situation des 48 « Toute entreprise qui veut procéder à l’embouteillage d’une eau minérale naturelle pour la livrer au public doit obtenir une autorisation d’embouteillage délivrée par le préfet du département. Le silence gardé pendant plus de trois mois sur la demande d’autorisation vaut décision implicite de rejet ». 49 Art. 5 du décret n° 2007-807 du 11 mai 2007 relatif aux associations, fondations, congrégations et établissements publics du culte et portant application de l’article 910 du Code civil (JORF 12 mai 2007, p. 8698) : « Le préfet accuse réception des demandes d’autorisation d’acceptation de libéralités faites par les personnes morales mentionnées à l’article 4, dans les conditions prévues par le décret du 6 juin 2001 susvisé. Sauf dans le cas de réclamations formulées par des héritiers, l’absence de décision expresse dans un délai de six mois à compter de la demande vaut autorisation d’acceptation ». P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS 213 administrés au prix d’une réduction du contrôle de légalité exercé par le préfet50. II. LE RÉGIME DES DÉCISIONS IMPLICITES 17. L’administration n’est pas dessaisie par la survenance d’une décision implicite : le cas échéant, elle devra expliquer a posteriori pourquoi elle a rejeté tacitement la demande (A) ; elle pourra aussi, à des conditions restrictives, revenir sur l’autorisation – voire le refus – implicitement donné (B). A. – La motivation des décisions implicites 1. L’exigence de motivation, absence d’obstacle à l’adoption d’une décision implicite 18. Jusqu’en 1979, la jurisprudence considérait qu’était irrégulière la décision implicite de refus intervenue dans une matière où les textes prévoient que l’autorité compétente statue par une décision motivée. Cette incompatibilité entre décision implicite de refus et motivation obligatoire a été abandonnée, en deux temps. Pour certaines décisions individuelles – celles défavorables qui portent sur une mesure de police, infligent une sanction, retirent ou abrogent une décision créatrice de droits… –, l’article 5 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs a prévu une dispense légale de motivation : « une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas assortie de cette motivation ». Pour les décisions individuelles dans lesquelles l’obligation de motiver est prévue par une disposition particulière (et non par la loi de 1979), la jurisprudence a un temps exclu le mécanisme de la décision implicite : faute d’être motivées, elles étaient illégales. Le Conseil d’État est revenu sur cette position en 2001, en considérant que la dispense de motivation s’applique à toute décision dont la motivation est requise par un texte ; en l’occurrence, bien que l’article 27 du Code civil exige que soit motivé le rejet d’une demande de réintégration dans la nationalité française, une décision 50 Avant 2007, en cas de permis tacite, le préfet devait recevoir sans délai le dossier et les pièces d’instruction de la demande de permis ; le défaut de transmission rendait le permis tacite inexécutoire. 214 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE implicite de rejet a pu être acquise en raison du silence gardé par l’administration sur cette demande51. 2. L’existence d’un « mécanisme correctif » pour les décisions implicites de rejet 19. La deuxième phrase de l’article 5 de la loi du 11 juillet 1979 prévoit, afin de compenser l’absence de motivation des décisions implicites de rejet, que « à la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande ». Si l’administration n’est pas saisie dans ce délai de recours contentieux, elle n’a pas à faire connaître les motifs de la décision implicite de rejet52. En revanche, lorsqu’elle est saisie dans le délai de recours contentieux, l’administration dispose d’un délai d’un mois pour faire connaître à l’intéressé les motifs de la décision de rejet. Si elle ne satisfait pas à cette obligation, le silence de l’administration ne fait pas naître une nouvelle décision de rejet pouvant faire l’objet d’un recours contentieux53 : la conséquence est bien plus radicale, puisque en l’absence de communication des motifs dans le délai d’un mois, la décision implicite est entachée d’illégalité54. Le juge porte alors une appréciation rétroactive sur la légalité d’un acte administratif, en prenant en compte un élément postérieur à son édiction – la non-communication des motifs dans le délai d’un mois – par 51 CE 14 déc. 2001, Ministre de l’emploi et de la solidarité c/ Bouraïb, préc. CE 6 déc. 2002, Lukundu, n° 200991, Lebon, p. 589. 53 CE 29 mars 1985, Testa, n° 45311, Lebon, p. 93 ; AJDA 1985, p. 285, note S. HUBAC et J.E. SCHOETTL ; Revue administrative, 1985, p. 360, note B. PACTEAU : il résulte des dispositions de l’article 5 de la loi du 11 juillet 1979 que le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une demande de communication des motifs d’une décision implicite de rejet, intervenue dans un cas où une décision explicite aurait dû être motivée, n’a pas pour effet de faire naître une nouvelle décision, détachable de la première et pouvant faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, mais permet seulement à l’intéressé de se pourvoir sans condition de délai contre la décision implicite initiale qui, en l’absence de communication de ses motifs, se trouve entachée d’illégalité. 54 CE 5 févr. 1990, Sad, n° 87012, Lebon, p. 546 ; CE 22 oct. 2003, Sté Ethicon SAS, n° 247480, Lebon, p. 630 : les motifs du rejet implicite de la demande d’inscription sur la liste des produits et prestations remboursables mentionnée à l’article L. 165-1 du Code de la sécurité sociale n’ayant pas été communiqués à la requérante dans le délai d’un mois à compter de sa demande, celle-ci est fondée à soutenir que cette décision est illégale ; CAA Bordeaux 3 mars 2009, M. Habtoun, n° 08BX02204 : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. Habtoun a demandé au préfet de la Haute-Vienne dans le délai de recours contentieux, le 23 juillet 2007, les motifs de la décision implicite de rejet de sa demande, conformément aux dispositions de l’article 5 de la loi du 11 juillet 1979, relative à la motivation des actes administratifs ; qu’en l’absence de communication des motifs par le préfet de la Haute-Vienne dans le délai d’un mois la décision implicite contestée est illégale ; que, dès lors, M. Habtoun est fondé à en demander l’annulation ». 52 P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS 215 dérogation à la règle selon laquelle la légalité d’un acte s’apprécie au regard des circonstances de droit et de fait existant au moment de son édiction55. Dans le domaine de la santé publique, le législateur a fixé une règle selon laquelle l’absence de communication des motifs d’une décision implicite rejetant la demande de création de lits de médecine entraîne la naissance… d’une décision implicite d’acceptation56. B. – La disparition des décisions implicites illégales : le cas du retrait 20. Le retrait d’une décision implicite illégale peut intervenir de deux manières : soit explicitement, l’administration prenant une décision portant retrait de la décision implicite ; soit implicitement, lorsque une décision expresse de rejet est notifiée à l’intéressé en réponse à sa demande après l’expiration du délai d’acquisition de la décision implicite d’acceptation. Conformément aux dispositions de l’article 24 de la loi, il ne peut être procédé à ce retrait qu’après que « la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales » – sauf lorsque l’administration est saisie d’une demande de retrait, ce qui ne paraît pas admissible lorsque un tiers demande le retrait d’une décision implicite d’acceptation57. En conséquence, le Conseil d’État a jugé illégal le retrait d’une décision implicite de nonopposition à travaux intervenue alors que le bénéficiaire de cette décision 55 V. par ex. : CE, Ass., 20 déc. 1995, Collectif national Kiné-France, Lebon, p. 442, concl. Ch. MAUGÜÉ. 56 Art. L. 6122-10 du Code de la santé publique : « L’autorisation est donnée ou renouvelée par l’agence régionale de l’hospitalisation après avis du comité régional de l’organisation sanitaire et sociale. Un recours hiérarchique contre la décision peut être formé par tout intéressé devant le ministre chargé de la santé qui statue dans un délai maximum de six mois, sur avis du Comité national de l’organisation sanitaire et sociale. (…) Dans chaque cas, la décision du ministre ou de l’agence régionale de l’hospitalisation notifiée au demandeur dans un délai maximum de six mois suivant la date d’expiration de la période de réception. (…) Sauf dans le cas d’un renouvellement d’autorisation prévu par l’article L. 6122-8, l’absence de notification d’une réponse dans ce délai vaut rejet de la demande d’autorisation. Lorsque, dans un délai de deux mois, le demandeur le sollicite, les motifs justifiant le rejet lui sont notifiés dans le délai d’un mois. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre la décision de rejet est prorogé jusqu’à l’expiration du délai de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. À défaut de notification des motifs justifiant le rejet de la demande, l’autorisation est réputée acquise ». Pour une application, v. CAA Marseille 15 mai 2008, Ministre de la santé et des solidarités, n° 06MA01050. 57 S’il est évident, comme le relevait le Sénat dans son rapport du 3 mars 1999 préc., que « l’intéressé, en formulant sa requête, est à même de faire valoir ses observations », de sorte que le contradictoire ne s’impose pas, tel n’est évidemment pas le cas lorsqu’un tiers demande le retrait : le bénéficiaire de la décision implicite d’acceptation devrait alors pouvoir faire valoir son point de vue devant l’administration. 216 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE n’avait pas été invité à présenter d’observations préalablement à ce retrait58. Le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 24 de la loi par l’administration n’est pas d’ordre public : il n’appartient qu’au demandeur, et non au juge, de le soulever59. 1. Le retrait des décisions implicites d’acceptation illégales 21. Le retrait d’une décision implicite d’acceptation illégale est une faculté pour l’administration ; celle-ci n’est en situation de compétence liée pour procéder à ce retrait que si elle est saisie par un tiers d’une demande en ce sens60. Dans cette hypothèse, l’administration devra alors vérifier qu’il peut légalement être procédé au retrait de la décision implicite d’acceptation. 22. Les cas dans lesquels le retrait est possible sont normalement fixés par l’article 23 de la loi du 12 avril 200061 : « Une décision implicite d’acceptation peut être retirée, pour illégalité, par l’autorité administrative : 1° Pendant le délai de recours contentieux, lorsque des mesures d’information des tiers ont été mises en œuvre ; 2° Pendant le délai de deux mois à compter de la date à laquelle est intervenue la décision, lorsqu’aucune mesure d’information des tiers n’a été mise en œuvre62 ; 3° Pendant la durée de l’instance au cas où un recours contentieux a été formé ». Le Conseil d’État a précisé la manière dont le 2° et le 3° doivent s’articuler : dès lors qu’un recours contentieux a été formé, le retrait de la décision attaquée est possible pendant toute la durée de l’instance, soit après l’expiration du délai de deux mois mentionné au 2° de l’article 23, et ceci 58 CE 30 mai 2007, SCI Agyr, n° 288519, à mentionner au Lebon ; BJDU 2007, p. 288, concl. C. LANDAIS. 59 CAA Douai 4 juin 2008, Ville de Lille c/ Mme Mahon, n° 07DA00477. 60 CE 7 juill. 2008, M. Auquier, préc. : « il résulte des dispositions de la loi du 12 avril 2000 qu’à supposer qu’un permis tacite illégal ait été délivré à M. Auquier, le maire de Vénasque était fondé à le retirer dans les délais prévus par ces dispositions, ce retrait constituait une faculté et non une obligation dès lors que le maire n’était pas saisi d’une demande en ce sens ». 61 Auparavant, il résultait de la jurisprudence du Conseil d’État qu’il n’était pas possible de retirer une décision implicite d’acceptation (seule son abrogation, c’est-à-dire sa disparition pour l’avenir, était permise) : CE 14 nov. 1969, Eve. 62 Pour une application de cet alinéa, v. CE 29 nov. 2002, Commune de Lirac c/ SARL Chaux et Ciments, n° 244873, Lebon, p. 608 : sauf recours des tiers, le certificat d’achèvement des travaux d’un lotissement, lorsqu’il a été obtenu tacitement et n’a fait l’objet d’aucune mesure d’information des tiers, ne peut être retiré qu’à la double condition que ce retrait intervienne dans le délai de deux mois de l’obtention tacite du certificat et qu’il soit motivé par l’illégalité de ce dernier, tenant notamment à la non réalisation de tout ou partie des travaux prescrits par l’autorisation de lotissement. P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS 217 alors même qu’aucune mesure d’information des tiers n’aurait été mise en œuvre63. Il existe aussi des dispositions législatives particulières, qui dérogent à celles de l’article 23 de la loi du 12 avril 2000. Selon l’article L. 424-5 du Code de l’urbanisme, en vigueur depuis le 1er octobre 2007, le permis de construire tacite ne peut être retiré que s’il est illégal et dans les trois mois suivant la date à laquelle il est intervenu ; passé ce délai, le permis ne peut être retiré que sur demande explicite de son bénéficiaire 2. Le retrait des décisions implicites de rejet illégales 23. Pour les décisions implicites de rejet, qui ne sont normalement pas créatrices de droits, leur retrait est en revanche possible à tout moment64. En un sens, cette règle n’est pas favorable à l’administré : elle lui permet de faire échec au « mécanisme correcteur » de l’article 5 de la loi du 11 juillet 1979 en prenant une décision de retrait d’une décision de rejet illégale en raison de l’absence de communication des motifs dans le délai d’un mois65 ; mais en conséquence du retrait, l’administration se trouve ressaisie de la demande initiale : il est alors probable qu’elle y fasse droit par une décision expresse, tirant les conséquences de son retrait. Il arrive exceptionnellement qu’une décision implicite de rejet soit créatrice de droits ; l’administration peut alors la retirer, si elle est illégale, « dans le délai du recours contentieux »66, c’est-à-dire en pratique sans limite de temps dès lors que ces décisions ne font par définition pas l’objet de mesures de publicité de nature à faire courir ce délai. 63 CE, avis, 12 oct. 2006, Carvallo, n° 292263, Lebon, p. 1005 ; AJDA 2006, p. 2394, concl. Y. STRUILLOU. 64 CE 24 oct. 2003, Najjari, n° 242476, AJDA 2004, p. 978, note A. BAUX : « Considérant que la décision implicite du préfet de l’Hérault rejetant la demande de délivrance d’un titre de séjour présentée par M. Najjari n’a fait naître aucun droit au profit de celui-ci ; qu’ainsi, le préfet a pu légalement, par sa décision du 26 juillet 2001, rapporter cette décision implicite ». 65 Comme l’indique Mme Anne BAUX, « le juge administratif ouvre à l’administration une possibilité de retrait illimitée dans le temps. Si cela peut ne pas paraître choquant, dès lors que l’on estime, à juste titre, que toute décision illégale et non créatrice de droits doit pouvoir être retirée à tout moment, il convient de souligner qu’en initiant cette possibilité de retrait le juge accepte également d’enlever tout effet utile à l’article 5 de la loi du 11 juillet 1979 visant à rendre illégale une décision qui, devant être motivée, ne l’a pas été et ne l’est pas devenue ». 66 CE 26 janv. 2007, SAS Kaefer Wanner, n° 284605, Lebon, p. 24 ; AJDA 2007, p. 635, concl. Y. STRUILLOU ; Droit administratif, mars 2007, Focus R. NOGUELLOU et comm. n° 35 : « considérant qu’en jugeant que le ministre chargé du travail pouvait légalement, dans le délai de recours contentieux, rapporter sa décision implicite rejetant le recours hiérarchique formé contre la décision de l’inspecteur du travail autorisant le licenciement d’un salarié protégé qui était créatrice de droit au profit de l’employeur, dès lors que ces deux décisions étaient illégales, la cour administrative d’appel de Bordeaux n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit ». 218 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE 24. Le mécanisme de la décision implicite peut évidemment être modifié, voire bouleversé. On pourrait ainsi souhaiter que le législateur fixe la règle selon laquelle le silence vaut acceptation, sauf exceptions prévues par voie réglementaire ; mais alors, il faudrait sérieusement étoffer les services des différentes administrations afin que celles-ci soient en mesure d’étudier sérieusement les innombrables demandes dont elles sont quotidiennement saisies, et qu’elles peuvent se permettre aujourd’hui de traiter par prétérition. À l’inverse, il serait théoriquement possible de supprimer le système de la décision implicite, et d’introduire en substitution un recours en carence permettant au juge de sanctionner l’abstention illégale de l’administration, à l’instar de ce que prévoit l’article 232 CE ; mais alors la situation de l’administré serait bien moins confortable qu’elle ne l’est actuellement – sans compter l’encombrement du prétoire qu’une telle voie de recours engendrerait. Au total donc, le schéma issu de la loi du 12 avril 2000, quoique faussement simple, apparaît aujourd’hui encore comme le moins mauvais possible. Il devrait toutefois être amélioré, en particulier dans les « zones grises » où l’administration peut en réalité retarder indéfiniment la survenance d’une telle décision. Cette amélioration pourrait prendre deux formes. Celle d’une réforme au cas par cas. Ainsi, l’article R. 421-19 du Code de l’urbanisme dans sa version applicable jusqu’au 1er octobre 2007 prévoyait que le constructeur ne pouvait obtenir de permis de construire tacite dans une série de neuf cas, comme par exemple lorsque les travaux devaient faire l’objet d’une enquête publique : cette disposition permettait en pratique à l’administration de ne pas prendre de décision sur la demande de permis pendant plusieurs années ; désormais, l’article R. 424-2 du même Code prévoit que le défaut de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction de la demande (délai fixé par l’administration) vaut décision implicite de rejet, notamment lorsque le projet est soumis à enquête publique : au moins le demandeur est-il assuré d’être en possession d’une décision ! Au-delà, il serait temps de reconnaître un principe général du droit français à une bonne administration, selon lequel celle-ci est tenue de répondre aux sollicitations dans un délai raisonnable. Ce principe est consacré, pour les institutions de l’Union européenne, par l’article 41, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ; le Conseil d’État de Belgique reconnaît de longue date que l’administration doit agir dans un délai raisonnable67. Le Conseil d’État de France impose à 67 V. par ex. : CE belge, 6 févr. 1986, n° 26.155 ; CE belge 3 juill. 2002, Dewulf, n° 108.705 : « la notion de délai raisonnable est un principe général de droit administratif ». P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS 219 l’exécutif de prendre les mesures réglementaires d’application d’un décret, d’une ordonnance ou d’une loi dans un délai raisonnable68 ; il devrait en aller de même dans les rares hypothèses où l’administration est saisie d’une demande de prise de décision individuelle sans être tenue de répondre dans un délai légal. 68 V. par ex. : CE Ass. 27 nov. 1964, Dame Veuve Renard, Lebon, p. 590 ; CE 13 juill. 1962, Kevers-Pascalis, Lebon, p. 475 ; CE 28 juill. 2000, France nature environnement, Lebon, p. 322 ; CE 27 févr. 2005, Association Bretagne ateliers, n° 261694, Lebon, p. 350. III LES PRINCIPES DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE EN RUSSIE ET EN FRANCE LES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE EN FRANCE David CAPITANT La procédure administrative française non contentieuse s’est longtemps caractérisée par l’absence de texte écrit composé de manière systématique. Aussi est-ce au juge administratif qu’il est revenu d’en fixer les traits principaux qu’il a imposés à l’administration dans le cadre de son contrôle contentieux. Ce travail jurisprudentiel s’est fondé sur le recours à la notion de principes généraux du droit, de sorte qu’avec l’aide de la doctrine, une conception ordonnée de cette procédure a pu être développée. Aujourd’hui encore, si de nombreux textes sont intervenus progressivement dans cette matière pour préciser ou compléter les règles jurisprudentielles, il reste qu’aucune législation complète, aucun code de la procédure administrative non contentieuse n’existe en France, contrairement à la situation qui caractérise de nombreux États voisins. Parmi les textes présentant un certain caractère de généralité, on peut citer la loi 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public, qui fixe le régime de l’accès aux documents administratifs, la loi 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et la loi 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, qui confirme les solutions jurisprudentielles dans de nombreux domaines et marque ainsi les prémices d’une entreprise souhaitable de rédaction de la procédure administrative non contentieuse. Le rôle créateur de la jurisprudence dans ce domaine ne doit pas étonner, tant il est avéré que la procédure qui s’impose dans la prise d’une décision joue un rôle de premier plan dans la protection des droits matériels des administrés, en assurant de manière préventive la juste prise en compte de ceux-ci. Sur ce plan, le juge administratif français a réalisé une œuvre 224 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE très complète et lorsque l’on compare les règles de procédure suivies en France avec les divers éléments que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, adoptée en 2000, regroupe dans son article 41 sous le terme de « droit à une bonne administration », on constate que le droit français apporte à chacun d’eux une traduction satisfaisante. Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne Article 41 Droit à une bonne administration 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l’Union. 2. Ce droit comporte notamment : - le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; - le droit d’accès de toute personne au dossier qui la concerne, dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et des affaires ; - l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions. 3. Toute personne a droit à la réparation par la Communauté des dommages causés par les institutions, ou par leurs agents dans l’exercice de leurs fonctions, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres. 4. Toute personne peut s’adresser aux institutions de l’Union dans une des langues des traités et doit recevoir une réponse dans la même langue. La question du traitement impartial et équitable apparaît plus en France comme une question de fond que de procédure et se trouve envisagée davantage à partir des principes d’égalité et de neutralité lors de l’examen de la légalité de la décision, que sous l’angle de la procédure appliquée. D. CAPITANT : PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE 225 S’agissant du traitement des affaires par l’administration dans un délai raisonnable, il est assuré par le mécanisme des décisions implicites qui fait ici l’objet d’une communication particulière. La possibilité de poursuivre l’administration en responsabilité intervient également en aval des questions de procédure qui ont pour objet de prévenir l’adoption de décisions susceptibles de léser les intérêts des administrés. Enfin, la question des langues ne se pose guère en France puisque seul l’usage du français est en vigueur devant l’administration française depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539. C’est donc essentiellement autour des dispositions du second point de l’article 41 de la Charte que s’articulent les principaux éléments relevant de la procédure administrative non contentieuse. I. LE PRINCIPE DE CONTRADICTION Le principe de contradiction oblige l’administration à organiser l’expression de leur point de vue par les administrés avant d’adopter une décision susceptible de leur porter préjudice. Il rejoint ainsi du principe « audi alteram partem ». La mise en œuvre de ce principe permet ainsi de protéger de manière préventive les intérêts des administrés, tout en assurant l’information complète de l’administration sur le cadre et les conséquences de son intervention. Lorsque la décision en cause est une sanction, le principe de contradiction peut se confondre avec les droits de la défense. Sa garantie est alors considérée comme un principe général du droit (CE 26 oct. 1945, Aramu) et comme un principe de valeur constitutionnelle (CC 28 déc. 1990, Loi de finances pour 1990, p. 95). Dans les autres domaines où il trouve à s’appliquer, il peut être garanti par des textes particuliers (art. 65 de la loi du 22 avril 1905 qui a prévu la communication de leur dossier aux fonctionnaires après le scandale de l’« affaire des fiches » constituées pour défavoriser les militaires catholiques) ou plus généralement aujourd’hui par l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 qui reprend les solutions développées antérieurement par la jurisprudence. Aux termes de ce texte, ce sont les décisions individuelles défavorables dont la liste est fixée par la loi de 1979 sur la motivation (sanctions, mesures de police, mesures dérogatoires à une réglementation, etc. cf. infra), qui sont concernées. De telles décisions ne peuvent légalement intervenir qu’après que l’intéressé a été mis à même (1) de présenter des observations écrites, ce qui 226 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE implique que son dossier lui ait été communiqué avec un certain délai, (2) de présenter des observations orales, s’il en fait la demande, éventuellement avec l’assistance d’un conseil. Sont exceptées de cette obligation : (1) les cas dans lesquels il est statué sur demande de l’administré, puisqu’il a eu l’occasion de présenter son point de vue dans sa demande, (2) les cas d’urgence ou de situation exceptionnelle, (3) les décisions prises après une procédure particulière instituée par un autre texte, comme c’est le cas par exemple pour les mesures concernant les relations de l’administration avec ses agents, puisque s’applique alors le régime particulier de la loi de 1905 précitée, (4) les cas dans lesquels l’ordre public serait mis en cause par leur application. Dans ce dernier cas, la jurisprudence a bien précisé que cela n’entraînait pas l’exclusion de toutes les mesures de police du respect de la procédure contradictoire. Article 24 de la loi du 12 juin 2000 Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public n’interviennent qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. L’autorité administrative n’est pas tenue de satisfaire les demandes d’audition abusives, notamment par leur nombre, leur caractère répétitif ou systématique. Les dispositions de l’alinéa précédent ne sont pas applicables : 1° En cas d’urgence ou de circonstances exceptionnelles ; 2° Lorsque leur mise en œuvre serait de nature à compromettre l’ordre public ou la conduite des relations internationales ; 3° Aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière. Les modalités d’application du présent article sont fixées en tant que de besoin par décret en Conseil d’État. Toutes les mesures prises qu’elles soient de véritables sanctions ou simplement prises « en considération de la personne », alors même qu’elles échapperaient à l’application de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000, restent D. CAPITANT : PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE 227 soumises aux exigences jurisprudentielles qui imposent l’organisation d’une contradiction écrite. Cela implique que l’intéressé soit (1) avisé du projet de décision, (2) invité explicitement à présenter ses moyens de défense, (3) que lui soient communiqués les griefs existant contre lui, (4) que lui soit laissé un délai suffisant pour préparer sa défense, (5) qu’il soit informé de son droit à être assisté d’un conseil (cf. par ex. CE 5 juill. 2000, Mermet, n° 200622 et 203356). II. LE PRINCIPE DE TRANSPARENCE Destiné à assurer la complète information des administrés de sorte qu’ils puissent évaluer la légalité des décisions adoptées par l’administration et éventuellement décider de la contester, le principe de transparence, qui connaît des limites, s’exprime de multiples manières à des moments différents de l’action administrative. Il s’agit tout d’abord de l’obligation pour l’administration de publier ses décisions avant que celles-ci ne deviennent exécutoires (A). Plus précisément, les administrés doivent avoir accès aux documents administratifs de quelque sorte que ce soit, afin de pouvoir assurer le contrôle de l’action administrative dans toutes ces composantes (B). Enfin, l’administration doit indiquer dans certains cas les motifs de ses décisions individuelles afin là encore que le destinataire puisse s’assurer de la légalité de la décision qui lui est adressée et assurer la défense de ses intérêts (C). A. – La publicité des décisions administratives Une décision administrative ne peut trouver application que si elle a été préalablement portée à la connaissance des administrés. C’est là une des garanties les plus classiques contre l’arbitraire de l’administration. Cette obligation peut être rapprochée d’un principe récemment formulé par le Conseil constitutionnel et repris par le Conseil d’État : le principe constitutionnel de l’accessibilité et de l’intelligibilité du droit (CC n° 99-421 DC du 16 déc. ; CE Ass. 24 mars 2006, Société KPMG, n° 288460). Le respect de ce principe implique que les dispositions des textes mis en vigueur soient non seulement accessibles mais également intelligibles, ce qui relève de la poursuite d’un même objectif d’information des administrés. Sans revenir sur les détails du régime de la publicité des décisions administratives en France (voir notamment l’ordonnance n° 2004-164 du 20 février 2004 relative aux modalités et effets de la publication des lois et de certains actes administratifs), on peut indiquer qu’en règle générale, les 228 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE décisions réglementaires doivent être publiées, souvent désormais sous une forme informatique, tandis que les décisions individuelles font communément l’objet d’une notification aux personnes concernées. Le respect de ces formalités commande non seulement l’opposabilité de ces décisions, mais également l’ouverture du délai de recours contentieux à l’issue duquel seulement elles deviendront définitives. S’agissant de la publication des règlements, elle a été étendue aux circulaires administratives et le décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 prévoit que les circulaires et instructions ministérielles ne seront opposables que si elles sont en ligne sur un site internet : « www.circulaires.gouv.fr ». Il est à noter par ailleurs que le juge administratif a été conduit à formuler un principe général du droit imposant la publication des règlements, pour éviter que l’absence de publication puisse constituer un moyen d’en entraver l’entrée en vigueur (CE 12 déc. 2003, Syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires de la police nationale, n° 243430). L’obligation de faire connaître les décisions administratives étant avant tout destinée à assurer la protection des administrés, seules les décisions défavorables voient leur caractère exécutoire soumis au respect de cette procédure, comme le précise, après la jurisprudence (CE 28 nov. 1952, Dame Lefranc, p. 534), l’article 8 de la loi du 11 juillet 1978 modifiée par l’ordonnance n° 2005-650 du 6 juin 2005 : « toute décision individuelle prise au nom de l’État, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public ou d’un organisme, fût-il de droit privé, chargé de la gestion d’un service public, n’est opposable à la personne qui en fait l’objet que si cette décision lui a été préalablement notifiée ». B. – L’accès aux documents administratifs Au-delà de la publicité qu’il implique de donner aux décisions administratives, le principe de transparence de l’action de l’administration s’étend à l’ensemble des documents que celle-ci détient. Il s’agit là encore de renforcer les possibilités de contrôle dont peuvent disposer les administrés en leur permettant de disposer de tous les éléments à partir desquels l’administration est conduite à agir. Ainsi la loi 78-753 du 17 juillet 1978 pose-t-elle le principe selon lequel « les autorités (administratives) sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande ». La notion de document est largement envisagée puisque la loi, sans en donner une liste exhaustive, cite « notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, D. CAPITANT : PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE 229 prévisions et décisions », qu’ils émanent de l’administration ou soient simplement détenus par elle. Surtout, le droit à communication ainsi accordé aux administrés se trouve très puissamment renforcé par le fait qu’aucune motivation n’est exigée de leur part au soutien de leur demande de communication. C’est au contraire à l’administration qu’il appartient éventuellement de démontrer, en cas de refus de communication, que la loi l’autorise. En effet, des limites sont posées à l’obligation de communication afin de protéger certains secrets dans l’intérêt public ou dans l’intérêt privé des personnes concernées. Ainsi notamment, ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte au secret de la défense nationale, à la conduite de la politique extérieure de la France, à la sûreté de l’État, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes, à la monnaie et au crédit public. S’agissant de la protection des secrets privés, la loi n’écarte pas l’obligation de communication mais la limite aux personnes intéressées. Peuvent ainsi être conciliés le droit à communication et la protection de la vie privée, le secret médical ou le secret en matière commerciale et industrielle. Pratiquement, l’accès aux documents administratifs s’exerce, au choix de l’administré, par consultation gratuite sur place, par la délivrance d’une copie sur un support identique à celui utilisé par l’administration ou encore par courrier électronique et sans frais lorsque le document est disponible sous forme électronique. Toute décision de refus peut faire l’objet d’un recours devant le juge administratif, la loi organisant un recours administratif préalable obligatoire devant une autorité administrative indépendante spécialement instituée : la Commission d’accès aux documents administratifs. C. – La motivation des actes administratifs Au-delà de la connaissance qu’ils doivent avoir des décisions administratives susceptibles de leur être opposées et de l’accès qui doit leur être garanti aux documents dont l’administration dispose, les administrés doivent également pouvoir connaître les motifs des décisions administratives puisque c’est en fonction de ces motifs qu’ils pourront en apprécier complètement la légalité et éventuellement les contester. En outre, l’obligation ainsi imposée aux fonctionnaires de rédiger ces motifs apporte une garantie supplémentaire de l’examen attentif dont chaque situation doit faire l’objet et constitue ainsi un moyen susceptible de renforcer la légalité et l’opportunité des décisions adoptées. 230 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Aussi l’administration doit-elle faire expressément figurer dans le corps de ces décisions les motifs, de fait et de droit, sur lesquelles ces décisions reposent, lorsque la protection des intérêts des administrés en dépend. C’est l’objet de l’obligation de motivation. Protégée d’abord par la jurisprudence (CE Ass. 27 nov. 1970, Agence maritime Marseille-Fret, n° 74877) ; expressément prévue par de nombreux textes relatifs à des décisions intervenant dans les domaines les plus divers ; l’obligation de motivation a trouvé son expression la plus large à travers la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs. Ce texte impose d’une part la motivation des décisions individuelles défavorables, dont elle donne une liste. Il s’agit ainsi des décisions qui : - restreignent l’exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; - infligent une sanction ; - subordonnent l’octroi d’une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ; - retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; - opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance ; - refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir ; - refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l’un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions des deuxième à cinquième alinéas de l’article 6 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public. Doivent d’autre part être motivées « les décisions administratives individuelles qui dérogent aux règles générales fixées par la loi ou le règlement ». Pour assurer la complète efficacité de la motivation des décisions administratives, la loi en précise les modalités. Ainsi, « la motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ». La jurisprudence a interprété cette obligation de manière relativement stricte et le défaut de motivation d’une décision n’est pas couvert par la motivation d’une décision confirmative ultérieure (CE 17 juin 1985, Dauberville, n° 54172). La jurisprudence a également systématiquement sanctionné le recours à des motivations-type (CE Sect. 24 juill. 1981, Belasri, n° 31488). Les seuls cas dans lesquels l’obligation de motivation se trouve non pas écartée, mais seulement aménagée, concernent d’une part les situations d’urgence et d’autre part les décisions implicites. D. CAPITANT : PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE 231 La loi de 1979 prévoit ainsi (art. 4) que « lorsque l’urgence absolue a empêché qu’une décision soit motivée, le défaut de motivation n’entache pas d’illégalité cette décision. Toutefois, si l’intéressé en fait la demande, dans les délais du recours contentieux, l’autorité qui a pris la décision devra, dans un délai d’un mois, lui en communiquer les motifs ». S’agissant des décisions implicites, c’est également un mécanisme de motivation a posteriori qui a été retenu. L’article 5 de la loi précise ainsi que « Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu’à l’expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ». III. LE PRINCIPE DE SÉCURITÉ JURIDIQUE Le principe de sécurité juridique n’a été consacré que récemment dans cette formulation par la jurisprudence du Conseil d’État (CE Ass. 24 mars 2006, KPMG, n° 288460). Pour autant, les corolaires qui en découlent sont depuis longtemps garantis par la jurisprudence administrative, parfois confirmée par la loi. Le principe de sécurité juridique envisage les décisions administratives essentiellement dans leur aspect chronologique. Il implique ainsi que les décisions administratives ne remettent pas en cause les situations passées. C’est l’objet du principe de non-rétroactivité des actes administratifs (A). Il implique également que les dispositions qui ont pu être légitimement adoptées par les administrés se fondant sur la stabilité du droit ne soient pas brusquement remises en cause par un changement trop brutal de la réglementation. C’est l’objet du principe de protection de la confiance légitime (B). Enfin, si l’administration doit pouvoir remettre en cause les solutions d’une époque pour tenir compte de l’évolution des circonstances, elle doit également tenir compte des situations individuelles, à travers le respect des droits acquis (C). A. – Le principe de non rétroactivité des actes administratifs Consacré comme principe général du droit par le Conseil d’État (CE 26 déc. 1925, Rodière ; CE Ass. 25 juin 1948, Soc. du Journal L’Aurore) et 232 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE par le Conseil constitutionnel (CC 69-57 L du 24 oct. 1969, Frais de scolarité à l’École polytechnique, p. 32), le principe de non rétroactivité n’a en principe de valeur constitutionnelle qu’en matière pénale, aux termes de l’article 8 DDHC. Pour autant, le Conseil constitutionnel en impose également le respect dans le domaine fiscal (CC 18 déc. 1998, n° 98-404 DC) ou encore dans le domaine contractuel (CC 2002-465 DC du 13 janv. 2003). À l’inverse, le principe de non rétroactivité doit parfois être concilié avec d’autres principes de même valeur. Ainsi le rétablissement de la légalité justifie-t-il dans certains cas que soient retirées des décisions illégales (cf. infra) ; ou encore que des décisions rétroactives soient prises pour tirer les conséquences d’une décision juridictionnelle d’annulation (CE 8 juill. 1904, Botta ; CE Ass. 27 mai 1949, Véron-Réville). B. – Le principe de protection de la confiance légitime Le principe de protection de la confiance légitime exprime une des facettes du principe de sécurité juridique : il implique que les acteurs sociaux, et notamment les acteurs économiques, puissent avoir confiance dans la stabilité de l’ordre juridique. Une des fonctions du droit est en effet d’organiser de manière stable, en fonction de certains choix politiques, les rapports sociaux. Si aucune stabilité n’existait dans les options prises, le droit manquerait l’objectif même qui lui est assigné puisque, faute de confiance dans les règles posées, leurs destinataires les laisseraient inappliquées. Longtemps ignoré du droit français, le principe de protection de la confiance légitime impose à l’administration, lorsqu’elle modifie ou supprime une réglementation, à adopter des mesures transitoires de nature à concilier compétence règlementaire et sécurité juridique. Consacré par l’arrêt CE Ass. 24 mars 2006, Soc. KPMG, n° 288460, il prévoie que « Il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, une réglementation nouvelle ». Il est désormais couramment appliqué par le juge administratif, en conformité avec le droit communautaire. Le juge administratif a eu ainsi l’occasion de préciser que de telles mesures transitoires doivent être adoptées « lorsque l’application immédiate de (la réglementation nouvelle) entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause » (CE 13 déc. 2006, Mme Lacroix, n° 287 845). D. CAPITANT : PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE 233 C. – La protection des droits acquis Le principe de sécurité juridique est conçu non seulement comme impliquant que l’administration ne puisse remettre en cause le passé et qu’elle doive accompagner les modifications réglementaires par des mesures transitoires, mais en outre, comme protégeant contre toute remise en cause certaines situations juridiques considérées comme définitivement acquises, alors même qu’elles apparaîtraient comme illégales ou inopportunes. Lorsqu’une décision est ainsi considérée comme créatrice de droits, elle ne peut être retirée rétroactivement, ce qui n’est finalement qu’une application particulière du principe de non rétroactivité. Mais, ce qui est plus remarquable, elle ne peut non plus être abrogée pour l’avenir car les droits qu’elles a créés, s’ils ne sont pas épuisés, sont acquis. Ainsi la décision d’octroyer une prime ne peut-elle être remise en cause jusqu’au complet versement de celle-ci (CE 25 juill. 1986, Soc. Grandes distilleries « Les fils d’Auguste Peureux », n° 22692). De même, une autorisation ne peut être abrogée pour quelque raison que ce soit (CE Sect. 6 mars 2009, M. Coulibaly, n° 306084). Bien entendu, il en irait autrement si les textes avaient organisé une procédure particulière à cet effet. En dehors de ce cas, seule l’illégalité de la décision permet de remettre en cause des droits acquis, à condition cependant que le retrait ou l’abrogation intervienne dans un délai limité, actuellement fixé dans le cas général par la jurisprudence à quatre mois après l’adoption de la décision (CE Ass. 26 oct. 2001, Ternon, n° 197018). Il convient de noter que des solutions particulières existent pour les décisions implicites (art. 23 de la loi du 12 avril 2000), pour celles qui sont adoptées dans le domaine de l’urbanisme (art. L. 424-5 du Code de l’urbanisme) ou encore pour les décisions adoptées dans le champ d’application du droit communautaire en raison du régime propre développé par celui-ci (CJCE 18 juill. 2007, Ministerio dell’Industria c/ Lucchini SpA, C-119/05). Au contraire, les décisions non créatrices de droit peuvent être abrogées à tout moment par l’administration pour des raisons d’opportunité et doivent même l’être si elles sont illégales (CE Ass. 3 févr. 1989, Compagnie Alitalia, p. 44 ; CE Sect. 30 nov. 1990, Association Les Verts, n° 103889) voire devenues inexécutables (CAA Paris 4 juill. 2008, 07PA04078). Cette différence de régime implique de distinguer précisément les décisions créatrices de droit de celles qui n’ont pas cet effet. Sont en principe considérées comme créatrices de droit les décisions favorables, c’est-à-dire celles qui accordent un avantage, par exemple l’octroi d’une allocation ou d’une autorisation. 234 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Cela dit, la recherche d’un équilibre entre légalité et stabilité juridique a conduit la jurisprudence à tracer une frontière très subtile entre les deux catégories. Ainsi, certaines décisions favorables, qualifiées de précaires et révocables, ne sont pas créatrices de droit : par exemple les autorisations d’occupation privative du domaine public. Il en va de même pour les actes obtenus par fraude, par là-même inexistants. Au contraire, certaines décisions défavorables à leur destinataire sont considérées comme créatrices de droit pour les tiers ; c’est notamment le cas d’un retrait de permis de construire. Mais les décisions de refus ou les sanctions ne sont jamais créatrices de droits pour les tiers. On le voit, la recherche d’un équilibre entre légalité et stabilité n’est pas aisée lorsqu’est en cause un droit illégalement acquis. LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES : DOCTRINE ET PRATIQUE Yuri A. TIKHOMIROV L’activité publique est étroitement liée à la règle et à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Mais il arrive trop souvent que l’on déroge à la règle, qu’on la contourne ou qu’on la détourne. Dans le domaine du droit public, c’est avant tout par les procédures que l’on peut y remédier. Aujourd’hui cette question est devenue très actuelle, parce que sans elles il est difficile d’assurer l’efficacité de l’action de l’État, ainsi que des activités sociales et économiques. Comprises comme des régimes juridiques complexes, les procédures encadrent les processus législatifs, budgétaires, civils ou autres. La procédure administrative est encore plus complexe à cause de son ampleur illimitée, ainsi que du dynamisme et de la rapidité des changements qu’elle connaît. Dans les lois des années passées et d’aujourd’hui on trouve peu de règles de procédure, même si l’on peut relever une tendance positive. En effet, la doctrine soviétique du droit administratif s’est fondée sur la reconnaissance de la primauté de régulations rigides d’autorisation et de contrôle. L’« hégémonie » du Code des contraventions administratives en est encore aujourd’hui le témoignage. Cependant la nécessité d’un équilibre entre les règles de fond et les règles de procédure impose de considérer de manière plus large le processus juridique comme le régime de l’activité des organes compétents, réglementé par les normes de procédure, qui décident des régimes juridiques généraux ou individuels. En ce sens, le processus juridique peut avoir pour objet la création et l’application du droit. De là résultent les problèmes du droit processuel et les branches de la législation processuelle1. 1 Cf. Концепции развития российского законодательства [Les conceptions du développement de législation russe], Moscou, 2010. 236 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Dans la science du droit administratif le processus juridique se présente comme une variété de procédures comprises, au sens large, comme le moyen d’ordonner l’exercice des activités. Les systèmes de la législation processuelle lui sont inhérents, en particulier en ce qu’ils règlent les procédures administratives et le fonctionnement de l’administration. La compréhension des procédures au sens positif a conduit la recherche à l’analyse des différentes formes de l’activité administrative (réglementation, contrôle, réalisation des droits et des obligations des personnes physiques, organisation du fonctionnement des autorités, etc.)2. Mais sans dégager de caractéristiques systémiques. Dans le contexte de la réforme administrative, on avait besoin d’une définition plus large de la procédure administrative. C’est l’ordre établi par le droit et que doit suivre l’activité des sujets de droit dans la réalisation de leurs droits et obligations3. À cet égard, il est pleinement justifié de se poser la question des éléments de la procédure administrative, qui appellent une définition plus précise de ses critères. Ces éléments comprennent : a) les règles de procédure visant l’application légale des normes de compétence matérielle ; b) l’ « inventaire » type des documents juridiques qu’adoptent les autorités titulaires de la compétence ; c) les stades et les catégories des activités de ces autorités et d’autres sujets de droit qui leur sont liés, la chaîne des opérations juridiques successives et ce qui les relie ; d) la caractéristique temporelle (délais, durée, périodicité). Ces éléments sont médiatisés par le droit. Par leur nature, ils sont en premier lieu des règles d’organisation et de fonctionnement. Leur aspect juridique s’exprime dans la décomposition opérationnelle d’une disposition d’une norme de fond, ou même dans l’introduction de micro-hypothèses. Dans le droit administratif, dont les normes existent presque dans toutes les branches du droit, on a besoin de procédures positives. C’est la forme la plus importante de la réalisation de la compétence d’une autorité étatique ou municipale fixée tant par les lois et dispositions générales d’ordre institutionnel que par les lois sectorielles. Mais les projets législatifs en ce domaine ont connu un destin difficile. Au milieu des années 90 du XXe siècle l’auteur a élaboré un projet de loi sur les procédures de règlement des différends dans le système des autorités de l’État, mais la discussion s’est enlisée. Au début de 2000 l’auteur, avec d’autres, a préparé un projet de loi 2 Cf. Управленченские процедуры [Les procédures administratives], Moscou, 1988. Cf. Yuri A. TIKHOMIROV, Управление на основе права [La gestion sur la base de droit], Moscou, 2008 ; également : Современное публичное право [Le droit public contemporain], Moscou, 2009. 3 Y. A. TIKHOMIROV : PROCÉDURES ADMINISTRATIVES : DOCTRINE / PRATIQUE 237 sur les procédures administratives, auquel a été opposé un projet concurrent à la Douma d’État. Le mouvement s’est alors arrêté et ne s’est poursuivi que par l’adoption de textes spéciaux. Les procédures organisent non seulement l’activité de prise de décision des autorités publiques, mais aussi des personnes morales et des personnes physiques qui agissent suivant ces décisions. Ce sont justement les procédures qui permettent de réduire le nombre des violations du droit et l’introduction de normes de règlement adaptées dans le Code des contraventions administratives, ainsi que dans le futur Code de la procédure administrative. Quels sont les principes des procédures administratives ? Ce sont la sécurité juridique ; la légalité ; la transparence et l’accessibilité ; l’obligation, l’efficacité, la concentration des opérations (« guichet unique »). Sur un plan général, il s’agit : a) du droit d’une personne physique, d’une personne morale de solliciter, dans les conditions prévues un document ou une décision (y compris en qualité de propriétaire) ; b) de l’obligation de l’autorité ou du fonctionnaire chargé de prendre une décision, de réunir toute l’information nécessaire, et celle des autorités concernées, et de les soumettre à une autre autorité ; c) de l’obligation de celui-ci de soumettre le dossier ou le texte de la décision à la personne physique ou morale ; d) de la détermination de délais précis et courts pour la réponse. La typologie des demandes nécessite que soient fixées les caractéristiques juridiques des différents « guichets » et la réglementation de leur activité. On voit que les cadres du droit administratif visent un large cercle de personnes physiques et morales. L’application de normes de différentes branches du droit implique inévitablement des autorités du pouvoir exécutif et des collectivités locales, des personnes morales de nature juridique différente, des personnes physiques. L’aspect social des procédures est très important car il reflète la garantie de différentes catégories de relations entre les citoyens et les pouvoirs publics. Ce problème appelle des réponses spécifiques, y compris le développement des institutions de la justice administrative. Ainsi donc les procédures administratives sont-elles une des deux composantes du droit administratif processuel. Avec des règles de fond, elles forment le système du droit administratif. Celui-ci englobe presque tous les domaines de vie de l’État et de la société, en les appréciant du point de vue assez spécifique de l’administration. La variété de l’activité administrative des autorités et des institutions publiques exige l’introduction et l’application des procédures différentes. On relève d’abord des procédures administratives positives, visant à régler, 238 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE arranger et stabiliser les grandes catégories d’activité. D’autres procédures, appelées contentieuses, sont destinées à l’examen de litiges et de désaccords. Ce sont des procédures administratives, judiciaires et mixtes. Il existe aussi une autre position, celle qui comprend la procédure administrative dans un sens plus restreint, comme le régime du contentieux administratif4, ce qui ne reflète pas pleinement le potentiel régulateur contemporain du droit administratif. La diversité des procédures administratives nous renvoie à la variété des décisions à prendre dans le cadre des compétences des sujets de droit. Elles peuvent ainsi être, en fonction des textes qui les régissent, périodiques et répétitives, ou inédites et nouvelles. En résumé, la procédure administrative est le régime juridique formel suivant lequel les sujets de droit habilités effectuent la suite des actes nécessaires à la réalisation de leurs compétences et à la fourniture de services publics. Cette définition en reflète tous les éléments juridiques significatifs. Elle vise à limiter le pouvoir discrétionnaire de l’administration en introduisant des critères juridiques qui s’imposent à l’action des fonctionnaires, des dirigeants, des organes de l’État et des collectivités locales, mais aussi des citoyens et des personnes morales. La soumission des activités à des procédures en assure la transparence et la prévisibilité, et elle en renforce l’efficacité et le caractère démocratique. Il est utile de faire une présentation systématique des différentes catégories de procédures administratives en fonction de leur but, de leurs sujets et participants, ainsi que des missions auxquelles se rapportent les décisions. Cela donne la classification suivante des procédures : 1. Les procédures de conciliation et de concertation. 2. Les procédures d’organisation : a) le régime du travail ; b) les règlements de séances, de réunions ; c) les règles de préparation et d’adoption des actes juridiques ; d) les règles de traitement des informations, les règles d’accès aux informations, de leur communication ; e) le régime de délégation des compétences ; f) les modalités de réorganisation et de dissolution des organes et des organisations. 3. Les règlements administratifs : a) les modalités d’exercice des fonctions et de règlement des affaires ; b) les règles de prestation de services aux clients ; c) les règles d’organisation de concours (recrutement de cadres ; marchés publics, etc.). 4. Procédures relatives à des situations : a) les modalités d’évaluation des effets de la réglementation ; b) les actions en situation extrême ; c) le suivi juridique ; d) l’expertise anticorruption. 4 Cf. par ex. B. V. ROSSINSKY, U. N. STARILOV, Административное право [Droit administratif], Moscou, 4e éd., 2009, pp. 655-850. Y. A. TIKHOMIROV : PROCÉDURES ADMINISTRATIVES : DOCTRINE / PRATIQUE 239 5. Les procédures de contrôle : a) le régime général du contrôle (Loi fédérale « Sur la défense des droits des personnes morales et des entrepreneurs soumis à un contrôle d’une autorité de l’État ((inspection) ou d’une autorité municipale ») ; b) les contrôles techniques et thématiques ; c) le contrôle interne (y compris la surveillance de la concurrence dans les marchés publics) ; d) les procédures d’évaluation du contrôle. 6. Les procédures de coordination : a) dans les relations entre les autorités étatiques et municipales ; b) de la coopération avec des acteurs économiques ; c) pour le règlement conjoint de missions complexes ; d) consultatives (avec des partis, associations et mouvements de la société à but non lucratif). 7. Les procédures à caractère démocratique (ou social) concernant : a) l’examen des plaintes et des demandes des personnes physiques ; b) le régime de l’examen des requêtes des personnes physiques et morales (des entrepreneurs) ; c) l’accès des citoyens aux informations sur l’activité des autorités publiques ; d) l’exercice du droit de l’initiative des citoyens ; e) les modalités de la participation des citoyens à la gestion publique. 8. Les procédures mixtes, administratives et judiciaires (dans le cadre du Code des contraventions administratives, etc.) : la phase administrative du contentieux. 9. Les procédures de règlement des différends : a) les modalités de règlement des désaccords et des litiges entre les organes du pouvoir exécutif ; b) les commissions paritaires ; c) les comités de conciliation ; d) les modalités de l’examen de plaintes des personnes physiques dans le système de l’administration (y compris les commissions d’appel) ; e) les modalités d’exécution des décisions de justice sur le recouvrement de dommages dans les organes du pouvoir exécutif. 10. Les procédures relatives aux technologies de l’information et de la communication : le programme « Russie électronique » doit être mise en œuvre sur la base d’orientations générales interdépendantes. 11. Les normes techniques (selon la Loi fédérale n° 184 du 27 décembre 2002 « Sur la normalisation technique »). Il existe différentes façons de fixer les procédures administratives : la loi, le règlement (reglament), les règles (pravila), l’ordonnance (polojenie), l’instruction (rasporiadok), l’accord (soglachenie). Elles ne doivent pas être utilisées de manière discrétionnaire, car elles doivent correspondre aux types de problèmes. Les points 2, 4 et 5 sont plutôt liés aux procédures organisationnelles, les 3 et 6 aux objectifs fonctionnels. Comment naissent les procédures administratives ? Le point de départ est la définition correcte de la compétence de l’organe, c’est-à-dire, sa compétence matérielle comme son domaine d’intervention (champ d’application de ses pouvoirs), sa responsabilité et les ressources nécessaires 240 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE à l’exercice de ses pouvoirs5. La pratique est encore loin de cette approche, c’est pourquoi la détermination précise et fondée des éléments de la compétence par les lois et d’autres dispositions reste un problème actuel. Cette idée est confirmée par les efforts actuels de délimitation des compétences et des pouvoirs entre les autorités publiques. Il est nécessaire de définir les secteurs de l’activité du sujet de droit qui exigeront des actions et des actes juridiques permanents et répétitifs. Le choix d’un critère d’élaboration et d’introduction des procédures administratives est très important. L’étape suivante est celle de la détermination des procédures qui correspondrait à la nature de l’organe administratif, du point de vue de son organisation et de sa structure. On songe à la répartition des fonctions entre les divisions, les adjoints, et à l’adoption de dispositions et d’instructions correspondantes (mais interdépendantes). Il est utile d’introduire un régime précis du travail et de régler les modalités d’établissement des plans et de programmes, de la tenue des réunions de collège, des conférences, des actions « extérieures », etc. La transition de la statique à la dynamique exige la mise en place d’autres procédures et est associée à l’introduction des modalités d’exécution des fonctions des organes de l’État et des collectivités locales. Il peut s’agir de procédures gouvernementales et ministérielles particulières, ou des procédures « incorporées » à l’objet de la loi (Codes budgétaire, foncier et autres). Sans ces procédures, il arrive que, dans le cadre de la compétence de l’organe (du fonctionnaire) on prenne des décisions hâtives et pas toujours efficaces. Par exemple, on perd vainement du temps à chercher des partenaires ou à harmoniser des documents. Les procédures relatives aux problèmes qui émergent progressivement ou immédiatement, ou qui appellent un règlement rapide appellent une attention particulière. Il est ici nécessaire de réglementer soigneusement la procédure de décision conjointe ou coordonnée. Des fonctions réglementées y sont justement consacrées. Les décisions des organes d’État et des organes municipaux donnent lieu à un type indépendant de procédures administratives. Les éléments essentiels de ces procédures doivent se trouver dans les lois et les dispositions générales relatives à ces institutions. Les règles relatives à la préparation, à l’adoption et à la mise en œuvre des actes juridiques de ces autorités peuvent s’appuyer sur l’expérience passée et présente. Le décret bien connu du Gouvernement de la Fédération de Russie de 13 août 1997 « Sur l’homologation des règles relatives à la préparation des actes 5 2001. Cf. Y. A. TIKHOMIROV, Теория компетенции [Théorie de la compétence], Moscou, Y. A. TIKHOMIROV : PROCÉDURES ADMINISTRATIVES : DOCTRINE / PRATIQUE 241 juridiques normatifs des organes exécutifs fédéraux et de leur enregistrement par l’État » est consacré à cette question. L’Institut de législation et du droit comparé a préparé de telles règles pour les administrations des régions de Tver et de Nijni-Novgorod. Il serait pourtant justifié de fixer dans une loi fédérale les éléments essentiels, notamment : les agents habilités ; les bases juridiques et les types d’actes ; le caractère collégial ou individuel de la décision ; l’adoption et la mise en forme des décisions orales ; les étapes de la préparation des projets (y compris la prise en compte des avis d’experts et de l’opinion publique) ; la transparence et l’information ; les exigences relatives aux formes, à l’enregistrement, au contrôle, à l’archivage, aux modalités de leur modification ; enfin, l’organisation de l’exécution. Les procédures administratives ne concernent pas seulement le fonctionnement interne des organes et des organisations. Elles ont aussi pour objet les rapports externes et réciproques de ceux-ci dans les domaines suivants : foncier, fiscal, de construction, budgétaire, etc.6. Mais de telles procédures sont presque inexistantes, ce qui conduit à des relations chaotiques, et une perte importante de temps. Il s’agit de renforcer le rôle de la loi dans la réglementation des procédures administratives. C’est seulement de cette manière que ces procédures sortiront de la tutelle des actes réglementaires et qu’on leur donnera une base solide et stable, et à tous les participants à la procédure la garantie de leurs droits et intérêts légitimes. Les traditions nationales et l’expérience des pays étrangers en sont la preuve. Dans des conditions actuelles, le volume de la réglementation administrative ne cesse d’augmenter. Nous assistons à un « boom de règlements ». Ce sont d’abord les règlements types qui ont ouvert la voie ; ils visaient les questions essentielles de l’organisation et de l’activité des organes exécutifs fédéraux. Il s’agissait d’en fixer tous les éléments de manière systématique, d’en assurer la cohérence et la coordination, sans lacune. Les règlements types ont dans l’ensemble été adoptés, puis on a élaboré et adopté les règlements fédéraux correspondants aux ministères, aux agences et des services. Ce travail a été achevé au milieu de 2006. Une autre étape a été franchie durant l’été 2010, lorsque la loi fédérale « Sur les services fournis par l’État et les collectivités locales » a été adoptée. Elle contient un chapitre 3 sur les « Règlements administratifs ». Elle prévoit que la prestation des services publics de l’État et des collectivités locales s’effectue en conformité avec les règlements administratifs. La loi contient des articles qui établissent : 1) les dispositions 6 Cf. Y. A. TIKHOMIROV, Административное право и процес. Полный курс [Le droit et la procédure administrative. Cours complet], Moscou, 2006, 2e éd. 242 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE générales ; 2) les standards de prestation de services par l’État ou les collectivités locales ; 3) le contenu, la séquence et le délai de l’exécution des procédures administratives, les exigences quant à leurs modalités y compris les particularités relatives à l’accomplissement des procédures administratives dématérialisées ; 4) les formes du contrôle sur la mise en œuvre des règlements administratifs ; 5) les voies de recours administratives (extrajudiciaires) contre les décisions et les actions (ou l’inaction) de l’organe, de l’État ou de la collectivité locale, responsable de la fourniture du service de prestataires de services publics, les autorités qui fournissent les services municipaux, ainsi que des dirigeants ou fonctionnaires de l’État ou de la collectivité locale. La loi réglemente de manière détaillée les exigences relatives à l’élaboration des règlements administratifs (art. 13) et les exigences relatives aux standards auxquels doivent répondre les services (art. 14). La fourniture des services de l’État et des collectivités locales dans les centres polyvalents obéit au principe du « guichet unique », selon lequel une seule demande doit être présentée par l’intéressé, sur la base de laquelle il appartient aux administrations concernées de coopérer entre elles sans autre intervention du demandeur pour fournir le service demandé par l’intermédiaire du centre polyvalent, sur la base des normes juridiques et de l’accord qui régissent leur coopération. Des accords de coopération sont conclus à cet effet entre les centres polyvalents et les organes exécutifs fédéraux, les organes des fonds hors budget de l’État, les organes du pouvoir d’État des sujets de la Fédération de Russie, et les collectivités locales. Le chapitre 5 encadre l’utilisation des technologies de l’information et de télécommunication pour les services fournis par l’État et les collectivités locales. Les règles et les procédures de coopération des systèmes d’information utilisés pour la délivrance des services de l’État et des collectivités locales en la forme électronique, ainsi que celles relatives aux infrastructures nécessaire à leur coopération, sont établis par le Gouvernement de la Fédération de Russie. Les normes et les conditions techniques, y compris les conditions de compatibilité technique des systèmes d’information, les conditions relatives aux normes et aux protocoles d’échange de données en forme électronique dans la coopération entre les systèmes d’information, sont établies par les organes fédéraux du pouvoir exécutif fédéral chargés de l’élaboration et de mise en œuvre de la politique de l’État dans le domaine des technologies d’information et de communication. Y. A. TIKHOMIROV : PROCÉDURES ADMINISTRATIVES : DOCTRINE / PRATIQUE 243 En Russie la conception et la stratégie de développement du suivi juridique ont acquis une actualité particulière7. Cela permet de déterminer quelle est l’application réelle des lois et des autres actes juridiques compte tenu des procédures existantes. Dans le Code foncier, le Code l’urbanisme et d’autres il existe des règles générales, qui donnent lieu à des dispositions gouvernementales ou ministérielles concrètes sur le suivi de leur application dans les domaines du foncier, de l’eau, du budget, du travail et d’autres. Des chercheurs étudient les corrélations entre l’évolution du secteur et l’application de la loi. On peut alors tirer les conclusions suivantes. Tout d’abord, et sans aucun doute, les procédures administratives appellent la formation d’un droit administratif processuel complet, y compris les recours juridictionnels. Deuxièmement, les procédures administratives ont besoin de modes différents d’encadrement juridique par la loi et les règlements. Troisièmement, l’application des procédures administratives doit être la règle, aussi bien pour les citoyens que pour les dirigeants et les fonctionnaires. La science du droit administratif doit y contribuer. 7 Cf. Правовой мониторинг. Научно-практическое пособие [Le monitoring juridique], Moscou, 2009. IV PROBLÈMES ET INSTRUMENTS DES RELATIONS ENTRE ADMINISTRATIONS PUBLIQUES ET PERSONNES PRIVÉES PROCÉDURES ET GARANTIES DE LA PARTICIPATION DES PERSONNES PHYSIQUES ET MORALES DANS LEURS RELATIONS AVEC LES ORGANES D’ADMINISTRATION PUBLIQUE Ludmila K. TERECHTCHENKO 1. Procédures et garanties assurant la participation des personnes physiques et morales dans leurs relations avec les autorités administratives. Les rapports du droit dans le cadre desquels des personnes physiques et morales entrent en relation avec les organes d’État du pouvoir exécutif et les organes des collectivités locales (ci-après désignées les autorités administratives), naissent tant à l’initiative des personnes physiques et morales elles-mêmes, qu’à celle des autorités administratives. Dans le premier cas, cela peut être lié à la nécessité d’obtenir des informations, documents, autorisations, à l’exécution de certaines actions auxquelles la loi attache des conséquences juridiques, notamment, la naissance de droits et obligations. Dans le deuxième cas, où les relations naissent à l’initiative des autorités administratives, elles sont le plus souvent liées à la réalisation des fonctions de contrôle et d’inspection (nadzor) desdites autorités. Les procédures et garanties assurant la participation des personnes physiques et morales dans leurs relations avec les autorités administratives, sont globalement semblables dans les deux cas, pourtant, dans le premier cas les conditions préliminaires, les prémisses, qui permettent aux personnes physiques et morales, aux autorités administratives d’entrer en relation sont importantes. Il s’agit de l’accès aux informations permettant de définir quelle autorité est chargée d’exécuter telle ou telle fonction, tel ou tel service public ou municipal, ce qui est nécessaire pour l’obtention de ce service, quels documents sont à produire etc. Aujourd’hui, en Fédération de Russie, la réforme administrative est toujours en cours. Son principal objectif, outre la formation d’un système 248 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE administratif efficace en Russie, est la création d’un système entièrement nouveau de relations entre l’État, sous la forme des autorités administratives et de leurs fonctionnaires, d’une part, et le citoyen, la société civile, les entreprises, d’autre part. Dans le Concept de la réforme administrative en Fédération de Russie 2006 - 2008, approuvé par l’Ordonnance du Gouvernement de la Fédération de Russie n° 1789-р du 25 octobre 2005, figurent au nombre des tâches principales de la réforme administrative : - l’élaboration et la mise en application des standards de services publics fournis par les autorités administratives aux habitants du pays ; - l’amélioration de la qualité et de l’accessibilité des services publics ; - l’augmentation de l’efficacité de la coopération entre les autorités administratives et la société civile ; - l’augmentation de la transparence des activités des autorités administratives. Les notions de « services d’État », de « services communaux », de « services publics » sont apparues dans le droit russe de manière relativement récente, seulement avec la mise en œuvre de la réforme administrative et elles ont été initialement formulées par la science économique. Naturellement cette nouvelle expression appelait une réflexion théorique et devait trouver sa place dans la législation en vigueur. La science juridique russe opérait traditionnellement avec les notions de « fonction », de « compétence », de « pouvoir » (polnomotchie). Il en va de même avec le sens des notions de services publics, de services de l’État, de services municipaux qui existaient auparavant. Effectivement, dans toute société se forment et existent des besoins et intérêts publics importants pour la société et dont la satisfaction par des structures étatiques et non étatiques. À partir de cette position, le service public est l’activité visant à satisfaire les intérêts, les besoins publics. La fourniture directe par l’État de ces services se rattache à ses fonctions publiques et découle de ces fonctions. En même temps, dans des cas déterminés, ce sont des structures non étatiques qui peuvent assurer la satisfaction des intérêts publics importants pour la société. Ces services ne cessent pas pour autant d’être publics. Un service peut être à la fois d’État et public. Cependant, il serait erroné de confondre ces notions, dans la mesure où elles ont un contenu différent et les services fournis se différencient par leurs caractéristiques. En même temps ce serait une erreur de les opposer. En ce qui concerne la définition des services publics, elle était jusqu’à ces derniers temps absente de la législation ; la science juridique (à la différence de la science économique) n’a pas non plus, jusqu’à ces derniers temps, prêté attention aux services publics. La première définition des services publics, dans la science juridique russe, a sans doute été donnée par Youri Tikhomirov : « Les services publics signifient des activités L. K. TERECHTCHENKO : RELATIONS DES USAGERS AVEC L’ADMINISTRATION 249 importantes du point de vue juridique et social pour les intérêts de la société, de l’État et des citoyens »1. Comme on le voit, l’accent n’est pas mis, justement, sur qui fournit les services publics mais sur ce qu’ils représentent et à quels intérêts ils répondent. Pour les services relevant de l’État, avant tout les services fédéraux, ils doivent être assurés de manière universelle, ce qui suppose que leur fourniture soit assurée sur tout le territoire2. Le service minimum ne peut jamais dépendre de quelques circonstances extérieures que ce soit, de la commodité ou de l’incommodité de sa fourniture. L’universalité inclut non seulement la fourniture des services à toute personne définie par la loi sur tout le territoire, mais aussi que les paramètres qui caractérisent le service doivent être uniformes quel que soit de lieu de la prestation (qualité, délais, prix d’accès). L’État doit garantir la fourniture des services publics ; il est responsable de leur organisation ; ces services sont socialement importants et ont dans leur essence la signification de services publics. La législation sur les services offerts par l’État et les collectivités locales, fournis par les organes du pouvoir exécutif, se trouve au stade de sa formation (aussi bien au niveau fédéral qu’au niveau régional et municipal. Le 27 juillet 2010 fut adoptée la loi fédérale n° 210 « Sur l’organisation des services fournis par l’État et les collectivités locales » (ci-après loi fédérale n° 210)3. Elle règle les rapports qui se rattachent aux services nationaux et municipaux offerts respectivement par les organes fédéraux du pouvoir exécutif, les organes des fonds non budgétaires de l’État, les organes du pouvoir exécutif des sujets de la Fédération, ainsi que par les administrations locales et d’autres organes des collectivités locales exerçant des pouvoirs exécutifs et administratifs. Il est important de souligner que les dispositions de la loi s’appliquent à d’autres organisations si elles participent à la fourniture de services d’État ou municipaux. La loi définit la notion, le système des services d’État et municipaux, elle établit les conditions de procédure de leur prestation, de l’exécution des fonctions de l’État et des collectivités locales, ainsi que les modalités des 1 p. 200. Y. A. TIKHOMIROV, Теория комретенции [Théorie de la compétence], Moscou, 2001, 2 Pour plus de détail, v. Публичные услуги и право [Les services publics et le droit], Moscou, 2007 ; L. K. TERECHTCHENKO, « Услуги: государственные, публичные, социальные » [Les services : d’État, publics, sociaux], Журнал российского права [Revue de Droit russe], 2004, n° 10 ; N. V. POUTILO, « Публичные услуги: между доктринальным пониманием и практикой нормативного закрепления » [Les services publics : entre conception doctrinale et formulation pratique dans les normes], Журнал российского права [Revue de Droit russe], 2007, n° 6 ; V. S. POTAPENKO, « Образовательная деятельность и образовательные услуги: соотношение понятий » [Activité d’enseignement et services d’enseignement : des notions corrélées], Журнал российского права [Revue de Droit russe], 2009, n° 3. 3 RL FR 2010, n° 31, art. 4179. 250 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE relations des organes exécutant ces fonctions avec les citoyens et les organisations, et notamment sous la forme électronique. Mais il est encore tôt pour parler de l’efficacité de la loi, d’autant plus que tous ces articles ne sont pas encore en vigueur ; cependant, on suppose que son adoption permettra de réduire les dépenses des citoyens et des organisations pour surmonter les barrières administratives, d’élever la qualité et l’efficacité de l’exécution des décisions prises, de faciliter l’accès aux services d’État et municipaux, d’uniformiser la réglementation juridique de l’action et des procédures relatives à l’exécution des fonctions de l’État et des collectivités locales, le contrôle de l’exécution de ces fonctions. La loi prévoit le recours à la forme traditionnelle ainsi qu’à la forme électronique pour la prestation du service. L’application des technologies modernes d’information permettent d’alléger et d’accélérer les relations entre les citoyens et les organes du pouvoir exécutif, d’éliminer la barrière produite par le travail écrit ou l’éloignement géographique ou d’autres facteurs (heures d’ouverture) intéressant l’activité des organes du pouvoir exécutif, de faciliter l’accès au service demandé. Un chapitre distinct de la loi est consacré à l’organisation de la fourniture des services d’État et municipaux par des « centres polyvalents » (CPS). La création des centres polyvalents de fourniture de services d’État et municipaux (CPS) est devenue l’une des principales orientations de la réforme administrative. Les travaux visant leur déploiement sont menés depuis 2007, conformément aux décisions de la Commission gouvernementale pour la réalisation de la réforme administrative. Les CPS sont les organismes habilités à recevoir et délivrer des documents en rapport avec la prestation de services publics selon le principe du « guichet unique », c’est-à-dire sur la base d’une demande unique à la suite de laquelle le service demandé est fourni par la coopération entre les organes concernés sans autre participation du demandeur. Pour l’organisation des relations entre le centre polyvalent et les organes fédéraux du pouvoir exécutif, les organes des fonds non budgétaires de l’État, les organes du pouvoir exécutif des sujets de la Fédération, les organes des collectivités locales, des accords de coopération sont passés entre eux. Les centres polyvalents sont institués sous la forme d’établissements publics de l’État et des collectivités locales. Leurs fonctions comprennent la coopération avec les différentes autorités administratives et les organisations intervenant dans la fourniture de services d’État ou municipaux, l’information des citoyens et des organisations, la réception et la délivrance des documents liés à la prestation des services indiqués, l’élaboration des données personnelles nécessaires à la délivrance du service. Les centres polyvalents sont tenus d’assurer la fourniture de l’ensemble des services L. K. TERECHTCHENKO : RELATIONS DES USAGERS AVEC L’ADMINISTRATION 251 publics par les organes fédéraux du pouvoir exécutif, par les organes du pouvoir exécutif des sujets de la Fédération, par les organes des collectivités locales sous le régime du « guichet unique ». Ces relations entre les différentes autorités impliquées dans la prestation du service public (comprenant les approbations nécessaires, obtention des extraits, des attestations etc.) doivent se dérouler sans la participation du demandeur. La loi fédérale n° 210 est étroitement liée à la mise en œuvre du programme fédéral « Russie électronique » et orientée vers l’organisation de la fourniture de l’ensemble des services de l’État et des services municipaux en utilisant les moyens électroniques, à l’aide du portail unique des services d’État et municipaux CPS, d’une carte électronique universelle (pour les personnes physiques) et d’autres moyens. Depuis le 1er juillet 2011, il est interdit aux structures de l’État et des collectivités locales d’exiger du demandeur la production de documents et d’informations qui se trouvent en la possession d’autres organes des services d’État, municipaux ou autres, ainsi que d’exiger des actes, parmi lesquels un accord, pour la fourniture du service, si cela n’est pas prévu par les dispositions législatives et réglementaires régissant celui-ci. La décision du Gouvernement de la Fédération de Russie du 17 octobre 2009, n° 1555, a approuvé le Plan de passage à la fourniture des services de l’État et à l’exécution des fonctions de l’État sous la forme électronique par les organes fédéraux du pouvoir exécutif. Ce plan prévoit le passage progressif à la transmission de tous les documents et demandes par voie électronique, au moyen d’un portail unique, en commençant, pour obtenir des résultats et assurer un suivi, par des services d’État ayant une importance primordiale et de masse pour la société, parmi lesquels en particulier : - L’enregistrement des personnes morales ; - Les déclarations fiscales ; - L’enregistrement des employeurs dans le Fonds de Pensions de la Fédération de Russie ; - L’enregistrement des droits sur les biens immobiliers et de leur transmission ; - La réception des examens de classification et la délivrance des certificats. Les demandeurs ont le choix entre obtenir le service sous la forme traditionnelle, par le CPS, ou sous la forme électronique. Ainsi, par exemple, la ville de Saint-Pétersbourg a créé un portail d’information « Les services d’État à Saint-Pétersbourg, qui contient un catalogue des services offerts (en distinguant entre les personnes physiques et les personnes morales et propose le choix entre différentes façon d’obtenir le service et offre la 252 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE possibilité de suivre le traitement de sa demande. L’accueil électronique qui fonctionne sur le portail permet de déposer les demandes et d’obtenir les services demandés. La demande électronique peut être déposée depuis son domicile ou depuis un autre ordinateur connecté à l’Internet, ou depuis un ordinateur mis à disposition dans n’importe quel CPS. L’expérience de réalisation des projets d’institution des CPS a mis en évidence des problèmes du caractère juridique lors de l’élaboration et de l’approbation des règlements administratifs relatifs aux services fournis par les CPS, et concernant les statuts et aux documents nécessaire à l’activité des CPS. Afin d’assurer le succès des projets de création de nouveaux CPS et du développement des CPS déjà existants, il est nécessaire de préciser le cadre juridique et méthodologique du fonctionnement des CPS. 2. Règlements administratifs. Depuis 2004, on poursuit l’élaboration et l’adoption des règlements administratifs des certaines autorités administratives, les règlements relatifs à leurs relations mutuelles, les règlements de service définissant les règles de la procédure administrative interne pour l’exécution des fonctions publiques et de fourniture des services publics (au niveau fédéral, des sujets de la Fédération et au niveau municipal). Le règlement administratif est un document nouveau dans la pratique russe. C’est un acte réglementaire fixant la procédure d’exécution d’actions et de prise de décision par l’organe du pouvoir exécutif, soit à l’occasion d’un recours direct d’un citoyen ou d’une société visant à obtenir la satisfaction de ses droits et intérêts légitimes, soit en raison de l’exécution des attributions qu’il tient de la législation. C’est la loi qui a fixé le cadre juridique des règlements administratifs et des services d’État et municipaux, ce qui se justifie par le fait qu’ils régissent des rapports sociaux déterminés. Le règlement administratif contient les informations nécessaires et suffisantes pour l’obtention d’un service public par un citoyen ou une société, que pour l’exécution de la fonction publique ou du service public. L’application de règlements administratifs permet : d’assurer la réglementation précise de la procédure administrative ; de réduire les délais de délivrance du service aux citoyens et sociétés ; de diminuer le nombre des documents que doit produire le demandeur ; de réduire le nombre des accords à obtenir en interne ; d’établir la liste exhaustive et précise des motifs de refus de fournir le service ; d’utiliser largement les nouvelles technologies de l’information et de communication ; de créer les mécanisme du recours précontentieux contre les décisions, l’action ou l’inaction des autorités administratives intervenant dans la prestation du service public ; d’augmenter la responsabilité personnelle des fonctionnaires pour le respect des procédures administratives. L. K. TERECHTCHENKO : RELATIONS DES USAGERS AVEC L’ADMINISTRATION 253 La procédure administrative constitue une composante de tout règlement administratif et représente du point de vue juridique l’action de l’autorité administrative jusqu’à son terme. Elle en détermine précisément le début (le fait juridique), les stades, les délais d’exécution, les exécutants spécialement chargés du dossier (les fonctionnaires), ainsi que la possibilité de modifier les décisions prises ; celles-ci pouvant devenir le début d’une autre procédure administrative. Les procédures administratives forment une structure ramifiée dont la variété reflète le caractère de telle ou telle fonction publique ou de tel ou tel service public. La loi fédérale n° 210 prévoit que le projet de règlement administratif est élaboré par l’organe en charge du service offert. Cependant, pour éviter que celui-ci prépare un projet répondant à sa propre « commodité », la loi prévoit une série de mesures, parmi lesquelles la publication du projet sur le site officiel de l’organe, la réalisation d’une expertise indépendante et d’une expertise par un organe d’État ou municipal chargé de cette mission. L’expertise indépendante donne une évaluation des possibles effets positifs et négatifs du projet pour les citoyens et les personnes morales. On doit souligner qu’à la série d’expertises commandées s’ajoute l’expertise anti-corruption. L’introduction des expertises élargit significativement les possibilités de participation des citoyens et de l’opinion publique à la préparation, à l’adoption et à l’application des normes juridiques, à l’évaluation des décisions prises et de leurs effets par les organes du pouvoir exécutif et leurs fonctionnaires. Les règlements administratifs, fixant des délais précis pour exécuter telle ou telle action à réaliser par un fonctionnaire, permettent de réduire l’acuité du problème actuel de la pratique russe de la longue attente des décisions des organes de l’État ou des collectivités locales. La législation russe sur l’administration ne connaît pas l’institution, qui existe dans une série d’autres pays, de la décision implicite ; c’est pourquoi le flou s’instaure souvent dans les rapports juridiques : la personne qui adresse une demande à un organe de l’État ou d’une collectivité locale est loin de toujours recevoir une réponse rapide, ce qui rend plus difficile la protection de ses droits. On peut imaginer qu’il serait très utile pour la pratique russe en matière d’application du droit d’introduire dans la législation l’institution de la décision implicite. 3. L’amélioration de la transparence des activités du pouvoir exécutif fait partie intégrante de la réforme administrative, représente une garantie des droits des personnes physiques et morales dans leurs relations avec les organes du pouvoir exécutif. La question de l’accès aux informations a connu récemment des changements substantiels : ont été adoptées la Loi fédérale n° 262 « Sur la 254 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE garantie d’accès aux informations concernant les activités judiciaires en Fédération de Russie » (du 22 décembre 2008) et la Loi fédérale n° 8 « Sur la garantie d’accès aux informations concernant les activités des organes de l’État et des collectivités locales » (du 9 février 2009). Désormais, les obligations de l’administration publique en ce qui concerne la communication d’informations est fixée par la Loi, et tout organe du pouvoir d’État ou d’une collectivité locale est tenu de s’y conformer. Les dispositions qui suivent peuvent être considérées comme les garanties du droit d’accès aux informations établies par la Loi (d’après la loi n° 8 précité) : - possibilité d’exercer un recours contre ses actions illicites : les décisions et l’action (l’inaction) des organes de l’État ou des collectivités locales, de leurs fonctionnaires, qui portent atteinte au droit d’accès aux informations concernant leurs activités peuvent faire objet d’un recours à l’organe ou au fonctionnaire hiérarchiquement supérieur ou auprès du fonctionnaire supérieure, ou en justice ; - si à la suite du refus illégal d’accès aux informations concernant les activités des organes de l’État ou des collectivités locales, soit du retard dans la communication de ces informations, soit de la communication d’informations notoirement inexactes ou ne correspondant pas au contenu de la demande, le demandeur a subi un dommage, celui-ci devra être indemnisé conformément à la législation civile de la Fédération de Russie. - instauration du contrôle et de la surveillance du respect du droit d’accès aux informations concernant les activités des organes de l’État et des collectivités locale : le contrôle est confié aux responsables des organes de l’État et des collectivités et des locales, tandis que la surveillance est exercée par les organes du ministère public (prokuratura) de la Fédération de Russie ; - instauration de la responsabilité pour la violation du droit d’accès aux informations concernant les activités des organes de l’État et des collectivités locales. Les fonctionnaires de ces organes assument la responsabilité disciplinaire, administrative, civile et pénale de ces violations conformément à la législation de la Fédération de Russie. Jusqu’à l’adoption des nouvelles lois, les organes du pouvoir exécutif réglaient les questions d’accès aux informations. Un arrêté du Gouvernement n° 452 du 28 juillet 2005 avait approuvé le Règlement type d’organisation interne des organes fédéraux du pouvoir exécutif. Le chapitre XIII de ce Règlement type fixait les modalités du droit d’accès aux informations concernant les activités de ces organes. Pour l’application de la loi fédérale du 9 février 2009, le Gouvernement de la Fédération de Russie a adopté un nouvel arrêté, du 24 novembre 2009, n° 953 « Sur l’accès aux informations L. K. TERECHTCHENKO : RELATIONS DES USAGERS AVEC L’ADMINISTRATION 255 relatives à l’activité du Gouvernement de la Fédération de Russie et aux organes fédéraux du pouvoir exécutif ». Les technologies modernes d’information et de communication, l’Internet constituent les moyens efficaces pour élever le degré d’ouverture des autorités. À ces fins, les informations sur les décisions des organes du pouvoir exécutif sont publiées sur son site Internet et sont librement accessibles. En règle générale, au niveau fédéral, au niveau des sujets de la Fédération de Russie les organes d’État arrêtent la liste des informations publiées sur l’Internet ; il en va de même pour les collectivités locales qui créent leur propre site. Des garanties d’accès aux informations par les personnes physiques et morales lors de leurs relations avec les autorités administratives sont également prévues par les dispositions de la Loi fédérale du 27 juillet 2006, n° 149 « Sur l’information, les technologies de l’information et la protection des informations », selon laquelle tout citoyen (personne physique) bénéficie du droit d’obtenir de la part des autorités administratives les informations touchant directement à ses droits et libertés. Les personnes morales bénéficient également du droit d’obtenir de la part des autorités administratives les informations touchant directement aux droits et obligations de la société concernée, ainsi que les informations nécessaires à l’exercice de leur activité statutaire. En outre, il est interdit de limiter l’accès aux : 1) actes normatifs touchant aux droits, libertés et obligations de l’homme et du citoyen ou fixant le régime juridique d’organisations ou les attributions des autorités administratives ; 2) informations sur l’état de l’environnement ; 3) informations sur les activités des autorités administratives, ainsi que sur l’utilisation des fonds budgétaires (à l’exception des renseignements constituant des secrets d’État ou de service) ; 4) informations accumulées dans les fonds ouverts des bibliothèques, musées et archives, ainsi que dans les systèmes d’information publics, municipaux et autres créés ou destinés à fournir de telles informations aux citoyens (personnes physiques) et aux personnes morales ; 5) autres informations dont la communication ne peut être limitée, en application de lois fédérales. La garantie de la communication des informations demandées est fondée sur la disposition selon laquelle la personne souhaitant avoir accès aux telles informations n’est pas tenue de justifier la nécessité de leur obtention. La communication des informations intéressant les droits et obligations de la personne concernée sont fournies à titre gratuit. 256 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE 4. Procédures et garanties lors de l’exercice du contrôle public. Comme l’a indiqué la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie dans son arrêt du 1er décembre 1997 n° 18-P, la fonction de contrôle est inhérente à toutes les autorités administratives dans les limites de la compétence qui leur est attribuée, ce qui sous-entend leur autonomie à l’occasion de l’exercice de cette fonction et des formes d’exercice spécifiques pour chacune d’elles. En même temps, le pouvoir d’appréciation dans la définition des types concrets de contrôle de l’État (de la surveillance), de ses fondements, des formes, méthodes, procédures et délais de son exercice est limité par les principes constitutionnels généraux d’organisation du système des autorités administratives, par les lois fédérales. Jusque récemment, le texte législatif de base en ce domaine était la Loi fédérale du 8 août 2001 n° 134 « De la protection de droits de personnes morales et des entrepreneurs individuels lors des contrôles (de la surveillance) exercés par l’État », qui vise la protection de droits des personnes morales et des entrepreneurs individuels lors de ces contrôles. Son adoption a eu une influence positive sur la pratique du point de vue du respect du droit ; cependant, avec le temps est apparue la nécessité de renforcer la protection des droits des personnes morales et des entrepreneurs individuels, ce qui a conduit à l’adoption de la loi fédérale du 26 décembre 2008, n° 294 « Sur la protection des droits des personnes morales et des entrepreneurs individuels au cours des contrôles (surveillance) de l’État et des collectivités locales » (ci-après : loi fédérale n° 294), qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2009 et remplace la loi précédente. Les principaux changements sont les suivants : le champ d’application de la Loi englobe non seulement le contrôle de l’État, c’est-à-dire, le contrôle exercé par les organes fédéraux du pouvoir exécutif et les organes du pouvoir exécutif des sujets de la Fédération de Russie, mais aussi le contrôle exercé par les collectivités locales. En outre, des garanties supplémentaires de protection de droits pendant les contrôles sont introduites, et le commencement de l’activité de certaines catégories d’entreprises est désormais soumis à un régime déclaratif. La Loi établit les modalités d’organisation et du déroulement des contrôles, les droits et les obligations des autorités de contrôle et des entreprises. Le programme des contrôles courants est fixé chaque année par les autorités de contrôle ; il doit être publié sur Internet ou porté à la connaissance des entreprises par tout autre moyen disponible. Il est prévu aussi qu’à partir du 1er janvier 2010, tous les programmes de contrôle sont adressés au Ministère public (Prokuratura) pour l’établissement du programme global des contrôles qui est publié sur le site du Ministère public. Les contrôles courants ne peuvent pas être opérés plus L. K. TERECHTCHENKO : RELATIONS DES USAGERS AVEC L’ADMINISTRATION 257 d’une seule fois tous les trois ans. Des exceptions sont prévues pour les entreprises exerçant leurs activités dans les domaines de la santé publique, de l’enseignement, dans le domaine social. Il est autorisé à les contrôler plus de deux fois en trois ans ; de plus, le nombre de visites n’est pas limité. Pour la première fois, la loi introduit le régime déclaratif pour commencer l’exploitation de certaines catégories d’entreprises (art. 8). Le chef d’entreprise doit notifier le début d’exploitation à l’autorité de contrôle compétente mandatée par le Gouvernement. L’article 8 comprend la liste générale de ces catégories d’activités, mais il appartient au Gouvernement d’établir, dans ce cadre, la liste concrète de travaux et services, dont l’exercice doit être notifié. Le contrôle extraordinaire peut résulter de l’expiration du délai fixé dans une prescription sur l’élimination de la violation constatée précédemment, ainsi que de recours et plaintes de citoyens, personnes morales, entrepreneurs individuels, d’informations provenant d’autres autorités administratives de l’État ou des collectivités locales, des mass média et concernant les faits suivants : a) la survenance d’une menace pouvant causer un dommage à la vie et à la santé des citoyens, un préjudice aux animaux, aux plantes, à l’environnement, à la sécurité d’État, ainsi qu’une situation de catastrophe naturelle ou technologique ; b) la réalisation du dommage à la vie et à la santé de citoyens, du préjudice infligé aux animaux, aux plantes, à l’environnement, à la sécurité d’État, ainsi qu’en cas de situation de catastrophe naturelle ou technologique ; c) violation de droits de consommateurs. Soulignons que la loi établit une présomption de bonne foi de la personne contrôlée. Par rapport au caractère administratif et juridique de relations entre l’autorité de contrôle et la personne contrôlée, cela signifie que la constatation de la violation d’obligations ne suffit pas encore, en tant que tel, pour mettre en cause la responsabilité de la personne contrôlée. Il est nécessaire de prouver que la violation a été causée par sa faute. La charge de la preuve incombe à l’autorité de contrôle. De cette manière, la présomption de bonne foi est l’une des garanties importantes du respect des droits des personnes contrôlées. Une autre garantie importante est prévue par la Loi. Des obligations ne peuvent être imposées que par la loi fédérale et les actes réglementaires pris pour son application. Il en découle une conséquence importante : les règlements qui établissent des obligations qui ne sont pas conformes à la loi fédérale sont nuls (totalement ou en partie). De cette manière, le pouvoir d’appréciation et le risque d’arbitraire des fonctionnaires se trouvent fortement réduits. 258 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Rappelons les autres garanties dont bénéficient les personnes contrôlées lors des opérations de contrôle : possibilité de faire un recours contre l’action (l’inaction) de fonctionnaires des autorités du contrôle (de la surveillance) de l’État ou de la collectivité locale qui outrepassent leurs pouvoirs ; élimination par les autorités de contrôle de la totalité des violations des règles du contrôle commises au cours du contrôle, reconnues par le tribunal sur recours de la personne contrôlée ; engagement de la responsabilité des autorités du contrôle (de la surveillance) de l’État ou de la collectivité locale et de leurs fonctionnaires pour la violation de la loi dans les opérations de contrôle (de surveillance). Il est également pertinent de classer parmi les garanties des droits des personnes morales à l’occasion des opérations de contrôle la réglementation assez détaillée de ces opérations. Ainsi, les opérations de contrôle ne peuvent être exercées qu’en vertu des décisions (des ordres) des autorités compétentes. Par ailleurs, la mesure de contrôle ne peut être exercée que par le fonctionnaire désigné dans la décision (l’ordre) relatif à l’opération de contrôle. La fixation de la durée maximale des opérations de contrôle et de la fréquence des contrôles vise également à protéger les droits des personnes morales lors des opérations de contrôle et leurs relations avec les organes du pouvoir exécutif. La loi n° 294 a établi des limites aux opérations de contrôle. Ces limites portent sur la réglementation des opérations de contrôle et visent au fond à la protection des droits de personnes morales. La loi réglemente strictement la forme sous laquelle sont présentés les résultats des opérations de contrôle, le contenu de l’acte de vérification, la liste des documents annexés (échantillons et tests de produits, les enquêtes sur place en matière environnementale, les procès-verbaux (les rapports) d’études (essais) et expertises effectuées, les explications des fonctionnaires ayant effectué le contrôle, les employés tenus pour responsables des violations des obligations, et autres documents ou leurs copies, liés aux résultats du contrôle). Un exemplaire de ce rapport avec les copies des annexes doit obligatoirement être remis contre reçu au dirigeant de la personne morale ou à son suppléant, ou à l’entrepreneur individuel ou à leurs représentants, ou envoyé par une lettre recommandée avec accusé de réception, l’avis de réception étant annexé à l’exemplaire d’acte conservé dans le dossier de l’autorité de contrôle (de surveillance). Lors des opérations de contrôle, les fonctionnaires qui en sont chargés sont tenus de : - Ne pas faire obstacle à la présence des représentants de la personne morale ou de l’entrepreneur individuel pendant les opérations de contrôle, donner des explications sur les questions ayant trait à l’objet du contrôle ; L. K. TERECHTCHENKO : RELATIONS DES USAGERS AVEC L’ADMINISTRATION 259 - Communiquer aux responsables de la personne morale ou aux entrepreneurs individuels ou à leurs représentants, présents pendant les opérations de contrôle, les informations nécessaires relatives à l’objet du contrôle ; - Porter à la connaissance des responsables de la personne morale ou des entrepreneurs individuels ou à la connaissance de leurs représentants les résultats des opérations de contrôle ; - Ne pas autoriser des limitations injustifiées aux droits et intérêts légitimes des citoyens, des personnes morales et des entrepreneurs individuels ; - Prouver la légalité de leurs actes en cas de recours de la personne contrôlée. La responsabilité des autorités du contrôle (de la surveillance) et de leurs fonctionnaires est engagée en cas d’action (ou d’inaction) illégale pendant les opérations de contrôle. À cette occasion, il faut reconnaître l’importance de la norme imposant aux autorités du contrôle (de surveillance) l’obligation de porter, dans le délai d’un mois, à la connaissance de la personne morale et/ou de l’entrepreneur individuel dont les droits et les intérêts légitimes ont été violés, les mesures prises à l’égard des auteurs de ces violations. Plusieurs dispositions de la loi assurent aux personnes morales et entrepreneurs individuels la possibilité d’intervenir activement dans les opérations de contrôle. La loi prévoit en outre la compensation des pertes subies par la personne contrôlée du fait des opérations de contrôle. 5. Compensation des pertes subies du fait des opérations de contrôle. L’article 53 de la Constitution de la Fédération de Russie dispose que toute personne bénéficie du droit à l’indemnisation de la part d’État du dommage causé par l’action (l’inaction) illégale des autorités administratives ou par leurs fonctionnaires. L’article 16 du Code civil de la Fédération de Russie concrétise cette disposition constitutionnelle et dispose que les pertes ainsi causées au citoyen ou à la personne morale donnent lieu à indemnisation par la Fédération de Russie, par le sujet de la Fédération de Russie ou par la collectivité locale. Le recours est formé par la personne dont les droits ont été violés. Le recours est adressé soit au tribunal du droit commun, soit au tribunal d’arbitrage, conformément aux règles de compétence établies par le Code de procédure civile et le Code de procédure d’arbitrage. L’article 1071 du Code civil de la Fédération de Russie définit les autorités et les personnes qui font l’objet d’actions en dommages et intérêts et qui représentent l’État (respectivement la Fédération ou le sujet de la Fédération) ou la collectivité locales pour l’indemnisation du dommage. 260 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Selon cette disposition, dans le cas où le dommage doit être indemnisé aux frais du Trésor public, les autorités financières correspondantes plaident en défense au nom du Trésor. En même temps, si un citoyen ou une personne morale fait un recours direct contre l’organe de l’État ou de la collectivité locale sous l’autorité duquel la violation a été commise, cela ne constitue pas un motif d’irrecevabilité. Dans ce cas, le tribunal traduit en justice en qualité de défendeur l’autorité financière ou une autre autorité habilitée. C’est la position adoptée par les tribunaux. Si le recours obtient satisfaction, l’indemnité est imputée sur le budget correspondant, et à défaut de ressources – sur d’autres biens de l’autorité en cause ou de l’organe de l’État ou de la collectivité locale dont elle relève. Constituent un motif d’indemnisation les pertes résultant de : а) des actons ou de l’inaction illégale des autorités ou des fonctionnaires de ces autorités ; b) l’édition d’un acte non conforme à la loi ou à un autre acte juridique. Sont reconnues illégales les actions faites en violation de la législation de la Fédération de Russie. Il peut s’agir d’injonctions, de prescriptions, ou d’ingérences dans les activités économiques de l’entreprise. L’inaction est entendue comme l’inexécution par une autorité (par ses fonctionnaires) des obligations qui lui incombent en vertu de dispositions législatives ou réglementaires. L’inaction est également le manquement aux actions prescrites par la législation (par exemple, le manquement à l’enregistrement d’une personne morale, cf. art. 51 C. civ.). L’autorité répond de l’infraction commise par l’indemnisation totale du dommage subi. Selon l’article 15 du Code civil, on entend par les dommages les dépenses que la personne dont les droits ont été violés a effectuées ou doit effectuer pour être rétablie dans ses droits – la compensation des pertes ou dommages causés à ses biens (dommages matériels). Sont également considérés comme dommages les revenus non perçus que la personne concernée aurait dû percevoir dans les conditions habituelles, si son droit n’avait pas été violé (manque à gagner). Pour l’indemnisation des dommages, doivent être réunies les conditions suivantes : - L’illégalité de l’action (de l’inaction) de l’autorité administrative, de ses fonctionnaires ; - L’existence réelle d’un dommage ; - Une relation de causalité entre l’action (l’inaction) illégale et le dommage ; - La faute de l’autorité, de ses fonctionnaires. La preuve du dommage et de la relation de causalité incombe à la victime. L’autorité administrative est exonérée de sa responsabilité si elle démontre qu’elle n’a commis aucune faute. L. K. TERECHTCHENKO : RELATIONS DES USAGERS AVEC L’ADMINISTRATION 261 6. Procédures et garanties à l’occasion de la délivrance des autorisations et licences pour l’exercice de certaines activités. La Constitution de la Fédération de Russie garantit la liberté des activités économiques (art. 8, part. 1). N’étant pas absolue, la liberté des activités d’entreprise et d’autres activités économiques non interdites peut être limitée par la loi, mais seulement dans la mesure où cela est nécessaire à la protection des bases du régime constitutionnel, de la moralité, à la protection de la santé, des droits et intérêts légitimes d’autres personnes, à la défense du pays et à la sécurité de l’État. Selon l’article 49.1 du Code civil de la Fédération de Russie, certaines catégories d’activités dont la liste est définie par la loi ne peuvent être exercés par une personne morale (ou par l’entrepreneur individuel) qu’en vertu d’une autorisation spécifique dénommée « licence ». Par conséquent, une licence n’est nécessaire que pour l’exercice des catégories d’activités directement énumérées dans la loi. Cette loi est la loi fédérale du 8 août 2001, n° 128 « Sur la délivrance de licences pour certains types d’activités ». Font partie de ces catégories les activités dont l’exercice cause un préjudice aux droits et à la santé de personnes, à la défense et à la sécurité de l’État, au patrimoine culturel des peuples de la Fédération de Russie et celle dont la réglementation ne peut s’exercer par d’autres méthodes que la délivrance de licences. L’un des objectifs de la réforme administrative en cours est la réduction des catégories d’activités sous licence. En 1998, la liste comprenait 214 catégories d’activités dont l’exercice nécessitait l’obtention d’une licence (il s’agit du nombre exact des catégories d’activités initialement visées par l’article 17 de la loi fédérale du 25 septembre 1998, n° 158). À la date de l’adoption de la nouvelle Loi sous la même dénomination (loi du 8 août 2001), la liste s’est réduite jusqu’aux 120 catégories et elle continue à diminuer (la liste indiquée dans ne comprend plus que 84 catégories d’activités dont l’exercice est subordonné à l’obtention de licences). Il est à noter que le champ d’application de la Loi ne concerne pas certains types d’activités (par exemple, les activités des établissements de crédit, les activités dans le domaine des communications, les activités douanières, les activités des notaires) régies par des lois spéciales ; par conséquent, la liste des activités dont l’exercice est conditionnée par une licence est en réalité plus longue que celle figurant dans la Loi. Mais l’obligation d’obtenir une licence doit être obligatoirement prévue par la loi. La délivrance de licences est un domaine qui donne lieu à de fréquents abus de la part des organes du pouvoir exécutif. Les procédures et les garanties prévues, en premier lieu, par la Loi fédérale « Sur la délivrance de licences pour certains types d’activités » sont donc particulièrement 262 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE importantes. Peut être considérée comme une garantie la norme interdisant aux autorités délivrant les licences de réclamer au demandeur de la licence la présentation des documents qui ne sont pas prévus par la Loi fédérale. La demande de licence et les documents annexés sont enregistrés le jour de leur réception par l’autorité délivrant les licences, et une copie de cet enregistrement portant mention de la date de réception de la demande et des documents joints est adressée au demandeur de la licence. Les intérêts du demandeur sont également protégés par la fixation des délais pour la décision de l’autorité administrative qui délivre la licence ou rejette la demande, par l’obligation pour cette autorité de notifier la décision prise au demandeur, dans le délai prescrit, et par l’obligation de motiver le refus éventuel. Les motifs du refus de délivrer la licence sont établis par la Loi précitée de manière exhaustive : - Les informations contenues dans les documents accompagnant la demande sont fausses ou ont été falsifiées ; - Le demandeur de la licence ou les installations lui appartenant ou utilisées par lui ne satisfont pas aux conditions légales. 7. Les recours contre l’action (l’inaction) et les décisions des autorités administratives et de leurs fonctionnaires. L’une des principales garanties du respect de droits et de libertés est constituée par la possibilité de formuler un recours contre l’action (l’inaction) et les décisions des autorités administratives et de leurs fonctionnaires. La protection des droits de personnes physiques et morales est exercée par la voie administrative (recours à l’autorité hiérarchique supérieure (au responsable hiérarchique supérieur) et/ou en justice. En même temps, la question de savoir où et avec quelle demande peut s’adresser la personne à laquelle le service rendu n’était pas de la qualité prévue, ou ne correspondait pas aux standards approuvés ne trouve pas, pour l’instant, de réponse précise et non ambiguë. Outre le recours à la justice ou à une autorité hiérarchique supérieure par rapport à l’autorité (au fonctionnaire) auteur de l’acte (de l’action ou de l’inaction) contesté, il est possible de saisir le Ministère public ou le Défenseur pour les Droits de l’homme en Fédération de Russie. Selon l’article 30.1 du Code des infractions administratives de la Fédération de Russie, l’arrêté pris sur une infraction administrative peut faire objet d’un recours adressé, selon son auteur : à l’instance judiciaire supérieure (si les poursuites ont été engagées devant un tribunal), au tribunal d’arrondissement (raion) ou au tribunal d’arbitrage du siège de l’organe collégial (si l’arrêté est prononcé par une autorité collégiale), à l’autorité hiérarchique supérieure, au responsable hiérarchique supérieur, ou au L. K. TERECHTCHENKO : RELATIONS DES USAGERS AVEC L’ADMINISTRATION 263 tribunal d’arrondissement ou au tribunal d’arbitrage (si les poursuites ont été engagées par un fonctionnaire). De cette manière la législation en vigueur prévoit deux procédures de réexamen des arrêtés concernant les infractions administratives : extrajudiciaire et judiciaire. À cette occasion, le droit de choisir les modalités concrètes de recours contre l’arrêté sur l’infraction administrative est d’habitude laissé à la personne dont la responsabilité administrative est mise en cause. Aujourd’hui, la législation russe en matière administrative ne prévoit pas un régime général de recours administratif (extrajudiciaire) obligatoire contre les arrêtés prononcés au terme de poursuites administratives. Néanmoins, ce type de procédure n’est pas inconnu de la législation russe, (v. not. l’article 104.1 du Code fiscal de la Fédération de Russie). Le perfectionnement et le développement de la procédure administrative constitue une garantie importante des droits de ceux qui n’exercent pas le pouvoir. Un grand nombre de textes législatifs réglementent en détail les modalités du recours contre les actions (l’inaction) et les décisions des autorités du pouvoir exécutif et de leurs fonctionnaires dans des domaines précis. Notamment, le Code fiscal, le Code des Douanes contiennent des parties spécifiques sur les recours. Pourtant, il apparaît que pour les personnes physiques et morales il est important d’avoir une bonne compréhension de la succession de leurs démarches dans les relations concrète avec des autorités administratives concrète. Cet objectif est atteint par l’introduction de dispositions correspondantes dans les règlements administratifs. Outre la mention du droit de saisir le tribunal, les règlements administratifs contiennent également les informations pour les personnes s’adressant à l’autorité administrative : - Sur les personnes habilitées à examiner les plaintes de citoyens ; - Sur les types de décisions prises en exécution du règlement administratif qui peuvent faire l’objet d’un recours ; - Sur l’ensemble des infractions disciplinaires pouvant faire objet d’un recours ; - Sur les procédures d’enquête interne ; - Sur les procédures de décision sur plaintes des citoyens, incluant leur examen avec intervention de l’auteur de la plainte ; - Sur les critères pouvant servir à définition des formes d’inaction des fonctionnaires. Selon les données de la Cour supérieure d’Arbitrage de la Fédération de Russie, après une diminution pendant quelques années, le nombre des 264 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE recours adressés aux tribunaux d’arbitrage pour les litiges économiques résultant de rapports avec l’administration et d’autres rapports de droit public est de nouveau en augmentation. Ainsi, le nombre de ces recours a augmenté en 2008 de 5,6% par rapport à 2007 : 468 833 recours en 2007 contre 495 025 en 2008. Le poids spécifique de ces affaires dans le volume total des affaires jugées par les tribunaux s’élève à 48,7%. Parmi les affaires concernant la contestation de décisions des autorités administratives portant sur l’engagement de poursuites administratives, pratiquement un quart (10 551 ou 24,2%) correspond aux dossiers de contestation des décisions des autorités fiscales. Dans 7,6% des cas, les tribunaux d’arbitrage ont statué sur des affaires dans lesquelles étaient contestées les décisions des autorités douanières sur l’engagement des poursuites administratives à l’encontre de personnes morales et d’entrepreneurs individuels. S’agissant des décisions des autorités exerçant le contrôle dans le domaine de la protection de l’environnement, ont été examinés 3 250 affaires, ou 7,5% du nombre total des affaires visant à contester les décisions des autorités administratives sur l’engagement des poursuites administratives. Dans 1 404 des cas ont été contestées les décisions des autorités de la concurrence. En outre, ont été examinées 1 002 affaires sur la contestation des décisions des autorités responsables de l’exécution des budgets. L’analyse des données statistiques concernant les recours contre les décisions des autorités administratives sur l’engagement des poursuites administratives témoigne que la part des affaires dans lesquelles les réclamations de demandeurs ont été satisfaites a représenté en 2008 en moyenne 59,4% (contre 55,7% en 2007). Le taux de succès des recours, aboutissant à l’abrogation de la décision de l’autorité poursuivante a été par secteur et par ordre décroissant : les décisions des autorités chargées du contrôle d’utilisation des sols (67,7%), des autorités exerçant le contrôle dans le domaine de la protection de l’environnement (64,2%), des autorités responsables pour l’exécution des budgets (58,1%), des autorités fiscales (57,3%). Parmi les affaires concernant la contestation d’actes non réglementaires, plus de la moitié (51,3%) est constituée par des recours contre des décisions illégales des autorités fédérales. Les recours contre des décisions des autorités des sujets de la Fédération et des autorités des collectivités locales représentent respectivement 9,7 et 15,9% des affaires. Au cours de la période examinée, les recours contre des actes non réglementaires ont obtenu satisfaction devant les tribunaux d’arbitrage en moyenne dans 32,7% des cas, c’est-à-dire que les actes irréguliers contestés ont été déclarés nuls ou les décisions illégales. L. K. TERECHTCHENKO : RELATIONS DES USAGERS AVEC L’ADMINISTRATION 265 8. Engagement des poursuites administratives. La législation en vigueur garantit aux personnes physiques et morales la possibilité d’une participation active dans le règlement de leurs affaires par les autorités administrative et en justice. En vertu de l’alinéa 6 de l’article 28.2 du Code sur les infractions administratives de la Fédération de Russie, une copie du procès-verbal constatant l’infraction administrative doit être remise contre un reçu à la personne physique ou au représentant légal d’une personne morale faisant l’objet des poursuites intentées pour l’infraction administrative, ainsi qu’à la victime. Avant le 16 décembre 2003, la remise d’une copie du procès-verbal constatant l’infraction administrative n’était obligatoire que sur la demande de la personne poursuivie. En vertu de l’amendement introduit par la Loi fédérale du 8 décembre 2003, n° 161 « Sur la mise en conformité du Code de la procédure pénale de la Fédération de Russie » et d’autres actes législatifs avec la Loi fédérale « Sur des modifications et additions au Code pénal de la Fédération de Russie », la communication du procès-verbal est impérative, indépendamment de la demande ou de l’absence de demande du sujet poursuivi. Les personnes impliquées dans la procédure d’infraction administrative ont le droit de fixer par écrit ou au moyen d’un enregistrement sonore le déroulement de l’examen du dossier. Elles ont également le droit de soumettre des requêtes devant être obligatoirement examinées par le juge, l’autorité, le fonctionnaire statuant (selon les cas) sur l’affaire concernée, de prendre connaissance avec toutes les pièces du dossier, de produire des explications, de présenter des preuves, de demander des récusations, d’utiliser l’assistance juridique d’un défenseur et aussi de bénéficier d’autres droits procéduraux prévus par le Code sur les infractions administratives. En règle générale, une infraction administrative est examinée avec la participation de la personne poursuivie. L’affaire ne peut être examinée en son absence que dans les cas prévus par l’article 28. 6 (paragraphe 3) du Code sur les infractions administratives, c’est-à-dire s’il apparaît que le lieu et l’heure de l’audience ont bien été notifiées à la personne poursuivie et si celle-ci, étant absente, n’a pas demandé le report, ou si sa demande de report est rejetée. On peut dégager les particularités suivantes de règlement des contentieux administratifs par les tribunaux : - les délais de procédure plus courts ; - le rôle plus actif du tribunal dans la collecte des preuves, dans la convocation des parties ; - l’imputation de la charge de la preuve pour les affaires administratives aux autorités administratives. LA GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES Jean-Marie PONTIER La notion de service public, qui a connu en France un développement remarquable, est une notion clé de toute intervention publique dans un État qui reconnaît un rôle important à la puissance publique. Le service public est, en France, où l’on peut considérer que la notion est apparue en premier, une invention, d’abord du juge, mais également de la doctrine (les professeurs de droit) qui a largement commenté la jurisprudence et a élaboré de véritables théories du service public. Le législateur a tout naturellement repris, ensuite, cette notion, et l’a consacrée à maintes reprises. Le service public est une notion qui a aujourd’hui largement débordé le droit au sens strict, elle est devenue une notion « populaire » en ce sens que, d’une part, elle est reprise par des non juristes et dans un cadre non juridique (par exemple les syndicats, qui parlent, notamment en cas de grève, de « défense du service public »), d’autre part elle est évocatrice, c’est-à-dire que les citoyens mettent un contenu dans cette notion, qui est perçue de manière favorable, et même si cela ne correspond pas à la notion juridique. Si l’on s’en tient au point de vue juridique, le service public est défini traditionnellement par deux composantes, ou deux aspects, l’aspect organique et l’aspect matériel. Ce dernier est à la fois le plus facile et le plus difficile à définir : c’est le plus facile parce que tout le monde s’accorde à dire que la finalité du service public c’est l’intérêt général, il ne peut y avoir service public que parce qu’il y a poursuite d’un intérêt général ; mais c’est également l’aspect le plus difficile parce que toute la question est de savoir ce qu’est l’intérêt général, et l’on conçoit immédiatement que cette notion d’intérêt général est une notion relative parce que, dans un même pays, tel que la France, elle évolue selon les périodes mais également selon les 268 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE conceptions des gouvernants, qui définissent, sous un certain contrôle du juge, ce qui est et ce qui n’est pas d’intérêt général. À plus forte raison peuton penser que l’intérêt général n’est pas perçu de la même manière par deux pays, il faut tenir compte de l’histoire propre et de la « culture » de chacun d’eux. L’aspect organique est relatif à la personne qui gère le service public. Au départ, si l’on peut dire (le départ, c’est après la Révolution, c’est même la seconde moitié du XIXe siècle) il y a conjonction entre la composante organique et la composante matérielle : le service public est géré par les personnes publiques, dont l’unique finalité est la satisfaction de l’intérêt général, tandis que les personnes privées sont considérées comme poursuivant un intérêt privé, qui peut être un intérêt lucratif ou autre. Un point est important, dans l’histoire administrative française, c’est l’existence, non pas seulement d’un droit administratif, qui a été forgé peu à peu au fil du temps, mais également d’un juge administratif spécialisé appliquant ce droit administratif, en particulier le Conseil d’État. Et l’on va considérer que les personnes publiques sont soumises au droit administratif et au juge administratif, tandis que les personnes privées sont soumises au droit privé et au juge judiciaire. Au milieu du XIXe siècle, la conjonction est donc parfaite : les personnes publiques gèrent des services publics soumis au droit public et le juge compétent pour en connaître est le juge administratif. Les choses vont progressivement changer, à partir du début du XXe siècle, sous l’influence de deux facteurs. D’une part, il va apparaître que les personnes publiques agissent parfois de la même manière que de simples particuliers et, dans ce cas, il n’y a pas de raison d’appliquer à l’administration le droit administratif et de soumettre l’administration à un juge spécifique, le juge administratif. Cette application du droit privé à l’action administrative va s’opérer en deux temps. Dans un premier temps ce n’est que ponctuellement que l’administration va échapper au droit public et au juge administratif, pour un acte déterminé, par exemple pour un contrat dont il va apparaître qu’il a été conclu avec une personne privée dans les mêmes conditions qui auraient été celles de n’importe quel contrat conclu par une personne privée. Dans un second temps, il va apparaître que, pour certaines personnes publiques, c’est tout un pan de leur activité qui fonctionne de la même manière qu’une activité comparable. Le juge va alors opérer une distinction (en 1921) au sein du service public et consacrer la notion de service public à caractère industriel et commercial (SPIC), à côté du service public « traditionnel » que l’on va dès lors dénommer service public administratif (SPA). D’autre part, ce découplage entre la nature de la personne en cause et le droit applicable devait avoir nécessairement un retentissement sur les personnes privées. Car si les personnes publiques peuvent, dans certaines M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 269 conditions, se conduire comme des personnes privées, et se voir appliquer le droit privé, tout en gérant un service public, comment n’aurait-on pas pu admettre que, parallèlement, les personnes privées puissent poursuivre un intérêt général, gérer un service public et être soumises, éventuellement, au droit public ? Cette évolution était d’autant plus inévitable que, si l’on remonte un peu dans l’histoire, on se rend compte que ce que nous appelons aujourd’hui services publics était assuré par des personnes privées, même si c’étaient, à l’époque, des personnes privées un peu particulières : sous l’Ancien Régime, avant 1789, l’éducation, les services « sociaux », étaient assurés par l’Église catholique. Après la Révolution, de multiples organisations ont continué à assurer des missions sociales qui, incontestablement, sont des services publics. C’est pourquoi le juge a fini par consacrer la possibilité pour des personnes privées, d’abord pour les services publics les moins « contestables », c’est-à-dire les services publics sociaux, puis pour toutes sortes d’autres services publics, de gérer un ou plusieurs services publics. À la suite de cette reconnaissance, d’abord jurisprudentielle, puis législative, pour des personnes privées, de gérer un service public, cette situation est devenue de plus en plus fréquente, et, sur le plan juridique, il faut ajouter quatre précisions. En premier lieu, dans cette reconnaissance de la possibilité pour une personne privée de gérer un service public, la nature juridique de la personne privée importe peu : il peut s’agir d’associations (qui, en France, sont obligatoirement des personnes poursuivant un but non lucratif), mais il peut s’agir aussi de sociétés, même si cette situation est moins fréquente. En deuxième lieu, une personne privée peut aussi bien gérer un service public administratif qu’un service public à caractère industriel et commercial. Certes, on pourrait penser que la seconde situation est plus fréquente que la première mais, en réalité, il existe de très nombreux services publics administratifs (ceux de caractère social, qu’il s’agisse de protection sociale, d’éducation, de santé, ou ceux de caractère culturel) gérés par des personnes privées (notamment des associations). En troisième lieu, dans le cadre de la gestion d’un service public une personne privée peut prendre des actes (actes unilatéraux ou contrats) qui, éventuellement, pourront être considérés comme des actes administratifs ou des contrats administratifs relevant, dès lors, de la compétence du juge administratif. En quatrième lieu, la dévolution du service public à la personne privée peut s’opérer, juridiquement, de deux manières. Soit elle est unilatérale et, dans ce cas, le législateur décide de confier à une personne privée un service public. Il faut seulement préciser que l’habilitation n’est pas toujours explicite et qu’il arrive au juge de constater « qu’il résulte de la loi » qu’une 270 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE personne privée s’est vu confier un service public. Soit l’habilitation est contractuelle, et c’est cette dernière que l’on va présenter, à travers les divers modes contractuels de gestion du service public. En simplifiant, on peut dire que le choix du mode de gestion d’un service public est conditionné par la distinction entre le « faire » et le « faire faire » : ou bien la collectivité veut gérer elle-même, elle « fait », c’est la gestion directe des services ; ou bien elle confie la gestion à une autre personne, c’est le « faire faire ». Mais ce « faire faire » est lui-même susceptible de plusieurs modalités, très différentes : le « faire faire » peut être confié à une personne privée, c’est la situation que l’on retrouve le plus fréquemment dans les pays occidentaux comparables à la France, mais, en France, on peut trouver une délégation du service public par une personne publique à une autre personne publique, notamment à un établissement public, qui est une personne publique spécialisée. On envisagera tout d’abord les contrats comportant délégation de services publics. Mais il faut distinguer, aujourd’hui, deux types de catégories de contrats, les contrats que l’on peut qualifier de « classiques » parce qu’ils existent depuis longtemps, et les nouveaux types de contrats, apparus depuis quelques années seulement, parmi lesquels, notamment, les « contrats de partenariat », fort à la mode actuellement. On ajoutera à tout cela, une catégorie de contrats qu’il faut présenter, qui ne comportent pas délégation de services publics, mais qui occupent une place importante, en particulier les marchés publics. I. LES CONTRATS CLASSIQUES COMPORTANT DÉLÉGATION DE LA GESTION D’UN SERVICE PUBLIC L’expression « délégation de service public », aujourd’hui utilisée, résulte d’une loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République (et que l’on nomme, pour cette raison, loi ATR). Elle recouvre des catégories traditionnelles de contrats, mais qui ont été renouvelées sous l’influence, notamment, du droit communautaire. Les contrats de délégation de service public présentent un certain nombre de caractéristiques communes : ils résultent obligatoirement d’un contrat (il ne peut y avoir de délégation unilatérale) ; la délégation peut comporter la dévolution d’une partie ou de l’ensemble du service public et porter aussi bien sur un service public administratif que sur un service public à caractère industriel et commercial ; elle doit confier au délégataire la gestion même du service public, elle ne doit pas se borner à fournir au service les moyens ; la rémunération du concessionnaire doit comporter une M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 271 part d’aléas économique et financier. On peut distinguer la concession des autres formes de délégation de service public. A. – La concession La concession est un contrat par lequel une personne publique, appelée concédant, confie à une autre personne, qui est normalement une personne privée, et qui est appelée concessionnaire, la gestion d’un service public ou la réalisation d’un travail public, ou les deux à la fois, à charge pour ce concessionnaire de se rémunérer sur les usagers en leur faisant acquitter une redevance pour le service fourni. Il peut exister une concession de travail public sans service public (ce fut le cas de la concession de chutes d’eau en zone montagneuse pour la réalisation d’un barrage) et concession de service public sans concession de travail public. L’hypothèse la plus fréquente est cependant celle dans laquelle on trouve simultanément une concession de travail public et une concession de service public. Tel est le cas lorsque le concessionnaire se voit confier la réalisation d’un ouvrage public et, lorsque celui-ci est achevé, l’exploitation de cet ouvrage, par exemple les travaux autoroutiers (construction et gestion d’autoroutes, ponts à péage, tunnels routiers). Originellement le concessionnaire est une personne privée et, au 19e siècle, pour la construction des canaux d’abord, des chemins de fer ensuite, ce fut la solution qui fut adoptée. Au 20e siècle, on a pu rencontrer des situations qui s’écartaient de ce schéma dans la mesure où le concessionnaire a pu être une personne publique. Cela correspond aux nationalisations qui ont été opérées en France en 1936, puis en 1946 et en 1981-1982. La loi de nationalisation de l’électricité et du gaz, qui a créé les établissements publics d’EDF (Electricité de France) et de GDF (Gaz de France) a laissé subsister certaines entreprises de production d’électricité ou de gaz, notamment les entreprises de production dont disposaient certaines communes de montagne, mais ces communes ont dû concéder à EDF la distribution de l’électricité qu’elles produisaient. De même encore la loi sur la communication audiovisuelle a prévu la possibilité de concéder l’exploitation d’entreprises de communication à des personnes publiques ou privées. Il est vrai qu’à la date de cette loi certaines de ces entreprises étaient sous forme de personnes publiques, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. La conclusion du contrat de concession a longtemps été dominée par le principe de l’intuitu personae, c’est-à-dire le choix fait par la personne publique de son concessionnaire en considération de la personne, et l’on estimait que c’était là l’une des caractéristiques de la concession. Celle-ci doit obéir aujourd’hui, sous l’influence du droit communautaire, à une mise 272 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE en concurrence effective, mais qui ne supprime pas la liberté de choix du concédant, ce choix demeurant librement effectué. Au départ, la durée de la concession était généralement longue, parce que l’on estimait que cela était nécessaire pour permettre au concessionnaire d’amortir les investissements qu’il avait réalisés. Aujourd’hui la loi (art. L. 1411-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT)) impose une limitation de cette durée, qui est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au concessionnaire. Il est seulement précisé que dans le domaine de l’eau potable, de l’assainissement, des ordures ménagères et autres déchets, les délégations ne peuvent pas avoir, en principe, une durée supérieure à vingt ans. Une prorogation de la concession est possible à condition de ne pas excéder un an. La concession comporte deux types d’actes, le cahier des charges, qui est rédigé en fonction d’un cahier des charges type applicable en fonction de l’objet du contrat de concession, et le contrat de concession proprement dit, qui est la partie contractuelle du document. Ce contrat de concession comprend des dispositions qui sont pour partie réglementaires (ce sont les clauses du contrat relatives aux conditions de gestion du service public concédé) et pour partie véritablement contractuelles (ce sont celles relatives aux conditions financières du contrat, qu’il s’agisse des tarifs, des recettes, des subventions et aides diverses). Le contrat de concession est soumis au droit de la concurrence. Les relations entre le concédant et le concessionnaire sont commandées par cette double nature du contrat, le concédant disposant à l’égard du concessionnaire de pouvoirs exorbitants, mais également d’obligations exorbitantes. Les pouvoirs du concédant sont des pouvoirs de contrôle de la bonne exécution du contrat, avec la possibilité de donner des ordres, ce sont également des pouvoirs de sanction, sanctions financières (pénalités) et sanctions administratives (avec la possibilité de mise sous séquestre de l’exploitation). Ce sont également des pouvoirs de modification unilatérale du contrat, qui ont soulevé beaucoup de discussions, car ils apparaissent comme les plus dérogatoires au droit commun. Cependant, si un tel pouvoir a effectivement été reconnu au concédant, et ceci dans tous les types de concession, il n’est pas aussi étendu qu’on l’a parfois prétendu, ce n’est pas un pouvoir discrétionnaire, il doit être commandé par l’unique préoccupation de l’intérêt général, et il est étroitement contrôlé par le juge administratif. Le concédant a également des obligations : il est tenu de garantir l’exécution paisible du contrat, il doit respecter les conditions de rémunération et, plus généralement, les conditions de ce que l’on appelle « l’équilibre financier » du contrat, qu’il ne peut remettre en cause (c’est M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 273 pourquoi, si le concédant aggrave les conditions d’exécution du contrat, il doit compenser financièrement ces charges nouvelles). Le concédant doit également venir en aide à son cocontractant si celui-ci rencontre des difficultés, car il importe avant tout que l’intérêt général soit satisfait, que le service ne soit pas interrompu, et cette obligation apparaît en particulier dans la théorie que l’on appelle la théorie de l’imprévision. Le concessionnaire dispose de droits et se trouve soumis à des obligations qui sont l’exacte contrepartie des droits et des obligations du concédant. Il a le droit à ce que certains moyens d’action lui soient accordés, ces droits consistant par exemple en prérogatives de puissance publique, avec la possibilité d’exproprier, des droits d’occupation du domaine public. Il a droit, naturellement, à rémunération, celle-ci consistant en une redevance perçue sur les usagers du service public, il a droit à l’équilibre financier du contrat. Il peut se voir reconnaître un certain nombre de privilèges tels que le monopole d’exploitation et, lorsque cela est juridiquement possible, la protection contre la concurrence. Il peut exiger du concédant que celui-ci lui vienne en aide s’il rencontre des difficultés. Le concessionnaire a également des obligations : obligation d’exécuter correctement et loyalement le contrat, obligation d’accomplir les travaux supplémentaires qui lui sont demandés par le concédant, soumission aux contrôles et aux ordres de service du concédant, interdiction de recourir à la sous-traitance sans l’accord du concédant. La concession prend fin, normalement, par l’arrivée du terme prévu, c’est-à-dire l’expiration de la durée pour laquelle le contrat avait été conclu. Mais il existe d’autres hypothèses de fin de la concession : il peut s’agir de la survenance d’un cas de force majeure, il peut s’agir également du rachat de la concession, qui constitue un droit pour le concédant, il peut s’agir enfin de la déchéance, qui constitue la plus grave des sanctions pouvant être prononcées contre le concessionnaire. B. – Les autres contrats de délégation de service public Parmi les contrats de délégation de service public on trouve, outre la concession, des types de contrats tels que l’affermage ou la régie intéressée. L’affermage est un contrat par lequel une personne publique charge, sous son contrôle, un cocontractant appelé fermier, d’exploiter un service public moyennant la perception de redevances sur les usagers. L’affermage se rapproche donc de la concession, mais une double différence l’en distingue. D’une part, le fermier prend en charge un service public qui existe déjà, il reçoit de l’administration des ouvrages et des installations qu’il n’a pas lui-même créés ; d’autre part, il verse à l’administration une redevance 274 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE pour l’utilisation de ces ouvrages. Une autre différence importante existe dans le régime juridique applicable : le juge se reconnaît le pouvoir d’annuler la résiliation illégale d’une concession, il ne se reconnaît pas ce pouvoir dans le cas d’un affermage, dans cette dernière hypothèse l’illégalité de la résiliation se résout en l’octroi de dommages intérêts. L’affermage peut ne porter que sur une partie d’un service public, à condition que n’en résultent pas pour les usagers des différences de traitement autres que celles découlant, soit d’une nécessité d’intérêt général, soit de l’existence entre eux de différences objectives de situations. Le terme d’affermage est parfois utilisé dans des situations qui ne relèvent pas du régime juridique de ce dernier. Ainsi, on parle, dans les textes, de l’affermage des droits de place sur les halles et marchés (ce sont des droits que paient les commerçants pour pouvoir s’installer sur ces marchés), ainsi que de l’affermage des taxes municipales. Mais, en dépit de cette dénomination trompeuse, il ne s’agit pas d’affermage au sens juridique du terme. Il s’agit, pour une personne privée, de percevoir des taxes pour le compte d’une personne publique et de les lui remettre, ce sont d’ailleurs là, non pas des contrats de droit public mais des contrats de droit privé dont le contentieux relève du juge judiciaire en vertu d’un décret de 1809. Un autre contrat de délégation de service public, beaucoup moins fréquent que le précédent, est celui de la régie intéressée. Malgré sa dénomination, trompeuse, la régie intéressée n’est pas une régie, celle-ci étant la gestion directe du service par la personne publique, avec ses moyens financiers, son personnel, et sans que le service apparaisse directement. La régie intéressée est un contrat, par lequel une personne publique confie à un cocontractant qui est une personne privée, personne physique ou morale, appelée régisseur, le soin d’exploiter un service public que cette personne publique a elle-même créé et organisé. L’une des particularités de la régie intéressée est le mode de rémunération du régisseur. Celui-ci est rémunéré en fonction des résultats de l’exploitation du service, ces résultats pouvant ne pas être, ou ne pas être seulement, des bénéfices financiers mais des prestations matérielles non directement financières. Il s’agit en fait pour l’administration de s’assurer le concours actif du régisseur en lui attribuant des primes. La régie intéressée ressemble à la concession en ce que l’administration se fait assister par le régisseur, mais elle s’en distingue par le mode de rémunération. Sur les autres points la régie intéressée peut se comparer à la concession. Mais, de ce fait, elle présente en définitive, aujourd’hui, un intérêt limité, les inconvénients paraissant l’emporter sur les avantages, et c’est pourquoi les personnes publiques y recourent beaucoup moins qu’autrefois. M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 275 II. LES NOUVEAUX TYPES DE CONTRATS DE DÉLÉGATION DE SERVICES PUBLICS On parle beaucoup, depuis quelques années, d’externalisation des services publics. L’externalisation est un mot moderne pour désigner la délégation d’un service, mais avec cette particularité notable que si la délégation de service public peut être opérée au profit de personnes privées mais aussi de personnes publiques, l’externalisation désigne nécessairement le fait de confier à une personne privée tout ou partie d’une activité qui, jusque-là, était assurée par l’administration. L’externalisation s’effectue par délégation de tout ou partie d’un service public au secteur privé, que ce soit par contrat de délégation ou par contrat de partenariat. Elle peut concerner aussi bien des investissements tels que la construction d’hôpitaux ou de prisons que la gestion (par exemple nettoyage des locaux, services de surveillance, avec cette nuance importante, pour cette dernière activité, que le pouvoir de police ne peut jamais être délégué à des personnes privées, ces personnes privées ne peuvent être que associées à ce service, sans pouvoir disposer du pouvoir de police). Cette externalisation prend plusieurs formes, relativement nouvelles les unes et les autres, avec, d’une part, les baux emphytéotiques administratifs et la vente en l’état futur d’achèvement, d’autre part, et surtout, ce que l’on appelle, en France, les contrats de partenariat. A. – Les baux emphytéotiques administratifs (BEA) et la vente en l’état futur d’achèvement (VEFA) Le bail emphytéotique est d’abord un contrat de droit privé, que l’on trouve dans un domaine particulier, celui de l’agriculture et du monde rural. La définition du bail emphytéotique se trouve d’ailleurs dans le Code rural, aux articles L. 451-1 et suivants. Le bail emphytéotique a été conçu, à l’origine, pour permettre à l’exploitant d’une exploitation agricole d’exercer son activité sur une période suffisamment longue, sans craindre que le propriétaire ne veuille reprendre d’un coup son bien. Cela explique les particularités du bail emphytéotique : c’est un bail qui est conclu sur une durée qui ne peut pas être inférieure à 18 ans, sans pouvoir dépasser 99 ans ; le loyer versé par celui que l’on appelle le « preneur » (ou encore « l’emphytéote ») est faible mais, en compensation, les constructions réalisées par le preneur deviennent, en fin de bail, la propriété du propriétaire de l’immeuble (au sens juridique, cet immeuble est souvent une terre), propriétaire qui est appelé bailleur ; enfin le preneur (le « locataire » si l’on veut) est titulaire de droits réels (un droit réel est un droit qui porte 276 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE sur un bien, mobilier ou immobilier ; il s’oppose au droit personnel, qui est représenté notamment par une créance, c’est-à-dire une obligation, pour le débiteur, de donner, de faire ou de ne pas faire) qu’il peut hypothéquer. La question qui s’est évidemment posée a été de savoir si le bail emphytéotique était applicable ou non à l’administration, aux personnes publiques, si celles-ci pouvaient y recourir ou non. En réalité, il faut distinguer. Pour comprendre la distinction, il faut d’abord savoir qu’en droit français, les personnes publiques (principalement les personnes publiques territoriales que sont l’État et les collectivités territoriales) possèdent un domaine public, mais aussi un domaine privé. En ce qui concerne le domaine privé de ces personnes publiques, il n’y a aucune difficulté parce que le droit applicable au domaine privé est le droit privé, par conséquent rien ne s’oppose à ce que les personnes publiques recourent, pour ce domaine privé, au bail emphytéotique. Mais le problème n’est pas pour le domaine privé, il concerne le domaine public. Car ce domaine public est commandé par un principe très ancien, appelé principe d’inaliénabilité, qui interdit, comme l’indique son nom, que la collectivité propriétaire puisse aliéner le bien. Cependant, ce principe d’aliénabilité n’a pas de valeur constitutionnelle, il a une valeur simplement législative, il n’est donc pas interdit au législateur de modifier l’état du droit en la matière. Le législateur a estimé précisément qu’il était souhaitable que des droits réels puissent être constitués sur le domaine public des collectivités publiques. Dans un premier temps, la loi du 5 janvier 1988 a prévu, par des dispositions codifiées aux articles L. 1311-2 et suivants du Code général des collectivités territoriales, la conclusion de baux emphytéotiques sur le domaine public de ces collectivités locales. Les dispositions ont été modifiées plusieurs fois. À l’heure actuelle, donc, de tels baux emphytéotiques, appelés depuis 2006 baux emphytéotiques administratifs (BEA) peuvent être conclus sur le domaine public des collectivités locales « en vue de l’accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d’une mission de service public ou en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence ou en vue de l’affectation à une association cultuelle d’un édifice du culte ouvert au public ou en vue de la réalisation d’enceintes sportives et des équipements connexes nécessaires à leur implantation ou, jusqu’au 31 décembre 2007, liée aux besoins de la justice, de la police ou de la gendarmerie nationales ainsi que d’un établissement public de santé ou d’une structure de coopération sanitaire dotée de la personnalité morale publique ou, jusqu’au 31 décembre 2010, liée aux besoins d’un service départemental d’incendie et de secours ». De tels baux permettent donc, comme il a été dit, de constituer des droits réels sur le domaine public, et le CGCT renvoie à l’article L. 451-1 du M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 277 Code rural. Cependant, les litiges relatifs à ces baux emphytéotiques relèvent de la compétence des tribunaux administratifs, et les droits réels ainsi conférés par le bail ne sont pas cessibles, ni susceptibles d’être hypothéqué librement. Un autre procédé est la vente en l’état futur d’achèvement (VEFA). Il s’agit d’un contrat passé par une collectivité publique, c’est un contrat de droit privé, qui est défini par le Code civil. Selon l’article 1601-3 de ce Code, la vente en l’état futur d’achèvement est le contrat « par lequel le vendeur transfère immédiatement à l’acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes. Les ouvrages à venir deviennent la propriété de l’acquéreur au fur et à mesure de leur exécution. Le vendeur conserve les pouvoirs de maître de l’ouvrage jusqu’à la réception des travaux ». Des collectivités territoriales, notamment des régions, ont utilisé ce procédé, qui a soulevé de nombreuses interrogations juridiques. On parle, pour ce procédé, comme pour le bail emphytéotique, de « montages complexes », et il est difficile, parfois, de savoir dans quel cadre juridique on se trouve exactement, ces montages étant difficiles à différencier, dans certains cas, des marchés. L’intérêt de tels montages est évidemment de permettre de répartir dans le temps le paiement des travaux sous forme de loyers. B. – Les contrats de partenariat Une ordonnance du 17 juin 2004, appliquant la directive du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, a créé une nouvelle catégorie de contrats, les contrats de partenariat, vite appelés contrats PPP (pour partenariat public-privé). Ces contrats représentent une association de personnes publiques et de personnes privées qui décident d’agir en commun en vue de répondre à un besoin collectif et en partageant les ressources, les risques et les profits. Outre l’ordonnance du 17 juin 2004, les contrats de partenariat sont régis par un décret d’application du 9 août 2005, et une circulaire du 29 novembre 2005 précise les conditions de ces contrats à destination des collectivités territoriales. 1. Définition des contrats de partenariat Les collectivités publiques disposent de plusieurs modalités d’action pour l’exercice de leur mission de service public : elles peuvent gérer directement en régie, elles peuvent également procéder à une délégation de service public, avec une personne publique mais, beaucoup plus souvent, 278 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE avec une personne privée. Les relations contractuelles avec les personnes privées sont anciennes, et la concession représente déjà, bien avant que l’appellation n’existe, une forme de partenariat entre une personne publique et une personne privée. Deux formes de relations contractuelles résultaient, jusqu’en 2004, de la jurisprudence et des textes, celle des marchés publics, pour la réalisation de travaux, fournitures ou services, celle des délégations de service public pour la gestion dans la durée de services publics à dimension économique ou marchande, dont la rémunération peut être assurée par l’exploitation. Mais, selon les pouvoirs publics, il manquait un outil juridique permettant de confier à un tiers le soin de financer, concevoir tout ou partie, réaliser, maintenir et gérer des ouvrages ou équipements publics et des services concourant aux missions de service public en contrepartie d’une rémunération publique étalée dans le temps. Divers mécanismes ont permis à titre temporaire d’expérimenter dans cette voie. Il en a été ainsi, pour les collectivités territoriales, avec la procédure du bail emphytéotique administratif (BEA), mais dans le seul domaine de la construction et de la gestion de bâtiments, sans pouvoir y ajouter d’autres prestations. Cette procédure, qui a été codifiée au Code général des collectivités territoriales, a été aménagée pour couvrir, jusqu’au 31 décembre 2007, les opérations d’intérêt général liées aux besoins de la défense, de l’intérieur et de la justice. Mais le contrat de partenariat représente, selon la circulaire du 29 novembre 2005, « le premier mécanisme simple et d’application globale permettant à toutes les administrations, et en particulier aux collectivités territoriales, premiers acteurs de la commande et de l’investissement publics, de pratiquer un partenariat public-privé à la française ». La définition du contrat de partenariat, reprise à l’article L. 1414-1 du Code général des collectivités territoriales, est le suivant : « Le contrat de partenariat est un contrat administratif par lequel la personne publique confie à un tiers, pour une période déterminée en fonction de la période d’amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues, une mission globale relative au financement d’investissements immatériels, d’ouvrages ou d’équipements nécessaires au service public, à la construction ou à la transformation des ouvrages ou équipements, ainsi qu’à leur entretien, leur maintenance, leur exploitation ou leur gestion et, le cas échéant, à d’autres prestations de services concourant à l’exercice par la personne publique de la mission de service public dont elle est chargée ». Le contrat de partenariat est donc un contrat qui présente les caractéristiques suivantes. D’abord, c’est un contrat « global », ainsi que le qualifient les textes. Il comprend en effet au moins trois éléments : le financement privé d’investissements nécessaires au service public sur une longue durée ; la construction ou la transformation des ouvrages ou des M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 279 équipements ou d’autres investissements ; leur entretien, leur maintenance et/ou leur exploitation ou leur gestion. Ensuite, c’est un contrat qui est passé pour une longue durée, celle-ci étant déterminée par la durée d’amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues. La circulaire du 29 novembre 2005 indique qu’un délai de cinq ans doit être considéré comme minimal. Cela suppose que la personne publique soit en mesure d’assurer le « pilotage » de ce contrat sur toute sa durée, laquelle dépassera le plus souvent, pour les collectivités territoriales, la durée du mandat d’une équipe municipale. C’est également un contrat dont les modalités de rémunération sont originales. Cette rémunération présente trois éléments caractéristiques. En premier lieu, elle est étalée sur tout la durée du contrat, les contrats de partenariat autorisant une rémunération dans laquelle les investissements initiaux ne sont pas nécessairement réglés à leur « réception » mais peuvent donner lieu à des paiements tout au long de la phase d’exploitation. L’ordonnance pose une obligation de transparence en exigeant que le contrat de partenariat distingue, pour le calcul de cette rémunération, les coûts d’investissement, de fonctionnement et de financement. En deuxième lieu, elle est liée à des objectifs de performance, l’objet premier d’un contrat de partenariat étant l’amélioration du service rendu aux usagers. Cette logique permet d’imposer au titulaire du contrat des objectifs de résultat, notamment en matière d’entretien et de maintenance et le non respect des objectifs conduit à une pénalisation financière du cocontractant sous la forme d’une minoration de sa rémunération. En troisième lieu, la rémunération peut comporter des recettes annexes, qui doivent cependant demeurer accessoires afin d’éviter tout risque de requalification du contrat. Le contrat de partenariat est un contrat administratif par détermination de la loi. Il est donc soumis à l’ensemble des règles applicables à ce type de contrats, qu’il s’agisse des règles jurisprudentielles ou des mécanismes de contrôle, en particulier lorsqu’ils sont passés par des autorités locales, avec le contrôle de légalité. En revanche, ce n’est pas un marché public, les dispositions du Code des marchés publics ne lui sont pas applicables. Mais, étant donné que, au plan européen, le droit communautaire de la commande publique ne connaît que deux catégories de contrats, les concessions et les marchés publics, les contrats de partenariat seront qualifiés de marchés publics au sens du droit communautaire. Et, pour renforcer la sécurité juridique de ces contrats, l’ordonnance leur applique l’ensemble des règles de passation des marchés publics communautaires qui figurent dans la directive du 31 mars 2004. Quant au champ d’application des contrats de partenariat, il est très large. Ces contrats peuvent concerner aussi bien le bâtiment et les travaux publics que les nouvelles technologies de l’information et de la 280 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE communication. Les pouvoirs publics estiment que le contrat de partenariat est particulièrement adapté à la réalisation de certains projets des collectivités territoriales tels que les infrastructures scolaires (écoles, collèges, lycées, instituts de formation), les bâtiments et services sanitaires et sociaux (hôpitaux, crèches), l’éclairage public et la signalisation tricolore, la voirie, les stationnement et le transport, l’informatisation des services publics locaux, les équipements culturels et sportifs (stades, piscines, musées, centres culturels), les projets d’aménagement urbain ou touristique, certaines infrastructures dans le domaine de l’eau, de l’assainissement ou des déchets (stations d’épuration, incinérateurs). Les pouvoirs publics insistent sur le fait que le contrat de partenariat n’est pas réservé aux grandes collectivités territoriales, ni aux grands groupes privés. D’ailleurs les petites et moyennes entreprises (PME) bénéficient d’un traitement privilégié dans la mesure où la part qui leur est réservée doit être obligatoirement un critère d’attribution du contrat, celui-ci devant préciser comment la collectivité publique pourra vérifier le respect de cet engagement. 2. Les conditions du recours au contrat de partenariat L’ordonnance du 17 juin 2004 subordonne le recours au contrat de partenariat à une « évaluation » préalable qui « montre, ou bien que, compte tenu de la complexité du projet, la personne publique n’est pas objectivement en mesure de définir seule et à l’avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins ou d’établir le montage financier ou juridique du projet, ou bien que le projet présente un caractère d’urgence ». La « complexité du projet » est donc la première hypothèse dans laquelle il est possible de recourir à un contrat de partenariat. L’exigence qui est inscrite dans l’ordonnance est issue des dispositions de la directive communautaire du 31 mars 2004. La directive précise que « les pouvoirs adjudicateurs qui réalisent des projets particulièrement complexes peuvent, sans qu’une critique puisse leur être adressée à cet égard, être dans l’impossibilité objective de définir les moyens aptes à satisfaire leurs besoins ou d’évaluer ce que le marché peut offrir en termes de solutions techniques et/ou de solutions financières/juridiques ». La complexité du projet est présentée comme une condition objective. Mais la circulaire du 29 novembre 2005 précise : « La complexité doit s’apprécier dans une situation donnée car, en passant des marchés d’études ou en s’entourant de partenaires spécialisés, une collectivité pourrait toujours acquérir la possibilité de définir les moyens techniques adéquats ». M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 281 Quant à la condition de l’urgence, elle n’est pas définie par l’ordonnance, mais deux décisions du Conseil constitutionnel ont précisé cette notion dans le cadre des contrats de partenariat. En particulier, dans sa décision du 2 décembre 2004 le Conseil constitutionnel a déclaré que « l’urgence qui s’attache à la réalisation du projet envisagé est au nombre des motifs d’intérêt général pouvant justifier la passation d’un contrat de partenariat, dès lors qu’elle résulte objectivement, dans un secteur ou une zone géographique déterminés, de la nécessité de rattraper un retard particulièrement grave affectant la réalisation d’équipements collectifs ». Lorsque la condition de complexité ou d’urgence est remplie, l’analyse comparative permet de déterminer et d’exposer les motifs que retient la personne publique pour expliquer son choix de lancer une procédure de passation d’un contrat de partenariat. Cette analyse doit porter sur les coûts, mais aussi au minimum sur la performance et le partage des risques. Cette analyse doit toujours être accessible au public dans le cadre de la loi du 17 juillet 1978 modifiée relative à la liberté d’accès aux documents administratifs. Cette évaluation est une phase délicate de la réalisation d’un projet de partenariat, elle nécessite une réelle expertise en matière juridique, financière, comptable et technique. Selon la circulaire du 29 novembre 2005 : « Il est recommandé à la personne publique de faire appel à des conseils extérieurs si telle ou telle de ces compétences (juridique, technique, financière …) lui fait défaut ». En ce qui concerne en particulier le partage du risque, il doit faire l’objet d’une analyse systématique, l’optimisation du partage des risques étant une condition déterminante de la réussite du contrat de partenariat. Une méthodologie est proposée dans un document intitulé « Les contrats de partenariat, principes et méthodes », pour identifier les risques, les répartir et évaluer leurs coûts dans les différentes possibilités qu’offre l’analyse comparative. Il est très difficile de se prononcer sur la « supériorité » ou pas d’un mode de gestion sur un autre et il est probable qu’il n’existe pas de mode de gestion idéal qui vaudrait pour toutes les activités et pour toutes les périodes : au contraire, selon les moments, selon les objectifs poursuivis, selon les financements dont on dispose, selon même « l’air du temps » c’est un mode de gestion ou un autre qui l’emporte. En ce qui concerne l’externalisation des services, elle comporte des avantages et des inconvénients. L’appel au secteur privé pour la gestion des services publics est souvent présenté comme une source d’économie budgétaire pour la collectivité, et d’efficacité de la gestion par une réponse adaptée à une technicité croissante de certaines charges, par la diminution des coûts fixes, par la réduction des délais (délais de commande de matériels, délais de réalisation des ouvrages), par une meilleure satisfaction 282 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE des usagers, par un allègement de la contrainte budgétaire (en particulier par une économie sur les charges liées aux pensions de retraite), par un partage des responsabilités, par la souplesse, etc. Cependant, tout ceci ne va pas sans difficultés, l’externalisation comporte aussi des inconvénients : c’est le problème du reclassement des agents souvent spécialisés ou âgés, c’est l’évaluation des coûts complexe (il n’existe pas de comptabilité analytique au sein de l’administration). Paradoxalement, l’externalisation peut être facteur de rigidité budgétaire, lorsqu’il s’agit de contrats de longue durée. Par ailleurs, l’externalisation ne supprime pas le risque : l’exécution du contrat peut révéler une défaillance du prestataire (c’est une situation que les communes françaises ont bien connu à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle avec les concessions de gaz qui avaient été conclues avec des personnes privées : la Première Guerre mondiale, avec l’accroissement du coût du charbon, l’arrivée de l’électricité, ont contraint les collectivités locales à se substituer aux concessionnaires défaillants). D’autres risques existent, comme les problèmes de dépendance vis-à-vis du prestataire, la perte de contrôle ou de savoir-faire de l’administration. Le Centre d’analyse stratégique (CAS, organisme public qui a succédé en quelque sorte au Commissariat général du plan qui existait en France), qui a effectué une analyse sur l’externalisation des services publics en Europe en déduit ceci : « Le processus de négociation contractuelle revêt alors une importance vitale pour optimiser les intérêts de l’État à long terme, notamment pour envisager la répartition des risques dans les différents scénarios possibles ». Enfin, si l’externalisation touche aux fonctions régaliennes – avec la difficulté de savoir ce que sont ces fonctions régaliennes – elle peut mettre en cause la souveraineté de l’État, diminuer la capacité stratégique de l’administration, entraîner une perte d’autonomie du service public, une dégradation de la qualité. III. LES CONTRATS NE COMPORTANT PAS DÉLÉGATION D’UN SERVICE PUBLIC Les contrats ne comportant pas délégation de la gestion d’un service public constituent une catégorie très hétérogène au sein de laquelle il existe une grande variété de contrats. À titre d’exemples, on peut citer l’offre de concours, qui s’apparente quelque peu au marché de travaux publics. L’offre de concours est un contrat par lequel une personne, publique ou privée, s’engage à participer, parce qu’elle y trouve un intérêt, à participer, ou bien en nature (par l’apport d’un bien, par exemple un immeuble constitué par un chemin), ou bien en espèces, aux frais nécessités par un travail public M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 283 qu’elle souhaite voir réaliser. L’administration bénéficiaire de l’offre n’est pas tenue d’accepter celle-ci, sauf dans des cas très particuliers. On peut citer encore le marché d’entreprise de travaux publics (METP), qui est un contrat par lequel une personne publique confie à un entrepreneur, contre paiement d’un prix à celui-ci, soit à la fois la construction d’un ouvrage nécessaire à un service public (auquel cas on se trouve dans une situation assez comparable à celle d’un marché public) et l’exploitation de cet ouvrage (ce qui est une situation assez comparable à celle de la concession), soit seulement l’exploitation de celui-ci. On peut encore citer la concession sur créments futurs, qui est un contrat par lequel un particulier s’engage à exécuter à ses frais des travaux destinés à conquérir des travaux sur la mer ou sur un étang et reçoit, en contrepartie, la jouissance des terrains asséchés ou exondés. Mais la catégorie la plus importante au sein des contrats ne comportant pas délégation de la gestion d’un service public est représentée par les marchés publics, auxquels on va s’attacher maintenant, bien qu’il ne s’agisse pas de service public, en raison de l’importance que représentent, aujourd’hui, ces contrats. Les marchés publics constituent une catégorie de contrats très ancienne, et avec une réglementation qui intervient tôt, puisque dès 1800 le législateur va décider que ces marchés sont des contrats administratifs. Mais la définition contemporaine des marchés publics est devenue plus compliquée qu’elle n’était car on se trouve avec une double définition des marchés publics, la définition donnée par le droit administratif français et la définition donnée par le droit communautaire, ces deux définitions ne coïncidant pas exactement entre elles. Le nouveau Code des marchés publics donne une définition des marchés publics plus précise que le précédent Code. Selon le nouvel article 1er du Code : « Les marchés publics sont les contrats conclus à titre onéreux avec des personnes publiques ou privées par les personnes morales de droit public mentionnées à l’article 2 pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services ». Cette définition appelle quelques précisions. En ce qui concerne tout d’abord les parties au contrat, il s’agit des personnes publiques mentionnées à l’article 2 du Code, à savoir, l’État, ses établissements publics administratifs, les collectivités territoriales et leurs établissements publics. Cela signifie tout d’abord que certaines personnes publiques ne sont pas soumises au Code des marchés publics. Ce sont les établissements publics à caractère industriel et commercial de l’État (mais non pas ceux des collectivités territoriales), ainsi que certaines personnes auxquelles le Conseil d’État a reconnu la nature de personnes publiques spécifiques, cela s’appliquant, pour l’instant, à la Banque de France ainsi 284 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE qu’aux groupements d’intérêt public (GIP à propos desquels on s’est demandé, pendant plusieurs années, s’il s’agissait de personnes publiques à part, ou d’une forme particulière d’établissements publics, jusqu’à ce que le Conseil d’État déclare, dans un arrêt de 2000, qu’il s’agissait de personnes publique spécifiques). Ces exclusions s’expliquent parce que ces personnes interviennent dans le domaine industriel et commercial. Toutefois, comme ces personnes sont susceptibles d’être considérées par le droit communautaire comme des « pouvoirs adjudicateurs », la loi MURCEF organise une procédure de mise en concurrence pour certains de leurs contrats. Ajoutons, sur ce point, deux précisions. D’abord, il est toujours possible de se soumettre volontairement au Code des marchés publics mais, dans ce cas, ce sont toutes les règles du Code qui doivent être respectées du début jusqu’à la fin de la procédure. Ensuite, le Code a repris une solution consacrée par le juge administratif selon laquelle une personne privée agissant sur le fondement d’un mandat, exprès ou tacite, d’une personne publique, est soumise au Code. Par ailleurs, traditionnellement il était admis que le Code des marchés publics n’était pas applicable aux contrats conclus entre des personnes publiques. Le Conseil d’État a fini par se prononcer, dans un avis contentieux du 8 novembre 2000 (Société Jean-Louis Bernard Consultants) sur cette question en faisant valoir qu’ « aucun texte ni aucun principe n’interdit, en raison de sa nature, à une personne publique de se porter candidate à l’attribution d’un marché public ou d’une délégation de service public » en précisant que devait être garantie « l’égalité des conditions concurrentielles » entre candidats publics et privés, et la Cour de justice des communautés européennes s’était prononcée en 2000 dans le même sens. Le nouveau Code des marchés publics a tranché la question en soumettant les marchés conclus entre personnes publiques à ses dispositions. En ce qui concerne, ensuite, l’objet du contrat, certains contrats sont inclus, en raison de leur objet, dans le champ d’application du Code tandis que d’autres en sont exclus, également en raison de leur objet. S’agissant tout d’abord de l’objet des contrats inclus dans le champ d’application du Code des marchés publics, selon ce dernier l’objet d’un marché est de répondre aux besoins des collectivités publiques en matière de « travaux, de fournitures ou de services ». Pour ce qui concerne les travaux, le Code définit le marché public de travaux comme le contrat ayant pour objet « la réalisation de tous travaux de bâtiment ou de génie civil à la demande d’une personne publique exerçant la maîtrise d’ouvrage ». Ce type de marché public s’applique donc aux seules hypothèses dans lesquelles une personne publique est maître d’ouvrage. Cela exclut tous les contrats dans lesquels la personne publique commande M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 285 la construction d’un ouvrage sans pour autant en assurer la maîtrise d’ouvrage, et c’est le cas, par exemple, des baux emphytéotiques administratifs (BEA), ou encore des ventes en l’état futur d’achèvement (VEFA), qui sont en revanche des exemples d’externalisation de services. En ce qui concerne ensuite les marchés de fournitures, le Code consacre la conception extensive retenue par le droit communautaire en indiquant que ces marchés ont pour objet non seulement l’achat, mais également la prise en crédit-bail, la location ou la location-vente de produits ou matériels. En ce qui concerne enfin les marchés de services, selon le Code ils ont pour objet « la réalisation de prestations de services », ces prestations pouvant être très diverses et pouvant consister, par exemple, en des études, des opérations de maîtrise d’œuvre, de nettoyage de locaux, de développement de logiciels, etc. En fonction toujours de l’objet, certains contrats sont exclus du champ d’application du Code. L’article 3 du Code en dresse une liste. Ce sont « les contrats qui ont pour objet l’acquisition ou la location de terrains, de bâtiments existants ou d’autres biens immeubles, ou qui concernent d’autres droits sur ces biens ; toutefois, les contrats de services financiers conclus en relation avec le contrat d’acquisition ou de location sous quelque forme que ce soit, entrent dans le champ d’application du Code ». C’est également le cas des contrats ayant pour objet l’achat, le développement, la production ou la coproduction de programmes par des organismes de radiodiffusion et pour les contrats concernant les temps de diffusion ; les contrats relatifs à des programmes de recherchedéveloppement auxquels une personne publique contribue sans les financer intégralement ni en acquérir complètement les résultats ; les contrats relatifs à des fournitures, des travaux ou des services conclus pour le compte d’une organisation internationale, etc. En fait ces exclusions consacrées par le Code ne font que reprendre les exclusions instituées par les directives communautaires. Toutefois le législateur français avait ajouté d’autres exclusions, en particulier les contrats d’achat d’œuvres d’art ou d’objets d’antiquité ou de collection. L’exclusion de ces contrats du champ d’application du Code des marchés publics avait été justifiée par l’objet même de ces contrats, car on avait estimé que du fait de leurs particularités ces contrats ne pouvaient s’adapter aux procédures de passation des marchés publics. Mais la Commission européenne a considéré cette exclusion contraire à une directive. En arrière-plan de cette exclusion on trouve naturellement le débat sur ce que l’on a appelé, en France, « l’exception culturelle ». Pour tenir compte des réserves de la Commission le Code des marchés publics de 2004 a adopté une formulation différente, en excluant du Code les biens qui, « en 286 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE raison de leur nature et de leurs caractéristiques, ne permettent pas la mise en œuvre de procédures de publicité et de mise en concurrence ». D’autres exclusions concernent les contrats qui ont pour objet des emprunts ou des engagements financiers, les premiers étant considérés comme contraires aux directives communautaires par la Commission. Les contrats de mandat avaient été également exclus mais, après la critique de la Commission, qui a fait valoir qu’à partir du moment où ils donnaient lieu à une prestation rémunérée, ils pouvaient être requalifiés en marchés de travaux ou de services au regard des directives, et après une censure sur ce même fondement par le Conseil d’État dans un arrêt de 2003, cette exception a disparu dans la version de 2004 du Code. Les institutions communautaires ont estimé que ce qu’elles ont appelé le droit de la « commande publique » devait être soumis aux principes du droit communautaire et ont élaboré à cette fin des directives spécifiques, qui sont intervenues en 1992 et 1993. Il convient d’ajouter que la définition communautaire des marchés publics ne résulte pas seulement des directives mais également de l’interprétation, extensive, qui a été donnée de ces dernières par la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), la Cour ayant même, à partir des principes généraux du droit communautaire, consacré des principes spécifiques applicables aux marchés tels que le principe de l’égalité de traitement, le principe de transparence, le principe de reconnaissance mutuelle. En ce qui concerne les parties, les directives font entrer dans ce droit de la commande publique, et sous l’appellation de « pouvoirs adjudicateurs » l’État, les collectivités territoriales, mais également les « organismes de droit public ». Ces organismes sont définis par une directive de 1993 comme des « organismes créés pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, ayant la personnalité juridique et dont soit l’activité est financée majoritairement par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composée de membres dont plus de la moitié est désignée par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public ». Et, selon la jurisprudence communautaire, un organisme est un pouvoir adjudicateur dès qu’il a la personnalité juridique, qu’il est soumis au contrôle de l’État ou d’autres collectivités publiques et qu’il a été spécifiquement créé pour satisfaire des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel et commercial. Cette notion d’organisme de droit public peut soulever, du point de vue du droit français, des hésitations, car elle peut s’appliquer aussi bien à des personnes privées qu’à des personnes publiques. Quant à la notion de M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 287 besoins d’intérêt général autre qu’industriel et commercial, elle est entendue également largement par la Cour de justice des communautés. Cette Cour estime qu’entrent dans ce champ des activités telles que la fabrication d’imprimés officiels, les passeports, les permis de conduire, les cartes d’identité, ou encore l’enlèvement et le traitement des ordures ménagères, la gestion de réseaux publics de télécommunications et la fourniture de services publics de communication. Même si l’on s’en tient au seul droit communautaire, on relève certaines difficultés, qui tiennent notamment au fait que les différentes directives sur les marchés publics n’ont pas la même définition de ces derniers selon les secteurs considérés, cette définition étant plus ou moins large. Ainsi, la directive dite « secteurs spéciaux », qui régit les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications, adopte un critère de définition qui n’est pas seulement organique mais est également matériel : le premier est largement entendu, mais, du point de vue matériel, ne sont concernées que les entités qui assurent certaines activités dans les domaines couverts par la directive. En ce qui concerne l’objet du contrat, le droit communautaire se caractérise également par une approche plus extensive que le droit français. En ce qui concerne les marchés publics de travaux, la directive de 1993 qui les régit les définit comme « des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre, d’une part, un entrepreneur et, d’autre part, un pouvoir adjudicateur et ayant pour objet soit l’exécution, soit conjointement l’exécution et la conception des travaux (…), soit la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur ». Cette définition est beaucoup plus large que celle du droit interne français et englobe, par exemple, les baux emphytéotiques ou les ventes en l’état futur d’achèvement, qui sont exclus de la définition française. En ce qui concerne les marchés publics de fourniture, une autre directive de 1993 les définit comme « des contrats conclus par écrit à titre onéreux ayant pour objet l’achat, le crédit-bail, la location ou la locationvente, avec ou sans option d’achat, de produits entre un fournisseur (personne physique ou morale), d’une part, et, d’autre part, un des pouvoirs adjudicateurs. La livraison de produits peut comporter, à titre accessoire, des travaux de pose et d’installation ». Sur ce point la définition française et la définition communautaire coïncident. En ce qui concerne les marchés publics de services, le droit communautaire éprouve quelques difficultés à les définir. Selon le Traité ce sont des prestations « qui ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes » et la directive de 1992 sur ces marchés déclare que les marchés de service sont 288 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE « des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur, à l’exclusion des marchés publics de fournitures et des marchés publics de travaux », cette catégorie de marchés étant donc définie de manière négative. La directive comprend deux annexes plus explicites, la première (annexe I A) dressant une liste exhaustive des services destinés à être directement ouverts à la concurrence, la seconde annexe (annexe I B) couvrant « tous les autres services », qui bénéficient d’un régime transitoire avec des obligations allégées de publicité. Les directives communautaires ont contraint les pouvoirs publics français à revoir le système de certains contrats, notamment ceux concernant les prestations de services techniques que, traditionnellement, les services de l’État apportaient aux collectivités territoriales. Le concours de ces services de l’État aux collectivités territoriales était considéré par la jurisprudence du Conseil d’État comme étant de nature contractuelle, et il était également admis que ces contrats ne relevaient pas du Code des marchés publics, ce qui les faisaient dès lors échapper à toute exigence de concurrence avec les professionnels du secteur privé. Les nouvelles exigences du droit de la concurrence résultant, tant des dispositions de droit interne que du droit communautaire ont contraint les pouvoirs publics à revoir le dispositif, et c’est ce qui a été effectué par la loi du 11 décembre 2001, dite loi MURCEF. Toutefois cette loi réserve toujours aux services de l’État la conclusion, sans mise en concurrence, de certaines conventions d’assistance technique avec les communes et leurs groupements, et la compatibilité de ce dispositif avec le droit communautaire demeure douteuse. LA PARTICIPATION DES ORGANISATIONS PRIVÉES À LA PRESTATION DES SERVICES PUBLICS EN RUSSIE Natalia POUTILO 1. Les prestataires de services publics : les bases théoriques et constitutionnelles Dans l’histoire des rapports juridiques relatifs à la fourniture de services dont l’importance pour la société est clairement reconnue, on peut distinguer deux périodes. La première se caractérise par une séparation stricte entre le public et le privé : les services publics doivent être soumis au droit public, mais les services privés sont soumis au droit privé. Cependant, de nos jours, les limites de la participation de l’État à la vie de la société et les formes qu’elle prend ont subi de profonds changements. Les changements dans les rapports sociaux brouillent la structure des branches du droit et conduisent au développement de formations complexes dans le droit (branches, institutions). Une manifestation particulière de ces processus globaux est que l’on admet que des sujets de droit public puissent fournir des services privés, tandis que des sujets de droit privé peuvent poursuivre un but d’intérêt général et fournir des services publics. À la différence de pays de droit continental où cette conception a commencé à se répandre il y a presque un siècle, dans la science juridique russe, c’est seulement après l’adoption de la Constitution de la Fédération de Russie de 1993 que sont apparus de véritables sujets de droit privé et les régimes juridiques correspondants. L’évolution de la répartition entre droit privé et droit public en ce qui concerne les services publics en Europe a commencé bien plus tôt dans On entend ici par organisations privées toutes les organisations non étatiques, à l’exception des collectivités locales, dans la mesure où celles-ci font partie des pouvoirs publics, bien que, selon la Constitution de la Fédération de Russie, elles soient séparées du système de l’administration d’État. 290 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE l’histoire des pays européens : l’instruction élémentaire, l’assistance aux indigents, les soins médicaux relevaient de la responsabilité de différentes personnes, de la famille et de la bienfaisance privée ; après la révolution industrielle ils sont devenus le domaine d’activités de masse des Églises et des communautés mais ne se rattachaient pas à des fonctions publiques de l’État1. C’est ainsi qu’en Europe, les services publics, ou bien sont apparus quand l’État a évincé les organisations privées d’une série de secteurs (par exemple l’enseignement, la protection de la santé), ou bien sont nés du développement d’activités nouvelles considérées à leur origine par l’État comme des domaines d’intérêt public et entrant dans la responsabilité de l’État. Dans la Russie contemporaine, le processus est orienté dans un sens inverse : du fait que, suivant la tradition soviétique tout relevait de la compétence de différentes branches du pouvoir, ce sont certaines zones qui relèvent progressivement de la société civile. Les fonctions traditionnelles de l’État font alors l’objet d’un inventaire en fonction de leur objet pour déterminer lesquelles sont des services publics et pourraient ainsi être fournis, non plus par l’État, mais par d’autres prestataires. La particularité de l’approche russe actuelle de la participation des personnes privées à la fourniture de services publics, est qu’il existe encore, pour le moment, une corrélation stricte entre statut juridique et possibilité de participer à la fourniture de services publics (selon la tradition soviétique, les activités d’enseignement, de soins médicaux, de culture ne peuvent être exercées que par des établissements publics2)3. Si en Europe, un nombre important de prestataires de services publics dans les domaines de l’enseignement, de la protection de la santé et des services sociaux sont des organisations émanant de la société, en Russie la prépondérance des établissements publics est caractéristique dans ces secteurs. Selon les données officielles de l’année 2008, sur 25.287 établissements budgétaires fédéraux, 9.997 étaient des établissements d’État fournissant des services publics à des personnes physiques ou morales4. Jusqu’à présent, l’opinion publique reste réticente à ce que les services soient fournis par des organisations non publiques au lieu des organes et des établissements 1 Si, jusqu’à la Révolution française les activités d’enseignement et d’assistance ont été placés sous le patronage de l’Église catholique, de même en Russie et jusqu’à la fin du 19e siècle la communauté et l’Église orthodoxe ont joué un rôle important dans l’enseignement, l’aide aux pauvres, les soins médicaux aux malades, etc. 2 NdT : nous traduisons ainsi, dans ce contexte, le mot russe : outchrejdenie, qui peut aussi s’appliquer à des institutions créées par des personnes privées (Code civil russe, art. 120). 3 Ces dernières années, on a commencé à s’éloigner de cette tradition. Par exemple, si auparavant, selon la loi, les pharmacies ne pouvaient être que des établissements publics, depuis 2010, elles peuvent être créées sous n’importe quelle forme, commerciale ou non commerciale. 4 Selon l’exposé des motifs du projet de loi fédérale « Sur des amendements à différentes lois de la Fédération de Russie à propos de l’amélioration du régime juridique des établissements publics de l’État et des collectivités locales » (SPS KonsultantPlus). N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ 291 publics de l’État5. Ainsi, par exemple, l’opinion selon laquelle la capacité limitée par la loi du secteur non étatique en matière d’enseignement, avec pour seule forme juridique possible la fondation, serait une des garanties juridiques spéciales du droit à l’éducation inscrit dans la Constitution, demeure très répandue6. L’article 53 de la Constitution de la Russie7 garantit un droit particulier du citoyen, qui ne peut s’appliquer dans les conditions de rapports de droit privé : c’est le droit à la l’indemnisation du dommage causé par une action (ou l’inaction) illégale d’un organe du pouvoir d’État ou d’un de ses fonctionnaires. Ce droit ne s’applique que dans le cas où le service est délivré par l’État (c’est-à-dire par des agents de l’État, mais, quand les services sont fournis par des établissements publics de l’État ou des collectivités locales, ce n’est justement pas le cas (selon la législation russe, leurs employés ne sont pas des agents de l’État), et il s’applique encore moins quand le service public est fourni par des personnes privées. La différence avec l’approche européenne consiste en ce que, si en Europe le développement d’un système contractuel permettant la délégation à des sujets de droit privé de la fourniture de services publics (y compris l’éducation) est courant, en Russie cette pratique se trouve encore en devenir. Actuellement, l’un des buts de la politique de l’État visant à attirer les sujets de droit privé dans les activités de fourniture de services publics est d’améliorer la qualité de ces services et de répondre au mieux aux intérêts des citoyens. Ainsi, par exemple, jusqu’en 2012, on prévoit, pour élargir la diversité des services d’enseignement préscolaire d’autoriser les organisations de différents régimes de propriété8. Pour atteindre cet objectif, il est 5 Le statut non étatique des organisations, d’après une série de normes juridiques, autorise à s’éloigner de la responsabilité et du contrôle pour passer à des relations avec les usagers des services sous un régime de droit privé. 6 M. V. SMIRNOVA, « Конституционное право на образование и гарантии его реализации в негосударственном общеобразовательном утверждении » [Le droit constitutionnel à l’éducation et les garanties de sa réalisation dans l’établissement d’enseignement général non public], Публично-рпавовое иссделования: Ежeгодник Центра публично-правовых иссделований [Recherches de Droit public. Annuaire du Centre de Recherche de Droit public], vol. 1, Moscou, 2006. 7 La Cour suprême de la Fédération de Russie inclut aussi cette norme dans le système des garanties des droits sociaux et juge que la reconnaissance et l’application du droit à l’indemnisation d’un dommage causé à la santé est un droit inaliénable – une obligation constitutionnelle de la Fédération de Russie comme État social. Cf : Collège des affaires civiles de la Cour suprême de la Fédération de Russie, « Généralisation de la pratique judiciaire sur la question de l’indexation de l’allocation mensuelle pour l’acquisition de produits alimentaires et de l’allocation annuelle pour le dommage causé à la santé des citoyens ayant souffert des suites de la catastrophe de Tchernobyl », Бюллетень Верховного Суда РФ [Bulletin de la Cour suprême], 2008, n° 9. 8 Lettre du Ministre de l’Education et de la Science de Russie du 3 mars 2008, n° 03-369 « Sur l’orientation de matériaux sur les modèles contemporains d’enseignement général ». 292 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE nécessaire de passer à un système de financement par tête du programme sur l’enseignement préscolaire qui suppose la possibilité pour des organisations non publiques fournissant des services d’enseignement préscolaire de recevoir un financement budgétaire. Il y a une série de stimulants juridiques correspondants. La législation budgétaire russe prévoit la possibilité d’attribuer sur les fonds budgétaires des subventions à des personnes morales qui ne sont pas des établissements publics d’État ou municipaux mais qui produisent des biens, des travaux, des services et dont l’activité est liée à l’accomplissement de missions publiques importantes. Cependant, il y a toujours des décisions de l’État qui s’en tiennent à la réalisation du principe de l’égalité formelle et qui font obstacle aux objectifs globaux – le développement des institutions de la société civile capables d’assumer une partie des obligations de l’État. Ainsi, par exemple, la loi sur la « monétarisation des avantages sociaux »9 a abrogé la disposition qui établissait le droit des citoyens à la compensation partielle par l’État des dépenses engagées pour recevoir l’enseignement général dans des établissements d’enseignement payants non publics10. À ce qu’il semble, cette abrogation n’est en rien compatible avec les normes sur le droit des parents qui s’occupent de l’éducation et de l’enseignement de leurs enfants mineurs dans la famille à y consacrer des dépenses supplémentaires par rapport à la dépense que consacre l’État à chaque enfant dans les établissements scolaires d’État ou municipaux11, et elle a conduit à priver nombre d’enfants invalides de la possibilité de fréquenter des établissements non publics mettant en œuvre des programmes d’enseignement adaptés. L’expérience étrangère témoigne des larges possibilités qui existent d’utiliser des organismes privés dans le système de prestation des services sociaux12. Une des dernières réalisations intéressantes : au Danemark, dans le cadre de la réforme de la fonction publique, est lancé un projet intitulé « L’État de bien-être universel et de libre choix ». Son but est de donner aux citoyens la possibilité de choisir entre les services sociaux fournis par l’État ou par des prestataires privés. Par exemple, à côté des services offerts par les établissements municipaux, les citoyens danois peuvent profiter des services de sociétés privées qui assurent la garde de petits enfants, les soins aux personnes handicapées, l’enseignement des jeunes handicapés etc. (le service est payé par le budget municipal). 9 Loi fédérale du 22 août 2004, n° 122. Art. 5, par. 4 de la loi fédérale du 10 juillet 1992, n° 3266-I « Sur l’enseignement ». 11 Art. 40, par. 8 de la loi fédérale « Sur l’enseignement » dans la rédaction de 2004. 12 N. M. ANTIOUCHINA, « Проблемы государственной службы и пути их решения в Дании » [Les problèmes de la fonction publique au Danemark et les voies de leur solution], Труд за рубежом [Le Travail à l’étranger], 2008, n° 3. 10 N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ 293 La conception moderne de l’État social et démocratique est un système politique orienté vers la satisfaction des demandes des citoyens, le service de l’intérêt public. L’obtention de certains biens de l’État en forme de services est dans l’intérêt des citoyens. L’État, lié par le système des obligations internationales et l’ensemble de droits constitutionnellement garantis, a l’obligation de fournir ces services soit directement, par le système de ses administrations et établissements, soit par l’organisation de leur prestation par les structures non-étatiques dans des conditions qui en garantissent des aspects essentiels (gratuité, accessibilité etc.). De cette caractéristique de l’État découle dans une large mesure celle des services publics, et si auparavant ces services étaient fournis des organismes de l’État, puis transférés à des organismes privés, au cas où la qualité en serait insuffisante par rapport à ce qu’attendent les citoyens russes, ceux-ci se retourneront de toute façon vers l’État. Dans la conception concrète du droit administratif, les services sont des actions déterminées, des activités quotidiennes des organes de l’État et des fonctionnaires en rapport avec les personnes physiques ou morales, qui en reçoivent certains biens. De nos jours, la prestation des services publics par l’État correspond à la théorie de contrat social, selon laquelle le destinataire de ces services est la société, le peuple abstrait. L’implication des organismes privés dans la fourniture des services publics en Russie est compliquée par la jeunesse relative des travaux théoriques et scientifiques et par l’existence de nombreux éléments de cette institution juridique qui ne sont pas réglés par le droit. Si, selon l’Accord général sur le commerce des services (GATS, Marrakech 15 avril 199413), le service fourni en exécution des fonctions gouvernementales est n’importe quel service fourni sur une base non-commerciale et non selon un régime concurrentiel avec un ou plusieurs fournisseurs (art. I 3b, 3c), ce qui, à côté des différentes positions doctrinales, tend à simplifier le problème des particularités des services publics, cela conduit à considérer comme services publics (les services offerts par l’État) les diverses fonctions de l’État qui sont exécutées seulement à la demande de personnes physiques ou morales. Ce point de vue peut, de manière destructive, conduire à organiser l’implication juridique des personnes privées dans la fourniture des services publics, de telle sorte que pratiquement toutes les fonctions de l’État devraient être reconnues comme susceptibles d’être transférées au secteur privé. Assimiler les services aux fonctions de l’État sans en dégager les particularités conduit à donner l’extension la plus large des moyens du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, mais cela ne prend pas en compte les acquis de l’expérience européenne et la doctrine juridique russe. 13 General agreement on trade in services. 294 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Actuellement, la conception la plus répandue dans la doctrine russe est celle proposée par Youri Tikhomirov et Ludmila Terechtchenko14, selon laquelle les services publics forment un système comprenant deux soussystèmes - les services d’État et les services sociaux. La spécificité des premiers est qu’ils sont fournis par les administrations ; les seconds peuvent en revanche être fournis non seulement par les administrations (alors ils sont réglementés comme services d’État), mais aussi par des établissements publics de l’État et des collectivités locales. Selon nous, seuls quelques exemples de services sociaux peuvent être considérés comme des services d’État et, en conséquence, être fournis selon les règles fixées par les règlements administratifs. Compte tenu de cette conception, on définit la notion de « services publics » comme l’aspect de l’activité des pouvoirs publics visant à la satisfaction de besoins sociaux importants de la population liés à l’accès à des biens constitutionnellement déterminés et à leur usage15. La Constitution de la Fédération de Russie ne mentionne pas les services publics comme la fonction particulière de l’État. Le terme « services » est utilisé dans un sens étroit comme un élément des rapports économiques (l’article 8 garantit la libre circulation des services, l’article 74 prévoit que des restrictions à la circulation des biens et des services peuvent être introduites, conformément à la loi fédérale, si c’est nécessaire pour assurer la sécurité, la protection de la vie et de la santé des personnes, la protection de la nature et des valeurs culturelles). Les obligations de l’État relatives à la fourniture des services publics découlent des droits des citoyens fixés par la Constitution : le droit de l’assistance médicale gratuite dans les établissements publics de santé de l’État et des collectivités locales (art. 41), le droit à l’enseignement préscolaire, à l’enseignement général et à l’enseignement professionnel moyen à titre gratuit, ainsi qu’à l’enseignement supérieur (sur concours) à titre gratuit dans les établissements publics d’enseignement de l’État et des collectivités locales et dans les entreprises (art. 43), le droit d’usage des établissements culturels (art. 44). La participation d’organismes ne relevant pas de l’État à l’offre de services publics est aussi prévue par la Constitution : l’article 39.3 indique que l’État encourage la création d’assurances sociales volontaires et de régimes complémentaires de sécurité sociale et d’assistance, l’article 41.2 14 V. par ex. L. K. TERECHTCHENKO, « Функция государственных услуг » [La fonction des services d’État], p. 79, in Административная реформа в России: Научно-практическое пособие [La réforme administrative en Russie. Guide scientifique et pratique], Moscou, 2006. 15 N. S BONDAR, Местное самоуправление и конституционное правосудие: конституционализация муниципальной демократии в России [Les collectivités locales et la justice constitutionnelle : la constitutionnalisation de la démocratie locale en Russie], Мoscou, Ed. Norma, 2008. N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ 295 prévoit que des mesures sont prises pour le développement de systèmes municipaux et privés de protection de la santé, d’encouragement de l’activité contribuant au renforcement de la santé de l’homme, le développement de la culture physique et du sport. La plus grande part des services publics du domaine social est fournie par les établissements publics municipaux. Ainsi, selon le Rapport de l’État sur l’état de santé de la population de la Fédération de Russie en 2006, préparé par le Ministère fédéral de la Santé publique et du Développement social et l’Académie russe des sciences médicales, les établissements relevant des organes d’État de la Fédération reçoivent 1,6% du nombre total des visites, les établissements relevant des organes d’État des sujets de la Fédération 23,0%, et les établissements des collectivités locales 75,4. En ce qui concerne les soins ambulatoires, les établissements relevant des collectivités locales accueillent 89,7% des visites. Pour que des organismes privés s’engagent dans des activités qui ont le caractère de missions publiques (y compris la fourniture de services publics), il ne suffit pas de stimuler la participation d’organismes ne relevant pas de l’État dans l’exécution de missions importantes d’intérêt général. À la différence de l’expérience européenne, où il est recommandé aux sujets de droit public de se tourner vers l’extérieur si leurs possibilités et leurs ressources ne sont pas suffisantes ; la législation russe ne contient aucune disposition indiquant dans quels cas les pouvoirs publics peuvent se tourner vers les personnes privées et à quel point il est nécessaire de le faire. Pour quels motifs les personnes privées réclameraient-elles plus activement une participation à l’offre de services publics, et quelles initiatives juridiques pourraient-elles leur en donner la capacité ? Du côté de l’État, il existe plusieurs motifs, qui découlent tous de la reconnaissance du fait qu’une partie des services publics sont assurés par l’État sous la forme de ses organes et de ses établissements publics de manière autonome, et que l’État en impose ou stimule l’exécution par d’autres sujets. La question du choix des méthodes pour inciter des organismes privés à dispenser des services publics (et à en décharger en même temps l’État) est d’une extrême importance. Sa solution dépend des bases constitutionnelles des relations réciproques de l’État et de la société civile. Dans un État de droit démocratique la motivation des personnes privées ne peut reposer que sur la coopération, des relations réciproques entre les deux parties. L’étude des raisons et des conséquences de la participation des personnes privées à l’offre de services publics est caractéristique de la pensée juridique d’une série de pays européens. En particulier, les auteurs allemands16 ont porté 16 E. FORSTHOFF, Rechtsfragen der leistenden Verwaltung [Questions juridiques de l’administration de prestation], Stuttgart, 1959 ; F. SCHOCH, « Privatisierung von Verwaltungsaufgaben » [La privatisation des missions administratives], Deutsches Verwaltungsblatt 296 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE leur attention sur la question de l’insuffisance des ressources du droit administratif pour les questions relatives à la fourniture des services publics en relation avec une gestion positive de celles-ci. Dans les recherches menées en Russie, on remarque qu’en cas d’insuffisance du financement budgétaire, la qualité des services diminue dans les établissements publics de l’État, tandis que les organismes qui ne relèvent pas de l’État se différencient par l’efficacité financière, la rapidité de réponse aux problèmes, un niveau élevé de responsabilité. 2. Les procédés juridiques Actuellement, il existe toute une série de mesures différentes que l’on peut considérer comme des éléments d’un mécanisme tendant à inclure les personnes privées dans la fourniture des services publics (services d’État). Comme on l’a remarqué plus haut, les organismes privés peuvent être impliqués dans la fourniture de services publics, ou bien par voie d’autorité (par un acte administratif unilatéral conférant des droits et des obligations), ou par la voie contractuelle. Dans ce dernier cas, on admet généralement, dans la doctrine européenne et dans la doctrine russe, que la participation des organismes ne relevant pas de l’État à la fourniture des services publics constitue un partenariat public-privé. Si l’on fait abstraction de quelques différences entre la participation des personnes privées à la fourniture des services d’État et la participation d’organismes ne relevant pas de l’État, on peut distinguer les instruments juridiques suivants : 1. Les procédés d’autorité Malgré l’intérêt marqué des études juridiques pour les instruments contractuels par lesquels des sujets de droit privé sont amenés à dispenser des services publics, ce sont les instruments législatifs et réglementaires qui demeurent prédominant à l’étape actuelle (ou à son début) pour organiser la participation de structures ne relevant pas de l’État à la fourniture des services publics. Au niveau fédéral, en dehors des normes constitutionnelles déjà évoquées, les rapports juridiques relatifs à la fourniture de services publics par des organismes privés bénéficient de garanties. Ainsi, selon la loi fédérale « Sur l’enseignement », on peut créer des établissements d’enseignement qui ne relèvent pas de l’État ; en outre, leur forme juridique, prévue par la législation civile, doit être, comme pour les établissements publics, de nature non commerciale. Suivant la loi de Saint-Pétersbourg du 24 janvier 2008, n° 710 « Sur l’assistance juridique gratuite à différentes 1994, p. 109. N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ 297 catégories de citoyens à Saint-Pétersbourg », plusieurs catégories de citoyens peuvent bénéficier de consultations juridiques gratuites ; elle porte sur la rédaction de demandes, plaintes, requêtes et d’autres documents de caractère juridique, la représentation des intérêts de ces citoyens en justice, et dans les procédures d’exécution, dans les organes du pouvoir d’État, les organes des collectivités locales, les associations et autres organisations. Ce service est fourni par des organisations choisies sur la base d’un appel d’offres et financé par le budget de Saint-Pétersbourg. 2. Les instruments contractuels À la différence de la pratique européenne, où, selon la directive du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 (n° 2004/28), le partenariat public-privé est compris de manière étroite, seulement dans le cadre d’une catégorie de contrat (le contrat de concession), on en donne en Russie une définition plus large. Le partenariat public-privé représente une tentative de l’État d’utiliser le potentiel diversifié (financier, intellectuel et de gestion) du secteur privé pour améliorer la qualité des services rendus, la responsabilité qui incombe aux organes de l’État et aux établissements publics à l’égard de ces services. L’instrument le plus important parmi les instruments contractuels permettant de confier à des organismes privés la fourniture de services publics est le contrat de concession. Il est aujourd’hui caractéristique d’une série d’organes du pouvoir d’État de disposer des pouvoirs correspondants. Par exemple, le Département du domaine de la ville de Moscou (selon le paragraphe 2.2.74 de l’arrêté du gouvernement de la ville de Moscou du 1er avril 2009, n° 255 « Sur l’approbation du règlement sur le Département du domaine de la ville de Moscou ») conclut les accords de concession intéressant les biens de la ville de Moscou, ainsi que d’autres contrats dans le domaine des partenariats public-privé. De même, il est prévu, sur le plan juridique, la possibilité d’utiliser les biens d’établissements publics qui sont la propriété de la ville de Moscou pour la conclusion de contrats de concession comportant la participation d’organismes privés. Les accords de concession peuvent voir, en matière de fourniture de services publics, quelques particularités positives. On note justement, dans la littérature juridique, que les organismes privés ne sont pas intéressés à porter la responsabilité pour les risques de la gestion de biens qui demeurent dans la propriété des organes des pouvoirs publics17. Cependant, dans le domaine social (éducation, santé, culture, services sociaux), ce n’est pas tant 17 A. V. CHIROKOV, « Административный договор как форма регулирования государственно-частных партнерств » [Le contrat administratif comme mode de fixation des règles des partenariats public-privé], Административное и муниципальное право [Droit administratif et municipal], 2008, n° 12. 298 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE la propriété que les services collectifs qui sont dispensés ; c’est pourquoi le degré de risque « matériel » est réduit. L’engagement de fournisseurs privés dans le système de distribution des biens publics, leur participation à l’exécution des services publics est liée au processus de commercialisation des services sociaux : éducation, santé, assistance. Il n’est pas rare que les gouvernements fassent pression sur les administrations municipales pour qu’elles transfèrent les fonctions et même les établissements d’enseignement, de soins et autres à des sociétés privées, modifiant ainsi l’organisation de l’enseignement et de la protection de la santé : pour la gestion de ces systèmes, il n’est déjà plus besoin d’organes d’État, qui laissent la place à des sociétés privées. De tels processus posent des questions sur le futur de l’État providence et la croissance des dépenses de sous-traitance et de consultance de l’État témoigne de la tendance à la perte de compétences de l’État dans les domaines transférés18. Déjà aujourd’hui, à la suite des initiatives législatives visant à délimiter les fonctions à l’achat et à la fourniture de services, à transférer des pouvoirs des collectivités locales qui, au lieu de gérer directement les services, garantiront l’offre des services nécessaires aux consommateurs, la part du secteur privé et social dans le volume total des services offerts a augmenté et le secteur public a perdu son monopole pour l’offre de services d’ordre social à la population (si en 1990, pratiquement la totalité des services à l’enfance et aux adultes en établissement était dispensée par le secteur public, en 2006 la part du secteur privé atteignait 92%, celle du secteur social 7% et celle de l’État 1%)19. Parmi les instruments juridiques généraux existants pour faire appel à la participation des personnes privées dans la fourniture des services publics, on peut distinguer : a) Les instruments de la commande publique La Loi fédérale du 21 juillet 2005, n° 94 « Sur les marchés publics de fournitures, de travaux et de services de l’État et des collectivités locales» établit un régime juridique uniforme applicable aux personnes privées qui fournissent des services aux organes et établissements publics de l’État et 18 C. CROUCH, Постдемократия [Post-democracy], traduit de l’anglais par N. V. EDELMAN, Moscou, 2010, pp. 13-14 et 60-61 – édition originale Cambridge, Polity Press, 2004. 19 I. GUYSBERRTS, « Практика социального подряда (коммишининга) и прямых выплат в Великобритании и Нидерландах » [La pratique du contrat de service social et du paiement direct en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas], in Система реабилитационных услуг для людей с ограниченными возможностями в Российской Федерации [Le système des services de rééducation pour les personnes handicapées en Fédération de Russie], Ежеквартальный бюллетень [Bulletin trimestriel], avril 2008, n° 2, p. 47. N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ 299 des collectivités locales. Il existe actuellement deux approches dans la doctrine russe sur la conception de cette institution. Pour une partie des auteurs, les questions juridiques relatives à la commande publique se rattachent au droit administratif puisque la passation de la commande d’État est un ensemble d’actes d’administration liés entre eux, ainsi que d’actions administratives juridiquement importantes, effectuées au nom d’autorités publiques et territoriales20. Mais, selon le point de vue le plus répandu, la passation de la commande d’État (ou municipale) relève de rapports de droit civil, régis par les normes de droit privé. Cette position se fonde sur l’interprétation littérale de l’article 2 de la loi précitée : la législation de la Fédération de Russie sur la passation des marchés publics se fonde sur les dispositions du Code civil de la Fédération de Russie ; la passation des marchés publics est réglée exclusivement par la loi fédérale et n’appelle aucune disposition législative ou réglementaire complémentaire de la part des sujets de la Fédération. Cette exclusivité de la législation fédérale est typique de la législation civile21 et non de la législation administrative. Nous croyons qu’on peut considérer la commande d’État comme l’un des moyens permettant aux organismes privées de participer à la fourniture des services publics par les organes et les établissements publics de l’État et des collectivités locales. Par exemple, si à la suite de l’appel d’offres un organisme privé remporte le marché de la livraison des produits alimentaires pour les écoles de la ville ou le marché du nettoyage des établissements d’enseignement, de soins ou d’aide sociale du territoire, on peut considérer les services rendus à cet organisme comme publics, puisque, d’une part, ces services sont de la responsabilité des collectivités locales, et, d’autre part, l’existence d’un intérêt public ne fait aucun doute. Le recours au secteur privé pour fournir les services publics comprend l’ensemble des normes visant à couvrir les besoins en biens et en services que peinent à assurer les organes d’État de la Fédération de Russie et les organes des collectivités locales, de même que le statut particulier, fixé par la loi, de l’établissement public budgétaire, lequel incarne l’État dans son secteur22. Les textes ne contiennent pas toujours une disposition spéciale déterminante s’il est permis de faire appel à des personnes privées pour 20 M. KOUDILINSKI, « Государственный контракт: проблемы правоприменения » [Le contrat passé par l’État : problèmes d’application du droit], p. 109, in E. GRITSENKO / E. BABELIOUK (dir.), Договор в публичном праве: Сборник научных статей [Le contrat dans le droit public. Recueil d’articles], Moscou, Walters Kluwer, 2009. 21 NdT : comme compétence exclusive du législateur fédéral (Constitution fédérale : art. 71,o), la législation civile est entendue dans un sens étroit : en effet, la législation sur la famille, sur le régime foncier, sur le travail, sur le logement relève du domaine de la compétence commune de la Fédération et des sujets de la Fédération (art. 72,k). 22 Ibid. p. 112. 300 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE dispenser des services publics (étant entendu que l’on doit utiliser la procédure de marchés publics), mais c’est le cas la plupart du temps. Ainsi, les services communaux23 (distribution d’eau froide et chaude, assainissement, distribution d’électricité et de gaz, chauffage, nécessaires pour assurer des conditions de vie confortables aux citoyens dans leurs logements) peuvent être assurés par différents types de prestataires. Parmi eux : des personnes morales indépendamment de leur nature juridique, ainsi que des entreprises individuelles, fournissent des services communaux, produisent ou acquièrent des ressources communales et garantissent le service de maintenance des installations techniques à l’intérieur des immeubles par lesquelles les consommateurs reçoivent les services ; des organismes administratifs ; des syndicats de copropriétaires ; des coopératives de construction, des coopératives de logement ou d’autres coopératives spécialisées de consommation, ou d’autres organismes. b) Les régimes législatifs particuliers de participation d’organismes ne relevant pas de l’État à la fourniture de services publics Des contrats peuvent être conclus directement avec des organismes privés (en dehors du régime des marchés publics) pour l’exécution de certaines fonctions de l’État. Actuellement, le recours à des contrats d’entreprise connaît une grande extension dans les pays de l’Union européenne pour l’organisation des services sociaux ; on entend par contrat d’entreprise sociale le choix, la garantie et le contrôle du fournisseur des services qui sont nécessaires à la satisfaction des besoins les plus importants de la population, les fournisseurs pouvant être aussi bien des organes du pouvoir exécutif ou différents établissements publics, que des organismes privés ou sociaux. Dans certains cas, on renonce à la procédure d’appel d’offres pour la fourniture de services aux personnes handicapées et on a recours à un système de certification des prestataires, sur la base duquel on passe des contrats au terme d’une procédure d’adjudication. Les organes du pouvoir d’État passent, après les procédures d’appel d’offres, des contrats avec des organismes privés pour l’exécution par ces derniers de certaines activités pour lesquelles il n’est pas prévu de paiement direct par l’État. De tels contrats, passés en dehors du régime des marchés publics, sont rares. Par exemple, l’Inspection d’État de la sécurité routière a passé des contrats avec des personnes morales et des entrepreneurs individuels pour effectuer le contrôle technique des véhicules soumis à cette obligation par l’État. Selon la décision de la Cour Suprême de la Fédération de Russie du 25 janvier 2007 n° GKPI06-1623 l’appel d’offres pour la 23 Selon l’arrêté du Gouvernement de la Fédération de Russie du 23 mai 2006, n° 307 « Sur les modalités de fourniture des services communaux aux citoyens ». N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ 301 participation au contrôle technique des véhicules ne relève pas de la procédure des marchés publics, dans la mesure où le contrôle technique est financé, non pas sur le budget de l’État, mais aux frais du propriétaire du véhicule. Le Code des douanes prévoit la participation d’organismes ne relevant pas de l’État aux « affaires douanières », c’est-à-dire l’ensemble des méthodes et des moyens visant à assurer le respect des dispositions relatives aux tarifs douaniers, aux interdictions et restrictions qui s’appliquent au mouvement des marchandises et des véhicules par la frontière douanière. Ainsi, l’article 18 établit que l’activité de personnes morales comme transporteurs douaniers, propriétaires de magasins d’entrepôt temporaire, propriétaires d’entrepôts douaniers et de transitaires en douane est admise sous la condition de leur inscription dans le registre correspondant à leur activité. c) L’externalisation comme le moyen de l’optimisation du système des compétences des organes d’État L’externalisation est prévue par le Concept de l’introduction de la réforme administrative en Fédération de Russie 2006-2010. L’externalisation signifie que des catégories déterminées d’activité sont soustraites au cadre des compétences des organes du pouvoir exécutif au moyen de contrats conclus avec des prestataires extérieurs. Le Concept part de l’idée que l’absence d’expérience de l’externalisation fait souvent obstacle à l’augmentation de l’efficacité dans le fonctionnement de l’administration et la gestion (notamment en ce qui concerne la mise en œuvre des nouvelles technologies de l’information, la gestion des bâtiments et des constructions des administrations, l’organisation du choix du personnel d’encadrement, les services de télécommunication, la comptabilité financière). L’expérience mondiale montre que l’externalisation permet d’augmenter l’efficacité du fonctionnement de l’administration, de contrôler plus effectivement les dépenses, de concentrer l’attention des administrations sur leur activité principale, d’augmenter la qualité des services, de faciliter l’accès aux nouvelles technologies, de réduire les dépenses en capital, de réduire les effectifs ce qui conduit à une économie substantielle de moyens budgétaires. L’externalisation est un moyen de répartir les responsabilités, de telle sorte que l’exécution directe des services publics est de la compétence de sujets du droit privé, tandis que la responsabilité de garantir ces services reste entre les mains de l’État. Il en découle plusieurs problèmes : 1) comment déterminer les limites de l’externalisation, la liste des compétences qui peuvent être externalisées, dans la mesure où tout ceci matérialise la crainte de la société russe de « l’abandon par l’État des fonctions sociales », 2) comment assurer la 302 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE qualité des services réalisés par les structures privées, 3) comment assurer la protection des droits et des intérêts des citoyens face aux entreprises de services publics et assurer la responsabilité de celles-ci si le service est défectueux (ou tardif). Comme le remarque justement E. Talapina, le statut non-étatique de l’organisation (en forme de société commerciale ou d’organisme noncommercial), permet plus facilement de se dérober à la responsabilité et au contrôle, en faisant passer dans le droit privé les relations avec les usagers. En outre la responsabilité subsidiaire de l’État disparaît vis-à-vis des services publics assurés par des organismes ne relevant pas de l’État24. Mais les garanties de l’État, la réglementation et le contrôle dans ces domaines doivent exister et c’est déjà le rôle de la législation. En effet, selon l’article 126.3 de Code Civil de la Fédération de Russie, la Fédération de Russie, les sujets de la Fédération, les collectivités locales ne répondent pas des dettes des personnes civiles créées par eux, sauf dans les cas prévus par la loi. Actuellement, il n’existe aucune disposition établissant des règles uniformes sur l’externalisation de services publics et les critères qui la rendraient nécessaire25. Cependant, on peut en trouver des exemples au niveau des organismes de gestion. La décision de la Société des chemins de fer russes du 31 octobre 2006, n° 2164r « Sur le recours à l’externalisation du réseau dans la Société anonyme ouverte Les Chemins de fer russes » établit ainsi les buts de l’externalisation pour le réseau, ainsi que les motifs du recours à l’externalisation pour certaines activités. Leur analyse montre que les facteurs principaux de l’externalisation de certaines activités sont des motifs économiques. Malgré de nombreux problèmes non résolus au niveau doctrinal et les lacunes du cadre juridique, l’externalisation a pris place dans le système d’enseignement. L’Agence fédérale de la science et de l’innovation a recours à l’externalisation pour réaliser l’expertise scientifique des programmes et des projets, pour l’élaboration de divers documents d’orientation politique, pour la création d’un système centralisé de comptes de résultats des activités scientifiques et techniques, l’organisation de multiples expositions, etc. Peut-on utiliser de semblables arguments d’ordre économique pour l’externalisation des services sociaux ? Il semble que, pour le moment, l’avantage économique pour l’État de la transmission massive de services publics à des structures privées s’accompagne, non seulement d’une baisse 24 E. TALAPINA, « О новых институтах административного права » [Des institutions nouvelles du droit administratif], Государство и право [L’État et le droit], 2006, n° 5, pp. 15-16. 25 C’est encore le cas dans la loi fédérale « Sur les principes généraux de l’organisation de l’octroi des services d’État (ou municipaux) et l’exécution des fonctions d’État (ou municipales) » n° 210 du 27 juillet 2010, préc. N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ 303 de la qualité des services, mais aussi d’une augmentation substantielle des dépenses de la population (cofinancement des services par le budget de l’État). La gestion des services publics par des structures privées n’est pas toujours moins coûteuse que le financement budgétaire de ces activités par l’organe d’État ou l’établissement public de l’État et de la collectivité locale. Les besoins de la population dans le domaine des services sociaux excèdent de beaucoup les possibilités de l’État et des collectivités locales d’y répondre ; mais ils ne correspondent pas non plus aux services de ce type proposés par les structures privées. Le marché des services sociaux est présenté principalement par les fournisseurs d’État et municipaux ; le secteur privé concurrentiel en est absent. Cependant, en supprimant certaines obligations des organes du pouvoir d’État et des collectivités locales, l’État force les citoyens à rechercher des fournisseurs privés des services dont ils ont besoin. Dans les recherches sur les problèmes de l’externalisation chez les exploitants, on se demande souvent si, avec l’externalisation, on peut refuser les activités qui ne sont pas propres à la mission qui est assumée. Cette proposition est-elle applicable à l’externalisation des services publics ? Si on part de l’idée que les organes de l’État peuvent entrer dans des rapports de droit privé où, par l’objet du contrat, la réalisation des travaux, la fourniture des services, seront assurés selon les dispositions du chapitre 37 (contrat d’entreprise) et du chapitre 39 (services fournis à titre onéreux), alors la réponse est sans aucun doute positive. 3. La création d’organisations spéciales de l’État – les « agences » pour la fourniture (parfois l’organisation de la fourniture) de services publics La pratique de la création par les organes publics de sujets du droit privé se passe principalement par la création d’établissements budgétaires et autonomes. Cependant ces établissements ne font pas partie du système d’enseignement privé, ni du système de santé privé etc. C’est la différence entre la pratique russe et les pratiques étrangères. On appelle ainsi dans la littérature allemande « privatisation formelle » la création par l’administration publique d’une personne morale du droit privé et la transmission à celle-ci de la fonction de fournir un type déterminé de services publics26. 26 F. SCHOCH, « Privatisierung von Verwaltungsaufgaben » [La privatisation des missions de l’administration], Deutsches Verwaltungsblatt 1994, n° 109, pp. 962-963. 304 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE Comme les auteurs allemands27 le remarquent, le recours aux formes juridiques du droit privé s’explique par l’absence dans le droit administratif de formes juridiques propres à l’activité positive de fourniture directe par l’État de biens divers aux citoyens. En même temps, pendant la période soviétique la fourniture de l’ensemble immense des services sociaux était réglée par les normes du droit administratif. Les processus de redistribution des biens publics étaient alors réglés par les normes du droit public pratiquement à toutes leurs étapes : du niveau macroéconomique (Plan d’État) jusqu’aux rapports de droit concrets (l’accès du citoyen aux services publics, la surface habitable, etc.). La reconnaissance de la possibilité pour l’État d’utiliser les formes du droit privé pour la réalisation des missions de l’administration est prédominante, mais ce n’est pas la seule position. D’autres auteurs critiquent cette possibilité, et certains excluent même que l’administration puissent choisir entre la gestion publique et la gestion privée d’une activité28. Le libre choix par l’administration du régime juridique sous lequel elle va placer la gestion d’une activité (droit public ou droit privé) et, par voie de conséquence, ses effets juridiques, peut conduire à des abus si l’administration est tentée de choisir la solution la plus favorable pour elle plutôt que pour le citoyen29. La fourniture de services dans le cadre des CPS (Centres polyvalents de services d’État et municipaux), auxquels participent plusieurs organes du pouvoir d’État ainsi que d’autres organismes (le plus souvent sous la forme d’établissement public), se distingue par cette particularité importante de la diversité des statuts juridiques des participants à la fourniture des services, la valeur juridique différente de leurs décisions, etc. Les services publics de la sphère sociale pour les différentes catégories de citoyens et de personnes forment des chaînes d’actions déterminées qui, par la force de leur caractère subjectif, doivent être rassemblées en un seul lieu. On peut alors pleinement appliquer le principe du « guichet unique », qui est mis en œuvre dans les États étrangers dans les relations avec les 27 L. A. MITSKEVITCH, Основы административного права Германии [Les fondements du droit administratif de l’Allemagne], Krasnoïarsk, 2002, p. 25. 28 F. OSSENBÜHL, « Öffentliches Recht und Privatrecht in der Leistungsverwaltung » [Droit public et droit privé dans l’administration de prestation], Veröffentlichungen des Verbands der deutschen Staatsrechtslehrer (VVDStRL), vol. 29 (1974), p. 541 ; F. ZEZSCHWITZ, « Rechtsstaatliche und prozessuale Probleme des Verwaltungsprivatrechts » [Problèmes de droit public et processuels du droit privé de l’administration], Neue Juristische Wochenschrift 1983, p. 1875 ; M. ZULEEG, « Die Anwendungsbereiche des öffentlichen Rechts und des Privatrechts » [Les domaines d’application du droit public et du droit privé], Verwaltungsarchiv 1982, p. 397. 29 D. EHLERS, « Die Handlungsformen bei der Vergabe von Wirtschaftssubventionen » [Les modalités d’attribution des subventions à l’économie], Verwaltungsarchiv 1983, p. 112. N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ 305 activités commerciales, comme la possibilité de satisfaire tous les besoins des clients dans le cadre d’un ensemble déterminé de biens et de services. Pour résoudre la question de la fourniture des services sociaux, la Conception du développement économique et social à long terme de la Fédération de Russie jusqu’en 202030 prévoit le développement des centres publics d’information juridique, sociale et d’affaires créés sur la base des bibliothèques régionales et municipales, la formation d’un réseau d’ensembles culturels polyvalents (des établissements publics, réunissant en leur sein le club, la bibliothèque, le musée, la galerie, l’enseignement artistique, etc.), l’augmentation de la quantité de systèmes universels ambulants (les autoclubs, les appareils de projection et les centres polyvalents culturels et de loisirs ambulants). L’État refuse totalement l’exécution par les organes de l’État (ou les établissements publics qui en relèvent) des fonctions qui se rapportent à des services qui sont dispensés sous un régime de droit civil. La délégation de fonctions à des opérateurs sur le marché répondant aux conditions fixées par la loi et sous le contrôle de l’État, est nécessaire au cas où ces fonctions visent un cercle indéterminé de personnes, ne comportent pas l’exercice de prérogatives de puissance publique et peuvent être réalisées plus efficacement par ces opérateurs. La certification de leur compétence particulière est alors nécessaire. À titre d’exemples de telles fonctions, on peut citer les contrôles de conformité, la certification, des examens de laboratoire, des études, des expertises, des procédures d’attestation et d’accréditation, des examens etc. Les fonctions typiques remises aux organisations professionnelles31 sont le contrôle de la compétence professionnelles des opérateurs (attestation, certification, les examens de qualification), le contrôle des opérateurs (contrôle de la qualité des services fournis et de l’observation des standards de l’activité), la production de standards de qualité des services fournis, la création de systèmes de préparation, de reconversion et de formation continue des spécialistes dans ensembles déterminés de rapports juridiques. Les organisations professionnelles ne participent pas elles-mêmes à la fourniture des services publics, mais leur activité est un facteur important d’élévation de la qualité des services offerts à la population. La loi fédérale du 1er décembre 2007, n° 315 « Sur les organisations professionnelles » établit qu’elles se caractérisent par des activités autonomes et des initiatives, 30 Approuvée par la décision du Gouvernement de la Fédération de Russie du 17 novembre 2008, n° 1662-r. 31 NdT : le texte russe utilise l’expression : « autoréglementé » (саморегулируемый) ; il vise en fait les attributions exercées par des organisations professionnelles (corporatives) envers leurs membres. 306 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE poursuivies par les entreprises et les professionnels, qui comportent l’élaboration et l’établissement de standards et de règles professionnelles, ainsi que le contrôle du respect de celles-ci. Le faible niveau d’activité et le manque d’intérêt des organismes privés pour la fourniture de services sociaux expliquent le fait que, dans les conditions juridiques actuelles de la participation du secteur privé à l’offre de services publics, seul un nombre insignifiant d’organismes privés se sont engagés dans ce type d’activité32. Le but des entreprises privées est de dégager un profit, ce qui ne correspond pas à la nature des services sociaux, qui sont des services offert à titre gratuit ou avec seulement un paiement partiel. Sans une réelle pression extérieure, le secteur privé ne s’engagera pas dans des projets qui consomment des ressources importantes et apparaissent comme potentiellement peu rentables. On le voit avec l’exemple des jardins d’enfants : le besoin est évident et la population n’exclut pas de payer un prix raisonnable dans des jardins d’enfants privés, mais ceux-ci n’existent pas ou le coût en est prohibitif. En 2009, le coût mensuel de l’accueil en jardin d’enfants était de 40 euros environ dans les structures communales, mais de 200 euros dans les structures non publiques, bien que cela puisse atteindre 1000 euros dans des jardins d’enfants privés à Moscou (sans parler des établissements « élitistes »)33. Dans les zones rurales, il existe un besoin encore plus aigu, celui de garantir aux habitants des zones rurales la réception des médicaments ; le réseau des pharmacies d’État de la période soviétique est détruit, mais aucun pharmacien privé ne s’installe au village. L’État est donc obligé d’ « inventer » certaines solutions pour garantir aux habitants des villages les services médicaux et pharmaceutiques. En effet, il est du devoir de l’État de garantir l’accès aux services qui conditionnent la réalisation des droits sociaux des citoyens fixés et garantis par la Constitution de la Fédération de Russie et par les normes du droit international. Ayant reconnu la nécessité et l’existence de relations entre le public et le privé pour la fourniture des services d’État, on doit remarquer qu’il existe quelques problèmes non résolus de la recherche théorique et appliquée, dont ceux qui concernent l’application du droit. Parmi ceux-ci : le choix des méthodes de réglementation des relations entre l’État et les organismes privés dans la fourniture des services publics ; l’absence d’une liste des services publics qui peuvent être confiés à des organismes privés ; la maigre 32 Selon les données de l’Agence russe de l’enseignement (Rosobrazovania), en 2008, il existait au total 697 établissements d’enseignement ne relevant pas de l’État, et aucun dans une série de sujets de la Fédération (par exemple la République de Kalmoukie, la République de Mordovie, la région de Tambov, etc.). 33 Образование в цифрах:2010 [L’éducation en chiffres 2010], Moscou, École Supérieure d’Économie – Université d’État, p. 23. N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ 307 utilisation des moyens juridiques de coordination et d’incitation visant le secteur privé ; l’inefficacité de ces moyens ; l’absence d’orientations prioritaires en ce qui concerne le recours au secteur privé dans le domaine de la fourniture des services publics ; l’amélioration du système de la commande publique (de l’État ou des collectivités locales) par une différenciation des types de commande ; l’amélioration de la législation sur le régime des missions de l’État ou des collectivités locales ; la nécessité de régimes administratifs uniformes, comme les attestations et les accréditations. L’inégalité de situation juridique entre les organismes privés et organismes publics participant à la fourniture des services les plus importants financés par le budget n’est pas éliminée. Par exemple, selon l’ordre du Ministère de la Santé publique et du Développement social du 16 janvier 2008, n° 11, le paiement des services d’assistance médicale offerts aux femmes pendant la grossesse, pour l’accouchement, et après la naissance, ainsi que le suivi médical préventif en dispensaire des enfants jusqu’à l’âge de 3 mois n’est pas pris en charge dans tous les établissements de soins (en dehors des établissements de l’État ou des collectivités locales), mais seulement dans ceux qui ont passé un marché public conformément à la loi avec l’État ou la collectivité locale. Pendant ce temps, on observe différents changements dans la législation, ayant pour objectif de placer les organismes privés sur un pied d’égalité avec les établissements de l’État ou des collectivités locales pour l’offre de services publics. L’article 52 de la loi fédérale sur l’enseignement qui prévoyait la compensation par l’État de la part familiale des frais du jardin d’enfants ne s’appliquait pas lorsque l’enfant fréquentait un jardin d’enfants privé34. Cependant, depuis l’adoption de la loi fédérale du 17 juillet 2009, n° 148, qui amende la loi sur l’enseignement, le régime de la compensation par l’État est étendu à tous les établissements scolaires qui suivent le programme d’enseignement général. Les organismes privés peuvent être créés sous diverses formes juridiques, telles que l’association, l’établissement, la fondation, la société, le contrat entre partenaires et poursuivent leurs activités dans les domaines sociaux, de l’environnement, de l’enseignement, de la vie civique et d’autres domaines de la vie sociale, ce qui rend possible et nécessaire leur participation à tous les secteurs de la politique sociale : aujourd’hui, les domaines les plus importants de l’activité des organismes privés à but non 34 S. V. VASSILEVA, « « Нижние этажи » демократии: правовые формы участия некоммерческих неправительственных организаций в управлении делами государства » [Les étages inférieurs de la démocratie : les formes juridiques de la participation des organismes non gouvernementaux à but non lucratif à la gestion des affaires de l’État], Конституционное и муниципальное право [Droit constitutionnel et municipal] 2009, n° 1. 308 LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE lucratif sont l’enseignement et la science (32%), la culture et le sport (27%)35. 3. Conclusion Étant admise la nécessité de la coopération entre l’État et les organisations privées pour assurer la fourniture des services publics, il faut reconnaître l’existence de quelques problèmes théoriques et pratiques encore non résolus : - L’utilisation des divers modes de réglementation juridique de cette coopération. Un groupe d’auteurs incline à ce que l’administration d’État doit être réalisée dans les formes publiques. Un autre groupe d’auteurs reconnaît la possibilité de la réalisation de l’administration d’État au moyen de formes de droit privé. T. Khabrieva, A. Nozdratchev et J. Tikhomirov remarquent la possibilité des différentes variantes pour régler les relations entre les organes du pouvoir exécutif (les administrations ou les organisations autorisées par l’État) et leurs clients (les personnes physiques et morales) dans la gestion des services publics. - La santé privée placée au paragraphe 2 de l’article 41 de la Constitution à la Fédération de Russie sur un pied d’égalité avec le système de la santé publique d’État et municipal, se trouve encore au stade embryonnaire, comme tout le marché privé des services sociaux. La coordination et les incitations de l’État sont insuffisantes et inefficaces. Nous estimons qu’il est nécessaire de fixer par la loi les orientations prioritaires de la sphère sociale, pour les petites et moyennes entreprises dans un cadre de concurrence loyale, par exemple, les organisations privées pour la surveillance et l’entretien des enfants (elles résoudront le problème du manque de jardins d’enfants), les organisations de loisir pour les adolescents et les écoliers, les organisations médicales, non seulement dans les secteurs de l’esthétique et de l’odontologie, mais aussi d’autres secteurs, en dehors de ceux qui nécessitent le recours à des technologies médicales lourdes, les organisations du service médico-social (des personnes âgées, des invalides, des citoyens solitaires et ayant besoin de services). - Pour faciliter la participation des petites et moyennes entreprises à l’exécution des services publics en matière sociale sont nécessaires : la simplification de leur création, des exonérations fiscales, un régime simplifié de comptabilité, la réduction du nombre des documents à fournir pour les contrôles, une aide à l’obtention de crédits avec des conditions d’amortissement avantageuses. Sur le plan des modalités juridiques, la loi 35 Rapport annuel de la Chambre de la Société de la Fédération de Russie sur la situation de la société civile dans la Fédération de Russie (site officiel de la Chambre de la Société). N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ 309 fédérale devrait fixer les éléments fondamentaux du nouveau régime pour concrétiser le programme fédéral. - Le perfectionnement du système de la commande d’État (ou municipale) avec un régime spécial pour les services sociaux. - L’allégement des régimes administratifs comme l’attestation et l’accréditation, nettement définis au niveau législatif et unifié, mais qui ne tiennent pas compte des particularités du secteur en cause.