les procédures administratives et le contrôle à la lumière de l

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COLLECTION DE L’UMR DE DROIT COMPARÉ DE PARIS
VOLUME 26
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES
ET LE CONTRÔLE À LA LUMIÈRE
DE L’EXPÉRIENCE EUROPÉENNE
EN FRANCE ET EN RUSSIE
Sous la direction de
Talia Iaroulovna KHABRIEVA et Gérard MARCOU
SOCIÉTÉ DE LÉGISLATION COMPARÉE
Cet ouvrage de l’UMR de droit comparé de Paris et de l’Institut de
législation et de droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de
Russie est la première publication en langue française donnant accès aux
évolutions récentes du droit administratif russe. Celui-ci est confronté au
droit français et aux évolutions d’autres droits européens, sur des thèmes
choisis d’un commun accord par les auteurs à partir des questions inscrites à
l’agenda des réformes en Russie.
Les procédures administratives et le contrôle sont des questions
juridiques essentielles. De la façon dont elles sont réglées dépendent le
niveau de la protection des droits et des libertés, l’efficacité de la gestion
publique, le développement économique et la stabilité de l’État en général.
Les transformations du droit administratif russe sont replacées dans la
perspective des droits administratifs européens. Le lecteur français verra
comment le contexte russe influence la façon de les aborder ; l’édition russe
a permis de porter à la connaissance du lecteur russe les principes généraux
de la procédure administrative française, le régime des décisions implicites,
la place des personnes privées dans l’accomplissement de certaines missions
publiques.
I.S.B.N. : 978-2-36517-000-0
45 €
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES
ET LE CONTRÔLE À LA LUMIÈRE
DE L’EXPÉRIENCE EUROPÉENNE
EN FRANCE ET EN RUSSIE
COLLECTION DE
L’UMR DE DROIT COMPARÉ DE PARIS
(UNIVERSITÉ DE PARIS 1 / CNRS - UMR 8103)
VOLUME 26
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES
ET LE CONTRÔLE À LA LUMIÈRE
DE L’EXPÉRIENCE EUROPÉENNE
EN FRANCE ET EN RUSSIE
Sous la direction de
Talia Iaroulovna KHABRIEVA et Gérard MARCOU
Société de législation comparée
28 rue Saint Guillaume, 75007 Paris, France
Tél : (33) 1 44 39 86 23
Fax : (33) 1 44 39 86 28
e-mail : [email protected]
www.legiscompare.com
Ouvrage publié avec le concours du Conseil scientifique
de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
du Groupement de Recherche sur l’Administration Locale en
Europe (GRALE),
de l’Institut de législation et de droit comparé près le
Gouvernement de la Fédération de Russie et
de l’Union des Industriels et Entrepreneurs de Russie
Secrétariat de rédaction
UMR de droit comparé de Paris
Sophie GUY
Monique ROBICHON
Les contributions des auteurs russes ont été traduites en
français par Maria MECHERIAKOVA, chargée de recherche du
Centre de recherche de droit public de l’Institut de législation et de
droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie, et
Gérard MARCOU ; l’ensemble des traductions a été révisé par
Gérard MARCOU.
Le Code de propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2°
et 3° a), d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage
privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les
analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute
représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de
l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constitue
donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de
propriété intellectuelle.
© Société de législation comparée – 2012
I.S.B.N. 978-2-36517-000-0
I.S.S.N. 1636-905X
Collection de l’UMR de droit comparé de Paris*
n°1. Variations autour d’un droit commun. Travaux préparatoires, publié avec
le concours du CNRS, 2001, 157 pages.
n°2. Variations autour d’un droit commun. Premières Rencontres de l’UMR de
droit comparé, sous la direction de Mireille DELMAS-MARTY, Horatia MUIR
WATT et Hélène RUIZ FABRI, publié avec le concours du CNRS, 2002, 485 pages.
n°3. Clonage humain. Droits et sociétés. Étude franco-chinoise. Volume 1,
Introduction, sous la direction de Mireille DELMAS-MARTY et Naigen ZHANG,
2002, réimpression 2005, 238 pages.
n°4. Procès équitable et enchevêtrement des espaces normatifs. Travaux de
l’Atelier de droit international de l’UMR de droit comparé de Paris, sous la
direction de Hélène RUIZ FABRI, 2003, 290 pages.
n°5. L’harmonisation des sanctions pénales en Europe, sous la direction de
Mireille DELMAS-MARTY, Geneviève GIUDICELLI-DELAGE et Élisabeth
LAMBERT ABDELGAWAD, 2003, 592 pages.
n°6. Clonage humain. Droits et sociétés. Étude franco-chinoise. Volume 2,
Comparaison, sous la direction de Mireille DELMAS-MARTY et Naigen ZHANG,
2004, 219 pages.
n°7. Les sources du droit international pénal, sous la direction de
Mireille DELMAS-MARTY, Emanuella FRONZA, Élisabeth LAMBERT
ABDELGAWALD, 2004, 488 pages.
n°8. Clonage humain. Droits et sociétés. Étude franco-chinoise. Volume 3,
Conclusion, sous la direction de Mireille DELMAS-MARTY et Naigen ZHANG,
2005, 146 pages.
n°9. Mireille Delmas-Marty et les années UMR, 2005, 551 pages.
n°10. L’intégration pénale « indirecte ». Interactions entre droit pénal et
coopération judiciaire au sein de l’Union européenne, sous la direction de
Geneviève GIUDICELLI-DELAGE et Stefano MANACORDA, 2005, 383 pages.
n°11. Les juridictions pénales internationalisées, (Cambodge, Kosovo, Sierra
Leone, Timor Leste), sous la direction de Hervé ASCENSIO, Élisabeth LAMBERT
ABDELGAWAD et Jean-Marc SOREL, 2006, 383 pages.
*
Éditeur : Société de législation comparée, 28, rue Saint-Guillaume, 75007 Paris.
www.legiscompare.com
6
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
n°12. Les transformations de l’administration de la preuve pénale.
Perspectives comparées, sous la direction de Geneviève GIUDICELLI-DELAGE,
2006, 374 pages.
n°13. Impérialisme et droit international en Europe et aux États-Unis, sous la
direction de Emmanuelle JOUANNET et Hélène RUIZ FABRI, 2007, 334 pages.
n°14. La clémence saisie par le droit. Amnistie, prescription et grâce en droit
international et comparé, sous la direction de Hélène RUIZ FABRI, Gabriele
DELLA MORTE, Élisabeth LAMBERT ABDELGAWAD et Kathia MARTINCHENUT, 2007, 645 pages.
n°15. Les chemins de l’harmonisation pénale, sous la direction de Mireille
DELMAS-MARTY, Mark PIETH et Ulrich SIEBER, 2008, 447 pages.
n°16. La circulation des concepts juridiques : le droit international de
l’environnement entre mondialisation et fragmentation, sous la direction de Hélène
RUIZ FABRI et Lorenzo GRADONI, 2009, 574 pages.
n°17. Actualité du droit public comparé en France et en Allemagne – Actes des
séminaires franco-allemands de droit public comparé (2006-2007), sous la direction
de David CAPITANT et Karl-Peter SOMMERMANN, 2009, 222 pages.
n°18. Regards croisés sur l’internationalisation du droit : France – États-Unis,
sous la direction de Mireille DELMAS-MARTY et Stephen BREYER, 2009,
274 pages.
n°19. Cour de Justice et justice pénale en Europe, sous la direction de
Geneviève GIUDICELLI-DELAGE et Stefano MANACORDA, 2010, 323 pages.
n°20. Réparer les violations graves et massives des droits de l’homme : la
Cour interaméricaine, pionnière et modèle ?, sous la direction de Élisabeth
LAMBERT ABDELGAWAD et Kathia MARTIN-CHENUT, 2010, 334 pages.
n°21. La Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la
diversité des expressions culturelles. Premier bilan et défis juridiques, sous la
direction de Hélène RUIZ FABRI, 2010, 280 pages.
n°22. Le Parquet et la Prokuratura. Étude comparée France-Russie, sous la
direction de Nadine MARIE-SCHWARTZENBERG, 2010, 171 pages.
n°23. Repenser le constitutionnalisme à l’âge de la mondialisation et de la
privatisation, sous la direction de Hélène RUIZ FABRI et Michel ROSENFELD,
2011, 452 pages.
COLLECTION DE L’UMR
7
n°24. Les catégories ethno-raciales à l’ère des biotechnologies. Droit, sciences
et médecine face à la diversité humaine, sous la direction de Guillaume
CANSELIER et Sonia DESMOULIN-CANSELIER, 2011, 170 pages.
n°25. Le modèle des autorités de régulation indépendantes en France et en
Allemagne, sous la direction de Gérard MARCOU et Johannes MASING, 2011,
408 pages.
n°26. Les procédures administratives et le contrôle à la lumière de
l’expérience européenne en France et en Russie, sous la direction de Talia
Iaroulovna KHABRIEVA et Gérard MARCOU, 2012, 310 pages.
Table des matières
Les auteurs
13
Avant-propos
Alexandre Nikolaevitch CHOKHINE
15
Introduction
Talia Iaroulovna KHABRIEVA et Gérard MARCOU
17
L’analyse juridique comparative des institutions de l’administration
publique
Iouri Aleksandrovitch TIKHOMIROV
27
I
PROBLÈMES ACTUELS DES PROCÉDURES
ADMINISTRATIVES ET DU CONTRÔLE
EN DROIT COMPARÉ
Les actes administratifs et les procédures administratives dans les
États d’Europe occidentale et en Russie. Protection de l’intérêt
public et garantie des droits
Gérard MARCOU
35
Procédures administratives et barrières administratives : à la
recherche d’un équilibre
Talia Iaroulovna KHABRIEVA
103
Comment surmonter les
juridique comparative
Vladimir Ilitch LAFITSKY
125
barrières
administratives ?
Analyse
10
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
II
ACTES ADMINISTRATIFS ET DÉCISIONS
ADMINISTRATIVES EN RUSSIE ET EN FRANCE
Les actes administratifs : notion, caractéristiques et évolution
Aleksandr Fedorovitch NOZDRATCHEV
141
Le pouvoir réglementaire et les sujets de droit privé dans l’ordre
juridique français : attribution, exercice et contrôle du pouvoir
réglementaire
Gérard MARCOU
169
La décision implicite en droit administratif français
Paul CASSIA
197
III
LES PRINCIPES DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE
EN RUSSIE ET EN FRANCE
Les principes généraux de la procédure administrative en France
David CAPITANT
223
Les procédures administratives : doctrine et pratique
Iouri Alexandrovitch TIKHOMIROV
235
IV
PROBLÈMES ET INSTRUMENTS DES RELATIONS
ENTRE ADMINISTRATIONS PUBLIQUES ET
PERSONNES PRIVÉES
Procédures et garanties de la participation des personnes physiques
et morales dans leurs relations avec les organes d’administration
publique
Ludmila K. TERECHTCHENKO
247
TABLE DES MATIÈRES
11
La gestion des services publics par les personnes privées en France
Jean-Marie PONTIER
267
La participation des organisations privées à la prestation des services
publics en Russie
Natalia POUTILO
289
LES AUTEURS
David CAPITANT, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
École de droit de la Sorbonne, UMR de droit comparé de Paris
Paul CASSIA, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, École
de droit de la Sorbonne, Membre de l’Institut universitaire de France
Alexandre Nikolaevitch CHOKHINE, Professeur de sciences économiques,
Président de l’Union des Industriels et Entrepreneurs de Russie
Talia Iaroulovna KHABRIEVA, Professeur, membre correspondant de
l’Académie des Sciences de Russie, membre associé de l’Académie
internationale de droit comparé, membre du conseil de la Fondation pour le
droit continental, Directrice de l’Institut de législation et de droit comparé
près le Gouvernement de la Fédération de Russie
Vladimir Ilitch LAFITSKY, Professeur, membre associé de l’Académie
internationale de droit comparé, Directeur adjoint de l’Institut de législation
et de droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie
Gérard MARCOU, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
École de droit de la Sorbonne, UMR de droit comparé de Paris, Directeur du
Groupement de Recherche sur l’Administration Locale en Europe (GRALE)
Aleksandr Fedorovitch NOZDRATCHEV, Professeur et chef de
département de l’Institut de législation et de droit comparé près le
Gouvernement de la Fédération de Russie
Jean-Marie PONTIER, Professeur à l’Université Paris 1 PanthéonSorbonne, École de droit de la Sorbonne, membre du Conseil scientifique du
GRALE
Natalia POUTILO, Professeur et chef de département de l’Institut de
législation et de droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de
Russie
Ludmila K. TERECHTCHENKO, Professeur, chef-adjoint de
département de l’Institut de législation et de droit comparé près le
Gouvernement de la Fédération de Russie
14
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Iouri Aleksandrovitch TIKHOMIROV, Professeur, membre associé de
l’Académie internationale de droit comparé, Premier Adjoint du Directeur
de l’Institut de législation et de droit comparé près le Gouvernement de la
Fédération de Russie
AVANT PROPOS
Alexandre N. CHOKHINE
L’économie et le droit sont les deux instruments les plus puissants du
développement de la société. Il convient qu’ils agissent de concert. Il n’est
cependant pas rare qu’apparaissent entre eux des contradictions qui minent
l’unité de l’État et de la société. Pour les surmonter, il est nécessaire de créer
un algorithme de relations selon lequel l’économie puisera sa force dans le
droit et le droit tracera la voie du développement économique.
La nécessité d’une telle relation entre le droit et l’économie est
évidente. Elle a cependant été ressentie avec une acuité particulière au cours
des dernières décennies. De nouveaux rapports se sont développés, de
nouvelles possibilités sont apparues, et avec eux de nouveaux dangers. Le
coût des erreurs, dans le domaine du droit comme dans le domaine de
l’économie, s’est accru. C’est pourquoi les recherches scientifiques sur les
orientations prioritaires de l’économie et du droit sont si importantes.
Les recherches sur les procédures administratives sont au nombre de
ces orientations prioritaires. En effet, il n’est pas rare que la bureaucratie
aspire à vivre, non pas selon les lois de l’économie et du droit, mais selon
ses propres règles. Ce n’est pas par hasard que, dans le cadre des réformes
administratives qui sont menées en Fédération de Russie, une attention
particulière est portée aux normes qui fixent les règlements selon lesquels
doivent être exécutés les fonctions de l’État et des collectivités locales ainsi
que les services publics. Ces textes fixent précisément les procédures qui
doivent être suivies, et contiennent la liste exclusive des documents qui
peuvent être demandés aux citoyens comme aux organisations.
À l’heure actuelle, 300 règlements administratifs sont entrés en vigueur
au niveau fédéral et plus de 3 000 au niveau des sujets de la Fédération.
L’intensité de cet effort impressionne. Mais ces textes sont-ils un
moyen efficace de surmonter l’arbitraire administratif et la corruption ?
16
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Augmenteront-ils l’efficacité de l’action administrative, au niveau de l’État
comme au niveau des collectivités locales ? Des corrections ne sont-elles
pas nécessaires dans les règlements administratifs qui ont été adoptés ?
Seules des investigations scientifiques peuvent donner une réponse
valable à ces questions. C’est pourquoi l’Union des Industriels et des
Entrepreneurs de Russie a soutenu l’initiative de l’Institut de législation et
de droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie de mener
conjointement avec l’École de droit de l’Université Paris 1 PanthéonSorbonne (UMR de droit comparé et GRALE) une recherche sur « Les
procédures administratives et le contrôle à la lumière de l’expérience
européenne ».
Je pense que nous ne nous sommes pas trompés, non seulement dans le
choix du sujet, mais aussi des partenaires de ce projet – les centres les plus
importants de la recherche juridique en Russie et en France.
Le projet est arrivé à son terme. Il a produit beaucoup de matériaux
d’un grand intérêt théorique et pratique. On retiendra en particulier les
propositions d’amélioration de la législation en vigueur qui visent à
simplifier les procédures administratives, à supprimer les restrictions
inutiles, à élargir les possibilités de partenariat public-privé. De tels
changements sont, sans aucun doute, de nature à renforcer le développement
des systèmes économiques et juridiques des deux pays.
En terminant la présentation de ce livre, je voudrais souligner un point.
La recherche commune menée par l’Institut de législation et de droit
comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie et l’École de droit
de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (UMR de droit comparé et
GRALE) ne s’inscrit pas seulement dans les traditions de coopération
scientifique qui existent entre nos deux pays. Elles les portent à un degré
supérieur et donnent un bon exemple de coopération scientifique intégrée
entre la Russie et la France. J’espère que cette coopération pourra encore se
développer à l’avenir.
INTRODUCTION
Talia Ia. KHABRIEVA et Gérard MARCOU
Dans son livre devenu un classique et traduit en russe, Grands systèmes
de droit contemporains, René David affirme qu’en France « le droit
administratif a atteint le plus haut degré de développement »1. Cette
appréciation est partagée par des auteurs de nombreux pays : États-Unis,
Grande-Bretagne, Allemagne, Espagne et d’autres. C’est pourquoi les
ouvrages français de droit administratif sont souvent publiés à l’étranger et
la Russie ne fait pas exception.
L’un des premiers travaux publiés en russe est l’ouvrage classique de
Léon Duguit, son Traité de Droit constitutionnel (1908). Vingt ans plus tard
a été publiée l’édition russe du livre de Maurice Hauriou, Principes de droit
public (1929).
La publication d’ouvrages fondamentaux sur le droit administratif
français a repris à partir des années 70. En 1973, on a traduit le manuel de
Georges Vedel, Droit administratif, en 1982, le cours de Roland Drago,
Science administrative, en 1988, celui de Guy Braibant, Droit administratif
français, en 1995, le livre de Max Gounelle, Introduction en droit public.
Dans les années 1990, une série d’ouvrages français a été publiée en
russe sous les auspices de l’ambassade de France à Moscou : L’organisation
administrative en France (1993), Le contrôle de l’administration publique
en France (1994), Aperçu du droit administratif de France (1995), etc.
De nombreux articles d’auteurs français ont été publiés dans les revues
russes sur le droit administratif français ; nombre d’entre eux ont influencé
le développement de la législation soviétique et, par la suite, russe. On peut
citer, par exemple l’article de Michel Lesage, « Le contrôle juridictionnel de
1
R. DAVID, Основные правовые системы современности [Grands systèmes de droit
contemporains], Moscou, 1967, p. 100, traduit du français, Dalloz, 1965, 11ème éd., refondue par
C. JAUFFRET-SPINOSI, Dalloz, 2002, réimpression 2009. 18
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
l’administration en France »2, et plus récemment celui de Gérard Marcou,
« La fonction consultative juridique centrale. Approche de droit comparé »3.
En 1988, a été publié le recueil « La République Française :
Constitution et législation », réunissant avec la Constitution les traductions
des lois les plus importantes en matière administrative.
De nombreux auteurs russes se sont également intéressés au droit
constitutionnel et administratif français, parmi lesquels notamment
S.V. Bobotov, A.N. Kozyrine, M.A. Krutogolov, A.V. Obolonskyi, E.V.
Talapina, V.A. Tumanov, P.I. Savitsky, et d’autres) et lui ont consacré des
articles sur des questions diverses.
En sens inverse, s’il a toujours existé en France un fort courant d’intérêt
pour la Russie, la part des questions juridiques et administratives y est restée
plutôt modeste et, à quelques exceptions près, parmi elles, ce sont les études
sur les institutions et le régime politique qui dominent. Il suffit de parcourir
les sommaires de la Revue d’Études comparatives Est-Ouest, publiée par le
CNRS, qui a permis depuis longtemps de soutenir les recherches sur l’Union
soviétique et les pays de l’Est, pour s’en rendre compte, quelle que soit par
ailleurs la très grande qualité de cette revue. Si certains numéros abordent
les questions institutionnelles (par exemple en 2008, le numéro 2, « les
pouvoirs du président, en Russie et dans d’autres pays de l’ancienne
URSS »), les aspects touchant à l’administration et au droit administratif
sont peu étudiés (ils le sont, il est vrai, dans le numéro cité, et dans le
numéro 4 de 2001 sur les villes russes, dirigé par Anne Gazier). Pendant la
période soviétique, ce sont essentiellement les travaux du professeur Michel
Lesage qui ont fait connaître et comprendre au public français les
institutions politiques et administratives de l’URSS4, mais on ne saurait
oublier les travaux de Patrice Gélard5 et, avant eux, l’ouvrage de Mouskhely
et Jedryka sur le gouvernement de l’URSS6. Certains spécialistes russes du
droit administratif ont été publiés en France à cette époque, notamment les
ouvrages des professeurs Jampolskaya7 et Tikhomirov8 par le CNRS.
2
Советское государство и право [L’État et le droit soviétiques], 1981, n° 11. Журнал зарубежного законодательства и сравнительного правоведения [Revue de
législation étrangère et de droit comparé], 2007, n° 1. 4
V. not. : Les régimes politiques de l’URSS et des pays de l’Est, Paris, PUF, 1971 ; Le
système politique de l’URSS, Paris, PUF, 1987 ; La fonction publique en Union soviétique, Paris,
PUF, 1973 ; L’administration soviétique, Paris, Economica, 1981. V. également ses chroniques sur
l’administration locale dans l’Annuaire des Collectivités locales, GRALE, Litec 1981 et 1982, 1997. 5
Les systèmes politiques des États socialistes, t. 1 : Le modèle soviétique, Paris, Cujas, 1975 ;
« L’administration soviétique », Notes et Études Documentaires, n° 3519, La Documentation
française ; L’administration locale en URSS, Paris, PUF, 1972. 6
M. MOUSKHELY, Z. JEDRYKA, Le gouvernement de l’URSS, PUF, 1961. 7
C. JAMPOLSKAYA, Les organisations sociales et le développement de la socialisation de
l’État, Paris, CNRS, 1967. 3
T. Ia. KHABRIEVA & G. MARCOU : INTRODUCTION
19
La perestroika, la dislocation de l’URSS et la formation de la
Fédération de Russie ont provoqué un regain d’intérêt pour les institutions et
le droit de la Russie, mais qui s’est davantage reflété dans des études
politiques et de droit constitutionnel9, ainsi que dans le domaine du droit
civil10, que dans des études sur l’administration et le droit administratif11 ;
l’administration locale et le fédéralisme ont toutefois particulièrement retenu
l’attention de chercheurs français12. Enfin, le droit public de l’économie
8
1973. Yu. A. TIKHOMIROV, Pouvoir et administration dans la société socialiste, Paris, CNRS,
9
Michel Lesage et Patrice Gélard ont été les premiers commentateurs des changements
constitutionnels et traducteurs de la nouvelle constitution russe. On doit aussi citer les travaux de
Jean-Pierre Massias, consacrés notamment aux cours constitutionnelles des pays issus de l’ancienne
URSS. 10
V. en particulier les thèses de A. CHAIGNEAU, Le droit de propriété en mutation à la
lumière du droit russe, Paris, Dalloz, 2008, et de D. SKODA, La propriété dans le Code civil de la
Fédération de Russie, un système entre deux traditions, Paris, Dalloz, 2007 ; celle
d’A. SCAGGION, La codification du droit russe (1991-2002), Université Paris 1 (dir.
M. LESAGE), n’a pas été publiée. V. également : N. KOLOSKOVA, La rupture du contrat de
travail en Russie étudiée à la lumière du droit français : évolution vers les standards internationaux,
thèse, Université Paris 2 (dir. F. FAVENNEC-HERY), 2007 ; V. SIMONENKO, Le refondement du
droit d’auteur russe à la lumière de l’expérience française, thèse, Université Paris 2 (dir. J.-C.
GALLOUX), 2007 ; D. LITVINSKI, La reconnaissance des décisions de justice étrangères : une
étude comparative du droit russe par l’entremise du droit français, thèse, Université Paris 2 (dir.
B. ANCEL), 2007 ; S. MENAGER-SIBE, Le droit du travail en Russie, thèse, Université Paris 10,
2004 ; D. STOYANOVA, La réforme de l’impôt sur les bénéfices en Russie, thèse, Université de
Montpellier 1, 2002. 11
V. cependant les thèses de : H. DONSKOFF, Les limites de l’action de la cour
constitutionnelle de la Fédération de Russie, Université des Affaires internationales du Havre (dir.
P. GÉLARD), 2004 ; M. VIEL, Le droit à une audition préalable dans la procédure administrative
non juridictionnelle en France et en Russie, Université Paris 2, 2003 ; N. BERGÈS, Les contrats
entre les personnes publiques russes et les entreprises privées, thèse, Université Paris 2 (dir.
P. DELVOLVÉ), 2002. 12
On relève plusieurs thèses sur les pouvoirs régionaux, malheureusement non publiées :
A. HERDAM, Pouvoir central et pouvoirs régionaux en Russie : le cas de la République de Sakha
(Yakoutie), thèse, 1998 ; J.-J. LALLEMAND, Étude sur le gouvernement des provinces en Russie
(1991-2004) : les exemples de Briansk et de Smolensk, thèse IEP de Paris, 2004 ; G. BERTRAND,
La transformation du gouvernement local en Russie. Le cas de Léningrad-Saint-Pétersbourg, ville
sujet de la Fédération, thèse, IEP de Paris, 2005. V. également : C. VASCONI, Les relations entre
la Fédération de Russie et l’oblast de Moscou, mémoire de recherche, Université Paris 1 (dir.
G. MARCOU), 2006. V. en outre sur le fédéralisme : M. LESAGE, La crise du fédéralisme
soviétique, Paris, La Documentation française, 1990 et, dans les Mélanges Lesage, les articles de
T. Ya. KHABRIEVA, « Constitution et fédéralisme en Russie aujourd’hui », p. 161, et de
G. MARCOU, « Fédéralisme et centralisation en Fédération de Russie : le statut des gouverneurs
des sujets de la Fédération », p. 475, ainsi que l’article d’A. GAZIER : « Régions et nationalités en
Russie : aspects institutionnels et juridiques », p. 405 (L’État et le droit d’est en ouest. Mélanges
offerts au professeur Michel Lesage, Paris, Société de Législation Comparée, 2006). Sur cette
thématique, v. aussi G. MARCOU, « Les relations budgétaires entre les collectivités locales et les
sujets de la Fédération de Russie dans une perspective européenne », Revue française de Finances
publiques, sept. 2001, n° 75, p. 135. De nombreux travaux ont été réalisés dans le cadre du Conseil
de l’Europe par G. Marcou sur ce thème, en relation avec l’administration russe ; ces travaux n’ont
20
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
apparaît comme une nouvelle thématique de coopération franco-russe,
comme le montrent la section juridique du colloque organisé en octobre
2010 à Moscou par l’École Supérieure d’Économie13, à laquelle l’Université
Paris 1 a participé avec une délégation importante, le projet en cours entre
ces deux universités sur l’efficacité du droit de la concurrence14, la table
ronde organisée le 1er mars 2010 entre l’Université Paris 1 (Institut de
Recherche Juridique de la Sorbonne) et l’Institut de Législation et de Droit
comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie15.
En fait, si on fait le bilan de ces multiples recherches et initiatives de
coopération, on peut affirmer que l’intérêt pour le droit russe n’a en fait
jamais été aussi élevé qu’aujourd’hui et qu’il gagne des juristes de toutes
spécialités, alors que pendant la période soviétique il était limité au petit
cercle des spécialistes du régime soviétique. Même s’il reste beaucoup à
faire pour développer la connaissance mutuelle de nos systèmes juridiques,
on peut y voir une base encourageante pour le développement de la
coopération future entre les juristes des deux pays, et en particulier dans le
domaine du droit administratif et de l’administration publique.
Précisément, le présent ouvrage constitue la première publication en
langue française qui donne accès aux évolutions récentes du droit
administratif russe, aux problèmes scientifiques et pratiques auxquels il est
confronté et à ses façons d’essayer d’y répondre. Le lecteur le découvrira
non seulement en lisant les contributions des auteurs russes mais aussi,
indirectement, en lisant les contributions des auteurs français, car les sujets
qu’ils abordent ont été définis après des discussions préalables qui ont
permis de déterminer sur quels points, la présentation aux lecteurs russes de
l’état du droit administratif français était utile aux discussions en cours en
Russie. Une mise en perspective plus large que la seule confrontation avec
le droit français a été jugée souhaitable. C’est l’objet des contributions de
Gérard Marcou et de Vladimir Lafitsky, ce dernier sous un aspect plus
technique et ciblé sur des débats actuels à propos de ce que l’on appelle en
Russie les « barrières administratives », c’est-à-dire les obstacles
réglementaires au développement économique.
pas été publiés mais sont accessibles, not. : La réforme de l’autonomie locale en Russie et son
application par les sujets de la Fédération, avril 2006. 13
Économie, politique et société : nouveaux défis et perspectives, Moscou, 28-29 octobre
2010. 14
L’efficacité du droit de la concurrence en Russie, en France et aux États-Unis, sous la
direction de L. VIDAL (Paris 1) et S. HUTCHINSON (École supérieure d’Économie, Moscou). 15
Aspects juridiques du soutien à l’innovation dans le développement économique, table
ronde, Université Paris 1, 1er mars 2010, dans le cadre du Forum économique franco-russe, avec le
soutien de la Fondation pour le Droit continental, de l’Union des industriels et entrepreneurs de
Russie et du MEDEF. T. Ia. KHABRIEVA & G. MARCOU : INTRODUCTION
21
C’est sur les procédures et les contrôles qu’il a été décidé de concentrer
ce projet commun de nos deux institutions scientifiques. Parmi de nombreux
domaines du droit administratif français encore inexplorés, ce sont ceux qui
ont été jugés les plus susceptibles d’alimenter les discussions sur les
réformes en cours. Mais ces deux termes sont pris dans un sens large, qui est
celui dans lequel ils sont discutés en Russie.
Par procédure administrative, on n’entend pas seulement la procédure
qui règle les rapports entre l’autorité administrative et le sujet de droit
destinataire de l’acte mais, bien davantage les « processus administratifs »,
que l’on estime nécessaire aujourd’hui de soumettre à des règles explicites
et transparentes. Cela concerne donc les modalités d’organisation de la
préparation des actes administratifs, aussi bien sur le plan interne à une
autorité administrative que dans les rapports avec les tiers, aussi bien les
actes réglementaires que les actes non réglementaires et les décisions
individuelles16.
Les réformes relatives au contrôle concernent aussi bien le contrôle
auquel les autorités administratives doivent être soumises que les contrôles
qu’elles exercent sur les tiers, notamment pour garantir le respect de la loi,
et pour lesquels, justement, des garanties procédurales et des voies de
recours sont indispensables à la protection des droits des tiers contre le
risque d’arbitraire administratif. Cette acception rattache le contrôle à la
notion plus large de « surveillance » (nadzor), propre au droit russe, reprise
par le droit soviétique, qui est un mode de contrôle externe ayant pour objet
le respect de normes déterminées par des sujets de droit privé ou des
autorités administratives, ou des organismes publics, exercé par une autorité
investie des pouvoirs de contrôle et d’investigation correspondants17 ; le
parquet (prokuratura) est seul investi d’une mission de surveillance générale
qui s’exerce aussi bien sur les administrations publiques que sur les organes
dirigeants des organisations commerciales ou non commerciales18.
Le choix du sujet de recherche n’a donc pas été le fruit du hasard. Les
procédures administratives et le contrôle sont des questions juridiques
essentielles. De la façon dont elles sont réglées dépendent le niveau de la
16
Cf plus loin la contribution du professeur TIKHOMIROV, « Les procédures
administratives, doctrine et pratique ». 17
V. Yu. A. TIKHOMIROV / E. V. TALAPINA, Введение в Российское право
[Introduction au droit russe], Moscou, 2003, pp. 358-361 ; S. M. ZYRIANOV,
Административный надзор [La surveillance administrative], Moscou, 2010, not. pp. 15-21. 18
V. la loi fédérale n° 168 de 1995 sur la prokuratura, art. 1er. Cf également : V. I.
ROKHLINE / I. I. SYDOROUK, Прокурорский надзор защита прав человека [La surveillance
par le parquet de la protection des droits de l’homme], Moscou, 2001, p. 25 et s. ; N. MARIESCHWARTZENBERG, « Le parquet et la prokuratura dans une optique de droit comparé », Revue
internationale de Droit pénal, 2008, vol. 79, n° 1-2, pp. 239-249 ; N. MARIE-SCHWARTZENBERG
(dir.), Le parquet et la Prokuratura. Étude comparée France-Russie, coll. « UMR de droit comparé de
Paris », vol. 22, Paris, Société de législation comparée, 2010. 22
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
protection des droits et des libertés, l’efficacité de la gestion publique, le
développement économique et la stabilité de l’État en général.
Le problème de la réglementation des procédures administratives et des
contrôles est très complexe. Le législateur doit concilier des intérêts
différents tant publics (les différentes autorités administratives concernées
sont loin d’avoir toujours la même vision de la réponse à apporter à un
problème) que privés. La portée et l’impact de chaque décision doivent
pouvoir être bien évalués. À défaut, les procédures et les contrôles peuvent
aussi générer des obstacles injustifiés à l’exercice des droits et libertés, aux
initiatives économiques qui sont le ressort du développement et à une
gestion publique efficace. La recherche juridique doit donc à la fois évaluer
l’état actuel de la réglementation des procédures et des contrôles, et
contribuer à leur amélioration dans la recherche d’un équilibre entre des
objectifs qui sont partiellement contradictoires, lequel peut d’ailleurs varier
à des étapes différentes de l’évolution de la société.
Bien entendu, les questions posées par l’évolution du système juridique
ne sont pas identiques en Russie et en France. Le droit administratif russe en
est encore à ses balbutiements. Il reste beaucoup à faire pour éliminer le
fardeau du passé, corriger les erreurs, en développant de nouvelles solutions
aux défis anciens ou nouveaux.
En particulier, il reste le problème de la fixation législative des
principes généraux des procédures administratives, ce qui entraîne
inévitablement des difficultés dans l’application des règlements
administratifs adoptés pour l’exécution des fonctions de l’État et des
collectivités locales et des services publics.
Les insuffisances des mécanismes de contrôle auxquels sont soumises
les autorités administratives affectent négativement l’efficacité de la gestion
publique en général.
Les formes inadéquates de la participation des personnes physiques aux
procédures de décision conduisent à des réactions de rejet dans la société
envers les décisions prises.
Il est nécessaire que la loi définisse mieux le régime des actes
administratifs, selon leur catégorie, afin que soient harmonisées les
conditions de leur préparation et de leur exécution.
Ces questions sont au centre de cet ouvrage commun. Il fait l’objet
d’une édition russe et d’une édition française, ce qui le rend accessible à un
lectorat plus large19.
19
L’édition russe a été publiée en mai 2011 par l’Institut de législation et de droit comparé
près le Gouvernement de la Fédération de Russie : Административные процедуры и контроль в
свете европейского опыта. T. Ia. KHABRIEVA & G. MARCOU : INTRODUCTION
23
Ces différents problèmes expliquent l’intérêt particulier de l’expérience
française pour la Russie aujourd’hui, à la lumière des normes juridiques
internationales et de l’évolution des systèmes de droit administratif des
autres pays européens. Au-delà de la valeur cognitive des contributions
réunies dans ce livre, celles-ci suggèrent des conclusions pratiques
importantes pour la Russie, pour la consolidation et la codification des
principes généraux de la procédure administrative ; pour l’introduction dans
le droit administratif russe de l’institution de la décision implicite, laquelle
permet de surmonter les lenteurs bureaucratiques ; pour améliorer le
contrôle juridictionnel des activités administratives, y compris par la mise en
place d’un système de justice administrative, au moment où, de nouveau, un
projet de loi est en cours d’élaboration, pour lequel les expériences de la
France, de l’Allemagne et d’autres pays européens peuvent être utiles ; pour
développer le cadre juridique de la participation des personnes privées à la
gestion des services publics.
Le lecteur français n’aura pas de peine à s’orienter, en lisant les
contributions des auteurs russes, et il repérera rapidement les convergences
et les questions sur lesquelles les approches demeurent éloignées. La théorie
de l’acte administratif exposée par le professeur Nozdratchev paraîtra assez
familière au lecteur français ; le droit russe admet en effet une définition
large de l’acte administratif, qui inclut les actes réglementaires. En
revanche, l’assimilation du contrat administratif à une variété d’acte
administratif de puissance publique rappelle la conception allemande, alors
qu’en France l’autonomie du contrat administratif et de son régime juridique
est reconnue depuis longtemps, bien que l’empreinte de la puissance
publique n’en soit jamais absente. Les conditions de diffusion du pouvoir de
faire des actes administratifs en dehors du cercle restreint des organes de
l’État et des collectivités locales ne sont pas très claires, ni surtout ses
limites, nécessairement étroites ; la qualification des organisations
professionnelles comme « organisations auto-réglementées » (v. la
contribution de Natalia Poutilo) entretient une ambiguïté sur la nature de la
« réglementation » qu’elles produisent.
Ambiguïtés peut-être, aussi, dans les termes de la discussion qui se
poursuit en Russie sur les procédures administratives et les
« barrières administratives ». La conception large de la notion de procédures
administratives (au pluriel) n’entretient-elle pas une certaine confusion entre
les principes généraux et les règles de procédure qui sont nécessaires à la
garantie des droits et des intérêts légitimes, y compris les procédures
consultatives impliquant des organisations sociales ou professionnelles,
d’une part, et les règles qui relèvent de l’organisation du fonctionnement
interne de l’administration, d’autre part ? Les premières doivent être fixées
par la loi, mais les secondes peuvent être rangées dans les prérogatives, et
24
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
les responsabilités, des dirigeants des organes de l’État ou des collectivités
locales, et la confusion de leur objet ne sert-elle pas à justifier indûment les
prérogatives de l’administration contre la loi ? De même, l’usage courant du
pluriel semble considérer comme allant de soi que le particularisme des
différentes administrations prévale sur l’affirmation de principes généraux.
Dans les pays qui ont adopté des lois générales de procédure administrative,
les dispositions de celles-ci cèdent devant les dispositions spéciales établies
par la loi (par exemple en matière fiscale ou douanière), mais on y reconnaît
des principes communs. Ces questions ne manqueront pas d’être encore
discutées en Russie, comme elles l’ont été en France.
Si l’élimination des « barrières administratives » est devenue un
objectif politique important des réformes administratives, la relation entre
cet objectif et celui du perfectionnement des procédures administratives est
complexe et présente des aspects contradictoires. Il n’est pas sans rappeler,
bien sûr, les politiques de « déréglementation » apparues aux États-Unis,
puis en Europe et qui s’attaquaient aux réglementations, de plus en plus
nombreuses, et aux contrôles qui auraient entravé la compétitivité des
entreprises20. La critique de l’excès de réglementation a contribué à ouvrir la
voie à la réception par les sciences juridiques et administratives de la notion
de régulation, laquelle aurait permis d’envisager d’autres modes de
régulation que la réglementation21. Par la suite, l’OCDE, notamment a
encouragé les « politiques réglementaires » tendant à alléger le fardeau des
réglementations de toute nature sur l’économie22. En réalité, la
réglementation s’est déplacée. Les politiques d’ouverture à la concurrence
des secteurs naguère soumis au contrôle de l’État et à un régime de
monopole a rendu nécessaire la construction du marché par la
réglementation et des systèmes de contrôle complexes (notamment par
l’intervention d’autorités indépendantes de régulation, rendues obligatoires,
désormais, par la réglementation communautaire). Les travaux les plus
récents de l’OCDE mettent aussi en évidence cette donnée : la réforme de la
réglementation, ce n’est pas, en soi, moins de réglementation, mais une
meilleure réglementation, adaptée aux besoins de l’économie et de la
société. L’agenda est ainsi devenu beaucoup plus large qu’il ne l’était
initialement. Les rapports nationaux du programme Better regulation in
Europe évaluent ainsi pour chaque pays, non seulement les efforts de
simplification et de réduction, ou plutôt de contrôle, du volume de la
réglementation, mais aussi, les capacités institutionnelles, la transparence, le
20
Institut Français des Sciences Administratives, Les déréglementations. Étude comparative,
Paris, Economica, 1988. 21
Cf l’article de Jacques CHEVALIER dans le même ouvrage : « Les politiques de
déréglementation », op. cit. pp. 44-45. 22
OECD, The OECD Report on regulatory reforms: Synthesis, Paris, 1998. T. Ia. KHABRIEVA & G. MARCOU : INTRODUCTION
25
développement de nouvelles réglementations, les procédures tendant à
assurer le respect des réglementations et les voies de recours, notamment23.
Par analogie, on comprend bien que l’enjeu de la lutte contre les « barrières
administratives » en Russie doit se comprendre par rapport à l’héritage du
régime soviétique. Il arrive en effet que d’anciennes réglementations et
d’anciennes pratiques se perpétuent sous de nouveaux habits, faisant ainsi
obstacle à l’application des lois nouvelles en adéquation avec le nouveau
régime économique. Cela n’exclut pas le développement de nouvelles
réglementations, ni des procédures plus rigoureuses, ni des voies de recours
nouvelles, ni plus de transparence dans l’action administrative, comme le
réclament d’ailleurs les règlements administratifs publiés par les différentes
administrations. C’est pourquoi il est important de bien préciser les critères
permettant d’identifier les « barrières administratives » qu’il s’agit de
combattre, pour les distinguer des réglementations et des contraintes qui
sont absolument nécessaires, même dans la vie économique (par exemple
pour la protection de l’environnement, pour la sécurité au travail, etc.)24.
Le lecteur français sera aussi sensible à la réception de la notion de
« service public » dans le droit administratif russe d’aujourd’hui, mais elle y
prend un sens assez différent. Sont considérés comme services publics les
activités des autorités administratives dont les destinataires sont des
personnes privées (par exemple la délivrance d’autorisations, de certificats
ou autres pièces officielles, ce qui serait plutôt considéré en droit
administratif français comme relevant de la police administrative) et les
services sociaux, qui sont en général gérés par des établissements publics,
mais parfois directement par des autorités administratives ; seuls ces
derniers peuvent être exercés par des personnes privées selon les modalités
prévues par la loi25. Toutefois, selon cette définition, le secteur connu sous
le nom d’« économie communale », terminologie héritée de l’époque
soviétique, et qui désigne divers services de réseau administrés ou contrôlés
par les collectivités locales (eau, assainissement, transports publics…) n’a
pas un statut très clair. Il est difficile, cependant, de ne pas y voir des
services publics, alors que la loi attribue explicitement des compétences aux
organes des collectivités locales en ces domaines. La réflexion doit sans
doute être poursuivie pour surmonter ces incertitudes conceptuelles.
23
OECD, Better regulation in Europe. The EU 15 project, http://www.oecd.org/document/
24/0,3746,en_2649_37421_41909720_1_1_1_37421,00.html
Le site du projet, qui a été mené entre 2008 et 2010 et dont les publications seront terminées
en 2011, présente des rapports par pays. 24
Cf plus loin la contribution de T. KHABRIEVA, « Procédures administratives et barrières
administratives : à la recherche d’un équilibre ». 25
Cf ci-après la contribution de N. POUTILO, « La participation des organisations privées à
la prestation des services publics en Russie ». 26
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
De même, pour les activités qui sont déléguées à des personnes privées,
si l’on retrouve des modalités qui rappellent des institutions connues,
comme les procédures de passation des marchés publics et des contrats
passés en dehors de ces procédures pour la fourniture de certains services
publics, à l’instar des délégations de services publics, largement pratiquées
en France, on s’aperçoit, à la lecture, que l’articulation entre l’intérêt public
dont les collectivités publiques sont les garantes, et l’intérêt privé, qui est le
moteur de l’engagement du secteur privé dans la fourniture de services
publics, n’a pas trouvé dans le droit russe des solutions satisfaisantes. Dans
le domaine éducatif et dans le domaine social, les services offerts par le
secteur privé, ne sont pas en général, sur le plan économique de même
nature que ceux offerts par les établissements publics, si bien qu’ils perdent
le caractère d’universalité qui caractérise en principe les véritables services
publics vis-à-vis du public desservi. Il s’agit d’un domaine dans lequel
l’expérience française peut être particulièrement utile, car la France est le
pays européen qui a, depuis le 19ème siècle, le plus développé les instruments
juridiques de la participation des entreprises privées à la fourniture de
services publics industriels et commerciaux. De même, dans les secteurs
désormais concurrentiels, les obligations de service public et de service
universel distinguent les entreprises qui en sont chargées des entreprises du
secteur qui n’ont pas d’autre objectif à atteindre que leurs propres objectifs
commerciaux. On doit toutefois reconnaître que la logique concurrentielle
conduit à un rétrécissement du champ du service public et à une réduction
de son intensité.
Pour conclure, nous voudrions exprimer notre profonde gratitude aux
institutions qui ont soutenu ce projet : outre l’Université Paris 1 PanthéonSorbonne et son École de droit et l’Institut de législation de droit comparé
près le Gouvernement de la Fédération de Russie, l’UMR de droit comparé
de Paris et le GRALE, au sein de l’Université Paris 1, et l’Union des
Industriels et des Entrepreneurs de Russie pour leur appui organisationnel et
financier à ce projet, et notre souhait qu’il contribue au renforcement de la
coopération scientifique entre les juristes des deux pays.
L’ANALYSE JURIDIQUE COMPARATIVE DES
INSTITUTIONS DE L’ADMINISTRATION PUBLIQUE
Iouri A. TIKHOMIROV
Des mouvements d’envergure, dont l’État est l’épicentre, sont en cours
dans le monde contemporain. Bien que le rôle de l’État évolue, il reste
essentiel. Dans ce contexte, l’administration publique1 porte une
responsabilité considérable devant la société pour assurer le développement
économique et social durable et, en même temps, répondre aux besoins
croissants en ressources de la société. Les garanties réelles des droits et des
intérêts des citoyens, des personnes physiques et morales, ainsi que la
sécurité d’État, dépendent, dans une large mesure, de l’administration
publique. Celle-ci doit répondre à tous les défis du monde actuel, aussi bien
à l’extérieur qu’à l’intérieur.
On comprend que les attentes de la société à l’égard de l’administration
publique se soient élevées dans la plupart des pays du monde. Au cours des
dernières années, les gouvernements, les organisations non-gouvernementales,
la Banque mondiale, des organisations du monde des affaires ont multiplié les
initiatives pour élever le niveau de l’administration publique, accroître son
caractère démocratique et son accessibilité. L’efficacité de la direction par
objectifs peut en être présentée comme l’indicateur principal aux yeux de la
société civile et de la communauté mondiale. La doctrine internationale de
good governance (bonne administration) signifie une gestion transparente et
responsable de ressources humaines, naturelles, économiques et financières
dans le but de développement durable et équitable.
C’est dans cette perspective que, depuis quelques années, les réformes
administratives intervenues en France et en Russie ont visé à accroître la
1
Soulignons qu’en russe le même mot, upravlenie, a le double sens d’administration et de
gestion (NdlR).
28
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
transparence et l’efficacité de la gestion publique2. C’est aux
développements législatifs tendant à améliorer l’efficacité des procédures et
des contrôles dans les deux pays que ce projet a été consacré. Deux
rencontres leur ont été consacrées, à Moscou et à Paris, en 2009 et 2010,
avec la participation de chercheurs en droit, en économie et de représentants
des organisations représentatives du monde des affaires.
On peut répartir les contributions en deux groupes. Le premier réunit
les contributions relatives aux questions de l’organisation du fonctionnement
de l’administration ; le deuxième regroupe les contributions traitant des
problèmes de la participation des personnes et des organisations privées à
l’exécution de certaines missions publiques. Envisageons donc ces sujets en
détail.
Traditionnellement la doctrine du droit administratif russe porte une
grande attention aux actes administratifs. Le professeur A. F. Nozdratchev a
caractérisé de manière détaillée la nature et les catégories des actes
administratifs, ainsi que les conditions de leur adoption. Il a examiné les
questions actuelles de l’exécution de ces actes et du respect de la légalité.
En France, le pouvoir réglementaire est compris comme le droit
d’établir des normes générales qui règlent la situation juridique des sujets de
droit auxquels elles s’appliquent. Ce droit est conféré à l’autorité
administrative par la Constitution ou par la loi. Le professeur G. Marcou a
envisagé en détail les questions du pouvoir réglementaire et de la
participation des personnes privées à son exercice, de l’attribution de ce
pouvoir, de sa mise en œuvre et des contrôles auxquels il est soumis. La
participation des personnes privées au pouvoir réglementaire emprunte des
formes variées, de l’édiction d’actes réglementaires à la forme du contrat,
comme on le voit au travers des contrats collectifs de travail, ou dans le
domaine des relations entre les professions médicales et la Sécurité sociale,
ou encore dans l’édiction des normes techniques.
Le professeur D. Capitant caractérise les principes généraux de la
procédure administrative française qui reflètent les traditions durables de la
doctrine nationale et règlent les relations entre les pouvoirs publics et les
citoyens. On voit au premier plan deux acteurs essentiels – l’administration
et le tribunal administratif. Les principes du dépôt et de l’examen d’un
recours sont marqués par la netteté, la simplicité et la bientraitance. Ce sont
les principes de la transparence, du contradictoire (la motivation des
décisions), de la sécurité juridique (l’absence d’effet rétroactif).
2
Cf. Y. A. TIKHOMIROV, Управление на основе права [L’administration sur la base de
droit], Moscou, 2008 ; Y. A. TIKHOMIROV, Децентрализация урпавления в зарубежных
странах [La décentralisation de l’administration dans des pays étrangers], Moscou, 2009.
I. A. TIKHOMIROV : ANALYSE JURIDIQUE COMPARATIVE DES INSTITUTIONS
29
Un autre aspect de l’analyse comparative juridique est celui de la
perception des problèmes de la gestion publique par les personnes privées.
Le professeur J.-M. Pontier expose en détail la conception du service public,
qui est une institution caractéristique du droit français. Il est marqué par sa
corrélation avec un intérêt public et par son orientation vers la réalisation du
bien public dont la notion comporte, évidemment, un sens historique
concret. Il est remarquable qu’on ait ajouté il y a longtemps aux organismes
publics chargés de ces services les entités du droit privé (associations,
sociétés, etc.). Le mandat de gestion dans ce cas est délégué sur la base de la
loi ou par contrat, et son objet peut être de nature administrative ou
économique.
Il existe encore le régime très intéressant de la décision implicite quand
la loi fait produire une décision au silence de l’administration, dans l’intérêt
du demandeur. Le délai fixé pour l’acquisition de cette décision est pour lui
une garantie. L’analyse détaillée de cette institution administrative, que nous
livre le professeur P. Cassia, peut être utile pour la doctrine et la pratique du
droit administratif russe, notamment en ce qui concerne les procédures
relatives au fonctionnement des services publics et les recours administratif.
L’exposé de L.K. Terechtchenko est consacré à l’analyse des
procédures et des garanties relatives à la participation des personnes
physiques et morales à la procédure dans leur relation avec les autorités
administratives. On remarque que la doctrine russe travaille aujourd’hui
beaucoup sur les notions de services publics et de services municipaux en
relation avec les notions de compétence et de fonction, ainsi que sur les
questions de procédure liées à la fourniture des services, notamment sur la
base de centres multifonctionnels et des règlements administratifs de
procédure. Il faut en outre tenir compte des possibilités offertes par la
nouvelle loi fédérale sur l’accès aux informations relatives au
fonctionnement des autorités administratives et municipales.
On trouve des renseignements intéressants dans le rapport de N. V.
Poutilo concernant la participation des organisations privées à la fourniture
des services publics. En ce qui concerne la Russie, on peut parler ici d’une
orientation nouvelle car, auparavant seuls les établissements publics avaient
le droit de fournir des services publics. On peut y rajouter maintenant des
organisations et entrepreneurs privés. Cette orientation fait appel aux
institutions suivantes du droit administratif : l’autorisation administrative, la
réglementation conventionnelle, la commande d’État et l’externalisation.
Les contrats d’externalisation élargissent les domaines de participation des
entités privées à la fourniture de services publics. Il existe en Russie des
agences fédérales qui sont principalement chargées d’organiser et de fournir
les services publics.
30
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Ces différentes contributions font apparaître l’existence de tendances
communes au développement de l’administration publique en Russie et en
France. D’un autre côté, on peut constater des traits spécifiques des
processus administratifs, de leurs mécanismes et de leurs instruments. On
s’interroge naturellement sur l’appréciation que l’on peut en faire. Quelles
leçons tirer d’une expérience étrangère? A-t-on besoin des comparaisons?
Peut-t-on utiliser les méthodes administratives étrangères?
Les réponses à ces questions supposent l’utilisation des critères de
l’analyse juridique comparative. On peut distinguer quatre critères : le
critère de l’objectif, le critère estimatif, le critère systémique et le critère
intégratif. Le premier critère est celui des buts de la comparaison. Le second
critère est celui qui se rapporte à l’interprétation des phénomènes, des
procédures et des institutions administratives. Le troisième critère est celui
qui les replace dans les cadres du droit national et de l’environnement social.
Enfin, le quatrième critère se réfère à l’expérience du droit comparé et aux
standards internationaux il faut appliquer le critère intégratif qui implique
l’expérience concentrée du droit comparé et des standards internationaux. Le
respect de ces critères garantit la précision de l’analyse et la justesse des
recommandations.
On remarquera en particulier les recherches économiques sur le droit
qui découlent de la nécessité d’évaluer la dynamique des processus sociaux.
Dans chaque pays les agents économiques ont besoin de partenaires et d’un
cadre juridique solide pour se développer. Tel est le cas dans les pays
étrangers, non seulement des agents économiques mais aussi des cadres
juridiques. Cela explique que la réalisation des objectifs stratégiques de la
modernisation de l’économie de la Russie exige l’utilisation de l’ensemble
des moyens, parmi lesquels la place la plus importante revient au droit.
Les agents économiques ont besoin d’une législation développée et
correctement appliquée. Cela contribue à la sécurité juridique, fait obstacle
aux pressions administrative et garantit leur liberté et leur capacité de
prendre des décisions sur la base de critères économiques. Le contrôle de
l’État et de la société sur l’application de la loi doit être transparent et
efficace.
La coopération entre les milieux économiques et la recherche juridique
peut permettre des progrès dans cette voie, en Russie comme en France,
comme le montre la réalisation de ce projet.
Dans un monde qui change, le choix des orientations gagne en
importance, aussi bien au niveau national qu’au niveau international.
L’intégration des économies nationales ainsi que des autres sphères de la vie
des États exige bien plus que par le passé des régulations juridiques
efficaces. Leur compréhension et leur conception constituent un vaste
champ de coopération entre la France et la Russie dans le domaine de la
I. A. TIKHOMIROV : ANALYSE JURIDIQUE COMPARATIVE DES INSTITUTIONS
31
recherche juridique. Cet ouvrage, consacré à l’analyse des procédures et du
contrôle administratif en France et en Russie, est un premier pas dans cette
direction, et il illustre par les résultats qu’il réunit, la fécondité d’une telle
coopération, par exemple à propos des procédures de décision et de la
participation des personnes privées à l’exécution de missions publiques.
D’autres recherches communes sont nécessaires, notamment en ce qui
concerne l’intégration internationale. Les agents économiques, en effet, ne
limitent plus leurs activités à l’intérieur des frontières d’un État. On connait
l’expérience réussie de l’Union Européenne fondée sur un marché unique et
une communauté de droit. Avec l’Union douanière dont la Russie a pris
l’initiative, l’étude et l’utilisation de l’expérience accumulée par l’Union
européenne permettront de mieux soutenir l’activité économique. La
garantie de la sécurité juridique pour les agents économiques pose des
problèmes fondamentaux qu’il faut résoudre en tenant compte de normes du
droit international et de meilleures « pratiques juridiques » des pays de l’UE,
de la CEI et de la Communauté Eurasienne économique (EurAsEC).
Il existe un grand besoin de connaissances scientifiques sur le droit qui
s’applique à l’administration publique, sur le droit de l’action publique
notamment en matière économique, pour soutenir l’initiative privée, pour
promouvoir la diffusion du progrès technologique et de l’innovation, aussi
bien au niveau régional qu’au niveau sectoriel. Il en va de même des normes
techniques et de la réglementation douanière, qui sont indispensable à la
sécurité des échanges mais qui peuvent aussi être des barrières efficaces aux
échanges, aussi bien dans l’Union européenne que dans l’Union douanière.
Il y a là encore des possibilités peu explorées de soutenir le développement
des entreprises.
Un autre problème actuel est celui d’une juste compréhension du
facteur humain. Ces dernières années la formation de l’économie de marché
était liée principalement aux questions de la propriété, du profit et du prix de
revient, de la compétitivité de la production. Les questions de l’organisation
et de la qualité du travail, des services sociaux et de la formation permanente
ont été négligées. Il s’agit pourtant de facteurs essentiels du développement
économique dont l’importance est aujourd’hui reconnue.
C’est pourquoi la reconstruction de l’ensemble du droit social est
aujourd’hui à l’ordre du jour en Russie, sur la base de la Charte sociale
européenne, qui a été ratifiée par la Russie. On a immédiatement besoin de
travaux scientifiques sur les instruments juridiques permettant l’harmonisation
des intérêts de tous les participants aux relations de travail. On a en vue les
meilleurs moyens de garantir les droits des travailleurs et la réalisation des
obligations des employeurs, de contrôler les flux de travailleurs migrants, de
développer des formes nouvelles de participation des travailleurs à la gestion
de la production, et à l’autorégulation économique. Le cycle « formation –
32
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
science – production » mérite une attention spéciale aussi bien dans les
politiques des États qu’au niveau international, ainsi que dans les
organisations professionnelles.
De la réponse à ce problème dépend le développement des initiatives
économiques et juridiques des citoyens, véritable ressource de la société
civile. Notamment, les organisations d’employeurs et les syndicats de
salariés doivent parvenir ensemble à des mesures concrètes de soutien et
d’encouragement des travailleurs d’une part, de renforcement de la
discipline du travail d’autre part.
On doit lier à cela l’enrichissement des traditions et des institutions du
droit continental dans le contexte de coopération internationale qui se
développe entre la Russie et la France. Ici le problème clé consiste à garantir
l’accès au droit. Pour y parvenir, il est nécessaire de poursuivre la mise en
valeur des bases du droit européen et des textes juridiques fondamentaux par
l’élaboration de glossaires et par l’enrichissement du langage juridique
commun. Ce sont les traditions juridiques communes de nos pays qui
encouragent la recherche des tendances du développement de la culture
juridique des citoyens et de leur activité sociale et juridique dans toutes les
sphères de la vie.
Soulignons aussi que la transparence de la justice et la qualité des
jugements restent un problème aux yeux des citoyens comme des
entreprises.
Une coopération entre la recherche juridique et les milieux
économiques en Russie et en France peut contribuer à élaborer des réponses
à ces différentes questions. Les milieux économiques russes possèdent
l’expérience positive de leur collaboration avec l’Institut de législation et du
droit comparé auprès du Gouvernement de la Fédération de Russie, qui a
instauré des relations stables avec l’UMR de droit comparé de l’Université
Paris 1.
Tout cela donne une base solide pour de nouveaux projets de recherche
en vue d’une étude systématique des problèmes de l’administration publique
en Russie et en France.
I
PROBLÈMES ACTUELS DES PROCÉDURES
ADMINISTRATIVES ET DU CONTRÔLE
EN DROIT COMPARÉ
LES ACTES ADMINISTRATIFS ET LES PROCÉDURES
ADMINISTRATIVES DANS LES ÉTATS D’EUROPE
OCCIDENTALE ET EN RUSSIE
Protection de l’intérêt public et garantie des droits
Gérard MARCOU
Le droit administratif moderne est né de deux exigences fondamentales :
assurer la soumission de l’administration à la loi et assurer la protection des
droits des citoyens dans leurs rapports avec l’administration. La première
exigence donne à l’action administrative sa légitimité : l’administration
publique relève du pouvoir exécutif. La seconde est la condition de l’État de
droit : tout citoyen doit pouvoir faire respecter ses droits par l’administration
comme par n’importe quel autre sujet de droit. Mais, précisément parce
qu’elle relève du pouvoir exécutif, l’administration n’est pas n’importe quel
autre sujet de droit, et c’est pourquoi le développement d’institutions et de
procédures particulières a été nécessaire, même dans les pays de common law,
dont le système juridique refuse en principe l’idée que l’administration relève
d’un régime juridique spécial.
Avec le développement du libéralisme, le droit administratif a donné
une expression juridique particulière à la séparation public-privé, qui est
apparue avec la formation de l’État moderne. La démocratie a imposé un
élargissement considérable des missions de l’État, et avec lui de l’objet du
droit administratif. En Angleterre, cela a même été l’argument majeur de
ceux qui pensaient que le droit anglais devait faire une place au droit
administratif en tant que tel1, contre la tradition de common law qui s’y
opposait2. Malgré cela, dans les pays occidentaux, l’idée de la nécessité
1
W. A. ROBSON, Justice and administrative law : a study of the British constitution, 3e éd.,
Londres, Stevens, 1951 (1ère éd. 1928). 2
A. V. DICEY, An introduction to the study of the law of the constitution, Macmillan,
Londres, introduction de E.C.S. Wade (1ère éd. 1885, rééd. 1982). 36
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
d’une séparation entre le public et le privé n’a pas été remise en cause ; bien
au contraire, elle a été renforcée par la promotion des droits de l’homme et
des droits fondamentaux au rang de normes de droit positif.
Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, les mutations
économiques survenues depuis les années 70 du siècle dernier et qui ont
partiellement remis en cause la vision du rôle de l’État associé à l’Étatprovidence (Welfare State) au profit d’une réhabilitation du rôle du marché,
n’ont pas provoqué un reflux du droit administratif. C’est l’inverse qui s’est
produit : l’institutionnalisation du marché a nécessité la mise en place de
réglementations nouvelles et d’institutions chargées d’en assurer le contrôle
et de traiter de nouveaux contentieux3.
La Russie a changé de système au moment où ces mutations
s’opéraient. Le système soviétique n’ignorait pas la séparation public-privé,
mais il reposait sur une vision de l’ordre social et politique selon laquelle
l’État soviétique organisait l’ensemble de la société et de l’économie. Cela
conduisait à privilégier le bien commun incarné par l’État soviétique, en cas
de conflit avec des intérêts individuels et à un déséquilibre entre la
protection des intérêts de l’État et la protection des droits individuels. Dans
son principe ce déséquilibre n’était pas très différent de celui du droit
administratif du 19e siècle dans les autres pays européens, si ce n’est que
l’État soviétique contrôlait l’ensemble des activités sociales. C’est
seulement vers la fin des années 60 que s’est imposée comme une
« perspective » la possibilité d’un contrôle judiciaire de la légalité des actes
de l’administration touchant les intérêts personnels et patrimoniaux des
citoyens et que l’élargissement de ce type de contrôle a été défendu par les
juristes4 mais, à cette époque, avec des résultats limités.
Après la dissolution de l’Union soviétique et l’adoption de la
Constitution de la Fédération de Russie de 1993, une nouvelle époque s’est
ouverte et le droit russe a été confronté à des problèmes désormais très
semblables à ceux des autres pays européens. Mais il est plus long et plus
compliqué de changer l’administration que de changer la Constitution. La
science du droit administratif est donc confrontée en Russie aujourd’hui à
une tâche particulièrement difficile et importante pour accompagner
l’évolution de la législation et de la jurisprudence sur la base de la nouvelle
Constitution, et le droit comparé est alors une ressource irremplaçable.
3
G. MARCOU, « Politiche di liberalizzazione ed espansione del diritto pubblico », in
A. LUCARELLI (dir.), Il Diritto Pubblico tra crisi e ricostruzione, Naples, Istituto italiano per gli
studi filosofici, Ed. La Scuola di Pitagora, 2009, pp. 43-64. 4
Cf not. le livre de I. A. TIKHOMIROV, Pouvoir et administration dans la société socialiste,
Paris, CNRS, 1974, p. 139 (traduit de : Власть и управление в социалистическом обществе,
Moscou, 1968). G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 37
En choisissant de se concentrer sur les procédures et les contrôles, les
auteurs du projet ont voulu aborder les questions les plus actuelles du droit
administratif russe et le replacer dans une perspective européenne. Les
procédures forment le cadre de l’activité juridique de l’administration, elles
sont la condition première du respect de la légalité et d’une approche
équilibrée des intérêts en cause dans le processus de décision. Mais ce sont
aussi les procédures qui permettent la participation des citoyens à la prise de
décision et de lui donner quelque efficacité ; elles concourent ainsi à la
légitimation démocratique des décisions. Les contrôles s’entendent dans
deux sens : les contrôles exercés par l’administration pour assurer le respect
de la légalité par les sujets de droit, et les contrôles exercés sur
l’administration elle-même à l’initiative des sujets de droit. On peut affirmer
aujourd’hui que le contrôle juridictionnel de l’administration en est la forme
essentielle, car l’efficacité des autres types de contrôle dépend en dernier
lieu de l’efficacité du contrôle juridictionnel. Depuis le début des années
1990, celui-ci a progressé de manière remarquable en Russie5, malgré
l’abandon de fait du projet d’établir en Russie une juridiction administrative
spécialisée. L’étude des procédures et des contrôles fait apparaître que
l’administration ne peut plus agir sur la base du seul principe d’autorité, elle
doit aussi construire l’accord des personnes privées. Malgré l’importance
des recours juridictionnels, ils ne sont pas étudiés dans le cadre de ce projet,
mais la jurisprudence des pays européens sera utilisée comme source du
droit pour présenter la définition des actes et l’état des procédures, lorsque
cela sera nécessaire.
Le nouveau droit administratif de la Russie se rapproche aujourd’hui
dans les grandes lignes de celui des pays d’Europe occidentale et il est
possible de le situer par rapport aux grandes familles des droits
administratifs européens. L’activité juridique de l’administration se
manifeste essentiellement par deux catégories d’actes : l’acte administratif
unilatéral et le contrat. Ces deux catégories d’actes sont soumises à des
principes de procédure différents ; ils sont également affectés différemment
par le droit communautaire et la mise en œuvre de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
5
P. H. SOLOMON Jr, « Judicial power in Russia: through the prism of administrative
justice », Law and Society Review, sept. 2004, vol. 38, n° 3, pp. 549-581 ; S. BELOV, « Recent
developments in Russian constitutional and administrative law », International Journal of Legal
Information, 2007, vol. 35, pp. 278-293. Cette évolution a été rendue possible par la loi de l’URSS
du 2 novembre 1989 (n° 719-1) rendant possible un recours juridictionnel contre toute action de
l’administration portant atteinte à un droit d’un citoyen, puis par la loi de la Fédération de Russie du
27 avril 1993 (n° 4866-1) qui étend ce recours à tout acte portant atteinte à un droit ou à une liberté
d’un citoyen, ainsi qu’à l’abstention de l’administration ayant pour effet une atteinte semblable. Ces
recours sont aujourd’hui réglés par le Code de procédure civile et par le Code de la procédure
d’arbitrage (tribunaux de commerce). 38
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
fondamentales. Il ne s’agira ici que de donner un aperçu des principaux
droits européens avec l’objectif de placer le droit russe en perspective. Il ne
sera question dans cette introduction que de l’acte unilatéral, sauf dans les
cas où la loi prévoit de substituer un accord à l’acte unilatéral. Cela se
justifie par le fait que l’acte unilatéral a pu être considéré comme le mode
d’action typique de l’administration publique, ce qui la distinguait des sujets
de droit privé, et que le développement du recours au contrat est plus récent
et qu’il est surtout inégalement considéré dans le droit administratif des
différents États. L’importance de cette question justifierait une étude à part,
mais ce volume contient une étude qui présente l’expérience française de
recours au secteur privé, par différentes catégories de contrats administratifs,
pour la gestion des services publics ou d’ouvrages publics6.
L’un des critères de différenciation les plus importants entre les
systèmes de droit administratif des pays européens est celui du régime des
actes unilatéraux, et notamment de la définition de l’acte administratif, selon
qu’elle inclut les actes réglementaires (normatifs) ou non (I). Les règles de
procédure et les recours sont dans une large mesure déterminés par la notion
d’acte administratif admise par le système juridique. Les procédures
relatives à l’élaboration des actes réglementaires (II) ont moins retenu
l’attention que celles relatives aux actes non réglementaires, en raison des
incidences directes de ces derniers sur les droits individuels (III), mais elles
n’en sont pas moins très importantes pour la cohérence de l’ordre juridique
et le respect de la hiérarchie des normes. Ce sont les procédures relatives
aux actes non réglementaires qui nous retiendront le plus longuement.
En développant cette comparaison, on prêtera une attention particulière
à la distribution du pouvoir réglementaire, aux réformes inspirées par un
objectif de simplification administrative, aux pouvoirs qui sont délégués à
des organismes privés qui concourent aux missions publiques, aux sources,
aux caractères généraux et aux différences significatives des systèmes de
procédure administrative. Pour mettre en perspective le droit administratif
russe avec les droits administratifs européens, on retiendra à titre principal
les pays suivants, connus pour les différences caractéristiques de leurs
systèmes de droit administratif : l’Allemagne, l’Autriche, la France, l’Italie,
le Royaume-Uni et la Suède, sans nous interdire cependant des références à
d’autres pays quand cela paraîtra utile. Il ne s’agira pas de mener une
comparaison systématique mais de mettre en évidence les caractéristiques
dignes d’intérêt des systèmes étudiés, sur des points particuliers, par rapport
aux problèmes du développement actuel du droit administratif russe.
6
Cf infra la contribution de Jean-Marie PONTIER, à rapprocher, pour la Russie, de celle de
Natalia POUTILO. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 39
I. LES ACTES UNILATÉRAUX DE L’ADMINISTRATION ET
LA NOTION D’ACTE ADMINISTRATIF
On entend par actes unilatéraux de l’administration les actes faits dans
l’exercice de la puissance publique par une ou plusieurs autorités
administratives en application de la loi ou des prérogatives qu’elles tiennent
de la Constitution et qui ont pour effet d’établir ou de modifier des situations
juridiques, soit par des dispositions générales (normatives), soit par leur
application concrète. Ces actes sont traditionnellement considérés comme le
mode d’action juridique normal des autorités administratives. Dans
beaucoup de pays, cette définition correspond à ce que l’on définit comme
l’acte administratif.
Cependant, la notion d’acte administratif n’est pas comprise de la
même manière dans tous les systèmes juridiques. Elle varie en fonction des
recours qui sont ouverts contre ces actes et ceux-ci dépendent eux-mêmes de
la conception de la loi et de la représentation des rapports entre
l’administration et les individus qui s’expriment dans le système du droit
administratif. On peut distinguer globalement trois conceptions. Selon la
première, l’acte administratif est un acte d’application de la loi à une
situation concrète. Selon la seconde, l’acte administratif est tout acte
subordonné à la loi, quelle qu’en soit la nature. Enfin, la troisième peut être
comprise comme une hybridation de la première par la seconde. La Russie
nous paraît aujourd’hui adhérer à la deuxième conception, avec certaines
particularités. Chacune de ces conceptions détermine une typologie
différente des actes unilatéraux.
Il est vrai qu’il ne faut certes pas exagérer la portée de ces distinctions.
Comme le rappelait Eduardo Garcia de Enterria, l’acte administratif est une
institution du droit administratif, mais ce n’en est pas l’institution « par
excellence »7, et les autorités administratives produisent bien d’autres
catégories d’actes juridiques que les actes administratifs dans les sens
retenus ici. Mais les différences de conception qui se reflètent dans les
régimes juridiques et les procédures relatives à l’acte administratif sont des
« marqueurs » pertinents des grands systèmes de droit administratif.
7
Eduardo GARCÍA de ENTERRÍA / Tomás Ramón FERNÁNDEZ RODRÍGUEZ, Curso de
derecho administrativo, 10e éd., Madrid, Civitas, vol. 1, 2000, p. 539. 40
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
A. – L’acte administratif comme application de la loi à une situation
concrète
Cette conception, sans doute majoritaire en Europe, est issue de la
conception autrichienne et de la compétence reconnue en 1875 au Tribunal
administratif. Elle est liée à l’ancienne conception matérielle de la loi, selon
laquelle était loi toute norme générale ; cependant, avec les débuts du
constitutionnalisme s’est imposée progressivement l’idée que les questions
relatives aux droits fondamentaux ne pouvaient être réglées que par une loi
du Parlement (théorie de la « réserve de la loi » - Gesetzesvorbehalt). Mais
la limite entre ce qui était réservé à la loi et ce qui pouvait être laissé à des
décrets du pouvoir exécutif est restée longtemps indéterminée, ce qui a
favorisé en pratique l’intervention de ce dernier (voir notamment en
Autriche les lois formant la Constitution de 1867). C’est seulement avec
l’article 18 de la Constitution fédérale autrichienne de 1920 et en Allemagne
avec l’article 80 de la Loi fondamentale de 1949 que le pouvoir normatif du
pouvoir exécutif a été limité. En Autriche, toute autorité administrative peut
faire des règlements (Verordnung) sur la base des lois dans les limites de sa
compétence. En Allemagne, le gouvernement fédéral, un ministre fédéral ou
un gouvernement régional ne peut faire des règlements par décret
(Rechtsverordnung) que sur la base d’une habilitation précise et limitée du
pouvoir législatif.
Dans cette optique, les règlements, parce qu’ils prolongent la loi
participent de sa nature et le régime de leur contrôle les rapproche de celleci. La contestation d’un règlement est une question constitutionnelle et en
effet, le recours direct contre un règlement, en Autriche et en Allemagne
relève en principe du juge constitutionnel, sauf en Allemagne aujourd’hui
les règlements des autorités administratives locales ou des Länder.
À l’inverse, l’acte administratif se définit comme l’application de la loi
à une situation concrète. Cette conception se rattache aux travaux des
fondateurs du droit administratif moderne en Autriche (Merkl8) et en
Allemagne (Otto Mayer9, Walter Jellinek10), qui visaient à élaborer les
relations entre l’administration et les administrés sous la forme d’un rapport
juridique donnant naissance à une situation juridique subjective, sur la base
de la loi. Sur cette base, le droit administratif autrichien et le droit
administratif allemand se sont différenciés. Tandis qu’en Autriche, l’acte
administratif (Bescheid) est un acte individuel, en Allemagne, l’application
8
A. MERKL, Allgemeines Verwaltungsrecht, Berlin, J. Springer, 1927, reimpr. Verlag
Österreich, 1999. 9
O. MAYER, Deutsches Verwaltungsrecht, 1ère éd., Leipzig, Duncker & Humblot, 1895,
2 vol. 10
W. JELLINEK, Verwaltungsrecht, 3e éd., Berlin, J. Springer, 1931. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 41
de la loi à une situation concrète s’entend également d’une situation
matérielle déterminée pouvant rendre les dispositions adoptées applicables à
un ensemble indéterminé de destinataires (allgemeine Verfügung), si bien
que la notion d’acte administratif (Verwaltungsakt) est plus large et
hétérogène.
Pour des raisons historiques évidentes, la conception autrichienne a
exercé sur les pays d’Europe centrale une influence durable qui a traversé la
période communiste. Aujourd’hui encore, en Pologne, en République
tchèque, en Hongrie, la notion d’acte administratif est celle qui est issue du
droit autrichien. En Pologne, cependant, la compétence de la juridiction
administrative a été étendue aux actes réglementaires des autorités locales.
Le modèle du tribunal administratif autrichien a influencé aussi la Suède et
la Finlande dès le début du 20e siècle, et ces pays ont aussi accueilli la même
définition de l’acte administratif. Cela ne signifie cependant pas que la
notion ait reçu la même portée ; la compétence de la juridiction
administrative a pu en effet être élargie en étant fondée sur un autre critère.
Par exemple, en Suède, un acte ne peut faire l’objet d’un recours que s’il
affecte significativement la situation juridique d’une personne ; ce critère
peut ouvrir un recours contre une décision individuelle aussi bien que contre
un règlement. Cependant les décrets du gouvernement ne sont pas des actes
administratifs et ne peuvent être contrôlés par le juge en cours d’instance
que par voie d’exception et avec les mêmes restrictions que pour une loi11.
La conception allemande a exercé une influence plus diffuse à différentes
périodes, notamment en Italie et en Espagne au début du 20e siècle.
B. – L’acte administratif comme acte subordonné à la loi
Cette conception rapproche deux pays que tout paraît opposer en ce
domaine : la France, qui a fondé le principe de la soumission de
l’administration à un droit spécial, et le Royaume-Uni qui a rejeté un tel
principe au nom du rule of law. Ce rapprochement s’explique par la
suprématie reconnue à la loi dans les sources du droit.
La Révolution française a proscrit l’intervention des tribunaux dans les
affaires de l’administration, mais elle a en même temps posé le dogme de la
toute puissance de la loi, « expression de la volonté générale ». Le pouvoir
exécutif et l’administration devaient donc être soumis au respect de la loi.
C’est ce double héritage qui a conduit au développement du contentieux
administratif au cours du 19e siècle et finalement à la conquête par le
11
H. RAGNEMALM, Administrative justice in Sweden, Stockholm, Juristförlaget, 1991,
pp. 217-219 ; Förvaltningsprocessrättens grunder, 8e éd., Stockholm, Jure Bokhandel, 2007. 42
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Conseil d’État de son indépendance, consacrée par la loi de 1872 et à
l’abandon de ce que l’on avait appelé la « justice retenue ». Tout acte d’une
autorité subordonnée par la loi devient ainsi un acte administratif, pouvant
faire l’objet à ce titre d’un recours pour excès de pouvoir. C’est ce que le
Conseil d’État a formellement exprimé dans un arrêt du 6 décembre 1907,
en jugeant que les « règlements d’administration publique », bien que faits
par le pouvoir exécutif sur le fondement d’une « délégation législative »,
sont au nombre des « actes des diverses autorités administratives » pouvant
faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant lui12. Par conséquent
tout acte fait par une autorité du pouvoir exécutif ou dans l’exercice de
pouvoirs conférés par la loi est un acte administratif, quel que soit son
contenu, règlement ou acte individuel, ou le statut de son auteur, le Premier
ministre, ou un modeste chef de service, le maire d’une commune ou une
personne privée investie par la loi de prérogatives de puissance publique.
Le droit anglais n’emploie pas la notion d’acte administratif, mais la
réalité du droit positif n’est guère différente, depuis que la souveraineté du
Parlement s’est imposée, à la fin du 17e siècle. Blackstone est le premier
auteur à en avoir tiré les conséquences13. Désormais, les actes du Parlement
s’imposent à toutes les autorités administratives ou judiciaires ; seuls les
domaines qui n’ont pas fait l’objet d’une loi peuvent demeurer régis par la
prérogative royale et ils sont aujourd’hui résiduels. Les juges anglais ont
alors développé leur contrôle sur la base de la doctrine de l’ultra vires. Cela
signifie qu’aucune autorité ne peut s’exercer en dehors des limites des
pouvoirs qui lui ont été conférés par un acte du Parlement, et que les juges
peuvent annuler tout acte fait ultra vires, qu’il s’agisse d’une mesure
d’application de la loi faite par un ministre (statutory instrument, principale
expression de ce que l’on appelle, dans la terminologie britannique
secondary legislation) ou d’une décision individuelle.
Dans ces deux systèmes, l’acte administratif ne se définit donc pas par
le rapport juridique qu’il établit mais par la nature du pouvoir exercé pour
l’édicter. La notion en est donc très large et peu formaliste. De nombreux
pays adhèrent à cette conception, tels que la Belgique, la Grèce et les PaysBas.
C’est aussi la conception du droit russe, de manière continue, sans
doute à partir d’une idée de la suprématie de la loi qui, à l’époque impériale,
12
CE 6 déc. 1907 « Chemins de fer de l’Est et autres », Rec. 913, concl. TARDIEU, GAJA,
17 éd. 2009, n° 19. 13
Dans son ouvrage classique : An analysis of the laws of England. : To which is prefixed an
introductory discourse on the study of the law, 5e éd., Oxford, Clarendon Press, 1762 (lxxvii +
189 p.) (1ère éd. 1756). Bien qu’il n’assigne au droit « écrit » (written or statute laws) qu’un rôle
limité, celui de remédier aux défauts du droit non écrit, Blackstone reconnaît dans le Parlement
(composé du Roi, des Lords spirituels et temporels et des Communes) l’organe législatif suprême et
à celui-ci un « pouvoir absolu » (cf chap. V, par. 4 et 5). e
G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 43
s’identifiait aux décrets du tsar (oukaz)14, et de l’étendue du pouvoir
administratif. Au début du 20e siècle, le premier département du Sénat
impérial, qui était chargé d’examiner les recours administratifs, avait admis
sa compétence pour juger au fond de tous les actes administratifs, aussi bien
les règlements édictés par les ministres que des décisions individuelles15.
Cette conception s’est maintenue à travers la période soviétique jusqu’à nos
jours, même si la justice administrative n’a jamais été qu’embryonnaire et ne
connaît une certaine réalité que depuis la fin des années 90.
Les ouvrages contemporains reprennent cette conception large de
l’« acte juridique administratif » (pravovoï akt oupravlenia) : il s’agit d’une
décision administrative prise dans le cadre de ses pouvoirs par une autorité
administrative relevant du pouvoir exécutif de la Fédération ou d’un sujet de
la Fédération, ou d’une autorité locale décentralisée, qui constitue un acte
unilatéral impératif ; il peut s’agir d’un acte de portée générale ou au
contraire d’un « acte concret »16. Cela a été discuté pour les actes
réglementaires du gouvernement fédéral, sur la base de dispositions de la
Constitution conduisant à penser, par comparaison avec des formulations
antérieures, que les actes juridiques normatifs pour l’application des lois ne
sont pas des actes administratifs (art. 115.1), mais l’idée prévaut aujourd’hui
que, par leur objet, il s’agit bien d’actes administratifs17. D’ailleurs la loi
constitutionnelle sur le gouvernement du 17 décembre 1997 (art. 24, al. 9)
prévoit que tous les actes du gouvernement peuvent être attaqués devant un
tribunal, sans faire de distinction entre postanovlenie (arrêté - disposition de
portée générale) et rasporiajenie (disposition particulière). Alors que cette
dernière notion semble assez largement entendue en pratique, il existe une
autre position considérant que l’acte non réglementaire est un acte individuel
dont l’exécution s’épuise en une seule application18, ce qui donne un champ
plus large à l’acte réglementaire (normatif). Il nous semble toutefois que la
pratique est dans le sens d’une définition large des mesures particulières
(non réglementaires) (v. infra).
14
V. I. KOULIKOV, История государственного управления [Histoire de l’administration
publique], Moscou, Ed. Masterstvo, 2001, p. 112, citant l’article 4 des « Lois fondamentales de
l’Empire russe ». 15
Selon les données citées par S. KORF, La justice administrative en Russie, SaintPetersbourg, 1910, d’après les extraits traduits et publiés par L. MALAKHOV, RFDA nov.-déc.
2008, p. 1258. 16
A. P. ALEXINE / A. A. KARMOLITSKI / Iu. M. KOZLOV, Административное право
Российской Федерации [Droit administratif de la Fédération de Russie], Moscou, Ed. Zertsalo,
2001, pp. 199-200. V. également : Iu. M. KOZLOV / L. L. POPOV (dir.), Административное
право [Droit administratif], Moscou, Ed. Iourist, 2002, pp. 268-269, ainsi que l’article du professeur
NOZDRATCHEV dans ce volume. 17
N. A. IGNATIUK, p. 394 in T. Ia. KHABRIEVA (dir) (2005), Правительство
Российской Федерации [Le gouvernement de la Fédération de Russie], Moscou, Ed. Norma. 18
Iu. A. TIKHOMIROV, Современное публичное право [Le droit public aujourd’hui],
Moscou, Ed. Eksmo, 2008, p. 248. 44
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Les actes du Président de la Fédération de Russie ont, à cet égard, un
statut ambigu. Dans l’exercice de ses attributions constitutionnelles le
Président adopte des décrets (oukaz) et des arrêtés (rasporiajenie) (mesures
individuelles) qui sont publiés et ont force obligatoire sur l’ensemble du
territoire de la Fédération (Const. Féd. Russie : art. 90)19. Cependant, le
Président ne fait pas partie du pouvoir exécutif, lequel est confié au
gouvernement (art. 110). On pourrait en déduire que les actes du Président
ne sont pas des actes administratifs puisqu’ils n’émanent pas d’une autorité
du pouvoir exécutif ; d’ailleurs, ils occupent un rang supérieur aux décrets
du gouvernement dans la hiérarchie des normes, juste en-dessous des lois
fédérales. Ceux qui ont un caractère normatif sont soumis au contrôle de la
Cour constitutionnelle (art. 125.2, a). Certains auteurs considèrent cependant,
en se référant à la pratique, que le Président de la Fédération est bien l’auteur
d’« actes administratifs normatifs » sous la forme d’oukaz et qu’il détermine
« de manière significative » le pouvoir exécutif confié par la Constitution au
gouvernement20. C’est l’opinion qui prévaut aujourd’hui : les actes du
Président de la Fédération de Russie sont des actes administratifs en raison
de leur nature « exécutive ».
C. – La conception duale de l’acte administratif
Un certain nombre de pays ont été influencés par les influences
concurrentes de la doctrine et de la législation de leurs voisins, qui ont
parfois prévalu alternativement avant de donner naissance à un système
original fondé sur ce syncrétisme. C’est en particulier le cas de l’Italie, de
l’Espagne et du Portugal. Dans ces pays, si l’on a admis la notion d’acte
administratif comme application de la loi à une situation concrète, la
compétence du juge administratif a été étendue aux recours contre les actes
réglementaires faits par des autorités administratives dépendant du pouvoir
exécutif ou investies par la loi du pouvoir de faire de tels actes (autorités
locales).
En Italie, la doctrine allemande et autrichienne de la fin du 19e siècle a
été assimilée sous l’influence d’Orlando, dont les écrits marquent la
naissance d’une science du droit administratif distincte à la fois du droit civil
et du droit constitutionnel. Pour Orlando, l’objet de la science du droit
19
Pour une vue d’ensemble du statut constitutionnel et des pouvoirs du Président de la
Fédération de Russie, v. T. Ia. KHABRIEVA, « Le statut constitutionnel du Président de la
Fédération de Russie », Revue française de Droit constitutionnel, 2010, n° 81, pp. 105-122. 20
B. N. GABRITCHIDZE / A. G. TCHERNIAVSKI, Административное право
Российской Федерации [Droit administratif de la Fédération de Russie], Moscou, Ed. Delo i Servis,
2001, p. 228. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 45
public est l’organisation du pouvoir souverain, dont l’État, personne morale,
est le titulaire, et donc de fonder le rapport de droit entre l’État et les sujets
de droit. Orlando rejetait cependant la théorie des droits publics subjectifs21.
Le droit administratif italien a donc admis dès ce moment la conception de
l’acte administratif comme acte d’autorité, faisant application de la loi à une
situation concrète, établissant ou modifiant un rapport de droit public. Pour
Orlando, le rapport d’autorité demeure même si la source de la souveraineté
change. Le problème fondamental de l’ « État juridique » est d’établir des
garanties individuelles opposables à l’État. Il se résout par la capacité de
l’État à se poser des limites par le droit à partir de deux principes
fondamentaux : toute restriction imposée à la liberté individuelle doit être
justifiée par un intérêt collectif et doit respecter le principe d’égalité.
L’intérêt légitime protégé par la loi est ce qui fonde le droit pour un individu
de contester un acte de l’administration22. Cependant, Orlando n’a pas luimême abouti à une théorie générale des actes administratifs, et le droit
italien est resté longtemps influencé par un modèle de l’acte encore inspiré
du droit privé. C’est Giannini qui a introduit en 1950 la notion italienne de
l’acte administratif – en italien : provvedimento, défini par lui comme le
« moment de l’autorité »23. Zanobini a accentué la séparation entre l’acte
administratif et les actes réglementaires faits par le pouvoir exécutif ou
d’autres autorités habilitées par la loi en définissant expressément le
provvedimento comme un acte de volonté de l’administration dans
l’exercice de la puissance publique sous une forme différente de celle qui
s’exprime par l’établissement de normes dans l’exercice du pouvoir
réglementaire24. Cependant, le droit italien s’est rapidement éloigné de cet
héritage dans la mesure où la contestation de l’acte illégal a été fondée sur la
protection d’un « intérêt légitime » (interesse legittimo) considéré comme
solidaire d’un intérêt public, tandis que les droits subjectifs relevaient du
juge ordinaire25. C’est ainsi que la notion de provvedimento est aujourd’hui
couramment utilisée dans un sens large, qui inclut des actes réglementaires,
comme une autre manifestation de la puissance publique. Cette évolution
peut aujourd’hui s’appuyer sur le fait que la compétence de la Cour
constitutionnelle se limite au contrôle des lois et des actes ayant force de loi
de l’État et des régions (art. 134), tandis que les actes du pouvoir exécutif
21
V. E. ORLANDO, « Introduzione al diritto amministrativo », in V. E. ORLANDO (dir.),
Primo trattato completo di diritto amministrativo italiano, Milan, Società Editrice Libraria, 1900,
vol. 1, p. 17 et s. 22
Ibid. pp. 38-42. 23
D’après B. G. MATTARELLA, « Il provvedimento », in S. CASSESE (dir.), Trattato di
diritto amministrativo. Diritto amministrativo generale, Milan, Giuffrè, t. 1, 2000, pp. 710-711. 24
G. ZANOBINI, Corso di diritto amministrativo, Milan, Giuffrè, 6 vol., 1958-1959, v. t. 1,
p. 224 et s. 25
M. S. GIANNINI, Diritto amministrativo, Milan, Giuffrè, 3e éd., 1993, p. 74 et s. 46
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
peuvent toujours faire l’objet d’un recours au Conseil d’État26. Cependant, le
terme provvedimento n’est pas toujours employé dans le même sens27.
On peut en rapprocher l’évolution du droit espagnol. La loi sur la
procédure administrative de 1958, et après le rétablissement de la
démocratie, celle de 1992, ont consacré la notion d’acte administratif
comme acte d’application de la loi à une situation concrète (art. 53
notamment). Mais l’article 106 de la Constitution de 1978 prévoit que « les
tribunaux contrôlent le pouvoir réglementaire et la légalité de l’action
administrative, ainsi que la soumission de celle-ci aux fins qui la justifient ».
La loi sur la procédure administrative contentieuse, qui est mise en œuvre, il
faut le rappeler, par les tribunaux ordinaires, s’applique aux recours dirigés
contre des actes réglementaires. De même au Portugal, la Constitution
consacre un article aux actes normatifs, ce qui comprend les lois, les actes
ayant force de loi et les décrets réglementaires du gouvernement (art. 112),
tandis que la définition qu’elle donne de la compétence des tribunaux
administratifs suggère une interprétation étroite : elle porte sur « les litiges
qui naissent des rapports juridiques administratifs et fiscaux » (art. 212.3).
Cependant, la loi n° 13/2002 sur les tribunaux administratifs et fiscaux étend
leur compétence aux actes réglementaires sans restriction.
II. LES ACTES RÉGLEMENTAIRES : COMPÉTENCE ET PROCÉDURE
Cette question doit être envisagée sous cinq aspects : le rapport entre
législation et réglementation, la compétence réglementaire, son application à
l’organisation administrative, son attribution aux collectivités locales et la
participation des personnes privées.
L’encadrement constitutionnel de l’exercice du pouvoir réglementaire
trouve sa justification dans ses effets sur les droits des tiers ; c’est aussi ce qui
explique que l’attribution du pouvoir réglementaire soit plus diffuse quand son
objet se limite à l’organisation administrative. En outre, tous les pays
connaissent un pouvoir réglementaire des autorités locales décentralisées pour
l’exercice de leurs compétences. Enfin, la loi permet la participation des
personnes privées à l’exercice du pouvoir réglementaire, mais la délégation de
celui-ci est exceptionnelle et elle est exclue dans la plupart des pays.
Sous ces différents aspects, les règles ne sont pas homogènes entre les
États européens et la Russie présente, comme les autres, certaines
particularités.
26
Par ex. : D. SORACE, Diritto dell’amministrazione pubblica. Una introduzione, 3e éd.,
Bologne, Il Mulino, 2005, p. 91 et s. 27
Par ex. dans un sens étroit dans la loi 241/1990. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 47
A. – Le rapport entre législation et réglementation
Le pouvoir réglementaire est d’autant plus puissant que le législateur a
lui-même limité l’ampleur de son intervention, laissant ainsi au premier un
terrain plus vaste.
La principale théorie juridique tendant à prévenir le risque que le
législateur ne soit conduit à renoncer à exercer pleinement sa compétence
est celle de la réserve de la loi, qui est issue des droits allemand et autrichien
(Gesetzesvorbehalt). D’après la conception allemande, elle signifie
aujourd’hui deux choses : d’une part, les matières relatives à l’exercice des
droits fondamentaux doivent être réglées par la loi ; d’autre part le pouvoir
exécutif (le gouvernement fédéral, un ministre fédéral, les gouvernements
des Länder) ne peut adopter des décrets réglementaires (Rechtsverordnung)
que sur la base d’une habilitation législative qui en détermine le contenu, le
but et l’étendue (Loi Fondamentale : art. 80). S’agissant des droits
fondamentaux, la réserve de la loi s’exprime dans diverses dispositions
constitutionnelles expresses sur les droits fondamentaux et signifie, selon
l’interprétation qu’en donne la Cour constitutionnelle fédérale, que le
législateur doit fixer lui-même les conditions « essentielles » de l’exercice
des droits fondamentaux et de toute restriction relative à l’exercice d’un
droit fondamental (Wesentlichkeitskriterium), ainsi que les conditions de la
conciliation de différents droits fondamentaux. La jurisprudence
constitutionnelle a tendance à se montrer plus exigeante depuis la fin des
années 9028.
La théorie de la réserve de la loi est reconnue dans d’autres pays,
quoique de manière parfois indirecte. Elle est reprise en Espagne dans de
nombreuses dispositions relatives au droits fondamentaux de la Constitution
de 1978, et en particulier l’article 53.1, selon lequel seule la loi peut régler
l’exercice des droits et libertés, en respectant leur « contenu essentiel », et le
Tribunal constitutionnel espagnol en a déduit que le gouvernement ne peut
ni créer des droits ni imposer des obligations qui ne trouvent leur origine
dans la loi29.
À l’inverse, la Constitution française de 1958 a entendu distinguer un
domaine matériel assigné à la loi et un domaine réservé au pouvoir
réglementaire gouvernemental (art. 34 et 37) ; en outre, le parlement peut
autoriser le gouvernement à adopter des ordonnances dans les matières
législatives pour la mise en œuvre de son programme (art. 38). Cependant,
le Conseil d’État avait posé le principe, au début du 20e siècle, que
28
K.-P. SOMMERMANN, comm. sous art. 20 LF, not. pp. 113-116, in V. MANGOLDT /
KLEIN / STARK (Hrsg), Kommentar zum Grundgesetz, 5e éd., Munich, Franz Vahlen, 2005, vol. 2. 29
STC 22 juin et 22 déc. 1987 et divers arrêts ultérieurs. V. E. GARCÍA de ENTERRÍA /
T. R. FERNÁNDEZ RODRÍGUEZ, op. cit. t. 1, p. 245. 48
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
l’administration dispose d’un pouvoir propre pour l’organisation des
services publics, mais que relèvent de la loi toutes les questions relatives à
des obligations imposées directement ou indirectement par voie d’autorité
aux citoyens30. Surtout, le Conseil constitutionnel n’a pas fait obstacle à
l’invasion du domaine réglementaire par le législateur tandis qu’il
sanctionne l’incompétence négative du législateur, c’est-à-dire le fait pour
celui-ci de ne pas épuiser la compétence qu’il tient de la Constitution,
notamment en matière de garanties fondamentales pour l’exercice des
libertés publiques31. En sens inverse, on note depuis quelques années une
augmentation régulière du recours aux ordonnances de l’article 38,
notamment pour la transposition du droit communautaire. De même, en
Italie, les décrets législatifs (decreto legislativo) sont-ils devenus la
technique courante de législation, sur la base de l’article 76 de la
Constitution qui permet au parlement de déléguer l’exercice de la fonction
législative au gouvernement selon les principes et les directives définis par
la loi. Au Danemark et en Suède, le recours fréquent à des lois cadres a des
résultats analogues : renvoyer au gouvernement une partie importante des
normes matérielles qui devraient relever de la législation. Il est évident que
ces évolutions accroissent le rôle du pouvoir exécutif dans la production des
normes.
Mais l’excès de détail de la loi n’est pas non plus sans inconvénients. Il
affaiblit la lisibilité de la loi et complique l’adaptation de son application à
l’évolution des conditions en imposant à chaque fois le recours à la
procédure législative. En France, l’article 37 (al. 2) de la Constitution
permet de rétablir la compétence réglementaire après l’intervention du
législateur en dehors des limites qui lui sont assignées ; le Conseil
constitutionnel doit reconnaître que la disposition en cause est de nature
réglementaire, lorsqu’elle est postérieure à la Constitution de 1958, le
Conseil d’État si elle est antérieure. Malgré cela, on note une tendance à
l’allongement des textes de loi. Il en va de même des lois régionales en
Allemagne, en Espagne et surtout en Italie, qui sont souvent très détaillées et
s’apparentent parfois, notamment en Italie, à de la pure réglementation.
Au Royaume-Uni, les lois sont habituellement très détaillées pour des
raisons différentes. Il s’agit de prévenir l’établissement d’interprétations
jurisprudentielles sur lesquelles la règle stare decisis propre au système de
common law rendrait difficile de revenir autrement que par une intervention
législative.
En Russie, les rapports entre la législation fédérale, la législation des
sujets de la Fédération et le pouvoir réglementaire des exécutifs des sujets de
30
CE 4 mai 1906, Babin, Rec. p. 362. CC n° 75-56 DC 23 juill. 1975, Rec. p. 22 ; CC n° 93-323 DC 5 août 1993, Rec. p. 213, not.
et, plus récemment, CC n° 2009-590 DC 22 oct. 2009. 31
G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 49
la Fédération soulève des problèmes particuliers, notamment dans le
domaine de la « compétence commune » (sovmestnoe vedenie) de la
Fédération et des sujets de la Fédération (art. 72 et loi n° 95 du 4 juillet 2003
modifiant et complétant la loi n° 184 du 28 août 1999 sur les principes
généraux de l’organisation des organes législatifs (représentatifs) et
exécutifs des sujets de la Fédération). D’un côté, la législation « anticipée »
(c’est-à-dire les lois adoptées par les sujets de la Fédération dans des
domaines ouverts à la compétence fédérale mais avant que celle-ci ne soit
exercée) et la modification de lois fédérales impliquant une mise en
conformité des lois régionales sont souvent sources de difficultés : la
modification de la législation régionale intervient avec retard et de manière
rétroactive, et il arrive parfois que le législateur régional ignore la
modification de la législation fédérale32. Dans les domaines faisant l’objet
d’une législation fédérale, on note aussi une tendance de la législation des
sujets de la Fédération à se limiter à des dispositions assez générales et à
renvoyer à l’exécutif le soin de fixer par voie réglementaire les dispositions
vraiment nécessaires. Cette pratique risque d’affaiblir le crédit de la
législation régionale et des organes représentatifs des sujets de la Fédération.
Au contraire, les lois des sujets devraient être assez précises et détaillées
pour être directement applicables ou conditionner réellement le contenu des
dispositions réglementaires d’application indispensables33.
On peut penser que la source de cette difficulté se trouve dans l’absence
de dispositions claires sur les rapports entre les différents instruments
juridiques pouvant être utilisés pour la mise en œuvre des lois fédérales dans
la loi modifiée n° 184 du 6 octobre 1999 sur les principes de l’organisation
des organes législatifs et exécutifs des sujets de la Fédération. En s’inspirant
de l’article 80 de la Loi fondamentale allemande, on pourrait concevoir que
la loi fédérale habilite l’organe exécutif des sujets de la Fédération à prendre
les mesures réglementaires d’application, et qu’en l’absence d’une telle
habilitation, une loi du sujet soit nécessaire pour développer les dispositions
de la loi fédérale, l’organe exécutif ne pouvant dès lors adopter, sur la base
de la loi régionale, que des mesures de pure exécution. Rappelons que le
paragraphe 4 de l’article 80 prévoit aussi que, lorsque le gouvernement du
Land est habilité par la loi fédérale à adopter des décrets réglementaires, les
mesures correspondantes peuvent être adoptées par une loi du Land.
32
V. N. KARTACHOV / C. V. BAKHVALOV, Правотворческая практика субъектов
Российской Федерации [Pratique du pouvoir normatif des sujets de la Fédération de Russie],
Iaroslav, Ed. de l’Université d’État de Iaroslav, 2007, pp. 82-83. 33
G. MARCOU, L’application de la législation fédérale en matière de répartition des
compétences et de ressources financières par les sujets de la Fédération : résultats, problèmes et
perspectives, Strasbourg, Conseil de l’Europe, rapport dans le cadre du programme de coopération
entre le Conseil de l’Europe et l’administration du Président de la Fédération de Russie, févr. 2005,
36 p. (non publié). 50
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
B. – La compétence
L’attribution du pouvoir réglementaire (ou, selon la terminologie russe,
du pouvoir d’édicter des actes normatifs subordonnés à la loi) est
habituellement réglée par la Constitution et par la loi. Elle dépend dans une
large mesure de la structure de l’État ; dans les États fédéraux ou à
autonomies régionales (comme l’Espagne ou l’Italie, ou comme l’Écosse au
Royaume-Uni) le pouvoir réglementaire du pouvoir exécutif est partagé
entre l’exécutif fédéral (national) et les exécutifs régionaux.
Les différents systèmes de droit administratif se différencient moins par
l’extension quantitative de la réglementation gouvernementale par rapport à
la législation – son développement est une caractéristique commune à tous
les pays – que par la concentration ou au contraire la dispersion du pouvoir
réglementaire. Par dispersion, on entend non seulement le nombre des
autorités exerçant un pouvoir réglementaire, mais aussi l’existence ou
l’absence d’une hiérarchie entre ces autorités. La compétence réglementaire
est donc conditionnée d’une part par l’organisation du pouvoir central et
d’autre part par le degré de décentralisation de la hiérarchie des normes. On
peut ainsi apprécier le degré de concentration ou de dispersion du pouvoir
réglementaire dans l’organisation du pouvoir central et dans les rapports
entre les différents niveaux de l’organisation administrative. La tendance
générale est plutôt à l’accentuation de la dispersion, avec la multiplication
des autorités dites indépendantes qui disposent d’un pouvoir réglementaire
spécial plus ou moins étendu, et par l’effet des politiques de décentralisation
ou de fédéralisation, lesquelles peuvent toutefois produire une concentration
du pouvoir réglementaire au niveau des exécutifs régionaux. Cependant, les
différents pays conservent des structures assez différenciées marquées par
leur histoire.
En ce qui concerne le pouvoir central gouvernemental, deux facteurs
concourent à la concentration du pouvoir réglementaire : l’exigence d’une
habilitation législative et les pouvoirs propres du chef de gouvernement.
Evidemment, le degré de liberté du pouvoir réglementaire dépend beaucoup
de la précision de l’habilitation législative, mais du moins les autorités
titulaires de ce pouvoir sont-elles désignées. Certains pays peuvent être
considérés comme caractérisés par une concentration assez forte du pouvoir
réglementaire gouvernemental. C’est le cas de la France où le Premier
ministre est seul titulaire du pouvoir réglementaire général (Constitution,
art. 21), sous réserve des pouvoirs réglementaires spéciaux qui peuvent être
conférés par la loi, pour des objets limités, à d’autres autorités (ministres,
autorités administratives indépendantes notamment) ; en France, ni le
gouvernement en tant que tel, ni les ministres, ni le Président de la
République ne sont titulaires du pouvoir réglementaire, et le Président de la
G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 51
République ne participe au pouvoir réglementaire que par la signature des
décrets délibérés en Conseil des ministres, une formalité qui doit être prévue
par la loi. En Italie, c’est le Président de la République qui est formellement
le titulaire du pouvoir réglementaire, qu’il exerce par décret après
délibération du conseil des ministres, lequel en est collégialement l’auteur ;
les ministres peuvent exercer un pouvoir réglementaire dans le cadre de leur
compétence sur la base d’une disposition législative – leur situation est donc
peu différente de celle des ministres français (loi 1988/400, art. 17). Il en va
de même en Espagne, où le pouvoir réglementaire général est attribué par la
Constitution au gouvernement en tant qu’organe collégial (art. 97) ; si la loi
peut conférer aux ministres un pouvoir réglementaire spécifique, celui-ci
doit être de pure exécution lorsqu’il affecte les droits des tiers, et le Tribunal
constitutionnel a dénié toute qualité normative propre aux arrêtés
ministériels34. Au Royaume-Uni, le pouvoir de faire les règlements
d’exécution des lois (statutory instruments) est habituellement délégué au
Secretary of State, c’est-à-dire au ministre, mais le Premier ministre exerce
une forte autorité de direction envers les ministres. En Allemagne, c’est la
loi qui attribue à chaque fois le pouvoir d’adopter des règlements, au
gouvernement fédéral, à un ministre fédéral ou aux gouvernements des
Länder, ce qui exclut le chancelier en tant que tel (art. 80)35. Bien qu’un
pouvoir de direction soit formellement reconnu au chef du gouvernement,
non seulement au Royaume-Uni, mais également en France (art. 21), en
Italie (art. 95), en Allemagne (art. 65) et en Espagne (art. 98), le Premier
ministre français est le seul qui soit, parmi ces pays, formellement titulaire
du pouvoir réglementaire général.
Dans d’autres pays, au contraire, il existe une plus grande dispersion du
pouvoir réglementaire au niveau central, pour des raisons à la fois
constitutionnelles et pratiques, qui se reflètent dans une plus grande
collégialité du fonctionnement du gouvernement et, corrélativement, une
autorité politique et administrative plus faible du chef du gouvernement ; la
pratique des gouvernements de coalition contribue aussi à affaiblir l’autorité
du chef du gouvernement. Tel est le cas notamment des Pays-Bas et de la
Suède. Aux Pays-Bas, le Premier ministre est primus inter pares, en pratique
chef de coalition, mais n’a guère de pouvoirs propres en dehors de la
présidence du Conseil des ministres et du contreseing des décrets de
nomination ou de révocation des membres du gouvernement. Les décrets
sont signés par le roi et un ou plusieurs ministres (Constitution : art. 47), y
compris les règlements d’administration publique (art. 89) ; en pratique ce
34
STC 25 janv. 1982. Cf E. GARCÍA de ENTERRÍA / T.-R. FERNÁNDEZ RODRÍGUEZ,
op. cit. t. 1, p. 189. 35
M. BRENNER, comm. sous art. 80 LF, p. 2287, in Von MANGOLDT / KLEIN / STARCK,
t. 2, op. cit. 52
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
sont les ministres qui sont les véritables détenteurs du pouvoir
réglementaire36. En Suède, la situation est différente en raison du fait que
l’administration d’État n’est pas placée sous l’autorité des ministres, mais du
gouvernement en tant qu’organe collégial. Le gouvernement dirige
l’administration mais les ministres ne peuvent donner d’instructions
relatives aux affaires individuelles aux différentes autorités administratives
(Constitution, 11 :7) qui forment l’administration de l’État (statlig
förvaltningsmyndighet), lesquelles sont au nombre de 400 environ,
d’importance variable. De manière générale, s’il incombe à la loi de fixer les
dispositions impératives régissant les relations entre les particuliers et
l’administration, la loi peut autoriser le gouvernement à faire des règlements
(förordning) en ces matières (ces actes sont alors signés au nom du
gouvernement par le Premier ministre ou par un ministre – 7 :7) et à en
déléguer le pouvoir aux autorités administratives (7 :7 et 8 :3, 8 :7, 8 :11), ce
qui est habituel37. De ce fait, le système administratif suédois connaît en
pratique une grande dispersion du pouvoir réglementaire. Cette dispersion
est compensée par les différents moyens dont dispose le gouvernement pour
diriger l’administration : l’organisation et la définition des compétences des
autorités administratives, les nominations, le budget, notamment.
La Russie se rattache formellement aux pays du premier groupe, mais
avec des particularités qui résultent du statut constitutionnel du Président de
la Fédération de Russie, et une tendance à la dispersion qui résulte du fait
que le gouvernement fédéral délègue un large pouvoir réglementaire
d’exécution aux organes du pouvoir exécutif en général. Les réformes
récentes tentent d’encadrer ce pouvoir réglementaire diffus.
Les décrets normatifs du Président font partie des normes qui
s’imposent au gouvernement juste après les lois fédérales dans la hiérarchie
des normes (Constitution, art. 115). Le pouvoir réglementaire appartient au
gouvernement en tant que corps dans l’exercice des missions que lui confie
la Constitution (art. 114) ; il ne se limite pas à l’exécution des lois, bien que
la législation contemporaine précise de plus en plus souvent l’objet des
arrêtés (postanovlenie) que doit adopter le gouvernement et que leur nombre
s’accroisse sur la base de telles dispositions législatives38. Le président du
gouvernement dispose de pouvoirs propres définis par la Constitution et par
la loi constitutionnelle sur le gouvernement de la Fédération de Russie du 17
36
G. MARCOU / J.-L. THIÉBAULT (dir.), La décision gouvernementale en Europe
(Belgique, Danemark, France, Pays-Bas, Royaume-Uni), Paris, L’Harmattan, 1996, v. en particulier
G. MARCOU, p. 46 et 50, et la communication de A. TIMMERMANS, p. 243 et s. 37
L. MARCUSSON, « §85. Grundzüge des schwedischen Verwaltungsrechts », par. 28, in
A. von BOGDANDY / S. CASSESE / P. HUBER (Hrsg), Handbuch des öffentlichen Rechts in
Europa. Ius Publicum Europaeum, Heidelberg, C.F. Müller Verlag, t. V, 2012 (à paraître). 38
N. A. IGNATIUK, pp. 390-391, in T.Ia. KHABRIEVA (dir.), Правительство Российской
Федерации [Le gouvernement de la Fédération de Russie], Moscou, Ed. Norma, 2005. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 53
décembre 1997 (art. 24). Il préside les réunions du gouvernement et conduit
son action, il signe les actes du gouvernement, mais il n’est pas titulaire du
pouvoir réglementaire, et les ministres ne sont pas davantage titulaires d’un
tel pouvoir, en dehors des cas où une loi l’a prévu ; il en va de même des
agences ou services rattachés à un ministère. La loi sur le gouvernement
(art. 26) renforce la participation des ministres au fonctionnement du
gouvernement et leurs pouvoirs de direction sur l’administration fédérale ;
ils proposent les règlements relevant de leur ressort à l’adoption par le
gouvernement mais n’exercent pas de pouvoir propre en matière
réglementaire39.
Le fait que le président du gouvernement ne soit pas le titulaire du
pouvoir réglementaire, et qu’il ait seulement à proposer au Président de la
Fédération de Russie les mesures relatives à l’organisation des organes
fédéraux du pouvoir exécutif et à la nomination ou à la révocation de leurs
dirigeants (art. 24 préc.) interdit la formation d’une dyarchie au sein de
l’exécutif et consacre la primauté du Président dans le système
constitutionnel russe. De plus, certains domaines de compétence sont placés
directement sous l’autorité du Président par la loi sur le gouvernement
(art. 32)40. Depuis l’élection présidentielle de mars 2008 et la nomination de
Vladimir Poutine comme président du gouvernement, le rôle du
gouvernement a été renforcé et, notamment, les ministres rattachés au
Président font partie du présidium du gouvernement, que dirige le chef du
gouvernement. Mais il n’en résulte pas un changement dans l’équilibre
général des pouvoirs41.
Cette concentration du pouvoir réglementaire devrait assurer la
cohérence de la production réglementaire. Logiquement, les décrets du
Président de la Fédération devraient porter seulement sur des questions
d’organisation et sur des orientations données au gouvernement, ce qui est,
en pratique, le cas de la grande majorité d’entre eux42, seul le gouvernement
adoptant des règlements ayant des effets de droit directs sur les tiers. C’est
seulement dans les domaines qui lui sont rattachés (v. supra) que le
Président pourrait adopter des actes réglementaires ayant des effets directs
sur les tiers.
En réalité, cependant, on observe la prolifération d’une réglementation
administrative émanant, non seulement des ministères, mais des divers
départements, ainsi que des services et agences de l’administration fédérale.
39
S. E. NARYCHKINE, « Организация деятельности правительства РФ » [L’organisation
de l’activité du gouvernement de la Fédération de Russie], sur ce point pp. 412-413, in T. Ia.
KHABRIEVA, 2005, op. cit. 40
Il s’agit des questions de défense, de sécurité, des affaires intérieures, des affaires
étrangères, de la sécurité civile. 41
T. Ia. KHABRIEVA, 2010, op. cit. 42
Iu. KOZLOV / L. L. POPOV, op. cit. p. 162. 54
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
En effet, un décret du gouvernement fédéral n° 1009 du 13 août 1997
(modifié à différentes reprises et notamment quatre fois depuis les réformes
engagées en 2004 dont il sera question plus loin) charge les organes
fédéraux du pouvoir exécutif en général d’adopter les « actes réglementaires
(normativnye pravovye akty) pour l’exécution des lois constitutionnelles
fédérales, des lois fédérales, des décrets (oukaz) et dispositions du Président
de la Fédération de Russie, des décrets (postanovlenie) et des dispositions du
gouvernement de la Fédération de Russie » (point 2, par. 1), et le règlement
relatif à la préparation de ces actes réglementaires qui est approuvé par cet
arrêté précise que ces actes réglementaires sont pris « sur la base et pour
l’exécution » des normes précitées, ainsi que « à l’initiative des organes
fédéraux du pouvoir exécutif dans les limites de leur compétence » (I.1). Ce
texte indique aussi la dénomination que prennent ces actes : arrêté, ordre
(prikaz), disposition (rasporiajenie), règle (pravilo), instruction, règlement
(polojenie), mais aucune hiérarchie n’existe entre eux ; il existe seulement
une hiérarchie entre les organes qui en sont les auteurs. Seuls les organes
fédéraux du pouvoir exécutif ont le pouvoir d’adopter de tels actes, non
leurs subdivisions ni leurs services territoriaux (I.2)43.
Alors que le gouvernement fédéral est seul titulaire, selon la
Constitution, d’un pouvoir réglementaire général (v. supra), il utilise ce
pouvoir, avec l’arrêté de 1997, pour instituer au profit des divers organes du
pouvoir exécutif fédéral un pouvoir de réglementation (appelons-le ainsi
pour le différencier du pouvoir réglementaire du gouvernement fédéral),
dont l’objet n’est pas précisé, et dont les titulaires ne sont pas non plus très
clairement définis. Ce pouvoir de réglementation n’est pas limité, en effet, à
des questions d’organisation ou de mise en œuvre administrative ; rien ne
paraît s’opposer à ce qu’il ajoute des conditions ou des exigences nouvelles
affectant les droits ou les obligations des particuliers ou des personnes
morales, dès lors qu’il s’exerce dans les limites de la compétence matérielle de
l’organe qui en est l’auteur. Les difficultés qui peuvent en résulter
apparaissent, par exemple, dans l’application de la législation sur
l’enregistrement des personnes morales et des entreprises individuelles, pour
laquelle les pratiques administratives, fondées sur cette réglementation
intérieure (vedomstvennye akty) sont à l’origine d’innombrables recours en
justice ainsi que de plaintes adressées au Président de la Fédération de
Russie44.
43
Iu. A. TIKHOMIROV, « Подзаконный характер актов органов публичной власти » [Le
caractère infralégislatif des actes des autorités publiques], p. 230, in Institut de législation et de Droit
comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie / Académie du Parquet fédéral de la
Fédération de Russie, Законность в Российской Федерации, Moscou, Kontrakt, 2008. 44
N. A. IGNATIUK, « Причины и виды нарушений компетенции органов
испольнительной власти » [Les motifs et les catégories de violation des compétences des organes
du pouvoir exécutif], p. 218, in Institut de Législation…, ibid. L’auteur montre que l’administration
G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 55
Selon l’arrêté du gouvernement du 13 août 1997, tous les actes
réglementaires des organes fédéraux du pouvoir exécutif doivent être
transmis au ministère de la Justice qui doit les enregistrer, dès lors qu’ils
concernent les droits, libertés ou obligations des personnes, établissent le
statut d’organisations, présentent un caractère interministériel, y compris
ceux qui se rapportent à des secrets d’État ou à des données confidentielles
(II.10). Cette procédure d’enregistrement comporte l’exercice d’un contrôle
de légalité, puisque le ministère de la Justice peut refuser l’enregistrement
d’un acte qui n’est pas conforme à la législation en vigueur, et retourner cet
acte à l’organe dont il émane (II.14 et s.). Mais cette procédure ne paraît pas
suffisante pour contenir la réglementation administrative et assurer le
respect de la loi.
Le décret n° 314 du Président de la Fédération de Russie du 9 mars
2004 modifie les rapports entre le gouvernement et les ministres et renforce
le rôle des ministres dans l’exercice du pouvoir réglementaire45. Avant ce
décret, les pouvoirs juridiques des ministres n’étaient pas spécifiquement
définis. Les ministres étaient au nombre des organes du pouvoir exécutif
dont les mesures réglementaires étaient soumises à l’arrêté du gouvernement
précité du 13 août 1997. En pratique ces actes n’étaient pas toujours pris
avec une base légale et la réorganisation de l’appareil d’État pendant la
période de transition a favorisé ces pratiques sous la pression des
circonstances ; plus grave, beaucoup de ces actes n’étaient pas publiés, mais
néanmoins appliqués par l’administration ministérielle46. Le décret n° 314
prévoit que, désormais, les ministères sont compétents pour prendre euxmêmes (samostoïatel’no) les mesures réglementaires pour l’exécution des
lois et des actes du président de la Fédération dans leur domaine de
compétence, à l’exclusion des mesures qui, en application de normes de
portée supérieure doivent être prises par la loi ou par des actes du président
ou du gouvernement (par. 3, b). Ce décret renforce donc considérablement le
rôle des ministres, en tant qu’autorités investies du pouvoir réglementaire.
Malheureusement, le décret n° 314 n’indique aucun critère relatif aux
mesures réglementaires devant être réservées au président ou au
gouvernement. En revanche, il réserve aux ministères le pouvoir de
réglementation subordonné au pouvoir réglementaire du gouvernement
fédéral ; celui des services fédéraux et des agences est désormais limité aux
cas prévus par décret du Président de la Fédération de Russie (par. 3.b, 4.c et
fiscale continue d’opérer un contrôle préalable sur les documents présentés au titre de la procédure
d’enregistrement, alors que la loi fixe la liste des documents devant être déposés pour obtenir
l’enregistrement et ne prévoit nullement cette intervention de l’administration fiscale. 45
Ibid. 46
N. A. IGNATIUK, Компетенция федеральных министерств Российской Федерации
[La compétence des ministères fédéraux de la Fédération de Russie], Moscou, Ed. Iustitsinform,
2003, pp. 156-160, not. 56
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
5.d) – ou par la loi. Toutefois, aucune des modifications apportées à l’arrêté
du 13 août 1997 à la suite du décret n° 314 n’a limité le pouvoir des organes
du pouvoir exécutif fédéral d’adopter des mesures réglementaires. Le décret
n° 314 devrait cependant permettre un meilleur contrôle par les ministres de
la réglementation administrative, et donc un meilleur respect de la loi.
Un autre moyen d’améliorer l’unité du droit et le respect de la loi est
d’améliorer la coordination et la coopération interministérielles. Cela
nécessite aussi des mesures d’ordre juridique. Un arrêté du gouvernement de
la Fédération de Russie n° 30 du 19 janvier 2005 sur les relations entre les
organes fédéraux du pouvoir exécutif va dans ce sens, en prévoyant des
plans de travail périodiques, des règles pour la préparation des projets
devant être soumis par un ministre au gouvernement, la mise en œuvre des
missions définies par le président de la Fédération de Russie, le droit de faire
objection aux décisions des agences ou services fédéraux contraires à des
dispositions légales. L’arrêté du 13 août 1997 a été modifié et complété par
les arrêtés du 15 mai 2010 (n° 336) et du 20 février 2010 (n° 72) pour
organiser et formaliser la procédure interministérielle (notamment par
l’introduction du visa consacrant l’accord sur un projet des organes
concernés du pouvoir exécutif fédéral – par., al. 9). Présentant les
dispositions de l’arrêté de 2005, Iouliana Demecheva donnait en exemple
l’organisation du travail interministériel en France47. On pourrait aussi citer
les « conférences de service » instituées en Italie par la loi du 11 février
2005 (modifiant la loi 241/1990) et dont la réunion est provoquée chaque
fois qu’un problème suscite des désaccords à résoudre entre plusieurs
administrations.
D’autres difficultés peuvent résulter de l’hétérogénéité de l’organisation
du pouvoir exécutif des sujets de la Fédération. La loi fédérale 184/1999
précitée fixe le mode de nomination et de destitution du « chef » (vychee
doljnostnoe litso) du sujet de la Fédération ou du « chef » de l’organe
supérieur du pouvoir exécutif du sujet de la Fédération (art. 18 et 19), ses
pouvoirs essentiels (art. 20 et 22) et ses relations avec l’organe législatif
(art. 23 à 26), mais laisse à la constitution ou au statut du sujet de la
Fédération le soin de fixer l’organisation du pouvoir exécutif48. Au niveau
47
Iu. V. DEMECHEVA, chap. 5, par. 2, in Iu. A. TIKHOMIROV (dir.), Правопримениение:
теория и практика [L’application du droit : théorie et pratique], Moscou, Ed. Formula Prava,
2008, pp. 186-187 et 191. 48
Parmi les 84 sujets de la Fédération (à la suite de certaines fusions intervenues au cours des
dernières années), certains sont des républiques qui s’étaient dotées d’une Constitution entre la
dislocation de l’URSS et même le début de décomposition de la Russie, et la formation de la
Fédération de Russie. Les autres sujets de la Fédération sont dotés d’un statut. Il n’y a pas de
différence du point de vue de la hiérarchie des normes, selon la Constitution fédérale de 1993, après
la remise en ordre entreprise à partir de 2000, mais il existe des différences dans l’organisation des
institutions. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 57
des républiques, on rencontre une certaine diversité d’organisation : le
Président de la République peut être le président du pouvoir exécutif (ex. :
Bouriatie), ou bien former un organe chargé du pouvoir exécutif et
administratif (ex. : Ingouchie), ou encore un organe exécutif subordonné au
président (ex. : République Kabardino-Balkare), ou un organe supérieur du
pouvoir exécutif, également subordonné au président (ex. : Mordovie)49.
Cette diversité se prolonge au niveau de l’organisation administrative ellemême50. Selon l’article 22.1 de la loi 184/1999, le chef du sujet de la
Fédération ou de l’organe supérieur du pouvoir exécutif du sujet de la
Fédération a le pouvoir de faire des décrets réglementaires (postanovlenie)
et non réglementaires (rasporiajenie) sur le respect du droit fédéral et pour
la mise en œuvre de la Constitution (du statut) et des lois du sujet de la
Fédération. Il est donc investi du pouvoir réglementaire au sens où on l’a
défini plus haut. Mais le même article indique que ses actes et ceux de
l’« organe exécutif supérieur du pouvoir d’État», pris « dans les limites de
leurs compétences » sont obligatoires à l’intérieur du sujet de la Fédération
(par. 2). Il s’en déduit qu’une partie du pouvoir réglementaire peut être
exercé par un autre organe que le « chef ». Mais les rapports entre ces deux
autorités dans l’exercice du pouvoir réglementaire ne sont pas précisés ; ils
ne le sont pas non plus clairement dans les constitutions ou statuts des sujets
de la Fédération. La loi 184/1999 indique seulement que ces actes sont dans
tous les cas transmis à l’organe législatif, qui peut en demander la
modification, ou faire un recours au tribunal pour en demander l’annulation
(à la Cour constitutionnelle de Russie si est en cause le respect de la
Constitution fédérale). Ces situations n’ont pas nécessairement été remises
en cause à la suite de la réforme introduite par la loi du 12 décembre 2004
substituant à l’élection au suffrage direct du « chef » du sujet de la
Fédération son élection par l’organe législatif sur proposition du Président
de la Fédération de Russie, désormais sur proposition du groupe comptant le
plus grand nombre de députés à l’issue des élections51. Il est évident qu’il
serait préférable de désigner clairement un seul titulaire du pouvoir
réglementaire à ce niveau.
49
Pour plus de détails, v. Iu. KOZLOV / L. L. POPOV, op. cit., en particulier p. 188. V. les exemples donnés par N. A. IGNATIUK, 2008, op. cit. 51
Sur cette réforme, v. G. MARCOU, « Fédéralisme et centralisation en Fédération de
Russie : le statut des gouverneurs des sujets de la Fédération », pp. 475-500, in L’État et le droit
d’est en ouest. Mélanges en l’honneur du professeur Michel Lesage, P. GÉLARD et G. MARCOU
(dir.), Société de législation comparée, 2006. 50
58
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
C. – Pouvoir réglementaire et organisation administrative
On remarquera que le pouvoir réglementaire, tel qu’il est attribué au
gouvernement par la Constitution en Allemagne, en Suède et en Russie, ne
comprend que les actes normatifs du gouvernement produisant des effets sur
les tiers. Les actes réglementaires relatifs à l’organisation administrative ou
déterminant des directives d’action n’en font pas partie, ou ont une base
juridique distincte et, à l’égard de ces derniers, il existe une plus grande
dispersion du pouvoir réglementaire. Il en va de même, dans une certaine
mesure au Royaume-Uni, où l’organisation gouvernementale, et notamment
celle des ministères, fait partie de la prérogative royale ; les mesures qui s’y
rapportent peuvent donc s’exercer sans référence à une loi, et elles sont
prises par le Premier ministre au nom de la Reine. Une telle distinction n’est
pas admise, tout au moins avec une portée aussi large, en France, en
Espagne ou en Italie ; l’attribution du pouvoir réglementaire ne dépend pas
de son objet. En France, on admet depuis longtemps que tout chef de service
dispose d’un pouvoir réglementaire pour l’adoption des mesures
d’organisation interne du service.
En Suède, les dispositions des articles 7 à 10 du chapitre VIII de la
Constitution qui délimitent le domaine d’intervention du pouvoir
réglementaire ne concernent que les actes portant dispositions impératives
régissant les relations entre les particuliers et la « chose publique » au sens
de l’article 3. Mais le pouvoir réglementaire fixe aussi les règles
d’organisation et de fonctionnement, ainsi que les missions, des autorités
administratives (sur la base de l’article 13 du chapitre VIII), et les
orientations politiques fixées sont mises en œuvre dans le cadre d’un
dialogue entre les autorités et les ministères dont elles relèvent.
C’est en Allemagne, pour des raisons historiques, que cette distinction
est la plus nette, et elle prend une importance particulière dans le contexte
fédéral. De manière générale, on admet qu’en dehors du pouvoir
réglementaire proprement dit du gouvernement fédéral (ou à leur niveau des
gouvernements des Länder) (Verordnungsrecht), le gouvernement et plus
généralement les autorités administratives peuvent adresser des
« prescriptions administratives » (Verwaltungsvorschrift) aux autorités ou
services qui leur sont subordonnées. On y voit un instrument de
« concrétisation » du droit, mais sous la forme d’une « réglementation
administrative interne » pour laquelle aucune habilitation législative n’est
nécessaire, mais qui ne peut produire aucun effet direct en dehors de
l’administration52. Certains auteurs estiment cependant que des effets
externes sont possibles si ces prescriptions règlent des questions secondaires
52
M. BRENNER, op. cit. p. 2272. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 59
en dehors des domaines réservés à la loi53. Mais la Loi fondamentale prévoit
formellement le recours à des « prescriptions administratives générales »
(allgemeine Verwaltungsvorschrift) pour l’exécution des lois fédérales, non
seulement dans le domaine de l’administration fédérale directe, à l’égard des
services ou autorités qui lui sont subordonnés, mais aussi à l’égard
d’organismes publics dotés de la personnalité morale placés sous son
autorité (art. 86), mais également dans le domaine de l’exécution des lois par
les Länder en tant que compétence propre, ce qui est le droit commun, selon
la Loi fondamentale (art. 83). Les prescriptions administratives générales ne
peuvent être édictées que par le gouvernement fédéral en tant que tel, non
par un ministre. Dans le domaine de l’exécution des lois fédérales par
l’administration des Länder, les prescriptions administratives générales sont
soumises à l’approbation du Bundesrat (art. 84.2), y compris dans le cas
d’une compétence déléguée (et non plus d’une compétence propre)
(art. 85.2) ; le gouvernement fédéral peut d’abord ou de préférence agir par
voie de recommandations54. Les prescriptions administratives générales sont
des normes impératives pour les gouvernements des Länder ; elles ne
peuvent avoir d’effets directs pour les tiers mais elles peuvent porter sur les
dispositions d’application des règles de fond. En outre, la compétence des
Länder pour déterminer l’organisation et la procédure cède devant la loi
fédérale soumise à l’approbation du Bundesrat (art. 84.1). La loi fédérale
peut donc, sous réserve de cette approbation, fixer des règles communes
concernant l’organisation des autorités et la procédure administrative. La
référence à la procédure doit être ici largement entendue et ne se limite pas
aux questions qui sont réglées par la loi fédérale sur la procédure
administrative55.
Par comparaison, le cadre juridique de l’organisation administrative est
en Russie beaucoup moins développé, en particulier en ce qui concerne les
relations entre la Fédération et les sujets de la Fédération. Le président de la
Fédération dispose en ce domaine d’une compétence étendue, mais le
gouvernement et, au-delà, les ministères peuvent aussi adopter de
nombreuses mesures d’organisation. Leurs formes et leurs conditions,
notamment vis-à-vis des organes exécutifs des sujets de la Fédération ne
sont que faiblement définies. Un auteur pouvait écrire il y a quelques années
que « les pouvoirs régionaux exagérément empêtrés ‘‘par les mains et par
les pieds’’ par les réglementations des lois fédérales et d’instructions,
n’ayant pas suffisamment de leviers administratifs pour agir, renoncent
d’eux-mêmes à leurs responsabilités pour le développement complexe et
53
LÜCKE, comm. sous l’article 80, p. 1663, in M. SACHS (Hrsg), Grundgesetz Kommentar,
Munich, C.H. Beck, 2003. 54
DITTMANN, comm. sous l’article 84, p. 1709, in M. SACHS (Hrsg), op. cit. 55
Ibid. p. 1705. 60
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
positif de leur territoire »56. Le décret n° 314, qui opère également un
regroupement des ministères au niveau fédéral, devrait contribuer à la
résolution de ce problème en renforçant le contrôle des ministres sur la
réglementation administrative, Les transferts de compétences importants
réalisés depuis 2006 au profit des sujets de la Fédération devraient
également réduire l’emprise de l’administration fédérale sur les compétences
de ces derniers.
D. – Le pouvoir réglementaire des autorités locales
Bien entendu, le pouvoir réglementaire n’est pas exercé seulement par
les organes centraux du pouvoir exécutif ou des autorités locales de l’État
agissant par délégation, ni par les organes exécutifs d’entités fédérées ou de
pouvoirs régionaux. Les autorités locales décentralisées exercent aussi un
pouvoir réglementaire, et la loi, parfois la Constitution, peuvent aussi
autoriser l’octroi d’une telle compétence à des personnes privées. Ces deux
sujets nous retiendront moins longuement.
Dans tous les pays, les collectivités locales décentralisées disposent
d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences. Les pays
se différencient par le fondement de ce pouvoir et par les institutions
auxquelles il est attribué. Dans la plupart des pays, on considère que ce
pouvoir est inhérent au principe de libre administration (autonomie locale) et
peut donc s’exercer sans habilitation législative particulière : c’est le cas en
Allemagne (où le pouvoir réglementaire local s’exerce sous la forme de
Satzung, et non de Verordnung – la terminologie en souligne la différence
de fondement), en Autriche, en Italie, en Espagne, en Suède, et en France
depuis la révision constitutionnelle de 2003. En revanche, au Royaume-Uni,
en Irlande, aux Pays-Bas, la réglementation locale doit avoir un fondement
législatif.
En pratique la différence entre les deux types de fondement n’est pas
très grande. Dans le premier cas, l’autonomie réglementaire doit s’exercer
dans le respect des lois et elle n’est vraiment dépourvue d’encadrement
législatif que dans des domaines secondaires de pur intérêt local ; mais les
compétences essentielles font l’objet d’un encadrement législatif et
réglementaire national (ou émanant des autorités fédérées ou régionales),
comme par exemple en matière d’urbanisme ou d’éducation.
56
M. V. STOLIAROV, Компетенция власти [La compétence des organes du pouvoir],
Moscou, Ed. de l’Académie russe de la Fonction publique auprès du Président de la Fédération de
Russie, 2005, p. 92. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 61
E. – La participation des personnes privées à l’exercice du pouvoir
réglementaire
Plus intéressantes sont les différences d’approche en ce qui concerne la
délégation d’un pouvoir réglementaire à des personnes privées. Mais il faut
s’entendre sur ce qu’on appelle la délégation d’un pouvoir réglementaire.
Celle-ci doit être distinguée de l’hypothèse dans laquelle un organisme privé
règle les rapports juridiques internes avec ses membres. Dans la mesure où
l’appartenance de ceux-ci est libre, c’est un contrat qui est le fondement de
la soumission à la règle commune, par exemple par l’adhésion à une
association, ou encore par un contrat de travail qui soumet le salarié à
l’ordre juridique interne à l’entreprise (règlement intérieur) ; ces ordres
juridiques internes doivent naturellement être conformes à la loi. De telles
normes ne constituent pas des manifestations d’un pouvoir réglementaire ;
en effet les normes produites par l’exercice du pouvoir réglementaire,
comme par la loi, sont impératives pour les sujets de droit qui sont soumis à
leurs dispositions indépendamment de leur volonté.
Les rapports entre les organisations de droit privé et l’État peuvent être,
du point de vue du droit public, envisagés sous quatre catégories juridiques
différentes, classées ici par ordre décroissant d’intervention de la puissance
publique :
1) La participation d’organismes privés ou professionnels
représentatifs à des organismes publics ou à des procédures ayant pour objet
la production des normes les concernant : dans ce cas, le pouvoir
réglementaire reste entre les mains de l’autorité publique, mais le contenu
des normes sera déterminé en association avec les intérêts privés concernés ;
2) La délégation d’un pouvoir réglementaire : la loi confère à un
organisme de droit privé le soin de fixer dans un domaine précis des normes
obligatoires pour tous les sujets de droit répondant à certaines conditions –
même s’ils ne sont pas des membres de cet organisme ;
3) La reconnaissance, sous certaines conditions, d’une portée
réglementaire à des normes issues d’un accord de droit privé, ce que l’on
rencontre notamment dans le domaine des rapports collectifs de travail et
dans le domaine de certaines professions réglementées ;
4) La création par la loi de régimes juridiques permettant
l’organisation collective volontaire pour l’exercice de certaines activités ;
l’initiative privée est alors obligée de se soumettre à l’un de ces régimes
juridiques et à une surveillance exercée par les autorités publiques
compétentes, ou par les tribunaux.
De manière générale, on peut affirmer que les régimes juridiques
mentionnés dans la dernière catégorie peuvent se rencontrer dans tous les
secteurs et dans tous les pays étudiés ici. Les deux premières catégories se
62
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
rencontrent essentiellement dans les domaines de l’organisation
professionnelle, des services sociaux, des sports et de la normalisation
technique. Il est impossible de donner dans le cadre de cet article une vue
d’ensemble du droit et des institutions des différents pays pris en compte ici,
compte tenu de la diversité sectorielle et juridique à laquelle on est
confronté. Cette matière pourrait elle-même faire l’objet d’un vaste projet de
recherche comparative, tant l’information et les analyses sont ici
fragmentaires. On se limitera donc à la présentation des principes de base
qui déterminent les approches caractéristiques des pays étudiés, et à certains
exemples.
Les ordres juridiques nationaux sont plus ou moins ouverts à l’exercice
de prérogatives de puissance publique par des personnes privées habilitées
par la loi, mais cela ne signifie pas que la participation des personnes privées
à la détermination de certaines normes est nécessairement moindre ;
beaucoup dépend en pratique de la place tenue par les consultations. Du
point de vue juridique, en tout cas, les pays les moins favorables sont le
Royaume-Uni, la Suède et l’Allemagne, la délégation d’un pouvoir
réglementaire étant pratiquement exclue, tandis que le droit français l’admet
sous certaines conditions, d’autres pays se situant entre les deux.
Au Royaume-Uni, il existe une ancienne tradition, selon laquelle il était
d’usage que des personnes privées sollicitent du Parlement l’octroi des
privilèges nécessaires à l’exercice de leur activité par une « loi privée ». Les
véritables lois privées sont aujourd’hui peu nombreuses, car la loi
« publique » a introduit des régimes juridiques généraux là où jadis une loi
privée était nécessaire. Mais, depuis les années 80, de nombreuses réformes
favorables au marché ont eu pour but de transférer davantage de
responsabilités au secteur privé, par les privatisations et par la
déréglementation de divers secteurs d’activité. C’est cette politique qui a
conduit à préciser les fonctions que l’État ne pouvait déléguer ou
externaliser. La loi sur la déréglementation et les contrats d’externalisation
(Deregulation and Contracting-Out Act 1994) détermine ainsi quatre
catégories de compétences qui ne peuvent jamais être déléguées ou
externalisées (section 71(1)) : i) l’exercice des fonctions juridictionnelles ;
ii) celles dont l’exercice ou le non exercice est de nature à affecter la liberté
individuelle ; iii) celles qui sont de nature à porter atteinte à la propriété ; iv)
le pouvoir ou l’obligation de faire des règlements (« législation
subordonnée »). La délégation de prérogatives de puissance publique ne
peut donc porter que sur des actes individuels, ou des mesures
d’organisation.
En Allemagne, s’imposent les règles relatives à la subdélégation du
pouvoir de faire les règlements nécessaires à l’exécution des lois. L’article
80 de la Loi fondamentale, comme on l’a vu, détermine de manière
G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 63
limitative les autorités auxquelles la loi fédérale peut attribuer le pouvoir de
faire ces règlements. La subdélégation n’est possible que si elle est prévue
par la loi elle-même et elle doit être réglée par un décret (Rechtsverordnung)
(§1, dernière phrase) et, selon l’interprétation admise de ces dispositions, le
subdélégataire doit être immédiatement subordonné au délégataire : par
exemple pour le gouvernement fédéral un ministre fédéral ou une autorité
fédérale supérieure indépendante (oberste Bundesbehörde), pour le ministre
une autorité qui lui est subordonnée ou une personne de droit public de son
ressort. En revanche, la subdélégation à des organismes privés n’est pas
possible57.
Le droit français admet au contraire la possibilité de déléguer un
pouvoir réglementaire spécial à des organismes privés, mais il illustre aussi
la relativité des qualifications juridiques opérées, lesquelles dépendent
fortement du contexte du système juridique. Les fédérations sportives,
auxquelles le droit anglais dénie l’exercice de prérogatives de puissance
publique, sont en France un des exemples classiques de l’exercice par un
organisme privé de prérogatives de puissance publique dans le cadre de sa
mission de service public, tels que l’exercice d’un pouvoir réglementaire
spécial et le pouvoir de prendre des décisions administratives individuelles,
notamment en matière de sanctions58. Ces prérogatives tirent leur origine
d’une délégation de pouvoir du ministre chargé des sports, sur la base d’une
ordonnance de 1945 ; ces dispositions sont reprises dans les grandes lignes
dans l’actuel Code du sport (art. L.131-14 à L.131-16). Ici, le contexte de
droit administratif et l’existence d’une juridiction administrative expliquent
que la nature administrative des actes soit plus aisément reconnue. Dès les
années 30, le Conseil d’État avait reconnu la possibilité pour des organismes
privés d’exercer des prérogatives de puissance publique qui leur étaient
déléguées par l’État, sous le contrôle du juge administratif59. Le droit
français connaît d’autres modes de participation des organismes privés au
pouvoir réglementaire. L’un des plus importants en pratique est celui des
accords négociés entre les « partenaires sociaux », ou entre la Caisse
nationale d’assurance-maladie et les professions de santé, auxquels un arrêté
ministériel confère valeur réglementaire en les rendant obligatoires pour
57
M. SACHS (Hrsg), Grundgesetz Kommentar, 3e éd., Munich, C. H. Beck, 2003, p. 1669. Not. CE Sect. 22 nov. 1974, Fédération des industries françaises d’articles de sport, Rec.
576, concl. J. THÉRY, AJDA 1975, p. 19, chron. FRANC et BOYON ; TC 4 nov. 1996, Soc.
Datasport c. Ligue nationale de football, Rec. 551, AJDA 1997, p. 142, chron. CHAUVAUX et
GIRARDOT. Dans l’arrêt de 1974, la Fédération française de tennis de table exerce bien un pouvoir
réglementaire spécial, pour fixer les modalités d’organisation des compétitions sportives dont elle a
la charge et les règles d’homologation des balles pouvant être utilisées lors de ces compétitions. 59
Les trois arrêts fondamentaux sont : CE Ass. 13 mai 1938, Caisse primaire « Aide et
protection » (organisme privé de sécurité sociale) ; CE Ass. 31 juill. 1942, Monpeurt (organisme de
corporatifs chargés de l’organisation de la production industrielle) ; CE Ass. 2 avril 1943, Bouguen
(ordre professionnel) – V. GAJA 2011, 18e éd., n° 51-53. 58
64
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
tous les membres de la profession, même non membres des organisations
signataires. D’autres procédures existent ; par exemple les Codes de
déontologie propres à certaines professions sont adoptés par décret en
Conseil d’État, mais leur contenu est largement élaboré par l’organisation
professionnelle (par exemple l’ordre des médecins)60. On peut citer encore
les chambres consulaires (chambres de commerce et d’industrie, chambres
d’agriculture, chambres des métiers), qui sont des établissements publics
mais administrés par des élus de la profession concernée ; les actes
réglementaires que la loi leur permet de prendre émanent en fait des
représentants de la profession.
En Suède, la Constitution prévoit formellement la possibilité de confier
des attributions administratives à des organismes privés, tels que des
sociétés commerciales, des associations, des collectivités, des fondations ou
même des personnes physiques ; une loi est nécessaire si ces attributions
comprennent l’exercice de prérogatives de puissance publique (11 :6), mais
celles-ci ne n’étendent pas à la possibilité de prendre des mesures de nature
réglementaire. Mais il existe certaines possibilités pour les organismes
privés de participer au pouvoir réglementaire. La Constitution prévoit que,
dans la préparation des affaires gouvernementales en général, il sera offert,
« dans la mesure requise », aux collectivités et aux particuliers, la possibilité
de faire connaître leur opinion (7 :2). En outre, le gouvernement subdélègue
habituellement aux autorités administratives le pouvoir de prendre les
mesures réglementaires pour l’exécution des lois, lorsqu’il a été lui-même
habilité par la loi (8 :11). Ces autorités sont dirigées, selon les cas, par un
directeur général assisté d’un comité consultatif ou par un conseil
d’administration et son président. Dans les deux cas, une proportion
importante des personnalités nommées dans le comité ou le conseil
d’administration provient des milieux économiques concernés ainsi que du
monde syndical ou des institutions scientifiques. Dans certaines autorités, il
existe des comités spéciaux consultatifs dont le rôle est de permettre la
participation des intérêts concernés61.
En Russie, les réformes législatives des dernières années ont permis
l’existence de différentes catégories de personnes morales, tant de droit
public et de droit privé, pour lesquelles s’est posée la question de savoir
quels pouvoirs elles pourraient exercer et quelle serait la nature de leurs
obligations juridiques et financières. En particulier le Code civil de 1994 a
prévu l’existence d’« organisations non commerciales », dont le régime a été
précisé par la loi n° 7 du 12 avril 1996 ; d’autre part la loi n° 174 du
3 novembre 2006 a prévu la création d’« établissements autonomes »
60
61
Cf pour plus de détails, v. mon autre contribution dans ce volume. L. MARCUSSON, op. cit. n° 10 et 40 en particulier. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 65
(avtonomoe outchrejdenie), lesquels ne peuvent être créés que par les
collectivités publiques (la Fédération, les sujets de la Fédération et les
collectivités locales) qui leur confient l’exécution matérielle de leurs
compétences dans divers domaines. Ces établissements autonomes se
distinguent des classiques établissements budgétaires, non seulement par la
personnalité morale mais aussi par le fait que leur financement est assuré par
des ressources propres, même s’ils reçoivent des dotations et des
subventions pour certaines missions. Cette institution, nouvelle en droit
russe, est très proche de l’établissement public du droit administratif
français. Avec elle, les collectivités publiques disposent d’une institution de
droit public adaptée à leurs missions, notamment dans le secteur social ou
éducatif, et n’auront plus besoin de recourir à des institutions du Code civil
pour l’organisation de leurs missions62.
Cependant, la loi sur les « organisation non commerciales » a servi de
base au développement de nombreux organismes « autoréglementés »
(samoreguliruemaïa organizatsia) dans des domaines variés de la vie
économique et sociale, à l’initiative des citoyens, ou dans certains cas à
l’initiative du législateur comme par exemple dans le Code fédéral de
l’urbanisme (pour certains secteurs professionnels, tels que l’ingénierie, les
architectes et urbanistes, la construction) ou pour des professions juridiques
(notaires, avocats)63. Par rapport aux grandes catégories distinguées plus
haut, ces organismes relèvent de l’« organisation collective volontaire » (à
l’exception des professions juridiques, pour lesquelles elle est obligatoire en
raison de fonctions de droit public qui leur sont aussi confiées). Cependant,
la loi délègue à de telles organisations des prérogatives de droit public telles
que la délivrance de licences ou d’agréments, ou le règlement de certains
différents64. On peut en rapprocher les organismes d’accréditation et de
certification des produits ou procédés en matière de réglementation
technique, pour lesquels la loi laisse le libre choix de leur forme juridique
aux milieux professionnels concernés : la loi garantit cependant
l’indépendance de ces organismes65. En revanche, ces organisations ne
62
T. Ia. KHABRIEVA, « Некоммерческие организации в России в совремменых
условиях: вступительное слово » [Les organisations non commerciales de Russie dans les
conditions actuelles : propos introductif], p. 7, in IZAK, Некоммерческие организации:
теоретические и практические проблемы [Les organisations non commerciales : problèmes
théoriques et pratiques], Moscou, 2009. 63
M. I. GORLATCHEVA, « Создание и деятельность саморегулираемых организации в
градостройтельной сфере » [La création et l’activité des organisations autoréglementées dans le
domaine de l’urbanisme], p. 162, in IZAK, note préc. 64
E. A. PAVLODTSKY, « Саморегулираемые организации России » [Les organisations
autoréglementées de Russie], p. 72, in IZAK, note préc. 65
Комментары к Федералному закону « О техническом регулировании » [Commentaire
de la loi fédérale sur les normes techniques], A. F. NOZDRATCHEV et I. Z. ARONOV (dir.),
Moscou, Ed. Rosispitaniya, 2009, pp. 85-86. 66
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
peuvent pas exercer un pouvoir réglementaire, même restreint, au sens défini
plus haut.
En ce qui concerne la participation des personnes privées à l’exercice
de pouvoirs de réglementation, la Russie ne se distingue donc pas des
solutions que l’on rencontre dans les autres pays étudiés. Si l’on délègue des
tâches nombreuses à des organismes privés sous le contrôle de l’État, le
pouvoir de poser des normes générales et abstraites reste l’apanage des
autorités de l’État, sauf quelques exceptions.
III. LES PROCÉDURES RELATIVES AUX ACTES NON
RÉGLEMENTAIRES
On entendra dans ce qui suit par acte non réglementaire tout acte
unilatéral d’une autorité administrative qui affecte les droits ou les
obligations d’une ou de personnes déterminées (décision administrative
individuelle), ou qui se rapporte à une situation concrète, même si les
destinataires sont indéterminés, ainsi que l’absence de cet acte lorsqu’il révèle
une carence de l’autorité administrative. Pour l’étude comparative des
procédures, on se concentrera essentiellement sur les décisions administratives
individuelles. C’est pour l’adoption de ces décisions que les procédures
administratives juridiquement organisées se sont développées, dans le but de
protéger les droits des administrés ou des usagers des services publics,
puisqu’elles concrétisent l’application de la loi à leur cas particulier.
Cette question a été reconnue ces dernières années en Russie comme un
enjeu majeur du développement du droit administratif aujourd’hui, dans des
termes qui sont révélateurs des problèmes actuels du droit administratif en
Russie66. L’influence des facteurs internationaux est reconnue : la Russie ne
peut rester à l’écart de la tendance à « l’unification des droits et des
obligations des citoyens » accompagnant dans la sphère juridique les
différents processus d’intégration, qui prennent un « caractère global »67.
Pourtant, les réformes des dernières années reflètent une conception qui se
distingue de celle qui a généralement inspiré le développement du droit de la
procédure administrative, et qui visait à assurer la protection des droits des
administrés face aux autorités administratives. Dans le cadre de la
66
V. les contributions de L. K. TERECHTCHENKO et A. F. NOZDRATCHEV dans ce
volume. 67
N. V. SOUKHAREVA / V. I. KOUZNETZOV, « Концепция развытия административнопроцессульного законодательства » [Le développement de la législation dans le domaine de la
procédure administrative], p. 627, in T. Ia. KHABRIEVA / Iu. A. TIKHOMIROV (dir.), Концепции
развытия российского законодательства [Les domaines du développement de la législation russe],
Institut de Législation et de Droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie, Moscou,
Eksmo, 2010. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 67
« Conception de la réforme administrative 2006-2010 », les différentes
administrations ont été invitées à se doter d’un « règlement administratif »
pour rationaliser leur fonctionnement et l’adoption de leurs décisions.
L’amélioration de la protection des droits et des recours s’inscrit alors dans
une perspective plus globale de rationalisation et de modernisation de
l’administration ; le risque n’est-il pas, alors, de relativiser la fonction de
protection des règles de procédure ? C’est pourquoi il est utile de mettre le
droit russe en perspective avec le droit d’autres pays qui ont développé
depuis longtemps le droit des procédures administratives pour comprendre
comment il peut évoluer ou se réformer.
Après avoir dégagé les grandes tendances des expériences nationales en
matière de procédure administrative (A), on analysera la réforme des
procédures administratives en Russie (B). On examinera ensuite les
procédures applicables en matière de sanctions administratives ; celles-ci
constituent un chapitre distinct et traditionnel du droit russe qui s’est
beaucoup renouvelé au cours des dernières années, tandis qu’elles ont gagné
en importance dans les pays occidentaux au cours des dernières décennies
(C). Enfin, on tentera de dégager de la comparaison les principes généraux
de la procédure administrative, ainsi que les caractéristiques particulières de
certaines lois de procédure (D).
Sur ces différents points, deux observations générales s’imposent : la
première, c’est l’importance primordiale du juge dans le développement du
droit processuel ; la seconde, c’est qu’il est possible de dégager aujourd’hui
des principes généraux, au-delà des particularismes des différents secteurs
de l’administration.
A. – Le droit de la procédure administrative : diversité des expériences
nationales
D’un point de vue historique, le droit de la procédure administrative est
d’origine jurisprudentielle, mais son développement s’opère aujourd’hui
principalement par la loi. On distinguera ici la question des sources du droit
de la procédure administrative et la question du champ d’application des lois
de procédure. Faute de place, on ne fera qu’évoquer, sans les étudier, les
procédures particulières relatives à l’accès aux documents administratifs et à
la médiation (ombudsman).
1. Les sources
On a coutume d’opposer les pays qui ont développé la codification de la
procédure administrative (notamment l’Autriche, l’Allemagne, l’Espagne) et
68
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
les pays dans lesquels c’est la jurisprudence qui a dégagé les principes de la
procédure administrative et en a imposé le respect à l’administration
(essentiellement le Royaume-Uni et la France). On a contesté, notamment en
France, les mérites de la codification en faisant valoir que la soumission de
l’administration au juge était plus importante et que le juge administratif
avait su imposer à l’administration le respect de règles de procédure
conciliant les impératifs de l’action publique et de la protection des droits,
tandis que la codification alourdirait la procédure et ferait obstacle à
l’efficacité de l’action administrative. On a défendu la codification au nom
de la sécurité juridique que donne la loi, d’une meilleure protection des
administrés, mais aussi de l’efficacité administrative en simplifiant le travail
des fonctionnaires et en facilitant le contrôle de légalité68. Ce débat est
aujourd’hui en partie dépassé, mais ses termes se retrouvent dans l’approche
russe d’aujourd’hui qui cherche à lier efficacité administrative et protection
des droits et il conserve aussi une certaine actualité dans les arguments en
faveur de réglementations partielles, propres à chaque administration pour
fixer sa propre procédure.
Le premier motif de ne pas opposer l’intervention de la loi et le rôle du
juge, c’est que la jurisprudence a précédé la codification. Le texte qui a
exercé la plus grande influence en ce domaine est la loi autrichienne du 22
octobre 1875, qui établissait un tribunal administratif pouvant annuler les
décisions prises en méconnaissance des « norme essentielles de la procédure
administrative ». En l’absence d’un texte définissant ces « normes
essentielles » et en tenant compte de dispositions contenues dans des lois
particulières, cette loi a conduit le tribunal administratif d’Autriche à
développer dans sa jurisprudence les principes de l’État de droit, sur des
points aussi essentiels que les droits des parties en cause et la motivation des
décisions. Le projet de codification est né de cette jurisprudence ; entreprise
en 1911 mais interrompue par la guerre, la codification a abouti aux cinq
lois du 21 juillet 1925, lesquelles ont été reprises dans la loi générale de
procédure administrative (Allgemeines Verwaltungsverfahrensgesetz) de
1950, puis dans celle de 1991, actuellement en vigueur avec de nombreuses
modifications. La codification autrichienne a exercé une influence
considérable, d’abord sur les nouveaux États issus de l’empire des
Habsbourg (Pologne, Tchécoslovaquie, Yougoslavie), puis, après la guerre,
sur l’élaboration de la loi allemande sur la procédure administrative de 1976.
C’est ainsi la loi qui, dans de nombreux pays, a assuré la pérennité et la
diffusion des principales innovations issues de la jurisprudence du tribunal
administratif d’Autriche.
68
C. WIENER, Vers une codification de la procédure administrative, Paris, PUF, 1975, not.
pp. 31-47. Cet ouvrage réunit de nombreuses traductions de Codes de procédure administrative en
vigueur au début des années 70. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 69
On ne saurait, bien sûr, surestimer le rôle de la jurisprudence dans
l’élaboration des règles de la procédure administrative en France comme au
Royaume Uni. Le Conseil d’État a érigé en « principes généraux de droit »69
s’imposant à toutes les autorités administratives des règles telles que le respect
des droits de la défense chaque fois qu’une décision doit être prise en
considération de la personne70, la non rétroactivité des actes administratifs71,
le droit à un recours hiérarchique contre toute décision d’une autorité
subordonnée72 et surtout la possibilité du recours pour excès de pouvoir,
même sans texte, contre tout acte administratif73, le principe d’impartialité74 ;
c’est également la jurisprudence qui a d’abord fixé les règles régissant le
retrait d’une décision individuelle créatrice de droits75. C’est en revanche à la
loi que l’on doit les évolutions les plus importantes du droit de la procédure
administrative à l’époque contemporaine. C’était une loi de 1905 ayant
introduit le droit à la communication du dossier en cas de sanction qui avait
permis au Conseil d’État d’en généraliser l’inspiration en consacrant le
principe général du respect des droits de la défense. Mais c’est la loi qui a
introduit l’obligation de motiver les décisions administratives défavorables
(loi du 11 juillet 1979), le droit d’accès aux documents administratifs (loi du
17 juillet 1978), le droit de présenter des observations écrites, et d’être
entendu à sa demande pour toute décision soumise à l’obligation de
motivation, sauf quand la décision est prise sur la demande de l’intéressé (loi
du 12 avril 2000). Le professeur Capitant résume les principes généraux de la
procédure administrative en France aujourd’hui, tels qu’ils résultent de la loi
et de la jurisprudence, en quatre grands principes : le principe de
contradiction, le principe de transparence, le principe de publicité et le
principe de sécurité juridique76.
On peut rapprocher cette construction jurisprudentielle du développement
par la jurisprudence anglaise des principes de « natural justice », qui sont des
principes de procédure que les juges ont déduits par analogie de la procédure
de common law, et qu’ils ont étendus à la procédure administrative. Selon la
69
et s. 70
Cf R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 1, 15e éd., Paris, Montchrestien, 2001, n° 95
CE 5 mai 1944, Dame Trompier-Gravier, GAJA, 2011, 18e éd. n° 54. CE 25 juin 1948, Société du Journal l’Aurore, ibid. n° 60. 72
CE Sect. 30 juin 1950, Quéralt, Rec. p. 413. 73
CE Ass. 17 février 1950, Dame Lamotte, GAJA, op. cit. n° 61. 74
CE 17 juin 1927, Vaudot, Rec. p. 683 ; CE Sect. 9 nov. 1966, Commune de CloharsCarnoet, D. 1967.92 concl. G. BRAIBANT ; CE Ass. 3 déc. 1999, Didier, GAJA, 2011, op. cit.
n° 102. 75
CE 3 nov. 1922, Dame Cachet, Rec. p. 790, RDP 1922, p. 552, concl. RIVET, GAJA, 12e
éd. 1999, n° 41 ; CE Ass. 26 oct. 2001, Ternon, GAJA, 2011, 18e éd. n° 107, qui modifie la
jurisprudence Dame Cachet. 76
D. CAPITANT, « Les principes généraux de la procédure administrative en France », v. ciaprès dans ce volume. 71
70
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
définition qu’en donnait Wade, « natural justice is a well defined concept
which comprises two fundamental rules of fair procedure: that a man may
not be judge in his own cause; and that a man’s defence must always be
fairly heard ». Ces règles, par leur universalité, ce qui explique qu’on les
qualifie de « naturelles », ne sont pas applicables seulement aux cours de
justice mais aussi au pouvoir administratif77. La question qui a dominé la
jurisprudence anglaise a été alors de savoir jusqu’à quel point le pouvoir
judiciaire et le pouvoir administratif devaient être soumis aux mêmes
principes78. Au cours de la période de l’après-guerre, le qualificatif
« judicial » a conduit les juges à distinguer ce qui était « purement
administratif », c’est-à-dire les décisions qui relevaient de la mise en œuvre
d’une « politique » (policy), et pour lesquelles l’autorité administrative ne
pouvait être tenue que par la procédure prévue par la loi. Cette position a été
abandonnée par la Chambre des Lords dans le célèbre arrêt Ridge c. Baldwin
de 196379, jugeant que l’autorité administrative qui se prononce sur
l’application de la loi à une personne remplit une fonction qui doit respecter
les principes de « natural justice » au même titre qu’un juge, y compris dans
le cadre d’une procédure prévue par la loi, comme en l’espèce à propos du
licenciement du chef de la police locale. Cet arrêt a permis de dégager la
procédure administrative des limites que pouvait impliquer le concept de
« natural justice » au profit d’une obligation générale, pour toute autorité
administrative, de se comporter de manière loyale (« duty to act fairly »80),
ce qui a été interprété de manière sans cesse plus large, à la charge des
autorités administratives, mais avec une attention aux données de fait et au
contexte de l’action administrative, en fonction desquels le juge déplace le
curseur de la garantie pour l’intéressé81. On note moins d’interventions du
législateur en matière de procédure administrative au Royaume-Uni qu’en
France, mais certaines n’en sont pas moins importantes, comme celle de la
loi de 1958 qui, d’une part, a judiciarisé la procédure devant les tribunals et
imposé à ceux-ci de motiver leurs décisions, le Human Rights Act 1998, qui
introduit dans le droit interne la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, et le Freedom of
Information Act 2000. Cependant, le principe général demeure que
l’administration n’est pas tenue de communiquer les motifs de ses décisions,
bien que la jurisprudence ait multiplié les exceptions qui tendent à la
soumettre à une obligation de transparence, par exemple en assimilant le
77
H. W. R. WADE, Administrative law, 5e éd., Oxford, Clarendon Press, 1982, p. 414. Ibid. p. 415. 79
Ridge c. Baldwin [1964] A.C. 40. 80
McInnes c. Onslow Fane [1978] All ER 211. 81
C. HARLOW / R. RAWLINGS, Law and administration, 3e éd., Cambridge University
Press, 2009, p. 626 et s. 78
G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 71
refus de communiquer les motifs à l’indice de l’ « irrationalité » de la
décision82, ou en l’assimilant à un manquement à l’obligation de
« procedural fairness »83, ce qui est pour le juge, dans les deux cas, un motif
d’annulation, et plus récemment en jugeant même que le refus de donner les
motifs est en général « unfair »84, ce qui tend à renverser le principe
traditionnel, sous réserve du contexte de l’affaire et des implications sur la
situation de l’intéressé85. Comme l’écrit John McEldowney, « the
requirement to give reasons must therefore depend on the class of case
involved and the role of the decision-maker under review »86. Cette
conclusion paraît toujours valable et elle vaut pour les autres principes de
procédure dégagés par la jurisprudence, qui subordonne la portée de la règle
à l’analyse du cas.
Malgré le Human Rights Act, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg
semble avoir eu moins d’impact sur la procédure administrative au
Royaume-Uni qu’en France. En France, elle a eu un impact sur la procédure
administrative devant les autorités administratives indépendantes (ou les
autorités publiques indépendantes), le Conseil d’État ayant, comme la Cour
de cassation, étendu une partie des prescriptions relatives au procès
équitable à la procédure administrative en vue du prononcé d’une sanction
ou du règlement d’un différend par une telle autorité. Au Royaume-Uni, au
contraire, la plupart des affaires mettant en cause l’application du HRA
portent sur des questions d’immigration ou de détention. En outre,
l’application de la Convention au Royaume-Uni est considérée comme de
pur droit interne car elle passe en fait par l’application du HRA ; par voie de
conséquence, les juges britanniques ne se considèrent pas comme liés par les
décisions de la Cour européenne des Droits de l’Homme mais comme ayant
seulement à en « tenir compte »87, ce qui laisse le juge maître de l’étendue
du pouvoir discrétionnaire qu’il laisse à l’autorité administrative88.
Le common law n’est pas incompatible avec l’intervention du
législateur ou même la codification, comme le montre l’exemple des ÉtatsUnis depuis l’introduction de l’Administrative Procedure Act de 1946. La
codification est l’occasion d’une remise en ordre et en cohérence, comme ce
fut le cas en Suède où, en 1971, furent adoptées, de manière coordonnée, la
loi sur procédure administrative et la loi de procédure des tribunaux
administratifs. Dans la plupart des pays, cependant, justement parce qu’ils
ne disposent généralement pas d’un corpus jurisprudentiel suffisant, les
82
Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food [1968] AC 997. R. v. Civil Service Appeal Board, ex p. Cunningham [1991] 4 All ER 310. R. v. Home Secretary, ex p. Doody [1993] 3 WLR 154, HL. 85
C. HARLOW / R. RAWLINGS, op. cit. pp. 628-633. 86
Public Law, Londres, Sweet and Maxwell, 1994, p. 478. 87
Re P [2008] UKHL 38. 88
C. HARLOW / R. RAWLINGS, op. cit. pp. 137-138. 83
84
72
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
garanties de la procédure administrative ne peuvent être développées que par
la loi. Les pays d’Europe de l’Est ont en général adopté une loi sur la
procédure administrative, ou ont réformé celle qui, quelquefois, avait été
adoptée, sous le régime socialiste (Pologne, République tchèque, Slovaquie,
notamment). Le Kazakhstan s’est doté d’une loi sur la procédure
administrative en 2000 (loi du 27 novembre 2000), et l’Ukraine a adopté en
2004 un Code de procédure administrative et en 2005 une loi établissant au
second degré de juridiction une cour administrative suprême séparée des
juridictions ordinaires.
Parfois, la codification de la procédure a pu être préparée par
l’élaboration de règles internes à chaque administration portant
essentiellement sur l’organisation de la procédure. C’est le cas de l’Espagne,
où la loi du 19 octobre 1889 avait établi, en un texte court, les principes
fondamentaux (notamment l’enregistrement des demandes, la transmission
d’office à l’administration compétente, les délais de procédure), sur la base
desquels chaque ministère devait établir son propre règlement. Ce système a
perduré jusqu’à l’adoption de la loi sur la procédure administrativecontentieuse de 1958, dont la qualité technique explique que sa conception
d’ensemble ait été reprise, après le rétablissement de la démocratie, dans la
loi actuelle, n° 30/1992 du 26 novembre, sur le régime juridique commun
des administrations publiques et de la procédure administrative (LRJPAC).
La loi espagnole est de portée plus large que les autres codifications, car elle
concerne non seulement la procédure et les recours relatifs aux actes
administratifs individuels mais aussi la procédure d’élaboration des actes
réglementaires et les recours à objet indemnitaire89. Elle ne règle que la
procédure administrative ; le recours au juge fait l’objet des dispositions de
la loi sur la juridiction contentieuse administrative (LRJCA), n° 29/1998 du
13 juillet.
2. Le champ d’application des lois sur la procédure administrative
Les lois générales de procédure administrative ont habituellement un
caractère subsidiaire, c’est-à-dire que leurs dispositions cèdent devant les
dispositions législatives établissant des règles particulières de procédure
pour certaines administrations ou certains secteurs. Tel est le cas en France,
où de nombreux codes sectoriels contiennent des dispositions de procédure
(par exemple le Code de l’urbanisme, le Code des procédures fiscales, le
Code de la sécurité sociale…). La loi du 12 avril 2000 n’est pas une loi
régissant l’ensemble de la procédure administrative ; elle règle en revanche
de manière générale certaines questions particulières des procédures
89
2000. Cf J. GONZÁLEZ PÉREZ, Manual de procedimiento administrativo, Madrid, Civitas,
G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 73
administratives. La loi allemande sur la procédure administrative est plus
claire : ses dispositions ne valent qu’à défaut de dispositions particulières
ayant le même objet ou de dispositions contraires pour l’application du droit
fédéral (§1) ; la procédure fiscale et la procédure en matière de sécurité
sociale sont les principales exceptions à l’application de la loi de 1976, mais
on retrouve les mêmes principes dans ces législations sectorielles ; il existe
de nombreuses autres exceptions. La loi espagnole se distingue également
des autres codifications par le fait qu’elle a une portée générale, et non
subsidiaire. Elle s’applique à l’ensemble des administrations publiques, sans
préjudice, cependant des développements que peuvent introduire les lois des
communautés autonomes pour leur propre administration dans le respect du
régime juridique commun. Mais elle prévoit elle-même un grand nombre
d’exceptions : la procédure fiscale, les recours en matière de sécurité sociale
et d’assurance-chômage, les procédures disciplinaires des différentes
administrations publiques, notamment (voir les dispositions additionnelles
de la loi).
La loi française du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans
leurs relations avec les administrations est, semble-t-il, la seule dont les
dispositions s’appliquent, non seulement aux autorités administratives au
sens organique, mais également à des organismes de droit privé s’ils sont
chargés de la gestion d’un service public administratif, ce qui inclut non
seulement les organismes de sécurité sociale, mais aussi les organismes
d’assurance chômage et bien d’autres organismes de droit privé.
On peut toutefois en rapprocher l’évolution de la jurisprudence anglaise
qui étend le recours de judicial review aux organismes privés à la suite des
politiques de privatisation et de libéralisation, en raison des pouvoirs qu’ils
exercent. Cette évolution a alimenté le débat sur le champ d’application de
la procédure de judicial review, et donc du droit administratif anglais, dont
elle a déterminé un élargissement potentiel avec l’abandon de facto de la
théorie de l’ultra vires comme fondement de ce contrôle. Dans l’affaire
« Datafin » de 1987, il a été jugé que le recours en annulation était recevable
contre une décision du « panel » de contrôle des concentrations sur le
marché financier, un organisme professionnel qui n’avait pas été créé par la
loi mais qui était placé sous le contrôle du gouvernement et de la Banque
d’Angleterre, bien qu’aucun texte ne lui conférât de prérogatives de
puissance publique ; selon la cour c’est la « nature » des pouvoirs exercés
qui justifiait le judicial review. Le « panel » exerçait une mission publique
résultant de la volonté du gouvernement de limiter la législation en ce
domaine et constituant un « transfert implicite de l’appareil réglementaire »
du gouvernement, elle était soumise au contrôle d’autorités publiques et les
justiciables n’avaient pas d’autres voies de droit ouvertes à eux, en l’absence
74
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
d’un contrat ou d’un délit civil de nature à engager la responsabilité90. Cette
approche a été régulièrement confirmée dans la jurisprudence ultérieure. En
revanche, la jurisprudence s’est montrée plus restrictive et a exclu la
recevabilité du recours de judicial review en présence d’actes de personnes
privées dans les cas manquant d’« éléments de droit public ». Tel est le cas
des décisions des organismes organisant des courses de chevaux91 ou des
compétitions sportives92, ou encore de Lloyds of London, le célèbre
organisme de réassurance, qui avait été créé par une loi privée, au motif que
celui-ci n’était pas un organisme public de régulation du marché mais plutôt
un opérateur sur le marché93. Ces jugements, rendus la même année à
quelques mois d’intervalle illustrent bien l’affirmation d’une ligne
jurisprudentielle, même si le critère des « éléments de droit public » est très
flou, et sert seulement aux juges à fixer des limites à l’extension du champ
d’application du judicial review94. Pour les mêmes raisons, les organismes
privés soumis au judicial review sur la base des « éléments de droit public »
de leurs décisions, sont également soumis à l’obligation de respecter les
principes de natural justice95.
Dans les États fédéraux se pose la question de la compétence pour
établir des lois de procédure. Aux États-Unis, tous les États fédérés ont
aujourd’hui adopté une loi sur la procédure administrative qui suit un
modèle de loi fondé sur la loi fédérale. La procédure administrative est donc
en fin de compte très homogène dans l’ensemble du pays. En Allemagne,
les Länder sont compétents pour fixer la procédure administrative pour leur
propre administration, mais leurs lois reprennent largement les dispositions
de la loi fédérale, si bien que la Cour administrative fédérale est également
compétente, selon la loi sur la juridiction administrative (§137), pour
interpréter les lois de procédure des Länder. Ce problème se pose aussi en
Russie, où la plupart des services publics sont administrés, non pas par la
Fédération, mais par les sujets de la Fédération et les collectivités locales.
B. – Les procédures administratives en Russie aujourd’hui
La Constitution de la Fédération de Russie du 12 décembre 1993
contient plusieurs dispositions concernant les relations entre les citoyens et
l’État ou les collectivités locales. L’article 33 énonce le droit de tout citoyen
90
R. v.Panel on Take-Overs and Mergers Ex p. Datafin plc [1987] Q.B. 152. R. v. Disciplinary Committee of the Jockey Club Ex p. Aga Khan [1993] 1 W.L.R. 909. 92
R. v. Football Association Ltd Ex p.Football League Ltd [1993] 2 All E.R. 833. 93
R. v. Lloyds of London Ex p. Briggs [1993] 1 Lloyd’s Rep. 176. 94
P. CRAIG, Administrative law, 6e éd., Londres, Sweet & Maxwell, 2008, pp. 884-885. 95
J. McELDOWNEY, op. cit. p. 475. 91
G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 75
de s’adresser à tout organe de l’État ou d’une collectivité locale, par une
demande individuelle ou collective. Selon l’article 46, chacun a droit à la
protection juridictionnelle de ses droits et libertés et peut former un recours
juridictionnel contre les décisions ou les actes, ou l’inaction, des organes de
l’État, des collectivités locales ou d’organisations sociales ; cet article
reconnaît même le droit de chacun de former un recours auprès d’organes
internationaux de protection des droits et libertés après épuisement des voies
de recours internes.
Malgré cela, il n’existe actuellement en Russie aucune loi de procédure
administrative au sens retenu ici. Bien entendu, de nombreuses lois
comportent des dispositions de procédure, par exemple le Code des impôts,
le Code des douanes, le Code de l’urbanisme, mais aucun texte ne présente,
ne serait-ce qu’à titre subsidiaire, un corpus systématique de règles de
procédure. En fait, l’approche de la procédure administrative en Russie est
étroitement liée à la réforme administrative, dont fait partie l’amélioration
des relations entre les citoyens et l’administration ; ce n’est donc pas une
approche contentieuse, même si les voies de recours ont été développées au
cours des deux dernières décennies. On peut en trouver l’expression dans la
loi fédérale n° 210 du 27 juillet 2010 sur l’organisation de la fourniture des
services d’État et municipaux, qui fait des « règlements administratifs » la
base de cette organisation (v. infra).
1. Les recours
Trois lois fédérales prévoient, de manière générale, la possibilité de
recours administratifs, mais elles sont inspirées par des conceptions
différentes et elles n’en règlent que certains aspects. En outre, comme la
Russie est un État fédéral, il existe des lois régionales plus ou moins
développées pour ce qui concerne spécifiquement l’administration du sujet
de la Fédération et des collectivités locales. L’article 72.1, k range dans la
« compétence commune » de la Fédération et des sujets de la Fédération la
législation sur l’administration et sur la procédure administrative, ce qui
permet aux sujets de la Fédération de légiférer en la matière mais les lois
régionales cèdent devant les dispositions des lois fédérales avec lesquelles
elles ne sont pas compatibles96. Cet article rend possible une législation
96
Pour plus de détails, v. G. MARCOU, « Распределение властных полномочий в
Российской Федерации в свете существующей практики федеративных государств членов
Совета Европы » [La répartition des compétences en Fédération de Russie à la lumière de la
pratique des États fédéraux membres du Conseil de l’Europe], Журнал Российского Права [Revue
de Droit russe] 9/2002, 2002, pp. 111-119 et 10/2002 pp. 129-140, en particulier pp. 116-117 ;
G. MARCOU, « Взгляд на юридический статус взаимоотношений между Российской
Федерацей и субъектами Федерации после принятия закона от 4 июля 2003 » [Regard sur le
statut juridique des rapports entre la Fédération de Russie et les sujets de la Fédération après
l’adoption de la loi du 4 juillet 2003], pp. 69-88 in Institut de législation et de droit comparé près le
76
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
fédérale détaillée, dans un domaine où l’intérêt de l’uniformité du droit est
évident, pour la clarté du droit et pour l’égalité devant la loi. On rappellera
que les États fédéraux ou quasi-fédéraux ont généralement abouti en matière
de procédure administrative à l’uniformité du droit, soit par la reproduction
au niveau des entités fédérées de la loi fédérale (cas des États-Unis et de
l’Allemagne), soit par l’exercice de la compétence fédérale (Autriche et
Espagne).
La plus importante des trois lois que l’on vient d’évoquer est la loi du
27 avril 1993 (n° 4866-I) déjà citée et modifiée en 1995 et en 2009 sur les
recours (objalovanie) contre les actes et les décisions portant atteinte aux
droits et libertés des citoyens, pour lesquels aucun recours juridictionnel
n’est prévu par une autre loi (art. 3). Cette loi organise le recours
juridictionnel devant les tribunaux ordinaires contre les actes des autorités
administratives, mais aussi d’entreprises ou d’associations qui porteraient
atteinte aux droits et libertés d’un citoyen, feraient obstacle à leur exercice
ou lui imposeraient des obligations ou une responsabilité contraires à la loi ;
le recours est possible aussi contre l’inaction de l’autorité en cause si elle a
les mêmes conséquences, et il peut mettre en cause l’auteur des informations
sur la base desquelles la décision a été prise (art. 2). Le tribunal peut aussi
suspendre l’acte ou la décision à la demande du requérant (art. 4, al. 6). Le
délai de recours est de trois mois à compter du moment où le citoyen a
connaissance de la violation de l’un de ses droits ou libertés (art. 5). Le
tribunal peut déclarer illégal l’acte ou la décision attaqués, en interdire
l’application ou rétablir le requérant dans ses droits de toute autre façon,
engager la responsabilité de l’administration et ordonner la réparation des
dommages, y compris le dommage moral, selon les règles du Code civil
(art. 7). En revanche le tribunal n’annule pas l’acte ou la décision attaqué ;
au nom de la séparation des pouvoirs, c’est à l’auteur de l’acte de retirer
l’acte ou la décision illégal, et en informer le tribunal dans un délai d’un
mois97 (art. 8). Dans la procédure, c’est à l’autorité en cause de démontrer
qu’elle a agi dans le respect de la légalité ; le requérant doit seulement
établir l’atteinte portée à l’un de ses droits ou libertés (art. 6). Les règles de
procédure applicables à ces recours sont fixées respectivement par le Code
de procédure civile (art. 245-258) et le Code de la procédure d’arbitrage
(tribunaux de commerce) (art. 189-201), adoptés l’un et l’autre en 2002. Il
Gouverment de la Fédération de Russie, Конституция и законодательство [Constitution et
legislation], Moscou, 2004. 97
À ce sujet, v. le point de vue critique de : A. V. MINACHKINE, « Концепция развития
административного-процессуалного законодательства » [Le développement de la législation
dans le domaine de la procédure administrative], p. 534, in T.Ia. KHABRIEVA / Iu. A.
TIKHOMIROV / Iu. P. ORLOV (dir.), Концепции развития российкого законодательства [Les
domaines du développement de la législation russe, Institut de Législation et de Droit comparé près
le Gouvernement de la Fédération de Russie, Moscou, Gorodets, 2004. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 77
serait évidemment préférable que toutes les règles relatives à ces recours
soient contenues dans ces codes, si l’on a renoncé à établir une juridiction
administrative spécialisée.
La même loi de 1993 fonde les recours administratifs. En effet, le
citoyen peut adresser son recours directement au tribunal ou former un
recours hiérarchique (art. 4). En cas de rejet par l’autorité supérieure ou du
silence de celle-ci pendant un mois à compter de l’introduction du recours
hiérarchique, le requérant peut se tourner vers le tribunal. Le citoyen peut
introduire le recours lui-même ou être représenté par un tiers mandaté par
lui, ou par le représentant d’une organisation sociale (par exemple un
syndicat ou une association) ou du collectif de travail ; cette possibilité de
représentation vaut aussi bien pour le recours hiérarchique que pour le
recours juridictionnel. La loi ne fixe pas de délai pour l’introduction du
recours hiérarchique, mais seulement l’obligation pour l’autorité saisie du
recours de statuer dans un délai d’un mois ; à l’expiration de ce délai le
requérant peut se tourner vers le tribunal (art. 4, al. 2).
On remarquera que l’invocation d’une illégalité et d’un intérêt à agir ne
suffisent pas pour assurer la recevabilité du recours, selon la loi de 1993. Il
faut établir la violation d’un droit ou d’une liberté garantis par la
Constitution. Cette loi n’a pas abrogé la loi de l’URSS du 2 novembre 1989
introduisant un recours juridictionnel contre les décisions administratives
ouvert à toute personne dont un droit a été lésé par une telle décision. La loi
de 1989 impose un recours hiérarchique préalable, elle est limitée aux seules
décisions administratives, les actes réglementaires étant exclus, et ne règle
pas la question de la responsabilité de l’administration. Pour le reste, la loi
de 1993 en a repris de nombreuses dispositions et la loi de 1989 ne définit
pas plus largement l’intérêt à agir. Il ne semble donc plus exister aucune
raison de former un recours sur la base de la loi de 1989.
En revanche, la loi fédérale n° 59 du 2 mai 2006, ajoute une procédure
d’examen des requêtes (obrachtchenie) des citoyens. Le champ
d’application en est plus large, mais la procédure est entièrement entre les
mains de l’administration. La notion de requête est bien plus large que celle de
recours utilisée dans la loi de 1993. Elle exprime le droit de tout citoyen de
s’adresser personnellement (obrachtchat’sia) à toute autorité administrative,
et de lui adresser une requête individuelle ou collective, tel qu’il est reconnu
par l’article 33 de la Constitution fédérale de 1993. Elle peut constituer
(art. 4), par son contenu, une proposition (predlojenie), qui formule une
recommandation pour améliorer la législation ou la réglementation, ou
l’activité de l’administration ; une demande (zaïavlenie) tendant à la
réalisation d’un droit ou d’une liberté, ou faisant état d’une violation de la
légalité, ou critiquant l’activité de l’administration ; une plainte (jaloba) par
laquelle un citoyen demande d’être protégé ou rétabli dans ses droits,
78
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
libertés ou intérêts légitimes. La requête est présentée sous forme écrite mais
elle est aussi recevable si elle est formulée oralement lors d’un entretien, ou
par voie électronique. Cette procédure est peu formaliste, gratuite, elle
permet aussi de demander au tribunal la réparation du dommage subi du fait
de l’illégalité commise (art. 16). La présentation de la requête n’est soumise
à aucun délai, l’organe d’État ou le fonctionnaire qui reçoit la requête doit la
transmettre s’il n’est pas compétent pour y répondre ; l’auteur de la requête
peut présenter des documents à l’appui de sa requête et a accès aux
documents qui la concernent. L’administration est tenue d’examiner la
requête sous tous ses aspects et objectivement, elle peut demander d’autres
informations ou documents à d’autres administrations, et elle doit répondre
par écrit dans un délai de 30 jours, sous réserve de prolongation de ce délai.
En cas de décision de rejet, l’auteur de la requête peut introduire un recours
hiérarchique ou un recours juridictionnel dans les conditions prévues par la
loi (art. 5, 4°), c’est-à-dire par la loi de 1993 en dehors des cas où une
procédure particulière est applicable. En revanche, l’examen de la requête
est entièrement sous le contrôle de l’administration compétente pour y
répondre ; la participation de l’auteur de la requête à son examen est
possible « quand elle est nécessaire » (art. 10, par. 1, 1°), et donc si
l’administration en décide ainsi. La loi sur les requêtes des citoyens abroge
et remplace plusieurs textes législatifs de l’URSS de 1968 et de 1980 ayant
le même objet98 et dont elle conserve l’esprit. Elle permet de soumettre aux
diverses autorités des propositions, des demandes ou des plaintes, mais elle
ne permet pas au citoyen de défendre ses droits au cours d’une procédure à
laquelle il participerait ; ce n’est qu’une procédure de recours gracieux.
Toutefois, la loi de 2006, c’est sans doute le principal changement, permet
au citoyen de contester la décision de rejet, non seulement par un recours
hiérarchique (ce que prévoyait la législation soviétique) mais aussi par un
recours juridictionnel99.
2. Procédure administrative et réforme administrative
Le besoin d’un cadre juridique plus complet et plus cohérent en matière
de procédure administrative et de recours est reconnu depuis plusieurs
années et de nombreux projets ont été élaborés, dans des perspectives
98
En particulier le décret du présidium du Soviet suprême de l’URSS du 4 mars 1980 et la loi
de l’URSS du 25 juin 1980. 99
D’après des sources en langue allemande éditées dans l’ancienne RDA : décret du
présidium du soviet suprême de l’URSS du 12 avril 1968, in UdSSR – Staat, Demokratie, Leitung.
Dokumente, édité par Wolfgang Lungwitz, Berlin, Staatsverlag der DDR, 1975, p. 426, et
commentaires in Staatsrecht der UdSSR, S. S. KRAVCHTCHOUK (dir.), Berlin, Staatsverlag der
DDR, 1982, pp. 111-112. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 79
différentes100. Ils n’ont cependant pas abouti et les liens entre cette réforme,
celle de la justice administrative et la modernisation de l’organisation
administrative inspirée par les préceptes managériaux ont certainement
compliqué les débats. Néanmoins la justice administrative s’est développée
dans le cadre de la juridiction ordinaire, la modernisation de l’organisation
administrative a été mise en œuvre sur la base du décret n° 314 du Président
de la Fédération de Russie. Faute de pouvoir s’accorder sur le contenu d’une
législation d’ensemble sur la procédure administrative, il a été décidé
d’harmoniser les procédures administratives par l’élaboration de ce qu’on a
appelé des « règlements administratifs » élaborés sur la base de règlements
types adoptés par le gouvernement. Cela a conduit à une approche de la
procédure administrative qui se rattache aux finalités de l’action
administrative (fournir les services dont les citoyens ont besoin) et non à
l’organisation du contentieux.
Plusieurs arrêtés du gouvernement adoptés au cours de l’année 2005 ont
prescrit et organisé l’adoption de « règlements administratifs »
(administrativny reglament) par les organes fédéraux du pouvoir exécutif :
- L’arrêté n° 30 du 19 janvier 2005 sur le règlement type relatif aux
relations entre les organes fédéraux du pouvoir exécutif ;
- L’arrêté n° 452 du 28 juillet 2005 sur le règlement type relatif à
l’organisation interne des organes fédéraux du pouvoir exécutif ;
- L’arrêté n° 679 du 11 novembre 2005 sur les modalités
d’élaboration et d’adoption des règlements administratifs relatifs à
l’exécution des fonctions de l’État et à la fourniture des services publics.
Les deux premiers arrêtés concernent essentiellement l’organisation et
les procédures internes ou les relations entre organes d’État, tandis que celui
du 11 novembre 2005 concerne essentiellement les rapports avec les tiers.
Mais l’objet de ces différents arrêtés comporte des recoupements ; on trouve
dans les deux premiers des dispositions intéressant les recours, tandis que le
dernier traite aussi des procédures internes. Celui-ci définit ainsi l’objet des
règlements administratifs : « le règlement administratif établit les délai et le
déroulement des procédures administratives et des actes administratifs de
l’organe du pouvoir exécutif fédéral, les modalités des relations entre ses
unités internes et entre ses fonctionnaires, ainsi que les relations de l’organe
fédéral du pouvoir exécutif avec les personnes physiques et morales » (I.2).
Rappelons que les décisions individuelles relatives à des tiers ne sont plus
prises par le ministre.
Ces règlements trouvent une base légale, aussi bien pour les organes
d’État de la Fédération que pour ceux des sujets de la Fédération, dans
l’article 47, paragraphe 1, de la loi fédérale sur la fonction publique d’État,
100
A. V. MINACHKINE, op. cit. p. 526 et s. 80
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
n° 79, du 27 juillet 2004, selon lequel les fonctionnaires exercent leur
activité professionnelle en conformité avec le règlement de service, qui fait
partie du « règlement administratif de l’organe d’État ».
La Commission du gouvernement fédéral pour la réforme de l’État a
joué un rôle important pour la mise en œuvre et la coordination de cette
politique tournée vers le développement de « relations inédites en
Russie »101 entre l’administration et les citoyens et organisations de la
société civile, et pour que les règlements administratifs deviennent un
« instrument juridique habituel » de l’activité des organes du pouvoir
exécutif, tant au niveau fédéral qu’au niveau des sujets de la Fédération. Sur
la période 2006-2009, 515 projets de règlement ont été élaborés, dont 300
ont été adoptés au niveau fédéral ; plus de 3000 ont été adoptés au niveau
des sujets de la Fédération102.
Toutefois, ce qu’il faut comprendre par les « organes » qui doivent être
dotés d’un règlement administratif n’est pas très clair. La notion d’« organe
d’État » ou d’« organe exécutif du pouvoir d’État » est très couramment
utilisée par la législation russe mais elle ne trouve qu’une définition assez
générale et laconique dans la loi fédérale n° 8 du 9 février 2009 sur l’accès à
l’information relative à l’activité des organes de l’État et des organes des
collectivités locales. Selon l’article 1er de cette loi, les « organes d’État »
sont les « organes du pouvoir d’État de la Fédération de Russie et des sujets
de la Fédération, ainsi que les autres organes d’État formés conformément à
la législation fédérale ou des sujets de la Fédération ». Cela signifie, selon
V. I. Kouznetsov, qu’il s’agit de composantes de l’appareil d’État
caractérisées : a) par des compétences et des pouvoirs déterminés et établis
par la loi ou en application de la loi ; b) par le fait qu’ils sont
« juridiquement distincts » (iouriditcheskaïa obosoblennost’) ; c) par une
certaine autonomie de gestion103. Mais cette définition laisse subsister des
incertitudes sur les entités qui doivent être dotées d’un règlement
administratif.
Il résulte de l’arrêté du 19 janvier 2005 (n° 30) que chaque ministère,
chaque agence fédérale et chaque service fédéral, ainsi que l’administration
de chaque fonds non budgétaire, élabore un règlement administratif. Selon
l’arrêté n° 679 du 11 novembre 2005, tel que modifié en dernier lieu par
l’arrêté du 2 octobre 2009, les règlements administratifs sont arrêtés par
chaque ministre pour les organes d’État placés sous son autorité sur
présentation par les directeurs de ces organes, qui sont donc chargés de leur
101
V. I. KOUZNETSOV, Административные регламенты. Юридические вопросы, [Les
règlements administratifs. Questions juridiques], Institut de Législation et de Droit comparé près le
Gouvernement de la Fédération de Russie, 2010, p. 6. 102
Ibid. pp. 6-7. 103
Ibid. p. 15. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 81
élaboration dans un cadre coordonné par le ministère (I.9). Dans la mesure
où certaines fonctions de l’État ou services publics nécessitent la
participation d’administrations de plusieurs ministères, le règlement est
arrêté conjointement par les ministres compétents (I.10). Tous les projets de
règlement administratif sont soumis préalablement au ministère du
Développement économique, qui doit donner son accord, ainsi qu’au
ministère des finances s’ils nécessitent la mise en œuvre de moyens
supplémentaires (I.12). Les règlements administratifs sont ensuite
enregistrés par le ministère de la Justice, comme tous les actes
réglementaires, et publiés (I.14 et I.17).
La question de la structure et du contenu des règlements administratifs
a donné lieu à des discussions et à certaines hésitations, à en juger par les
variations dans les dispositions à ce sujet des différents arrêtés du
gouvernement fédéral. Finalement, l’arrêté n° 813 du 29 novembre 2007 a
modifié l’arrêté du 11 novembre 2005 et introduit une structure simplifiée et
uniforme des règlements administratifs. Le plan désormais fixé par l’arrêté
du 11 novembre 2005 ne comprend plus que cinq sections, alors que le
règlement type de l’arrêté du 28 juillet, il est vrai en ce qui concerne
l’organisation interne des organes de l’État, en prévoyait quinze. Ces cinq
sections sont les suivantes : a) les dispositions générales, b) l’organisation
des fonctions administratives et des services publics, c) les procédures
administratives, d) les contrôles et e) les recours. L’arrêté détermine ainsi le
contenu de ces règlements pour toutes les administrations (Partie II,
paragraphes 20 à 34).
En ce qui concerne les rapports avec les usagers, cela comporte
notamment la définition des attributions, la définition des ayant-droits, les
obligations d’information, les délais de traitement des demandes, les
conditions dans lesquelles la fourniture d’une prestation peut être
interrompue, les conditions d’accueil du public, les modalités de contrôle de
l’activité et un chapitre sur les plaintes (v. par. 34), qui distingue entre les
recours administratifs et les recours juridictionnels, et détermine qui doit
informer les ayant-droits des conditions dans lesquelles ils peuvent former
un recours, l’autorité supérieure à laquelle ils peuvent l’adresser, les règles
de procédure, les délais d’examen de la plainte, ainsi que les délais de
recours juridictionnel. Mais l’arrêté du gouvernement ne détermine pas luimême le contenu de ces différentes dispositions ; c’est ainsi à chaque
règlement administratif de le faire, avec les variations que cela implique
nécessairement en ce qui concerne la précision des procédures et la garantie
des droits. La section XII du règlement type de l’arrêté du 28 juillet 2005
reprend à peu de choses près les dispositions de la loi du 2 mai 2006 sur les
requêtes des citoyens mais ne détaille pas davantage les garanties de
procédure. Les paragraphes 30 à 32 sur les procédures concernent les formes
82
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
de la prise de décision et le paragraphe 33 porte sur le contrôle ; ces
paragraphes font peu de place à la participation des citoyens ou des
personnes morales.
Dans l’ensemble, ce sont les dispositions relatives à l’organisation
administrative (par exemple celle des services extérieurs), à l’organisation
du travail administratif pour la préparation des décisions, aux relations entre
les différents organes d’État, qui dominent. La prévention de la corruption
est aussi l’un des objectifs de cette réforme. L’arrêté du gouvernement
fédéral du n° 452 du 28 juillet 2005 prévoit formellement (par. 5.1) que les
projets de règlement administratif doivent faire l’objet d’une expertise
indépendante du point de vue de la prévention des risques de corruption104.
Dans la mesure où le règlement administratif se rapporte à l’exécution des
fonctions de l’État ou à la fourniture des services publics il peut donc
concerner plusieurs organismes extérieurs à l’organe d’État, y compris des
collectivités locales ou des organisations de droit privé qui y participent ; le
règlement administratif doit alors régler les relations entre ces organismes et
l’organe d’État dont dépend la mission qui leur est confiée105.
L’une des réformes les plus caractéristiques des dernières années, à cet
égard, a été la création des « centres multifonctionnels ». La loi fédérale
n° 281 du 25 décembre 2008 (art. 30) a donné un cadre légal à la création de
ces centres par les organes d’État de la Fédération et des sujets de la
Fédération et par les collectivités locales, ainsi que d’autres organisations
fournissant des services publics pour délivrer les informations nécessaires
aux citoyens, recevoir et délivrer les documents nécessaires à l’ouverture
d’une procédure administrative ou délivrés au terme d’une telle procédure,
et traiter les données personnelles liées à la fourniture d’une prestation de
service public. Ces centres multifonctionnels ont pour objet de simplifier les
démarches administratives lorsque l’intervention de ces différentes autorités
administratives est nécessaire. Ils sont créés sous la forme d’établissements
publics, autonomes ou non, de l’État ou des collectivités locales. Ils exercent
leurs attributions sur la base des lois et règlements applicables à leurs
prestations, mais aussi des règlements administratifs et des standards se
rapportant aux services fournis. Cette version russe du « guichet unique » a
104
V. N. NAÏDENKO / Iu. A. TIKHOMIROV / T. Ia. KHABRIEVA (dir.), Правовые акты:
антикоррупционный анализ, [Actes juridiques : l’analyse anticorruption], Moscou, WoltersKluwer, 2010, p. 129. Plus largement sur ce sujet, v. E. V. TALAPINA, Комментарий к
законодательству Российской Федерации о противодействии коррупции [Commentaire de la
législation de la Fédération de Russie contre la corruption], Moscou, Wolters Kluwers, 2010 :
l’auteur commente la loi fédérale n° 273 du 25 décembre 2008 contre la corruption et présente les
arrêtés du gouvernement fédéral n° 195 et 196 sur la mise en œuvre de l’expertise anti-corruption de
la réglementation. 105
V. I. KOUZNETSOV, op. cit. pp. 64-65, 2010. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 83
été largement appliquée mais se heurte à des difficultés tenant aux relations
entre les différentes administrations concernées106.
Selon le professeur Khabrieva, l’amélioration de l’efficacité et de la
qualité du fonctionnement de l’administration rend nécessaire l’adoption de
règles de procédures permettant une direction plus rigoureuse de son
activité, un meilleur contrôle, une amélioration de la qualité des décisions et
de réduire le « potentiel de corruption » des décisions administrative107.
Avec l’adoption de « règlements administratifs », il s’agit de l’introduction
de règles formelles de procédure pour l’adoption des décisions
administratives. D’après la définition qu’en donne le professeur Khabrieva,
le « règlement administratif » ainsi compris est « l’acte juridique qui
réglemente la partie processuelle de l’activité des organes du pouvoir
exécutif, qui règle le fonctionnement (procédure administrative) de ces
organes essentiellement dans leur activité interne »108.
Mais, comme le remarque également le professeur Khabrieva, ces
règlements administratifs sont tournés vers l’amélioration du fonctionnement
interne de l’administration, ce qui prend en compte les relations avec les
intéressés, tandis que dans les autres pays la législation sur la procédure
administrative est tournée vers l’extérieur, c’est-à-dire vers la production de
l’acte administratif, et elle assure la participation du citoyen à la détermination
de l’acte par la réalisation de ses droits dans la procédure109. De ce point de
vue, les règlements administratifs doivent être considérés comme une étape,
qui pourra déboucher ultérieurement sur une loi. Si les règlements
administratifs peuvent être un moyen adapté d’améliorer le fonctionnement de
l’administration, ils sont insuffisants pour donner de véritable de garanties ; on
ne peut exclure que leurs dispositions se trouvent en conflit avec d’autres
dispositions occupant un rang plus élevé dans la hiérarchie des normes, dans
tel ou tel domaine, qui tiendront en échec leur application.
Même à l’étape actuelle, on peut se demander s’il est vraiment judicieux
de regrouper dans un même texte des dispositions nombreuses et détaillées qui
n’intéressent que l’organisation administrative, ses règles de fonctionnement
interne et les relations entre organes d’État, d’une part, et les règles relatives à
l’adoption des décisions, individuelles ou réglementaires qui constituent
véritablement l’objet de la procédure administrative. Réunir ces règles dans un
document séparé leur donnerait plus de visibilité et favoriserait leur diffusion.
106
Ibid. p. 43. T. Ia. KHABRIEVA, « Основные правовые асректы адмнистративной реформы в
субъектах Российской Федерации » [Les bases juridiques de la réforme administrative en Russie],
p. 20, in IZAK, Административная реформа в субъектах Российской Федерации [La réforme
administrative dans les sujets de la Fédération], Moscou, 2008. 108
Ibid. p. 22. 109
Ibid. pp. 22-23. 107
84
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Enfin, il ne faut pas oublier qu’en Russie, c’est surtout au niveau des
sujets de la Fédération que la procédure doit garantir les droits des citoyens.
La plupart des procédures et des services publics sont en effet gérés par les
sujets de la Fédération, par les collectivités locales. Sous l’impulsion du
pouvoir fédéral, les sujets de la Fédération se sont engagés dans cette voie,
parfois suivis par les villes importantes.
3. La loi du 27 juillet 2010 sur les services fournis par l’État et les
collectivités locales
La loi n° 210 du 27 juillet 2010 marque une étape importante. Elle
constitue une synthèse législative des réformes de ces dernières années en ce
qui concerne les rapports entre les usagers et l’administration, et pose les
bases de l’informatisation de ces rapports. Cette loi n’est pas une loi de
procédure mais contient des dispositions importantes en matière de
procédure. Les services fournis par l’État et les collectivités locales,
auxquels elle se rapporte, ne sont pas seulement des services publics
entendus dans le sens de prestations matérielles, mais aussi la délivrance de
documents administratifs ou des actes nécessaires à l’exercice de telle ou
telle activité. Ce sont des « services » (usluga) dans la mesure où ils
supposent une demande (zapros) de l’usager (zaïavitel’) (art. 2, 1° et 2°). La
loi consacre aussi la place centrale des « règlements administratifs » et des
« centres multifonctionnels » pour les services (au sens ci-dessus) fournis
par les organes de l’État et des collectivités locales.
Pour la fourniture de ces services, la loi comprend aussi les bases d’un
système de procédure autorisant un contrôle sur le fonctionnement des
organes de l’État ou des collectivités locales. L’article 4 définit les principes
qui gouvernent la fourniture des services par les organes d’État ou les
organes des collectivités locales : légalité ; l’initiative de l’usager ; la
légalité des droits et redevances perçus pour le service rendu (v. également
les articles 8 et 9) ; la transparence ; l’accessibilité ; la possibilité d’obtenir
les services par voie électronique.
L’article 5 définit, pour la première fois, les droits de l’usager : recevoir
le service adéquat et selon le standard prévu ; recevoir une information
« actuelle, complète et accessible » sur les conditions de fourniture du
service ; la fourniture du service par voie électronique ou sous une autre
forme au choix de l’usager ; le droit de former un recours administratif ; le
droit d’obtenir les services fournis par les organes de l’État et les organes
des collectivités locales à partir d’un centre multifonctionnel dès l’entrée en
vigueur de l’accord qui l’établit. L’article 6 définit ensuite les obligations
des organes qui fournissent les services relevant de l’État ou des
collectivités locales ; ces obligations sont le miroir des droits des usagers,
G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 85
mais il est indiqué que les services sont fournis conformément aux
règlements administratifs. L’article 7 leur interdit de réclamer des pièces ou
des informations, ou de faire des démarches qui ne sont pas prescrites par les
dispositions applicables au service demandé.
Le chapitre 3 est consacré aux règlements administratifs, qui doivent
désormais régir les conditions dans lesquelles les différents services sont
rendus aux usagers. Tous les règlements administratifs en vigueur devront
être mis en conformité avec la nouvelle loi avant le 1er juillet 2012 (art. 29,
par. 2). L’article 12 détermine la nouvelle structure que devront avoir les
règlements administratifs : 1) dispositions générales ; 2) les standards du
service ; 3) la procédure administrative ; 4) le contrôle de l’application du
règlement administratif ; 5) les recours administratifs. En ce qui concerne
l’élaboration des règlements administratifs, la loi prévoit la publication sur
le site internet de l’organe du projet de règlement de manière à permettre à
l’expertise indépendante de s’exprimer pendant le délai fixé ; les
conclusions en sont transmises à l’organe qui est l’auteur du projet mais la
loi ne précise pas qui établit ces conclusions (art. 13). La loi précise en
revanche ce que sont les standards que doit fixer le règlement administratif
(art. 14) : parmi les éléments qu’ils doivent comporter figurent les délais, la
liste exclusive des documents à produire selon les dispositions applicables
au service demandé, la liste exclusive des motifs de rejet de la demande, le
montant des droits à acquitter si les dispositions applicables le prévoient, des
conditions relatives à l’accueil des usagers et enfin des indicateurs de
performance et de qualité ; chaque organe peut ajouter dans le règlement les
indicateurs spécifiques correspondant aux services fournis. Tout en laissant
un large pouvoir discrétionnaire aux différents organes d’État qui élaborent
les règlements administratifs, la loi du 27 juillet 2010 représente un progrès
notable en matière de procédure administrative.
Le chapitre 4, consacré aux centres multifonctionnels, développe leur
statut juridique, au-delà des dispositions assez générales de la loi de 2008.
Dans la mesure où ils y sont habilités, ce sont eux qui doivent fournir le
service demandé par l’usager, même si cela requiert l’intervention
d’administrations différentes. La loi précise que les services offerts par les
centres multifonctionnels doivent être fondés sur un accord entre les organes
d’État et les organes des collectivités locales, selon des modalités devant
être fixées par un arrêté du gouvernement fédéral (art. 15). Cependant,
l’administration fédérale semble devoir jouer un rôle prépondérant dans les
centres multifonctionnels : ce sont des organes fédéraux du pouvoir exécutif
habilités par le gouvernement qui doivent établir les directives relatives à
leur établissement, le règlement type de ces centres, leur régime comptable,
leur direction (art. 16). Les centres multifonctionnels sont des interfaces
entre les usagers et les organes compétents – ils ont à représenter, selon la
86
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
loi, les intérêts des usagers mais aussi ceux de ces organes. Ils reçoivent les
demandes des usagers, leur remettent les documents ou actes qu’ils ont
demandés au terme de la procédure ; ils élaborent des informations et
peuvent réclamer des documents et des informations aux organes qu’ils
représentent ; ils doivent coopérer avec ces derniers selon des règles fixées
par l’accord passé avec eux (art. 18).
Les centres multifonctionnels sont nés de la volonté de simplifier les
démarches administratives des usagers, individus ou entreprises en confiant
à un service spécialisé le soin de contacter tous les services devant intervenir
dans une procédure. Cependant, deux questions au moins se posent avec le
développement de cette institution. Tout d’abord, il ne faudrait pas que les
centres multifonctionnels deviennent un écran entre l’usager et l’organe
responsable, faisant obstacle à ce que l’usager puisse participer à la
procédure s’il l’estime nécessaire. Rien dans la loi ne garantit que ce risque
sera toujours évité. Ensuite, un recours éventuel ne devra pas être adressé au
centre multifonctionnel mais à l’autorité supérieure de l’organe qui aura, par
exemple, pris la décision. Mais il se peut que le centre multifonctionnel
puisse aussi être mis en cause pour la façon dont il aura rempli sa mission.
La loi du 27 juillet 2010 fixe aussi le régime d’une autre mesure,
audacieuse, de simplification administrative : la « carte électronique
universelle » (chap. 6). Il s’agit d’une carte électronique nominative
contenant les informations relatives à son utilisateur et pouvant être utilisée
pour l’accès à ses différents droits et à différents services (art. 22). Les
informations pouvant être contenues dans la carte doivent être fixées par la
loi. Cette nouvelle procédure mériterait à elle-seule une étude complète ; si
elle est en effet de nature à faciliter l’accès à de nombreux services, elle
appelle aussi une attention particulière à la protection des données
personnelles.
C. – Procédure administrative et pouvoir de sanction
En Russie, c’est essentiellement avec le droit des sanctions
administratives, prononcées en cas de contraventions administratives
(administrativnoe pravonaruchenie) que la notion de procédure
administrative est réapparue, à l’époque soviétique, au début des années
soixante, comme une exigence de l’exercice du pouvoir de sanction, lequel
pouvait être assimilé, sur le plan matériel, à la fonction d’un juge. La
responsabilité administrative est en effet une ancienne institution soviétique,
régie en dernier lieu par une loi de 1980 qui en fixait les bases pour
l’ensemble de l’URSS, et par les codes adoptés dans les différentes
G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 87
républiques soviétiques110. L’importance reconnue à cette matière jusqu’à
aujourd’hui et l’existence d’une législation spécifique expliquent qu’elle soit
considérée comme un domaine distinct de la procédure administrative111. En
Europe occidentale, le développement du libéralisme a longtemps contribué
à réduire le domaine des sanctions administratives au profit de la procédure
pénale, bénéficiant des garanties que comporte l’intervention d’un juge.
Quelques pays ont une loi générale sur les contraventions administratives,
mais tous connaissent aujourd’hui un nouveau développement des sanctions
administratives, notamment en matière économique.
1. Russie : l’évolution de la « responsabilité administrative »
Cette législation s’exprime dans un texte très important, le Code des
contraventions administratives de la Fédération de Russie. Le code actuel est
issu de la loi n° 195 du 31 décembre 2001 et a connu depuis de nombreuses
modifications112. La contravention administrative est définie comme
« l’action ou l’inaction illicite et fautive d’une personne physique ou
morale » sanctionnée, selon le Code – ou la loi du sujet de la Fédération sur
les contraventions administratives – par la mise en jeu de la « responsabilité
administrative » (Code, art. 2.1). La « responsabilité administrative »
(administrativnaïa otvetstvennost’) ne signifie pas ici la responsabilité de
l’administration envers le sujet de droit ayant subi un dommage de son fait,
mais au contraire la responsabilité du citoyen – de la personne morale –
envers l’administration pour la faute qu’il a commise ; cette faute peut être
intentionnelle ou non intentionnelle et résulter seulement de la négligence.
Elle donne lieu par une sanction administrative, dont l’échelle est fixée par
la loi et qui peut aller du simple avertissement à la suspension de l’activité
exercée et à la détention administrative, en passant par des amendes (Code,
art. 3.2)113. Les sanctions sont prononcées, selon les cas, par une autorité
administrative ou par un tribunal ; seul un tribunal peut prononcer une peine
de détention administrative114.
110
M. LESAGE, L’administration soviétique, Paris, Economica, 1981, p. 78. Le dernier Code
des contraventions, pour la République de Russie au sein de l’ancienne Union soviétique datait de
1984. 111
N. V. SOUKHAREVA / B. I. KOUZNETSOV, 2010, op. cit. pp. 628-629. Les auteurs
rappellent le rôle en ce domaine des professeurs Salichtcheva et Kotiourguine. 112
V. en particulier : A. F. NOZDRATCHEV (dir.), Комментарий к Кодексу Российской
Федерации об администравных нарушениях [Commentaire du Code de la Fédération de Russie
sur les contraventions administratives], Moscou, Ed. Iouraït, 2010. 113
Ibid. pp. 58-59, et p. 83. 114
En raison de l’article 22 de la Constitution qui réserve aux tribunaux le pouvoir de
prononcer des peines privatives de liberté. Cf A. F. NOZDRATCHEV (dir.), op. cit. p. 99. 88
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Le nouveau Code a étendu la compétence des tribunaux pour prononcer
les sanctions et renforcé les garanties de procédure115. Le chapitre 23 du
Code précise, par renvoi à des listes d’articles, quelles sont les autorités
compétentes pour prononcer les sanctions dans les différents domaines, et en
particulier l’article 23.1 donne la liste des infractions qui doivent être jugées
par un tribunal. Désormais, la sanction est toujours susceptible d’appel à un
tribunal (art. 30.1). Enfin, la quatrième partie du Code est consacrée à la
procédure et comprend plusieurs chapitres qui, notamment, définissent les
parties à la procédure (chap. 25), les règles de preuve (chap. 26), les mesures
provisoires qui peuvent être prises pour prévenir ou faire cesser l’infraction
(chap. 27), le déclenchement de la procédure et en particulier la liste
exclusive des autorités pouvant dresser un procès-verbal d’infraction ainsi
que les cas dans lesquels, pour des contraventions mineures, le constat de
l’infraction est immédiatement suivi de la sanction (avertissement ou
paiement de l’amende) (chap. 28), l’examen de l’affaire par le tribunal ou
par l’autorité administrative selon les cas, avec notamment une procédure de
récusation (art. 29.3) et l’audition des intéressés (art. 29.7, par. 2),
l’établissement de la décision qui clôt la procédure (art. 29.9). La cinquième
partie porte sur l’exécution des décisions.
Selon Mme Pankova, la responsabilité administrative est « une forme
de coercition administrative et en même temps l’une des formes de la
responsabilité juridique »116. Elle prend place à côté de la responsabilité
pénale, souvent prévue dans les mêmes domaines pour des infractions plus
graves. Si les infractions routières (chap. 12) et les troubles à l’ordre public
(chap. 20) demeurent quantitativement les domaines d’élection de la
« responsabilité administrative », la loi du 31 décembre 2001 et les
modifications intervenues depuis en ont sans cesse étendu le régime à de
nouveaux domaines, tels que la protection de l’environnement (chap. 8), les
communications électroniques (chap. 13), les infractions à la réglementation
économique et commerciale et à la protection des consommateurs
(chap. 14), les infractions à la réglementation des marchés financiers
(chap. 15). C’est aussi l’évolution du cadre juridique de l’économie qui
explique la plupart des modifications du Code intervenues depuis son entrée
en vigueur en 2002. Les nombreuses lois spéciales intervenues dans ces
domaines ont été suivies de modifications du Code des contraventions
administratives pour y introduire de nouvelles infractions permettant de
sanctionner la violation de leurs dispositions. Comme le souligne le
professeur Nozdratchev, la tendance caractéristique des dernières années a
115
O. V. PANKOVA, Настольная книга судьи по делам об административных
правонарошениях [Mémento du juge pour les affaires de contraventions administratives], N. G.
SALICHTCHEVA (dir.), Moscou, Ed. Prospekt, 2009, p. 5. 116
Ibid. p. 9. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 89
été le renforcement de la responsabilité administrative par la création de
nouvelles sanctions et l’alourdissement des amendes administratives, aussi
bien pour les personnes physiques que pour les personnes morales117. Les
deux nouvelles sanctions sont la « disqualification » et la « suspension
d’activité ». L’une et l’autre ne peuvent être prononcées que par un tribunal,
à titre de sanction principale et seulement dans les cas prévus par le Code.
La disqualification est une interdiction d’exercer certaines fonctions : des
fonctions publiques, mais aussi des fonctions de direction dans des
entreprises ou d’autres personnes morales ; elle peut être prononcée pour
une durée de 6 mois à 3 ans (art. 3.11) en cas d’infraction à la législation du
travail et à la protection du travail, de faillite frauduleuse, notamment118. La
suspension d’activité peut être prononcée si l’activité exercée présente un
risque pour la sécurité des personnes, et pour une durée maximale de 90
jours ; cette durée peut être ultérieurement réduite par le tribunal si les
circonstances le permettent (art. 3.12). Il nous semble que la suspension
d’activité devrait cependant être considérée comme une mesure de police
visant à faire cesser ou à prévenir un risque plutôt que comme une sanction,
et à ce titre elle devrait aussi pouvoir être prononcée par une autorité
administrative sous le contrôle du juge.
Cette évolution change dans certains cas la fonction de l’institution.
Notamment en matière d’infractions économiques, la responsabilité
administrative devient parfois indépendante de la responsabilité pénale, et
elle tend même à s’y substituer dans un mouvement de « dépénalisation » de
la réglementation économique119, que l’on relève aussi dans les pays
d’Europe occidentale. L’une des conséquences de cet élargissement du
champ de la responsabilité administrative est le nombre croissant
d’infractions administratives qui visent des personnes morales et des
fonctionnaires.
Le développement de la réglementation économique qui accompagne
l’organisation du marché donne lieu à la définition de nombreuses
infractions nouvelles, qui débouchent sur des sanctions frappant les
entreprises qui les commettent. On trouve en particulier au chapitre 14 les
dispositions relatives à la répression des ententes, de l’abus de position
dominante et de la concurrence déloyale, introduites à la suite de la loi
n° 135 du 26 juillet 2006 (not. art. 14.31, 14.31.1 et 14.32, lois n° 45 du
9 avril 2007 et n° 160 du 17 juillet 2009). Les sanctions sont prononcées par
le Service fédéral anti-monopole (FAS)120. De même, dans le chapitre 15,
l’article 15.29 sanctionne la violation des règles qui s’imposent aux
117
A. F. NOZDRATCHEV, op. cit. 2010, p. 23. Ibid. p. 104. Ibid. p. 23. 120
Ibid. pp. 795-796 et p. 1256. 118
119
90
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
opérateurs professionnels sur les marchés financiers et l’article 15.30 la
manipulation des cours ; les sanctions sont prononcées par le Service fédéral
des marchés financiers (FSFR)121.
La définition de nouveaux cas de « responsabilité administrative » est
aussi le moyen couramment utilisé pour sanctionner des comportements
fautifs de la part des fonctionnaires. De telles infractions ont toujours existé,
y compris à l’époque soviétique, comme un moyen de matérialiser la
responsabilité des cadres dirigeants. Mais les nouveaux domaines couverts
par le Code des contraventions administratives ont conduit à en multiplier
les cas ; on en trouve de nombreux exemples dans le chapitre 8 en matière
de protection de l’environnement et des ressources naturelles.
La responsabilité des personnes physiques et celle des personnes
morales ne sont pas exclusives l’une de l’autre dans l’application du Code
des contraventions administratives, mais les personnes morales peuvent être
exonérées en apportant la preuve que l’infraction commise était hors de leur
contrôle, bien que les mesures qui leur incombaient aient été prises. Les
personnes morales peuvent être des organismes publics, tels que des
entreprises ou des établissements publics de l’État ou des collectivités
locales, mais non des organes d’État ou des organes des collectivités
locales122.
Cependant, la législation sur les contraventions administratives et les
législations sectorielles sont souvent mal harmonisées, en partie parce
qu’elles sont trop souvent modifiées, et il en résulte des contradictions et de
réelles difficultés d’application (par exemple entre le Code des
contraventions administratives et le Code fiscal123).
On retrouve une législation sur les contraventions administratives dans
les pays issus de l’ancienne Union soviétique et dans la plupart des pays qui
ont fait partie du bloc soviétique, mais ce système de répression
administrative est aujourd’hui passé, comme en Russie, sous le contrôle des
tribunaux. Sous sa forme actuelle et avec les garanties procédurales qu’il
comporte désormais, le Code des contraventions administratives offre un
exemple intéressant de codification des sanctions administratives, une
catégorie qui, dans les pays d’Europe de l’ouest, après avoir décliné au
profit de la répression pénale avec les progrès du libéralisme, connaît de
nouveau un développement important depuis deux ou trois décennies.
121
Ibid. p. 902 et s., et p. 1254. Ibid. p. 46 et pp. 59-60. 123
O. V. PANKOVA, op. cit. p. 19 et s. 122
G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 91
2. Le retour des sanctions administratives et la question de la
procédure dans les pays d’Europe occidentale
Quelques pays d’Europe occidentale ont une législation sur les
sanctions administratives. Mais cette législation porte habituellement sur
l’attribution du pouvoir de sanction, sur la procédure, la prescription, non
sur la définition des infractions ni sur la fixation des sanctions. Par exemple,
en Espagne, la LPC124 comporte un titre IX consacré au pouvoir de sanction,
complété par un décret royal 1398/1993 du 4 août qui précise les
dispositions de la loi sur certains points (par exemple l’instruction)125. De
même aux Pays-Bas, le nouveau chapitre 5 (« quatrième tranche », ajoutée
par une loi de 2004) de la loi générale sur le droit administratif (Algemene
wet bestuursrecht) règle la procédure relative au prononcé de sanctions
administratives et à la nature des sanctions, mais ne définit pas les
infractions. En Allemagne, en revanche, il existe une loi de 1968 sur les
contraventions (Ordnungswidrigkeiten), republiée en 1987, qui donne une
définition étroite de la contravention : c’est un acte illicite et intentionnel
sanctionné par la loi par une amende, qui peut être prononcée par une
autorité administrative, ou par un tribunal lorsque la loi le prévoit ; toutefois,
les articles 111 à 130 définissent quatre catégories de contraventions et les
amendes, parfois lourdes, qui peuvent être infligées, et notamment : la
dissimulation d’identité à une autorité administrative, divers troubles à
l’ordre public, l’usage abusif d’insignes officiels, la falsification de
documents et la diffusion de faux billets, sans préjudice des poursuites
pénales.
En France, les contraventions sont des infractions pénales et la
procédure qui leur est applicable est réglée par le Code de procédure
pénale ; les sanctions sont prononcées par le tribunal de police ; mais il
existe de nombreuses contraventions définies par des lois spéciales ou par
des décrets réglementaires pour autant que la sanction ne comporte pas de
peines privatives de liberté. Le développement des sanctions administratives
depuis quelques années n’a pas fait l’objet d’une législation particulière,
mais il est étranger au domaine des contraventions ; un recours
juridictionnel est toujours ouvert contre la décision de sanction. En
revanche, en Italie, a été poursuivie une politique dite de dépénalisation qui
a consisté à substituer des infractions administratives, donnant lieu à des
sanctions administratives, à des infractions pénales (loi n° 689 du 24
novembre 1981 ; loi de délégation n° 205 du 25 juin 1999 ; décret législatif
n° 507 du 30 décembre 1999).
124
LPC : Ley de Régimen Jurídico de las Administraciones Públicas y del Procedimiento
Administrativo Común. 125
E. GARCÍA de ENTERRÍA, op. cit. t. 2, p. 184 et s. 92
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Mais l’essentiel est ailleurs. En dehors des domaines où se sont depuis
longtemps maintenues les sanctions administratives, on observe dans tous
les pays le retour de celles-ci avec les politiques de libéralisation qui ont été
mises en œuvre sous l’impulsion de l’Union européenne, et la répression
administrative supplante aujourd’hui dans ces domaines la répression
pénale. C’est d’abord le cas pour la police de la concurrence : sous le
contrôle du juge, ce sont les autorités de concurrence qui sont chargées, au
niveau communautaire (Commission européenne) et au niveau national, de
faire cesser et de sanctionner les atteintes aux règles générales de
concurrence, notamment l’interdiction des ententes et de l’abus de position
dominante. C’est ensuite la régulation sectorielle : la construction du marché
là où il n’existait pas et la poursuite, cependant, de politiques publiques,
nationales ou communautaires, dont les objectifs doivent prévaloir, le cas
échéant, sur la logique de marché, s’accompagnent de la mise en place
d’autorités de régulation dotées de pouvoirs de sanction. Toutes les
industries de réseau ont aujourd’hui donné lieu à de telles législations et à la
mise en place de ces autorités sectorielles dans les pays de l’Union
européenne. Cette évolution s’est opérée sous le contrôle des cours
constitutionnelles, des juridictions administratives, de la Cour de Justice de
l’Union européenne et de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Pour
cette dernière, les sanctions administratives relèvent de la matière pénale et
doivent donc donner lieu à un recours de pleine juridiction devant un
tribunal indépendant et impartial, conformément à l’article 6, paragraphe 1,
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales ; la procédure administrative est conforme à l’article
6, paragraphe 1, si la décision de sanction peut faire l’objet d’un recours
juridictionnel répondant à ses exigences. En France, cependant, les
jurisprudences du Conseil d’État et de la Cour de cassation ont imposé le
respect de la plupart de ces exigences dès le stade de la procédure
administrative. En Allemagne, en revanche, la Convention n’a guère tenu de
place dans les discussions sur les modalités de la régulation, et ce sont les
principes constitutionnels et les règles générales de la procédure
administrative qui ont servi de référence à l’exercice de ce nouveau pouvoir
de sanction126.
On peut expliquer ce retour des sanctions administratives par trois
considérations : 1) la rapidité, par rapport à une procédure pénale ordinaire ;
2) l’expertise du domaine considéré par les membres des autorités chargées
126
On ne peut entrer ici davantage dans le détail, et on renvoie à nos travaux antérieurs sur ces
sujets : G. MARCOU / F. MODERNE (dir.), Droit de la régulation, service public et intégration
régionale, coll. « Logiques juridiques », Paris, L’Harmattan, 2 vol., 2005 ; G. MARCOU /
J. MASING (dir.), Le modèle des autorités indépendantes de régulation en Allemagne et en France,
Paris, Société de législation comparée, 2011 (éd. allemande : Tubigen, J.C.B. Mohr, 2010). G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 93
de prononcer les sanctions (également, pour les régulations sectorielles, le
règlement de différends) ; 3) par voie de conséquence, une plus grande
efficacité par rapport au rythme de la vie économique, y compris avec des
sanctions souvent plus lourdes que les peines que pourraient prononcer le
juge pénal ; 4) mais c’est aussi le reflet d’une tendance diffuse à la
« dépénalisation » des infractions économiques : il est moins infâmant d’être
condamné à une amende administrative par un instance spécialisée que de
comparaître devant un juge chargé de tous les délits de droit commun. Cette
orientation, comme on l’a vu, se retrouve aussi en Russie.
D. – Principes généraux de la procédure administrative
La codification de la procédure administrative, telle qu’on l’a entendue
plus haut, ne porte pas sur les sanctions administratives, mais sur l’édiction
des actes administratifs et sur les recours. Bien que le sujet soit plus large,
on se limitera ici aux procédures relatives à des actes administratifs
individuels.
En raison de la convergence qui s’opère entre les États européens en
vue de réaliser les valeurs d’un État de droit, et de la meilleure connaissance
réciproque des expériences et des systèmes juridiques, il n’est pas
surprenant que l’on puisse relever également une forte convergence entre les
droits administratifs européens en matière de procédure administrative. Il
existe également une convergence, comme on aura eu l’occasion de le
remarquer dans ce qui précède, dans le fait que la procédure administrative
est dans une large mesure garantie et précisée par la jurisprudence à
l’occasion de recours mettant en cause son application. On ne sera pas
surpris que ce soit des auteurs français et britanniques qui aient le plus
insisté sur la valeur de la jurisprudence en matière de procédure
administrative. « The administrative process is shaped not only by executive
and legislature but also by courts » : cette formule de Carol Harlow et
Richard Rawlings127 pourrait être étendue à tous les États, à des degrés
divers bien sûr. Sa valeur est soutenue par le constat d’expérience que le
respect de la procédure administrative par les autorités administratives ne
peut être garanti que par un juge. Les progrès de la procédure administrative
sont donc solidaires des progrès de la justice administrative. L’intérêt de ces
convergences est qu’elles permettent d’élaborer plus facilement une loi sur
la procédure administrative, en se fondant sur les diverses expériences
connues et en tenant compte des particularités du système juridique et du
système administratif de chaque pays.
127
Op. cit. p. 616. 94
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
On pouvait autrefois distinguer les régimes de procédure administrative
en opposant les régimes fondés sur une conception subjective de la relation
entre l’administration et le sujet de droit et ceux qui étaient fondés sur une
conception objective, c’est-à-dire le droit de tout intéressé à réclamer le
respect du droit. L’exemple le plus typique des premiers est sans aucun
doute la loi autrichienne sur la procédure administrative, qui est fondée sur
la notion de « partie », laquelle tend à établir l’égalité entre le requérant et
l’administration dans le procès administratif ; cette conception se reflète
toujours dans la terminologie de la loi autrichienne, et dans d’autres lois,
comme la loi polonaise sur la procédure administrative (l’article 28 de cette
loi reste très proche de l’article 8 de la loi autrichienne). L’exemple le plus
typique des seconds est certainement la France, où c’est le juge
administratif, garant du respect de la légalité par l’administration, qui est
l’origine des principes de la procédure administrative, mais dans un cadre
juridique qui supposait une certaine inégalité entre le requérant et
l’administration. Cette distinction s’est cependant aujourd’hui beaucoup
atténuée ; la satisfaction du justiciable, si ses demandes sont fondées, est
aujourd’hui passée au premier rang des objectifs de la procédure
administrative comme des objectifs de la procédure contentieuse. En outre,
l’application de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales, qui impose, selon l’interprétation
que la Cour donne de l’article 6, l’égalité des armes entre les parties au
procès, ne peut manquer d’avoir des prolongements dans la procédure
administrative.
Les législations sur la procédure administrative règlent toutes au moins
les questions suivantes :
- L’ouverture de la procédure, à l’initiative de l’intéressé ou d’office
par l’administration ; elle est en général peu formaliste en ce qui concerne la
demande de l’intéressé, mais elle doit l’être quand elle procède de
l’initiative de l’administration ;
- La possibilité pour l’intéressé de se faire assister ou représenter ;
- Le droit d’être entendu ou de faire des communications écrites
quand la procédure est ouverte à l’initiative de l’administration ;
- L’accès au dossier ;
- L’instruction, qui est contradictoire, lorsqu’elle est nécessaire ;
- Les questions de preuve : témoignages, expertises, etc. ;
- Les délais de procédure ;
- Le règlement des questions de compétence entre autorités
administratives ;
- La décision finale ;
- Les conditions de la motivation de la décision ;
- Les formes et la publicité de la décision ;
G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 95
- Le retrait ou l’abrogation de la décision ;
- L’information de l’intéressé sur ses droits à chaque stade de la
procédure ;
- Les voies de recours ;
- Les conditions de réouverture de la procédure.
À partir de ce contenu de base, il existe une assez grande variété entre
les lois ou codes de procédure administrative, notamment quant au domaine
couvert128. Certaines lois ou certains codes ne traitent que des décisions
administratives individuelles (Autriche, Pologne, Suède). D’autres
s’étendent à des procédures aménageant la participation du public à
certaines procédures de décision (Allemagne : procédures de décisions sur
des projets d’ouvrages ou d’équipement – Planfeststellungsverfahren).
D’autres encore contiennent également des dispositions sur l’élaboration et
l’adoption des actes réglementaires (Espagne, Portugal). La loi néerlandaise
sur le droit administratif s’étend à la codification des grands principes du
droit administratif matériel. Enfin, dans certains pays il n’existe qu’une
législation partielle, une grande partie des règles de la procédure
administrative ayant été fixées par la jurisprudence (France, Royaume-Uni –
dans ce dernier cas en particulier pour les enquêtes publiques). La loi
italienne (1990/241) règle la procédure relative aux décisions individuelles
ou aux déclarations administratives, ainsi que la collaboration par voie
d’accords entre administrations publiques.
Certaines particularités propres à certains systèmes méritent de retenir
l’attention. On laissera cependant de côté les procédures relatives à la
participation du public à certaines décisions, notamment en matière
d’urbanisme ou d’environnement, faute de place pour les présenter.
L’Allemagne se distingue notamment par le fait que le contredit
(Widerspruch), c’est-à-dire la demande que soit annulé ou modifié l’acte
administratif
(loi
sur
la
juridiction
administrative
–
Verwaltungsgerichtsordnung – VwGO : §§70-73), comme le recours en
annulation devant le tribunal administratif, entraîne la suspension de l’acte
contesté ; cependant les exceptions sont assez nombreuses dans l’intérêt
public (§80). On remarquera que le contredit n’est pas régi par les
dispositions de la loi sur la procédure administrative mais par la loi sur la
juridiction administrative. Il se présente en effet comme faisant partie de la
procédure préalable avant que ne soit engagée une procédure
juridictionnelle. L’effet suspensif du recours existe aussi en Autriche ;
toutefois, l’autorité administrative peut l’exclure si la suspension de l’acte
est de nature à menacer gravement l’intérêt public ou l’intérêt d’une des
parties (Allgemeines Verwaltungsverfahrensgesetz : § 64).
128
M. FROMONT, Droit administratif des États européens, Paris, PUF, 2006, pp. 212-214. 96
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Dans certains cas, l’acte administratif individuel peut être substitué par
un contrat administratif. Cette possibilité est prévue par la loi allemande sur
la procédure administrative : un contrat de droit public peut être signé entre
l’autorité administrative et l’intéressé pour mettre fin à l’incertitude d’une
situation juridique ou quand le signataire s’engage à une contrepartie qui
concourt à l’exécution de sa mission par l’autorité administrative (§§ 54-58).
Elle a été reprise par la loi italienne sur la procédure administrative dans des
termes plus larges, pour déterminer, dans les cas prévus par la loi, le contenu
discrétionnaire qui pourrait faire l’objet d’un acte unilatéral (loi n° 241,
7 août 1990, modifiée, art. 11), et par la loi polonaise sur la procédure
administrative (loi du 14 juin 1960, modifiée notamment en 2000 et depuis :
art. 114 et s. : accord – ugoda – entre le sujet de droit et l’autorité
administrative compétente), qui l’autorise sans autre restriction que le
respect de la loi et des droits des tiers ; cet accord est alors soumis au régime
des actes administratifs pour tout ce qui n’est pas prévu par le code à propos
de ces accords.
En présence de l’inaction ou du silence de l’administration, deux types
de solution se rencontrent dans le droit de la procédure des différents pays.
La première solution consiste à permettre de faire un recours à un juge pour
qu’il ordonne à l’administration de prendre la mesure : la seconde consiste à
considérer que le silence de l’administration a pour effet de produire une
décision.
La première solution est la plus ancienne : c’était l’un des prerogative
remedies de l’ancien droit anglais, le mandamus ; c’est toujours l’un des
pouvoirs du juge dans le cadre du judicial review moderne. C’est aussi ce
que prévoient certaines législations. Ainsi la loi allemande prévoit-elle un
recours tendant à faire condamner l’administration à prendre une décision
qu’elle a l’obligation de prendre (VwGO : § 42). Le tribunal peut être saisi
trois mois après le contredit ou après la demande que soit prise une décision
déterminée ; il fixe le délai dans lequel la décision attendue doit être prise ;
si l’abstention de l’administration est illégale et viole un droit du
demandeur, le tribunal prononce l’obligation pour l’administration de
prendre la décision demandée si le dossier est en état ; à défaut elle doit se
prononcer selon l’appréciation du tribunal (§ 75). En Russie, en cas de
carence de l’administration, le Code de procédure civile (art. 258.2) et le
Code de la procédure d’arbitrage129 (art. 201.5, 3°) donnent aux tribunaux le
pouvoir de prononcer l’obligation de prendre les mesures demandées dans
les délais qu’ils fixent.
129
Les tribunaux d’arbitrage forment un ordre de juridiction spécialisé dans le contentieux
économique et doté de sa propre Cour suprême. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 97
En France, le principe demeure que le silence de l’administration
(pendant deux mois) donne naissance à une décision administrative de rejet,
que l’on peut contester devant le juge administratif (ou au préalable par un
recours hiérarchique), sauf dans les cas où la loi prévoit que le silence de
l’administration vaut acceptation de la demande (loi du 12 avril 2000, art. 21
et 22)130.
En revanche la loi espagnole et la loi italienne posent un principe
inverse. Selon la loi espagnole (LPC : art. 43), le silence de l’administration
vaut acceptation de la demande, sauf si une loi ou une disposition du droit
communautaire en dispose autrement et dans le cas où la procédure est
ouverte à l’initiative de l’administration en vue d’une décision accordant des
droits ou établissant la situation juridique d’une personne (art. 44). La loi
italienne sur la procédure administrative (n° 241 de 1990, modifiée, art. 20)
pose également le principe que le silence de l’administration vaut
acceptation de la demande, à moins, notamment, que l’administration n’ait
fait connaître dans le délai prévu qu’elle se réservait de prendre une décision
expresse ou n’ait engagé une procédure d’examen de la demande par une
conférence de service.
Le régime de la décision implicite présente un avantage important sur la
solution du recours au juge pour lui demander une injonction ou de
prononcer l’obligation de l’administration. Une telle mesure n’est possible
qu’en présence d’une compétence liée, au moins si l’injonction est de
prendre la décision dans un sens déterminé. Au contraire, le régime de la
décision implicite est applicable même dans le cas où l’administration
dispose d’un pouvoir d’appréciation. En outre, dans le cas de la décision
implicite d’acceptation, la procédure est close sans qu’il soit besoin de saisir
le juge.
Enfin, des politiques de simplifications administratives peuvent alléger
l’application de la procédure administrative tout simplement en supprimant
l’exigence de certaines décisions administratives. La révision périodique de
la législation et de la réglementation en vigueur est une nécessité pour
éliminer des procédures devenues inutiles et qui pèsent sur l’économie.
L’un des exemples les plus typiques de telles politiques, et des
problèmes qu’elles posent, est celui de la loi n° 15 du 11 février 2005
(modifiant la loi 241/1990 déjà citée) complétée et modifiée par le décret
législatif n° 35 du 14 mars 2005 et la loi de ratification n° 80 du 14 mai
2005. Cette loi :
- Généralise la règle selon laquelle le silence de l’administration vaut
acceptation de la demande, sauf les exclusions prévues par la loi ou résultant
du droit communautaire ; toutefois l’administration peut s’opposer, dans un
130
V. l’article de Paul CASSIA dans ce volume, p. 195 et s. 98
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
délai de 90 jours de la demande, à l’application de cette règle ;
l’administration peut aussi décider de renvoyer la demande à une
« conférence de service » (cf supra) ;
- Remplace par une obligation de déclaration, assortie de pouvoirs de
contrôle a posteriori de l’administration, toutes les autorisations, licences,
concessions ou obligations d’inscription auxquelles était subordonnée
l’exercice d’une activité entrepreneuriale, commerciale ou artisanale,
lorsque ces actes étaient seulement subordonnées à des conditions légales,
sauf dans certains domaines énumérés par la loi (défense nationale,
environnement, patrimoine culturel et paysager…) ;
- Remplace la production des pièces établissant divers titres et
qualités dans le cadre d’une procédure par l’« auto-certification », c’est-àdire par l’obligation pour l’administration de rechercher elle-même ces
informations lorsqu’elles sont déjà en sa possession, ou celle d’une autre
administration auprès de laquelle elle doit les obtenir ;
- Permet à l’autorité responsable de la procédure de faire appel à
d’autres organismes publics que ceux prévus pour produire les évaluations
techniques auxquelles l’édiction d’un acte administratif est subordonnée.
Toutefois, la mise en œuvre de ces dispositions, comme d’ailleurs pour
la mise en œuvre de la règle du silence-consentement en Espagne, a soulevé
plusieurs difficultés. Tout d’abord, en ce qui concerne cette dernière règle,
diverses interventions législatives ou réglementaires ont multiplié les
exceptions, si bien que la situation n’est plus si différente de celle du droit
français, qui pose le principe inverse (le silence vaut décision de rejet, mais
la loi prévoit qu’il vaut acceptation dans les cas qu’elle détermine – par
exemple pour l’octroi d’un permis de construire). En second lieu, l’étendue
du régime déclaratif est incertaine, car les exceptions sont largement
formulées et surtout soulève des difficultés liés à l’ « autocertification », qui
peut rendre difficile à l’administration de faire les vérifications dans le délai
pendant lequel elle peut s’opposer au commencement de l’activité pour nonconformité aux exigences légales.
De telles mesures sont de nature à alléger les coûts administratifs pour
l’État comme pour les entreprises, mais leur adoption ne peut pas être
décidée seulement pour ce motif. Il faut que des procédures de contrôle
adaptées soient mises en place pour prévenir ou réprimer les fraudes, et
éviter, selon les mots du professeur Erminio Ferrari, que l’« inertie du
contrôle » ne succède à l’« inertie de la décision »131, avec les coûts pour la
collectivité que cela peut comporter. Autrement dit, les mesures de
simplification de la réglementation doivent être accompagnées de mesures
131
E. FERRARI, « Dall’inerzia nel provvedere all’inerzia del vigilare », in V. PARISIO (dir.),
Silenzio e procedimento amministrativo in Europa : una comparazione tra diverse esperienze,
Milan, Giuffré, 2006, pp. 99-117. G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 99
de réformes administratives pour adapter l’administration à ses nouvelles
missions.
CONCLUSION
Avec toute la prudence qui s’impose, la confrontation du droit russe
avec les droits des pays qui ont été pris en compte dans cette comparaison
permet de proposer en conclusion quelques pistes pour le développement du
droit administratif et de la procédure administrative en Russie.
On relèvera tout d’abord que les questions fondamentales concernant la
définition de l’acte administratif, les rapports entre la loi, le règlement et les
mesures d’application concrète, le besoin d’une véritable procédure
administrative se posent aujourd’hui dans des termes très proches en Russie
et dans les autres pays européens. La Russie est membre du Conseil de
l’Europe et elle est liée par toutes les conventions signées dans le cadre du
Conseil de l’Europe, en premier lieu par la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle en
partage donc les valeurs avec les autres États européens.
L’étude de la production des actes réglementaires a montré qu’il serait
utile de simplifier la hiérarchie des actes réglementaires, quant aux autorités
habilitées et quant à leur objet. Au niveau de l’État, il ne devrait exister
qu’une seule autorité dotée du pouvoir général d’édicter des règlements
affectant les tiers, pour la Fédération, d’une part, pour chaque sujet de la
Fédération d’autre part, sous réserve des compétences des administrations
directement placées sous l’autorité du Président de la Fédération de Russie.
La distinction entre les actes réglementaires qui affectent les sujets de
droit et ceux qui portent seulement sur des questions d’organisation interne,
de gestion des moyens et sur des directives politiques est importante. Pour
ceux de la première catégorie, il importe que soit assurée une concentration
suffisante du pouvoir réglementaire. C’est la seule façon d’éviter des
contradictions entre les réglementations sectorielles et surtout de freiner la
prolifération de celles-ci. En dehors de l’autorité titulaire du pouvoir
réglementaire général, seule la loi devrait pouvoir habiliter d’autres autorités
administratives à adopter des règlements dans des domaines précis et
limités.
Les réformes mises en œuvre depuis 2004 ont permis de renforcer la
concentration du pouvoir réglementaire en prenant appui sur les ministres, et
de fixer les limites des pouvoirs des différents organes du pouvoir exécutif.
Malgré les améliorations réalisées depuis 2004, il semble encore nécessaire
de perfectionner le travail interministériel pour assurer la cohérence de
l’action administrative et des normes.
100
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Les règlements administratifs préparés dans le cadre des ministères
fédéraux représentent un progrès important pour améliorer la qualité de la
préparation des décisions et organiser des recours administratifs donnant des
garanties aux citoyens, mais ils devraient être suivis de l’élaboration d’une
véritable législation sur la procédure administrative. Celle-ci donnerait une
force juridique supérieure aux règles de procédure et permettrait leur
unification. La loi du 27 juillet 2010 sur les services fournis par l’État
(organes fédéraux et sujets de la Fédération) et les collectivités locales
constitue un pas important dans cette direction. L’expérience internationale
montre qu’un certain nombre de principes généraux sont aujourd’hui
communément admis et doivent s’appliquer à toutes les administrations.
Quant aux modalités de mise en œuvre, on doit prendre en compte le risque
que les règlements administratifs ne fassent apparaître des disparités qui
n’ont d’autre raison d’être que la commodité de l’administration qui est
l’auteur de ces règlements. En effet, les arrêtés du gouvernement fédéral ont
imposé un plan uniforme pour l’écriture de ces règlements administratifs,
mais ils n’uniformisent pas le contenu des articles prévus. L’hétérogénéité
de ceux-ci ne peut manquer de gêner la diffusion des règles dans le public et
donc leur application effective. Enfin, les progrès de la procédure
administrative doivent être étendus au niveau des sujets de la Fédération.
Cette évolution est déjà engagée. L’intervention de la loi fédérale
permettrait une unification des règles, sur la base de l’article 72 de la
Constitution qui range dans la compétence commune de la Fédération et des
sujets de la Fédération la législation sur l’administration et la procédure
administrative. Certaines institutions juridiques expérimentées dans d’autres
pays pourraient être utiles en Russie, comme l’introduction de la décision
implicite. On devrait aussi prendre appui sur les dispositions procédurales
du Code des contraventions administratives, qui se sont rapprochées des
standards européens, et pour lesquelles il existe déjà une pratique
administrative et judiciaire importante, afin de développer les autres
procédures administratives.
Le recours au secteur privé pour l’accomplissement des missions
publiques nécessite également des procédures adaptées pour garantir
l’intérêt public et pour qu’il n’en résulte pas des distorsions de concurrence.
L’allégement de la réglementation, dans le but d’améliorer les
conditions du fonctionnement de l’économie, ne doit pas compromettre les
intérêts supérieurs garantis par la Constitution, comme, par exemple, la
protection de l’environnement ou du patrimoine. L’impact de ces mesures
doit être évalué au préalable ; les mesures d’ordre réglementaire doivent être
accompagnées de mesures d’organisation administrative adéquates.
On a souligné le rôle de la jurisprudence dans le développement de la
procédure administrative, à côté du rôle de la loi. À notre connaissance,
G. MARCOU : ACTES ET PROCÉDURES EN EUROPE OCCIDENTALE ET EN RUSSIE 101
aucune étude de la jurisprudence de la Cour suprême et de la Cour
supérieure d’arbitrage intéressant la procédure administrative n’a été
réalisée. Une telle étude serait utile et mettrait sans doute en valeur le rôle
des juges. Surtout, la création d’un répertoire de cette jurisprudence lui
donnerait toute sa force en permettant à la pratique de s’appuyer sur elle.
PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET BARRIÈRES
ADMINISTRATIVES :
À LA RECHERCHE D’UN ÉQUILIBRE
Talia Ia. KHABRIEVA
I. INTRODUCTION SUR LE PROBLÈME DE LA CORRÉLATION
ENTRE PROCÉDURES ADMINISTRATIVES
ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES
Contrairement à la science du droit administratif de la France et de
nombreux autres États1 la science russe du droit administratif ne s’est pas
suffisamment intéressée à la question des procédures administratives. La
recherche s’est consacrée principalement aux problèmes d’organisation des
organes administratifs et de la responsabilité administrative pour les faits
illicites. Les questions de procédure administrative, à quelques exceptions
près2, ont été traitées sous l’angle juridictionnel3.
1
G. VEDEL, Droit administratif, PUF, 1958 ; Y. GAUDEMET, Traité de droit administratif,
LGDJ, 5 vol., 2002 ; J.-C RICCI, Droit administratif, 4e éd., LGDJ, 2004 ; M. LONG, P. WEIL,
G. BRAIBANT, P. DELVOVÉ, B. GENEVOIS, Les Grands Arrêts de la jurisprudence
administrative, Dalloz, 2009 ; R. CHAPUS, Droit administratif général, 2 vol. Paris, Montchrestien,
2001 ; K.C. DAVIS / R.J. PIERCE, Administrative law treatise, 3 vol., 5e éd., Boston, New York,
Toronto et Londres, Little, Brown and Company, 2010 ; C. KOCH, Administrative Law and
Practice, 3 vol., 3e éd., Eagan, Westlaw, 2010 ; P. CANE, Administrative law, Oxford, Oxford
University Press, 1986 ; O. MAYER, Allgemeines Verwaltunsrecht, 2 vol., Leipzig, Duncker &
Humblot, 1896. 2
Cf., par ex. B. M. LAZAREV (dir.), Управленческие процедуры [Les procédures
administratives], Moscou, 1988. 3
Cf., par ex. N. G. SALICHTCHEVA, Административный процесс в СССР [Le procès
administratif en URSS] Moscou, 1964. 104
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Depuis le début des réformes sociales, économiques et politiques, on a
entrepris de former un nouveau système d’organes administratifs régis par
un système clair et unifié de procédures administratives4.
Toutefois, des études récentes ont montré que ces procédures
administratives sont toujours caractérisées par un manque d’unité de
conception5.
Cet état de la science du droit administratif affecte dans une certaine
mesure l’administration publique et la législation. En l’absence
d’orientations établies sur une base scientifique, l’élaboration des
procédures a commencé de manière dispersée et spontanée. En Russie, à la
différence de nombreux autres États, y compris d’anciennes républiques
soviétiques, il n’existe pas de loi générale sur les procédures
4
Cf. Décret du Président de la Fédération de Russie du 09.03.2004 n° 314 « Sur le système et
la structure des organes fédéraux du pouvoir exécutif » ; Arrêté du Gouvernement de la Fédération
de Russie du 11.11.2005 n° 679 « Sur l’ordre du développement et l’approbation des règlements
administratifs des services publics ; Conception de la réforme administrative en Russie de 2006 à
2010, (approuvée par un arrêté gouvernemental du 25.10.2005 n° 1789-r) ; Conception de
développement sociale et économique à long terme de la Fédération de Russie jusqu’à 2020
(approuvé par le Gouvernement fédéral le 17 novembre, 2008 n° 1662-r) ; Directives générales
d’action contre la crise du Gouvernement de la Fédération de Russie pour 2010 (approuvé lors de la
réunion du Gouvernement (Procès-verbal du 30 décembre, 2009 n° 42). 5
Cf., par ex., Y. A. TIKHOMIROV, E. V. TALAPINA, « Административные процедуры и
право », Журнал российского права, 2002, n° 4, [Les procédures administratives et le droit,
Journal du droit russe, 2002, n° 4] ; I. M. LAZAREV, Административные процедуры в сфере
взаимоотношений граждан и их организаций с органами исполнительной власти в
Российской Федерации: Дис. канд. юрид. наук. [Les procédures administratives dans le domaine
des relations des citoyens et de leurs organisations avec des autorités exécutives de la Fédération de
Russie : thèse de doctorat], Moscou, 2002 ; J. N. STARILOV, « Реформа административноправового регулирования: « идеология », проблемы и будущее », Административное право и
административный процесс: актуальные проблемы / Отв. ред. Л.Л. Попов и М. С.
Студеникина. [« La réforme de la réglementation administrative : « idéologie », problèmes et
avenir »], p. 35, in Droit et contentieux administratifs : enjeux actuels, L. L. POPOV et M. S.
STUDENIKINA (dir.), Moscou, 2004. S. A. KHAZANOV, « К проблеме формирования
института административных процедур » [Le problème de la formation de l’institution des
procédures administratives] Административное право и процесс [Droit et procès administratifs]
2005, n° 4, p. 44, M. V. NIKIFOROV, Проблемы теории административных процедур
[Problèmes de la théorie des procédures administratives] Nijni-Novgorod, 2006, p. 23 ; S. Z.
JENETL, Административные процедуры в ракурсе административных реформ [Les
procédures administratives dans la perspective de réformes administratives], Moscou, 2008 ; V. A.
ZYUZIN, Административные процедуры: теория, практика и проблемы законодательного
регулирования в Российской Федерации [Les procédures administratives : théorie, pratique et
problèmes de réglementation législative dans la Fédération de Russie] thèse de doctorat, Moscou,
2007 ; A. A. NIKOLSKAYA, Административные процедуры в системе публичного
управления: проблемы административно-правового регулирования [Les procédures
administratives dans le système de la gestion : les enjeux de la réglementation administrative et
juridique], thèse de doctorat, Voronej, 2007.
Pour les besoins de cette étude, on entendra par procédure administrative un système d’actions
administratives liées entre elles pour la mise en œuvre du droit du fond et des règles de procédure,
tendant à délivrer des prestations matérielles ou immatérielles aux personnes physiques et morales. T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES
105
administratives6. Les règlements administratifs adoptés à ce jour ne couvrent
qu’une petite partie des procédures administratives pour la mise en œuvre
des fonctions de l’État (des collectivités locales) et la fourniture de services
de l’État (des collectivités locales).
Bien sûr, l’absence d’une réglementation d’ensemble des procédures
administratives n’est pas seulement due au retard de la science du droit
administratif. Le problème est que la législation russe se trouve dans un
processus de modernisation qui entraîne des changements constants. La
mauvaise application des lois aggrave la situation. La réglementation se
limite essentiellement aux lois et règlements fédéraux du gouvernement de
la Fédération de Russie. Les actes administratifs nécessaires pour les
appliquer ne sont pas publiés, et ceux qui sont publiés ne font pas l’objet
d’un système efficace d’analyse et de contrôle de leur mise en œuvre7.
L’absence d’une approche systématique des procédures administratives
mène au fait que beaucoup d’entre elles commencent à fonctionner
inefficacement ou se heurtent à des obstacles (les barrières administratives)
qui entravent la réalisation des droits et libertés et empêchent de répondre
aux défis sociaux, économiques et politiques auxquels l’État et la société
sont confrontés.
Cela est directement lié au problème des conséquences de l’impact de
la réglementation sur les relations sociales. Il convient de noter que le terme
« barrières administratives » n’a pas reçu une interprétation unique ni dans
la littérature scientifique ni dans la pratique. Il existe une variété de
définitions et l’on y range ainsi : les obstacles créés par les responsables de
l’exécutif ; les règles redondantes pour les activités des autorités
administratives, les mesures restrictives imposées par la réglementation ou
des actes administratifs individuels, etc.8.
6
Cf. par ex., la Loi de la République du Kazakhstan « Sur les procédures administratives » de
2000 ; la Loi de la République du Biélorussie « Sur les bases des procédures administratives » de
2008 ; la Loi de la République d’Arménie « Sur les bases des activités administratives et des
procédures administratives » de 2004, la Loi de la République de Kirghizie « Sur les procédures
administratives » de 2004, la Loi de la République d’Azerbaïdjan « Sur la procédure
administrative » de 2005, la Loi du Tadjikistan « Sur les procédures administratives » de 2007, etc.
Dans la Fédération de Russie les projets de loi fédérale sur les procédures administratives n’ont pas
abouti, mais ils ont été utilisés en cours de préparation des documents conceptuels sur la réforme
administrative, et de certains règlements administratifs examinés par la Commission
gouvernementale sur la réforme administrative. La Conception de la réforme administrative dans la
Fédération de Russie en 2006-2010 a prévu l’adoption de la loi fédérale sur les règlements
administratifs. Une partie des questions administratives liées aux procédures se retrouve dans la Loi
fédérale du 27.07.2010 n° 210-FZ « Sur l’organisation des services délivrés par l’État et les
collectivités locales » (RL FR. 2010. n° 31, p. 4179). 7
Cf. Правовой мониторинг: Научно-практическое пособие [Le monitoring juridique :
guide scientifique et pratique], Moscou, 2009. 8
Cf., par exemple, l’Arrêté du Gouvernement de la Fédération de Russie du 19.05.2009
n° 691-r « Sur l’approbation du programme de développement de la concurrence dans la Fédération
106
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Une telle variété d’opinions existe en raison de la diversité ce que l’on
désigne par la notion de « barrières administratives », qu’il s’agisse des
sujets, de l’objet ou des effets, ou des conséquences, de la réglementation,
selon les sphères de la société.
Les lacunes de la réglementation mais aussi une réglementation
excessive sont aussi une source bien connue de barrières administratives,
comme en témoignent en pratique de nombreux règlements relatifs à
l’exécution des fonctions et à la fourniture de services publics9.
Les pays de l’UE ont intensifié leur travail d’évaluation et d’élimination
des excès d’intervention administrative au début des années 80 du siècle
dernier. Ce travail, appelé la déréglementation, est le résultat de la nécessité
de renforcer le rôle du secteur des petites entreprises comme le secteur le
plus dynamique de l’économie. Depuis le milieu des années 90, ce travail a été
entrepris par les États de la CEI, et on observe en Russie, depuis le début des
années 2000, une tendance soutenue à réduire les charges administratives
pesant sur les entreprises10. La législation introduit de plus en plus de mesures
visant à améliorer l’accès aux services publics. On simplifie les conditions
pour entrer sur le marché. Par exemple, on passe à la procédure de notification
de l’enregistrement des entreprises selon le principe de « guichet unique »
pendant le délai légal. On a réduit considérablement le nombre des activités
soumises à autorisation11. On a retiré aux organismes de réglementation leurs
pouvoirs de supervision et de contrôle sur les activités des entités qui y sont
de Russie » (avec : « Plan d’action pour la mise en œuvre du développement de la concurrence dans
la Fédération de Russie pour 2009 – 2012 »), RL FR. 2009, n° 22, art. 2736 ; « Некоторые
административные барьеры в сфере осуществления предпринимательской деятельности:
анализ судебной арбитражной практики и пути преодоления административных барьеров »
[De quelques barrières administratives aux activités des entreprises : une analyse des pratiques
d’arbitrage judiciaire et des moyens de surmonter les barrières administratives], Арбитражный и
гражданский процесс [Procédures arbitrales et civiles], 2007, n° 11. 9
Cf. Rapport du Département du développement des petites et moyennes entreprises du
ministère du Développement économique, Об исполнении полномочий по государственному
контролю (надзору), муниципальному контролю государственными (муниципальными)
предприятиями и учреждениями [Sur l’exercice des pouvoirs de contrôle (surveillance) de l’État,
de contrôle municipal par des entreprises et des établissements publics (municipales)], Moscou,
2010. 10
Cf. pour plus de détails : L. A. ISTOMIN, G. V. GERMANOVICH, S. F. PYATKINA, alii,
Малое предпринимательство: как снизить административные барьеры? Зарубежный опыт
[Les petites entreprises : comment réduire les barrières administratives ? L’expérience étrangère],
Moscou, 2003. 11
V., par ex., l’Arrêté du Gouvernement de la Fédération de Russie du 19.07.1999 n° 829
« Sur la déclaration du Gouvernement de la Fédération de Russie et de la Banque centrale de la
Fédération de Russie sur la politique économique en 1999, une lettre du Gouvernement de la
Fédération de Russie et la Banque centrale de la Fédération de Russie sur la politique de
développement pour le troisième prêt pour les réformes structurelles de l’économie et le plan
d’action pour les mettre en œuvre » (avec les « Mesures de mise en œuvre du programme à moyen
terme des réformes structurelles (lettre de politique de développement pour le troisième prêt pour la
restructuration de l’économie) »), RL FR, 1999, n° 30, art. 3829. T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES
107
soumises12. On poursuit de même l’élimination des formes redondantes de
surveillance et d’inspection. À cet effet, par exemple, la législation limite
même la possibilité, les délais et la périodicité des contrôles. En revanche,
on précise les règles de procédure administrative qui pourraient menacer les
droits et libertés13.
D’une part, ces mesures peuvent réduire sensiblement le niveau de
l’arbitraire bureaucratique, de l’autre, elles accélèrent le processus global de
la déréglementation croissante des rapports sociaux. On a considérablement
réduit le nombre d’actes réglementaires visant à réglementer les activités des
entreprises et d’autres activités. On a étendu la pratique de la délégation de
fonctions publiques à des organisations qui fixent elles-mêmes les règles qui
leur sont applicables14.
12
Cf., par ex., l’Arrêté du Gouvernement de la Fédération de Russie du 27.12.2010 n° 116
« Sur la procédure d’octroi des subventions du budget fédéral de la Fédération de Russie aux
budgets des sujets de la Fédération sur la mise en œuvre des pouvoirs de la Fédération de Russie,
transférés aux organes d’État des sujet de la Fédération, relatifs à l’inspection d’État sur le respect
de la législation de la Fédération de Russie dans le domaine de l’enseignement, au contrôle de l’État
de la qualité de l’enseignement, aux licences relatives aux activités d’enseignement et à
l’accréditation d’État des établissements d’enseignement » (avec les « Règles relatives à l’attribution
des subventions du budget fédéral de la Fédération de Russie aux budgets des sujets de la Fédération
sur la mise en œuvre des pouvoirs de la Fédération de Russie, transférés aux organes d’État des sujet
de la Fédération, relatifs à l’inspection d’État sur le respect de la législation de la Fédération de
Russie dans le domaine de l’enseignement, au contrôle de l’État de la qualité de l’enseignement, aux
licences relatives aux activités d’enseignement et à l’accréditation d’État des établissements
d’enseignement », et la « Méthodologie pour la détermination du montant total des subventions
prévues par le budget fédéral de la Fédération de Russie pour la mise en œuvre des transferts aux
autorités publiques du bureau de la Fédération de Russie de la Fédération de Russie des pouvoirs de
la Fédération de Russie, transférés aux organes d’État des sujet de la Fédération, relatifs à
l’inspection d’État sur le respect de la législation de la Fédération de Russie dans le domaine de
l’enseignement, au contrôle de l’État de la qualité de l’enseignement, aux licences relatives aux
activités d’enseignement et à l’accréditation d’État des établissements d’enseignement »), RL FR.
2011, n° 1, art. 234. 13
Cf., par ex., pour le ministère des Finances de la Russie du 10.06.2010 n° 57n « Sur
l’approbation du Règlement administratif du ministère des Finances de la Fédération de Russie sur
l’exécution de fonctions de l’État : Organisation de l’accueil des citoyens, examen complet dans les
délais prévus des demandes orales et écrites, décision et orientation des réponses selon les lois de la
Fédération de Russie », Bulletin des actes normatifs des organes fédéraux du pouvoir exécutif, 2010,
n° 38 ; Instruction du ministère des Transports de Russie du 27.12.2006 n° 174 « Sur l’approbation
du Règlement d’administration de l’Agence fédérale des transports ferroviaires sur l’exécution de
fonctions de l’État selon le délai prévu d’entrée en vigueur de la grille des horaires de circulation des
trains de voyageurs », Bulletin des actes normatifs des organes fédéraux du pouvoir exécutif, 2007,
n° 17. 14
Ministère du Développement économique de la Fédération de Russie, Доклад « Об итогах
анализа практики применения законодательства Российской Федерации о саморегулируемых
организациях в отдельных сферах и отраслях экономической деятельности » [Rapport « Sur
des résultats de l’analyse de la pratique de l’application de la législation de la Fédération de Russie
sur les organismes d’autoréglementation dans certains domaines et secteurs d’activité
économique »].
http://www.economy.gov.ru/wps/wcm/connect/57a5be004573a3e6b78fbf4dc8777d51/doklad. 108
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Toutefois, il convient de noter que la situation dans ce domaine est très
mobile : les barrières administratives anciennes évoluent, et de nouvelles
apparaissent. Souvent, cela se produit comme une réaction au renforcement
des mesures pour les surmonter. On peut citer comme exemple de
nombreuses structures commerciales et non commerciales formées auprès
des autorités régionales et locales dans le but « d’assister » les personnes et
les entreprises, dans la solution de différents problèmes ou affaires15.
Convenons que de tels problèmes se sont rencontrés dans tous les pays du
monde. Les programmes gouvernementaux, les lois, les décisions de justice,
les rapports d’enquêtes parlementaires ou de recherche qui s’y rapportent sont
innombrables16. De nombreuses organisations internationales se sont ensuite
donné pour tâche de faire des propositions pour y remédier.
C’est, par exemple, le projet de la Conférence sur le commerce et le
développement des Nations Unies préparé en 2010 en forme de Code
modèle « Sur la concurrence ». Dans le cadre de notre étude, on doit relever
le chapitre 7 de cette loi, qui, fondée sur une analyse comparative de la
législation dans de nombreux États, propose la définition suivante des
barrières réglementaires et administratives à la concurrence :
« Le terme « réglementation » englobe les actes divers par lesquels les
gouvernements imposent des obligations aux entreprises, organisations et
personnes physiques. Ils comprennent les lois, les ordonnances formelles et
informelles, des instructions administratives qui en précisent les règles et sont
émises par les autorités de tous les niveaux, ainsi que les règles émises par des
organismes non-gouvernementaux ou professionnels d’autoréglementation
auxquels l’État a délégué des pouvoirs réglementaires » (art. II).
« Contrairement à des barrières dues à des circonstances structurelles et
stratégiques, les barrières du domaine de la réglementation sont le résultat
d’actes adoptés ou accomplis par les organismes du pouvoir exécutif
gouvernemental, les collectivités locales, les organismes nongouvernementaux ou professionnels d’autoréglementation auxquels l’État a
délégué des pouvoirs réglementaires. Elles comprennent les barrières
administratives à l’entrée sur le marché, réservant des droits exclusifs,
l’introduction de certificats, de permis et autres licences dont la délivrance
15
Cf., par ex. M. FRANGULYAN, « Правовое регулирование иммиграции в Канаде и
России: сравнительный анализ » [La réglementation juridique de l’immigration au Canada et en
Russie : analyse comparative], Кадровик. Трудовое право для кадровика [Administrateur du
personnel. Le droit du travail pour l’administrateur du personnel] 2008, n° 4.щк 16
Cf., par ex. les lois britanniques « Sur le commerce équitable » de 1973, « Sur la
concurrence » de 1980 et 1989, « Sur les entreprises » de 2002 ; les lois « Sur la concurrence » de
l’Irlande (2002), de la Norvège (2004), de l’Espagne (1989) et d’autres pays européens. T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES
109
conditionne le début de l’activité ou des opérations d’une entreprise »
(art. III)17.
Parmi les projets internationaux, on doit mentionner l’initiative de la
Banque Mondiale, de la Société Financière Internationale, du Groupe
consultatif sur l’investissement international (FIAS) de créer un « Manuel de
formation sur l’identification et l’élimination des barrières administratives à
l’investissement »18.
Dans ce document il est recommandé d’identifier les types de barrières
administratives suivants faisant obstacle à la conduite des affaires : visas de
migration, permis de travail et de placement ; autorisations préalables à la
réalisation d’investissements ; procédures d’enregistrement, licences
commerciales ; enregistrement des droits de propriété, permis de construire
et des travaux de construction ; les services communaux ; les déclarations
fiscales et le suivi du paiement des impôts ; les procédures d’import/export ;
les procédures de change ; les procédures de placement, de formation et
cessation des rapports de travail ; la certification (normalisation) des
produits ; les principales inspections d’État (incendie, santé, travail,
protection de l’environnement), etc.
Les auteurs recommandent une séquence d’actions comprenant quatre
étapes : l’identification des questions prioritaires ; la recherche et la
formulation des solutions des questions prioritaires ; l’exécution du
programme de réforme ; le suivi de l’action du programme.
Il existe actuellement plusieurs recherches et programmes d’évaluation
des organisations internationales qui, d’une manière ou d’une autre, sont liés
au problème des barrières administratives.
En cadre d’un projet de la Banque mondiale « Indicateurs de la
conduite des affaires » (Doing Business) on évalue annuellement la liberté
de l’activité entrepreneuriale. La Banque mondiale effectue également une
surveillance constante de l’attractivité des États pour les investissements
(Investment Climate Assessements), publie les panoramas à l’échelle
mondiale de la vie des affaires (World Business Environment Survey) où
sont analysées les questions d’évaluation du poids des barrières
administratives et les possibilités d’alléger celles-ci.
Le problème de la réduction des barrières administratives est aussi
l’objet de l’attention de l’Organisation de la coopération économique et du
développement19.
17
United Nations Conference on Trade and Development. Model Act on Competition (2010)
// http://www.unctad.org./eng/docs/tdrbpconf7L7_en.pdf 18
A Manual for the Identification and Removal of Administrative Barriers to Investment,
2006. 19
Cf., par ex., le rapport de l’OCDE, Overcoming Barriers to Administrative Simplification
Strategy. Guidance for Policy Makers, 2009. 110
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Toutefois, la nécessité de nouveaux progrès dans la résolution de ce
problème, qui est conditionné par la poursuite de recherches non seulement
appliquées, mais théoriques, y compris sur les critères permettant de
distinguer les procédures administratives et les barrières administratives.
II. APPROCHES THÉORIQUES DE LA DÉLIMITATION
DES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES
ET DES BARRIÈRES ADMINISTRATIVES
La gamme doctrinale des questions de la délimitation des procédures et
des barrières administratives ne peut pas être résolue seulement par les
moyens de la science juridique, elle se réfère non seulement aux faits
juridiques, mais aussi à la réalité économique et sociale. On a besoin d’une
approche intégrée et interdisciplinaire pour profiter des différentes
approches théoriques et méthodologiques.
Pendant longtemps le droit, l’économie et la sociologie ont évolué
séparément. Et ce n’est que ces dernières années qu’on observe une certaine
convergence des disciplines scientifiques. Des recherches communes sont
menées par des juristes, des économistes et des sociologues. Leur objectif
principal est de surmonter une approche « étroite », d’une part de
l’économie, avec son approche stricte par les « prix », d’autre part du droit
avec les limites des méthodes d’analyse juridique, ainsi que de la sociologie,
qui met l’accent sur l’influence des structures et des particularités du
développement des rapports sociaux.
Des recherches approfondies permettent d’améliorer les mécanismes de
la régulation juridique, d’élaborer de meilleures méthodes d’évaluation de
l’impact de la réglementation aux stades de leur élaboration et de leur
application, et donc d’agir sur son respect, d’identifier les tendances et de
prévoir l’évolution des cycles de l’évolution juridique, économique et
sociale20.
La pratique de la recherche intégrée grandit21. On voit ainsi se dégager
progressivement une méthodologie nouvelle de la recherche interdisciplinaire
20
Sur cette question, cf. T. Y. KHABRIEVA, « Экономико-правовой анализ:
методологический подход » [L’analyse économique et juridique : une approche méthodologique],
Журнал российского права [Revue de Droit russe], 2010, n° 12, pp. 5-26. 21
Un exemple de coopération féconde de chercheurs de différentes disciplines est offert par
les activités du Centre d’étude des problèmes économiques et juridiques de l’administration de l’État
et des collectivités locales de l’Institut de législation et de droit comparé auprès du Gouvernement
de la Fédération de Russie. Le Centre a mené les recherches suivantes : « Problèmes et perspectives
de la réforme municipale dans la Fédération de Russie » (2007) ; « Les investissements étrangers et
les domaines clés de l’économie russe » (2007) ; Commentaire de la Loi fédérale « Sur les banques
et les activités bancaires » (2008) ; « L’amélioration des relations inter-budgétaires au niveau
T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES
111
qui peut être appliquée pour résoudre le problème de la démarcation des
procédures administratives et les barrières administratives afin de déterminer
des critères appropriés.
Ainsi, comme premier critère, on peut retenir le critère traditionnel pour
la science – celui de la conformité à la forme et au contenu, ainsi qu’aux
modalités de l’adoption des actes juridiques qui fixent les procédures
administratives.
Le mécanisme de mise en œuvre du pouvoir d’État dont les procédures
administratives sont l’un des moyens, doit être fixé par la législation de
manière claire et compréhensible. Cela est d’autant plus nécessaire parce
que les activités professionnelles des agents de l’État et des collectivités
locales, par lesquelles est assurée l’action de l’administration, exigent, en
raison de la subjectivité de chaque personne investie des pouvoirs qui en
sont le support, une surveillance publique constante.
Dans la Fédération de Russie, il n’y a pas de règles uniformes fixées par
la loi fédérale pour l’adoption des actes juridiques, y compris de caractère
individuel. Cette lacune dans la législation est partiellement comblée par
différents actes réglementaires des organes du pouvoir exécutif. En
conséquence, il y a un risque réel de violation des droits des citoyens, car en
Russie les procédures administratives se concentrent davantage sur
l’identification des actions déviantes et les infractions administratives que
sur la sauvegarde des droits et libertés des citoyens et l’encouragement à un
respect actif de la légalité22.
régional » (2008), « Évaluation de la possibilité des sujets de la Fédération de Russie d’une politique
active d’innovation » (2008), « Les problèmes de salaires dans l’industrie et les mécanismes de mise
en œuvre de nouveaux systèmes de salaires » (2008), « Les instruments de crédit pour soutenir la
croissance économique dans les régions » (2008), « Les ressources intellectuelles de la nation : les
possibilités et les limites de la réglementation juridique » (2009), « Le droit au soutien de
l’innovation » (2009), « Les investissements étrangers et le développement économique de la
Russie » (2010). 22
Cf. à ce sujet : Y. A TIKHOMIROV (dir.), Законодательная техника [La technique
législative], Moscou, 2001 ; A. I. ABRAMOVA, Законодательный процесс в Российской
Федерации: Научно-практическое пособие [Le processus législatif en Russie: guide scientifique
et pratique], Moscou, 2005 ; T. N. RAKHMANINA, Кодификация законодательства [La
codification des lois], Moscou, 2005 ; Y. A. TIKHOMIROV, Правовое регулирование: теория и
практика [La régulation juridique : théorie et la pratique], Moscou, 2010 ; M. PIGOLKIN (dir.),
Язык закона [La langue de la loi], Moscou, 1990 ; N. A. VLASENKO, Теория государства и
права [Théorie de l’État et du droit], Moscou, 2009 ; T. Y. KHABRIEVA, Y. A. TIKHOMIROV
(dir.), Концепции развития российского законодательства [Les conceptions du développement
de la législation russe], Moscou, 2010 ; Законность в Российской Федерации [La légalité dans la
Fédération de Russie], Moscou, 2008 ; T. Y. KHABRIEVA, N. A. VLASENKO (dir.),
Юридическая техника [La technique juridique], Moscou, 2009 ; I. L. BRAUDE, Избранное
[Textes choisis], Moscou, 2010 ; T. Y. KHABRIEVA, « Стабильность закона, модернизация
законодательства и задачи юридической науки » [La stabilité du droit, la modernisation de la
législation et les objectifs de la science juridique], pp. XI-XXVI, in Закон: стабильность и
динамика [Le droit : stabilité et dynamique], Actes du colloque international de l’École-Atelier de
112
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
À une étape de la réforme administrative en Russie, le système des
règlements administratifs23 a acquis une définition institutionnelle. Les
règlements administratifs du pouvoir exécutif doivent être abordés comme
un moyen transitoire des institutions qui permettront d’améliorer le
fonctionnement de l’administration publique dans notre pays24. Les
règlements administratifs doivent aider à résoudre un certain nombre de
défis : améliorer la capacité à administrer des organes du pouvoir, renforcer
le contrôle sur leurs activités de la part de la société, formuler de manière
exhaustive les exigences auxquelles doivent répondre les décisions et le
contenu des fonctions exercées par les fonctionnaires, réduire le pouvoir
discrétionnaire administratif et la potentiel de corruption des décisions
administrative.
Les règlements administratifs doivent contenir l’information nécessaire
et suffisante, tant pour le destinataire du service que pour l’exécution des
fonctions qui incombent aux responsables des organes du pouvoir exécutif.
Les règlements administratifs simplifient et de précisent les obligations des
organes du pouvoir exécutif envers la société.
La base juridique à partir de laquelle se sont développés les règlements
administratifs sur les rapports entre les pouvoirs publics et les citoyens (ou
les organisations) dans l’exercice des fonctions publiques et la fourniture de
services publics est constituée par le Décret présidentiel du 9 mars 2004
n° 314 « Sur le système et la structure des organes fédéraux du pouvoir
exécutif ». Les règlements administratifs sont également rendus nécessaires
par la Loi fédérale du 27 juillet 2004 n° 79-FZ « Sur la fonction publique de
l’État dans la Fédération de Russie »25 qui fixe les règles relatives à
l’activité des fonctionnaires de la Fédération de Russie et des sujets de la
Fédération, qui représentent l’autorité des organes du pouvoir exécutif.
Après l’adoption de cette loi, son application pratique a soulevé des
difficultés, car elle ne donne aucune définition du règlement administratif, et
jeunes chercheurs et praticiens du droit, Moscou, 1-3 juin 2006, sous la direction de T. Y.
KHABRIEVA, Moscou, 2007. 23
On a pu montrer la formation des « règlements administratifs » comme institution du droit
administratif, incluant des éléments des règles de service, la réglementation de l’organisation de
l’activité des organes du pouvoir exécutif et la réglementation de la gestion dans des domaines
spécifiques (cf. A. YATSKIN, Правовое регулирование административной реформы в
современной России [La réglementation juridique de la réforme administrative en Russie
aujourd’hui], thèse, Moscou, 2007). 24
Y. N. STARILOV, « Исполнительная власть в структуре современного
административно-правового регулирования: проблемы и основные направления разрешения »
[Le pouvoir exécutif dans la structure du droit administratif contemporain : problèmes et réponses
possibles], p. 85, in История становления и современное состояние исполнительной власти в
России [Histoire et position actuelle du pouvoir exécutif en Russie], Moscou, 2003. 25
Il est remarquable que dans la Loi fédérale « Sur la fonction publique » en vigueur jusqu’en
2004 ne contenait pas de dispositions sur les règlements. T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES
113
laisse ouverte la question du type d’acte juridique par lequel un tel
règlement doit être édicté.
Les éléments constitutifs et la structure de ces règlements ont été
identifiées par l’Arrêté du Gouvernement de la Fédération de Russie du
19 janvier 2005 n° 30, approuvant le Règlement-type sur les rapports entre
les organes fédéraux du pouvoir exécutif26, ainsi que par l’Arrêté du
Gouvernement de la Fédération de Russie du 28 juillet 2005 n° 452 portant
approbation du Règlement-type sur l’organisation interne des organes
exécutifs fédéraux27.
La définition d’un règlement administratif relatif à l’exécution des
fonctions de l’État et à la fourniture des services publics a été donnée dans la
« Conception de la réforme administrative dans la Fédération de Russie en
2006-2010 »28, selon laquelle il est entendu comme un acte juridique d’un
organe du pouvoir exécutif fédéral ou d’un sujet de la Fédération, qui
détermine la séquence de ses actions (procédure administrative), quand il
exécute les fonctions de l’État, y compris la fourniture des services publics,
assure l’efficacité de l’action des services administratifs et des fonctionnaires
et garantit les droits des citoyens et des organisations.
L’Arrêté du Gouvernement de la Fédération de Russie du 11 novembre
2005 n° 679 (modifiés par les arrêtés du 29 novembre 2007 n° 813 et du
2 octobre 2009 n° 779), qui a approuvé la procédure d’élaboration et
d’adoption des règlements administratifs de l’exécution des fonctions de
l’État (et des services publics), n’a pas clarifié la place des règlements
administratifs parmi les catégories d’actes juridiques. Mais certaines de leurs
dispositions, indiquées dans l’Arrêté, permettent de déduire la nature
juridique des règlements administratifs.
Dans le droit russe, le règlement administratif est généralement
considéré comme un acte de la réglementation juridique des aspects
procéduraux des activités des autorités exécutives, contenant une description
des actions (procédures administratives) de l’organisme, qui vise
principalement à réglementer l’activité interne de l’autorité.
La législation nationale des pays étrangers met l’accent sur la
réglementation de l’activité externe des autorités, orientée vers la
vérification des conditions de l’affaire, la préparation et la publication d’un
acte administratif29.
26
RL FR, 2005, n° 4, art. 305. 27
RL FR, 2005, n° 31, art. 3233. 28
Pour plus de détails, v. la décision du gouvernement de la Fédération de Russie du
25 octobre 2005, n° 1789-r (RL FR 2005 n° 46, art. 4720).
29
Par ex., en Allemagne, la Loi de procédure administrative (1977) réglemente l’édiction des
actes de l’administration et les conditions de leur validité ; les formes de ces actes ; les modalités de
leur publicité ; les moyens de corriger les erreurs qui ont affecté leur production ; les modalités du
retrait d’un acte administratif et d’introduction de l’acte corrigé. Cette Loi règle également les
114
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Dans les pays de la CEI de tels actes sont compris selon une conception
très proche de celle de la pratique russe. Par exemple, la loi de la République
du Kazakhstan (2000) « Sur les procédures administratives » vise à établir
des procédures administratives qui contribuent à améliorer l’organisation
des activités administratives, à assurer le bon fonctionnement des organes de
l’État, la prise rapide de décision, le respect des droits de l’homme et des
libertés, la protection de l’intérêt public, empêcher l’utilisation par les
fonctionnaires de leurs pouvoirs à des fins étrangères à leurs fonctions, ainsi
que la prestation des services publics. En définissant que la procédure
administrative se présente sous la forme d’une liste exhaustive des activités,
la Loi dispose (art. 9-1) que l’organe d’État adopte des règlements et des
normes relatifs à son organisation et aux modalités internes de ses activités,
ainsi que de ses opérations internes, et à ses rapports avec les personnes
physiques et morales dans l’exécution des services publics.
L’analyse comparative de la législation russe et des législations
étrangères confirme l’idée que les éléments les plus importants de la
réglementation de l’activité administrative, car il s’agit de l’action des
organes du pouvoir exécutif, qui concerne à un degré plus ou moins élevé
les droits des citoyens, doivent être fixés par la loi. C’est sous cette forme
que doivent être formulés les éléments les plus essentiels de la
réglementation des activités administratives car toute atteinte substantielle
aux droits et libertés de la personne doit avoir un fondement légitime.
Il est évident qu’on a besoin de trouver un accord, une autre approche
de l’évaluation de la place et du rôle des règlements administratifs dans le
système des actes réglementaires, leur structuration et leur contenu, la
fixation de limites à l’ « inflation » des règles de procédure, etc.
Pour le moment, la législation en vigueur ne détermine pas de manière
exhaustive le contenu et les règles générales relatives à l’élaboration, à
l’adoption et à la modification des règlements administratifs des organes
d’État30.
L’unification des règles relatives à la préparation des règlements
administratifs et aux modalités d’exécution des services publics est un
modalités de la participation du citoyen à la procédure de décision. La Loi fédérale suisse « Sur les
procédures administratives » (1968), établit les procédures d’adoption, de modification et
d’annulation des actes administratifs individuels. Elle ne traite pas de l’adoption des règlements. Par
exemple, le champ d’application de la Loi du canton suisse Bâle-Campagne couvre les procédures
pour l’édiction, la modification et l’annulation d’actes individuels d’organismes administratifs. 30
Les études sur le processus d’élaboration et d’approbation des règlements administratifs
dans le cadre de la réforme administrative, se sont souvent tournées vers les procédures de
l’élaboration et l’adoption des normes techniques suivant la Loi fédérale du 27 décembre 2002,
n° 184-LF « Sur les normes techniques ». Cette Loi fédérale a défini des cadres très stricts pour les
procédures d’élaboration et d’approbation des normes techniques. Cette expérience a renforcé la
position que les règlements dans le cadre de la réforme administrative peuvent et doivent être des
actes juridiques normatifs des autorités exécutives. T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES
115
moyen important de la mise en œuvre des orientations prioritaires de la
réforme administrative.
Cela permettra non seulement d’unifier la plupart des procédures
administratives, mais aussi :
- d’améliorer le fonctionnement des organes d’administration, quel
que soit le territoire de laquelle ils se trouvent ;
- de renforcer le contrôle sur la régularité de l’activité administrative ;
- de préciser la responsabilité des fonctionnaires en cas de violation
des dispositions relatives aux procédures administratives ;
- d’établir des garanties pour protéger les droits et intérêts de l’État et
de ses citoyens dans l’exercice des activités administratives.
Cependant, il semble évident que l’efficacité de la mise en œuvre des
règlements administratifs ne peut être atteinte seulement par des réformes
relatives à l’organisation et à l’information (délais et lieu d’exécution,
informations à fournir). Par conséquent, le droit doit répondre aux questions,
principalement conceptuelles, qui se posent, comme celle d’une délimitation
plus claire de l’exécution des services et des autres fonctions de l’État, et
celle de définir les sujets de réglementation, les objets des règlements, etc.,
tant au niveau fédéral qu’au niveau régional31.
Ce critère suppose, bien sûr, le respect des règles établies dans la
doctrine de la technique juridique. La réglementation des procédures
administratives doit être conforme à des exigences telles que la cohérence et
l’unité, la précision et la clarté de l’énoncé, l’impérativité des prescriptions32.
Le non respect de ces exigences est l’une des principales causes connues des
barrières administratives.
Un autre critère de délimitation des procédures administratives et des
obstacles administratifs est l’unité systémique des procédures administratives.
Les procédures administratives doivent être intégrées dans la conception
générale du développement de la législation dans son ensemble, et du droit
administratif en particulier33 ; l’expérience montre que l’introduction de
certaines procédures administratives n’est pas compatible avec la ligne
générale du développement du droit, ce qui réduit leur efficacité et, en
définitive, elles deviennent des barrières administratives.
À cet égard, les principes juridiques des procédures administratives ont
une grande importance en tant qu’institution du droit administratif. D’une
31
Pour plus de détails, cf. C. E. NARYCHKINE, T. Y. KHABRIEVA (dir),
Административная реформа в субъектах Российской Федерации [La réforme administrative
dans la Fédération de Russie], Moscou, 2008. 32
Pour plus de détails, cf. T. Y. KHABRIEVA, N. A. VLASENKO (dir.), Юридическая
техника [La technique juridique], Moscou, 2009. 33
Cf. T. Y. KHABRIEVA, Y. A. TIKHOMIROV (dir.), Концепции развития российского
законодательства [Les conceptions du développement de la législation russe], Moscou, 2010. 116
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
part, ils limitent le pouvoir discrétionnaire des fonctionnaires dans les
administrations publiques, d’autre part, ils assurent un maximum de
flexibilité dans l’application des droits et intérêts légitimes des personnes34
car elles sont l’instrument par lequel les valeurs constitutionnelles
s’incarnent dans les règles de droit régissant l’action administrative sous ses
différentes formes35.
La liste concrète et le contenu des principes des procédures
administratives dans l’activité des organes du pouvoir exécutif doivent être
déterminés à partir des principes des différentes branches du droit russe,
ainsi que des principes suivant lesquels se réalise l’action administrative.
Les principes du droit administratif n’ont pratiquement pas été
développés par la doctrine russe36, et aujourd’hui leur définition n’est pas
achevée. On relève parmi eux : la légalité ; le fédéralisme et l’unité du
système du pouvoir exécutif ; l’orientation sociale de l’activité des organes
et des fonctionnaires de l’administration publique ; le contrôle judiciaire de
toutes les autorités du pouvoir exécutif sans exception ; la réglementation
détaillée des procédures juridiques concernant les rapports entre les citoyens
et les sujets du pouvoir exécutif et la protection des droits de l’homme
contre l’arbitraire administratif; la prévisibilité ; la capacité d’anticipation ;
l’attention portée aux données scientifiques ; la systématicité, etc.37.
Se rattachent aux principes du fonctionnement de l’administration,
notamment : la résolution de toutes les affaires administratives, sur la base
de la législation existante, conformément aux procédures établies par les
règles administratives et procédurales ; l’égalité de traitement dans la
procédure de toutes les personnes impliquées, devant la loi et l’organe
compétent pour le règlement de l’affaire ; la transparence de la procédure
administrative ; la responsabilité de l’organe administratif (fonctionnaire) et
de ceux qui ont participé au traitement de l’affaire ; le bien fondé et la
34
Cf. M. O. EFREMOV, Административные процедуры как форма реализации
компетенции органов публичной власти во взаимоотношениях с частными лицами [Les
procédures administratives comme forme de mise en œuvre de la compétence de la puissance
publique dans les relations avec les individus], Moscou, 2005, résumé p. 19. 35
Cf. V. A. ZYUZIN, op. cit. p. 10. 36
Pour plus de détails, cf. K. S. BELSKY, « О принципах административного права » [Sur
les principes du droit administratif], Государство и право [L’État et le droit], 1998, n° 8, p. 7. 37
Cf., par ex. S. D. KNYAZEV, « Принципы российского административного права» [Les
principes du droit administratif russe], p. 29, in Административное и информационное право
(состояние и перспективы развития) [Droit administratif et droit de l’information (état et
perspectives de développement)], Moscou, 2003 ; S. R. AGAFONOV, M. G. SALNIKOV, E. V.
TREGOUBOVA, « Принципы реализации административных процедур и запретов в
исполнительной деятельности органов государственной власти » [Principes de la mise en œuvre
des procédures administratives et des interdictions administratives dans l’activité exécutive des
organes du pouvoir d’État], Административное и муниципальное право [Droit administratif et
municipal], 2009, n° 12. T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES
117
légalité de la procédure suivie et de la décision finalement prise ; l’efficience
et l’efficacité du processus, etc.38.
Dérivant de ceux qui précèdent, d’autres auteurs ont proposé les
principes suivants des procédures administratives : la légalité ; la primauté
des droits et des intérêts légitimes ; l’ouverture, l’accessibilité, la nécessité
et la concentration de l’action ; la coordination des procédures ; le bienfondé des décisions ; etc.39.
Ainsi, les principes des procédures administratives doivent-ils guider
les organes du pouvoir exécutif pour assurer :
- l’analyse complète et objective, sous tous leurs aspects des
problèmes et des tâches de l’application correcte de la loi ;
- les conditions nécessaires de la réalisation des droits, des intérêts
légitimes et des obligations des personnes physiques et morales ;
- le développement des principes démocratiques dans l’administration,
la participation de la société civile et la prise en compte de l’opinion
publique ;
- la coopération avec les autres organes de l’État et les personnes
physiques et morales usagers des services ;
- l’économie d’effort, d’argent et du temps de travail des
fonctionnaires ;
- la mise en œuvre du principe de la responsabilité de chaque organe
du pouvoir exécutif et dirigeant pour leurs missions40.
Le troisième critère est le critère de l’utilité des procédures
administratives. Formulé par M. M. Speranski au début du XIXe siècle dans
l’« Introduction au Code des lois de l’État », il s’exprime dans la formule
suivante : « La loi doit être utile à tout le monde ». Le critère de l’utilité des
procédures administratives peut être adapté en paraphrasant l’économiste
Wilfredo Pareto : elles doivent améliorer la position au moins d’un sujet de
droit privé, sans pour autant compromettre la position des autres.
38
Cf., par ex. P. I. KONONOV, Административный процесс в России: проблемы теории
и законодательного регулирования [Le fonctionnement de l’administration en Russie : problèmes
de théorie et de réglementation juridique], Kirov, 2001, p. 41 ; I. V. PANOVA Административнопроцессуальное право России [Droit administratif processuel de la Russie], Moscou, 2003, p. 35 ;
V. D. SOROKIN, Административно-процессуальное право [Droit administratif processuel],
Saint-Pétersbourg, 2004, p. 209. 39
Cf., par ex. Y. A. TIKHOMIROV, E. V. TALAPINA, « Административные процедуры и
право » [Les procédures administratives le droit], Журнал российского права [Revue de droit
russe], 2002, n° 4, p. 5 ; A. K. ECKSTEIN, « Административная процедура – основа
административного процесса » [La procédure administrative comme base du fonctionnement de
l’administration], Конституционное право: восточноевропейское обозрение [Droit
Constitutionnel : panorama de Europe de l’Est], 2002, n° 4, p. 147 ; S. R. AGAFONOV, M. G.
SALNIKOV, E. V. TREGOUBOVA, op. cit. 40
Pour plus de détails, cf. C. E. NARYCHKINE, T. Y. KHABRIEVA (dir.)
Административная реформа в России [La réforme administrative en Russie], Moscou, 2006. 118
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Le quatrième critère est la formation et le développement de
l’environnement du marché. Il s’applique aux procédures qui sont liés aux
marchés de tout type, de monopole ou hautement concurrentiel, qu’il
s’agisse du marché des services de logement, du marché des services
publics, du marché des métaux précieux, de l’automobile, de l’aviation, du
marché du travail ou, enfin, ce que certains appellent le marché politique41.
Par exemple, selon les experts de la Banque mondiale, on peut
considérer que la masse critique de réformes visant à créer les conditions du
marché pour les entreprises est atteinte quand les petites entreprises
représentent 40 % de l’emploi total. Dans les pays développés, cette
proportion est dépasse généralement 50 %. Les petites entreprises sont un
stimulant important pour la croissance économique, l’emploi, la création
d’un environnement concurrentiel. Mais, contrairement aux grandes
entreprises, elles sont plus sensibles aux barrières administratives. Ce n’est
donc pas par hasard que, dans les pays développés et les pays à économie en
transition, on prévoit des mesures spéciales pour réduire le fardeau
administratif pour les petites entreprises42.
Dans la distinction des procédures et des barrières administratives le
cinquième critère déterminant est la faisabilité des procédures
administratives. À bien des égards elle est due à la qualité des textes des
actes juridiques qui établissent des procédures administratives, à l’efficacité
de l’application de la loi, au niveau de sensibilisation aux questions
juridiques et de la culture juridique des citoyens. Mais les ressources
(financières, matérielles, organisationnelles, informationnelles, etc.)
consacrées à l’application du droit ne sont pas un facteur moins important.
Le sixième critère est la correspondance des dépenses aux résultats
attendus. En évaluant les procédures administratives nécessaires, on doit
distinguer une évaluation quantitative et une évaluation qualitative. Dans le
premier cas, on peut prendre comme mesure de la performance les coûts et
des indicateurs physiques et matériels (dépenses pertes financières et les
coûts des ressources humaines et matérielles mises en œuvre etc.).
L’évaluation qualitative, construite sur la base d’indicateurs quantitatifs,
suppose d’évaluer, en fonction de l’ensemble des procédures administratives
mises en œuvre, le développement économique et social, l’amélioration de
41
James Buchanan, prix Nobel d’économie, définit la politique comme un produit qui se vend
lui-même (cf. J. BUCHANAN, in Нобелевские лауреаты по экономике [Les lauréats du prix
Nobel en économie], Moscou, 1987. 42
V. plus, L. A. ISTOMIN, G. V. GERMANOVICH, S. F. PYATKINA, Малое
предпринимательство: как снизить административные барьеры? Зарубежный опыт [Les
petites entreprises : comment réduire les barrières administratives ? Expériences étrangères],
Moscou, 2003. T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES
119
l’efficacité administrative de l’État et de la confiance du public envers l’État
en général et les différentes administrations, etc.
L’application de ce critère ne peut pas se limiter à relever les
indicateurs qualitatifs de l’efficacité ou de l’inefficacité des procédures ou
bien des évaluations quantitatives en ce qui concerne, par exemple, le coût
de leur exécution et de la garantie de leur exécution. Le fait est que les
défauts des procédures administratives n’apparaissent qu’au bout d’un
certain temps, mais beaucoup d’entre elles sont inefficaces à long terme.
Pour évaluer les procédures administratives, on peut utiliser
l’évaluation prédictive et rétrospective de l’efficacité de leur action.
L’évaluation prédictive est possible au stade de la préparation du projet de
loi, ou d’autres actes normatifs, instituant une nouvelle procédure
administrative. Effectuer une telle évaluation nécessite de se doter d’une
base statistique suffisamment précise pour pouvoir faire des prévisions. Non
moins importante est l’utilisation de l’évaluation rétrospective des
procédures administratives existantes, à partir de l’analyse pendant un
certain temps de leur application, ainsi que des effets qu’elles produisent.
Le septième critère est la correspondance des procédures
administratives aux objectifs de leur utilisation. L’application du droit est un
système complexe de liens et de rapports concernant la substance des
normes, les procédures, l’organisation, les techniques, la psychologie et
d’autres encore. Ce système peut contribuer à la réalisation des objectifs de
la législation. Mais il peut aussi fausser ces objectifs, lorsque
l’administration leur substitue des exigences légales qui réduit l’efficacité de
la réglementation.
La complexité de ce critère est déterminée par la multiplicité des
objectifs qui sont poursuivis en cours de la mise en place d’une procédure.
Les questions des objectifs du développement du droit et de la
législation ont toujours été au centre de l’attention de la science juridique43.
Selon la théorie classique, on doit tenir compte de différentes catégories
d’objectifs, selon qu’ils se rapportent à la fonction et à l’objet, ou qu’ils sont
d’ordre matériel et juridique44. Toutefois, il est nécessaire de dégager un
43
Cf., par ex. R. VON JHERING, Der Zweck im Recht, Leipzig, 1877 ; Цель в праве [Le but
dans le droit], Saint-Pétersbourg, 1881; D. A. KERIMOV, « Категория цели в советском праве »
[Le but comme catégorie dans le droit soviétique], Правоведение [Jurisprudence], 1964, n° 3 ;
V. K. ORLOV, A. I. EKIM, « Цель в норме социалистического права » [Le but dans la norme du
droit socialiste], Правоведение [Jurisprudence], 1968, n° 5 ; E. S. SAMOCHENKO, V. I.
NIKITINSKY, « Цели правовых норм – масштаб оценки их эффективности » [Les buts des
normes juridiques, mesure de leur efficacité], Уч. зап. ВНИИСЗ [Notes scientifiques VNIISZ],
Moscou, 1969, vol. 19, p. 52 ; M. MIKHAILOVA, Цел и целесъобразност в правото [Le but et
l’intérêt en droit], Sofia, 1983 ; L. D. CHULYUKIN, Природа и значение цели в советском праве
[La nature et l’importance des objectifs dans la législation soviétique], Kazan, 1984, not. 44
V. K. KUDRYAVTSEV, V. I. NIKITINSKY, I. S. SAMOSCHENKO, V. V. GLAZYRIN,
Эффективность правовых норм [L’efficacité des normes juridiques], Moscou, 1980, p. 36. 120
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
objectif général, qui manifeste au présent l’expression idéale de ce qui doit
être par l’effet de la loi45.
Les buts des procédures administratives sont souvent d’ordre non
juridique, bien que certains d’entre eux soient directement formulés dans les
actes, qui établissent les procédures. Dans leur évaluation, on doit se
concentrer non seulement sur la légalité des demandes de l’administration,
la légalité des comportements ou des actions des personnes, mais aussi sur
les résultats tangibles des procédures administratives. La complexité de
l’utilisation de ce critère est due aux contradictions entre l’intérêt public, les
intérêts des groupes et les intérêts individuels.
Néanmoins, ce critère permet d’éviter l’excès de formalisme. Le service
ne devrait pas être refusé en raison de la non-conformité à la forme (par
exemple, de la demande), si l’objectif peut être atteint sans la respecter. À
cet égard, dans de nombreux États on définit un ensemble minimum de
documents nécessaires à la fourniture d’un service. Le citoyen n’est pas
obligé d’établir les conditions que l’administration peut connaître à raison de
ses attributions. Dans la Fédération de Russie, cette obligation de
l’administration a été inscrite pour la première fois dans la Loi fédérale du
27.07.2010 n° 210-FZ « Sur les services fournis par l’État et les collectivités
locales »46.
Comme le huitième critère, on peut considérer la conformité des
procédures administratives aux attentes de la société. De nombreuses
procédures administratives ne sont pas comprises par la société, dans son
ensemble ou bien par certains groupes sociaux, en raison non seulement
parce qu’elles ne correspondent pas aux attentes de la société, mais aussi en
raison de la faible information du public sur leur contenu ou le manque de
justification des actes auxquelles elles conduisent. Des études sociologiques
sont nécessaires aussi bien sur la phase de l’élaboration des actes que sur
celle de leur application.
Pour l’État de droit moderne, la question de la transparence du
gouvernement est primordiale. La transparence dans l’information
gouvernementale permet aux citoyens d’avoir une représentation adéquate et
de se former un jugement critique sur l’état de la société et du gouvernement
russes, et renforce l’efficacité et l’efficience du contrôle du public sur leurs
activités. La transparence des autorités à tous les niveaux, la disponibilité
réelle de l’information sur les décisions qu’ils prennent, sur leur activité
actuelle n’est pas seulement un élément indispensable d’une communication
45
V. les détails, T. Y. NASYROVA, T. Y. KHABRIEVA, Телеологическое (целевое)
толкование советского закона [L’interprétation téléologique (selon le but) du droit soviétique],
Kazan, 1988, pp. 13-27. 46
RL FR. 2010, n° 31, art. 4179. T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES
121
constante et fiable entre les citoyens et leurs représentants dans les structures
du pouvoir, mais aussi du fonctionnement efficace de celles-ci.
La Loi fédérale du 9 février 2009 n° 8-FZ « Sur l’accès à l’information
sur les activités des organes de l’État et des collectivités locales »47 établit
les principes suivants pour la mise en œuvre du droit à l’information sur les
activités des organes du pouvoir :
1) la transparence et l’accessibilité des informations sur les activités des
organismes gouvernementaux et les autorités locales, excepté les cas prévus
par la loi fédérale ;
2) la sincérité des informations sur les activités des organes de l’État et
des collectivités locales et la rapidité de leur mise à disposition ;
3) la liberté de rechercher, de recevoir, de communiquer et de diffuser
des informations sur les activités des organes de l’État et des collectivités
locales par tout moyen légal ;
4) le respect des droits des citoyens à l’inviolabilité de la vie privée, de
l’intimité personnelle et familiale, à la protection de leur honneur et de leur
réputation, du droit des organisations à la protection de leur réputation dans
les informations fournies par les organes de l’État et des collectivités
locales.
Une information ouverte est l’un des buts des mesures visant à créer ce
que l’on appelle le Gouvernement électronique, qui devrait s’appliquer aux
relations garanties entre les citoyens et les pouvoirs publics en tout lieu et à
tout moment.
L’utilisation de formulaires électroniques peut grandement accélérer et
simplifier la prestation des services publics, faciliter l’accès des citoyens et
des organisations, ainsi que réduire les coûts de l’administration dans
l’exercice des fonctions qui s’y rapportent.
Ces procédés permettent d’accéder à des projets de lois et de
règlements et aux citoyens de participer à leur discussion avant leur
adoption finale. Des lois qui l’organisent ont été adoptées dans plus de 70
pays48.
Le passage à la technologie électronique – la dématérialisation des
procédures administratives – est un aspect important de la simplification des
formalités administratives dans la relation « citoyen – administration ».
En raison de la numérisation de la vaste gamme d’informations
détenues par les organes du pouvoir exécutif, on peut obtenir une réduction
significative des coûts de diffusion des documents pour faciliter la
47
RL FR. 2009, n° 7, St. 776. Un examen détaillé de la législation du monde entier et des liens vers le texte intégral des
dispositions sont inclus dans le rapport d’une organisation internationale : Privacy International:
Freedom of Information and Access to Government Records Around the World, par D. BANISAR
(http://www.freedominfo.org/survey.htm). 48
122
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
participation à la réglementation d’un nombre significatif d’intervenants et
d’experts, ce que n’était jamais possible auparavant.
Il semble que l’augmentation de la transparence des organes du pouvoir
exécutif permettrait d’atteindre plusieurs objectifs. Le premier est de rendre
l’État russe plus démocratique, plus ouvert envers les citoyens. Le second
est d’accroître l’efficacité de l’appareil d’État. L’expérience mondiale
montre qu’un pouvoir opaque et, par conséquent, irresponsable, est
inefficace. Et enfin, le troisième objectif consiste en l’établissement d’un
contrôle du public sur le gouvernement, ce qui augmentera la responsabilité
des agents de l’État et des collectivités locales pour leur activité, rendra plus
efficace la lutte contre la corruption, le gaspillage, l’abus de position
officielle, car la transparence et la corruption sont incompatibles.
Il est clair que nous parlons des premières tentatives de formuler des
critères pour distinguer les procédures administratives nécessaires des
barrières administratives à éliminer. Il nous reste beaucoup de travail non
seulement à propos des bases théoriques de ces critères, mais aussi de leur
mise en œuvre pratique.
Différents critères tendant à déterminer quelles procédures
administratives peuvent constituer des barrières administratives sont utilisés
dans le mécanisme d’évaluation de l’impact des actes normatifs. Le
« format » du nouveau module d’analyse est programmé par l’Arrêté du
Gouvernement du 15 mai 2010, n° 336 « Sur la modification de certains
actes du Gouvernement de la Fédération de Russie ». L’arrêté exige que,
pendant la préparation des actes normatifs, on étudie soigneusement tous les
effets et les risques possibles de l’introduction de la réglementation ; les
conséquences positives et négatives ; qu’on évalue les coûts pour le budget
et pour les entreprises et les consommateurs. Et, ce qui est le plus important,
si la nouvelle réglementation est réellement de nature à résoudre le problème
auquel elle est censée répondre.
L’évaluation de l’impact de la réglementation concerne les domaines
suivants :
- l’organisation et la mise en œuvre des contrôles (inspections) de
l’État ;
- établir, appliquer et faire respecter les obligations relatives aux
produits ou des procédés (y compris les recherches), à la fabrication, la
construction, l’installation, l’application, l’entretien, l’entreposage, le
transport, la commercialisation et l’utilisation ;
- évaluation de la conformité ;
- la sécurité des processus de production.
Il est trop tôt pour parler de l’efficacité du mécanisme d’évaluation de
l’action réglementaire. Néanmoins, on peut noter une tendance positive. Au
Ministère du Développement économique a commencé à fonctionner le
T. Ia. KHABRIEVA : PROCÉDURES ET BARRIÈRES ADMINISTRATIVES
123
Département de l’évaluation d’action réglementaire. Les méthodes de la
préparation des avis sur les projets de lois et des actes réglementaires se
perfectionnent49. En particulier, depuis 2011, on mène des enquêtes dans les
régions, ce qui augmente sans aucun doute le niveau général de l’expertise50.
Toutefois, il est nécessaire de surmonter les limites de la méthode
d’évaluation de l’impact des normes. Comme le montre l’analyse des avis,
celles-ci sont en grande partie un produit de l’analyse économique. Des
critères juridiques et sociologiques sont rarement utilisés ou insuffisants, ce
qui appauvrit le contenu de l’évaluation de l’impact des normes.
L’élaboration de nouvelles méthodologies intégrées pouvant être mises
en œuvre pour améliorer la législation demeure ainsi une tâche actuelle. Elle
doit notamment contribuer à la rationalisation des procédures administratives
et à l’élimination de barrières administratives excessives.
49
http://vvww.economy.gov.ru/minec/about/structure/depRegulatingInPI=1&WCM_Page.
ba829c0043dd990bb210b6ca0b86d358=l 50
Décision du 22 décembre 2011, affichée sur le site officiel du Ministère du développement
économique. Cf. Information sur la prise en compte des points de vue régionaux dans la préparation
par le Ministère du développement économique de la Russie des avis sur l’évaluation de l’impact
des normes, http://www.economy.gov.ru/minec/about/structure/depregulatinginfluence/doc2010122
2_07. COMMENT SURMONTER LES BARRIÈRES
ADMINISTRATIVES ?
Analyse juridique comparative
Vladimir I. LAFITSKY
INTRODUCTION : APPROCHE D’UN PROBLÈME
L’un des objectifs principaux de la pratique législative des dernières
décennies est la réduction du niveau des barrières administratives faisant
obstacle à la réalisation de droits et de libertés constitutionnels, au
développement politique, économique et social.
Le problème de la réduction de barrières administratives est
constamment au centre de l’attention des organisations internationales : on
élabore des recommandations, on évalue des mesures au niveau national, on
identifie des facteurs qui influent sur leur mise en œuvre.
Le problème de la réduction des barrières administratives est traité par
de nombreuses organisations internationales, y compris l’Union
Européenne. Ainsi la directive 2006/123/ES du Parlement européen et du
Conseil de 12 décembre 2006 sur les services dans le marché intérieur
appelle à éliminer les barrières à la libre prestation des services dans les
États membres de l’Union. Dans ce cas, on souligne la nécessité de la
« sécurité juridique » (legal certainty) dans l’exercice de ces droits et
libertés (art. 5).
Néanmoins, la tâche de la réduction des barrières administratives est
loin d’être résolue. L’une des raisons en est qu’il est extrêmement difficile
de trouver la limite qui sépare les procédures administratives des barrières
administratives. Elle est très mobile. Des procédures administratives peuvent
se transformer en barrières administratives. D’un autre côté, les barrières
administratives commencent au cours du temps à être perçues comme des
126
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
procédures administratives nécessaires qui régissent les relations dans la
société et assurent sa sécurité.
Les initiatives de réduction des barrières administratives causent
souvent la résistance des structures bureaucratiques. Sans un soutien public,
elle ne peut pas être surmontée. Mais bon nombre de propositions n’est pas
accepté en raison de la complexité du langage juridique ainsi que de la
distance entre les autorités et la société.
Chaque État est à la recherche de sa façon de surmonter les barrières
administratives. Et pourtant il existe des tendances générales qui peuvent
distinguer les tendances suivantes.
I. LA DÉRÉGLEMENTATION
L’une des tendances majeures est la déréglementation. Cela ne signifie
pas l’abandon de la réglementation mais la comprend dans le cadre des
restrictions minimales qui sont nécessaires pour protéger l’État et la société,
les collectivités territoriales et professionnelles, personnes physiques et
morales.
Un nombre croissant de pays se détourne des pratiques législatives
imposant des réglementations trop détaillées.
En particulier dans le domaine économique, on utilise des standards ou
des normes techniques qui réglementent de manière minutieuse les produits
et services. Mais, de plus en plus, on a recours à des directives où sont
principalement formulés des principes de solutions techniques, des résultats
attendus et des exigences de la sécurité de produits et services.
La déréglementation est également réalisée sous la forme de la délégation
des fonctions aux organismes d’autoréglementation. Les associations des
producteurs de biens et de services élaborent les règles dont beaucoup sont
approuvés par les autorités administratives compétentes.
De plus en plus se répand largement la pratique « corporative » des
règlements qui sont adoptés par les grandes corporations. Par exemple, au
sein du groupe Siemens il existe un grand nombre d’actes locaux. À titre
d’exemple on peut citer le document : « Standardisation, réglementation
technique et évaluation de conformité : principes généraux ».
La déréglementation présente un certain nombre d’avantages :
- Le processus de l’élaboration et de l’harmonisation de la législation
devient moins laborieux ;
- On donne aux textes juridiques une plus grande flexibilité qui
répond au processus continu de renouvellement des relations sociales ;
- On assure pour la société et les citoyens une plus grande liberté
d’action sous réserve des règles de responsabilité.
V. I. LAFITSKI : COMMENT SURMONTER LES BARRIÈRES ADMINISTRATIVES ? 127
En plus, pour ce qui concerne notre sujet – le niveau de barrières
administratives réduit sensiblement.
Par conséquent, nous considérons ce mécanisme en détail.
L’Union Européenne a choisi la voie de la déréglementation. Et ce
n’était pas en raison de la question de la complexité de l’harmonisation des
solutions ou des difficultés de l’élaboration de standards détaillées pour
l’ensemble des biens et services, mais pour favoriser la liberté d’entreprise
et d’autres activités. Par conséquent, on a choisi une voie différente – celle
d’élaborer des directives pour les catégories appropriées de biens (services)
en termes nettement définis : « exigences essentielles à la santé et la
sécurité ».
Cependant, avec des directives nouvelles, l’Union Européenne élaborait
des standards traditionnels sous la forme de « spécifications techniques »
pour les produits particuliers.
On observe la même tendance à remplacer les directives par des
standards ou des actes d’un autre niveau (y compris les actes des
organisations d’autoréglementation) non seulement dans les États de l’Union
européenne, qui suivent les lignes générales de sa politique juridique, mais
aussi dans d’autres pays à travers le monde. Particulièrement, aux ÉtatsUnis, les standards adoptés par les autorités publiques ne concernent, pour
l’essentiel, que les produits, qui exigent des mesures de sécurité d’une
importance particulière pour la société en général. Un exemple en est
l’énergie. La réglementation et le contrôle dans ce domaine relèvent de
nombreux organes : Ministère de l’Énergie, Ministère du Commerce,
Ministère du Travail, Ministère des Transports, Ministère de l’Agriculture,
de l’Agence pour la protection environnementale, Commission de
réglementation de l’énergie atomique, Commission de commerce
interétatique, Corps des Ingénieurs du Génie de l’Armée américaine.
Dans ce domaine, le rôle essentiel appartient aux gouvernements des
États. Ce contrôle croisé (de la Fédération et des États) assure un niveau
suffisamment élevé à la sécurité énergétique. Les États-Unis ne
reconnaissent pas les standards de l’énergie adoptés dans d’autres pays. Les
produits importés doivent respecter les normes pertinentes des autorités
fédérales et étatiques.
Un autre exemple d’un règlement assez strict est celui des technologies
de l’information, relevant de la compétence de la Commission Fédérale de
Communications (FCC). Cette réglementation a été développée sur la base
des normes de la Commission électrotechnique internationale (y compris
son Comité spécial international des perturbations radioélectriques).
Le même niveau de contrôle est conservé pour des médicaments.
L’Administration de l’alimentation et du médicament, qui relève du
Ministère de la Santé et des Services sociaux, élabore des standards pour
128
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
répondre aux exigences de l’Organisation mondiale de la santé (en
particulièrement, au standard de « pratiques convenables de la production de
produits pharmaceutiques »).
En général, il convient de noter que la politique de déréglementation a
un impact significatif presque partout sur la nature changeante et la
réduction de la fréquence des différentes inspections et autres formes du
contrôle par les autorités administratives. Elle est ainsi considérée comme
l’une des principales orientations des politiques visant à surmonter les
barrières administratives.
II. LA RÉDUCTION DE PROCÉDURES D’OCTROI DE LICENCE ET
DES HARMONISATIONS
Dans tous les pays étrangers, on applique les licences pour protéger
l’intérêt public, sauvegarder l’environnement, protéger des consommateurs,
etc. Dans certains pays, le nombre total de licences, permissions,
approbations monte de plusieurs centaines à plusieurs milliers, en affectant
négativement la dynamique du développement économique et social.
En cours de recherche de la solution à ce problème de nombreux États
ont établi des mécanismes permanents de surveillance des barrières et
contraintes administratives.
Ainsi, on a introduit aux Pays-Bas la méthode du monitoring
MISTRAL (Meetinstrument Administratieve Lastendruk). À l’aide de cette
méthode on a constaté que, pour la période 1993 à 1998, les coûts
administratifs des entreprises néerlandaises ont augmenté de 5,9 milliards à
7,6 milliards d’euros. Sur la base de ces données, le gouvernement
néerlandais a pris certaines mesures pour réduire le fardeau. En 2002, ils ont
diminué de 25 %.
Notamment, on a utilisé les mesures suivantes. On a limité les
obligations de production d’informations à transmettre aux autorités
administratives. On a normalisé les formulaires, ce qui a permis d’adresser
les mêmes documents à des instances administratives différentes. On a
largement mis en œuvre des technologies de l’information qui facilitaient la
recherche documentaire et les écritures. Le Gouvernement a aboli ou
simplifié les procédures les plus lourdes. En particulier, on a révisé les actes
réglementaires, qui établissaient les procédures de collecte d’informations.
Le Gouvernement a raisonnablement jugé que « le résultat est plus
important que la procédure pour y parvenir ».
En Belgique, une loi adoptée en 1998 a autorisé l’Agence de
simplification des procédures administratives à développer un système
d’évaluation et réduction du fardeau des procédures administratives. En effet
V. I. LAFITSKI : COMMENT SURMONTER LES BARRIÈRES ADMINISTRATIVES ? 129
on a introduit un « tableau de bord » spécial, qui permet d’évaluer la charge
administrative.
En Norvège, en 1997, une loi a été adoptée qui a prévu la mise en place
d’un Répertoire des obligations des entreprises pour la présentation de leurs
comptes.
Aux États-Unis, on a adopté la Loi sur la réduction des écritures, qui a
autorisé l’OMB (Office of Management and Budget) à surveiller le
fonctionnement des procédures administratives.
Les décisions de liquidation, de simplification ou d’unification des
procédures d’attribution de licences, ou les obligations d’harmonisation,
s’inscrivent généralement dans le cadre de programmes gouvernementaux.
En général, elles sont fondées sur les principes suivants :
- les licences et les obligations d’harmonisation ne doivent être
imposées que dans les cas où il existe un risque évident pour l’intérêt
public ;
- on ne doit pas demander ultérieurement des certificats, permis,
approbations, s’il n’y a aucun doute sur les capacités des candidats ;
- les exigences relatives aux capacités des candidats doivent être
déterminés en tenant compte principalement d’un seul facteur – la conduite
des affaires sans compromettre l’intérêt public ;
- les exigences relatives aux informations à fournir et aux procédures
doivent être limitées aux objectifs mentionnés ci-dessus.
Ainsi, aux Pays-Bas l’application de ces principes a permis en 1998 de
supprimer plus de 500 procédures de licences, permis et autorisations, en
vertu des règles de la Direction générale de la vérification.
En Belgique, en 2000, l’Agence pour la Simplification Administrative a
entrepris une étude de toutes les procédures existantes relatives à
l’établissement des entités commerciales. Sur cette base, on a organisé
l’introduction de la procédure unique d’enregistrement des personnes
morales dans certaines branches de l’économie.
En Pologne depuis 1999 on a réduit de 30 à 8 les catégories d’activités
économiques pour lesquelles des permis sont requis.
Depuis 2000, la France a mis en œuvre plusieurs initiatives visant à
réduire les procédures de licences, permis et approbations, ce qui a rendu
possible la réduction de leur nombre total de plus d’un quart.
Au Mexique, en janvier 2002, on a établi le Système d’Ouverture
Rapide de l’Entreprise (Sistema de Apertura Rapida de Empresas). Il permet
de réduire le nombre de procédures exigées par les offices fédéraux
d’enregistrement des entreprises commerciales. À présent, il y a seulement
deux procédures d’enregistrement : en tant que contribuable et en tant
qu’entité juridique. Des personnes morales sont enregistrées en quelques
jours (un jour pour les entrepreneurs individuels). Mais la nouvelle entité
130
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
doit, dans les trois mois suivant l’enregistrement, s’acquitter de toutes les
autres formalités, mais très simplifiées, exigées en vertu de la loi fédérale.
Le « guichet unique » est devenu l’un des moyens les plus efficaces
pour réduire les procédures de licences et d’approbation. Cette mesure est
utilisée pour l’enregistrement des nouvelles entreprises et pour résoudre les
problèmes courants liés à leurs activités, pour fournir des services publics
aux personnes physiques, pour le traitement des demandes des personnes
physiques.
L’introduction du principe de « guichet unique » a de nombreux
avantages. Il facilite l’ouverture et la conduite des entreprises, réduit le
temps et l’argent nécessaires à la recherche des informations et à la
coordination des questions, fournit un meilleur niveau de déclaration des
entreprises et de leur interaction avec des autorités de régulation et de
surveillance.
Dans la pratique des pays étrangers on utilise plusieurs modèles. Ils
peuvent être généraux et spécialisés : pour des petites et moyennes
entreprises, pour des industries spécifiques, pour les questions relatives à la
fourniture de certains services, etc.
Par exemple, en Irlande, en 1998 a été crée l’Office pour les entreprises
(Enterprise Ireland), qui fournit des services principalement aux petites
entreprises engagées dans la production et l’exportation de marchandises.
L’Office fonctionne selon le principe de « guichet unique », offrant un
ensemble d’informations et de services sur l’organisation et la conduite des
affaires.
En Italie, il existe depuis 1999 l’Agence de développement régional et
des affaires (Sviluppo Italia). Elle regroupe les institutions créées
antérieurement pour soutenir et encourager l’activité entrepreneuriale. Une
de ses activités est d’attirer les investissements et d’améliorer l’efficacité de
leur utilisation.
En Grèce, en 1997, une agence spécialisée pour attirer les
investissements étrangers a été créée sur le principe de « guichet unique »
(ELKE).
Il convient de noter l’expérience du Mexique où les structures
pertinentes sont établies dans des structures non étatiques, mais des
organismes publics, principalement dans les chambres de commerce (par
exemple, Chambre de commerce de la ville de Mexico).
Le principe de « guichet unique » est le plus largement utilisé pour
résoudre les questions de licences. Par exemple, en Australie on a créé un
service d’information sur les licences des entreprises (BLIS), qui fournit
toutes les licences, permis et autorisations, dont les services sont installés à
tous les niveaux de gouvernement – national, régional (États) et locaux.
V. I. LAFITSKI : COMMENT SURMONTER LES BARRIÈRES ADMINISTRATIVES ? 131
Selon certaines estimations, l’introduction de « guichet unique » a réduit de
10 à 15 fois le coût de ces formalités.
Les offices similaires pour faciliter l’ouverture de business opèrent en
France (Centres d’établissement de la documentation des entreprises), en
Espagne, au Luxembourg et dans plusieurs autres États.
III. AMÉLIORATION DE LA QUALITÉ DES RÈGLEMENTS
ADMINISTRATIFS ET DES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES
L’exemple classique est celui des États-Unis. Dans ce pays, le
développement des actes administratifs est effectué en vertu des règles
générales établies par la Loi sur les règles de la procédure administrative. En
particulier, elle prévoit les exigences suivantes. Les organismes compétents
doivent publier dans le Registre des actes fédéraux (Federal Register) les
informations sur le développement de projets des actes réglementaires. Les
entreprises et les organisations intéressées peuvent soumettre leurs
suggestions et commentaires pour les projets publiés et participer aux
audiences publiques. Les actes réglementaires peuvent prendre effet au plus
tôt 30 jours après leur adoption (art. 553 du titre 5 du Code des lois des
États-Unis).
Les procédures similaires sont établies dans beaucoup d’autres pays
(Grande-Bretagne, Canada, Allemagne, Suède, Norvège, Danemark, etc.).
Aux États-Unis, on a adopté en 1980 la Loi sur la réduction des
écritures. La loi a établi dans le cadre de l’Administration du Président un
Bureau spécial de l’information et de la gestion. La responsabilité du Bureau
est d’évaluer la charge des actes administratifs pour la société, y compris les
entreprises. Le Bureau analyse les projets d’actes des ministères fédéraux. Si
le Bureau refuse de les approuver, ils ne peuvent pas être adoptés par le
ministère ou l’organe qui les a préparés. Comme on l’a déjà indiqué, tous les
projets d’actes administratifs doivent être antérieurement publiés. Il convient
de souligner qu’ils sont publiés avec la note et le numéro de la décision du
Bureau de leur approbation.
L’approbation du Bureau de l’information et de la gestion n’est valable
que pour trois ans. Après cette période un acte valide doit être réévalué. Le
projet de décision est publié 30 jours avant l’entrée en vigueur, ce qui
permet aux parties intéressées d’exprimer leurs objections ou suggestions.
S’il est nécessaire on tient les audiences publiques, qui sont largement
rapportées dans les médias.
De nombreux pays ont adopté des mesures spécifiques pour réduire les
délais de l’adoption des actes. Par exemple, en Italie, la Loi de procédure
132
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
administrative de 1990 prévoit que le terme de la décision après la demande
de personnes physiques et morales ne peut excéder trois mois.
Aux Pays-Bas, le terme ne peut excéder quatre semaines. Seulement
dans des cas exceptionnels, il peut être prolongé de quatre semaines.
En Espagne, la Loi de procédure administrative prévoit une période
maximale de prise de la décision de six mois.
Ces dernières années, de nombreux États ont sensiblement simplifié les
procédures de décision sur requêtes et plaintes des personnes physiques et
morales (Loi sur la procédure administrative de Grèce de 1999, Loi
française du 12 avril 2000, etc.).
Certains d’entre eux ont introduit l’institution des « décisions
implicites » dans lesquelles « le silence vaut consentement ». Cette
institution est établie par la Loi sur la procédure administrative en Italie, la
Loi fédérale sur les procédures administratives du Mexique, etc. Elle est
appliquée en France seulement dans les cas expressément prévues par la loi ;
dans les autres cas, le silence de l’administration vaut décision implicite de
rejet, que l’on peut contester1.
Dans de nombreux pays, après les États-Unis, les projets des actes
règlementaires sont coordonnés avec les représentants du monde des
affaires. Une attention particulière est portée à la terminologie de la
réglementation administrative. Ainsi, en France en 2001, a été formé un
Comité d’orientation pour l’amélioration du langage administratif. Aux
États-Unis on a créé un site spécialement conçu pour aider les gens à
comprendre les textes des procédures administratives.
Dans certains pays on a adopté les Chartes de services publics. Par
exemple, en Corée depuis 1998 à l’initiative du Ministère de la gestion
publique et des affaires intérieures (MOHAGA) a commencé le processus de
l’élaboration des chartes de services publics avec une description détaillée
des critères, des procédures de prestation, des mesures visant à protéger les
droits des consommateurs de services publics.
En Corée, deux fois par an, sont organisées des conférences nationales où
des représentants d’organisations non gouvernementales présentent leurs
propositions pour l’amélioration des procédures administratives, l’élimination
et la réduction des barrières administratives.
Au Danemark, depuis 1996, les enquêtes sont menées auprès de 500
représentants d’entreprises sur certaines questions de gestion dans le
domaine de l’entrepreneuriat, qui sont compilées et publiées.
Dans la plupart d’États, on a formé des organes spéciaux qui
coordonnent les efforts du gouvernement pour réduire les charges
administratives.
1
Pour les détails, cf. l’article de P. CASSIA, p. 195 et s. V. I. LAFITSKI : COMMENT SURMONTER LES BARRIÈRES ADMINISTRATIVES ? 133
En France en 1998 a été fondée une Commission sur la simplification
des procédures administratives. Elle présente un rapport annuel au Premier
ministre sur la conduite de ces réformes. Il rend compte chaque année au
Premier ministre sur l’exécution de ces réformes. Des fonctions similaires
ont été données à l’Agence pour la simplification des procédures
administratives de la Belgique.
En 2000, la Commission fédérale du Mexique a été crée pour améliorer
la gestion (COFEMER). En Corée, en vertu de la loi de 1997 a été crée une
commission de réforme de la gestion. En 2000, le Gouvernement néerlandais
a créé le Comité consultatif pour évaluer la charge administrative (ACTAL).
Dans l’amélioration des réglementations et procédures administratives
revêt une importance particulière compte tenu de l’introduction à grande
échelle des technologies de l’information. Ainsi, en France, la Commission
sur la simplification des procédures administratives est prévue en 1998 un
programme d’action national pour fournir des services publics par Internet.
En octobre 2000, on a donné l’accès libre aux 1000 des 1600 formulaires
administratifs existants, questionnaires, exemples d’applications, etc. En
2006, presque tous sont devenus disponibles.
L’accès par Internet est aussi largement assuré aux documents
administratifs dans d’autres pays, ce qui peut non seulement réduire les
barrières administratives, mais aussi réduire considérablement les dépenses
administratives. Par exemple, en Corée, l’économie des fonds publics de
l’introduction des technologies de l’Internet est d’environ $ 100 millions par
an.
On crée des portails intégrés et spécialisés. Ainsi, le portail du
gouvernement américain intégré permet d’accéder à l’un des 20 000 sites
d’agences et ministères fédéraux et d’obtenir gratuitement une information
sur un large éventail de questions.
Il convient de noter un autre avantage des technologies de
l’information. Ils permettent aux investisseurs de prendre conscience de ce
qui se passe au sein du gouvernement. Il ajoute certainement la
« crédibilité » auprès des autorités réglementaires.
Sur les sites Web du gouvernement et des organes administratifs sont
publiées les informations nécessaires aux personnes physiques et morales.
Par exemple, au Danemark, un portail gouvernemental présente les
avantages offerts aux entreprises en précisant les règles administratives
existantes et les conditions. En Australie, on a effectué des recherches qui
ont montré que les technologies de l’Internet peuvent économiser en
moyenne une à deux heures pour obtenir des informations sur un sujet
d’intérêt pour les investisseurs).
Une autre forme des technologies d’Internet est l’échange par l’Internet
des rapports, des mémos et d’autres documents, que les entreprises, les
134
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
organisations et les citoyens devraient fournir aux organismes de régulation
ou de contrôle. Par exemple, en Hollande, le Bureau fiscal, le Service de la
sécurité sociale et le Service national des statistiques ont élaboré des
standards communs pour de tels documents.
En outre, aux Pays-Bas on a achevé la mise en place d’un système
unique d’échange d’informations entre les entreprises et les administrations.
Cela contribue à une réduction considérable (jusqu’à 50 %) du niveau des
barrières administratives existantes.
Dans la plupart des pays industrialisés on achève la mise en place des
registres uniques d’entreprises sur l’Internet. Par exemple, en Australie on a
établi le Registre australien des entreprises basé sur une utilisation des
numéros d’identification unique des organisations commerciales dans toutes
les institutions gouvernementales.
Dans de nombreux pays, à travers l’Internet on réalise les contrats
administratifs sur la fourniture des biens et services. Par exemple, en Italie,
il existe un système centralisé de passation des marchés publics (Consip
S.p.A), qui relève du Ministère de l’économie et des finances. Un système
similaire fonctionne en Belgique, en France, au Canada et dans plusieurs
autres États.
IV. LA CRÉATION D’AGENCES SPÉCIALISÉES POUR
PROMOUVOIR LES ENTREPRISES INNOVANTES ET LES PROJETS
À IMPACT SOCIAL, LES ENTREPRISES PETITES ET MOYENNES
L’orientation principale suivante est la création d’institutions
spécialisées pour promouvoir des entreprises innovantes et des projets à
impact social, les entreprises petites et moyennes.
Une attention particulière devrait être donnée à l’expérience de la
France. Un rôle clé est joué par les Centres Régionaux d’Innovation et de
Transfert de Technologie. Elles établissent un lien entre des institutions
scientifiques et éducatives, des centres de recherche et de laboratoires, d’un
côté, et les structures d’entreprise, de l’autre côté.
Les objectifs d’une telle interaction sont imposés sur les organismes
gouvernementaux et leurs bureaux régionaux. Parmi eux, on doit relever
l’Agence nationale pour la recherche, l’Association nationale des techniques
de recherche, l’Agence de l’Environnement et de l’énergie, l’Agence pour la
diffusion de l’information technologique.
Une attention particulière devrait être accordée à l’Agence nationale
pour la recherche crée en 2005 pour financer des projets de recherche des
entités publiques, ainsi que privées. Dans bien des égards il ressemble à une
Fondation Scientifique Nationale des États-Unis. En 2006, l’Agence a été
V. I. LAFITSKI : COMMENT SURMONTER LES BARRIÈRES ADMINISTRATIVES ? 135
dotée de 800 millions d’euros pour des projets de recherche dans un spectre
très large, y compris la recherche interdisciplinaire.
Une expérience également intéressante est celle de l’Agence pour
l’évaluation de la recherche et l’enseignement supérieur, qui est chargé de
contrôler les activités de recherche des établissements d’enseignement
supérieur. Chaque année, l’Agence prépare un rapport sur le secteur
scientifique d’État en France. La loi organique sur les lois de finances
(2001) impose la transparence des comptes publics aussi dans le domaine de
la science, et donc à l’ANR.
En 2005, le Groupe OSEO a été formé par la fusion de l’Agence
nationale pour la valorisation de la recherche et de la Banque du
développement des entreprises petites et moyennes. Son objectif est de
fournir un soutien financier dans les phases les plus critiques de
l’innovation : la création d’entreprises innovantes, le développement
d’innovation dans la production, etc. Le Groupe dispose d’un vaste réseau
de bureaux régionaux.
Au niveau régional, la fonction de coordination est effectuée par les
Centres de développement technologique et les Délégations régionales pour
la recherche et la technologie, en collaboration étroite avec le Ministère de
l’enseignement supérieur et de la recherche.
Au niveau local, la politique d’innovation est mise en œuvre par les
centres d’excellence, de nombreux départements de l’Institut Carnot, ainsi
que des centres scientifiques et éducatifs, publics comme privés.
Un autre modèle est introduit en Irlande. La mission de promouvoir le
développement économique est effectuée par des organismes tels que
l’Agence pour l’investissement et le développement (Investment and
Development Agency), le Conseil national politique et consultatif pour les
entreprises, le commerce, les sciences, la technologie et l’innovation (The
National Policy and Advisory Board for Enterprise, Trade Science,
Technology and Innovation), Ministère de l’entreprise, du commerce et de
l’emploi (Department of Enterprise, Trade and Employment, abrégée –
Enterprise Ireland), l’Agence pour l’enseignement supérieur (The Higher
Education Agency), etc.
On effectue la recherche de nouvelles structures organisationnelles
d’aide aux entreprises. Récemment, selon une instruction du Premier
ministre on a créé une unité spéciale pour l’innovation (Innovation
Taskforce). Ses tâches principales : l’évaluation des options pour développer
l’innovation et la commercialisation des innovations ; expansion de la base
des produits du renseignement national ; l’élaboration de recommandations
sur l’approfondissement de la coopération entre les entreprises privées et les
institutions et organismes gouvernementaux ; l’élaboration de
recommandations sur l’amélioration de la législation.
136
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
De nombreux pays européens essaient de construire un système de
promotion de l’innovation à trois niveaux. On peut remarquer l’expérience
du Royaume-Uni. À présent, l’organe responsable du développement
économique est le ministère du commerce, de l’innovation et de la formation
(Department for Business), de l’Innovation et des Compétences (BRI).
Au niveau régional les objectifs de promouvoir le développement
économique sont poursuivis par les Agences de développement régional
(Regional Development Agencies Act 1998) au nombre de neuf2.
Les objectifs de ces organismes régionaux sont :
(1) encouragement du développement économique et revitalisation du
territoire ;
(2) promotion de l’efficacité de la conduite des affaires,
d’investissements, de la compétitivité du territoire ;
(3) action sur l’emploi ;
(4) faciliter l’acquisition et l’application des compétences nécessaires à
l’emploi ;
(5) contribution à la réalisation du développement durable du
Royaume-Uni, dans la mesure où cela est possible dans un territoire donné.
Les agences régionales, avec l’accord du Secrétaire d’État, peuvent
attribuer une aide financière, fournir des lotissements à un prix inférieur au
prix de marché, prendre (former, acheter) des parts dans le capital social. En
plus des agences régionales, il existe aussi des Agences indépendantes de
développement d’Irlande du Nord, d’Écosse, du Pays de Galles, rattachées
aux assemblées régionales.
Un système à trois niveaux pour promouvoir le développement
économique s’est ainsi construit dans de nombreux pays du monde entier,
également en Suède avec l’agence nationale d’investissement, des autorités
régionales et municipales, ou en Espagne.
Dans ce cadre une attention particulière est accordée à la promotion des
entreprises petites et moyennes. Plusieurs études montrent que la charge
financière des entreprises petites et moyennes pour l’exécution des
procédures administratives en proportion du nombre de travailleurs
employés est environ cinq fois plus élevée que pour les grandes entreprises.
Ces faits sont un témoignage éloquent de la nécessité de prendre des
mesures spéciales pour aider les entreprises petites et moyennes.
On peut distinguer plusieurs approches pour résoudre ces problèmes.
La première approche consiste à apporter une assistance aux petites et
moyennes entreprises dans la mise en œuvre des procédures formelles et des
conditions établies par la loi.
2
Ces agences viennent d’être supprimées, début 2011, par le gouvernement Cameron (NdlR). V. I. LAFITSKI : COMMENT SURMONTER LES BARRIÈRES ADMINISTRATIVES ? 137
La seconde approche se fonde sur la suppression ou la simplification
des formalités et des conditions, ce qui les rend moins lourdes pour les
petites et moyennes entreprises.
La troisième approche est celle de la création d’organes spéciaux
destinés à examiner et à protéger les intérêts des petites et moyennes
entreprises (aux États-Unis - Small Business Administration, au RoyaumeUni - Services pour les petites entreprises, etc.).
Dans certains pays, on a adopté des programmes nationaux visant à
promouvoir les entreprises petites et moyennes et des lois complexes
régissent ce segment de l’économie nationale. Ainsi, aux États-Unis, en
1996, on a adopté la Loi sur l’ « administration équitable de la petite
entreprise ». Au Royaume-Uni à l’initiative du gouvernement, a été mis en
œuvre un ensemble de mesures d’encouragement aux petites entreprises (en
particulier, la simplification des comptes annuels pour les entreprises de
moins de 50 salariés).
En Australie, en 1996, a été fondé le Service de la déréglementation des
petites entreprises. Au moment de sa création, les petites entreprises
consacraient en moyenne 16 heures par semaine à des tâches administratives
exigées par la réglementation.
En conclusion, il est nécessaire d’étudier l’expérience des pays
étrangers pour surmonter les barrières administratives. Bien sûr, tous les
mécanismes et outils ne sont pas applicables à la réalité russe. En particulier,
on doit faire preuve de prudence en matière de déréglementation. Dans les
conditions d’un faible développement des institutions de la société civile, la
déréglementation peut avoir des effets très négatifs. D’un autre côté, dans la
pratique des pays étrangers, on peut trouver de nombreux mécanismes
universels et des instruments qui s’appliquent indépendamment des
différences dans l’ordre économique et politique. Et ce sont eux qui doivent
inspirer le législateur.
II
ACTES ADMINISTRATIFS ET DÉCISIONS
ADMINISTRATIVES
EN RUSSIE ET EN FRANCE
LES ACTES ADMINISTRATIFS EN RUSSIE :
NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION
Aleksandr F. NOZDRATCHEV
I. LA NOTION D’« ACTE ADMINISTRATIF »
Dans la doctrine russe du droit administratif, il est généralement admis
que les actes administratifs représentent la forme principale et la plus
significative de réalisation des missions, objectifs et fonctions du pouvoir
exécutif. Par le biais de ces actes, les organes du pouvoir exécutif (ou leurs
fonctionnaires) dans le cadre de leur compétence :
- définissent les missions ;
- prescrivent les mesures ;
- édictent les règles de conduite ;
- attribuent les droits ;
- imposent les obligations ;
- modifient ou abrogent les relations de droit administratif ;
- prévoient les sanctions.
De cette manière, les actes administratifs sont directement « incorporés »
dans le système d’administration et dans les procédures administratives
internes correspondantes des organes du pouvoir exécutif.
Des termes différents ont été utilisés jusqu’à aujourd’hui dans la
doctrine russe du droit administratif : « acte d’administration », « acte
juridique d’administration », « acte juridique de l’organe du pouvoir
exécutif », « décision administrative », « acte de décision administrative »
etc1. Ce n’est que dans la dernière période, avec la révision de l’appareil
1
V. par ex. R. F. VASILIEV, Правовые акты органов управления [Les actes juridiques des
organes administratifs], Moscou, 1970, p. 5 ; ibid., Акты управления (значение, проблемные
исследования, понятия) [Les actes d’administration (leur importance, les problématiques, les
notions)], Moscou, 1987, p. 3, et plus récemment : L. L. POLOVA / M. S. STUDENIKINA (dir.),
Административное право: Учебник [Droit administratif. Manuel], Moscou, 2008, p. 237 (chap. 8,
142
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
conceptuel du droit administratif russe que l’on commence à utiliser des
termes nouveaux : « acte d’administration publique », « acte juridique
administratif », « acte exécutif » et « acte administratif », aussi bien pour des
actes individuels que pour des actes à caractère réglementaire des organes
du pouvoir exécutif2.
Avec le changement de l’objet du droit administratif russe et des
relations qu’il régit, il convient de reconnaître que le rejet du terme « acte
d’administration » est justifié. À notre avis, il est préférable de favoriser
l’emploi du terme « acte administratif » pour désigner, en tant
qu’institutions juridiques, les actes des organes du pouvoir exécutif.
Précisément le terme « acte administratif » exprime avec le plus de
netteté l’expression de la puissance publique par l’organe du pouvoir
exécutif, à la fois expression de volonté et manifestation extérieure de celleci – c’est l’acte par lequel il exécute les fonctions qui lui sont imparties par
les prescriptions juridiques et avec l’objectif de produire des effets
juridiques dans les relations de droit administratif correspondantes.
L’avantage du terme « acte administratif » consiste en ce que même
sémantiquement il démontre sans ambiguïté l’action volontaire et la
manifestation d’autorité de l’organe du pouvoir exécutif dans le cadre de sa
mission administrative et réglementaire.
L’emploi du terme « acte administratif » a également une signification
non moins importante au niveau international et comparatif, car ce terme est
le plus universel et le plus largement utilisé dans la doctrine du droit
administratif des pays étrangers. Les juristes français ont joué et jouent
toujours un rôle éminent pour la théorie des actes administratifs du droit
administratif russe, et parmi eux notamment : Jean-Marie Auby, Guy
Braibant, Pierre Delvolvé, Léon Duguit, Georges Dupuis, Marie-José
Guédon, Maurice Hauriou, Benoît Jeanneau, Gaston Jèze, Jean-François
Lachaume, Letourneur, Georges Vedel, Yves Petit, Paul Roubier et d’autres.
Cette dénomination ne contredit pas le fait que les actes administratifs
peuvent être de nature juridique et avoir des effets juridiques différents :
par M. V. GALKINA) ; Y. N. STARILOV (dir.), Общее административное право: Учебник
[Droit administratif général], Voronej, 2007, (chap. 11, par Y. N. STARILOV).
2
Y. A. TIKHOMIROV, Курс административного права и процесса [Cours de droit et de
contentieux administratifs], Moscou, 1998, p. 137 ; D. N. BAKHRAKH, Административное
право: Учебник [Droit administratif. Manuel], Moscou, 1996, p. 157 ; D. N. BAKHRAKH / S. D.
KHAZANOV, Формы и методы деятельности государственной администрации [Formes et
méthodes de l’activité de l’administration publique], Ekaterinbourg, 1999, p. 7 ; O. V. TOKAREV,
Администратвиные акты: материальные и процессуальные проблемы современной теории
[Les actes administratifs : problèmes matériels et processuels de la théorie contemporaine], thèse,
Voronej, 2001 ; F. F. YAKHIN, Действие административно-правовых актов [L’effet des actes
juridiques administratifs], thèse, Moscou, 2004.
A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION
143
actes réglementaires, qui conditionnent l’apparition de relations de droit
administratif stables trouvant leur fondement dans la loi ; ou actes
individuels déterminent l’apparition des relations concrètes de droit
administratif.
La nature juridique des actes administratifs peut donc varier. Ils
peuvent être de nature réglementaire, individuelle, et certains sont
« mixtes ».
La valeur juridique des actes administratifs en tant qu’expression de
leur « subordination » à d’autres actes est également différente. Selon ce
critère, ils forment un système hiérarchique complexe au sein duquel la
place de l’acte est strictement conforme à celle de l’organe du pouvoir
exécutif l’ayant édicté dans l’appareil d’État et à sa compétence.
Les actes administratifs se distinguent par domaine de leur action. Ils
peuvent produire leur effet seulement dans les limites d’un territoire défini,
ne concerner que certaines personnes et se différencier par leur objet.
Mais ce qu’ils ont en commun justifie que l’on puisse les regrouper au
sein d’une même catégorie d’actes des organes du pouvoir exécutif, sous
l’appellation commune d’« actes administratifs ». Selon les caractéristiques
communes qui les unissent, les actes administratifs :
- émanent des organes du pouvoir exécutif de l’État et, par conséquent,
ont le caractère d’actes de la puissance publique de l’État. Leur exécution
est obligatoire pour tous les sujets auxquels ils s’adressent ;
- ne peuvent être édictées qu’en fonction de la compétence, matérielle
ou territoriale, de l’organe du pouvoir exécutif, déterminée par la
Constitution ou par la loi ;
- se rapprochent par leurs modalités d’adoption et leurs formes
juridiques.
Les formes des actes administratifs normatifs sont spécifiques et variées
(arrêté, décision, ordre, instruction, directives, etc.). Mais, dans la majorité
des cas, il est impossible de définir la nature juridique d’un acte
administratif par sa forme.
On peut reconnaître à tous les actes administratifs comme catégorie
spécifique d’actes juridiques un certain nombre de caractéristiques
communes qui permettent de les distinguer au sein du système juridique.
Le terme « actes administratifs » permet de saisir la totalité des actes
des organes du pouvoir exécutif et de les différencier en fonction des
relations sociales, des missions, des objectifs dont ils sont chargés et de les
relier organiquement aux autres mesures prises par les organes du pouvoir
exécutif.
Les termes « du droit » (ou : « juridique ») dans la dénomination des
actes administratifs apparaît superflue. Toutes les démarches et toutes les
relations des organes du pouvoir exécutif sont régies par le droit. Ces
144
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
autorités fonctionnent dans les conditions du régime du droit, et
« l’outillage » principal de leur activité revêt inévitablement un caractère
juridique. La réglementation juridique des moyens d’action des organes du
pouvoir exécutif, qui s’expriment dans les actes administratifs, est une
composante obligatoire de ce régime.
Dans la doctrine du droit administratif russe, jusqu’à présent, il n’y a
pas de réponse précise à la question de savoir si les organes du pouvoir
exécutif ont un pouvoir exclusif d’édicter des actes administratifs ou si de
tels actes peuvent également émaner d’autres sujets exerçant certaines
fonctions dans le domaine de l’administration publique. Ainsi, la Banque
Centrale de Russie ne fait pas partie du système des organes fédéraux du
pouvoir exécutif, mais en même temps, elle constitue un organe
d’administration de l’État. Pour les questions relevant de sa compétence :
l’organisation de la circulation monétaire et les règlements par
compensation (clearing), l’application de la politique monétaire et du crédit,
l’exécution des opérations bancaires, la surveillance des activités des
établissements de crédit etc., la Banque Centrale de Russie édicte aussi bien
des actes définissant des normes, que des actes établissant des rapports
concrets de droit. Comme tous les actes administratifs des organes du
pouvoir exécutif, les actes de la Banque Centrale de Russie ne peuvent pas
contredire les lois fédérales et sont obligatoirement enregistrés par le
Ministère de la justice. Cela signifie que les actes de la Banque Centrale de
la Russie ont toutes les caractéristiques génériques des actes administratifs.
Le pouvoir exécutif en Russie possède une structure à deux niveaux : le
niveau de l’État (les organes du pouvoir exécutif) et le niveau local
(municipal). Au niveau des collectivités locales, sont institués des organes
exécutifs de caractère non étatique, car les organes des collectivités locales
ne font pas partie du système des organes du pouvoir exécutif.
L’administration locale est l’autorité exécutive et gestionnaire de la
collectivité locale. Par les dispositions des statuts de la collectivité locale,
elle est investie du pouvoir de régler les questions d’importance locale et du
pouvoir d’exercer certaines fonctions de l’État déléguées aux organes des
collectivités locales par les lois fédérales et les lois des sujets de la
Fédération de Russie.
La capacité d’édicter des actes administratifs concernant les questions
relevant de leurs attributions constitue l’élément indispensable de la
compétence de l’administration locale. Les actes administratifs de
l’administration locale peuvent déterminer des droit et obligations des
fonctionnaires de la collectivité locale, les conditions de procédure relatives
à la fourniture des services communaux et à l’exercice de ses pouvoirs. Il
n’est pas rare que l’on trouve dans des actes administratifs municipaux des
interdictions : interdiction de l’activité d’entreprises commerciales
A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION
145
produisant de l’alcool ou du tabac la nuit ; interdiction des décharges dans
les limites d’agglomération ou dans les territoires interstitiels, etc. Les actes
administratifs des administrations locales concernant les droits, les libertés
et les obligations de l’homme et du citoyen entrent en vigueur après leur
publication officielle.
De cette manière, la notion des « actes administratifs » englobe aussi
bien les actes juridiques des organes du pouvoir exécutif et d’autres autorités
publiques exerçant leurs fonctions dans le domaine de l’administration
publique, que les actes juridiques des administrations locales. Les actes
administratifs des collectivités locales forment le premier degré du système
général des actes administratifs en Fédération de Russie et possèdent un
objet propre, des limites spécifiques et une base normative. Sur la base de la
loi, ils constituent des actes juridiques unilatéraux, adoptés par l’organe de
la collectivité locale (ou son chef) qui établissent, modifient ou abrogent les
normes juridiques locales, ou servent à établir, modifier ou interrompre les
rapports juridiques d’ordre municipal nécessaires à la réalisation des
missions et des fonctions de la libre administration locale. Du point de vue
de leur nature juridique, de leur valeur juridique et de leur protection, les
actes administratifs des collectivités locales sont reconnus et étudiés par la
doctrine russe comme des actes des pouvoirs publics (N.A. Antonova,
O.V. Koudriakova, E.I. Koliouchine, T.S. Maslovskaïa, A.N. Postovoï,
E.C. Chougrina, notamment).
II. PRINCIPAUX CARACTÈRES D’UN ACTE ADMINISTRATIF
Nonobstant les différences entre les actes administratifs au niveau de
leur nature et de leur valeur juridique, ils possèdent certains caractères
« génériques » inhérents, par lesquels ils se distinguent dans la hiérarchie
des actes juridiques et occupent une place définie.
La forme. La législation définit précisément la forme des actes
administratifs, à laquelle on ne peut déroger. Les organes du pouvoir
exécutif ne peuvent édicter que les types des actes qu’ils sont habilités à
adopter. Ces types d’actes sont précisés concrètement soit par la loi, soit par
le règlement concernant l’organe etc. Tous les autres actes des organes du
pouvoir exécutif édictés sous une autre forme ne sont pas des actes
administratifs et n’ont pas le caractère de droit.
Le rattachement. Les actes administratifs concernent les activités
exécutives et font partie des principaux moyens de droit de leur organisation
et de leur exercice pratique, d’où il résulte que leur édiction est strictement
conditionnée par la compétence de l’organe du pouvoir exécutif établie aussi
bien par la loi, que par un acte du pouvoir exécutif. La compétence est à la
146
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
fois une référence normative et une restriction juridique. Un acte
administratif ne concernant pas un objet entrant dans les attributions d’un
organe du pouvoir exécutif ou dépassant les limites de sa compétence est
entaché d’ « incompétence » et ne peut être exécuté.
Afin d’assurer la compétence d’un acte administratif, l’organe du
pouvoir exécutif est tenu de vérifier lui-même, sans le concours du
procureur, les limites de ses attributions du point de vue matériel,
fonctionnel et territorial. Un acte administratif adopté par une instance
incompétente est entaché d’incompétence et passible d’annulation.
Propriétés et caractéristiques formelles du document. Un acte
administratif est un document fixant des informations sous la forme d’un
texte, destiné à être communiqué dans le temps et dans l’espace afin de
régler les affaires concrètes qui se présentent à l’occasion du fonctionnement
des organes du pouvoir exécutif. L’idée affirmant qu’un acte administratif
est « …un document écrit … », ne reflète pas toute la spécificité des
activités des organes du pouvoir exécutif. L’un des aspects de la spécificité
des actes administratifs est le mode d’expression des informations qu’ils
comprennent. Pratiquement dans 100 % des cas, il peut être exprimé par
écrit, mais il peut également l’être en forme orale, aussi bien que par des
signaux, des gestes etc. Néanmoins, dans tous les cas, c’est la langue
normative qui est inhérente à l’acte administratif, les termes du droit, le
respect des règles supérieures et les références propres à chaque acte.
La puissance publique. L’acte administratif exprime de manière
unilatérale la volonté de l’organe du pouvoir exécutif sur un sujet défini par
la loi ou par un acte normatif de l’organe hiérarchique supérieur du pouvoir
exécutif. L’acte administratif est une forme de résolution d’un problème
administratif. L’essence de cette solution administrative peut consister en
l’établissement, la modification ou l’abrogation d’une norme juridique, ou
de dispositions concrètes de caractère exécutif et administratif sans l’accord
du destinataire de l’acte. « À l’aide de ces actes, émanant de la volonté qui
se forme au sein de celui qui, par une manifestation psychique se tourne vers
l’extérieur, l’expression de la volonté est capable de produire un effet
juridique déterminé »3.
L’organe du pouvoir exécutif (ou le fonctionnaire) adopte seul et de
manière indépendante, guidé seulement par la loi et les prescriptions d’actes
réglementaires subordonnés à la loi, ainsi que par les données de fait, l’acte
administratif et contrôle son exécution.
L’autorité et l’indépendance de l’organe du pouvoir exécutif (du
fonctionnaire) dans la préparation et l’adoption de l’acte administratif ne
3
S. S. ALEXEEV, Общая теория права [Théorie générale du droit], Moscou, 1981, vol. 2,
t. 1, p. 194.
A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION
147
sont pas l’expression de l’arbitraire administratif. L’acte administratif peut
être contesté ou reconnu illégal ou nul, donc privé d’effet, selon les
modalités extrajudiciaires ou judiciaires établies par la législation (cf not.,
art. 253.2 du Code de Procédure civile de la Fédération de Russie).
Légalité (légitimité). L’essence de la légalité (de la légitimité), ou plutôt
de la subordination à la loi des actes administratifs est définie par les
formules juridiques suivantes. Les actes sont toujours adoptés :
- « conformément à la Constitution et aux lois », ils sont donc liés par
les normes supérieures ;
- « sur la base et pour l’exécution d’une loi », ils ont donc pour but
l’exécution de la loi ;
- « dans les limites des droits établis par la loi », la loi en fixe donc
aussi la limite ;
- « dans les cas prévus par la loi », l’acte administratif ne peut donc
intervenir que pour les motifs prévus par la loi ;
- dans le respect des limites et des exclusions prévues.
Aucun acte administratif ne peut abroger ou modifier une loi. Si un acte
administratif est contraire à une loi, c’est la loi qui est appliquée, tandis
qu’une loi peut abroger ou suspendre l’effet d’un acte administratif. De cette
manière, la loi représente à la fois la base et le cadre pour les actes
administratifs. Le même rôle est joué par les actes administratifs
« hiérarchiquement supérieurs » (par exemple, les actes du Gouvernement)
contenant les normes et créant les droits et les obligations qui s’imposent
aux organes visés du pouvoir exécutif. C’est pourquoi l’essence de la
légalité se résume en ce que les actes administratifs sont édictés sur la base
et en exécution de la loi et d’autres sources « légales » du droit.
Les actes administratifs peuvent être édictés par les organes du pouvoir
exécutif sur la base et en exécution non seulement des lois, mais également
des instructions (ordres – prikaz, prescriptions – rasporiajenie) des organes
supérieurs du pouvoir exécutif, lesquels, dans les limites de leur compétence
dans l’exécution de leur mission, sont dotés du pouvoir de formuler des
prescriptions dont l’exécution est obligatoire pour leurs destinataires.
Une norme législative (ou d’un acte administratif « hiérarchiquement
supérieur ») peut être la source d’une série de nouvelles normes infralégislatives, dont elle devient la « norme de base », « se dissoudre » en
éléments des normes d’actes exécutifs, servir de source d’interprétation et
d’application du droit, être porteuse de sanctions. Ainsi, l’article 18 (al. 7)
du Code de l’urbanisme de la Fédération de Russie prévoit que les modalités
de participation des citoyens de la Fédération de Russie et de leurs
groupements à la discussion et à la prise de décision en matière d’urbanisme
sont définies par des actes juridiques normatifs des organes des collectivités
locales conformément aux lois et actes réglementaires de la Fédération de
148
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Russie, ainsi que conformément aux lois et actes réglementaires des sujets
de la Fédération de Russie.
En même temps, la doctrine du droit administratif considère qu’il faut
éviter la surabondance de normes dans les actes administratifs (exécutifs),
car alors on risque de perdre « le sens de l’application de la loi » et d’ouvrir
la voie au « dépassement » de la loi, aux « dérogations » à la loi et à
« l’interprétation arbitraire »4.
Les motifs de droit et de fait. Les actes administratifs détaillent les
normes générales contenues dans la loi ou dans l’acte administratif
« hiérarchiquement supérieur ». Ils ont pour objet l’activité exécutive au
quotidien, dans sa dimension opérationnelle, diversifiée et réglant les
multiples aspects de la vie publique et sociale. Au moyen des actes
administratifs, le pouvoir exécutif réalise les droits et les obligations des
sujets auxquels s’adressent les activités administratives, règle les
comportements, satisfait ou rejette les demandes des personnes morales et
physiques, des fonctionnaires. Pour cette raison, les actes administratifs
doivent être fondés sur les motifs de droit et les motifs de fait prévus par la
législation et édictés au moment où ils sont nécessaires.
Existence d’une décision. Les actes administratifs sont édictés, pour
régler les questions déterminées par la loi, les règlements sur les organes et
d’autres actes, sous une forme qui correspond à la typologie (ou à la liste)
des questions ou des différentes missions de l’organe supérieur. Par son
contenu, un acte administratif est une décision administrative réalisant les
missions et les fonctions des activités exécutives et administratives d’un
organe du pouvoir exécutif.
Les organes du pouvoir exécutif adoptent ces actes dans le cadre de la
gestion opérationnelle quotidienne et de la réglementation des domaines et
branches économiques, socio-culturels, politico-administratifs et autres.
Seuls les actes administratifs peuvent contenir une décision
administrative. Uniquement dans ce cas celle-ci peut avoir des effets
juridiques sous la forme de :
- l’établissement (modification, abrogation) d’une norme juridique ;
- ou établissement (modification, cessation) d’un rapport juridique
concret relevant d’un organe du pouvoir exécutif.
Pour ces raisons, la présence d’une décision administrative doit être
considérée comme un indice essentiel et distinctif d’un acte administratif.
Il est généralement admis que la décision administrative est
l’expression juridique de l’autorité d’un organe du pouvoir exécutif fondée
4
Y. A. TIKHOMIROV, Теория закона [Théorie de la loi], Moscou, 1982, p. 222 ; ibid.,
Действие закона [L’action de la loi], Мoscou, 1992, р. 79 ; ibid. (dir.), Правоприменение:
теория и практика [L’application du droit : théorie et pratique], Мoscou, 2008, p. 90.
A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION
149
sur l’analyse et l’évaluation d’une situation administrative concrète, visant la
réalisation d’un objectif déterminé et prévoyant les moyens de sa
réalisation5. La décision de l’organe du pouvoir exécutif produit un effet
juridique parce qu’elle prend la forme juridique d’un acte administratif,
réglementaire ou individuel, édicté dans les limites de sa compétence. La
décision est préparée et validée selon les règles établies de procédure
administrative dans le but de réaliser des fonctions de l’administration
publique et de traiter des problèmes administratifs concrets.
Mais sans décision il ne peut y avoir d’acte administratif. Par ailleurs,
toute décision d’ordre administratif n’est pas un acte administratif. Ne peut
être considérée comme acte administratif que la décision prise dans les
formes, et présentant la totalité des caractères, d’un acte administratif.
Par leur contenu, tous les actes administratifs sont des décisions
administratives comportant dans leur essence les objectifs, les tâches, les
méthodes et les fonctions des organes du pouvoir exécutif. Les situations
administratives sont réglées au moyen d’actes administratifs.
Le pouvoir d’appréciation. Un acte administratif vise toujours à
résoudre au mieux les affaires et questions administratives à partir de
conditions concrètes. C’est pourquoi, un acte administratif est caractérisé
non seulement par le critère de la conformité à la loi (légalité), mais par le
pouvoir d’appréciation. Celui-ci ne signifie pas que tout est permis.
Les organes du pouvoir exécutif exercent leur pouvoir dans le cadre de
la Constitution de la Fédération de Russie et des principes constitutionnels et
ne sont pas en droit de prendre des décisions arbitraires. Les actes
administratifs doivent correspondre au sens général, à l’esprit et au but de la
législation. Ces restrictions à leur pouvoir d’appréciation dans la préparation
d’un acte administratif sont étroitement liées à l’obligation de l’organe du
pouvoir exécutif de motiver toute décision. Les actes administratifs
dépourvus de motifs, qui apparaissent déraisonnables, qui contiennent des
infractions grossières à la législation en vigueur ou aux principes généraux
du droit, qui portent atteinte au principe de légalité, ne sont pas l’expression
du pouvoir d’appréciation mais de l’arbitraire.
Caractère exécutoire. L’essence juridique d’un acte administratif
consiste en ce qu’il contient la réponse juridique obligatoire à un problème
administratif. Sans décision, l’acte administratif serait vide de sens.
Pourtant, certaines décisions de l’organe du pouvoir exécutif n’acquièrent
pas de portée juridique. Ne peut être considérée comme acte administratif
que la décision prise dans les formes et présentant tous les caractères d’un
acte administratif. Dans ce cas seulement elle est exécutoire, c’est-à-dire que
5
Y. A. TIKHOMIROV, Управленческое решение [Les décisions administratives], Moscou,
1972, p. 33.
150
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
son exécution s’impose directement à tous les sujets auxquels elle s’adresse.
L’exécution d’un acte administratif est garantie par les institutions
correspondantes de l’État qui, le cas échéant, ont recours à l’exécution
forcée.
Portée juridique. En fonction de leur nature juridique, les actes
administratifs établissent, modifient ou abrogent les normes juridiques, ou
ils établissent des relations concrètes de droit administratif comportant des
droits ou des obligations pour un sujet déterminé. Pour leur plus grand
nombre, les actes administratifs contiennent des décisions concrètes
(individuelles), se réfèrent à un cas défini (ou à un certain nombre de cas) et
dans cette qualité ils s’appliquent à des faits juridiques qui déterminent la
survenance, la modification ou la cessation de relations concrètes de droit
administratif.
Les actes administratifs de toute nature juridique peuvent constituer :
- la base juridique pour l’adoption d’autres actes administratifs
(inférieurs dans la hiérarchie des actes administratifs) ;
- le moyen d’une action en justice, qu’il s’agisse d’une instance devant
une cour constitutionnelle (ou cour instituée par le statut d’un sujet de la
Fédération)6, d’une cour d’arbitrage ou d’un tribunal de droit commun ;
- la condition de validité d’autres actes des organes du pouvoir exécutif,
y compris d’actes ne relevant pas de droit ou d’actes de droit civil (par
exemple, un contrat d’achat ou de vente).
Caractère officiel. Le caractère officiel d’un acte administratif
s’exprime en ce que la décision administrative correspondante de l’organe
compétent du pouvoir exécutif (par les fonctionnaires) est prise, non pas en
leur nom propre, mais exclusivement au nom de l’État. La volonté exprimée
dans un acte administratif est toujours la volonté de l’État.
Les actes administratifs sont préparés et édictés dans l’exercice du
pouvoir exécutif et des attributions de l’État qui s’y rattachent. De là
découle un autre caractère important des actes administratifs : ils sont
exécutoires parce qu’ils sont l’expression de la puissance publique.
6
NdT : les sujets de la Fédération n’ont pas tous le même titre pour des raisons historiques et
politiques ; notamment, certains portent le titre de République, et sont dotés d’une Constitution,
tandis que tous les autres sont dotés d’un statut. Il n’y a pas de différence de valeur juridique entre la
Constitution et le statut de sujets de la Fédération. Mais il en résulte que la juridiction
constitutionnelle porte selon les cas le titre de cour constitutionnelle ou de « cour statutaire ».
A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION
151
III. LES ACTES DES ORGANES DU POUVOIR EXÉCUTIF AUTRES
QUE LES ACTES ADMINISTRATIFS
Certains actes édités par les autorités du pouvoir exécutif ne sont pas
des actes administratifs. L’acte administratif se distingue obligatoirement
par la présence d’une décision concernant :
- l’établissement de normes juridiques ;
- la survenance, la modification ou la cessation de rapports juridiques
individuels ;
- la reconnaissance, la création ou la modification de situations
juridiques ;
- l’application de normes juridiques, la protection juridique d’intérêts
légitimes etc.
Les actes du caractère déclaratif, ainsi que les différents documents
préparatoires – notes, notices d’informations, vues d’ensemble, rapports etc.
ne peuvent pas être considérés comme des actes administratifs, étant donné
l’absence de la décision d’un organe du pouvoir exécutif.
On rejoint sans réserve la position de Max Gounelle, lequel, en traitant
des actes administratifs parmi les sources du droit public, les qualifie de
décisions exécutoires7. Les actes dépourvus de « caractère exécutoire » et,
par conséquent, n’apportant pas de modifications dans l’ordre juridique
existant, ne peuvent pas être considérés comme des actes administratifs.
Les déclarations, les interprétations, les conseils, les mémorandums et
les actes similaires de l’organe du pouvoir exécutif ne sont pas considérés
dans la théorie du droit administratif comme les actes administratifs, car ils
sont dépourvus du « noyau juridique », c’est-à-dire de la décision. Il en va
de même pour les promesses.
La théorie du droit administratif n’inclut pas non plus dans les actes
administratifs les différents documents édités par les organes du pouvoir
exécutif, notamment les cartes de service, lesquels, tout en ayant une
signification juridique, ne contiennent aucune décision concernant les
relations du droit, c’est-à-dire qu’ils ne les établissent, ni ne les modifient, ni
ne les abrogent. Ils ne font que documenter (certifier) certains faits.
Les documents dépourvus de signification juridique (les attestations et
les notes de services, les sténogrammes des réunions de service etc.) sont
des sources d’informations de service mais n’ont pas de portée juridique.
Néanmoins, les actes dépourvus de portée juridique et ne faisant pas
partie des actes administratifs peuvent servir de base à l’adoption d’actes
administratifs par les organes du pouvoir exécutif.
77
M. GOUNELLE, Введение в публичное право, Moscou, 1995, p. 239, traduit du français :
Introduction au droit public. Institutions, fondements, sources, 2e éd., Paris, Montchrestien, 1989.
152
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Jusqu’à présent, on a discuté dans la littérature juridique sur les
documents appelés « concepts », doctrines, lettres, communications,
consignes, instructions et autres documents de service par lesquels l’organe
du pouvoir exécutif communique aux autorités subordonnées les décisions
prises concernant le domaine de leurs activités. Il apparaît justifié de
considérer les lettres des ministères et départements comme des actes
administratifs si elles « modifient la situation juridique des subordonnés »,
c’est-à-dire si elles imposent certaines obligations, confèrent certains droits,
établissent des modalités d’action etc. Dans ce cas, elles peuvent faire objet
de recours administratifs ou de recours en justice.
Les instructions (directives) constituent un type spécifique d’actes
administratifs. Sont classées dans cette catégorie, les différentes instructions
émanant des organes du pouvoir exécutif en ce qui concerne l’exercice d’un
pouvoir discrétionnaires dans l’application de critères généraux à des cas
individuels. La théorie du droit administratif leur reconnaît une certaine
valeur juridique, mais cette position n’est pas admise par tous.
Il faut attendre ce que décideront les tribunaux à l’occasion de recours
portés devant eux, c’est-à-dire, s’ils assimilent ces documents à des actes
administratifs avec toutes les suites juridiques qui en découlent. Le
problème n’est pas si simple qu’il peut paraître à première vue. Elle a
soulevé des difficultés devant la Cour constitutionnelle de la Fédération de
Russie. Dans une décision du 14 juillet 2005, la Cour constitutionnelle a vu
dans un acte de vérification fiscale un acte d’application du droit8. Cette
position est cependant contestable. L’acte de vérification fiscale établit la
réalisation de certains faits juridiques, et sert de fondement (de motif) à
l’adoption d’un acte administratif, dans ce cas, en matière fiscale.
Bien que le terme « contrat (accord) administratif » ne soit pas employé
dans la législation russe, la pratique administrative utilise des contrats
administratifs : pour la délimitation des compétences, pour organiser une
coopération ou des actions communes, pour l’admission dans la fonction
publique etc.
Cependant, dans tous les cas, la passation du contrat administratif est
soumise à la décision ultime de l’organe compétent du pouvoir exécutif (du
fonctionnaire), expression unilatérale de la puissance publique, qui
sanctionne l’accord conclu. Cela signifie que le contrat administratif ne doit
être considéré que comme une variété d’acte administratif. Le nombre
d’expressions de volonté ne suffit pas à distinguer substantiellement le
contrat administratif de l’acte administratif, au point d’imposer leur
classement dans des catégories différentes. Le contrat administratif indique
seulement l’intensité des rapports entre l’organe compétent du pouvoir
8
RL FR 2005, n° 30 (partie II), art. 3200.
A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION
153
exécutif et les administrés, le degré de coopération entre organes du pouvoir
exécutif fondée sur leur proximité, qui permet de parvenir au meilleur
résultat juridique, la décision commune. Si le degré de l’interaction est plus
faible, le résultat de droit (la décision) est établi (communiqué) par l’organe
du pouvoir exécutif sous la forme de l’acte administratif unilatéral. De cette
manière, le nombre d’expressions de la volonté ne fait que différencier les
actes administratifs en unilatéraux, bilatéraux et multilatéraux, mais cela
signifie que le contrat administratif représente seulement une variété d’actes
administratif9.
Compte tenu de ces conclusions, on peut donner la définition suivante
de la notion d’acte administratif : un acte administratif est un acte juridique
unilatéral ou contractuel, édicté par l’organe du pouvoir exécutif sans
l’accord du destinataire ou avec son accord (dans le cadre du contrat),
n’engendrant pas de relations de droit privé entre les parties, mais
modifiant l’ordre juridique existant en affectant les droits ou obligations de
personnes physiques ou de personnes morales.
IV. LES FONCTIONS DES ACTES ADMINISTRATIFS
Les actes administratifs sont des documents officiels écrits émanant du
pouvoir exécutif, présentés selon une forme juridique définie, qui sont
l’expression de la puissance publique et qui régissent, dans les limites de la
compétence de leur auteur, des rapports sociaux. La vocation fondamentale
des actes administratifs est d’assurer la régulation des rapports avec
l’administration publique, en vue d’atteindre les objectifs et de réaliser les
missions de l’administration publique.
En cette qualité, les actes administratifs remplissent les fonctions
sociales importantes. Les objectifs, les tâches, les fonctions et les méthodes
du pouvoir exécutif se reflètent dans ces actes ; les organes du pouvoir
exécutif traitent ainsi des différentes questions et situations qu’ils ont à
résoudre.
9
Y. A. TIKHOMIROV / N. V. KOTELEVSKAÏA, Правовые акты [Les actes juridiques],
Moscou, 1995, p. 95 ; D. N. BAKHRAKH, Административное право: Учебник [Droit
administratif. Manuel], Moscou, 2000, p. 340.
154
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
V. LA PORTÉE DES ACTES ADMINISTRATIFS
La portée des actes administratifs est confirmée par le fait que la
compétence des organes du pouvoir exécutif englobe le domaine le plus
large des activités de l’État. Il s’agit de la réglementation des rapports :
- économiques ;
- budgétaires ;
- financiers ;
- de crédit et de monnaie ;
- en matière sociale ;
- en matière environnementale et de toute une série d’autres domaines.
L’adoption par les autorités du pouvoir exécutif des actes administratifs
n’est pas une action arbitraire, au jour le jour. L’acte administratif n’est
jamais seulement le règlement de la question concrète à laquelle il se
rapporte ; il doit aussi prendre en compte les missions générales dont
l’organe du pouvoir exécutif a la charge.
La proclamation des objectifs politiques, sociaux et autres est, dans une
certaine mesure, un trait caractéristique des actes administratifs. Les actes
administratifs comportent l’indication du but des mesures prises ou des
règles édictées. Par exemple, dans l’ordonnance du Ministère de la Santé de
la Fédération de Russie du 11 mai 2007, n° 325, « De l’approbation des
critères d’évaluation de la performance de l’activité des médecins
généralistes (médecins de famille), il est directement indiqué que
l’ordonnance vise à « poursuivre l’amélioration de l’organisation des soins
médicaux de premier niveau offerts à la population » ; et dans l’annexe de
l’ordonnance il est expliqué que l’ « objectif fondamental de l’introduction
de critères d’évaluation de la performance des médecins généralistes
(médecins de famille) était l’analyse de diagnostic, du travail de soin et de
prévention, d’organisation du quartier du médecin généraliste (médecin de
famille) des établissements de soin et de prévention en vue d’améliorer la
qualité des soins de premier niveau et le suivi de l’état sanitaire de la
population résidente ».
Les actes administratifs ont un caractère politique. Ils expriment
l’orientation de la politique administrative de l’État. Ils contribuent à définir
le régime (politique) de l’État, le contenu et les formes de l’activité des
organes du pouvoir exécutif.
La question d’actualité aujourd’hui est l’élaboration, l’adoption et la
mise en pratique par les organes du pouvoir exécutif d’une nouvelle
politique administrative conforme aux standards d’un État démocratique et
de droit. L’importance de l’élaboration de cette politique, son rôle dans le
respect des droits de l’homme, rendent nécessaire l’étude fondamentale de
son concept. Les principes des relations entre le pouvoir exécutif et les
A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION
155
citoyens, ainsi que les institutions de la société civile, doivent constituer le
cœur de la politique administrative.
Les actes administratifs sont des éléments constitutifs du système
juridique, dans lequel ils ont un rôle considérable.
Avant tout, ils remplissent des fonctions importantes au sein du
mécanisme de régulation juridique et d’action par le droit. Les actes
administratifs donnent vie à la loi.
Ils servent à la mise en pratique des lois et des décisions des organes du
pouvoir exécutif. L’essentiel de cette « mise en pratique » consiste en ce
que, par le biais des actes administratifs, les dispositions de la loi sont
portées à la connaissance des exécutants directs, et en ce qu’ils comportent
des mesures visant la réalisation de celles-ci.
La nécessité des actes administratifs résulte de l’insuffisance des
énoncés juridiques généraux face à la variété des situations concrètes et aux
intentions du législateur.
Les actes administratifs permettent de réglementer les aspects des
rapports sociaux qui s’avèrent trop concrets pour être traités dans des termes
généraux au niveau d’une loi. De cette manière, les actes administratifs
déchargent les lois des détails de « caractère technique ».
À défaut des actes administratifs, l’application de beaucoup de lois
serait une cause perdue, et ceci est lié au caractère inévitablement général
des normes contenues dans les lois. C’est pour cette raison que, ces derniers
temps, les lois sont adoptées en « bloc » avec les actes réglementaires
nécessaires à leur application, et cette pratique doit être chaleureusement
approuvée. Les actes administratifs peuvent ainsi être mis au point pendant
la préparation de la loi.
La qualité de l’application des lois, et donc de celle des mesures
d’application, leur efficacité sociale, dépendent dans une grande mesure de
la nature des actes administratifs adoptés et des résultats qu’ils permettent
d’obtenir. Les actes administratifs, en effet, peuvent aussi bien renforcer
qu’affaiblir la portée des dispositions législatives en influençant leur action.
Pour assurer l’application des lois, les actes administratifs doivent
introduire des détails importants concernant l’objet de la réglementation, la
procédure, les délais, etc. C’est pour cette raison, que la science du droit
administratif a toujours souligné l’importance des actes administratifs pour
l’application des lois. La phase de préparation des actes administratifs est
essentielle à cet égard, car c’est à ce moment que se décide l’efficacité de la
loi.
On doit donc rechercher les meilleures méthodes de préparation des
actes administratifs, sur la base d’observations scientifiques. Elles doivent
comporter une discussion de fond des questions les plus importantes avec
156
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
les citoyens, l’introduction d’expertises dans la préparation des décisions les
plus importantes, etc.
Les actes administratifs doivent répondre de manière rapide et
opérationnelle aux nouveaux besoins de la société qui apparaissent
spontanément. C’est un devoir des organes du pouvoir exécutif, représentant
l’État.
Par les actes administratifs, s’opère également la communication
directe entre l’administration et les administrés. Dans le système de
l’appareil d’État, les organes du pouvoir exécutif sont les plus proches des
problèmes nécessitant de nouvelles mesures, en raison de leur expérience
dans le domaine ou la branche de l’administration dont ils ont la charge.
Au moyen des actes administratifs, les organes du pouvoir exécutif
notifient aux destinataires les dispositions légales et organisent leur
exécution.
Les actes administratifs incorporent des connaissances et expériences
spécifiques (économiques, financières, d’enseignement et de formation, de
protection de la santé publique etc.), des connaissances approfondies sur des
questions spécialisées (par exemple ; la classification des marchandises en
vue du dédouanement et le contrôle des marchandises franchissant la
frontière douanière de la Fédération de Russie) ; ils sont le reflet des
relations réciproques entre les organes du pouvoir exécutif et les
destinataires d’une prescription normative, lesquelles résultent d’une
pratique sociale établie, formant la base de la réglementation juridique.
Tout comme les lois, les actes administratifs doivent partir de besoins
du développement social et se conformer à ses objectifs et missions. Selon la
Constitution de la Fédération de Russie (art. 7), ils doivent viser « la
création des conditions assurant la vie digne et le développement libre de
l’homme ».
VI. LA DYNAMIQUE DES ACTES ADMINISTRATIFS
La dynamique des actes administratifs se rapporte aux faits de leur
origine et de leur application effective. On peut considérer que l’acte
administratif existe dès l’expression de la puissance publique dont il est
porteur. Dès ce moment, il a la capacité de produire des effets juridiques.
Par la « dynamique de l’acte administratif », on entend l’exécution de
l’acte administratif, telle qu’il s’incorpore dans les faits, les évènements, les
énoncés, les rapports sociaux, qu’il détermine, modifie ou interrompt. La
dynamique des actes administratifs conduit à apprécier pleinement leur force
réelle, à vérifier leur influence effective sur les processus qu’ils déterminent.
Le véritable critère de l’efficacité des actes administratifs, c’est le degré de
A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION
157
réalisation des objectifs en vue desquels ils ont été adoptés par l’organe du
pouvoir exécutif.
Dans l’application pratique des actes administratifs comme
prescriptions juridiques obligatoires le fil conducteur doit être, non dans les
procédures, mais dans les énoncés juridiques : l’établissement, la
modification ou l’interruption de rapports juridiques ; l’application à la
solution de litiges et à d’autres affaires administratives individuelles ;
l’examen de différentes affaires en ce qui concerne les droits, les
obligations, les modes d’action, etc. ; l’utilisation en tant que documents
juridiques ayant valeur de preuve auprès des organes de l’État (par exemple
devant un tribunal ou un organe administratif contentieux).
L’application de l’acte administratif dans le cadre d’un litige ou pour
régler des rapports sociaux n’est possible qu’en raison de sa valeur
juridique. Par la valeur juridique de l’acte administratif, on entend la réalité
de l’utilisation de formes juridiques données de l’action administrative.
La notion de valeur juridique se rattache au rapport étroit qui s’établit
entre les actes administratifs et la loi, à la définition des bases et du cadre de
leur adoption, à leur contenu. Les formules « sur la base de »,
« conformément à », « en exécution de » expriment cette relation juridique.
La valeur juridique démontre la capacité de l’acte juridique de régler les
rapports juridiques administratifs, et de régler ainsi des questions concrètes
(ou générales) de l’administration publique et de la réalisation de ses
fonctions. Elle assure l’exécution obligatoire de l’acte par tous les sujets
auxquels il s’adresse ; en cas de non exécution ou de violation de l’acte
administratif, l’État et ses organes ont le pouvoir d’exiger l’exécution ; en
outre, dans quelques cas, ils peuvent prendre des mesures d’exécution
forcée. En ce sens, l’acte administratif se distingue nettement des actes
d’« administration » pris par les organes de multiples associations qui ne se
caractérisent pas par la mise en œuvre de la puissance publique dans la
conduite de leur action.
Les actes administratifs bénéficient d’une présomption de légalité (on
présume qu’ils sont conformes aux dispositions de la loi, qu’ils ont été
édictés dans le cadre des compétences de leur auteur et des règles de
procédure), et on présume la régularité de leurs motifs (on suppose que
l’acte juridique est toujours édicté conformément aux conditions légales et
répond à des besoins sociaux réels), et on leur reconnaît ainsi le privilège du
préalable (les destinataires de l’acte administratif sont dans l’obligation de
s’y soumettre immédiatement et d’en exécuter les prescriptions).
Les actes administratifs commencent à acquérir force juridique dès le
moment de leur édiction (adoption, approbation) ou de leur publication
selon les modalités prévues et ils s’appliquent jusqu’au moment de leur
abrogation (ou de leur modification) ; ils cessent d’être en vigueur à
158
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
l’expiration du terme fixé pour leur application. Dans certains cas, il existe
des modalités particulières d’entrée en vigueur des actes administratifs (par
exemple, on fixe la date de leur prise d’effet, ou on établit un autre délai et
des modalités d’entrée en vigueur).
Les modalités de préparation, d’entrée en vigueur et de publication des
actes administratifs sont fixées par des normes différentes en fonction du
type d’acte et du type d’organe d’État, ou d’une collectivité locale, qui en
est l’auteur.
À cet égard, on peut dégager une série de procédures qui sont
caractéristiques de tous les processus d’édiction d’actes administratifs10 :
- la détermination dans les règlements administratifs11 des modalités
d’édiction ou d’adoption des actes administratifs ;
- les types d’actes administratifs que l’organe du pouvoir exécutif,
ainsi que son chef, a le pouvoir d’édicter ;
- la préparation du projet d’acte administratif ;
- la détermination de la structure du projet d’acte ;
- la concertation du projet d’acte administratif avec les autres
départements et responsables intéressés (si c’est prévu dans le règlement
administratif) ;
- la préparation de propositions de modification ou d’adjonction, ou
de déclaration de perte d’effet d’actes administratifs, ou de parties de tels
actes, à la suite de l’adoption d’un nouvel acte administratif ;
- l’édiction (signature, approbation) de l’acte administratif ;
- la notification de l’acte administratif aux personnes qu’il oblige ;
- la transmission de l’acte administratif adopté et approuvé au
ministère de la Justice de la Fédération de Russie pour son enregistrement ;
- la publication officielle de l’acte administratif et son entrée en
vigueur comme condition la plus importante du début de son application ;
elle remplit une fonction procédurale importante car la publication est, dans
de nombreux cas, le moment de l’entrée en vigueur de l’acte ; elle
conditionne l’application régulière des actes administratifs des organes
d’État, des organisations, des fonctionnaires et des citoyens.
L’effet des actes administratifs dépend du respect des conditions
relatives à leur contenu juridique et des modalités de leur édiction et de leur
entrée en vigueur. S’ils respectent ces conditions et les actes juridiques
auxquels ils sont subordonnés, ils sont légaux et commencent à s’appliquer.
10
Y. N. STARILOV, Общее админисиративное право. Учебник [Droit administratif
général. Manuel], Voronej, 2007, p. 346.
11
Il faut entendre ici par cette expression les « règlements » de procédure qui ont été introduits
dans tous les organes de l’État depuis le décret présidentiel n° 679 de 2004 (NdT : v. dans ce volume
les articles de G. MARCOU et T. Y. KHABRIEVA).
A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION
159
Dans le cas contraire, ils sont reconnus comme nuls, perdant leur valeur
juridique.
L’acte administratif perd sa valeur juridique quand :
- un tribunal le reconnaît illégal ;
- il est abrogé par l’organe qui en est l’auteur ou l’organe supérieur
s’il est habilité à prendre une telle décision.
Les motifs pour modifier et compléter, ou abroger un acte administratif
sont les suivants :
- l’illégalité de l’acte administratif (il contredit une norme
supérieure) ;
- son inutilité pratique : il ne produit pas les résultats escomptés ;
- son obsolescence : il est nécessaire de remplacer un acte
administratif qui a vieilli par un autre ou d’y introduire de nombreuses
modifications sur des points essentiels ;
- l’expiration de sa durée de validité.
VII. LA SUSPENSION DES ACTES ADMINISTRATIFS
La suspension (priostanovlenie) de l’acte administratif signifie
l’impossibilité d’en faire application jusqu’à l’adoption d’une décision
définitive par l’organe compétent ou par le tribunal sur la validité ou la
nullité de l’acte. L’interruption temporaire officielle de l’application de
l’acte administratif ne signifie pas la perte de sa valeur juridique.
La suspension de l’acte administratif se produit toujours quand l’organe
d’État ou le fonctionnaire habilité découvre que l’acte est illégal, mal
motivé, inutile ou inacceptable et se tourne vers l’organe compétent auquel
il propose de « modifier ou abroger » l’acte administratif, c’est-à-dire d’en
éliminer les vices constatés.
Le pouvoir de suspendre temporairement un acte administratif
n’appartient qu’aux autorités spécialement habilités à cet effet : le Président
de la Fédération de Russie, le Gouvernement de la Fédération de Russie, le
procureur, le tribunal de droit commun, ainsi que l’organe qui est l’auteur de
l’acte et l’organe supérieur.
À la suite de l’examen de l’acte administratif par l’organe compétent du
point de vue de la légalité, de l’utilité et des motifs, l’effet de l’acte peut être
rétabli, si les motifs de sa suspension ont disparu. Dans les autres cas, l’acte
administratif est abrogé.
La suspension par décision du Président de la Fédération de Russie. Le
Président de la Fédération de Russie a le pouvoir de suspendre les actes des
autorités du pouvoir exécutif des sujets de la Fédération de Russie (les actes
160
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
du responsable suprême d’un sujet de la Fédération de Russie ou de l’organe
du pouvoir exécutif d’un sujet de la Fédération de Russie) en cas de
contradiction avec la Constitution de la Fédération de Russie, la législation
fédérale, les engagements internationaux de la Fédération de Russie, la
violation des droits et libertés de l’homme et du citoyen – jusqu’au
règlement au fond par une instance judiciaire compétente (art. 85.2 de la
Constitution de la Fédération de Russie ; art. 29 de la Loi fédérale du
6 octobre 1999 « Sur les principes généraux d’organisation des organes
législatifs (représentatifs) et exécutifs du pouvoir d’État des sujets de la
Fédération de Russie »). Selon l’article 15 de la Loi fédérale
constitutionnelle du 30 mai 2001, n° 3 « Sur l’état d’urgence »12, le
Président de la Fédération de Russie est habilité à suspendre les actes
juridiques des organes du pouvoir d’État des sujets de la Fédération de
Russie, des actes juridiques des collectivités locales en vigueur sur le
territoire où est proclamé l’état d’urgence, en cas de contradiction avec le
décret du Président de la Fédération de Russie sur l’instauration de l’état
d’urgence sur le territoire concerné.
Suspension sur proposition du Gouvernement de la Fédération de
Russie. Le Gouvernement de la Fédération de Russie peut décider la
suspension des actes des organes fédéraux du pouvoir exécutif ou adresser
au Président de la Fédération de Russie la proposition de suspendre un acte
d’un organe du pouvoir exécutif d’un sujet de la Fédération de Russie
(art. 12.7 de la Constitution de la Fédération, art. 44.4 de la loi
constitutionnelle du 17 décembre 1997 n° 2 sur le Gouvernement de la
Fédération de Russie).
Suspension par décision de justice. Le tribunal de droit commun est
habilité à suspendre la décision contestée d’un organe du pouvoir exécutif,
d’un organe d’une collectivité locale, du dirigeant, d’un fonctionnaire de
l’État ou de la collectivité locale jusqu’à la date d’effet légal du jugement au
fond sur recours d’une personne physique ou morale (art. 254.4 du Code de
procédure civile de la Fédération de Russie). Toutefois, l’introduction d’un
recours juridictionnel contre un acte normatif ne suspend pas l’application
de celui-ci (art. 251.7).
Suspension sur pourvoi (protest) du procureur. Le pourvoi du ministère
public suspend exécution de l’arrêté prononcé sur une infraction
administrative jusqu’à l’examen du pourvoi (art. 31.6 (1) et art. 30.11 du
Code des infractions administratives de la Fédération de Russie). Le juge,
l’organe, le fonctionnaire ayant ordonné la sanction administrative en
suspendent l’exécution à la suite du pourvoi. La suspension de l’exécution
12
V. RL FR 2001, n° 23, art. 2277.
A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION
161
est formalisée par un arrêté qui est, le cas échéant, notifié à l’organe, aux
fonctionnaires chargés de l’exécution.
Suspension par décision de l’organe auteur de l’acte administratif. Les
organes du pouvoir exécutif ont le pouvoir de suspendre l’exécution de leurs
actes de leur propre initiative ou à la suite de la plainte d’un citoyen ou
d’une personne morale. De nombreuses lois fédérales russes contiennent des
dispositions donnant aux citoyens et aux personnes morales la possibilité de
former un recours en cas de violation de leurs droits et intérêts légitimes par
l’action ou la décision des organes du pouvoir exécutif et de leurs
fonctionnaires.
À présent, il existe des actes normatifs spéciaux qui organisent de
manière détaillée la procédure de recours : ordre du Ministère de l’Intérieur
(MVD) de Russie du 22 septembre 2006, n° 750 (dans la rédaction du
27 août 2010, n° 626) « Sur l’approbation de l’Instruction sur le traitement
des recours des citoyens dans le système du MVD » (enregistré au ministère
de la Justice le 15 novembre 2006, n° 8487)13 ; ordre du ministère de la
Justice du 26 décembre 2006, n° 383 (version du 17 septembre 2010,
n° 228, avec les modifications introduites par la décision de la Cour suprême
de la Fédération de Russie du 19 octobre 2010, n° GKPI 10-1128) « Sur
l’approbation du règlement administratif sur l’exécution des fonctions de
l’État concernant l’examen des propositions, demandes et plaintes des
condamnés et des personnes en garde à vue » (enregistré au ministère de la
Justice le 17 janvier 2007, n° 8761)14 ; ordre de l’Agence fédérale de la
Pêche (Rosrybolovstvo) du 26 juillet 2010 n° 658, « Sur l’approbation du
Règlement administratif de l’Agence fédérale de la pêche concernant
l’exécution des fonctions de l’État relatives à l’accueil des citoyens, à
l’examen immédiat et complet des demandes orales ou écrites des citoyens,
à l’adoption des décisions qui s’y rapportent et leur transmission au
demandeur dans le délai prévu par la loi » (enregistré au ministère de la
Justice le 20 août 2010, n° 18208)15. Les modalités du traitement des recours
des citoyens et des personnes morales sont élaborées de manière très
détaillée dans le chapitre XII du Règlement type sur l’organisation interne
des organes fédéraux du pouvoir exécutif (approuvé par l’Arrêté du
Gouvernement de la Fédération de Russie du 28 juin 2005, n° 452)16.
Cessation (prekrachtchenie) de la validité des actes administratifs par
décision de justice. Les actes administratifs peuvent être reconnus comme
nuls (nedeïstvouïoutchtchiï) par voie juridictionnelle. Le nombre des actions
13
Rossiïskaïa Gazeta, 2006, 23 nov.
Rossiïskaïa Gazeta, 2007, 25 janv.
Bulletin des actes réglementaires des organes fédéraux du pouvoir exécutif, 2010, n° 37.
16
V. Recueil de la législation de la Fédération de Russie, 2005, n° 31, art. 3233.
14
15
162
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
en justice tendant à faire reconnaître l’illégalité d’actes réglementaires des
organes du pouvoir exécutif se monterait, selon certaines sources, à environ
10 000 par an17. La condition nécessaire pour que le tribunal décide de
mettre fin à l’application d’un acte administratif est exclusivement son
illégalité. La Constitution de la Fédération de Russie donne aux citoyens le
droit d’introduire un recours au tribunal contre la décision des organes du
pouvoir exécutif et des dirigeants. Il n’existe aucun obstacle juridique au
recours contre n’importe quel acte.
L’acte administratif cesse de produire ses effets par une décision de
justice à la suite d’un débat judiciaire dont la procédure est réglée par la loi
et au cours duquel sont examinés et tranchés les moyens de droit dont
dépend la légalité de l’acte administratif contesté, c’est-à-dire le litige
administratif18. Il n’existe pas en Russie de juridiction spécialisée pour
l’examen de ces litiges, d’où il résulte que c’est dans différents soussystèmes du pouvoir judiciaire que peut être prise la décision qui met fin à
l’application d’un acte administratif reconnu illégal.
La décision qui prononce ainsi l’impossibilité de poursuivre
l’application d’actes administratifs qui ne respectent pas les exigences
légales peut ainsi être prise par :
- la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie ;
- les cours constitutionnelles (ou prévues par leur statut) des sujets de
la Fédération ;
- les tribunaux de droit commun ;
- les tribunaux d’arbitrage.
Les compétences des différents groupes de juridictions qui opèrent le
contrôle de la légalité des actes administratifs sont déterminées par :
- l’étendue du contrôle de la légalité ;
- les conditions et les sujets de l’initiative de la procédure de contrôle
(recevabilité) ;
- les particularités de suites du contrôle.
17
E. V. GORINE / M. V. KOSTENNIKOV / A. V. KOURAKINE et autres,
Антикоррупционная политика в системах государственной службы зарубежных государств.
Монография [La politique de lutte contre la corruption dans les systèmes de fonction publique des
États étrangers. Monographie], Moscou, 2010, p. 11.
18
NdT : donc, la nullité constatée ne produit ses effets qu’à compter de l’entrée en vigueur du
jugement ayant acquis autorité de la chose jugée (C. pr. civ. : art. 253.3 pour les actes
réglementaires ; pour les décisions, l’action ou l’inaction de l’autorité administrative, celle-ci doit
mettre fin à l’illégalité sur la base du jugement : art. 258.1 ; C. procédure d’arbitrage : art. 195, le
tribunal ayant constaté la nullité, l’auteur de l’acte réglementaire doit introduire les modifications
nécessaires pour que la légalité soit respectée ; art. 201 : s’il s’agit d’un acte non réglementaire
reconnu nul ou d’une décision, ou d’une action ou inaction reconnues illégales, le jugement fait
obligation à l’auteur de l’acte de restaurer la légalité) ; le jugement qui prononce la nullité ou
l’illégalité n’a donc pas d’effet rétroactif.
A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION
163
Par exemple, les actes administratifs des organes du pouvoir exécutif
des sujets de la Fédération sont soumis au contrôle de la cour suprême du
sujet. Cela n’exclut pas le contrôle par la cour constitutionnelle du sujet de
la Fédération (ou prévue par le statut du sujet) dans les cas prévus par sa
législation.
L’article 120 de la Constitution de la Fédération de Russie ne donne pas
aux tribunaux le pouvoir de reconnaître qu’un acte administratif ne peut être
appliqué ou de l’annuler (otmeniat’). Cependant, le Plenum de la Cour
suprême de la Fédération de Russie, dans son arrêté du 31 octobre 1995,
n° 8 « Sur quelques questions de l’application de la Constitution de la
Fédération de Russie par les tribunaux dans l’administration de la justice »
(par. 7) explique que, pour appliquer la loi à la place de l’acte d’un organe
de l’État ou d’un autre organe qui ne lui est pas conforme, le tribunal a le
pouvoir de prendre une ordonnance provisoire et d’attirer l’attention de
l’organe et du dirigeant qui sont à l’origine de l’acte contesté, sur la
nécessité de mettre cet acte en accord avec la loi ou de l’abroger.
À la suite de cette décision du tribunal, l’organe du pouvoir exécutif
prend un acte administratif qui reconnaît que l’acte contesté ne peut plus être
appliqué, en totalité ou en partie, ou l’abroge19.
En Russie, il n’existe pas une norme unifiée qui réglerait les questions
les plus importantes de la justice administrative. Les modalités selon
lesquelles est reconnue la nullité ou l’illégalité des actes réglementaires ou
non réglementaires des organes du pouvoir exécutif sont fixées par les
dispositions de la loi constitutionnelle fédérale du 21 juillet 1994, n° 1 « Sur
la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie20, le Code de procédure
civile et le Code de procédure d’arbitrage ».
Cette loi constitutionnelle prévoit (chap. IX) que la Cour
constitutionnelle, saisie par le Président de la Fédération, le Conseil de la
Fédération, la Douma d’État, un cinquième des membres du Conseil de la
Fédération ou des députés de la Douma d’État, le Gouvernement de la
Fédération de Russie, la Cour suprême de la Fédération de Russie et la Cour
supérieure d’Arbitrage de la Fédération de Russie, les organes législatifs et
exécutifs des sujets de la Fédération, se prononce sur la conformité à la
Constitution d’un acte réglementaire d’un organe du pouvoir d’État ou d’un
contrat passé entre organes du pouvoir d’État, ou de certaines de ses
dispositions, d’un acte réglementaire d’un sujet de la Fédération, d’un
contrat entre des organes du pouvoir d’État de la Fédération et des organes
19
NdT : le Code de procédure civile et le Code de procédure d’arbitrage de 2002 (modifiés de
nombreuses fois) ont donc adopté des solutions dérivant de cette position de la Cour
constitutionnelle.
20
RL FR 1994, n° 13, art. 1447.
164
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
du pouvoir d’État de sujets de la Fédération, ou entre organes du pouvoir
d’État de sujets de la Fédération. Le chapitre IX en règle les modalités.
Selon les articles 26 et 27, ainsi que les chapitres 24 et 25 du Code de
procédure civile de la Fédération de Russie, les tribunaux ordinaires (de
droit commun) ont le pouvoir de déclarer nuls les actes réglementaires, en
totalité ou en partie, et de se prononcer sur la légalité des décisions, de
l’action ou de l’inaction, des organes du pouvoir d’État, des organes des
collectivités locales, de leurs dirigeants, des fonctionnaires de l’État et des
collectivités locales sur la demande de citoyens ou de personnes morales qui
considèrent qu’ont été violés leurs droits et libertés garantis par la
Constitution, les lois et d’autres normes, ainsi que du procureur.
Les recours qui contestent des actes réglementaires en totalité ou en
partie sont de la compétence du tribunal d’arrondissement (raion), à
l’exclusion des recours visant des actes réglementaires des organes du
pouvoir d’État des sujets de la Fédération affectant les droits, libertés et
intérêts légitimes des citoyens et des personnes morales pour lesquels la cour
suprême du sujet de la Fédération statue en première instance, et des recours
visant des actes réglementaires du Président de la Fédération, du
Gouvernement de la Fédération de Russie, ainsi que des actes réglementaires
d’autres organes fédéraux du pouvoir d’État qui concernent les droits, libertés
et intérêts légitimes des citoyens et des personnes morales qui sont examinés
par la Cour suprême fédérale statuant en première instance. En outre, le
chapitre 24 du code procédure civile réglemente les modalités de procédure
relatives à la contestation, totale ou partielle, des actes normatifs.
Il convient de remarquer que le traitement de l’appareil conceptuel des
actes normatifs est d’une grande importance. Les documents des organes
judiciaires qui donnent une interprétation de tel ou tel terme pour compléter
les normes contenues dans le code de procédure civile donnent à la
jurisprudence des orientations en cas de lacune de la législation. Ainsi, par
exemple, selon le paragraphe 9 de l’arrêté du Plénum de la Cour suprême de
la Fédération de Russie du 29 novembre 2007, n° 48 « Sur la pratique de
l’examen par les tribunaux des recours visant des actes normatifs en totalité
ou en partie » les éléments essentiels qui caractérisent un acte juridique
normatif sont : son édiction par l’organe compétent du pouvoir d’État ou de
l’autonomie locale ou son dirigeant ; la présence dans l’acte d’énoncés
normatifs (règles de comportement) obligatoires pour un ensemble
indéterminé de personnes, dont l’exécution ne s’épuise pas en une seule fois
et visant à régler des rapports sociaux ou à modifier ou faire cesser des
rapports juridiques existants.
Les affaires relatives à la contestation des actes réglementaires ou non
réglementaires, des décisions et de l’action ou de l’inaction des organes de
l’État, des collectivités locales, d’autres organes, de leurs dirigeants qui
A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION
165
concernent les droits et intérêts légitimes des entreprises ou d’autres
activités économiques sont jugées par les tribunaux d’arbitrage, sur recours
des citoyens, des personnes morales, ainsi que du procureur, des organes de
l’État, des organes des collectivités locales et d’autres organes selon les
modalités fixées par les chapitres 23 et 24 du code de procédure d’arbitrage.
Selon l’article 34 de ce code, les recours visant des actes réglementaires,
non réglementaires, les décisions et l’action ou l’inaction des organes de
l’État, des organes des collectivités locales, d’autres organes, de leurs
dirigeants concernant les droits et intérêts légitimes des entreprises et d’autres
activités économiques sont introduits par les citoyens ou les personnes
morales, mais aussi par le procureur, les organes de l’État, les organes des
collectivités locales et d’autres organes, et jugés en première instance, dans le
cas général, par les tribunaux d’arbitrage du sujet de la Fédération, à
l’exclusion des recours qui sont de la compétence en première instance de la
Cour supérieure d’arbitrage de la Fédération de Russie : il s’agit des recours
visant des actes réglementaires du Président et du Gouvernement de la
Fédération de Russie, des organes fédéraux du pouvoir exécutif, et des recours
contre des actes non normatifs du Président de la Fédération de Russie, du
Conseil de la Fédération et de la Douma d’État, du Gouvernement de la
Fédération de Russie, de la Commission gouvernementale de contrôle des
investissements étrangers en Fédération de Russie, concernant les droits et
intérêts légitimes des demandeurs dans le domaine des entreprises et des
autres activités économiques.
Il n’existe en Russie aucune loi qui règle la répartition des compétences
en ce qui concerne la contestation des actes réglementaires entre les tribunaux
de droit commun et les tribunaux d’arbitrage. La norme de renvoi du code
de procédure d’arbitrage (art. 27) qui attribue aux tribunaux d’arbitrage
compétence en ces matière économique crée des difficultés bien connues
pour les justiciables qui recherchent la protection de la justice21.
En outre, les normes processuelles prévoient des procédures différentes
de protection judiciaire selon la juridiction compétente pour l’examen de
recours relatif à un acte réglementaire. Selon le code de procédure
d’arbitrage, (art. 29), quand un acte réglementaire est contesté, comme dans
21
NdT : il s’agit du paragraphe 2 de cet article, dont la traduction est la suivante : « les
tribunaux d’arbitrage règlent les litiges économiques et examinent les autres affaires auxquelles sont
parties les organisations dotées de la personnalité morale, les citoyens exerçant une activité
d’entreprise sans avoir constitué une personne morale et qui ont le statut d’entrepreneur individuel,
acquis selon les modalités établies par la loi (dans ce qui suit : entrepreneurs individuels) mais aussi,
dans les cas prévus par le présent code et d’autres lois fédérales, la Fédération de Russie, les sujets
de la Fédération, les collectivités locales, les organes de l’État, les organes des collectivités locales,
d’autres organes, leurs dirigeants, les formations n’ayant pas le statut de personne morale et les
citoyens n’ayant pas le statut d’entrepreneur individuel (dans ce qui suit : les organisations et les
citoyens) ».
166
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
les autres cas concernant des rapports juridiques de droit public, le recours
est examiné selon les règles du contentieux administratif, dont les
particularités sont réglées par le code de procédure d’arbitrage. En même
temps, selon le code de procédure civile, ce type d’affaires est jugé par les
tribunaux ordinaires selon les règles du procès civil.
La Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie constatait ainsi
dans son arrêt du 27 janvier 2004, n° 1 : « Les affaires qui naissent de
rapports juridiques de droit public, parmi lesquelles celles relatives à la
légalité des actes réglementaires, en dehors des cas où elles sont liées à
l’examen de la contestation de décisions d’application prises sur leur
fondement par des organes des pouvoirs publics et leurs dirigeants, comme
cela résulte des articles 71 (o), 72.1 (k), 118.2, 120, 126 et 127 de la
Constitution de la Fédération de Russie, ne sont pas, en raison de leur
nature, des affaires de droit civil, mais des affaires administratives, et elles
doivent être examinées selon les règles du contentieux administratif »22. Le
législateur est ainsi placé devant la responsabilité d’introduire les règles qui
assureront le contrôle des actes réglementaires conformément aux exigences
de la Constitution de la Fédération de Russie en ce qui concerne l’examen
des affaires administratives selon les modalités du contentieux administratif,
et à la position de la Cour constitutionnelle, qui s’est prononcée plus d’une
fois en ce sens.
La recherche sur la nature juridique des actes administratifs, les
conditions relatives à leur contenu, à leur forme, aux délais, aux procédures
d’adoption et d’exécution sont la tâche actuelle de la science du droit
administratif en Russie. Son importance tient à la nécessité d’assimiler les
formes juridiques contemporaines de l’activité des organes du pouvoir
exécutif dans les conditions de la mise en œuvre en Russie de la réforme
administrative, dont l’un des objectifs les plus importants est l’harmonisation
de la législation nationale en matière administrative avec les standards
européens.
Dans le cadre de la commission gouvernementale sur la mise en œuvre de
la réforme administrative se poursuit un travail de révision des dispositions sur
les organes du pouvoir exécutif de tous niveaux, d’élaboration d’indicateurs
d’activité des organes du pouvoir exécutif et d’évaluation de leur efficacité ;
on poursuit l’élaboration, l’adoption et la mise en œuvre des règlements
administratifs relatifs à la fourniture des services publics et à
l’accomplissement des fonctions des organes du pouvoir exécutif ; on cherche
à mettre en accord les normes formelles et les normes du droit matériel.
22
Rossiïskaïa Gazeta, 3 févr. 2004.
A. F. NOZDRATCHEV : NOTION, CARACTÉRISTIQUES ET ÉVOLUTION
167
Les questions de la théorie des actes administratifs sont étroitement
liées aux problèmes pratiques que l’on rencontre pour surmonter les aspects
négatifs de la création de normes par les différents ministères ou
départements23 dans le système juridique russe. Ce problème mérite
attention aux plus hauts niveaux : le Gouvernement, les organes fédéraux du
pouvoir exécutif doivent adopter des mesures radicales en relation avec la
production de règlements ministériels, jusqu’à l’abrogation complète du
corpus de ces règlements dans les cas où les lois fédérales sont d’application
directe mais se trouvent en fait substituées par des actes ministériels.
L’élaboration de la théorie des actes administratifs est d’actualité dans
le contexte de l’augmentation du contrôle juridictionnel de l’activité et des
actes des organes du pouvoir exécutif. Les problèmes du contentieux
administratifs ont été l’objet, ces dernières années, de recherches sérieuses et
fécondes (N.G. Salicheva, N.Y. Khamaneva, Y.N. Starilov, M.Ya.
Maslennikov, I.V. Panova, V.D. Sorokine, D.N. Bakhrakh, A.P. Cherguine,
H.V. Soukhareva et d’autres). Le contentieux administratif possède un
potentiel scientifique important, qui suscite non seulement un grand intérêt
scientifique mais aussi la création de nouveaux projets de loi, dans le choix
des modèles d’organisation de la justice administrative. En Russie se
dégagent de réelles perspectives d’adoption d’une loi constitutionnelle sur
les tribunaux administratifs et d’un code de justice administrative dont les
projets ont été préparés.
Actuellement, est en préparation le projet d’une loi fédérale « Sur les
procédures précontentieuses de recours contre les décisions et l’action (ou
l’inaction) des organes de l’État et des collectivités locales qui vise à
prévenir l’adoption d’actes juridiques défectueux ».
En conclusion, on soulignera la nécessité de construire une théorie
moderne des actes administratifs visant à résoudre les questions pratiques
qui se posent au pouvoir exécutif.
23
NdT : dans le texte : ведомственный.
LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE
DROIT PRIVÉ DANS L’ORDRE JURIDIQUE FRANÇAIS
Attribution, exercice et contrôle du pouvoir réglementaire
Gérard MARCOU
Le pouvoir réglementaire s’entend, dans le droit français, du pouvoir
attribué par la Constitution ou par la loi à une autorité administrative de
fixer des normes générales qui affectent la situation juridique des sujets de
droit auxquels elles s’appliquent. Cette notion se comprend en relation avec
la suprématie reconnue à la loi dans le droit public français depuis la
Révolution française, comme expression de la volonté générale, et avec le
principe de la séparation des pouvoirs. Une norme générale émise par le
pouvoir exécutif ou une autorité qui en dépend ne peut être qu’un acte
réglementaire subordonné à la loi. La loi peut créer des autorités
administratives dotées du pouvoir de faire des actes réglementaires. Comme
on le sait, c’est seulement à l’époque contemporaine que le contrôle de
constitutionnalité a rendu effective la suprématie de la constitution, et que
les dispositions de celle-ci peuvent désormais limiter la liberté du législateur
sur ce point.
De ce que le pouvoir réglementaire trouve nécessairement sa source
dans la constitution et dans la loi il ne résulte nullement que son exercice
soit le monopole du pouvoir exécutif. Bien au contraire, le législateur a
multiplié les formes de délégation du pouvoir réglementaire, y compris à des
sujets de droit privé, pour l’exercice de missions de service public. De
nombreux organismes privés sont ainsi investis du pouvoir de faire des actes
réglementaires pour l’exercice de certaines de leurs missions, tout comme
des établissements publics ou des collectivités territoriales, mais avec une
compétence beaucoup plus étroite que ceux-ci. Ces développements posent
la question des critères permettant de différencier les actes réglementaires,
170
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
qui sont l’expression de prérogatives de puissance publique, des mesures
que des organismes de droit privé peuvent adopter à l’égard de leurs
membres, lesquels peuvent créer des obligations à leur égard mais ne sont
pas pour autant des actes règlementaires.
Cette distinction est particulièrement importante dès lors que l’on se
situe dans un ordre juridique qui admet la séparation entre le public et le
privé, car celle-ci impose des mécanismes différents de protection des droits.
Pour y voir plus clair, dans la perspective d’une comparaison avec le droit
russe, il est nécessaire de commencer par préciser certaines définitions.
La notion de norme est au cœur de cette comparaison. Mais c’est une
notion qui est susceptible de recevoir plusieurs acceptions. Du point de vue
de la théorie du droit, on considère que la norme est « un énoncé impératif
ou prescriptif appartenant à un ordre ou un système normatif, et obligatoire
dans ce système »1. Une norme peut donc être générale ou individuelle, et
un contrat peut être le support d’une norme, tout comme un acte unilatéral
de la puissance publique. Les normes générales sont des « règles », par
opposition aux normes individuelles2. On doit distinguer la norme de l’acte
qui en est le support ; il existe d’ailleurs des normes juridiques qui ne font
pas l’objet d’un acte : notamment la coutume, les usages ou encore les
« principes généraux du droit » quand le système juridique leur reconnaît
une portée juridique, même s’ils sont parfois repris et énoncé dans un acte
(par exemple une décision de justice).
Mais surtout, la référence à un ordre ou à un système normatif oblige à
envisager les rapports entre des ordres juridiques différents, qui posent des
normes obligeant les sujets de droit qui en font partie. Ces ordres juridiques
sont inséparables des institutions qui les produisent, et ils entretiennent entre
eux des rapports qui peuvent être, ou non, de nature hiérarchique, mais qui
le sont dans le cas qui nous intéresse ici. C’est l’ordre juridique supérieur
qui détermine le degré de liberté avec lequel un ordre juridique inférieur
peut régler les droits et obligations des sujets de droit dans la mesure où ils y
sont soumis (par exemple pour certaines activités ou certains rapports
juridiques). C’est la relation de « relevance », définie ainsi par Santi
Romano : « pour qu’il y ait relevance juridique, il faut que l’existence, le
contenu ou l’efficacité d’un ordre soit conforme aux conditions mises par un
autre ordre »3. Ces conditions peuvent varier, ce qui permet à Santi Romano
de faire la typologie de la « relevance ». Pour l’étude de la diffusion du
pouvoir réglementaire dans le système juridique français, et notamment vers
1
Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 2ème éd. 1993,
p. 399.
2
3
Ibid. p. 406.
S. ROMANO, L’ordre juridique, Dalloz, 1975, p. 106 (traduit de l’italien).
G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 171
des sujets de droit privé, ce sont les rapports de supériorité et de dépendance
entre ordres juridiques qui sont pertinents.
Il convient aussi de préciser le sens des notions de compétence et de
pouvoir, dont la polysémie est toujours accentuée par le passage d’une
langue à une autre. Or, on utilise en russe trois mots au lieu de deux en
français dans ce champ : compétence (vedienie), qui désigne un domaine
d’action, ce qui est du ressort – ou de la juridiction – de telle autorité ;
pouvoir (polnomotchie), en tant que moyen ; compétence (kompetentziia) en
tant que titre (ou habilitation). La définition que donne le professeur
Tikhomirov de ces notions éclaire cette distinction : « La matière de la
compétence suppose l’existence de droits constitutionnels et conventionnels
et de possibilités légales pour la Fédération et ses sujets. Mais la notion de
pouvoirs, qui lui est associée, s’applique plutôt aux caractéristiques des
organes d’État qui ont l’obligation de réaliser ces droits et d’agir
efficacement dans les limites de leur part de la matière de la compétence »4.
Ajoutons que la compétence, en tant que titre, est toujours propre à
l’exercice de prérogatives de puissance publique ou de missions de service
public. Une personne de droit privé n’a pas de compétence au sens juridique
du terme ; elle a seulement des droits ou des obligations, à moins qu’elle ne
tienne de la loi une mission de service public et/ou l’exercice de certaines
prérogatives de puissance publique, et dans ce cas toujours sous le contrôle
d’une autorité administrative. Une personne de droit public a aussi des droits
et des obligations, en tant que sujet de droits, mais elle est avant tout titulaire
de compétences.
Ces distinctions peuvent nous permettre de clarifier l’analyse du
pouvoir réglementaire dans le droit administratif français lorsqu’elle prend
en compte les cas dans lesquels ce pouvoir est délégué à une personne de
droit privé ou comporte la participation de multiples instances. Nous
essaierons ainsi de répondre à deux questions :
1) qui est titulaire de la compétence réglementaire, et comment les
actes réglementaires se distinguent-t-ils des normes privées dont le droit
reconnaît l’existence ?
2) comment s’exerce le pouvoir réglementaire, notamment du point de
vue de la participation de personnes privées ?
4
Yu. A. TIKHOMIROV, Теория компетенции [Théorie de la compétence], Moscou, 2001,
p. 123 (trad. de l’auteur).
172
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
I. LA COMPETENCE RÉGLEMENTAIRE
La compétence réglementaire est propre à la puissance publique. Son
expression la plus importante est le pouvoir réglementaire gouvernemental.
La législation a cependant permis une certaine diffusion du pouvoir
réglementaire. En outre, l’exercice des missions de service public implique
souvent l’exercice d’un pouvoir réglementaire, y compris lorsque ces
missions sont confiées à des personnes de droit privé. Cette délégation du
pouvoir réglementaire, qui accompagne la délégation de la gestion du
service public, ne doit pas être confondue avec les normes que peuvent
édicter des ordres juridiques privés dans le cadre des lois en vigueur, et dont
le fondement est radicalement différent.
A. – Les titulaires de la compétence réglementaire
Dans le droit administratif français, la hiérarchie des actes
réglementaires est essentiellement une question de compétence, tandis que la
notion d’acte réglementaire est une notion avant tout matérielle. En d’autres
termes, la notion d’acte réglementaire dépend du contenu de l’acte, tandis
que la qualité de l’acte dépend de la compétence de l’autorité qui l’a édicté.
Tous les actes réglementaires sont soumis au principe de légalité, qui
implique le respect des normes constitutionnelles, législatives ou même
« infra-législatives » mais « supra-décrétales », s’il s’agit de normes dont le
juge administratif a le pouvoir de sanctionner la violation (ainsi les principes
généraux du droit dégagés par la seule jurisprudence administrative5).
Le pouvoir réglementaire a d’abord pour fonction d’assurer l’exécution
des lois. Il est donc une prérogative du pouvoir exécutif. Aujourd’hui, selon
l’article 21 de la Constitution, le Premier ministre « assure l’exécution des
lois » et il « exerce le pouvoir réglementaire ». Cela signifie que le pouvoir
réglementaire est une compétence propre du Premier ministre, et non du
gouvernement en tant que tel, ni des ministres. Ce pouvoir est largement
interprété depuis deux arrêts du Conseil d’État de 1918 et 1919 (c’était à
l’époque le Président de la République qui était, juridiquement, chargé de
l’exécution des lois), d’où l’on a déduit que le pouvoir exécutif dispose d’un
pouvoir propre de réglementation, qui est indépendant de toute
« délégation » législative, et qui trouve à s’exercer aussi bien en matière de
5
R. CHAPUS, « De la valeur juridique des principes généraux du droit et autres règles
jurisprudentielles du droit administratif », D. 1966, chron. n° 119.
G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 173
police que pour assurer le bon fonctionnement des services publics6. C’est
ce qu’on appelle aussi le pouvoir réglementaire général.
La révision constitutionnelle de 2003 a donné, à la suite de la décision
du Conseil constitutionnel du 17 janvier 2002 (n° 2001-454 DC, loi relative
à la Corse), une base constitutionnelle au pouvoir réglementaire des
collectivités territoriale. Selon le nouvel article 72, alinéa 3, les collectivités
territoriales disposent, « dans les conditions prévues par la loi », d’un
« pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences ». Un tel
pouvoir réglementaire local existait au moins depuis la fin du 19ème siècle
sur la base de la loi ; la nouveauté est de lui reconnaître un fondement
constitutionnel. Mais il n’habilite pas les collectivités territoriales à faire des
règlements pour l’exécution des lois ; il s’exerce toujours sur la base de la
loi et pour la mise en œuvre de leurs compétences (par exemple l’adoption
de documents d’urbanisme ou l’organisation de services publics locaux), car
c’est la loi qui détermine les compétences.
Le fait que le Premier ministre soit seul titulaire du pouvoir
réglementaire signifie qu’il a compétence pour l’édiction, non seulement des
règlements d’exécution des lois, mais aussi des règlements de l’article 37 de
la Constitution, c’est-à-dire dans les matières qui ne sont pas réservées à la
loi par l’article 34. Cette distinction n’a pas d’incidence sur la hiérarchie des
normes : les décrets de l’article 37 ne sont pas supérieurs à ceux pris pour
l’exécution des lois et ils sont contrôlés de la même manière par le Conseil
d’État. Mais cela ne signifie pas qu’il n’existe pas de hiérarchie entre les
actes faits dans l’exercice de ce pouvoir réglementaire : on distingue ainsi
les décrets simples et les décrets en Conseil d’État. Les décrets en Conseil
d’État sont soumis à la consultation préalable obligatoire du Conseil d’État ;
ils occupent un rang supérieur dans la hiérarchie des normes. La forme du
décret en Conseil d’État résulte habituellement d’une disposition législative
ou d’un autre décret ; elle s’impose de plein droit lorsqu’il s’agit de modifier
une disposition législative antérieure à 1958, mais dont l’objet ne fait plus
partie du domaine de la loi. Certains décrets doivent être délibérés en
Conseil des Ministres, par l’effet d’une disposition législative. Ils sont alors
signés par le Président de la République ; celui-ci participe ainsi à l’exercice
du pouvoir réglementaire. Toutefois, n’importe quel décret peut être inscrit à
l’ordre du jour du Conseil des Ministres, ce qui a pour effet d’en faire un
6
CE 28 juin 1918, Heyriès : « le président de la République est placé à la tête de
l’administration française et chargé de l’exécution des lois ; il lui incombe dès lors de veiller à ce
qu’à toute époque, les services publics institués par les lois et règlements soient en état de
fonctionner… » ; CE 8 août 1919, Labonne : « il appartient au chef de l’État, en dehors de toute
délégation législative et en vertu de ses pouvoirs propres, de déterminer celles des mesures de police
qui doivent en tout état de cause être appliquées dans l’ensemble du territoire… » (cf M. LONG /
P. WEIL / G. BRAIBANT / P. DELVOLVÉ / B. GENEVOIS, Les grands arrêts de la jurisprudence
administrative, Paris, Dalloz, 18ème éd. 2011 (GAJA dans ce qui suit), p. 188 et 216.
174
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
décret en Conseil des Ministres qui ne pourra plus être modifié sans la
signature du Président de la République7. Les ordonnances que le
gouvernement peut être habilité par la loi à prendre dans des matières du
domaine de la loi sont également soumises à la consultation préalable du
Conseil d’État. Les ordonnances, tant qu’elles n’ont pas été ratifiées par le
Parlement, tout comme les décrets, sont des actes administratifs et à ce titre
soumises au principe de légalité et au contrôle du juge administratif ; il n’y a
pas de différence à cet égard entre les décrets de l’article 37 et les autres.
Pour toutes les autres autorités administratives, le pouvoir réglementaire
est une compétence spéciale, attribuée par la loi ou en application de la loi
pour un objet déterminé.
Tel est le cas, tout d’abord, pour les autorités de police générale, qui
sont exclusivement, outre le Premier ministre, le maire (Code général des
collectivités territoriales – CGCT : art. L. 2212-1 et 2) et le préfet du
département (CGCT : art. L. 2215-1 à 8). Ces autorités ont le pouvoir de
prendre par voie de règlement toute mesure nécessaire pour assurer l’ordre
public général dans leur circonscription.
En second lieu, tout chef de service a le pouvoir de prendre les mesures
réglementaires nécessaires à l’organisation du service placé sous son
autorité. Tel est le cas pour le ministre comme pour le chef de n’importe
quel établissement public8.
Troisièmement, les mesures d’organisation du service public sont
toujours considérées comme de nature réglementaire, quelle que soit la
nature de l’acte qui contient ces mesures. Tel est le cas de mesures
d’organisation du service public contenues aussi bien dans une délibération
d’une société anonyme chargée d’une mission de service public9 que dans
un contrat ayant pour objet l’exécution du service public10. Des tiers peuvent
ainsi, non seulement invoquer de telles mesures pour en demander le
respect, y compris à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir, mais aussi
en contester directement la légalité au moyen d’un tel recours.
Enfin, le législateur peut attribuer un pouvoir réglementaire spécial à
d’autres autorités administratives, mais dans d’étroites limites. Si les
dispositions constitutionnelles relatives au pouvoir réglementaire
gouvernemental ne font pas obstacle à ce que la loi confie à une autorité
publique autre que le Premier ministre le soin de fixer des normes
permettant de mettre en œuvre une loi, c’est à la condition que cette loi ne
7
CE Ass. 10 sept. 1992, Meyet, Rec. p. 327, concl. KESSLER. À moins que le décret n’en
dispose lui-même autrement.
8
CE Sect. 7 février 1936, Jamart, GAJA p. 300.
9
Tribunal des Conflits 15 janv. 1968, Compagnie Air France, GAJA p. 567.
10
CE Sect. 18 mars 1977, Chambre de Commerce de La Rochelle, Rec. p. 153 ; CE Ass.
10 juillet 1996, Cayzeele, Rec. p. 274.
G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 175
concerne que « des mesures de portée limitée tant par leur champ
d’application que par leur contenu »11. Bien que cette position ait été
exprimée par le Conseil constitutionnel à propos des autorités
administratives indépendantes, c’était déjà l’état du droit et la pratique pour
d’autres autorités administratives investies d’un pouvoir réglementaire par la
loi, à commencer par les ministres ou des établissements publics (par
exemple les caisses nationales de sécurité sociale, qui sont des
établissements publics nationaux).
B. – L’attribution du pouvoir réglementaire
Nous venons de voir que le législateur pouvait attribuer un pouvoir
réglementaire aux autorités les plus diverses, à condition de ne pas porter
atteinte aux prérogatives du pouvoir réglementaire général détenu par le
Premier ministre. Mais, dans certains cas, la qualité d’actes réglementaires
peut aussi être reconnue à des actes émanant d’un sujet de droit privé. Ces
cas sont assez nombreux mais ne portent que sur une compétence très
limitée.
Rappelons tout d’abord que le droit public ne connaît que trois
catégories de personnes publiques : l’État, les collectivités territoriales, et les
personnes publiques spéciales. Ces dernières étaient toutes, naguère, des
établissements publics ; aujourd’hui il faut y ajouter d’autres entités, telles
que les groupements d’intérêt public et les autorités publiques indépendantes
(semblables par leurs missions et leurs pouvoirs aux autorités
administratives indépendantes, mais dotées de la personnalité morale). Les
personnes publiques spéciales sont nécessairement rattachées à l’État ou à
une collectivité territoriale. Ce rattachement est l’expression du fait qu’elles
ne sont que l’externalisation d’une compétence de l’État ou d’une
collectivité territoriale ; elles ont un caractère fondatif et demeurent placées
sous leur contrôle.
De nombreuses personnes de droit privé sont dans la même situation.
Elles ont été créées par la puissance publique pour remplir certaines
missions de service public (par exemple la société France Télévision, ayant
le statut de société commerciale, mais chargée du service public national de
l’audiovisuel et dont l’intégralité du capital est détenue par l’État, ou
l’Association Française de Formation des Adultes, créée par l’État sous la
forme d’une association de la loi de 1901 – loi sur la liberté d’association,
les régions sont entrées dans l’Association avec l’adoption de nouveaux
statuts le 27 janvier 2011 sous le double effet de l’ouverture à la
11
CC n° 89-260 DC, 28 juillet 1989, Commission des Opérations de Bourse.
176
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
concurrence et des transferts de compétences aux régions). D’autres ont été
créées à l’initiative de l’État et selon un cadre juridique établi par la loi,
comme les organismes professionnels d’intervention économique ou les
ordres professionnels (l’ordre des médecins ou l’ordre des pharmaciens, par
exemple). Il y a eu de longues controverses sur leur nature juridique depuis
la fin des années 30. Aujourd’hui, la jurisprudence y voit des personnes
morales de droit privé12. Dans un cas comme dans l’autre, elles demeurent
sous le contrôle de la puissance publique.
Mais il existe aussi des personnes privées, formées dans un but d’intérêt
privé, qui se trouvent investies de la gestion d’un service public, et donc
partiellement soumises à un régime de droit public. Cette hypothèse est très
différente de la délégation de service public, qui trouve son origine dans le
régime des concessions de service public, et qui suppose un contrat entre la
personne publique et une entreprise. Dans le cas des organismes de droit
privé chargés de la gestion d’un service public, la situation est plus floue et
peut être révélée a posteriori à l’occasion d’un contentieux, compte tenu des
évolutions que l’organisme en cause a parfois connues. Le premier cas
important est celui des caisses d’assurances sociales, en 193813. Aujourd’hui,
dans le dernier état de la jurisprudence, on identifie le service public, non
seulement d’après les prérogatives de puissance publique conférées, mais
encore par les obligations et les objectifs qui lui sont imposées ainsi que les
moyens mis en œuvre pour en vérifier la réalisation (cf plus loin la
communication de J.-M. Pontier).
Certains de ces organismes privés tiennent de leur statut la compétence
pour prendre des actes administratifs. Pour la jurisprudence, le point
essentiel est la qualification d’acte administratif de certaines décisions. La
qualification d’acte réglementaire ou non réglementaire vient en second lieu,
puisqu’elle ne détermine pas la compétence du juge et ne conditionne pas les
recours qui peuvent être exercés. La nature réglementaire ou non
réglementaire de l’acte se déduit du contenu des actes auxquels le caractère
d’acte administratif est reconnu. Ainsi en est-il, par exemple, des conditions
d’exercice de la médecine en groupe ou en équipe, pour lesquelles le conseil
national de l’ordre des médecins peut établir des contrats types et contrôler
la conformité des contrats conclus à ces contrats types, en vertu du pouvoir
réglementaire qui lui est reconnu14.
12
CE Sect. 13 janv. 1961, Magnier, Rec. p. 33 (« groupements de défense des ennemis des
culture ») ; CE 7 déc. 1984, Centre d’études marines avancées, AJDA 1985, p. 274 ; RFDA 1985,
p. 381, concl. O. DUTHEILLET de LAMOTHE (Institut français du pétrole).
13
CE Ass. 13 mai 1938, Caisse primaire Aide et Protection, GAJA n° 51, p. 320.
14
CE Sect. 14 février 1969, Association syndicale nationale des médecins exerçant en groupe
ou en équipe, AJDA 1969, p. 161.
G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 177
Un domaine classique d’application est celui des fédérations sportives.
Le Conseil d’État avait jugé en 1974 que les fédérations sportives étaient
chargées par la loi de l’exécution d’un service public administratif, bien
qu’elles fussent organisées sous la forme d’associations de la loi de 1901, et
qu’en vertu de la délégation qui leur était consentie elles prenaient des
décisions constituant l’exercice de prérogatives de puissance publique. Tel
est en particulier le cas d’une décision modifiant les règles d’homologation
des balles de tennis de table pouvant être utilisées lors des compétitions
organisées par la Fédération française de tennis de table. Cette décision a été
prise, selon le Conseil d’État, « pour l’accomplissement d’un service public
et dans l’exercice de prérogatives de puissance publique », et sur la base de
l’arrêté du ministre qui, conformément à la loi, déléguait à la Fédération « le
pouvoir de définir les modalités d’organisation des compétitions dont elle a
la charge ; (…) il lui était en particulier loisible de déterminer les règles
d’homologation des balles devant être employées lors de ces compétitions ».
L’exercice d’un pouvoir réglementaire par une personne privée ne fait donc
ici pas de doute. Cependant, le Conseil d’État annule la décision car, en
fixant le montant forfaitaire exigé des titulaires d’agrément à un niveau
excédant largement le coût de l’examen technique et justifié par la publicité
et le monopole de fourniture dont bénéficieraient les intéressés, la
Fédération avait excédé les limites de la délégation qui lui avait été
consentie15. La délégation du pouvoir réglementaire est donc interprétée
strictement.
Dans le domaine des sports, le rôle des fédérations sportives avait été
reconnu par l’ordonnance du 28 août 1945 qui avait permis au ministre de
leur déléguer l’organisation des compétitions nationales. La législation
récente a renforcé le rôle officiel des fédérations sportives. Selon les articles
du Code du sport résultant de la loi du 16 juillet 1984, il existe une seule
fédération sportive par discipline, agréée pour une durée déterminée et qui
reçoit délégation du ministre chargé des sports (art. L. 131-14). Dans ce
cadre, les « fédérations délégataires » organisent les compétitions à l’issue
desquelles sont décernés les titres (internationaux, nationaux, régionaux…)
(art. L. 131-15) et édictent les « règles techniques propres à leur discipline »
et les « règlements relatifs à l’organisation de manifestation ouverte à leurs
licenciés » (art. L. 131-16 ; v. également art. R. 131-32 à 36).
Cette jurisprudence connaît de nombreuses applications, pour des
organismes sociaux16, les fédérations de chasse et de pêche17 ou la
15
CE Sect. 22 nov. 1974, Fédération des industries d’articles de sport, Rec. p. 577, concl.
THÉRY.
16
TC 22 avril 1974, Directeur régional de la Sécurité sociale d’Orléans c. sieur Blanchet,
AJDA 1974, p. 439 : à propos d’une circulaire émise par la Caisse nationale de l’assurance maladie
et de l’assurance maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles, personne de
178
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Fondation pour la cité universitaire internationale, qui est une fondation de
droit privé18. À propos de cette dernière, le Conseil d’État exprime de
manière très nette le fondement de sa compétence : « la Fondation nationale
pour le développement de la cité internationale universitaire de Paris et les
fondations qui lui sont rattachées ou associées sont chargées de l’exécution
d’un service public administratif et dotées, pour l’exécution de ce service,
du pouvoir de prendre des décisions unilatérales qui s’imposent aux
usagers ; (…) les recours dirigés contre de telles décisions relèvent par suite
de la compétence de la juridiction administrative ». Ces décisions
individuelles peuvent être individuelles ou réglementaires.
Les limites et les contrôles relatifs aux actes administratifs des
organismes privés chargés de la gestion d’un service public s’expliquent par
la portée des actes administratifs unilatéraux. Ils sont directement
exécutoires envers leurs destinataires et, si en principe l’autorité
administrative doit demander au juge l’exécution forcée, elle peut y recourir
elle-même en cas d’urgence, si la loi le prévoit ou s’il n’existe pas de voies
de droit. Seule la poursuite de l’intérêt général peut justifier le recours à ces
prérogatives. Tel n’est pas le cas des ordres juridiques privés.
C. – Les ordres juridiques privés
Il est en fait tout à fait habituel que des organismes privés établissent
des normes qu’ils appliquent à leurs ressortissants, de manière générale, et
conformément à la loi.
Tel est le cas en particulier du règlement intérieur d’une entreprise,
arrêté par le chef d’entreprise, selon le Code du travail, ou de règles internes
adoptées par le conseil d’administration ou l’assemblée générale d’une
association.
Le cas du règlement intérieur d’une entreprise est particulièrement
intéressant, en raison de l’unilatéralité de son édiction, même s’il donne lieu
à diverses consultations obligatoires. Son édiction est même obligatoire dans
les entreprises de plus de 20 salariés, son contenu est défini par la loi de
droit privé régie par le Code de la mutualité, néanmoins chargée d’une mission de service public
administratif : « les circulaires qu’elle est amenée à prendre dans la sphère de ses attributions
constituent, par nature, des actes administratifs ».
17
TC 24 sept. 2001, M. Bouchot-Plainchant c. Fédération départementale des chasseurs de
l’Allier, AJDA 2002, n° 2, concl. J. ARRIGHI de CASANOVA, p. 155 : constituent des actes
administratifs les décisions prises par les fédérations départementales de chasseurs « dans le cadre
de leur mission de service public qui manifestent l’exercice d’une prérogative de puissance
publique » ; tel est le cas de la décision fixant le montant du timbre fédéral devant être acquitté par
leurs adhérents et qui est une cotisation obligatoire.
18
CE 15 oct. 1982, Mlle Mardirossian, Rec. p. 348.
G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 179
manière limitative et il est soumis au contrôle administratif de l’inspection
du travail (C. trav. : art. L. 1311-1, L. 1321-1 à 3, L. 1322-1 à 3). En effet, il
s’agit d’une norme générale qui s’applique à tous les salariés de
l’entreprise19.
Pourtant, la situation est, en droit, très différente, des mesures
réglementaires adoptées par un ordre professionnel ou par tout autre
organisme privé chargé de la gestion d’un service public. En effet, le
règlement intérieur n’est obligatoire qu’en raison du contrat de travail, signé
par le salarié, et qui a pour effet de soumettre le salarié à l’autorité du chef
d’entreprise. Par conséquent l’autorité de la norme tire sa source, non du
statut du chef d’entreprise, mais du contrat. Par le contrat de travail
s’exprime un accord de volonté sans lequel le salarié ne fait pas partie de
l’entreprise et le règlement intérieur ne peut lui être appliqué. La
réglementation par la loi du règlement intérieur de l’entreprise répond à un
objectif de protection du salarié qui se trouve placé sous l’autorité du chef
d’entreprise.
De même, l’association repose sur un contrat par lequel les membres
investissent certains d’entre eux, qui composent les organes statutaires, de
certains pouvoirs pour le fonctionnement de l’association. C’est par ce
contrat, qu’ils acceptent en même temps de se soumettre aux décisions de
ces organes, dans la mesure où elles sont régulièrement adoptées. En
principe, les membres de l’association qui veulent contester de telles
décisions doivent agir en justice, devant le juge civil, mais ils restent soumis
en attendant le jugement, à l’obligation de respecter ces décisions. La même
chose, vaut, à peu de choses près, pour les syndicats de copropriétaires et
l’application du règlement de copropriété, ainsi que les décisions des
organes de la copropriété.
Alors que les mesures réglementaires adoptées par des organismes de
droit privé chargés d’une mission de service public tirent leur autorité de la
loi et des compétences conférées à ces organismes, dans les ordres
juridiques de droit privé, l’autorité des normes générales trouve son
fondement dans le contrat. Cette différence est essentielle, même si le
contrat n’est qu’un contrat d’adhésion.
II. L’EXERCICE DU POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LA
PARTICIPATION DES PERSONNES PRIVÉES
On peut distinguer trois catégories de procédures qui peuvent
s’interpréter comme un partage du pouvoir réglementaire. La première
19
Ph. NEAU-LEDUC, La réglementation de droit privé, Paris, Litec, 1998.
180
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
consiste à conférer une portée réglementaire à une norme contenue dans un
accord ou une convention, ou à une norme privée. La seconde consiste à
déléguer l’édiction de la norme mais à retenir le pouvoir de lui conférer
force exécutoire, ce qu’on appelle l’homologation. La troisième consiste à
conditionner l’exercice du pouvoir réglementaire par l’intervention, plus ou
moins contraignante, d’autres institutions. Cette dernière catégorie met en
relation plutôt des autorités publiques, tandis que les deux premières
impliquent, ou peuvent impliquer, des sujets de droit privé. Ces différentes
catégories de procédures sont déterminées par la loi et ne peuvent être mises
en œuvre que lorsque la loi les prévoit. Bien entendu, cela n’exclut pas
l’existence de normes privées non impératives, que l’on tend aujourd’hui à
encourager et que l’on regroupe habituellement sous des appellations telles
que « soft law », « codes de bonne conduite », etc.
A. – Conférer une portée réglementaire à une norme contenue dans un
accord ou une convention, ou à une norme privée
Cette possibilité est prévue notamment dans trois domaines : la
négociation collective en droit du travail, les conventions ou accords pour la
mise en œuvre du Code de la Sécurité sociale ; les normes industrielles et
techniques.
1. Les conventions collectives et accords collectifs prévus par le Code
du travail
Le Code du travail donne une place essentielle à la négociation
collective. Celle-ci s’étend à l’ensemble des conditions d’emploi, de travail
et de formation professionnelle, ainsi qu’aux garanties sociales des salariés
(C. trav. : art. L. 2221-1). La négociation collective est un droit collectif
pour les salariés, et ce droit trouve une base constitutionnelle dans le
préambule de la Constitution de 1946. Il s’exerce par la négociation entre
syndicats professionnels représentants les salariés d’une part, et
représentants les employeurs d’autre part. La loi distingue la convention
collective, qui a vocation à traiter de l’ensemble des matières visées par
l’article L. 2221-1, et les accords collectifs, qui peuvent traiter seulement un
ou plusieurs sujets dans cet ensemble (art. L. 2221-2). Ces conventions
collectives ont une valeur contractuelle et lient seulement les parties ainsi
que les entreprises membres des organisations signataires. Cela résulte
clairement de l’article L. 2261-1 : « Sans préjudice des effets attachés à
l’extension ou à l’élargissement, l’application des conventions et accords est
obligatoire pour tous les signataires ou membres des organisations ou
G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 181
groupements signataires ». Les contrats de travail doivent être conformes
aux dispositions de la convention collective, dès lors que l’employeur est lié
par elle, sauf dispositions plus favorables (art. L. 2254-1).
Toutefois, le ministre du travail peut, après avis motivé de la
Commission nationale de la négociation collective, prendre des arrêtés
d’extension qui rendent alors obligatoires ces conventions collectives ou
accords collectifs pour l’ensemble des employeurs et des salariés du champ
d’application de la convention ou de l’accord, même s’ils ne font pas partie
des organisations signataires (art. L. 2261-15). Le ministre peut de même
rendre obligatoire par arrêté tout avenant à la convention ou à l’accord (art.
L. 2261-16) et, en cas d’impossibilité d’aboutir à une convention collective
ou à un accord collectif, le ministre peut rendre obligatoires les stipulations
d’une convention ou d’un accord ayant déjà fait l’objet d’un arrêté
d’extension dans un secteur professionnel présentant des analogies ; il en va
de même pour l’élargissement de la portée d’une convention ou d’un accord
applicable à un secteur territorial déterminé à d’autres secteurs territoriaux,
ou encore pour l’extension d’accords interprofessionnels (art. L. 2261-17).
Pour pouvoir faire l’objet d’un arrêté d’extension ou d’élargissement, une
convention collective ou un accord collectif doit avoir été négocié et conclu
en commission paritaire. La commission paritaire se compose des délégués
des organisations syndicales de travailleurs et d’employeurs représentatives
dans le champ d’application de la convention ou de l’accord. L’autorité
administrative peut convoquer la commission paritaire, de sa propre
initiative ou à la demande de l’une de ces organisations ; elle doit le faire si
une organisation de salariés et une organisation d’employeurs le demandent
(art. L. 2261-19 et 20). Mais le Code du travail prévoit aussi la liste des
clauses que doit comporter une convention collective de branche conclue au
niveau national pour pouvoir être étendue (par exemple : les éléments
essentiels de la détermination des classifications professionnelles ; le salaire
minimum professionnel et l’ensemble des éléments affectant le calcul du
salaire par catégorie professionnelle ; les conditions de recrutement des
salariés ; l’organisation des institutions représentatives du personnel dans
l’entreprise) (art. L. 2261-22).
Le ministre n’est pas pour autant tenu de prendre un arrêté d’extension
d’un accord collectif dont aucune clause n’est contraire aux lois et
règlements. Selon le Conseil d’État, il conserve un pouvoir d’appréciation et
peut refuser l’extension « pour des motifs d’intérêt général tenant
notamment aux objectifs de la politique économique et sociale ou à la
protection de la situation des tiers », sous le contrôle du juge de l’excès de
182
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
pouvoir20. Le juge administratif contrôle le champ d’application de la
mesure d’extension et, par exemple, il annule l’exclusion d’activités qui ne
constituent pas une branche d’activité distincte, ce qui suppose une
appréciation d’ordre économique21. Mais le juge administratif peut aussi
annuler un arrêté d’extension pour un motif étranger au droit du travail,
notamment si les effets d’une disposition étendue par l’arrêté sont « de
nature à porter une atteinte excessive à la libre concurrence » selon un avis
émis par le Conseil de la concurrence, et il peut limiter l’annulation aux
clauses litigieuses, de telle sorte que l’arrêté d’extension demeure pour
toutes les autres clauses de la convention collective22.
En résumé, la loi fixe le cadre légal selon lequel les partenaires sociaux
doivent fixer, par la négociation collective, le régime de l’emploi et de la
rémunération des salariés. La négociation collective produit ainsi des
normes de portée générale, mais au moyen d’un type d’engagement
contractuel, la convention collective ou l’accord collectif. Mais l’État est le
garant de la négociation collective et des droits qui doivent en résulter pour
les travailleurs. Il a les moyens de pousser les parties à la négociation ; il
détermine l’objet de la négociation collective et, par les arrêtés d’extension
ou d’élargissement du ministre du travail, il rend obligatoire une convention
collective ou un accord collectif pour tous les employeurs entrant dans son
champ d’application, mais qui ne seraient pas liés par l’effet du contrat.
Comment analyser l’opération juridique réalisée par l’arrêté d’extension ou
d’élargissement ? Elle opère le changement de statut de la norme sans
changer la nature de l’acte qui en est le support. L’arrêté confère à la
convention collective, ou à l’accord collectif, la force exécutoire d’un acte
réglementaire. Mais la convention collective reste un acte de nature
contractuelle et le contentieux de son application relève des juridictions du
travail sous le contrôle des cours d’appel et de la Cour de cassation.
Le régime d’assurance-chômage dont bénéficie les salariés
involontairement privés d’emploi est institué par la loi, suivant la même
logique, mais l’intervention du pouvoir réglementaire est encore plus
accentuée. Il s’agit d’un régime d’assurance obligatoire, pour les
employeurs comme pour les salariés, qui acquittent les cotisations
20
CE 21 nov. 2008, Syndicat national des cabinets de recouvrement de créances et de
renseignements commerciaux, et autres, n° 300135 : refus d’extension justifié du ministre à cause de
clauses, que la loi permettait, favorisant le départ en retraite de salariés avant l’âge limite de 65 ans,
alors que la politique du gouvernement vise à favoriser l’emploi des « seniors ».
21
CE Sect. 3 avril 1998, Fédération de la plasturgie, n° 177962.
22
CE Sect. 30 avril 2003, Syndicat professionnel des exploitants indépendants des réseaux
d’eau et d’assainissement, n° 230804 : clauses allant au-delà des exigences légales en matière de
continuité des contrats de travail en cas de reprise de l’entreprise ou du service, et de nature à rendre
plus difficile l’entrée sur le marché d’exploitants concurrents des entreprises dominantes du secteur
pour la passation de marchés publics ou de contrats de délégation de service public dans ce secteur.
G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 183
nécessaires à son financement (art. L. 5422-13 et s.). Mais la loi confie
expressément à un accord interprofessionnel négocié au niveau national les
conditions d’application du régime d’assurance-chômage qu’elle prévoit
(art. L. 5422-20). Cet accord porte notamment sur son financement (les
cotisations doivent assurer l’équilibre financier du régime), sur les
prestations versées aux demandeurs d’emploi et sur la gestion de
l’assurance-chômage par un organisme de droit privé désigné par l’accord
interprofessionnel, et en fait constitué par lui, l’UNEDIC (art. L. 5427-1).
Toutefois, cette dernière disposition, telle qu’elle résulte de la loi n° 2008128 du 13 février 2008 (art. 16), confie le service des allocations de
chômage aux bénéficiaires à un établissement public chargé du service
public de l’emploi, et notamment du placement (« Pôle emploi »).
Selon la loi (art. L. 5422-21), c’est l’agrément prononcé par le Ministre
du travail qui rend obligatoire cet accord pour l’ensemble des employeurs et
des salariés. L’accord interprofessionnel n’a donc par lui-même aucun effet
direct. La portée de l’agrément est donc ici très différente de celle de l’arrêté
d’extension, dont l’absence n’empêche pas la convention collective
(l’accord collectif) de s’appliquer entre les parties. Pour être agréé par le
ministre, l’accord interprofessionnel ayant pour objet exclusif le versement
des allocations de chômage doit satisfaire à un certain nombre de
conditions : avoir été négocié au niveau national par des organisations
professionnelles représentatives ; ne pas comporter des stipulations
incompatibles avec les dispositions légales (ibid.). Lorsque l’accord n’a pas
été signé par toutes les organisations syndicales les plus représentatives de
travailleurs et d’employeurs, le ministre ne peut procéder à l’agrément de
l’accord qu’après avis favorable motivé du comité national de l’emploi (art.
L. 5422-22). En cas d’opposition écrite et motivée de deux organisations
syndicales de travailleurs ou d’organisations syndicales représentatives
d’employeurs représentés dans ce conseil, le ministre peut solliciter un
nouvel avis, à la suite duquel il a le pouvoir de prononcer l’agrément par une
décision motivée (art. R. 5422-17). Le comité supérieur de l’emploi est un
organe consultatif établi par la loi, présidé par le ministre et composé de
représentants des organisations syndicales les plus représentatives des
travailleurs et des employeurs, des principaux opérateurs du service public de
l’emploi et de la formation professionnelle des adultes, des administrations
intéressées, des collectivités territoriales et de « personnalités qualifiées » (art.
L. 5112-1). À défaut d’accord ou d’agrément de l’accord, les mesures
d’application de la loi sont déterminées par décret en Conseil d’État (art.
L. 5422-20, al. 3) ; le gouvernement peut de même dans ce cas confier à un
établissement public administratif la gestion de l’assurance-chômage (art.
L. 5427-7). Cependant, jusqu’à maintenant, ce pouvoir d’intervention en
dernier ressort de l’État n’a jamais dû être mis en œuvre, et le régime
184
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
d’assurance-chômage a toujours été réglé par voie d’accords collectifs
interprofessionnels. C’est pourquoi, compte tenu du caractère de droit privé
de ces accords, le recouvrement des cotisations est confié, non pas à
l’administration fiscale, mais aux organismes de recouvrement de la Sécurité
sociale, qui relèvent également du droit privé, et le contentieux qui s’y
rapporte relève de la compétence des juridictions de la Sécurité sociale,
lesquelles sont soumises à la Cour de cassation (art. L. 5422-16 – il y a
quelques exceptions).
Les arrêtés d’agrément du ministre sont des actes réglementaires et, à ce
titre, il peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, qui relève
de la compétence en premier et en dernier ressort du Conseil d’État. Mais,
en dehors d’erreurs de forme ou de procédure, l’arrêté d’agrément n’est
légal ou illégal qu’en fonction du contenu des dispositions de l’accord et,
saisi, d’un tel recours, le juge administratif examine en fait la légalité des
dispositions de l’accord interprofessionnel, au fond et quant à la régularité
de la procédure suivie. L’arrêté sera donc annulé en tant qu’il approuve des
dispositions jugées illégales. Un bon exemple en est donné dans un arrêt
important du 11 mai 2004, qui annule l’arrêté d’agrément en tant qu’il
approuve des dispositions précises jugées illégales par le Conseil d’État, et
expressément mentionnées par celui-ci dans le dispositif de son arrêt23.
Comme à l’égard de n’importe quel acte administratif, l’annulation a pour
effet d’imposer le retour à l’état du droit antérieur à la date d’adoption de
l’acte annulé. Dans cet arrêt, les conséquences financières et sociales de
l’annulation rétroactive étaient telles que le Conseil d’État a saisi cette
occasion pour se reconnaître désormais le pouvoir de ne prononcer
l’annulation que pour l’avenir. Mais cette affaire nous montre bien qu’en
conférant force exécutoire à l’accord interprofessionnel l’arrêté d’agrément
soumet indirectement cet accord au régime contentieux des actes
réglementaires.
2. Les conventions et accords réglant les rapports entre les professions
de santé et la Sécurité sociale
Le Code de la sécurité sociale offre d’autres exemples importants
d’accords qui sont à l’origine de normes réglementaires. En France, la plus
grande partie du système de soins du premier degré est assuré par les
médecins, chirurgiens-dentistes, infirmières et diverses catégories
d’auxiliaires médicaux et de professions paramédicales (ex. : masseurs
kinésithérapeutes) qui exercent en pratique libérale. Mais les actes médicaux
et les soins sont financés par la Sécurité sociale, qui les rembourse une partie
23
CE Ass. 11 mai 2004, Association AC ! et autres, RFDA 2004, p. 454, concl. DEVYS,
GAJA p. 859.
G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 185
plus ou moins importante du coût pouvant être laissée à la charge du patient.
Pour régler les rapports entre la Sécurité sociale et les différentes
professions, le Code de la sécurité sociale prévoit de nombreuses
conventions passées entre leurs organisations représentatives et l’Union
nationale des caisses d’assurance-maladie, laquelle est un établissement
public administratif. Il en résulte une différence importante avec les cas
précédents : les conventions collectives et les accords collectifs prévus par le
Code du travail sont des contrats passés entre des personnes de droit privé ;
au contraire, les conventions et accords prévus par le Code de la sécurité
sociale sont des contrats passés entre des personnes de droit privé et une
personne publique et qui, à raison de leur contenu, sont des contrats
administratifs, dont l’objet est bien de poser une réglementation. On est ici
en présence de conventions qui, par la volonté du législateur, sont à effet
réglementaire.
Le Code définit très précisément les clauses que doivent contenir ces
conventions, y compris des clauses de suivi et même de sanction, des
clauses intéressant l’exercice de la profession. La tarification des actes est
régie par ces conventions sur la base des nomenclatures établies par la
Sécurité sociale (notamment : art. L. 162-5 pour les médecins ; L. 162-9
pour les chirurgiens-dentistes, les sages-femmes et les auxiliaires médicaux ;
L. 162-12-2 pour les infirmiers ; L. 162-14 pour les directeurs de
laboratoires d’analyse médicale ; L. 162-14-1 pour les dispositions
communes à toutes ces conventions). Pour être valides, ces conventions
doivent être signées par au moins une organisation représentative et que les
signataires représentent au moins 30% des suffrages exprimés aux élections
professionnelles (art. L. 162-14-1-2). Mais, à la différence des conventions
collectives et des accords collectifs du Code du travail, elles ont d’emblée
vocation à s’appliquer à tous les professionnels qu’elles visent (art. L. 16215, al. 9 et 10). L’exercice de la profession n’est pas interdit à des praticiens
qui n’accepteraient pas ces conditions, mais leurs actes ne seront pas
remboursés par la Sécurité sociale, si bien que de tels praticiens ne se
rencontrent pratiquement que dans des activités non prises en charge par la
Sécurité sociale (par exemple, la chirurgie esthétique).
L’application de ces conventions est subordonnée à leur approbation
par le ministre chargé de la santé et de la sécurité sociale (art. L. 162-15),
responsable également du respect de la loi de financement de la Sécurité
sociale votée par le Parlement et qui vise à encadrer les dépenses de santé.
Cette approbation peut être tacite : elle est acquise si, dans le délai de 21
jours de sa réception, le ministre n’a pas fait savoir qu’il s’oppose à la
convention, ou à certaines de ses clauses du fait « de leur non-conformité
aux lois et règlements en vigueur ou pour des motifs de santé publique ou de
186
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
sécurité sanitaire ou lorsqu’il est porté atteinte au principe d’un égal accès
aux soins » ; les dispositions contestées peuvent être disjointes (al. 2 et 3).
Par conséquent, si les normes sont coproduites par les professions et
l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie, la force exécutoire des
normes contenues dans ces conventions dépend d’un acte administratif,
l’approbation exprimée par le ministre, qui présente lui-même le caractère
d’un acte réglementaire pour le juge administratif. L’arrêté d’approbation
peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et le juge administratif
apprécie la légalité de cet arrêté en fonction des clauses de la convention
qu’il approuve. Comme le rappelle le Conseil d’État à propos de la
convention nationale des médecins généralistes, les dispositions de l’article
L. 162-5 habilitent les parties à la convention à « intervenir dans les
domaines visés » par cet article, sous réserve de l’approbation de l’autorité
ministérielle, mais les dispositions ainsi fixées par cette convention doivent
respecter la compétence du législateur, qui détermine les principes
fondamentaux de la Sécurité sociale, et qui charge le pouvoir réglementaire
gouvernemental, qui s’exerce par voie de décrets, de fixer certaines
obligations incombant aux organismes de Sécurité sociale et aux médecins24.
Le Conseil d’État contrôle, à l’occasion d’un recours contre l’arrêté
d’approbation, la conformité des clauses de la convention aux dispositions
législatives et réglementaires en vigueur et il n’est pas rare qu’il annule
partiellement un arrêté d’approbation pour des clauses auxquelles celui-ci
donnait effet mais qu’il juge illégales parce qu’elles méconnaissent les limites
de l’habilitation donnée par le Code de la Sécurité sociale. Le Conseil d’État
assimile les clauses de ces conventions à des normes réglementaires ; il les
déclare « opposables » aux médecins « conventionnés » (c’est-à-dire dont les
actes sont réglementés par la convention), et il examine au regard du principe
d’égalité les clauses qui établissent des différences entre les praticiens dans les
même termes que pour tout autre acte réglementaire25.
Le Code de la Sécurité sociale prévoit, pour la mise en œuvre des
conventions nationales précitées la conclusion d’« accords de bon usage des
soins » (art. L. 162-12-17), de « contrats de bonne pratique » (art. L. 162-1218) et de « contrats de santé publique » (art. L. 162-12-20). Ces accords, qui
peuvent être conclus au niveau national ou au niveau régional, développent
l’encadrement des pratiques professionnelles, fixent les engagements de
professionnels et les contreparties financières de leur contribution à la
maîtrise des dépenses médicales. Ils ne sont pas soumis à approbation
ministérielle, mais doivent être signés par les parties signataires de la
convention nationale ou leurs représentants au niveau régional, et être
24
25
CE Sect. 14 avril 1999, Syndicat des médecins libéraux, n° 202605 et 203623.
V. not. : CE 30 nov. 2005, Syndicat des médecins d’Aix et région, n° 278291.
G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 187
conformes à la convention nationale, ou l’accord national dans le cas
d’accords régionaux. Les accords régionaux sont soumis à l’approbation de
l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie. On ne peut entrer ici
davantage dans le détail de ce dispositif complexe. Mais le Conseil d’État
rattache toujours la portée réglementaire de ces accords à un acte d’une
autorité administrative. Ainsi, dans le cas d’un recours d’une entreprise
pharmaceutique contre une clause d’un « accord de bon usage de soins »
qu’elle estimait défavorable à un médicament qu’elle fabriquait, le Conseil
d’État juge que la requête « doit être regardée comme dirigée contre la
décision de l’UNCAM (Union nationale des caisses d’assurance-maladie),
révélée par la publication au Journal Officiel de la République Française
(…) de l’accord de bon usage de soins (…), de faire publier cet accord en
vue de permettre son entrée en vigueur »26. Autrement dit, on peut relever
que dans ce cas, comme dans les cas où la procédure est plus clairement
organisée par la loi, le Conseil d’État fait dépendre la portée réglementaire
des clauses de la convention d’un acte d’une autorité administrative, en
l’espèce l’UNCAM, qui en commande l’effet exécutoire.
3. Les normes techniques
Les normes techniques occupent une place très importante dans la vie
économique ; elles peuvent faciliter l’expansion du marché ou au contraire y
faire obstacle et segmenter le marché. Selon la définition qu’en donne
l’International Standardization Organization (ISO) : « Une norme est une
spécification technique ou un autre document accessible au public, établi
avec la coopération et le consensus ou l’approbation générale de toutes les
parties intéressées, fondée sur les résultats de la science, de la technologie et
de l’expérience, visant à l’avantage optimal de la communauté et approuvé
par un organisme qualifié, sur le plan national, régional ou international ».
L’organisme qualifié peut être reconnu par les autorités publiques, par
divers moyens, ou seulement par les agents économiques concernés, mais
distinct de ceux-ci pour assurer sa neutralité à leur égard. En principe, la
norme n’est pas obligatoire ; son application est volontaire ; il existe des
organismes de normalisation émanant des milieux professionnels qui
élaborent les normes, lesquelles peuvent se limiter aux exigences
essentielles, car la normalisation ne signifie pas la standardisation27.
Cependant, si la norme technique n’est pas en tant que telle et
immédiatement une règle de droit, elle n’en est pas moins une norme, au
sens sociologique du terme. On a pu dire qu’il s’agissait d’une norme
26
CE 31 déc. 2008, Société SANOFI Pharma Bristol-Myers Squibb, n° 286279.
J. IGUALENS / H. PENAN, La normalisation, coll. « Que sais-je ? », Paris, PUF, 1994,
n° 1954, pp. 71-72.
27
188
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
exerçant « une fonction directive souple » qui s’appuie sur l’adhésion et le
consentement28. En outre, si on a pu opposer naguère les régimes libéraux,
dans lesquels les normes techniques étaient d’application volontaire, aux
régimes dirigistes ou autoritaires, dans lesquels elles étaient impératives, on
doit reconnaître qu’aujourd’hui la normalisation est de plus en plus
réglementée. Cependant, les normes techniques ne sont pas produites par
l’État, mais par les agents économiques et, dans cette mesure, dans un pays
comme la France et en général dans l’Union européenne, elles sont d’origine
privée. L’État détermine seulement lesquelles, et à quelles conditions,
peuvent devenir obligatoires.
En France, la normalisation s’est d’abord développée dans le domaine
militaire et s’est organisée dans le domaine civil entre les deux guerres, avec
la création l’AFNOR (Association française de normalisation) en 1926. La
norme technique est alors élaborée avec la coopération des intéressés et elle
n’est pas obligatoire. C’est sous le régime de Vichy que les bases de la
réglementation de la normalisation ont été posées (loi du 24 mai 1941,
toujours en vigueur). Un décret de 1984 a organisé la publicité des normes
homologuées par l’AFNOR, dont le rôle central a été consacré, et déterminé
quelles normes pouvaient être rendues obligatoires, devenant ainsi des
normes juridiques, malgré leur contenu technique. Dans les années 80, la
Communauté européenne s’est préoccupée d’éviter une utilisation
protectionniste des normes techniques et elle a adopté des dispositions
organisant une procédure d’information systématique et réciproque sur les
normes, et favorisant les organismes européens de normalisation (directive
83/189). De plus, si le respect des normes est volontaire, la référence aux
normes est obligatoire dans la passation des marchés publics ; compte tenu
de l’importance économique des marchés publics, il est donc très difficile de
s’en dispenser.
Le régime français de la normalisation vient d’être réorganisé par le
décret n° 2009-697 du 16 juin 2009, qui abroge et remplace le décret de
198429. Le rôle de l’AFNOR est renforcé, tant sur le plan interne que dans
les organisations non gouvernementales de normalisation européennes. Elle
est chargée de la programmation des travaux de normalisation et de
l’organisation des enquêtes publiques, auxquelles sont soumis les projets de
normes élaborés par des bureaux de normalisation, agréés par le ministre
chargé de l’industrie et agissant par délégation de l’AFNOR sur la base
d’une convention, laquelle est approuvée par le délégué interministériel aux
normes, haut fonctionnaire nommé par décret et placé sous l’autorité du
28
F. VIOLET, Articulation entre la norme technique et la règle de droit, Aix-en-Provence,
Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2003, p. 45.
29
G. MARCOU, « La procédure de normalisation et l’innovation », RFDA n° 1/2011, janvierfévrier, pp. 135-140.
G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 189
ministre. L’AFNOR évalue les bureaux de normalisation périodiquement et
veille en particulier à la participation de tous les intéressés au sein de
commissions de normalisation. Elle peut aussi exercer la fonction de bureau
de normalisation, notamment pour des secteurs où n’existe aucun bureau de
normalisation ou pour des normes intéressant un grand nombre de secteurs.
Le décret du 16 juin 2009 rappelle que « les normes sont d’application
volontaire ». Mais les normes peuvent être, du point de vue juridique de
trois catégories différentes : 1) certaines normes sont purement privées et
peuvent être enregistrées par l’AFNOR ; 2) une norme peut aussi être
homologuée, à l’issue d’une enquête publique organisée par l’AFNOR ; 3)
une norme peut être rendue obligatoire par arrêté ministériel (art. 17). En
outre, le délégué interministériel peut s’opposer à l’homologation d’une
norme qui serait contraire à des dispositions législatives ou réglementaires,
aux orientations de la politique française des normes ou de nature à
compromettre la mission d’intérêt général dont l’AFNOR est chargée, ou
encore pour défaut d’une version en langue française de la norme. Le
Conseil d’État a jugé que le simple enregistrement d’une norme ne ressortit
pas de l’exercice d’une prérogative de puissance publique, et ne constitue
donc pas un acte administratif, alors même que l’AFNOR est un organisme
privé chargé d’une mission de service public30. En revanche, l’homologation
d’une norme prononcée par le directeur général de l’AFNOR ne se borne
pas à exprimer une recommandation, mais prend « une décision qui
présente, en raison des effets qui y sont attachés, un caractère
réglementaire »31.
La norme homologuée a donc bien la nature d’un acte administratif à
caractère réglementaire, alors même que, selon l’article 11 de l’ancien décret
de 1984 alors en vigueur, la norme homologuée n’est pas obligatoire. Mais
c’est sans doute son caractère de référence obligatoire dans les marchés
publics qui justifie la portée reconnue ici à l’homologation, et qui permet au
juge d’admettre le recours pour excès de pouvoir ou l’exception d’illégalité
contre la décision d’homologation d’une norme. Comme dans les
hypothèses précédentes empruntées au droit social, c’est en fonction de
l’appréciation de la légalité du contenu de la norme homologuée que le juge
prononcera éventuellement l’annulation totale ou partielle de la décision
d’homologation, privant alors de sa force juridique la norme en cause.
A fortiori les normes rendues obligatoires par arrêté ministériel ontelles un caractère réglementaire. Elles doivent alors être consultables
30
CE 17 février 1992, Société Textron, AJDA 1992, p. 450.
CE 14 oct. 1991, Section régionale Normandie-Mer du Nord du comité interprofessionnel
de conchyliculture, n° 90260 : rejet d’un recours pour excès de pouvoir contre la décision du
directeur de l’AFNOR homologuant une norme relative aux huîtres creuses.
31
190
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
gratuitement sur le site internet de l’AFNOR (art. 17 du décret du 16 juin
2009).
Ce sont donc des normes d’origine privée qui peuvent être revêtues par
la puissance publique d’une portée réglementaire, avec des degrés
d’impérativité différents, en fonction de la procédure mise en œuvre. Par
l’homologation, l’AFNOR confère un caractère officiel et public à la
norme ; par arrêté ministériel elle peut être rendue obligatoire et elle devient
donc juridiquement opposable à tous les intéressés.
Il existe d’autres exemples de normes d’origine privée qui sont revêtues
d’une force exécutoire par leur homologation par une autorité
administrative, ou peuvent être imposés dans les clauses contractuelles de
contrats d’adhésion (par exemple certains tarifs publics fixés par des
entreprises privées). Le ministre chargé de l’économie peut en particulier
homologuer par arrêté les codes de conduite élaborés par des organisations
représentatives des professionnels du secteur financier en matière de
commercialisation d’instruments financiers, d’opérations de banque, de
services de paiement, de produits d’épargne, et de divers autres contrats ;
l’homologation est prononcée après avis du comité consultatif de la
législation et de la réglementation financières (art. L. 611-3-1 C. mon. fin.).
Le non-respect de ces codes de conduite expose alors au prononcé de
sanctions administratives, par l’Autorité de Contrôle Prudentiel notamment.
B. – Déléguer l’édiction de la norme mais retenir le pouvoir
de lui conférer force exécutoire
Ce mode d’organisation du pouvoir réglementaire est différent des
hypothèses précédentes, bien qu’il s’exprime par un acte que l’on appelle
l’homologation.
L’homologation peut avoir, en droit, plusieurs sens. Dans un sens assez
général, c’est un acte qui a pour objet de reconnaître qu’un matériel, un
dispositif, une installation respecte bien certaines normes préétablies. Tel est
le cas, par exemple, de l’homologation prévue par le Code de
l’environnement pour divers matériels, par rapport aux normes d’émissions
sonores à respecter, ou de l’homologation des enceintes sportives par
l’autorité administrative prévue par le Code des sports. L’homologation a
pour effet d’en permettre l’utilisation. À l’égard d’une norme juridique,
l’homologation a aussi pour objet de reconnaître que celle-ci est conforme à
d’autres normes. Mais elle a aussi une autre portée, celle de lui conférer
force exécutoire.
La différence entre le cas dont il sera question ici et l’homologation des
normes techniques présenté ci-dessus, réside dans le fait que les normes
G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 191
techniques sont par leur origine des normes privées sur lesquelles les
pouvoirs publics estiment nécessaire d’établir leur contrôle, alors que, dans
ce qui suit, il s’agit de la délégation par l’État, à un organisme public ou
privé du pouvoir de produire des normes réglementaires mais qui ne tiennent
leur force exécutoire que d’un acte d’une autorité administrative supérieure,
l’homologation. Autrement dit, la norme réglementaire est imparfaite, ou
incomplète, tant que l’homologation ne lui a pas conféré force exécutoire.
L’homologation est une procédure qui se rencontre assez fréquemment,
dans des domaines très divers, et habituellement pour maintenir un contrôle
d’une autorité administrative supérieure sur l’exercice d’un pouvoir
réglementaire spécial délégué à une autorité administrative, ou publique,
indépendante, à un établissement public ou à une personne privée. Dans les
trois cas, l’indépendance relative de l’organisme délégataire d’un pouvoir
réglementaire spécial est contrebalancée par les limites du pouvoir qui est
délégué et les contrôles qui peuvent être exercés.
Le législateur ne peut ainsi déléguer à une autorité administrative
indépendante qu’un pouvoir réglementaire spécial : si les dispositions
constitutionnelles relatives au pouvoir réglementaire gouvernemental ne font
pas obstacle à ce que la loi confie à une autorité publique autre que le
Premier ministre le soin de fixer des normes permettant de mettre en œuvre
une loi, c’est à la condition que cette loi ne concerne que « des mesures de
portée limitée tant par leur champ d’application que par leur contenu »32.
Cette jurisprudence légitime les dispositions de l’article L. 36-6 du
Code des postes et des communications électroniques qui soumet à
l’homologation ministérielle les mesures réglementaires que l’Autorité de
régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) doit
adopter selon cet article, mais qui ne s’impose que si lesdites mesures
concernent la diffusion des services de radiodiffusion et de télévision. On
peut citer d’autres exemples dans le domaine des autorités administratives
ou publiques indépendantes. Ainsi, le règlement général de l’Autorité des
marchés financiers, qui fixe les règles applicables aux différentes
professions exercées sur les marchés financiers, est soumis à homologation
du ministre des finances (art. L. 621-6 C. mon. fin.). La décision de
l’Autorité de sûreté nucléaire qui définit les modalités d’organisation du
réseau national de mesures de la radioactivité de l’environnement, la nature
des informations qui lui sont transmises et les modalités selon lesquelles ces
informations sont mises à la disposition du public, est homologuée par le
ministre chargé de la santé (art. R. 1333-11.III CSP). Certaines des règles
techniques dont l’adoption est confiée à l’Autorité de Régulation des
Activités ferroviaires, instituée par la loi du 8 décembre 2009 (art. L. 2131-7
32
Cons. const. n° 89-260 DC, 28 juillet 1989, Commission des Opérations de Bourse.
192
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
C. transports). En revanche l’homologation n’est pas prévue pour les
mesures que doit adopter la Commission de régulation de l’énergie (CRE),
et il en va de même du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
L’homologation est un pouvoir attribué par la loi au ministre dont
l’effet est de dissocier le contenu de l’acte de sa force exécutoire. L’acte
soumis à homologation est bien établi par l’ARCEP mais il ne prend effet
que par l’homologation, laquelle présente le caractère, par là-même, d’un
acte réglementaire33. L’homologation réserve donc un contrôle en dernier
ressort au ministre. En pratique on comprend qu’un acte qui ne pourrait être
homologué ne sera pas présenté. Du point de vue contentieux, la décision
d’homologation conditionne la mise en œuvre de la mesure, et c’est elle que
vise éventuellement une demande de suspension devant le juge administratif
des référés34. Cependant, au fond, c’est l’ARCEP, dans le cas cité, qui est
bien l’auteur de la mesure dont l’annulation est demandée35. Quoi qu’il en
soit l’homologation n’est possible que lorsqu’elle est expressément requise
par la loi, elle ne peut donc pas être un instrument général de contrôle
supérieur du ministre sur les actes faits par une autorité administrative
indépendante.
Il est plus rare de rencontrer l’homologation à propos de normes que
des organismes privés sont habilités par la loi à adopter. C’est par exemple
le cas en matière d’organisation de producteurs agricoles. Ainsi, les accords
nationaux ou régionaux conclus dans le cadre de l’organisation
interprofessionnelle constituée entre les producteurs de lait, les groupements
coopératifs agricoles laitiers et les industries de transformation du lait par les
organisations les plus représentatives de ces professions peuvent être
homologués par arrêtés ministériels. Si l’homologation est prononcée, les
mesures ainsi arrêtées par l’organisation interprofessionnelle sont
obligatoires pour tous les producteurs et transformateurs de la zone
concernée, notamment les contrats de fourniture de lait entre producteurs et
transformateurs (art. L. 632-12 C. rur.).
Mais il faut admettre que la terminologie utilisée n’est pas toujours
rigoureuse. On peut ainsi rapprocher de l’homologation telle qu’on l’a
décrite la « reconnaissance » par l’autorité administrative des groupements
de producteurs agricoles lorsqu’ils édictent des règles dont l’objet est défini
par la loi (adapter la production à la demande en respectant des cahiers des
charges, instaurer la transparence des transactions, promouvoir des
méthodes de production respectueuses de l’environnement...) ; cette
reconnaissance leur confère une priorité pour l’attribution des aides de l’État
33
34
35
195430.
CE Ord. réf. 20 oct. 2003, Soc. Louis Dreyfus Communications, n° 260477.
CE Ord. réf. 19 janv. 2004, Soc. T-Online, n° 263012.
CE Ass. 26 juin 1998, Soc. AXS Télécoms, n° 194151 194152 195427 195428 195429
G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 193
pour l’organisation des marchés (art. L. 551-1 et s. C. rur.). Les organismes
de producteurs peuvent, pour un même secteur de produits et pour une
région déterminée, se constituer en comités économiques agricoles, qui
disposent de certaines prérogatives y compris l’exercice d’un pouvoir
réglementaire spécial : ils édictent des règles communes à leurs membres,
contribuent à la mise en œuvre des politiques nationales et communautaires,
peuvent établir un fonds de mutualisation pour lutter contre les crises et en
atténuer les effets sur le revenu des agriculteurs (art. L. 552-1 et 2). Ces
règles peuvent être « étendues » par arrêté ministériel, à la demande des
comités économiques agricoles, sous condition de représentativité, à
l’ensemble des producteurs de leur circonscription, pour lesquels elles
deviennent alors obligatoires (art. L. 554-1 et 2)36.
Bien que le vocabulaire rappelle celui du Code du travail, les rapports
juridiques en cause sont un peu différents. On est ici en présence d’une
forme d’organisation corporative, réglementée par la loi, et qui tient de la loi
le pouvoir de fixer certaines règles pour ses membres. Ces règles sont
obligatoires pour les membres du comité économique agricole, sur une base
contractuelle ; c’est l’arrêté d’extension qui les rend obligatoires
indépendamment du contrat. Mais, à cette occasion, le ministre peut
demander des modifications à ces règles, et il a le pouvoir de retirer son
arrêté d’extension (art. D. 554-1 à 6). Il exerce donc un pouvoir plus directif
qu’en matière de négociation collective.
C. – Conditionner l’exercice du pouvoir réglementaire
par l’intervention d’autres institutions
Cette modalité de participation à l’exercice d’un pouvoir réglementaire
est plus classique et nous retiendra moins. Elle se manifeste par le fait que
l’autorité investie du pouvoir d’adopter un acte réglementaire ne peut le
faire que sur la proposition, ou après consultation, ou avec l’accord d’un
autre organisme. L’autorité n’est pas liée par la proposition ou l’avis, mais
elle est liée par l’accord lorsqu’il est requis par la loi.
Il existe ainsi dans l’administration française un grand nombre
d’organismes consultatifs spécialisés, au sein desquels sont représentés les
intérêts du secteur en cause, des experts indépendants et d’autres
36
Pour un exemple récent, v. CE 28 nov. 2011, SNC Doux Élevage, Société coopérative
agricole UKL – Arrée, n° 334183 et 334215 : recours contre la décision implicite du ministre par
laquelle a été réputée acceptée la demande d’extension d’un avenant à l’accord interprofessionnel de
la dinde française établissant une cotisation interprofessionnelle ainsi rendue obligatoire ; question
préjudicielle posée à la CJUE pour savoir si un tel arrêté d’extension peut être considéré comme une
aide d’État.
194
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
administrations ou les collectivités territoriales, selon les cas. Les avis sont
soutenus par une forte légitimité et l’administration les suit généralement.
En ce sens, ces procédures assurent une participation des intérêts en cause
au pouvoir réglementaire.
Les organismes professionnels sont souvent impliqués dans de telles
procédures : par exemple, la consultation des chambres d’agriculture, des
chambres de commerce et d’industrie sur les projets de documents
d’urbanisme ; les ordres professionnels (ordre des médecins, ordre des
vétérinaires, ordre des géomètres-experts...) sont consultés sur les Codes de
déontologie qui doivent encadrer les pratiques professionnelles et qui sont
arrêtés par décret.
Conformément aux recommandations du Conseil d’État, la loi n° 2011525 du 17 mai 2011 (art. 16) élargit considérablement le champ de la
consultation. Quand la loi prévoit la consultation obligatoire d’une
commission avant l’édiction d’un acte réglementaire, l’autorité
administrative peut organiser une « consultation ouverte » permettant de
recueillir sur un site internet les observations des personnes concernées. La
commission consultative peut faire part de ses observations dans ce cadre.
L’autorité administrative établit et rend publique la synthèse des
observations recueillies. Cette nouvelle procédure concerne non seulement
l’État, mais également les collectivités territoriales et les établissements
publics. Elle n’est cependant pas obligatoire. Certaines consultations
obligatoires ne sont pas soumises à ce texte (appl. : D. n° 2011-1832 du 8
décembre 2011).
***
En conclusion, si le pouvoir réglementaire est bien une prérogative de
puissance publique, la loi en a organisé empiriquement une certaine
diffusion. D’une part, un grand nombre d’organismes publics exercent un
pouvoir réglementaire spécial ; d’autre part, de nombreuses procédures ont
été introduites pour permettre la participation des intéressés à
l’établissement des règles auxquels ils devront être soumis. La loi fait
largement usage du contrat, sous différentes formes, pour l’édiction de
règles fondées sur l’accord plutôt qu’imposées par l’acte unilatéral,
notamment dans le domaine social. Des normes privées peuvent aussi être
reconnues et être revêtue de la force exécutoire propre à l’acte
réglementaire. Cette évolution, nullement remise en cause, au contraire, par
les politiques de privatisation, se traduit par une diffusion du droit public
bien au-delà de sa sphère traditionnelle, au travers des actes par lesquels la
puissance publique confère une portée réglementaire à ces diverses
dispositions. C’est aussi une garantie pour les ayants-droits, dans la mesure
G. MARCOU : LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE ET LES SUJETS DE DROIT PRIVÉ 195
où la possibilité de contester un acte administratif est ouverte bien plus
largement que celle de contester un contrat auquel on n’est pas partie. Mais
cette diffusion ou ce partage, selon les cas, du pouvoir réglementaire ne
saurait aller au-delà de ce que prescrit la loi ni empiéter sur les prérogatives
du pouvoir réglementaire gouvernemental, car seuls le législateur et le
gouvernement ont des comptes à rendre à l’ensemble de la société.
LA DÉCISION IMPLICITE
EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS
Paul CASSIA
1. La règle de la décision implicite – ou décision tacite – participe à
l’établissement d’un État de droit. Elle a deux effets protecteurs vis-à-vis des
administrés : elle leur donne le droit d’obtenir une décision administrative –
particulière, car dépourvue d’existence matérielle –, en évitant que
l’administration puisse indéfiniment garder le silence sur la demande dont
ils l’ont saisie sans qu’aucun effet juridique ne s’attache à cette inertie ; elle
permet l’exercice du droit à un recours juridictionnel, lequel ne peut être
formé, devant le juge administratif saisi du principal, que contre une
décision faisant grief1.
2. Pour limiter les hypothèses dans lesquelles le contentieux ne serait
pas lié en raison d’un défaut de décision préalable, un décret du 2 novembre
1864 prévoyait que le silence d’un ministre gardé pendant quatre mois à la
suite d’une demande d’un administré dirigée contre une décision de l’un de
ses subordonnés valait décision de refus. Cette règle avait été confirmée par
l’article 3 de la loi du 17 juillet 1900 ; elle avait été rendue applicable non
seulement aux requêtes formées devant le Conseil d’État, mais également,
par l’effet du décret du 30 septembre 1953 et de la loi n° 56-557 du 7 juin
1956 relative aux délais de recours contentieux en matière administrative,
devant les juridictions subordonnées, puis étendue aux demandes formées
devant toutes les autorités administratives (et plus seulement les ministres)
par le décret n° 65-29 du 11 janvier 1965 relatif aux délais de recours
contentieux en matière administrative2.
1
Art. R. 421-1 du CJA : « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie
que par voie de recours formé contre une décision ».
2
Ce texte, toujours en vigueur, a été profondément remanié par le décret n° 2001-492 du
6 juin 2001 évoqué ci-après ; dans sa version initiale, l’article 1er de ce texte prévoyait que « le
198
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
3. La valeur juridique de ce principe a posé difficulté. Le Conseil
d’État a longtemps jugé que la règle selon laquelle le silence gardé par
l’administration vaut décision de rejet n’est pas un principe général du
droit3 ; par conséquent, le pouvoir réglementaire pouvait de lui-même, sans
autorisation législative préalable, instituer un régime de décision implicite
d’acceptation. Le Conseil constitutionnel a de son côté considéré que la
règle selon laquelle le silence de l’administration pendant un délai déterminé
vaut rejet de la demande est un « principe général », qui a valeur législative
et non constitutionnelle, auquel seul le législateur peut déroger en inversant
les conséquences du silence, qui pourrait valoir acceptation4. Le Conseil
d’État a fini par se rallier à cette analyse, en reconnaissant à son tour un
« principe général du droit selon lequel le silence gardé par l’administration
vaut décision de rejet »5 ; le pouvoir réglementaire ne peut pas, sans
habilitation législative préalable, instaurer un régime d’approbation
implicite, par dérogation à la règle générale.
4. Désormais, le régime applicable aux décisions implicites est pour
l’essentiel6 fixé par la loi n° 2000-31 du 12 avril 2000 relative aux droits des
citoyens dans leurs relations avec les administrations. L’objectif du
législateur a été d’améliorer le traitement des demandes par les
administrations entrant dans le champ d’application de la loi. Elle fixe une
règle d’apparence simple : en l’absence de texte spécial, le silence de deux
mois (et non plus de quatre mois) gardé par l’administration sur une
demande vaut rejet. La loi ajoute qu’il est toujours possible au pouvoir
réglementaire – plus précisément au gouvernement, par l’adoption de
silence gardé pendant plus de quatre mois sur une réclamation par l’autorité compétente vaut
décision de rejet ».
3
CE 25 mars 1966, Épx Richet, Lebon, p. 233, sol. impl. ; CE, Ass., 27 févr. 1970, Cne de
Bozas, Lebon, p. 139 ; CE 23 avril 1975, Vilain, Lebon, p. 249.
4
Cons. const., décision n° 69-55 L du 26 juin 1969, Protection des sites : « Considérant que,
d’après un principe général de notre droit, le silence gardé par l’administration vaut décision de rejet
et, qu’en l’espèce, il ne peut y être dérogé que par une décision législative » ; Cons. const., décision
no 94-352 DC du 18 janv. 1995, Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité sur la
vidéosurveillance, Rec. Cons. const., p. 170.
5
CE 14 févr. 2001, Ministre de l’emploi et de la solidarité c/ Bouraïb, n° 202830, Lebon,
p. 793.
6
Mais pas seulement, car la loi du 12 avril 2000 a un champ d’application limité : ainsi, aux
termes de son article 18, elle ne s’applique pas aux relations entre l’administration et ses agents
(sauf pour l’article 21 de la loi relatif au délai de survenance d’une décision implicite de rejet) ou
aux relations entre une collectivité territoriale et une administration centrale ou déconcentrée. Les
établissements publics à caractère industriel et commercial (SNCF, RATP…) n’entrent pas
davantage dans le champ d’application de la loi du 12 avril 2000 : CE 7 mai 2008, Comité pour la
réouverture de la ligne Oloron-Canfrac, n° 299013, à mentionner au Lebon. Par ailleurs, des
dispositions législatives peuvent instaurer des procédures spécifiques conduisant à l’adoption d’une
décision implicite : v. par ex. la manière dont le silence du ministre chargé de l’économie est, aux
termes de l’article L. 430-7 du Code de commerce, réputé autoriser une opération de concentration
qui a fait l’objet d’un examen approfondi par l’Autorité de la concurrence.
P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS
199
décrets en Conseil d’État7 – de déroger à cette règle, soit pour modifier le
délai de deux mois, soit même pour inverser le sens du silence et prévoir que
celui-ci vaudra acceptation.
5. Le mécanisme de la décision implicite n’est pas sans faille. Il en
existe au moins trois.
D’abord, il ne joue que lorsque l’administration est saisie non d’une
simple démarche mais d’une « demande », c’est-à-dire d’une réclamation
provocant l’adoption d’un acte produisant des effets de droit pour
l’administré – condition au demeurant interprétée libéralement comme le
montre la rareté de contentieux sur le point de savoir si le fait générateur est
une « demande » au sens de la loi du 12 avril 20008. L’administré doit, sans
qu’il soit besoin à ce stade de recourir aux services d’un avocat, fournir par
7
De sorte qu’une autorité administrative telle qu’un maire ne peut décider de fixer un délai
différent de celui posé par la loi ou des décrets en Conseil d’État : CAA Nantes 5 juin 2007, Sté
TGB Aménagement, n° 05NT01414 : « Considérant que dans le cas où le demandeur ne peut
bénéficier d’une autorisation de lotir tacite par application des dispositions précitées du code de
l’urbanisme, le silence gardé par l’autorité administrative sur sa demande vaut décision de rejet de
cette demande, non au terme du délai d’instruction qui lui est notifié, mais, à l’issue du délai de droit
commun de deux mois prévu par les dispositions précitées de l’article 21 de la loi du
12 avril 2000 » ; CE 7 juill. 2008, M. Auquier, n° 310985, à mentionner au Lebon ; BJDU 2008,
p. 262, concl. C. de SALINS : « il ressort des pièces du dossier que la demande de permis présentée
par M. Auquier a été enregistrée le 23 janvier 2004 ; que, dès lors, le délai d’instruction de deux
mois expirait le 23 mars 2004 à minuit ; que, par suite, la décision du maire de Vénasque en date du
22 mars 2004 refusant le permis demandé, présentée au domicile de l’intéressé le 23 mars,
constituait un refus de permis de construire et non le retrait d’un permis tacite, alors même que la
lettre notifiant à M. Auquier, en application des dispositions de l’article R. 421-12 du Code de
l’urbanisme, le délai d’instruction de sa demande de permis indiquait par erreur qu’elle vaudrait
autorisation si l’autorité compétente ne s’était pas prononcée avant le 23 mars 2004 ». Il en va de
même pour un ministre, qui n’a pas compétence pour établir des règles différentes de celles posées
par la loi pour la survenance d’une décision implicite de refus : CE 5 oct. 2005, Sté Endymis,
n° 267949, AJDA 2006, p. 429, note D. COSTA.
8
V. pour de rares exemples : CE 31 oct. 1986, Fédération nationale des syndicats libres des
PTT, n° 53872, Lebon, p. 249 ; Dr. soc. 1987, p. 390, concl. Ch. VIGOUROUX : le silence gardé à
la suite du dépôt d’un préavis de grève n’a fait naître aucune décision implicite, l’administration
n’ayant pas l’obligation de répondre à ce préavis mais pouvant se borner à en prendre acte ; CE
18 févr. 1987, Rocache, n° 29562, Lebon, p. 61 : le silence gardé par l’administration sur une
demande d’autorisation ne vaut pas décision implicite dès lors que l’activité en cause n’était pas
soumise à autorisation ; CE 10 mars 1989, Mlle Fournier, n° 53591, Lebon, p. 776 : le silence gardé
par le préfet sur une demande auquel il ne pouvait donner aucune suite juridique, faute d’être
compétent, n’a pas fait naître de décision faisant grief ; CE 29 avril 2009, Chambre syndicale des
loueurs d’automobiles de place de Paris Ile-de-France, n° 305695 : « Considérant que si le préfet de
police a présenté, le 20 novembre 2002, à la commission des taxis et des véhicules de petite remise,
un projet de création de 1 500 nouvelles autorisations de stationnement de taxi parisien sur une
période d’au moins cinq ans, ces indications n’ont pu avoir ni pour objet ni pour effet de limiter le
pouvoir dont le préfet de police dispose pour réglementer le nombre de taxis dans sa zone de
compétence ; qu’en l’absence de tout caractère décisoire de ces indications, le courrier adressé le
21 novembre 2002 par la chambre syndicale des loueurs d’automobiles de place de Paris-Ile-deFrance au ministre de l’intérieur ne saurait être regardé comme un recours hiérarchique à l’origine
d’une décision implicite de rejet susceptible d’être déférée devant le juge de l’excès de pouvoir ;
que, par suite, le silence gardé par le ministre à la suite de ce courrier n’a pu, lui-même, faire grief ».
200
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
écrit9 et en français10 tous les renseignements susceptibles de mettre
l’administration à même de se prononcer en connaissance de cause : lorsque
tel n’est pas le cas, le juge considère qu’aucune décision implicite ne peut
intervenir11. On y reviendra, l’exécutif a limité les risques d’une invocation
trop systématique du caractère incomplet de la demande, en obligeant
l’administration à faire savoir à l’intéressé que des pièces supplémentaires
sont nécessaires au traitement de son dossier12. Le juge pourrait être amené à
contrôler le caractère abusif de la suspension de la procédure administrative,
lorsque l’administration réclame des pièces complémentaires pour un motif
en réalité dilatoire – afin de retarder la survenance de la décision13.
Ensuite, il peut arriver dans des hypothèses exceptionnelles qu’une
demande adressée à l’administration ne puisse donner lieu à la naissance
d’une décision implicite, en dépit du silence indéfiniment conservé sur cette
demande. Tel est le cas en premier lieu lorsque les textes prévoient qu’un
organisme collégial14 ou qu’une autorité doit être consulté préalablement à
la prise de décision, à moins que ces textes permettent de passer outre leur
carence ; par exemple, l’article 50 du décret du 29 juillet 1927 relatif aux
distributions d’énergie prévoit une procédure complexe d’approbation des
travaux concernant les lignes électriques, qui peut ne pas connaître
9
La demande au sens de la loi du 12 avril 2000 ne peut pas être faite oralement, l’oralité ne
s’accommodant pas de la formalité de l’accusé de réception imposée à l’administration. Avant 2000
toutefois, la demande de nature à faire naître une décision implicite pouvait être orale (CE 7 nov.
1956, Delzont, Lebon, p. 421).
10
V. par ex. : CE 10 juin 1991, Kerrain, n° 99608, Lebon, p. 1107 : « Considérant que les
deux documents que M. Kerrain a adressés à l’administration n’étaient pas rédigés en langue
française et que, par suite, leur objet ne pouvait être identifié ; que, dans ces conditions, ces
documents n’étaient pas de nature à faire naître une décision implicite de rejet ».
11
V. anciennement : CE 27 juin 1962, Ministre des travaux publics c/ Chodas, Lebon,
p. 1055, à propos d’une démarche tendant à ce que le ministre adresse « des instructions à ses
subordonnés en ce qui concerne le droit de pêche » ; CE 4 juin 1982, Hensel, n° 37007, Lebon
p. 213 ; Droit social 1982, p. 641, concl. B. STIRN ; D. 1983, p. 260, note F. MODERNE.
12
Art. 2 du décret n° 2001-492 du 6 juin 2001 relatif à l’accusé de réception des demandes
présentées aux autorités administratives : « Lorsque la demande est incomplète, l’autorité
administrative indique au demandeur les pièces manquantes dont la production est indispensable à
l’instruction de la demande et celles des pièces rédigées dans une langue autre que le français dont la
traduction et, le cas échéant, la légalisation sont requises. Elle fixe un délai pour la réception de ces
pièces ». Auparavant, en application de la jurisprudence Hensel de 1982 préc., le Conseil d’État
considérait que le caractère incomplet de la demande faisait obstacle à la survenance d’une décision
implicite d’acceptation, sans que l’administration soit tenue de réagir en invitant l’administré à lui
transmettre les pièces manquantes.
13
V. en ce sens : concl. P. FOMBEUR sur CE 13 janv. 2003, Camara, préc. : « Il faut
considérer que la demande de pièces complémentaires ne peut suspendre le délai au terme duquel
une décision implicite de rejet intervient que si cette demande est justifiée ».
14
V. par ex. : CE 26 mai 1986, Albin, n° 55822, Lebon, p. 150 : la décision définitive statuant
sur le recours d’un candidat au titre d’agréé en architecture ne saurait résulter du silence conservé
pendant par le ministre, dès lors que ce dernier ne peut se prononcer qu’après avis du conseil
régional de l’ordre des architectes.
P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS
201
d’aboutissement si le comité technique de l’électricité ne donne pas d’avis à
l’autorité décisionnelle – l’ingénieur en chef « de la circonscription
électrique » ou le préfet. Tel est le cas en deuxième lieu dans le domaine des
installations classées (il s’agit d’une exploitation industrielle ou agricole
susceptible de créer des risques de pollution ou de nuisance sur la sécurité
ou la santé des riverains), le juge considérant que l’administration n’est pas
dessaisie de la demande d’autorisation à l’expiration du terme – indicatif
donc – fixé par les textes : aux termes de l’article 11 d’un décret du 21
septembre 1977, « le préfet statue [sur les demandes d’autorisation de
construire et d’exploiter une installation classée] dans les trois mois du jour
de la réception par la préfecture du dossier de l’enquête (…). En cas
d’impossibilité de statuer dans ce délai, le préfet fixe, par arrêté motivé, un
nouveau délai ». Le Conseil d’État a jugé qu’une décision implicite ne naît
pas lorsque le préfet dépasse ce délai de trois mois sans prendre d’arrêté de
prorogation15 ; bien que cette jurisprudence ne paraissait pas pouvoir être
maintenue à la fois en raison de la logique même du décret de 1977 (quel
intérêt y aurait-il à prévoir la possibilité de proroger le délai de trois mois
par arrêté si celui-ci n’a pas de conséquence juridique ?) et de l’adoption de
la loi du 12 avril 2000, laquelle a renforcé la portée du silence de
l’administration, le Conseil d’État l’a récemment confirmée, au motif que le
délai de trois mois imparti au préfet pour statuer n’a pas de caractère
impératif, de sorte qu’il reste saisi de la demande en dépit du dépassement
de ce délai16. Ces textes et jurisprudences paraissent dépassés au regard du
droit des administrés à obtenir une réponse à leurs prétentions dans un délai
raisonnable (v. infra § 24). Enfin, en troisième lieu, le silence ne fait naître
aucune décision implicite lorsque la loi le prévoit : tel est le cas par exemple
pour les décisions prises par l’office français de protection des réfugiés et
15
CE, Section, 6 juin 1995, Tchijakoff, n° 127163, Lebon, p. 233 ; confirmé à plusieurs
reprises, par ex. : CE 12 mars 1999, Melle Carrière, n° 256378.
16
CE 2 mai 2007, Ministre de l’écologie et du développement durable, n° 295024, à
mentionner au Lebon ; LPA, n° 207, 16 oct. 2007, p. 8, note M. STAUB : « si le second alinéa de
l’article 11 du décret du 21 septembre 1977 fait obligation au préfet, sauf pour celui-ci à proroger la
durée d’examen par arrêté motivé, de statuer dans un délai de trois mois sur les demandes
d’autorisation d’ouverture d’installations classées, l’expiration de ce délai ne fait pas naître une
décision implicite et ne dessaisit pas l’autorité administrative, qui reste tenue de statuer sur la
demande qui lui a été présentée ». Cet arrêt confirme donc par ricochet un précédent intervenu
relativement à l’autorisation d’exploitations de centrales hydro-électriques : CE 11 déc. 2000,
Ministre de l’environnement, n° 169437, Lebon, p. 1005 : le décret n° 81-375 du 15 avril 1981, pris
pour l’application de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie électrique qui
prévoit notamment qu’est soumise à un régime d’autorisation préfectorale l’exploitation d’une
centrale hydro-électrique d’une puissance inférieure à 4500 kW, dispose, dans le premier alinéa de
son article 16, que « l’acte d’autorisation porte règlement d’eau de l’entreprise et fixe la durée pour
laquelle l’autorisation est accordée » et, dans son second alinéa, qu’il « doit intervenir au plus tard
dans les quatre mois qui suivent la clôture de l’enquête ... ». Cette disposition ne dessaisit pas
l’administration à l’issue du délai qu’elle fixe.
202
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
apatrides, pour lequel le second alinéa de l’article L. 723-3-1 du Code de
l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que, pour les
demandes d’asile dont il est saisi, « aucune décision ne peut naître du silence
gardé par l’office » ; si l’article 21-25-1 du Code civil laisse 12 ou 18 mois à
l’autorité publique pour répondre à une demande de naturalisation, le
dépassement de ce délai ne provoque pas la survenance d’une décision
implicite.
Enfin, au-delà d’une apparente simplicité – le silence de
l’administration fait en principe naître, dans le délai de deux mois, une
décision implicite de refus ou d’acceptation – le régime mis en place par la
loi du 12 avril 2000 est extrêmement complexe, car de nombreux décrets
dérogent à ce délai de deux mois, soit en réaffirmant l’ancien délai de droit
commun de quatre mois, soit en instaurant des délais particuliers. Il n’y a
donc pas un, mais plusieurs délais applicables à la naissance d’une décision
implicite.
6. Ce dernier inconvénient est en partie neutralisé par l’article 19 de la
loi, qui oblige sauf exceptions17 l’administration à accuser réception des
demandes – à défaut, le délai de recours contentieux contre la décision
implicite de refus ne commencera pas à courir – et par son décret
d’application18, lequel prévoit que l’accusé de réception doit indiquer la date
à laquelle, à défaut d’une décision expresse, la demande sera réputée
acceptée ou rejetée19.
7. Complexe donc, le droit applicable aux décisions implicites est
désormais scrupuleusement encadré par la loi pour ce qui concerne aussi
bien leur survenance (I) que leur régime (II).
I. LA NAISSANCE DES DÉCISIONS IMPLICITES
8. Transposant les jurisprudences administrative et constitutionnelle
convergentes, la loi du 12 avril 2000 rappelle que la règle est que le silence
17
Ces exceptions, énumérées en particulier à la deuxième phrase du premier alinéa de l’article
19 de la loi (un décret en Conseil d’État « détermine les cas dans lesquels il n’est pas accusé
réception des demandes en raison de la brièveté du délai imparti à l’autorité pour répondre, ou
lorsque la demande n’appelle pas d’autre réponse que le service d’une prestation ou la délivrance
d’un document prévus par les lois et les règlements »), ont été précisées par l’article 3 du décret
n° 2001-492 du 6 juin 2001 relatif à l’accusé de réception des demandes présentées aux autorités
administratives, préc. D’autres exceptions tenant à un souci de bonne administration sont posées par
le 2e alinéa de l’article 19 : « l’autorité administrative n’est pas tenue d’accuser réception des
demandes abusives, notamment par leur nombre, leur caractère répétitif ou systématique ».
18
Décret n° 2001-492 du 6 juin 2001 relatif à l’accusé de réception des demandes présentées
aux autorités administratives, préc.
19
À défaut d’une telle mention, les délais de recours contentieux ne sont pas opposables à
l’administré : CE 13 janv. 2003, Camara, préc.
P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS
203
vaut rejet (A) ; par exception, le législateur a autorisé l’administration
instituer un régime de décision implicite d’acceptation (B).
A. – Le principe : le silence de l’administration fait naître une décision
implicite de refus
1. La règle du délai de deux mois
9. Elle est posée par le premier alinéa de l’article 21 de la loi : « le
silence gardé pendant plus de deux mois par l’autorité administrative sur une
demande vaut décision de rejet ». Avant l’expiration de ce délai, en
l’absence de réponse expresse de l’administration, il n’existe pas de décision
administrative20.
Contrairement à la règle pour le délai de recours contentieux qui est
franc (c’est-à-dire que ne sont pris en compte ni le jour où il commence à
courir, ni celui où il expire), et sauf si un décret en dispose autrement21, le
délai de naissance de la décision implicite de rejet commence à courir le jour
où la demande a été reçue par l’autorité administrative ; il expire à l’issue du
délai fixé par les textes (compté en général de mois en mois), sans que ce
délai puisse être prolongé par la circonstance que le dies a quem est un
dimanche ou un jour férié. Par exemple, si le délai est de deux mois, une
demande parvenue à l’administration un 31 mars fait courir le délai le jour
même ; il expire le 31 mai à 24 heures, moment où naît la décision implicite
de refus22.
20
CE, réf., 20 déc. 2005, Meyet, n° 288253, Lebon, p. 586 : par une lettre en date du 25 nov.
2005, dont il a été accusé réception le 28 novembre, le requérant a demandé au Président de la
République de « bien vouloir faire adopter et signer le décret en Conseil des ministres qui mettra un
terme à l’institution de l’état d’urgence en métropole ». En l’absence de décision expresse et faute
que soit écoulé le délai de deux mois nécessaire à la naissance d’une décision implicite de rejet, il
n’a été justifié, ni à la date de l’introduction de la requête aux fins de suspension ni à la date à
laquelle le juge des référés a statué, d’aucune décision administrative dont la suspension serait
susceptible d’être ordonnée par le juge des référés du Conseil d’État sur le fondement de l’article
L. 521-1 CJA.
21
V. par ex. l’article 5 du décret n° 2005-795 du 15 juill. 2005 relatif à l’exercice du droit de
recours à l’encontre des sanctions disciplinaires et professionnelles : « Le ministre de la défense fait
instruire le dossier par un inspecteur général des armées, décide de la suite à lui donner et répond à
l’intéressé dans un délai de soixante jours francs à compter de la réception du recours par le
ministre. L’absence de réponse à l’expiration de ce délai vaut décision implicite de rejet ».
22
Pour une illustration contentieuse, s’agissant d’une décision implicite d’acceptation acquise
dans le délai de deux mois, v. CE 7 juill. 2008, M. Auquier, préc. Il peut y avoir des cas plus
complexes, par exemple lorsque l’année est bissextile : une demande adressée le 30 ou 31 décembre
(ce qui est rare) conduira à la survenance d’une décision de refus le 28 ou le 29 février à 24 heures,
selon les années. Certains textes, comme le décret précité du 15 juillet 2005, prévoient que le délai
de naissance de la décision implicite de refus se compte de jour en jour, ce qui, pour une demande
204
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Pour la décision de rejet, cette règle joue alors même que l’administré
n’a pas saisi l’autorité administrative compétente pour statuer sur sa
demande, comme le prévoit le deuxième alinéa de l’article 20 de la loi, aux
termes duquel : « Le délai au terme duquel est susceptible d’intervenir une
décision implicite de rejet court à compter de la date de réception de la
demande par l’autorité initialement saisie ». Dans ce cas, l’autorité
administrative incompétente est réputée avoir transmis la demande à celle
qui est compétente23 ; cette dernière doit être considérée comme l’auteur de
la décision de refus24.
Des dispositions réglementaires rappellent ce délai de deux mois, de
manière pédagogique mais superfétatoire puisqu’il s’applique de plein droit
– sauf disposition législative ou décrétale contraire – dès lors que la
demande est adressée à une « autorité administrative » au sens de la loi du
12 avril 2000 : ainsi, l’article 40 du décret n° 2006-504 du 3 mai 2006 relatif
aux associations syndicales de propriétaires (il s’agit de la personne morale
regroupant notamment les copropriétaires d’un immeuble) dispose que le
silence, conservé pendant deux mois, du préfet auquel a été transmis un
projet de modification des statuts d’une association syndicale libre ou de
dissolution de celle-ci « vaut décision implicite de rejet ». En application de
l’article 2 du décret précité du 6 juin 2001, le délai de naissance de la
décision implicite de rejet peut être suspendu quand l’administration
demande à l’administré (dans le délai de naissance de la décision implicite
de rejet) de produire les pièces nécessaires au bon traitement d’un dossier
incomplet ; la suspension prend fin au jour de la production de celles-ci25.
adressée le 31 décembre, reporte aux tous premiers jours de mars la date de naissance de la décision
implicite de refus.
23
CE 27 juill. 2005, Ghenim, n° 267084, Lebon, p. 803 ; AJDA 2005, p. 2355, obs. J.-P.
THIELLAY : les autorités consulaires n’ont pas compétence pour délivrer un certificat de
nationalité française, ni même pour instruire les demandes qui leur sont adressées en ce sens, qui
sont réputées avoir été transmises, en vertu de l’article 20 de la loi du 12 avril 2000, à l’autorité
administrative compétente, c’est-à-dire au greffier en chef du tribunal d’instance territorialement
compétent ; à l’issue du délai de deux mois courant à compter de la date de sa réception par les
autorités consulaires, ces demandes sont réputées avoir été implicitement rejetées par l’autorité
administrative compétente, en vertu des mêmes dispositions ; CE 20 juill. 2007, Sté Immobart,
n° 278611, à publier au Lebon ; AJDA 2007. 1943, concl. C. LANDAIS : lorsqu’il est saisi
incompétemment d’une demande tendant à ce que soit indemnisé le préjudice subi du fait des
décisions qu’il a prises en tant qu’agent de l’État, le maire est tenu de transmettre la demande à
l’autorité compétente.
24
Si par extraordinaire l’autorité incompétemment saisie se prononçait au fond sur la
demande, sa décision expresse serait immanquablement annulée : CE 8 déc. 1989, Ministre de
l’agriculture c/ Joslet, n° 87434, Lebon, p. 841.
25
CE 13 janv. 2003, Camara, n° 237034, AJDA 2003, p. 327, concl. P. FOMBEUR : rejet du
moyen selon lequel, « en permettant à l’administration de suspendre le délai au terme duquel, à
défaut de décision expresse, une demande est réputée rejetée, l’article 2 du décret [du 6 juin 2001]
aurait méconnu les dispositions de l’article 21 de la loi du 21 avril 2000 ».
P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS
205
10. Lorsque le délai n’est pas précisé par les textes, la décision de rejet
est réputée être intervenue dans un délai de deux mois26. Ainsi, alors que,
comme on le verra, un décret du 3 mai 2002 donne à l’administration un
délai de quatre mois pour répondre explicitement aux demandes de titre de
séjour, à l’issue duquel intervient une décision implicite de rejet, l’étranger
peut à nouveau saisir l’administration en formant un recours administratif
contre cette décision de rejet de sa demande de titre de séjour ; dans ce cas,
le délai de droit commun de deux mois posé par le premier alinéa de l’article
21 de la loi s’applique à la décision prise sur le recours administratif27.
La question a été posée de savoir si le délai de droit commun est
également opposable aux décisions prises sur un recours administratif
lorsque la décision implicite de rejet est rendue dans un délai inférieur à
celui de deux mois, pour tenir compte de l’urgence à ce que la situation de
l’administré soit fixée. Le bon sens voudrait que l’urgence à ce que la
décision initiale soit prise « déteigne » sur la décision consécutive à un
recours administratif formé contre la première : par exemple, à un délai d’un
mois fixé pour la naissance d’une décision implicite de rejet d’une demande
initiale devrait correspondre ce même délai d’un mois lorsque l’administré
demande à l’autorité administrative, avant le cas échéant de saisir le juge, de
reconsidérer sa position. Comme cela a été relevé, « dans l’hypothèse d’un
délai de recours plus bref que le délai de droit commun, l’urgence qui a pu
justifier l’institution d’un tel délai serait logiquement mise à mal si un
recours administratif ne devait être rejeté qu’au terme d’un délai de deux
mois »28. Toutefois, la lettre de l’article 21 de la loi ne paraît pas autoriser
une symétrie quant au délai de survenance d’une décision de rejet lorsqu’il
est demandé à l’administration de revenir sur un rejet implicite ; la situation
de l’administré est fixée dès la décision implicite de rejet ; si, plutôt que de
se tourner directement vers le juge, il souhaite à nouveau saisir
l’administration cette fois-ci d’un recours administratif et non d’une
demande initiale, il devra, dans tous les cas, patienter deux mois avant d’être
en possession d’un second refus implicite. D’ailleurs, l’article 18 de la loi
prévoit clairement que « les recours gracieux ou hiérarchiques, adressées
aux autorités administratives » sont assujettis au régime de droit commun de
la décision implicite : il n’appartient qu’au pouvoir réglementaire, par décret
26
CE 7 févr. 2003, Fondation Lenval, n° 231871, Lebon, p. 899 : en l’absence de dispositions
particulières, prises par décret en Conseil d’État et dérogeant à celles de l’article 21 de la loi du
12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, le silence
gardé pendant deux mois par l’autorité ministérielle sur un recours hiérarchique formé sur le
fondement des dispositions des articles L. 6121-4 et L. 6121-8 du CSP vaut décision de rejet de ce
recours.
27
CE 27 mars 2006, Kaci, n° 283409, Lebon, p. 899 ; AJDA 2006, p. 1212, concl. I. de
SILVA ; JCP Adm. 2006, 1275, note P.-O. CAILLE.
28
P.-O. CAILLE, note préc.
206
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
en Conseil d’État, de « dupliquer », dans les situations d’urgence, le délai de
naissance d’une décision implicite pris sur le recours administratif avec celui
dans lequel est née la décision initiale.
2. Les exceptions à la règle dans les procédures complexes ou en cas
d’urgence
11. L’exécutif ne dispose pas d’une liberté de choix dans
l’établissement d’un délai dérogatoire à celui de deux mois : il ne peut le
faire que si la procédure d’examen de la demande est complexe ou en cas
d’urgence. Le juge exerce un contrôle normal sur le caractère complexe de
la procédure ou l’existence d’une urgence29.
Le délai est parfois plus long, lorsque la procédure d’examen de la
demande est « complexe ». Le Conseil d’État a considéré que la
« complexité » pouvait notamment résulter de la nature collégiale de
l’organisme qui doit se prononcer, des conditions de l’instruction de
demandes administratives, notamment l’exigence d’une procédure
contradictoire devant un organisme collégial, ainsi que de la diversité des
personnels concernés et des situations sur lesquelles pourront porter les
recours administratifs30. Ainsi, selon l’article R. 311-12 du Code de l’entrée
et du séjour des étrangers et du droit d’asile, « le silence gardé [par le préfet]
pendant plus de quatre mois sur les demandes de titres de séjour vaut
décision implicite de rejet ». Le Conseil d’État a jugé que ce délai supérieur
à celui de droit commun avait légalement pu être fixé par le pouvoir
réglementaire, dans la mesure où la procédure d’instruction des titres de
séjour « exige notamment que l’administration vérifie les indications et les
pièces justificatives présentées par l’étranger », de sorte que, « eu égard aux
obligations et formalités qui incombent à l’administration, elle est ainsi au
nombre des procédures dont la complexité justifie qu’il soit dérogé au délai
de deux mois fixé par l’article 21 [de la loi] »31. Selon l’article R. 712-44 du
Code de la santé publique : « le recours hiérarchique prévu au premier alinéa
de l’article L. 712-16 contre les décisions de la commission exécutive de
l’agence régionale de l’hospitalisation doit être formée dans un délai de
deux mois à partir de la notification de la décision au demandeur. (…)
Lorsqu’un recours hiérarchique a été formé contre une décision de la
commission exécutive de l’agence régionale de l’hospitalisation accordant
29
CE 27 juill. 2005, Sté Arbed, n° 264913, Lebon, p. 341 : le juge de l’excès de pouvoir
exerce un contrôle normal sur le caractère urgent ou complexe de la procédure justifiant que le délai
à l’expiration duquel le silence de l’administration vaut décision de rejet soit fixé à une durée
différente de celle de deux mois.
30
CE 27 nov. 2002, Bourrel, n° 234748, Lebon, p. 412.
31
CE 30 déc. 2003, Groupe d’information et de soutien des immigrés, n° 248288, Lebon,
p. 619.
P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS
207
ou refusant la délivrance ou le renouvellement d’une autorisation, le recours
est réputé rejeté à l’expiration d’un délai de six mois à partir de sa réception
par le ministre chargé de la santé si aucune décision de sens contraire n’est
intervenue dans ce délai ». Le législateur a décidé de fixer à huit mois le
délai de survenance d’une décision de rejet pour l’établissement ou la
délivrance d’un acte lorsque l’administration dispose d’un doute sur la
validité d’un acte de l’état civil étranger, de manière à laisser à
l’administration le temps de procéder « aux vérifications utiles auprès de
l’autorité étrangère compétente »32. Le Conseil d’État a jugé que le pouvoir
réglementaire avait légalement pu, par le décret n° 2003-1264 du
23 décembre 2003, porter à dix-huit mois le délai à l’issue duquel naît une
décision implicite de rejet, dans le domaine de la renonciation au droit
d’exploiter un titre minier, eu égard à sa complexité33.
Le délai est parfois plus court que celui de droit commun, en cas
« d’urgence ». Ainsi, l’article R. 1441-50 du Code du travail laisse au maire
un délai de dix jours pour rendre une décision explicite lorsqu’il est saisi
d’une contestation mettant en cause la régularité de la liste électorale
prud’homale34 ; à défaut de réponse explicite, le silence du maire vaut rejet
de la contestation, cette décision pouvant elle-même être contestée devant le
juge judiciaire (tribunal d’instance) ; l’article R. 423-9 du Code de
l’environnement dispose que le silence du préfet pendant plus d’un mois sur
une demande de permis de chasser vaut rejet de celle-ci ; l’article 17 du
décret n° 2005-1755 du 30 décembre 2005 relatif à la liberté d’accès aux
documents administratifs prévoit que « le silence gardé pendant plus d’un
mois par l’autorité compétente, saisie d’une demande de communication de
[certains] documents (…), vaut décision de refus ».
32
Art. 22-1 de la loi du 12 avril 2000, inséré par la loi n° 2006-1376 du 14 nov. 2006 : « par
dérogation aux articles 21 et 22 et sous réserve d’exceptions prévues par décret en Conseil d’État,
lorsque, en cas de doute sur l’authenticité ou l’exactitude d’un acte de l’état civil étranger, l’autorité
administrative saisie d’une demande d’établissement ou de délivrance d’un acte ou de titre procède
ou fait procéder, en application de l’article 47 du Code civil, aux vérifications utiles auprès de
l’autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet ».
33
CE 27 juill. 2005, Sté Arbed, préc. : c’est à bon droit que le pouvoir réglementaire a estimé
que la complexité de la procédure de renonciation à un titre minier justifiait que soit fixé à dix-huit
mois le délai d’intervention d’une décision implicite de rejet.
34
Art. R. 1441-50 du Code du travail : « Le maire se prononce sur la contestation et notifie sa
décision à son auteur dans le délai de dix jours à compter de sa date de réception. La décision de
refus est motivée. Lorsque la décision du maire a des conséquences sur la liste électorale d’une autre
commune, il en informe le maire intéressé. Le silence gardé par le maire à l’expiration de ce délai
vaut décision de rejet ».
208
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
B. – L’exception : le silence de l’administration fait naître une décision
implicite d’acceptation
12. L’administration doit faire un choix préalable, consistant à décider
si la procédure d’autorisation implicite relève d’un régime d’acceptation ou
de rejet. Contrairement à celui relatif à la durée du délai, le choix du régime
est discrétionnaire, laissé à la libre opportunité de l’administration sous
réserve d’une erreur grossière : le juge n’exerce qu’un contrôle restreint – et
non un contrôle normal – sur ce choix35.
Le mécanisme de la décision implicite d’acceptation n’est pas toujours
possible. Le second alinéa de l’article 22 de la loi l’exclut en plusieurs
matières : des décrets « ne peuvent instituer un régime de décision implicite
d’acceptation lorsque les engagements internationaux de la France, l’ordre
public, la protection des libertés ou la sauvegarde des autres principes de
valeur constitutionnelle s’y opposent. De même, sauf dans le domaine de la
sécurité sociale, ils ne peuvent instituer aucun régime d’acceptation
implicite d’une demande présentant un caractère financier ».
Le législateur a tiré sur ce point les conséquences de la jurisprudence du
Conseil constitutionnel. Saisi en 1995 d’une loi relative à l’installation de
systèmes de vidéosurveillance qui prévoyait que « l’autorisation sollicitée
est réputée acquise à défaut de réponse dans un délai de quatre mois », le
Conseil constitutionnel a censuré ce régime de décision implicite
d’acceptation en considérant qu’il était inconstitutionnel « compte tenu des
risques que peut comporter pour la liberté individuelle l’installation de
systèmes de vidéosurveillance »36. Appliquant cette jurisprudence, le
Conseil d’État a jugé que, dans la mesure où la protection du domaine public
est un impératif d’ordre constitutionnel en vertu de l’article 17 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « le pouvoir
réglementaire ne peut donc légalement instaurer un régime d’autorisation
tacite d’occupation du domaine public, qui fait notamment obstacle à ce que
soient, le cas échéant, précisées les prescriptions d’implantation et
d’exploitation nécessaires à la circulation publique et à la conservation de la
voirie »37.
35
CE 27 juill. 2005, Sté Arbed, n° 264913, préc. : le juge de l’excès de pouvoir exerce un
contrôle restreint sur le choix opéré, au regard des intérêts publics et privés en présence, par les
auteurs d’un décret de retenir un régime de décision implicite de rejet plutôt qu’un régime
d’acceptation implicite.
36
Cons. const., décision n° 94-352 DC du 18 janv. 1995, préc.
37
CE 21 mars 2003, Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l’électricité et les
réseaux, n° 189191, Lebon, p. 144 ; RJEP 2003, p. 351, concl. S. AUSTRY ; AJDA 2003, p. 1935,
obs. P. SUBRA de BIEUSSES ; RFDA 2003, p. 903, note J. SOULIÉ.
P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS
209
Dans les travaux préparatoires à la loi du 12 avril 2000, le Sénat a
relevé qu’il existait alors « plus de quatre cents régimes d’autorisation
relevant de l’accord tacite dans des domaines très divers »38.
1. Le point de départ du délai de naissance de la décision implicite
d’acceptation
13. Il diffère sur trois éléments de celui de la décision implicite de rejet.
Ces différences reposent sur les conséquences de la décision implicite
d’acceptation, qui n’a pas seulement pour effet de lier le contentieux :
contrairement à la décision de rejet, elle créé des droits au profit de son
bénéficiaire. Dès lors, comme l’a relevé René Chapus, « il importe que
soient, autant que possible, réunies les chances que cette décision soit
justifiée et, en même temps, de faire en sorte que l’administration soit en
mesure de tenir en échec la formation des décisions implicites injustifiées.
De là un régime plus exigeant que celui qui, très libéralement, gouverne la
formation des décisions implicites de rejet »39. En conséquence, le point de
départ du délai de naissance de la décision implicite de rejet n’est pas celui
de la transmission de la demande à l’autorité administrative, dans trois
hypothèses.
La première est constituée lorsque la demande a été transmise à une
autorité incompétente. Pour la décision implicite de rejet, on l’a vu, celui-ci
court à compter de la date à laquelle l’administration a été saisie, peu
importe sa compétence pour se prononcer sur la demande. Rien de tel pour
la décision implicite d’acceptation : selon le troisième alinéa de l’article 20
de la loi en effet, « le délai au terme duquel est susceptible d’intervenir une
décision implicite d’acceptation ne court qu’à compter de la date de
réception de la demande par l’autorité compétente ». Le législateur a repris
sur ce point une règle posée par la jurisprudence40, tout en cherchant à
neutraliser les effets négatifs de cette jurisprudence41 : alors qu’auparavant
le délai de naissance d’une décision implicite d’acceptation ne courrait
jamais faute pour l’administration incompétente d’être tenue de transmette
38
Sénat, rapport n° 248, 3 mars 1999.
R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, 13e éd., 2008, p. 583, § 666.
40
CE, Section, 18 déc. 1981, Vernet-Lozet, n° 23979, Lebon, p. 483 : une autorisation tacite de
licenciement pour motif économique ne peut naître que dans le cas où l’employeur a adressé sa
demande à une autorité compétente pour y statuer. Par suite, la demande adressée par un employeur
à un inspecteur du travail qui n’a reçu aucune délégation régulière aux fins de signer de telles
autorisations ne peut faire naître, en l’absence d’une obligation de transmettre incombant à
l’inspecteur du travail en matière d’autorisation de licenciement (sol. impl.), une autorisation tacite à
l’expiration du délai prévu à l’article R. 321-8 du Code du travail.
41
L’article 7 du décret du 28 novembre 1983 avait déjà partiellement procédé à cette
neutralisation en obligeant les autorités de l’État (mais non les autres autorités administratives) à
transmettre la demande à l’autorité compétente.
39
210
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
la demande à celle seule habilitée à la traiter, désormais, ce délai court
lorsque l’administration incompétente a satisfait à son obligation de
transmission à l’autorité compétente posée par le premier aliéna de l’article
20. Cependant, il peut arriver que l’administration incompétente, en
méconnaissance du premier alinéa de l’article 20, n’exécute pas cette
obligation de transmission : dans ce cas, en pratique, le délai de naissance de
la décision implicite d’acceptation ne court pas42 !
La seconde différence survient lorsque la demande de l’administré est
incomplète. À la différence de la décision implicite de rejet, où seule une
suspension du délai de sa formation est prévue, l’article 2 du décret précité
du 6 juin 2001 dispose que lorsque la demande est considérée comme
incomplète par l’administration, le délai d’acquisition de la décision
implicite d’acceptation ne court qu’à partir de la réception des pièces
demandées : la transmission de ces informations enclenche le délai de deux
mois, qui n’a donc pas été seulement suspendu par l’incomplétude du
dossier.
Enfin, en dernier lieu, la jurisprudence a aménagé un régime particulier
applicable en cas d’annulation ou de retrait d’une décision expresse prise
avant que le délai de survenance d’une décision implicite d’acceptation
n’arrive à son terme : l’administration se trouve certes à nouveau saisie de la
demande initiale, en conséquence de l’effet rétroactif de l’annulation ou du
retrait43 ; mais le délai de naissance de la décision implicite d’acceptation
n’est déclenché qu’à condition que l’administré ait confirmé sa demande
postérieurement au retrait ou à l’annulation44 – sans alors qu’il ait à
« reprendre toutes les formalités exigées lors de l’instruction de la demande
initiale »45, le renouvellement de la demande pouvant même être fait
oralement46.
42
CE 31 mai 1989, SA Baltz-Sanirec, n° 71508, Lebon, p. 441 : la société anonyme BaltzSanirec a demandé le 10 août 1984 à l’inspecteur du travail de Béziers l’autorisation de licencier
MM. G., R. et Mlle E. L’inspecteur du travail de Béziers, qui n’était pas compétent, n’a pas transmis
la demande au directeur départemental du travail et de la main d’œuvre dans le ressort duquel est
situé le siège de la société anonyme Baltz-Sanirec. Ainsi le délai au terme duquel l’autorisation
tacite de licenciement est acquise n’a pas commencé à courir. Par suite, la société anonyme BaltzSanirec n’a pas acquis l’autorisation de licencier MM. G., R. et Mlle E.
43
V. par ex. : CE 27 juin 2005, SARL Lien social, n° 272678, Lebon, p. 1005 : l’annulation
d’un refus implique un nouvel examen de la demande.
44
Sur l’absence d’effet d’une confirmation prématurée, faite avant le retrait ou l’annulation :
CE 2 mars 1983, Ministre de l’agriculture c/ M. Paillet-Ribeaudeau, n° 37788.
45
CE Sect. 7 déc. 1973, Ministre de l’éagriculture c/ Sté civile agricole des Nigritelles et
Entreprise J. Fayolle, Lebon, p. 699 et 703 ; AJDA 1974, p. 81, chr. M. FRANC et M. BOYON et
p. 85, note B. G. : « dans l’hypothèse où une décision expresse, de refus ou d’acceptation, prise dans
ce délai est légalement rapportée ou annulée par le juge de l’excès de pouvoir, sa disparition
rétroactive ne rend pas le demandeur titulaire d’une autorisation tacite ; l’autorité administrative
doit, en principe, procéder à une nouvelle instruction de la demande, et le délai de nature à faire
naitre une décision implicite ne commence à courir qu’à dater de la confirmation de la demande » ;
P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS
211
2. La durée du délai de naissance d’une décision implicite
d’acceptation
14. Elle est normalement de deux mois, aux termes de la première
phrase de l’article 22 de la loi : « le silence gardé pendant deux mois par
l’autorité administrative sur une demande vaut décision d’acceptation dans
les cas prévus par décrets en Conseil d’État ».
Plusieurs décrets en Conseil d’État sont venus mettre cette disposition
en œuvre : aux termes de l’article R. 424-1 du Code de l’urbanisme dans sa
version issue du décret n° 2007-18 du 5 janvier 2007, le défaut de
notification d’une décision expresse dans le délai de deux mois vaut
décision implicite d’acceptation de la demande de permis de construire
d’une maison individuelle47 ; selon l’article R. 4321-129 du Code de la santé
publique dans sa version issue du décret n° 2008-1135 du 3 novembre 2008
portant Code de déontologie des masseurs-kinésithérapeutes, le silence
gardé pendant deux mois par le conseil départemental de l’ordre des
masseurs-kinésithérapeutes à compter de la date de réception de la demande
CE 19 juin 1981, Fraval de Coatparquet, Lebon, p. 283 ; R. CHAPUS, Droit du contentieux
administratif, préc., p. 585, § 667 et p. 1120, § 1237 ; CAA Douai 27 déc. 2004, M. Olivier,
n° 01DA00033 : « l’annulation pour incompétence par le Tribunal administratif de Lille, par
jugement du 27 avril 2000, confirmé en appel le 23 octobre 2003, de la décision expresse, en date du
2 mai 1997, rejetant entièrement la demande d’agrément en qualité d’assistant maternel à titre non
permanent présentée par M. en février 1997, n’a pas eu pour effet de rendre ce dernier titulaire,
antérieurement au 16 octobre 1997, date de la décision en litige, d’un agrément tacite pour l’accueil
de plusieurs enfants ».
46
CAA Marseille 7 nov. 2005, M. Dalquié, n° 02MA00884 : « Considérant (…) que
M. Montes a demandé à l’administration, le 11 mars 1997, l’autorisation d’exploiter le domaine de
Saint Luc après avoir préalablement informé de cette démarche la propriétaire du domaine, le 5 mars
1997 ; qu’il doit être réputé avoir obtenu cette autorisation tacitement à l’expiration du délai prévu
par l’article L. 331-8 du Code rural alors applicable ; que, toutefois, le préfet des Pyrénées
Orientales l’ayant informé, le 30 décembre 1997, de la reprise de la procédure, cette autorité doit
être regardée comme ayant procédé au retrait de l’autorisation accordée ; que l’administration restant
saisie, contrairement à ce que soutient M. Dalquié, de la demande initiale de M. Montes, cette
circonstance l’obligeait à procéder à une nouvelle instruction de la demande, un nouveau délai de
nature à faire naître une décision implicite d’acceptation ne pouvant toutefois commencer à courir
qu’à dater du jour de la confirmation de sa demande par l’intéressé ; Considérant à cet égard, et
contrairement à ce que soutient encore M. Dalquié, que M. Montes doit être regardé comme ayant
renouvelé oralement sa demande lors de sa comparution devant la commission départementale des
structures agricoles le 4 février 1998 ; qu’aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun
principe général de droit n’imposant un formalisme particulier pour cette demande, M. Dalquié n’est
pas fondé à soutenir que c’est à tort que le préfet a statué sur la demande présentée le 11 mars
1997 ».
47
À propos de cette disposition, le Conseil d’État a précisé que : « le demandeur d’un permis
de construire n’est réputé être titulaire d’un permis tacite que lorsqu’aucune décision ne lui a été
notifiée avant l’expiration du délai réglementaire d’instruction de son dossier ; que cette notification
doit être regardée comme étant intervenue à la date à laquelle le pli a été présenté pour la première
fois à son adresse » : CE 7 juill. 2008, M. Auquier, préc.
212
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
d’ouverture d’un ou plusieurs lieux supplémentaires d’exercice de cette
profession « vaut autorisation tacite ».
15. Elle peut être d’une durée différente « lorsque la complexité ou
l’urgence de la procédure le justifie ».
Le délai est parfois plus long, lorsque la procédure d’examen de la
demande est « complexe ». Ainsi, l’article R. 1322-37 du Code de la santé
publique, dans sa version issue du décret n° 2003-463 du 21 mai 2003,
prévoit un délai de trois mois pour les demandes d’autorisation adressées au
préfet par une entreprise qui souhaite procéder à l’embouteillage d’eau48 ;
aux termes de l’article R. 331-6 du Code rural, applicable aux demandes
d’autorisation d’exploitation de terres agricoles : « À défaut de notification
d’une décision dans le délai de quatre mois à compter de la date
d’enregistrement du dossier ou, en cas de prolongation de ce délai dans les
conditions prévues à l’article R. 331-5, dans les six mois à compter de cette
date, l’autorisation est réputée accordée » ; il a été prévu un délai de 6 mois
pour la naissance d’une décision implicite d’acceptation par le préfet d’une
libéralité faite aux associations, fondations et établissements du culte49.
Le délai est parfois plus court, en cas « d’urgence ». Ainsi, l’article
D. 1332-5 du Code de la santé publique fixe un délai d’un mois à l’issue
duquel est accepté la demande faite au préfet tendant à ce qu’il autorise une
dérogation aux normes fixées sur la qualité des eaux des « baignades
aménagées » (c’est-à-dire en particulier des piscines).
16. Une particularité doit être notée en matière d’urbanisme : alors
qu’en règle générale les actes des collectivités territoriales ne sont
exécutoires qu’après leur transmission au représentant de l’État, et non au
jour de leur adoption, tel n’est pas le cas pour les décisions tacites
d’acceptation portant sur une demande de permis de construire. L’article
L. 424-8 du Code de l’urbanisme dans sa version applicable depuis le
1er juillet 2007 dispose que le permis tacite (comme la décision de nonopposition à certains travaux) est exécutoire à compter de la date à laquelle
il est acquis ; sa transmission au préfet n’est donc plus nécessaire pour qu’il
soit exécutoire, ce qui constitue une amélioration de la situation des
48
« Toute entreprise qui veut procéder à l’embouteillage d’une eau minérale naturelle pour la
livrer au public doit obtenir une autorisation d’embouteillage délivrée par le préfet du département.
Le silence gardé pendant plus de trois mois sur la demande d’autorisation vaut décision
implicite de rejet ».
49
Art. 5 du décret n° 2007-807 du 11 mai 2007 relatif aux associations, fondations,
congrégations et établissements publics du culte et portant application de l’article 910 du Code civil
(JORF 12 mai 2007, p. 8698) : « Le préfet accuse réception des demandes d’autorisation
d’acceptation de libéralités faites par les personnes morales mentionnées à l’article 4, dans les
conditions prévues par le décret du 6 juin 2001 susvisé. Sauf dans le cas de réclamations formulées
par des héritiers, l’absence de décision expresse dans un délai de six mois à compter de la demande
vaut autorisation d’acceptation ».
P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS
213
administrés au prix d’une réduction du contrôle de légalité exercé par le
préfet50.
II. LE RÉGIME DES DÉCISIONS IMPLICITES
17. L’administration n’est pas dessaisie par la survenance d’une
décision implicite : le cas échéant, elle devra expliquer a posteriori pourquoi
elle a rejeté tacitement la demande (A) ; elle pourra aussi, à des conditions
restrictives, revenir sur l’autorisation – voire le refus – implicitement donné
(B).
A. – La motivation des décisions implicites
1. L’exigence de motivation, absence d’obstacle à l’adoption d’une
décision implicite
18. Jusqu’en 1979, la jurisprudence considérait qu’était irrégulière la
décision implicite de refus intervenue dans une matière où les textes
prévoient que l’autorité compétente statue par une décision motivée. Cette
incompatibilité entre décision implicite de refus et motivation obligatoire a
été abandonnée, en deux temps.
Pour certaines décisions individuelles – celles défavorables qui portent
sur une mesure de police, infligent une sanction, retirent ou abrogent une
décision créatrice de droits… –, l’article 5 de la loi n° 79-587 du 11 juillet
1979 relative à la motivation des actes administratifs a prévu une dispense
légale de motivation : « une décision implicite intervenue dans les cas où la
décision explicite aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle
n’est pas assortie de cette motivation ».
Pour les décisions individuelles dans lesquelles l’obligation de motiver
est prévue par une disposition particulière (et non par la loi de 1979), la
jurisprudence a un temps exclu le mécanisme de la décision implicite : faute
d’être motivées, elles étaient illégales. Le Conseil d’État est revenu sur cette
position en 2001, en considérant que la dispense de motivation s’applique à
toute décision dont la motivation est requise par un texte ; en l’occurrence,
bien que l’article 27 du Code civil exige que soit motivé le rejet d’une
demande de réintégration dans la nationalité française, une décision
50
Avant 2007, en cas de permis tacite, le préfet devait recevoir sans délai le dossier et les
pièces d’instruction de la demande de permis ; le défaut de transmission rendait le permis tacite
inexécutoire.
214
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
implicite de rejet a pu être acquise en raison du silence gardé par
l’administration sur cette demande51.
2. L’existence d’un « mécanisme correctif » pour les décisions
implicites de rejet
19. La deuxième phrase de l’article 5 de la loi du 11 juillet 1979
prévoit, afin de compenser l’absence de motivation des décisions implicites
de rejet, que « à la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du
recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront
lui être communiqués dans le mois suivant cette demande ». Si
l’administration n’est pas saisie dans ce délai de recours contentieux, elle
n’a pas à faire connaître les motifs de la décision implicite de rejet52. En
revanche, lorsqu’elle est saisie dans le délai de recours contentieux,
l’administration dispose d’un délai d’un mois pour faire connaître à
l’intéressé les motifs de la décision de rejet. Si elle ne satisfait pas à cette
obligation, le silence de l’administration ne fait pas naître une nouvelle
décision de rejet pouvant faire l’objet d’un recours contentieux53 : la
conséquence est bien plus radicale, puisque en l’absence de communication
des motifs dans le délai d’un mois, la décision implicite est entachée
d’illégalité54. Le juge porte alors une appréciation rétroactive sur la légalité
d’un acte administratif, en prenant en compte un élément postérieur à son
édiction – la non-communication des motifs dans le délai d’un mois – par
51
CE 14 déc. 2001, Ministre de l’emploi et de la solidarité c/ Bouraïb, préc.
CE 6 déc. 2002, Lukundu, n° 200991, Lebon, p. 589.
53
CE 29 mars 1985, Testa, n° 45311, Lebon, p. 93 ; AJDA 1985, p. 285, note S. HUBAC et J.E. SCHOETTL ; Revue administrative, 1985, p. 360, note B. PACTEAU : il résulte des dispositions
de l’article 5 de la loi du 11 juillet 1979 que le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une
demande de communication des motifs d’une décision implicite de rejet, intervenue dans un cas où
une décision explicite aurait dû être motivée, n’a pas pour effet de faire naître une nouvelle décision,
détachable de la première et pouvant faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, mais permet
seulement à l’intéressé de se pourvoir sans condition de délai contre la décision implicite initiale qui,
en l’absence de communication de ses motifs, se trouve entachée d’illégalité.
54
CE 5 févr. 1990, Sad, n° 87012, Lebon, p. 546 ; CE 22 oct. 2003, Sté Ethicon SAS,
n° 247480, Lebon, p. 630 : les motifs du rejet implicite de la demande d’inscription sur la liste des
produits et prestations remboursables mentionnée à l’article L. 165-1 du Code de la sécurité sociale
n’ayant pas été communiqués à la requérante dans le délai d’un mois à compter de sa demande,
celle-ci est fondée à soutenir que cette décision est illégale ; CAA Bordeaux 3 mars 2009, M.
Habtoun, n° 08BX02204 : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. Habtoun a
demandé au préfet de la Haute-Vienne dans le délai de recours contentieux, le 23 juillet 2007, les
motifs de la décision implicite de rejet de sa demande, conformément aux dispositions de l’article 5
de la loi du 11 juillet 1979, relative à la motivation des actes administratifs ; qu’en l’absence de
communication des motifs par le préfet de la Haute-Vienne dans le délai d’un mois la décision
implicite contestée est illégale ; que, dès lors, M. Habtoun est fondé à en demander l’annulation ».
52
P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS
215
dérogation à la règle selon laquelle la légalité d’un acte s’apprécie au regard
des circonstances de droit et de fait existant au moment de son édiction55.
Dans le domaine de la santé publique, le législateur a fixé une règle
selon laquelle l’absence de communication des motifs d’une décision
implicite rejetant la demande de création de lits de médecine entraîne la
naissance… d’une décision implicite d’acceptation56.
B. – La disparition des décisions implicites illégales : le cas du retrait
20. Le retrait d’une décision implicite illégale peut intervenir de deux
manières : soit explicitement, l’administration prenant une décision portant
retrait de la décision implicite ; soit implicitement, lorsque une décision
expresse de rejet est notifiée à l’intéressé en réponse à sa demande après
l’expiration du délai d’acquisition de la décision implicite d’acceptation.
Conformément aux dispositions de l’article 24 de la loi, il ne peut être
procédé à ce retrait qu’après que « la personne intéressée a été mise à même
de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des
observations orales » – sauf lorsque l’administration est saisie d’une
demande de retrait, ce qui ne paraît pas admissible lorsque un tiers demande
le retrait d’une décision implicite d’acceptation57. En conséquence, le
Conseil d’État a jugé illégal le retrait d’une décision implicite de nonopposition à travaux intervenue alors que le bénéficiaire de cette décision
55
V. par ex. : CE, Ass., 20 déc. 1995, Collectif national Kiné-France, Lebon, p. 442, concl.
Ch. MAUGÜÉ.
56
Art. L. 6122-10 du Code de la santé publique : « L’autorisation est donnée ou renouvelée
par l’agence régionale de l’hospitalisation après avis du comité régional de l’organisation sanitaire et
sociale. Un recours hiérarchique contre la décision peut être formé par tout intéressé devant le
ministre chargé de la santé qui statue dans un délai maximum de six mois, sur avis du Comité
national de l’organisation sanitaire et sociale. (…) Dans chaque cas, la décision du ministre ou de
l’agence régionale de l’hospitalisation notifiée au demandeur dans un délai maximum de six mois
suivant la date d’expiration de la période de réception. (…) Sauf dans le cas d’un renouvellement
d’autorisation prévu par l’article L. 6122-8, l’absence de notification d’une réponse dans ce délai
vaut rejet de la demande d’autorisation. Lorsque, dans un délai de deux mois, le demandeur le
sollicite, les motifs justifiant le rejet lui sont notifiés dans le délai d’un mois. Dans ce cas, le délai du
recours contentieux contre la décision de rejet est prorogé jusqu’à l’expiration du délai de deux mois
suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. À défaut de notification des motifs
justifiant le rejet de la demande, l’autorisation est réputée acquise ». Pour une application, v. CAA
Marseille 15 mai 2008, Ministre de la santé et des solidarités, n° 06MA01050.
57
S’il est évident, comme le relevait le Sénat dans son rapport du 3 mars 1999 préc., que
« l’intéressé, en formulant sa requête, est à même de faire valoir ses observations », de sorte que le
contradictoire ne s’impose pas, tel n’est évidemment pas le cas lorsqu’un tiers demande le retrait : le
bénéficiaire de la décision implicite d’acceptation devrait alors pouvoir faire valoir son point de vue
devant l’administration.
216
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
n’avait pas été invité à présenter d’observations préalablement à ce retrait58.
Le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 24 de la loi par
l’administration n’est pas d’ordre public : il n’appartient qu’au demandeur,
et non au juge, de le soulever59.
1. Le retrait des décisions implicites d’acceptation illégales
21. Le retrait d’une décision implicite d’acceptation illégale est une
faculté pour l’administration ; celle-ci n’est en situation de compétence liée
pour procéder à ce retrait que si elle est saisie par un tiers d’une demande en
ce sens60. Dans cette hypothèse, l’administration devra alors vérifier qu’il
peut légalement être procédé au retrait de la décision implicite
d’acceptation.
22. Les cas dans lesquels le retrait est possible sont normalement fixés
par l’article 23 de la loi du 12 avril 200061 : « Une décision implicite
d’acceptation peut être retirée, pour illégalité, par l’autorité administrative :
1° Pendant le délai de recours contentieux, lorsque des mesures
d’information des tiers ont été mises en œuvre ;
2° Pendant le délai de deux mois à compter de la date à laquelle est
intervenue la décision, lorsqu’aucune mesure d’information des tiers n’a été
mise en œuvre62 ;
3° Pendant la durée de l’instance au cas où un recours contentieux a été
formé ».
Le Conseil d’État a précisé la manière dont le 2° et le 3° doivent
s’articuler : dès lors qu’un recours contentieux a été formé, le retrait de la
décision attaquée est possible pendant toute la durée de l’instance, soit après
l’expiration du délai de deux mois mentionné au 2° de l’article 23, et ceci
58
CE 30 mai 2007, SCI Agyr, n° 288519, à mentionner au Lebon ; BJDU 2007, p. 288, concl.
C. LANDAIS.
59
CAA Douai 4 juin 2008, Ville de Lille c/ Mme Mahon, n° 07DA00477.
60
CE 7 juill. 2008, M. Auquier, préc. : « il résulte des dispositions de la loi du 12 avril 2000
qu’à supposer qu’un permis tacite illégal ait été délivré à M. Auquier, le maire de Vénasque était
fondé à le retirer dans les délais prévus par ces dispositions, ce retrait constituait une faculté et non
une obligation dès lors que le maire n’était pas saisi d’une demande en ce sens ».
61
Auparavant, il résultait de la jurisprudence du Conseil d’État qu’il n’était pas possible de
retirer une décision implicite d’acceptation (seule son abrogation, c’est-à-dire sa disparition pour
l’avenir, était permise) : CE 14 nov. 1969, Eve.
62
Pour une application de cet alinéa, v. CE 29 nov. 2002, Commune de Lirac c/ SARL Chaux
et Ciments, n° 244873, Lebon, p. 608 : sauf recours des tiers, le certificat d’achèvement des travaux
d’un lotissement, lorsqu’il a été obtenu tacitement et n’a fait l’objet d’aucune mesure d’information
des tiers, ne peut être retiré qu’à la double condition que ce retrait intervienne dans le délai de deux
mois de l’obtention tacite du certificat et qu’il soit motivé par l’illégalité de ce dernier, tenant
notamment à la non réalisation de tout ou partie des travaux prescrits par l’autorisation de
lotissement.
P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS
217
alors même qu’aucune mesure d’information des tiers n’aurait été mise en
œuvre63.
Il existe aussi des dispositions législatives particulières, qui dérogent à
celles de l’article 23 de la loi du 12 avril 2000. Selon l’article L. 424-5 du
Code de l’urbanisme, en vigueur depuis le 1er octobre 2007, le permis de
construire tacite ne peut être retiré que s’il est illégal et dans les trois mois
suivant la date à laquelle il est intervenu ; passé ce délai, le permis ne peut
être retiré que sur demande explicite de son bénéficiaire
2. Le retrait des décisions implicites de rejet illégales
23. Pour les décisions implicites de rejet, qui ne sont normalement pas
créatrices de droits, leur retrait est en revanche possible à tout moment64. En
un sens, cette règle n’est pas favorable à l’administré : elle lui permet de
faire échec au « mécanisme correcteur » de l’article 5 de la loi du 11 juillet
1979 en prenant une décision de retrait d’une décision de rejet illégale en
raison de l’absence de communication des motifs dans le délai d’un mois65 ;
mais en conséquence du retrait, l’administration se trouve ressaisie de la
demande initiale : il est alors probable qu’elle y fasse droit par une décision
expresse, tirant les conséquences de son retrait.
Il arrive exceptionnellement qu’une décision implicite de rejet soit
créatrice de droits ; l’administration peut alors la retirer, si elle est illégale,
« dans le délai du recours contentieux »66, c’est-à-dire en pratique sans
limite de temps dès lors que ces décisions ne font par définition pas l’objet
de mesures de publicité de nature à faire courir ce délai.
63
CE, avis, 12 oct. 2006, Carvallo, n° 292263, Lebon, p. 1005 ; AJDA 2006, p. 2394, concl.
Y. STRUILLOU.
64
CE 24 oct. 2003, Najjari, n° 242476, AJDA 2004, p. 978, note A. BAUX : « Considérant
que la décision implicite du préfet de l’Hérault rejetant la demande de délivrance d’un titre de séjour
présentée par M. Najjari n’a fait naître aucun droit au profit de celui-ci ; qu’ainsi, le préfet a pu
légalement, par sa décision du 26 juillet 2001, rapporter cette décision implicite ».
65
Comme l’indique Mme Anne BAUX, « le juge administratif ouvre à l’administration une
possibilité de retrait illimitée dans le temps. Si cela peut ne pas paraître choquant, dès lors que l’on
estime, à juste titre, que toute décision illégale et non créatrice de droits doit pouvoir être retirée à
tout moment, il convient de souligner qu’en initiant cette possibilité de retrait le juge accepte
également d’enlever tout effet utile à l’article 5 de la loi du 11 juillet 1979 visant à rendre illégale
une décision qui, devant être motivée, ne l’a pas été et ne l’est pas devenue ».
66
CE 26 janv. 2007, SAS Kaefer Wanner, n° 284605, Lebon, p. 24 ; AJDA 2007, p. 635, concl.
Y. STRUILLOU ; Droit administratif, mars 2007, Focus R. NOGUELLOU et comm. n° 35 :
« considérant qu’en jugeant que le ministre chargé du travail pouvait légalement, dans le délai de
recours contentieux, rapporter sa décision implicite rejetant le recours hiérarchique formé contre la
décision de l’inspecteur du travail autorisant le licenciement d’un salarié protégé qui était créatrice
de droit au profit de l’employeur, dès lors que ces deux décisions étaient illégales, la cour
administrative d’appel de Bordeaux n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit ».
218
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
24. Le mécanisme de la décision implicite peut évidemment être
modifié, voire bouleversé. On pourrait ainsi souhaiter que le législateur fixe
la règle selon laquelle le silence vaut acceptation, sauf exceptions prévues
par voie réglementaire ; mais alors, il faudrait sérieusement étoffer les
services des différentes administrations afin que celles-ci soient en mesure
d’étudier sérieusement les innombrables demandes dont elles sont
quotidiennement saisies, et qu’elles peuvent se permettre aujourd’hui de
traiter par prétérition. À l’inverse, il serait théoriquement possible de
supprimer le système de la décision implicite, et d’introduire en substitution
un recours en carence permettant au juge de sanctionner l’abstention illégale
de l’administration, à l’instar de ce que prévoit l’article 232 CE ; mais alors
la situation de l’administré serait bien moins confortable qu’elle ne l’est
actuellement – sans compter l’encombrement du prétoire qu’une telle voie
de recours engendrerait.
Au total donc, le schéma issu de la loi du 12 avril 2000, quoique
faussement simple, apparaît aujourd’hui encore comme le moins mauvais
possible. Il devrait toutefois être amélioré, en particulier dans les « zones
grises » où l’administration peut en réalité retarder indéfiniment la
survenance d’une telle décision. Cette amélioration pourrait prendre deux
formes.
Celle d’une réforme au cas par cas. Ainsi, l’article R. 421-19 du Code
de l’urbanisme dans sa version applicable jusqu’au 1er octobre 2007
prévoyait que le constructeur ne pouvait obtenir de permis de construire
tacite dans une série de neuf cas, comme par exemple lorsque les travaux
devaient faire l’objet d’une enquête publique : cette disposition permettait en
pratique à l’administration de ne pas prendre de décision sur la demande de
permis pendant plusieurs années ; désormais, l’article R. 424-2 du même
Code prévoit que le défaut de notification d’une décision expresse dans le
délai d’instruction de la demande (délai fixé par l’administration) vaut
décision implicite de rejet, notamment lorsque le projet est soumis à enquête
publique : au moins le demandeur est-il assuré d’être en possession d’une
décision !
Au-delà, il serait temps de reconnaître un principe général du droit
français à une bonne administration, selon lequel celle-ci est tenue de
répondre aux sollicitations dans un délai raisonnable. Ce principe est
consacré, pour les institutions de l’Union européenne, par l’article 41,
paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
le Conseil d’État de Belgique reconnaît de longue date que l’administration
doit agir dans un délai raisonnable67. Le Conseil d’État de France impose à
67
V. par ex. : CE belge, 6 févr. 1986, n° 26.155 ; CE belge 3 juill. 2002, Dewulf, n° 108.705 :
« la notion de délai raisonnable est un principe général de droit administratif ».
P. CASSIA : LA DÉCISION IMPLICITE EN DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS
219
l’exécutif de prendre les mesures réglementaires d’application d’un décret,
d’une ordonnance ou d’une loi dans un délai raisonnable68 ; il devrait en
aller de même dans les rares hypothèses où l’administration est saisie d’une
demande de prise de décision individuelle sans être tenue de répondre dans
un délai légal.
68
V. par ex. : CE Ass. 27 nov. 1964, Dame Veuve Renard, Lebon, p. 590 ; CE 13 juill. 1962,
Kevers-Pascalis, Lebon, p. 475 ; CE 28 juill. 2000, France nature environnement, Lebon, p. 322 ;
CE 27 févr. 2005, Association Bretagne ateliers, n° 261694, Lebon, p. 350.
III
LES PRINCIPES DE LA PROCÉDURE
ADMINISTRATIVE
EN RUSSIE ET EN FRANCE
LES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA PROCÉDURE
ADMINISTRATIVE EN FRANCE
David CAPITANT
La procédure administrative française non contentieuse s’est longtemps
caractérisée par l’absence de texte écrit composé de manière systématique.
Aussi est-ce au juge administratif qu’il est revenu d’en fixer les traits
principaux qu’il a imposés à l’administration dans le cadre de son contrôle
contentieux. Ce travail jurisprudentiel s’est fondé sur le recours à la notion
de principes généraux du droit, de sorte qu’avec l’aide de la doctrine, une
conception ordonnée de cette procédure a pu être développée.
Aujourd’hui encore, si de nombreux textes sont intervenus
progressivement dans cette matière pour préciser ou compléter les règles
jurisprudentielles, il reste qu’aucune législation complète, aucun code de la
procédure administrative non contentieuse n’existe en France, contrairement à
la situation qui caractérise de nombreux États voisins.
Parmi les textes présentant un certain caractère de généralité, on peut
citer la loi 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration
des relations entre l’administration et le public, qui fixe le régime de l’accès
aux documents administratifs, la loi 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la
motivation des actes administratifs et la loi 2000-321 du 12 avril 2000
relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations,
qui confirme les solutions jurisprudentielles dans de nombreux domaines et
marque ainsi les prémices d’une entreprise souhaitable de rédaction de la
procédure administrative non contentieuse.
Le rôle créateur de la jurisprudence dans ce domaine ne doit pas
étonner, tant il est avéré que la procédure qui s’impose dans la prise d’une
décision joue un rôle de premier plan dans la protection des droits matériels
des administrés, en assurant de manière préventive la juste prise en compte
de ceux-ci. Sur ce plan, le juge administratif français a réalisé une œuvre
224
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
très complète et lorsque l’on compare les règles de procédure suivies en
France avec les divers éléments que la Charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne, adoptée en 2000, regroupe dans son article 41 sous le
terme de « droit à une bonne administration », on constate que le droit
français apporte à chacun d’eux une traduction satisfaisante.
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
Article 41
Droit à une bonne administration
1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement,
équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de
l’Union.
2. Ce droit comporte notamment :
- le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure
individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ;
- le droit d’accès de toute personne au dossier qui la concerne, dans le
respect des intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel
et des affaires ;
- l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions.
3. Toute personne a droit à la réparation par la Communauté des
dommages causés par les institutions, ou par leurs agents dans l’exercice de
leurs fonctions, conformément aux principes généraux communs aux droits
des États membres.
4. Toute personne peut s’adresser aux institutions de l’Union dans une
des langues des traités et doit recevoir une réponse dans la même langue.
La question du traitement impartial et équitable apparaît plus en France
comme une question de fond que de procédure et se trouve envisagée
davantage à partir des principes d’égalité et de neutralité lors de l’examen de
la légalité de la décision, que sous l’angle de la procédure appliquée.
D. CAPITANT : PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE 225
S’agissant du traitement des affaires par l’administration dans un délai
raisonnable, il est assuré par le mécanisme des décisions implicites qui fait
ici l’objet d’une communication particulière.
La possibilité de poursuivre l’administration en responsabilité intervient
également en aval des questions de procédure qui ont pour objet de prévenir
l’adoption de décisions susceptibles de léser les intérêts des administrés.
Enfin, la question des langues ne se pose guère en France puisque seul
l’usage du français est en vigueur devant l’administration française depuis
l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539.
C’est donc essentiellement autour des dispositions du second point de
l’article 41 de la Charte que s’articulent les principaux éléments relevant de
la procédure administrative non contentieuse.
I. LE PRINCIPE DE CONTRADICTION
Le principe de contradiction oblige l’administration à organiser
l’expression de leur point de vue par les administrés avant d’adopter une
décision susceptible de leur porter préjudice. Il rejoint ainsi du principe
« audi alteram partem ».
La mise en œuvre de ce principe permet ainsi de protéger de manière
préventive les intérêts des administrés, tout en assurant l’information
complète de l’administration sur le cadre et les conséquences de son
intervention.
Lorsque la décision en cause est une sanction, le principe de
contradiction peut se confondre avec les droits de la défense. Sa garantie est
alors considérée comme un principe général du droit (CE 26 oct. 1945,
Aramu) et comme un principe de valeur constitutionnelle (CC 28 déc. 1990,
Loi de finances pour 1990, p. 95).
Dans les autres domaines où il trouve à s’appliquer, il peut être garanti
par des textes particuliers (art. 65 de la loi du 22 avril 1905 qui a prévu la
communication de leur dossier aux fonctionnaires après le scandale de
l’« affaire des fiches » constituées pour défavoriser les militaires
catholiques) ou plus généralement aujourd’hui par l’article 24 de la loi du
12 avril 2000 qui reprend les solutions développées antérieurement par la
jurisprudence.
Aux termes de ce texte, ce sont les décisions individuelles défavorables
dont la liste est fixée par la loi de 1979 sur la motivation (sanctions, mesures
de police, mesures dérogatoires à une réglementation, etc. cf. infra), qui sont
concernées.
De telles décisions ne peuvent légalement intervenir qu’après que
l’intéressé a été mis à même (1) de présenter des observations écrites, ce qui
226
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
implique que son dossier lui ait été communiqué avec un certain délai, (2) de
présenter des observations orales, s’il en fait la demande, éventuellement
avec l’assistance d’un conseil.
Sont exceptées de cette obligation : (1) les cas dans lesquels il est statué
sur demande de l’administré, puisqu’il a eu l’occasion de présenter son point
de vue dans sa demande, (2) les cas d’urgence ou de situation
exceptionnelle, (3) les décisions prises après une procédure particulière
instituée par un autre texte, comme c’est le cas par exemple pour les
mesures concernant les relations de l’administration avec ses agents, puisque
s’applique alors le régime particulier de la loi de 1905 précitée, (4) les cas
dans lesquels l’ordre public serait mis en cause par leur application. Dans ce
dernier cas, la jurisprudence a bien précisé que cela n’entraînait pas
l’exclusion de toutes les mesures de police du respect de la procédure
contradictoire.
Article 24 de la loi du 12 juin 2000
Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions
individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de
la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes
administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le
public n’interviennent qu’après que la personne intéressée a été mise à
même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa
demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par
un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. L’autorité
administrative n’est pas tenue de satisfaire les demandes d’audition
abusives, notamment par leur nombre, leur caractère répétitif ou
systématique.
Les dispositions de l’alinéa précédent ne sont pas applicables :
1° En cas d’urgence ou de circonstances exceptionnelles ;
2° Lorsque leur mise en œuvre serait de nature à compromettre l’ordre
public ou la conduite des relations internationales ;
3° Aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont
instauré une procédure contradictoire particulière.
Les modalités d’application du présent article sont fixées en tant que de
besoin par décret en Conseil d’État.
Toutes les mesures prises qu’elles soient de véritables sanctions ou
simplement prises « en considération de la personne », alors même qu’elles
échapperaient à l’application de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000, restent
D. CAPITANT : PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE 227
soumises aux exigences jurisprudentielles qui imposent l’organisation d’une
contradiction écrite. Cela implique que l’intéressé soit (1) avisé du projet de
décision, (2) invité explicitement à présenter ses moyens de défense, (3) que
lui soient communiqués les griefs existant contre lui, (4) que lui soit laissé
un délai suffisant pour préparer sa défense, (5) qu’il soit informé de son
droit à être assisté d’un conseil (cf. par ex. CE 5 juill. 2000, Mermet, n°
200622 et 203356).
II. LE PRINCIPE DE TRANSPARENCE
Destiné à assurer la complète information des administrés de sorte
qu’ils puissent évaluer la légalité des décisions adoptées par l’administration
et éventuellement décider de la contester, le principe de transparence, qui
connaît des limites, s’exprime de multiples manières à des moments
différents de l’action administrative.
Il s’agit tout d’abord de l’obligation pour l’administration de publier ses
décisions avant que celles-ci ne deviennent exécutoires (A). Plus
précisément, les administrés doivent avoir accès aux documents
administratifs de quelque sorte que ce soit, afin de pouvoir assurer le
contrôle de l’action administrative dans toutes ces composantes (B). Enfin,
l’administration doit indiquer dans certains cas les motifs de ses décisions
individuelles afin là encore que le destinataire puisse s’assurer de la légalité
de la décision qui lui est adressée et assurer la défense de ses intérêts (C).
A. – La publicité des décisions administratives
Une décision administrative ne peut trouver application que si elle a été
préalablement portée à la connaissance des administrés. C’est là une des
garanties les plus classiques contre l’arbitraire de l’administration.
Cette obligation peut être rapprochée d’un principe récemment formulé
par le Conseil constitutionnel et repris par le Conseil d’État : le principe
constitutionnel de l’accessibilité et de l’intelligibilité du droit (CC n° 99-421
DC du 16 déc. ; CE Ass. 24 mars 2006, Société KPMG, n° 288460).
Le respect de ce principe implique que les dispositions des textes mis
en vigueur soient non seulement accessibles mais également intelligibles, ce
qui relève de la poursuite d’un même objectif d’information des administrés.
Sans revenir sur les détails du régime de la publicité des décisions
administratives en France (voir notamment l’ordonnance n° 2004-164 du
20 février 2004 relative aux modalités et effets de la publication des lois et
de certains actes administratifs), on peut indiquer qu’en règle générale, les
228
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
décisions réglementaires doivent être publiées, souvent désormais sous une
forme informatique, tandis que les décisions individuelles font communément
l’objet d’une notification aux personnes concernées.
Le respect de ces formalités commande non seulement l’opposabilité de
ces décisions, mais également l’ouverture du délai de recours contentieux à
l’issue duquel seulement elles deviendront définitives.
S’agissant de la publication des règlements, elle a été étendue aux
circulaires administratives et le décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008
prévoit que les circulaires et instructions ministérielles ne seront opposables
que si elles sont en ligne sur un site internet : « www.circulaires.gouv.fr ».
Il est à noter par ailleurs que le juge administratif a été conduit à
formuler un principe général du droit imposant la publication des
règlements, pour éviter que l’absence de publication puisse constituer un
moyen d’en entraver l’entrée en vigueur (CE 12 déc. 2003, Syndicat des
commissaires et hauts fonctionnaires de la police nationale, n° 243430).
L’obligation de faire connaître les décisions administratives étant avant
tout destinée à assurer la protection des administrés, seules les décisions
défavorables voient leur caractère exécutoire soumis au respect de cette
procédure, comme le précise, après la jurisprudence (CE 28 nov. 1952,
Dame Lefranc, p. 534), l’article 8 de la loi du 11 juillet 1978 modifiée par
l’ordonnance n° 2005-650 du 6 juin 2005 : « toute décision individuelle
prise au nom de l’État, d’une collectivité territoriale, d’un établissement
public ou d’un organisme, fût-il de droit privé, chargé de la gestion d’un
service public, n’est opposable à la personne qui en fait l’objet que si cette
décision lui a été préalablement notifiée ».
B. – L’accès aux documents administratifs
Au-delà de la publicité qu’il implique de donner aux décisions
administratives, le principe de transparence de l’action de l’administration
s’étend à l’ensemble des documents que celle-ci détient. Il s’agit là encore
de renforcer les possibilités de contrôle dont peuvent disposer les
administrés en leur permettant de disposer de tous les éléments à partir
desquels l’administration est conduite à agir.
Ainsi la loi 78-753 du 17 juillet 1978 pose-t-elle le principe selon lequel
« les autorités (administratives) sont tenues de communiquer les documents
administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande ».
La notion de document est largement envisagée puisque la loi, sans en
donner une liste exhaustive, cite « notamment les dossiers, rapports, études,
comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions,
circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis,
D. CAPITANT : PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE 229
prévisions et décisions », qu’ils émanent de l’administration ou soient
simplement détenus par elle.
Surtout, le droit à communication ainsi accordé aux administrés se
trouve très puissamment renforcé par le fait qu’aucune motivation n’est
exigée de leur part au soutien de leur demande de communication. C’est au
contraire à l’administration qu’il appartient éventuellement de démontrer, en
cas de refus de communication, que la loi l’autorise.
En effet, des limites sont posées à l’obligation de communication afin
de protéger certains secrets dans l’intérêt public ou dans l’intérêt privé des
personnes concernées. Ainsi notamment, ne sont pas communicables les
documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait
atteinte au secret de la défense nationale, à la conduite de la politique
extérieure de la France, à la sûreté de l’État, à la sécurité publique ou à la
sécurité des personnes, à la monnaie et au crédit public.
S’agissant de la protection des secrets privés, la loi n’écarte pas
l’obligation de communication mais la limite aux personnes intéressées.
Peuvent ainsi être conciliés le droit à communication et la protection de la
vie privée, le secret médical ou le secret en matière commerciale et
industrielle.
Pratiquement, l’accès aux documents administratifs s’exerce, au choix
de l’administré, par consultation gratuite sur place, par la délivrance d’une
copie sur un support identique à celui utilisé par l’administration ou encore
par courrier électronique et sans frais lorsque le document est disponible
sous forme électronique.
Toute décision de refus peut faire l’objet d’un recours devant le juge
administratif, la loi organisant un recours administratif préalable obligatoire
devant une autorité administrative indépendante spécialement instituée : la
Commission d’accès aux documents administratifs.
C. – La motivation des actes administratifs
Au-delà de la connaissance qu’ils doivent avoir des décisions
administratives susceptibles de leur être opposées et de l’accès qui doit leur
être garanti aux documents dont l’administration dispose, les administrés
doivent également pouvoir connaître les motifs des décisions administratives
puisque c’est en fonction de ces motifs qu’ils pourront en apprécier
complètement la légalité et éventuellement les contester. En outre,
l’obligation ainsi imposée aux fonctionnaires de rédiger ces motifs apporte
une garantie supplémentaire de l’examen attentif dont chaque situation doit
faire l’objet et constitue ainsi un moyen susceptible de renforcer la légalité
et l’opportunité des décisions adoptées.
230
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Aussi l’administration doit-elle faire expressément figurer dans le corps
de ces décisions les motifs, de fait et de droit, sur lesquelles ces décisions
reposent, lorsque la protection des intérêts des administrés en dépend. C’est
l’objet de l’obligation de motivation.
Protégée d’abord par la jurisprudence (CE Ass. 27 nov. 1970, Agence
maritime Marseille-Fret, n° 74877) ; expressément prévue par de nombreux
textes relatifs à des décisions intervenant dans les domaines les plus divers ;
l’obligation de motivation a trouvé son expression la plus large à travers la
loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes
administratifs.
Ce texte impose d’une part la motivation des décisions individuelles
défavorables, dont elle donne une liste. Il s’agit ainsi des décisions qui :
- restreignent l’exercice des libertés publiques ou, de manière générale,
constituent une mesure de police ;
- infligent une sanction ;
- subordonnent l’octroi d’une autorisation à des conditions restrictives
ou imposent des sujétions ;
- retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ;
- opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance ;
- refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les
personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir ;
- refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs
pourrait être de nature à porter atteinte à l’un des secrets ou intérêts protégés
par les dispositions des deuxième à cinquième alinéas de l’article 6 de la loi
n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des
relations entre l’administration et le public.
Doivent d’autre part être motivées « les décisions administratives
individuelles qui dérogent aux règles générales fixées par la loi ou le
règlement ».
Pour assurer la complète efficacité de la motivation des décisions
administratives, la loi en précise les modalités. Ainsi, « la motivation exigée
par la présente loi doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations
de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ».
La jurisprudence a interprété cette obligation de manière relativement
stricte et le défaut de motivation d’une décision n’est pas couvert par la
motivation d’une décision confirmative ultérieure (CE 17 juin 1985,
Dauberville, n° 54172).
La jurisprudence a également systématiquement sanctionné le recours à
des motivations-type (CE Sect. 24 juill. 1981, Belasri, n° 31488).
Les seuls cas dans lesquels l’obligation de motivation se trouve non pas
écartée, mais seulement aménagée, concernent d’une part les situations
d’urgence et d’autre part les décisions implicites.
D. CAPITANT : PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE 231
La loi de 1979 prévoit ainsi (art. 4) que « lorsque l’urgence absolue a
empêché qu’une décision soit motivée, le défaut de motivation n’entache
pas d’illégalité cette décision. Toutefois, si l’intéressé en fait la demande,
dans les délais du recours contentieux, l’autorité qui a pris la décision devra,
dans un délai d’un mois, lui en communiquer les motifs ».
S’agissant des décisions implicites, c’est également un mécanisme de
motivation a posteriori qui a été retenu. L’article 5 de la loi précise ainsi que
« Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite
aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas assortie
de cette motivation. Toutefois, à la demande de l’intéressé, formulée dans
les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de
rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande.
Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est
prorogé jusqu’à l’expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui
auront été communiqués ».
III. LE PRINCIPE DE SÉCURITÉ JURIDIQUE
Le principe de sécurité juridique n’a été consacré que récemment dans
cette formulation par la jurisprudence du Conseil d’État (CE Ass. 24 mars
2006, KPMG, n° 288460). Pour autant, les corolaires qui en découlent sont
depuis longtemps garantis par la jurisprudence administrative, parfois
confirmée par la loi.
Le principe de sécurité juridique envisage les décisions administratives
essentiellement dans leur aspect chronologique. Il implique ainsi que les
décisions administratives ne remettent pas en cause les situations passées.
C’est l’objet du principe de non-rétroactivité des actes administratifs (A). Il
implique également que les dispositions qui ont pu être légitimement
adoptées par les administrés se fondant sur la stabilité du droit ne soient pas
brusquement remises en cause par un changement trop brutal de la
réglementation. C’est l’objet du principe de protection de la confiance
légitime (B). Enfin, si l’administration doit pouvoir remettre en cause les
solutions d’une époque pour tenir compte de l’évolution des circonstances,
elle doit également tenir compte des situations individuelles, à travers le
respect des droits acquis (C).
A. – Le principe de non rétroactivité des actes administratifs
Consacré comme principe général du droit par le Conseil d’État (CE
26 déc. 1925, Rodière ; CE Ass. 25 juin 1948, Soc. du Journal L’Aurore) et
232
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
par le Conseil constitutionnel (CC 69-57 L du 24 oct. 1969, Frais de
scolarité à l’École polytechnique, p. 32), le principe de non rétroactivité n’a
en principe de valeur constitutionnelle qu’en matière pénale, aux termes de
l’article 8 DDHC.
Pour autant, le Conseil constitutionnel en impose également le respect
dans le domaine fiscal (CC 18 déc. 1998, n° 98-404 DC) ou encore dans le
domaine contractuel (CC 2002-465 DC du 13 janv. 2003).
À l’inverse, le principe de non rétroactivité doit parfois être concilié
avec d’autres principes de même valeur. Ainsi le rétablissement de la
légalité justifie-t-il dans certains cas que soient retirées des décisions
illégales (cf. infra) ; ou encore que des décisions rétroactives soient prises
pour tirer les conséquences d’une décision juridictionnelle d’annulation (CE
8 juill. 1904, Botta ; CE Ass. 27 mai 1949, Véron-Réville).
B. – Le principe de protection de la confiance légitime
Le principe de protection de la confiance légitime exprime une des
facettes du principe de sécurité juridique : il implique que les acteurs
sociaux, et notamment les acteurs économiques, puissent avoir confiance
dans la stabilité de l’ordre juridique. Une des fonctions du droit est en effet
d’organiser de manière stable, en fonction de certains choix politiques, les
rapports sociaux. Si aucune stabilité n’existait dans les options prises, le
droit manquerait l’objectif même qui lui est assigné puisque, faute de
confiance dans les règles posées, leurs destinataires les laisseraient
inappliquées.
Longtemps ignoré du droit français, le principe de protection de la
confiance légitime impose à l’administration, lorsqu’elle modifie ou
supprime une réglementation, à adopter des mesures transitoires de nature à
concilier compétence règlementaire et sécurité juridique.
Consacré par l’arrêt CE Ass. 24 mars 2006, Soc. KPMG, n° 288460, il
prévoie que « Il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire
d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires
qu’implique, s’il y a lieu, une réglementation nouvelle ». Il est désormais
couramment appliqué par le juge administratif, en conformité avec le droit
communautaire.
Le juge administratif a eu ainsi l’occasion de préciser que de telles
mesures transitoires doivent être adoptées « lorsque l’application immédiate
de (la réglementation nouvelle) entraîne, au regard de l’objet et des effets de
ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en
cause » (CE 13 déc. 2006, Mme Lacroix, n° 287 845).
D. CAPITANT : PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE 233
C. – La protection des droits acquis
Le principe de sécurité juridique est conçu non seulement comme
impliquant que l’administration ne puisse remettre en cause le passé et
qu’elle doive accompagner les modifications réglementaires par des mesures
transitoires, mais en outre, comme protégeant contre toute remise en cause
certaines situations juridiques considérées comme définitivement acquises,
alors même qu’elles apparaîtraient comme illégales ou inopportunes.
Lorsqu’une décision est ainsi considérée comme créatrice de droits, elle
ne peut être retirée rétroactivement, ce qui n’est finalement qu’une
application particulière du principe de non rétroactivité. Mais, ce qui est plus
remarquable, elle ne peut non plus être abrogée pour l’avenir car les droits
qu’elles a créés, s’ils ne sont pas épuisés, sont acquis. Ainsi la décision
d’octroyer une prime ne peut-elle être remise en cause jusqu’au complet
versement de celle-ci (CE 25 juill. 1986, Soc. Grandes distilleries « Les fils
d’Auguste Peureux », n° 22692). De même, une autorisation ne peut être
abrogée pour quelque raison que ce soit (CE Sect. 6 mars 2009,
M. Coulibaly, n° 306084).
Bien entendu, il en irait autrement si les textes avaient organisé une
procédure particulière à cet effet.
En dehors de ce cas, seule l’illégalité de la décision permet de remettre
en cause des droits acquis, à condition cependant que le retrait ou
l’abrogation intervienne dans un délai limité, actuellement fixé dans le cas
général par la jurisprudence à quatre mois après l’adoption de la décision
(CE Ass. 26 oct. 2001, Ternon, n° 197018). Il convient de noter que des
solutions particulières existent pour les décisions implicites (art. 23 de la loi
du 12 avril 2000), pour celles qui sont adoptées dans le domaine de
l’urbanisme (art. L. 424-5 du Code de l’urbanisme) ou encore pour les
décisions adoptées dans le champ d’application du droit communautaire en
raison du régime propre développé par celui-ci (CJCE 18 juill. 2007,
Ministerio dell’Industria c/ Lucchini SpA, C-119/05).
Au contraire, les décisions non créatrices de droit peuvent être abrogées
à tout moment par l’administration pour des raisons d’opportunité et doivent
même l’être si elles sont illégales (CE Ass. 3 févr. 1989, Compagnie
Alitalia, p. 44 ; CE Sect. 30 nov. 1990, Association Les Verts, n° 103889)
voire devenues inexécutables (CAA Paris 4 juill. 2008, 07PA04078).
Cette différence de régime implique de distinguer précisément les
décisions créatrices de droit de celles qui n’ont pas cet effet. Sont en
principe considérées comme créatrices de droit les décisions favorables,
c’est-à-dire celles qui accordent un avantage, par exemple l’octroi d’une
allocation ou d’une autorisation.
234
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Cela dit, la recherche d’un équilibre entre légalité et stabilité juridique a
conduit la jurisprudence à tracer une frontière très subtile entre les deux
catégories. Ainsi, certaines décisions favorables, qualifiées de précaires et
révocables, ne sont pas créatrices de droit : par exemple les autorisations
d’occupation privative du domaine public. Il en va de même pour les actes
obtenus par fraude, par là-même inexistants.
Au contraire, certaines décisions défavorables à leur destinataire sont
considérées comme créatrices de droit pour les tiers ; c’est notamment le cas
d’un retrait de permis de construire. Mais les décisions de refus ou les
sanctions ne sont jamais créatrices de droits pour les tiers.
On le voit, la recherche d’un équilibre entre légalité et stabilité n’est pas
aisée lorsqu’est en cause un droit illégalement acquis.
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES :
DOCTRINE ET PRATIQUE
Yuri A. TIKHOMIROV
L’activité publique est étroitement liée à la règle et à l’exercice du
pouvoir discrétionnaire. Mais il arrive trop souvent que l’on déroge à la
règle, qu’on la contourne ou qu’on la détourne. Dans le domaine du droit
public, c’est avant tout par les procédures que l’on peut y remédier.
Aujourd’hui cette question est devenue très actuelle, parce que sans elles il
est difficile d’assurer l’efficacité de l’action de l’État, ainsi que des activités
sociales et économiques.
Comprises comme des régimes juridiques complexes, les procédures
encadrent les processus législatifs, budgétaires, civils ou autres. La
procédure administrative est encore plus complexe à cause de son ampleur
illimitée, ainsi que du dynamisme et de la rapidité des changements qu’elle
connaît. Dans les lois des années passées et d’aujourd’hui on trouve peu de
règles de procédure, même si l’on peut relever une tendance positive. En
effet, la doctrine soviétique du droit administratif s’est fondée sur la
reconnaissance de la primauté de régulations rigides d’autorisation et de
contrôle. L’« hégémonie » du Code des contraventions administratives en
est encore aujourd’hui le témoignage.
Cependant la nécessité d’un équilibre entre les règles de fond et les
règles de procédure impose de considérer de manière plus large le processus
juridique comme le régime de l’activité des organes compétents, réglementé
par les normes de procédure, qui décident des régimes juridiques généraux
ou individuels. En ce sens, le processus juridique peut avoir pour objet la
création et l’application du droit. De là résultent les problèmes du droit
processuel et les branches de la législation processuelle1.
1
Cf. Концепции развития российского законодательства [Les conceptions du
développement de législation russe], Moscou, 2010.
236
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Dans la science du droit administratif le processus juridique se présente
comme une variété de procédures comprises, au sens large, comme le
moyen d’ordonner l’exercice des activités. Les systèmes de la législation
processuelle lui sont inhérents, en particulier en ce qu’ils règlent les
procédures administratives et le fonctionnement de l’administration. La
compréhension des procédures au sens positif a conduit la recherche à
l’analyse des différentes formes de l’activité administrative (réglementation,
contrôle, réalisation des droits et des obligations des personnes physiques,
organisation du fonctionnement des autorités, etc.)2. Mais sans dégager de
caractéristiques systémiques.
Dans le contexte de la réforme administrative, on avait besoin d’une
définition plus large de la procédure administrative. C’est l’ordre établi par
le droit et que doit suivre l’activité des sujets de droit dans la réalisation de
leurs droits et obligations3. À cet égard, il est pleinement justifié de se poser
la question des éléments de la procédure administrative, qui appellent une
définition plus précise de ses critères. Ces éléments comprennent :
a) les règles de procédure visant l’application légale des normes de
compétence matérielle ;
b) l’ « inventaire » type des documents juridiques qu’adoptent les
autorités titulaires de la compétence ;
c) les stades et les catégories des activités de ces autorités et d’autres
sujets de droit qui leur sont liés, la chaîne des opérations juridiques
successives et ce qui les relie ;
d) la caractéristique temporelle (délais, durée, périodicité).
Ces éléments sont médiatisés par le droit. Par leur nature, ils sont en
premier lieu des règles d’organisation et de fonctionnement. Leur aspect
juridique s’exprime dans la décomposition opérationnelle d’une disposition
d’une norme de fond, ou même dans l’introduction de micro-hypothèses.
Dans le droit administratif, dont les normes existent presque dans toutes
les branches du droit, on a besoin de procédures positives. C’est la forme la
plus importante de la réalisation de la compétence d’une autorité étatique ou
municipale fixée tant par les lois et dispositions générales d’ordre
institutionnel que par les lois sectorielles. Mais les projets législatifs en ce
domaine ont connu un destin difficile. Au milieu des années 90 du XXe
siècle l’auteur a élaboré un projet de loi sur les procédures de règlement des
différends dans le système des autorités de l’État, mais la discussion s’est
enlisée. Au début de 2000 l’auteur, avec d’autres, a préparé un projet de loi
2
Cf. Управленченские процедуры [Les procédures administratives], Moscou, 1988.
Cf. Yuri A. TIKHOMIROV, Управление на основе права [La gestion sur la base de droit],
Moscou, 2008 ; également : Современное публичное право [Le droit public contemporain],
Moscou, 2009.
3
Y. A. TIKHOMIROV : PROCÉDURES ADMINISTRATIVES : DOCTRINE / PRATIQUE 237
sur les procédures administratives, auquel a été opposé un projet concurrent
à la Douma d’État. Le mouvement s’est alors arrêté et ne s’est poursuivi que
par l’adoption de textes spéciaux.
Les procédures organisent non seulement l’activité de prise de décision
des autorités publiques, mais aussi des personnes morales et des personnes
physiques qui agissent suivant ces décisions. Ce sont justement les
procédures qui permettent de réduire le nombre des violations du droit et
l’introduction de normes de règlement adaptées dans le Code des
contraventions administratives, ainsi que dans le futur Code de la procédure
administrative.
Quels sont les principes des procédures administratives ? Ce sont la
sécurité juridique ; la légalité ; la transparence et l’accessibilité ;
l’obligation, l’efficacité, la concentration des opérations (« guichet
unique »).
Sur un plan général, il s’agit : a) du droit d’une personne physique,
d’une personne morale de solliciter, dans les conditions prévues un
document ou une décision (y compris en qualité de propriétaire) ; b) de
l’obligation de l’autorité ou du fonctionnaire chargé de prendre une
décision, de réunir toute l’information nécessaire, et celle des autorités
concernées, et de les soumettre à une autre autorité ; c) de l’obligation de
celui-ci de soumettre le dossier ou le texte de la décision à la personne
physique ou morale ; d) de la détermination de délais précis et courts pour la
réponse. La typologie des demandes nécessite que soient fixées les
caractéristiques juridiques des différents « guichets » et la réglementation de
leur activité.
On voit que les cadres du droit administratif visent un large cercle de
personnes physiques et morales. L’application de normes de différentes
branches du droit implique inévitablement des autorités du pouvoir exécutif
et des collectivités locales, des personnes morales de nature juridique
différente, des personnes physiques. L’aspect social des procédures est très
important car il reflète la garantie de différentes catégories de relations entre
les citoyens et les pouvoirs publics. Ce problème appelle des réponses
spécifiques, y compris le développement des institutions de la justice
administrative.
Ainsi donc les procédures administratives sont-elles une des deux
composantes du droit administratif processuel. Avec des règles de fond,
elles forment le système du droit administratif. Celui-ci englobe presque
tous les domaines de vie de l’État et de la société, en les appréciant du point
de vue assez spécifique de l’administration.
La variété de l’activité administrative des autorités et des institutions
publiques exige l’introduction et l’application des procédures différentes.
On relève d’abord des procédures administratives positives, visant à régler,
238
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
arranger et stabiliser les grandes catégories d’activité. D’autres procédures,
appelées contentieuses, sont destinées à l’examen de litiges et de désaccords.
Ce sont des procédures administratives, judiciaires et mixtes. Il existe aussi
une autre position, celle qui comprend la procédure administrative dans un
sens plus restreint, comme le régime du contentieux administratif4, ce qui ne
reflète pas pleinement le potentiel régulateur contemporain du droit
administratif.
La diversité des procédures administratives nous renvoie à la variété
des décisions à prendre dans le cadre des compétences des sujets de droit.
Elles peuvent ainsi être, en fonction des textes qui les régissent, périodiques
et répétitives, ou inédites et nouvelles.
En résumé, la procédure administrative est le régime juridique formel
suivant lequel les sujets de droit habilités effectuent la suite des actes
nécessaires à la réalisation de leurs compétences et à la fourniture de
services publics. Cette définition en reflète tous les éléments juridiques
significatifs. Elle vise à limiter le pouvoir discrétionnaire de l’administration
en introduisant des critères juridiques qui s’imposent à l’action des
fonctionnaires, des dirigeants, des organes de l’État et des collectivités
locales, mais aussi des citoyens et des personnes morales. La soumission des
activités à des procédures en assure la transparence et la prévisibilité, et elle
en renforce l’efficacité et le caractère démocratique.
Il est utile de faire une présentation systématique des différentes
catégories de procédures administratives en fonction de leur but, de leurs
sujets et participants, ainsi que des missions auxquelles se rapportent les
décisions. Cela donne la classification suivante des procédures :
1. Les procédures de conciliation et de concertation.
2. Les procédures d’organisation : a) le régime du travail ; b) les
règlements de séances, de réunions ; c) les règles de préparation et
d’adoption des actes juridiques ; d) les règles de traitement des informations,
les règles d’accès aux informations, de leur communication ; e) le régime de
délégation des compétences ; f) les modalités de réorganisation et de
dissolution des organes et des organisations.
3. Les règlements administratifs : a) les modalités d’exercice des
fonctions et de règlement des affaires ; b) les règles de prestation de services
aux clients ; c) les règles d’organisation de concours (recrutement de
cadres ; marchés publics, etc.).
4. Procédures relatives à des situations : a) les modalités d’évaluation
des effets de la réglementation ; b) les actions en situation extrême ; c) le
suivi juridique ; d) l’expertise anticorruption.
4
Cf. par ex. B. V. ROSSINSKY, U. N. STARILOV, Административное право [Droit
administratif], Moscou, 4e éd., 2009, pp. 655-850.
Y. A. TIKHOMIROV : PROCÉDURES ADMINISTRATIVES : DOCTRINE / PRATIQUE 239
5. Les procédures de contrôle : a) le régime général du contrôle (Loi
fédérale « Sur la défense des droits des personnes morales et des
entrepreneurs soumis à un contrôle d’une autorité de l’État ((inspection) ou
d’une autorité municipale ») ; b) les contrôles techniques et thématiques ;
c) le contrôle interne (y compris la surveillance de la concurrence dans les
marchés publics) ; d) les procédures d’évaluation du contrôle.
6. Les procédures de coordination : a) dans les relations entre les
autorités étatiques et municipales ; b) de la coopération avec des acteurs
économiques ; c) pour le règlement conjoint de missions complexes ;
d) consultatives (avec des partis, associations et mouvements de la société à
but non lucratif).
7. Les procédures à caractère démocratique (ou social) concernant :
a) l’examen des plaintes et des demandes des personnes physiques ; b) le
régime de l’examen des requêtes des personnes physiques et morales (des
entrepreneurs) ; c) l’accès des citoyens aux informations sur l’activité des
autorités publiques ; d) l’exercice du droit de l’initiative des citoyens ; e) les
modalités de la participation des citoyens à la gestion publique.
8. Les procédures mixtes, administratives et judiciaires (dans le cadre
du Code des contraventions administratives, etc.) : la phase administrative
du contentieux.
9. Les procédures de règlement des différends : a) les modalités de
règlement des désaccords et des litiges entre les organes du pouvoir
exécutif ; b) les commissions paritaires ; c) les comités de conciliation ;
d) les modalités de l’examen de plaintes des personnes physiques dans le
système de l’administration (y compris les commissions d’appel) ; e) les
modalités d’exécution des décisions de justice sur le recouvrement de
dommages dans les organes du pouvoir exécutif.
10. Les procédures relatives aux technologies de l’information et de la
communication : le programme « Russie électronique » doit être mise en
œuvre sur la base d’orientations générales interdépendantes.
11. Les normes techniques (selon la Loi fédérale n° 184 du
27 décembre 2002 « Sur la normalisation technique »).
Il existe différentes façons de fixer les procédures administratives : la
loi, le règlement (reglament), les règles (pravila), l’ordonnance (polojenie),
l’instruction (rasporiadok), l’accord (soglachenie). Elles ne doivent pas être
utilisées de manière discrétionnaire, car elles doivent correspondre aux types
de problèmes. Les points 2, 4 et 5 sont plutôt liés aux procédures
organisationnelles, les 3 et 6 aux objectifs fonctionnels.
Comment naissent les procédures administratives ? Le point de départ
est la définition correcte de la compétence de l’organe, c’est-à-dire, sa
compétence matérielle comme son domaine d’intervention (champ
d’application de ses pouvoirs), sa responsabilité et les ressources nécessaires
240
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
à l’exercice de ses pouvoirs5. La pratique est encore loin de cette approche,
c’est pourquoi la détermination précise et fondée des éléments de la
compétence par les lois et d’autres dispositions reste un problème actuel.
Cette idée est confirmée par les efforts actuels de délimitation des
compétences et des pouvoirs entre les autorités publiques.
Il est nécessaire de définir les secteurs de l’activité du sujet de droit qui
exigeront des actions et des actes juridiques permanents et répétitifs. Le
choix d’un critère d’élaboration et d’introduction des procédures
administratives est très important.
L’étape suivante est celle de la détermination des procédures qui
correspondrait à la nature de l’organe administratif, du point de vue de son
organisation et de sa structure. On songe à la répartition des fonctions entre
les divisions, les adjoints, et à l’adoption de dispositions et d’instructions
correspondantes (mais interdépendantes). Il est utile d’introduire un régime
précis du travail et de régler les modalités d’établissement des plans et de
programmes, de la tenue des réunions de collège, des conférences, des
actions « extérieures », etc.
La transition de la statique à la dynamique exige la mise en place
d’autres procédures et est associée à l’introduction des modalités
d’exécution des fonctions des organes de l’État et des collectivités locales. Il
peut s’agir de procédures gouvernementales et ministérielles particulières,
ou des procédures « incorporées » à l’objet de la loi (Codes budgétaire,
foncier et autres). Sans ces procédures, il arrive que, dans le cadre de la
compétence de l’organe (du fonctionnaire) on prenne des décisions hâtives
et pas toujours efficaces. Par exemple, on perd vainement du temps à
chercher des partenaires ou à harmoniser des documents.
Les procédures relatives aux problèmes qui émergent progressivement
ou immédiatement, ou qui appellent un règlement rapide appellent une
attention particulière. Il est ici nécessaire de réglementer soigneusement la
procédure de décision conjointe ou coordonnée. Des fonctions réglementées
y sont justement consacrées.
Les décisions des organes d’État et des organes municipaux donnent
lieu à un type indépendant de procédures administratives. Les éléments
essentiels de ces procédures doivent se trouver dans les lois et les
dispositions générales relatives à ces institutions. Les règles relatives à la
préparation, à l’adoption et à la mise en œuvre des actes juridiques de ces
autorités peuvent s’appuyer sur l’expérience passée et présente. Le décret
bien connu du Gouvernement de la Fédération de Russie de 13 août 1997
« Sur l’homologation des règles relatives à la préparation des actes
5
2001.
Cf. Y. A. TIKHOMIROV, Теория компетенции [Théorie de la compétence], Moscou,
Y. A. TIKHOMIROV : PROCÉDURES ADMINISTRATIVES : DOCTRINE / PRATIQUE 241
juridiques normatifs des organes exécutifs fédéraux et de leur
enregistrement par l’État » est consacré à cette question. L’Institut de
législation et du droit comparé a préparé de telles règles pour les
administrations des régions de Tver et de Nijni-Novgorod.
Il serait pourtant justifié de fixer dans une loi fédérale les éléments
essentiels, notamment : les agents habilités ; les bases juridiques et les types
d’actes ; le caractère collégial ou individuel de la décision ; l’adoption et la
mise en forme des décisions orales ; les étapes de la préparation des projets
(y compris la prise en compte des avis d’experts et de l’opinion publique) ;
la transparence et l’information ; les exigences relatives aux formes, à
l’enregistrement, au contrôle, à l’archivage, aux modalités de leur
modification ; enfin, l’organisation de l’exécution.
Les procédures administratives ne concernent pas seulement le
fonctionnement interne des organes et des organisations. Elles ont aussi pour
objet les rapports externes et réciproques de ceux-ci dans les domaines
suivants : foncier, fiscal, de construction, budgétaire, etc.6. Mais de telles
procédures sont presque inexistantes, ce qui conduit à des relations
chaotiques, et une perte importante de temps.
Il s’agit de renforcer le rôle de la loi dans la réglementation des
procédures administratives. C’est seulement de cette manière que ces
procédures sortiront de la tutelle des actes réglementaires et qu’on leur
donnera une base solide et stable, et à tous les participants à la procédure la
garantie de leurs droits et intérêts légitimes. Les traditions nationales et
l’expérience des pays étrangers en sont la preuve.
Dans des conditions actuelles, le volume de la réglementation
administrative ne cesse d’augmenter. Nous assistons à un « boom de
règlements ». Ce sont d’abord les règlements types qui ont ouvert la voie ;
ils visaient les questions essentielles de l’organisation et de l’activité des
organes exécutifs fédéraux. Il s’agissait d’en fixer tous les éléments de
manière systématique, d’en assurer la cohérence et la coordination, sans
lacune. Les règlements types ont dans l’ensemble été adoptés, puis on a
élaboré et adopté les règlements fédéraux correspondants aux ministères,
aux agences et des services. Ce travail a été achevé au milieu de 2006.
Une autre étape a été franchie durant l’été 2010, lorsque la loi
fédérale « Sur les services fournis par l’État et les collectivités locales » a
été adoptée. Elle contient un chapitre 3 sur les « Règlements
administratifs ». Elle prévoit que la prestation des services publics de l’État
et des collectivités locales s’effectue en conformité avec les règlements
administratifs. La loi contient des articles qui établissent : 1) les dispositions
6
Cf. Y. A. TIKHOMIROV, Административное право и процес. Полный курс [Le droit et
la procédure administrative. Cours complet], Moscou, 2006, 2e éd.
242
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
générales ; 2) les standards de prestation de services par l’État ou les
collectivités locales ; 3) le contenu, la séquence et le délai de l’exécution des
procédures administratives, les exigences quant à leurs modalités y compris
les particularités relatives à l’accomplissement des procédures
administratives dématérialisées ; 4) les formes du contrôle sur la mise en
œuvre des règlements administratifs ; 5) les voies de recours administratives
(extrajudiciaires) contre les décisions et les actions (ou l’inaction) de
l’organe, de l’État ou de la collectivité locale, responsable de la fourniture
du service de prestataires de services publics, les autorités qui fournissent les
services municipaux, ainsi que des dirigeants ou fonctionnaires de l’État ou
de la collectivité locale.
La loi réglemente de manière détaillée les exigences relatives à
l’élaboration des règlements administratifs (art. 13) et les exigences relatives
aux standards auxquels doivent répondre les services (art. 14).
La fourniture des services de l’État et des collectivités locales dans les
centres polyvalents obéit au principe du « guichet unique », selon lequel une
seule demande doit être présentée par l’intéressé, sur la base de laquelle il
appartient aux administrations concernées de coopérer entre elles sans autre
intervention du demandeur pour fournir le service demandé par
l’intermédiaire du centre polyvalent, sur la base des normes juridiques et de
l’accord qui régissent leur coopération.
Des accords de coopération sont conclus à cet effet entre les centres
polyvalents et les organes exécutifs fédéraux, les organes des fonds hors
budget de l’État, les organes du pouvoir d’État des sujets de la Fédération de
Russie, et les collectivités locales.
Le chapitre 5 encadre l’utilisation des technologies de l’information et
de télécommunication pour les services fournis par l’État et les collectivités
locales.
Les règles et les procédures de coopération des systèmes d’information
utilisés pour la délivrance des services de l’État et des collectivités locales
en la forme électronique, ainsi que celles relatives aux infrastructures
nécessaire à leur coopération, sont établis par le Gouvernement de la
Fédération de Russie. Les normes et les conditions techniques, y compris les
conditions de compatibilité technique des systèmes d’information, les
conditions relatives aux normes et aux protocoles d’échange de données en
forme électronique dans la coopération entre les systèmes d’information,
sont établies par les organes fédéraux du pouvoir exécutif fédéral chargés de
l’élaboration et de mise en œuvre de la politique de l’État dans le domaine
des technologies d’information et de communication.
Y. A. TIKHOMIROV : PROCÉDURES ADMINISTRATIVES : DOCTRINE / PRATIQUE 243
En Russie la conception et la stratégie de développement du suivi
juridique ont acquis une actualité particulière7. Cela permet de déterminer
quelle est l’application réelle des lois et des autres actes juridiques compte
tenu des procédures existantes.
Dans le Code foncier, le Code l’urbanisme et d’autres il existe des
règles générales, qui donnent lieu à des dispositions gouvernementales ou
ministérielles concrètes sur le suivi de leur application dans les domaines du
foncier, de l’eau, du budget, du travail et d’autres. Des chercheurs étudient
les corrélations entre l’évolution du secteur et l’application de la loi.
On peut alors tirer les conclusions suivantes. Tout d’abord, et sans
aucun doute, les procédures administratives appellent la formation d’un droit
administratif processuel complet, y compris les recours juridictionnels.
Deuxièmement, les procédures administratives ont besoin de modes
différents d’encadrement juridique par la loi et les règlements.
Troisièmement, l’application des procédures administratives doit être la
règle, aussi bien pour les citoyens que pour les dirigeants et les
fonctionnaires. La science du droit administratif doit y contribuer.
7
Cf. Правовой мониторинг. Научно-практическое пособие [Le monitoring juridique],
Moscou, 2009.
IV
PROBLÈMES ET INSTRUMENTS
DES RELATIONS ENTRE ADMINISTRATIONS
PUBLIQUES ET PERSONNES PRIVÉES
PROCÉDURES ET GARANTIES DE LA PARTICIPATION
DES PERSONNES PHYSIQUES ET MORALES DANS
LEURS RELATIONS AVEC LES ORGANES
D’ADMINISTRATION PUBLIQUE
Ludmila K. TERECHTCHENKO
1. Procédures et garanties assurant la participation des personnes
physiques et morales dans leurs relations avec les autorités administratives.
Les rapports du droit dans le cadre desquels des personnes physiques et
morales entrent en relation avec les organes d’État du pouvoir exécutif et les
organes des collectivités locales (ci-après désignées les autorités
administratives), naissent tant à l’initiative des personnes physiques et morales
elles-mêmes, qu’à celle des autorités administratives. Dans le premier cas,
cela peut être lié à la nécessité d’obtenir des informations, documents,
autorisations, à l’exécution de certaines actions auxquelles la loi attache des
conséquences juridiques, notamment, la naissance de droits et obligations.
Dans le deuxième cas, où les relations naissent à l’initiative des autorités
administratives, elles sont le plus souvent liées à la réalisation des fonctions de
contrôle et d’inspection (nadzor) desdites autorités.
Les procédures et garanties assurant la participation des personnes
physiques et morales dans leurs relations avec les autorités administratives,
sont globalement semblables dans les deux cas, pourtant, dans le premier cas
les conditions préliminaires, les prémisses, qui permettent aux personnes
physiques et morales, aux autorités administratives d’entrer en relation sont
importantes. Il s’agit de l’accès aux informations permettant de définir
quelle autorité est chargée d’exécuter telle ou telle fonction, tel ou tel
service public ou municipal, ce qui est nécessaire pour l’obtention de ce
service, quels documents sont à produire etc.
Aujourd’hui, en Fédération de Russie, la réforme administrative est
toujours en cours. Son principal objectif, outre la formation d’un système
248
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
administratif efficace en Russie, est la création d’un système entièrement
nouveau de relations entre l’État, sous la forme des autorités administratives
et de leurs fonctionnaires, d’une part, et le citoyen, la société civile, les
entreprises, d’autre part. Dans le Concept de la réforme administrative en
Fédération de Russie 2006 - 2008, approuvé par l’Ordonnance du
Gouvernement de la Fédération de Russie n° 1789-р du 25 octobre 2005,
figurent au nombre des tâches principales de la réforme administrative :
- l’élaboration et la mise en application des standards de services
publics fournis par les autorités administratives aux habitants du pays ;
- l’amélioration de la qualité et de l’accessibilité des services publics ;
- l’augmentation de l’efficacité de la coopération entre les autorités
administratives et la société civile ;
- l’augmentation de la transparence des activités des autorités
administratives.
Les notions de « services d’État », de « services communaux », de
« services publics » sont apparues dans le droit russe de manière
relativement récente, seulement avec la mise en œuvre de la réforme
administrative et elles ont été initialement formulées par la science
économique. Naturellement cette nouvelle expression appelait une réflexion
théorique et devait trouver sa place dans la législation en vigueur. La science
juridique russe opérait traditionnellement avec les notions de « fonction »,
de « compétence », de « pouvoir » (polnomotchie). Il en va de même avec le
sens des notions de services publics, de services de l’État, de services
municipaux qui existaient auparavant. Effectivement, dans toute société se
forment et existent des besoins et intérêts publics importants pour la société
et dont la satisfaction par des structures étatiques et non étatiques. À partir
de cette position, le service public est l’activité visant à satisfaire les intérêts,
les besoins publics. La fourniture directe par l’État de ces services se
rattache à ses fonctions publiques et découle de ces fonctions. En même
temps, dans des cas déterminés, ce sont des structures non étatiques qui
peuvent assurer la satisfaction des intérêts publics importants pour la
société. Ces services ne cessent pas pour autant d’être publics. Un service
peut être à la fois d’État et public. Cependant, il serait erroné de confondre
ces notions, dans la mesure où elles ont un contenu différent et les services
fournis se différencient par leurs caractéristiques. En même temps ce serait
une erreur de les opposer.
En ce qui concerne la définition des services publics, elle était jusqu’à
ces derniers temps absente de la législation ; la science juridique (à la
différence de la science économique) n’a pas non plus, jusqu’à ces derniers
temps, prêté attention aux services publics. La première définition des
services publics, dans la science juridique russe, a sans doute été donnée par
Youri Tikhomirov : « Les services publics signifient des activités
L. K. TERECHTCHENKO : RELATIONS DES USAGERS AVEC L’ADMINISTRATION 249
importantes du point de vue juridique et social pour les intérêts de la société,
de l’État et des citoyens »1. Comme on le voit, l’accent n’est pas mis,
justement, sur qui fournit les services publics mais sur ce qu’ils représentent
et à quels intérêts ils répondent.
Pour les services relevant de l’État, avant tout les services fédéraux, ils
doivent être assurés de manière universelle, ce qui suppose que leur
fourniture soit assurée sur tout le territoire2. Le service minimum ne peut
jamais dépendre de quelques circonstances extérieures que ce soit, de la
commodité ou de l’incommodité de sa fourniture. L’universalité inclut non
seulement la fourniture des services à toute personne définie par la loi sur
tout le territoire, mais aussi que les paramètres qui caractérisent le service
doivent être uniformes quel que soit de lieu de la prestation (qualité, délais,
prix d’accès). L’État doit garantir la fourniture des services publics ; il est
responsable de leur organisation ; ces services sont socialement importants
et ont dans leur essence la signification de services publics.
La législation sur les services offerts par l’État et les collectivités
locales, fournis par les organes du pouvoir exécutif, se trouve au stade de sa
formation (aussi bien au niveau fédéral qu’au niveau régional et municipal.
Le 27 juillet 2010 fut adoptée la loi fédérale n° 210 « Sur l’organisation des
services fournis par l’État et les collectivités locales » (ci-après loi fédérale
n° 210)3. Elle règle les rapports qui se rattachent aux services nationaux et
municipaux offerts respectivement par les organes fédéraux du pouvoir
exécutif, les organes des fonds non budgétaires de l’État, les organes du
pouvoir exécutif des sujets de la Fédération, ainsi que par les administrations
locales et d’autres organes des collectivités locales exerçant des pouvoirs
exécutifs et administratifs. Il est important de souligner que les dispositions
de la loi s’appliquent à d’autres organisations si elles participent à la
fourniture de services d’État ou municipaux.
La loi définit la notion, le système des services d’État et municipaux,
elle établit les conditions de procédure de leur prestation, de l’exécution des
fonctions de l’État et des collectivités locales, ainsi que les modalités des
1
p. 200.
Y. A. TIKHOMIROV, Теория комретенции [Théorie de la compétence], Moscou, 2001,
2
Pour plus de détail, v. Публичные услуги и право [Les services publics et le droit],
Moscou, 2007 ; L. K. TERECHTCHENKO, « Услуги: государственные, публичные,
социальные » [Les services : d’État, publics, sociaux], Журнал российского права [Revue de Droit
russe], 2004, n° 10 ; N. V. POUTILO, « Публичные услуги: между доктринальным пониманием
и практикой нормативного закрепления » [Les services publics : entre conception doctrinale et
formulation pratique dans les normes], Журнал российского права [Revue de Droit russe], 2007,
n° 6 ; V. S. POTAPENKO, « Образовательная деятельность и образовательные услуги:
соотношение понятий » [Activité d’enseignement et services d’enseignement : des notions
corrélées], Журнал российского права [Revue de Droit russe], 2009, n° 3.
3
RL FR 2010, n° 31, art. 4179.
250
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
relations des organes exécutant ces fonctions avec les citoyens et les
organisations, et notamment sous la forme électronique.
Mais il est encore tôt pour parler de l’efficacité de la loi, d’autant plus
que tous ces articles ne sont pas encore en vigueur ; cependant, on suppose
que son adoption permettra de réduire les dépenses des citoyens et des
organisations pour surmonter les barrières administratives, d’élever la
qualité et l’efficacité de l’exécution des décisions prises, de faciliter l’accès
aux services d’État et municipaux, d’uniformiser la réglementation juridique
de l’action et des procédures relatives à l’exécution des fonctions de l’État
et des collectivités locales, le contrôle de l’exécution de ces fonctions.
La loi prévoit le recours à la forme traditionnelle ainsi qu’à la forme
électronique pour la prestation du service. L’application des technologies
modernes d’information permettent d’alléger et d’accélérer les relations
entre les citoyens et les organes du pouvoir exécutif, d’éliminer la barrière
produite par le travail écrit ou l’éloignement géographique ou d’autres
facteurs (heures d’ouverture) intéressant l’activité des organes du pouvoir
exécutif, de faciliter l’accès au service demandé.
Un chapitre distinct de la loi est consacré à l’organisation de la fourniture
des services d’État et municipaux par des « centres polyvalents » (CPS). La
création des centres polyvalents de fourniture de services d’État et municipaux
(CPS) est devenue l’une des principales orientations de la réforme
administrative. Les travaux visant leur déploiement sont menés depuis 2007,
conformément aux décisions de la Commission gouvernementale pour la
réalisation de la réforme administrative. Les CPS sont les organismes habilités
à recevoir et délivrer des documents en rapport avec la prestation de services
publics selon le principe du « guichet unique », c’est-à-dire sur la base d’une
demande unique à la suite de laquelle le service demandé est fourni par la
coopération entre les organes concernés sans autre participation du
demandeur.
Pour l’organisation des relations entre le centre polyvalent et les
organes fédéraux du pouvoir exécutif, les organes des fonds non budgétaires
de l’État, les organes du pouvoir exécutif des sujets de la Fédération, les
organes des collectivités locales, des accords de coopération sont passés
entre eux.
Les centres polyvalents sont institués sous la forme d’établissements
publics de l’État et des collectivités locales. Leurs fonctions comprennent la
coopération avec les différentes autorités administratives et les organisations
intervenant dans la fourniture de services d’État ou municipaux,
l’information des citoyens et des organisations, la réception et la délivrance
des documents liés à la prestation des services indiqués, l’élaboration des
données personnelles nécessaires à la délivrance du service. Les centres
polyvalents sont tenus d’assurer la fourniture de l’ensemble des services
L. K. TERECHTCHENKO : RELATIONS DES USAGERS AVEC L’ADMINISTRATION 251
publics par les organes fédéraux du pouvoir exécutif, par les organes du
pouvoir exécutif des sujets de la Fédération, par les organes des collectivités
locales sous le régime du « guichet unique ». Ces relations entre les
différentes autorités impliquées dans la prestation du service public
(comprenant les approbations nécessaires, obtention des extraits, des
attestations etc.) doivent se dérouler sans la participation du demandeur.
La loi fédérale n° 210 est étroitement liée à la mise en œuvre du
programme fédéral « Russie électronique » et orientée vers l’organisation de
la fourniture de l’ensemble des services de l’État et des services municipaux
en utilisant les moyens électroniques, à l’aide du portail unique des services
d’État et municipaux CPS, d’une carte électronique universelle (pour les
personnes physiques) et d’autres moyens.
Depuis le 1er juillet 2011, il est interdit aux structures de l’État et des
collectivités locales d’exiger du demandeur la production de documents et
d’informations qui se trouvent en la possession d’autres organes des services
d’État, municipaux ou autres, ainsi que d’exiger des actes, parmi lesquels un
accord, pour la fourniture du service, si cela n’est pas prévu par les
dispositions législatives et réglementaires régissant celui-ci.
La décision du Gouvernement de la Fédération de Russie du 17 octobre
2009, n° 1555, a approuvé le Plan de passage à la fourniture des services de
l’État et à l’exécution des fonctions de l’État sous la forme électronique par
les organes fédéraux du pouvoir exécutif. Ce plan prévoit le passage
progressif à la transmission de tous les documents et demandes par voie
électronique, au moyen d’un portail unique, en commençant, pour obtenir
des résultats et assurer un suivi, par des services d’État ayant une
importance primordiale et de masse pour la société, parmi lesquels en
particulier :
- L’enregistrement des personnes morales ;
- Les déclarations fiscales ;
- L’enregistrement des employeurs dans le Fonds de Pensions de la
Fédération de Russie ;
- L’enregistrement des droits sur les biens immobiliers et de leur
transmission ;
- La réception des examens de classification et la délivrance des
certificats.
Les demandeurs ont le choix entre obtenir le service sous la forme
traditionnelle, par le CPS, ou sous la forme électronique. Ainsi, par exemple,
la ville de Saint-Pétersbourg a créé un portail d’information « Les services
d’État à Saint-Pétersbourg, qui contient un catalogue des services offerts (en
distinguant entre les personnes physiques et les personnes morales et
propose le choix entre différentes façon d’obtenir le service et offre la
252
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
possibilité de suivre le traitement de sa demande. L’accueil électronique qui
fonctionne sur le portail permet de déposer les demandes et d’obtenir les
services demandés. La demande électronique peut être déposée depuis son
domicile ou depuis un autre ordinateur connecté à l’Internet, ou depuis un
ordinateur mis à disposition dans n’importe quel CPS.
L’expérience de réalisation des projets d’institution des CPS a mis en
évidence des problèmes du caractère juridique lors de l’élaboration et de
l’approbation des règlements administratifs relatifs aux services fournis par
les CPS, et concernant les statuts et aux documents nécessaire à l’activité
des CPS. Afin d’assurer le succès des projets de création de nouveaux CPS
et du développement des CPS déjà existants, il est nécessaire de préciser le
cadre juridique et méthodologique du fonctionnement des CPS.
2. Règlements administratifs. Depuis 2004, on poursuit l’élaboration et
l’adoption des règlements administratifs des certaines autorités
administratives, les règlements relatifs à leurs relations mutuelles, les
règlements de service définissant les règles de la procédure administrative
interne pour l’exécution des fonctions publiques et de fourniture des services
publics (au niveau fédéral, des sujets de la Fédération et au niveau
municipal). Le règlement administratif est un document nouveau dans la
pratique russe. C’est un acte réglementaire fixant la procédure d’exécution
d’actions et de prise de décision par l’organe du pouvoir exécutif, soit à
l’occasion d’un recours direct d’un citoyen ou d’une société visant à obtenir
la satisfaction de ses droits et intérêts légitimes, soit en raison de l’exécution
des attributions qu’il tient de la législation. C’est la loi qui a fixé le cadre
juridique des règlements administratifs et des services d’État et municipaux,
ce qui se justifie par le fait qu’ils régissent des rapports sociaux déterminés.
Le règlement administratif contient les informations nécessaires et
suffisantes pour l’obtention d’un service public par un citoyen ou une
société, que pour l’exécution de la fonction publique ou du service public.
L’application de règlements administratifs permet : d’assurer la
réglementation précise de la procédure administrative ; de réduire les délais
de délivrance du service aux citoyens et sociétés ; de diminuer le nombre
des documents que doit produire le demandeur ; de réduire le nombre des
accords à obtenir en interne ; d’établir la liste exhaustive et précise des
motifs de refus de fournir le service ; d’utiliser largement les nouvelles
technologies de l’information et de communication ; de créer les mécanisme
du recours précontentieux contre les décisions, l’action ou l’inaction des
autorités administratives intervenant dans la prestation du service public ;
d’augmenter la responsabilité personnelle des fonctionnaires pour le respect
des procédures administratives.
L. K. TERECHTCHENKO : RELATIONS DES USAGERS AVEC L’ADMINISTRATION 253
La procédure administrative constitue une composante de tout
règlement administratif et représente du point de vue juridique l’action de
l’autorité administrative jusqu’à son terme. Elle en détermine précisément le
début (le fait juridique), les stades, les délais d’exécution, les exécutants
spécialement chargés du dossier (les fonctionnaires), ainsi que la possibilité
de modifier les décisions prises ; celles-ci pouvant devenir le début d’une
autre procédure administrative. Les procédures administratives forment une
structure ramifiée dont la variété reflète le caractère de telle ou telle fonction
publique ou de tel ou tel service public.
La loi fédérale n° 210 prévoit que le projet de règlement administratif
est élaboré par l’organe en charge du service offert. Cependant, pour éviter
que celui-ci prépare un projet répondant à sa propre « commodité », la loi
prévoit une série de mesures, parmi lesquelles la publication du projet sur le
site officiel de l’organe, la réalisation d’une expertise indépendante et d’une
expertise par un organe d’État ou municipal chargé de cette mission.
L’expertise indépendante donne une évaluation des possibles effets
positifs et négatifs du projet pour les citoyens et les personnes morales. On
doit souligner qu’à la série d’expertises commandées s’ajoute l’expertise
anti-corruption. L’introduction des expertises élargit significativement les
possibilités de participation des citoyens et de l’opinion publique à la
préparation, à l’adoption et à l’application des normes juridiques, à
l’évaluation des décisions prises et de leurs effets par les organes du pouvoir
exécutif et leurs fonctionnaires.
Les règlements administratifs, fixant des délais précis pour exécuter
telle ou telle action à réaliser par un fonctionnaire, permettent de réduire
l’acuité du problème actuel de la pratique russe de la longue attente des
décisions des organes de l’État ou des collectivités locales.
La législation russe sur l’administration ne connaît pas l’institution, qui
existe dans une série d’autres pays, de la décision implicite ; c’est pourquoi
le flou s’instaure souvent dans les rapports juridiques : la personne qui
adresse une demande à un organe de l’État ou d’une collectivité locale est
loin de toujours recevoir une réponse rapide, ce qui rend plus difficile la
protection de ses droits. On peut imaginer qu’il serait très utile pour la
pratique russe en matière d’application du droit d’introduire dans la
législation l’institution de la décision implicite.
3. L’amélioration de la transparence des activités du pouvoir exécutif
fait partie intégrante de la réforme administrative, représente une garantie
des droits des personnes physiques et morales dans leurs relations avec les
organes du pouvoir exécutif.
La question de l’accès aux informations a connu récemment des
changements substantiels : ont été adoptées la Loi fédérale n° 262 « Sur la
254
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
garantie d’accès aux informations concernant les activités judiciaires en
Fédération de Russie » (du 22 décembre 2008) et la Loi fédérale n° 8 « Sur
la garantie d’accès aux informations concernant les activités des organes de
l’État et des collectivités locales » (du 9 février 2009).
Désormais, les obligations de l’administration publique en ce qui
concerne la communication d’informations est fixée par la Loi, et tout
organe du pouvoir d’État ou d’une collectivité locale est tenu de s’y
conformer.
Les dispositions qui suivent peuvent être considérées comme les
garanties du droit d’accès aux informations établies par la Loi (d’après la loi
n° 8 précité) :
- possibilité d’exercer un recours contre ses actions illicites : les
décisions et l’action (l’inaction) des organes de l’État ou des collectivités
locales, de leurs fonctionnaires, qui portent atteinte au droit d’accès aux
informations concernant leurs activités peuvent faire objet d’un recours à
l’organe ou au fonctionnaire hiérarchiquement supérieur ou auprès du
fonctionnaire supérieure, ou en justice ;
- si à la suite du refus illégal d’accès aux informations concernant les
activités des organes de l’État ou des collectivités locales, soit du retard dans
la communication de ces informations, soit de la communication
d’informations notoirement inexactes ou ne correspondant pas au contenu de
la demande, le demandeur a subi un dommage, celui-ci devra être indemnisé
conformément à la législation civile de la Fédération de Russie.
- instauration du contrôle et de la surveillance du respect du droit
d’accès aux informations concernant les activités des organes de l’État et
des collectivités locale : le contrôle est confié aux responsables des organes
de l’État et des collectivités et des locales, tandis que la surveillance est
exercée par les organes du ministère public (prokuratura) de la Fédération
de Russie ;
- instauration de la responsabilité pour la violation du droit d’accès aux
informations concernant les activités des organes de l’État et des
collectivités locales. Les fonctionnaires de ces organes assument la
responsabilité disciplinaire, administrative, civile et pénale de ces violations
conformément à la législation de la Fédération de Russie.
Jusqu’à l’adoption des nouvelles lois, les organes du pouvoir exécutif
réglaient les questions d’accès aux informations. Un arrêté du Gouvernement
n° 452 du 28 juillet 2005 avait approuvé le Règlement type d’organisation
interne des organes fédéraux du pouvoir exécutif. Le chapitre XIII de ce
Règlement type fixait les modalités du droit d’accès aux informations
concernant les activités de ces organes. Pour l’application de la loi fédérale du
9 février 2009, le Gouvernement de la Fédération de Russie a adopté un
nouvel arrêté, du 24 novembre 2009, n° 953 « Sur l’accès aux informations
L. K. TERECHTCHENKO : RELATIONS DES USAGERS AVEC L’ADMINISTRATION 255
relatives à l’activité du Gouvernement de la Fédération de Russie et aux
organes fédéraux du pouvoir exécutif ».
Les technologies modernes d’information et de communication,
l’Internet constituent les moyens efficaces pour élever le degré d’ouverture
des autorités. À ces fins, les informations sur les décisions des organes du
pouvoir exécutif sont publiées sur son site Internet et sont librement
accessibles. En règle générale, au niveau fédéral, au niveau des sujets de la
Fédération de Russie les organes d’État arrêtent la liste des informations
publiées sur l’Internet ; il en va de même pour les collectivités locales qui
créent leur propre site.
Des garanties d’accès aux informations par les personnes physiques et
morales lors de leurs relations avec les autorités administratives sont
également prévues par les dispositions de la Loi fédérale du 27 juillet 2006,
n° 149 « Sur l’information, les technologies de l’information et la protection
des informations », selon laquelle tout citoyen (personne physique) bénéficie
du droit d’obtenir de la part des autorités administratives les informations
touchant directement à ses droits et libertés. Les personnes morales
bénéficient également du droit d’obtenir de la part des autorités
administratives les informations touchant directement aux droits et
obligations de la société concernée, ainsi que les informations nécessaires à
l’exercice de leur activité statutaire.
En outre, il est interdit de limiter l’accès aux :
1) actes normatifs touchant aux droits, libertés et obligations de
l’homme et du citoyen ou fixant le régime juridique d’organisations ou les
attributions des autorités administratives ;
2) informations sur l’état de l’environnement ;
3) informations sur les activités des autorités administratives, ainsi que
sur l’utilisation des fonds budgétaires (à l’exception des renseignements
constituant des secrets d’État ou de service) ;
4) informations accumulées dans les fonds ouverts des bibliothèques,
musées et archives, ainsi que dans les systèmes d’information publics,
municipaux et autres créés ou destinés à fournir de telles informations aux
citoyens (personnes physiques) et aux personnes morales ;
5) autres informations dont la communication ne peut être limitée, en
application de lois fédérales.
La garantie de la communication des informations demandées est
fondée sur la disposition selon laquelle la personne souhaitant avoir accès
aux telles informations n’est pas tenue de justifier la nécessité de leur
obtention.
La communication des informations intéressant les droits et obligations
de la personne concernée sont fournies à titre gratuit.
256
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
4. Procédures et garanties lors de l’exercice du contrôle public.
Comme l’a indiqué la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie dans
son arrêt du 1er décembre 1997 n° 18-P, la fonction de contrôle est inhérente
à toutes les autorités administratives dans les limites de la compétence qui
leur est attribuée, ce qui sous-entend leur autonomie à l’occasion de
l’exercice de cette fonction et des formes d’exercice spécifiques pour
chacune d’elles.
En même temps, le pouvoir d’appréciation dans la définition des types
concrets de contrôle de l’État (de la surveillance), de ses fondements, des
formes, méthodes, procédures et délais de son exercice est limité par les
principes constitutionnels généraux d’organisation du système des autorités
administratives, par les lois fédérales.
Jusque récemment, le texte législatif de base en ce domaine était la Loi
fédérale du 8 août 2001 n° 134 « De la protection de droits de personnes
morales et des entrepreneurs individuels lors des contrôles (de la
surveillance) exercés par l’État », qui vise la protection de droits des
personnes morales et des entrepreneurs individuels lors de ces contrôles.
Son adoption a eu une influence positive sur la pratique du point de vue du
respect du droit ; cependant, avec le temps est apparue la nécessité de
renforcer la protection des droits des personnes morales et des entrepreneurs
individuels, ce qui a conduit à l’adoption de la loi fédérale du 26 décembre
2008, n° 294 « Sur la protection des droits des personnes morales et des
entrepreneurs individuels au cours des contrôles (surveillance) de l’État et
des collectivités locales » (ci-après : loi fédérale n° 294), qui est entrée en
vigueur le 1er juillet 2009 et remplace la loi précédente.
Les principaux changements sont les suivants : le champ d’application
de la Loi englobe non seulement le contrôle de l’État, c’est-à-dire, le
contrôle exercé par les organes fédéraux du pouvoir exécutif et les organes
du pouvoir exécutif des sujets de la Fédération de Russie, mais aussi le
contrôle exercé par les collectivités locales. En outre, des garanties
supplémentaires de protection de droits pendant les contrôles sont
introduites, et le commencement de l’activité de certaines catégories
d’entreprises est désormais soumis à un régime déclaratif.
La Loi établit les modalités d’organisation et du déroulement des
contrôles, les droits et les obligations des autorités de contrôle et des
entreprises. Le programme des contrôles courants est fixé chaque année par
les autorités de contrôle ; il doit être publié sur Internet ou porté à la
connaissance des entreprises par tout autre moyen disponible.
Il est prévu aussi qu’à partir du 1er janvier 2010, tous les programmes
de contrôle sont adressés au Ministère public (Prokuratura) pour
l’établissement du programme global des contrôles qui est publié sur le site
du Ministère public. Les contrôles courants ne peuvent pas être opérés plus
L. K. TERECHTCHENKO : RELATIONS DES USAGERS AVEC L’ADMINISTRATION 257
d’une seule fois tous les trois ans. Des exceptions sont prévues pour les
entreprises exerçant leurs activités dans les domaines de la santé publique,
de l’enseignement, dans le domaine social. Il est autorisé à les contrôler plus
de deux fois en trois ans ; de plus, le nombre de visites n’est pas limité.
Pour la première fois, la loi introduit le régime déclaratif pour
commencer l’exploitation de certaines catégories d’entreprises (art. 8). Le
chef d’entreprise doit notifier le début d’exploitation à l’autorité de contrôle
compétente mandatée par le Gouvernement. L’article 8 comprend la liste
générale de ces catégories d’activités, mais il appartient au Gouvernement
d’établir, dans ce cadre, la liste concrète de travaux et services, dont
l’exercice doit être notifié.
Le contrôle extraordinaire peut résulter de l’expiration du délai fixé
dans une prescription sur l’élimination de la violation constatée
précédemment, ainsi que de recours et plaintes de citoyens, personnes
morales, entrepreneurs individuels, d’informations provenant d’autres
autorités administratives de l’État ou des collectivités locales, des mass
média et concernant les faits suivants :
a) la survenance d’une menace pouvant causer un dommage à la vie et à
la santé des citoyens, un préjudice aux animaux, aux plantes, à
l’environnement, à la sécurité d’État, ainsi qu’une situation de catastrophe
naturelle ou technologique ;
b) la réalisation du dommage à la vie et à la santé de citoyens, du
préjudice infligé aux animaux, aux plantes, à l’environnement, à la sécurité
d’État, ainsi qu’en cas de situation de catastrophe naturelle ou
technologique ;
c) violation de droits de consommateurs.
Soulignons que la loi établit une présomption de bonne foi de la
personne contrôlée. Par rapport au caractère administratif et juridique de
relations entre l’autorité de contrôle et la personne contrôlée, cela signifie
que la constatation de la violation d’obligations ne suffit pas encore, en tant
que tel, pour mettre en cause la responsabilité de la personne contrôlée. Il est
nécessaire de prouver que la violation a été causée par sa faute. La charge de
la preuve incombe à l’autorité de contrôle.
De cette manière, la présomption de bonne foi est l’une des garanties
importantes du respect des droits des personnes contrôlées.
Une autre garantie importante est prévue par la Loi. Des obligations ne
peuvent être imposées que par la loi fédérale et les actes réglementaires pris
pour son application. Il en découle une conséquence importante : les
règlements qui établissent des obligations qui ne sont pas conformes à la loi
fédérale sont nuls (totalement ou en partie). De cette manière, le pouvoir
d’appréciation et le risque d’arbitraire des fonctionnaires se trouvent
fortement réduits.
258
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Rappelons les autres garanties dont bénéficient les personnes contrôlées
lors des opérations de contrôle : possibilité de faire un recours contre
l’action (l’inaction) de fonctionnaires des autorités du contrôle (de la
surveillance) de l’État ou de la collectivité locale qui outrepassent leurs
pouvoirs ; élimination par les autorités de contrôle de la totalité des
violations des règles du contrôle commises au cours du contrôle, reconnues
par le tribunal sur recours de la personne contrôlée ; engagement de la
responsabilité des autorités du contrôle (de la surveillance) de l’État ou de la
collectivité locale et de leurs fonctionnaires pour la violation de la loi dans
les opérations de contrôle (de surveillance).
Il est également pertinent de classer parmi les garanties des droits des
personnes morales à l’occasion des opérations de contrôle la réglementation
assez détaillée de ces opérations. Ainsi, les opérations de contrôle ne
peuvent être exercées qu’en vertu des décisions (des ordres) des autorités
compétentes. Par ailleurs, la mesure de contrôle ne peut être exercée que par
le fonctionnaire désigné dans la décision (l’ordre) relatif à l’opération de
contrôle. La fixation de la durée maximale des opérations de contrôle et de
la fréquence des contrôles vise également à protéger les droits des personnes
morales lors des opérations de contrôle et leurs relations avec les organes du
pouvoir exécutif.
La loi n° 294 a établi des limites aux opérations de contrôle. Ces limites
portent sur la réglementation des opérations de contrôle et visent au fond à
la protection des droits de personnes morales. La loi réglemente strictement
la forme sous laquelle sont présentés les résultats des opérations de contrôle,
le contenu de l’acte de vérification, la liste des documents annexés
(échantillons et tests de produits, les enquêtes sur place en matière
environnementale, les procès-verbaux (les rapports) d’études (essais) et
expertises effectuées, les explications des fonctionnaires ayant effectué le
contrôle, les employés tenus pour responsables des violations des
obligations, et autres documents ou leurs copies, liés aux résultats du
contrôle).
Un exemplaire de ce rapport avec les copies des annexes doit
obligatoirement être remis contre reçu au dirigeant de la personne morale ou
à son suppléant, ou à l’entrepreneur individuel ou à leurs représentants, ou
envoyé par une lettre recommandée avec accusé de réception, l’avis de
réception étant annexé à l’exemplaire d’acte conservé dans le dossier de
l’autorité de contrôle (de surveillance).
Lors des opérations de contrôle, les fonctionnaires qui en sont chargés
sont tenus de :
- Ne pas faire obstacle à la présence des représentants de la personne
morale ou de l’entrepreneur individuel pendant les opérations de contrôle,
donner des explications sur les questions ayant trait à l’objet du contrôle ;
L. K. TERECHTCHENKO : RELATIONS DES USAGERS AVEC L’ADMINISTRATION 259
- Communiquer aux responsables de la personne morale ou aux
entrepreneurs individuels ou à leurs représentants, présents pendant les
opérations de contrôle, les informations nécessaires relatives à l’objet du
contrôle ;
- Porter à la connaissance des responsables de la personne morale ou
des entrepreneurs individuels ou à la connaissance de leurs représentants les
résultats des opérations de contrôle ;
- Ne pas autoriser des limitations injustifiées aux droits et intérêts
légitimes des citoyens, des personnes morales et des entrepreneurs
individuels ;
- Prouver la légalité de leurs actes en cas de recours de la personne
contrôlée.
La responsabilité des autorités du contrôle (de la surveillance) et de
leurs fonctionnaires est engagée en cas d’action (ou d’inaction) illégale
pendant les opérations de contrôle. À cette occasion, il faut reconnaître
l’importance de la norme imposant aux autorités du contrôle (de
surveillance) l’obligation de porter, dans le délai d’un mois, à la
connaissance de la personne morale et/ou de l’entrepreneur individuel dont
les droits et les intérêts légitimes ont été violés, les mesures prises à l’égard
des auteurs de ces violations.
Plusieurs dispositions de la loi assurent aux personnes morales et
entrepreneurs individuels la possibilité d’intervenir activement dans les
opérations de contrôle. La loi prévoit en outre la compensation des pertes
subies par la personne contrôlée du fait des opérations de contrôle.
5. Compensation des pertes subies du fait des opérations de contrôle.
L’article 53 de la Constitution de la Fédération de Russie dispose que
toute personne bénéficie du droit à l’indemnisation de la part d’État du
dommage causé par l’action (l’inaction) illégale des autorités administratives
ou par leurs fonctionnaires. L’article 16 du Code civil de la Fédération de
Russie concrétise cette disposition constitutionnelle et dispose que les pertes
ainsi causées au citoyen ou à la personne morale donnent lieu à indemnisation
par la Fédération de Russie, par le sujet de la Fédération de Russie ou par la
collectivité locale.
Le recours est formé par la personne dont les droits ont été violés. Le
recours est adressé soit au tribunal du droit commun, soit au tribunal
d’arbitrage, conformément aux règles de compétence établies par le Code de
procédure civile et le Code de procédure d’arbitrage.
L’article 1071 du Code civil de la Fédération de Russie définit les
autorités et les personnes qui font l’objet d’actions en dommages et intérêts
et qui représentent l’État (respectivement la Fédération ou le sujet de la
Fédération) ou la collectivité locales pour l’indemnisation du dommage.
260
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Selon cette disposition, dans le cas où le dommage doit être indemnisé aux
frais du Trésor public, les autorités financières correspondantes plaident en
défense au nom du Trésor.
En même temps, si un citoyen ou une personne morale fait un recours
direct contre l’organe de l’État ou de la collectivité locale sous l’autorité
duquel la violation a été commise, cela ne constitue pas un motif
d’irrecevabilité. Dans ce cas, le tribunal traduit en justice en qualité de
défendeur l’autorité financière ou une autre autorité habilitée. C’est la
position adoptée par les tribunaux.
Si le recours obtient satisfaction, l’indemnité est imputée sur le budget
correspondant, et à défaut de ressources – sur d’autres biens de l’autorité en
cause ou de l’organe de l’État ou de la collectivité locale dont elle relève.
Constituent un motif d’indemnisation les pertes résultant de : а) des
actons ou de l’inaction illégale des autorités ou des fonctionnaires de ces
autorités ; b) l’édition d’un acte non conforme à la loi ou à un autre acte
juridique. Sont reconnues illégales les actions faites en violation de la
législation de la Fédération de Russie. Il peut s’agir d’injonctions, de
prescriptions, ou d’ingérences dans les activités économiques de
l’entreprise. L’inaction est entendue comme l’inexécution par une autorité
(par ses fonctionnaires) des obligations qui lui incombent en vertu de
dispositions législatives ou réglementaires. L’inaction est également le
manquement aux actions prescrites par la législation (par exemple, le
manquement à l’enregistrement d’une personne morale, cf. art. 51 C. civ.).
L’autorité répond de l’infraction commise par l’indemnisation totale du
dommage subi. Selon l’article 15 du Code civil, on entend par les dommages
les dépenses que la personne dont les droits ont été violés a effectuées ou
doit effectuer pour être rétablie dans ses droits – la compensation des pertes
ou dommages causés à ses biens (dommages matériels). Sont également
considérés comme dommages les revenus non perçus que la personne
concernée aurait dû percevoir dans les conditions habituelles, si son droit
n’avait pas été violé (manque à gagner).
Pour l’indemnisation des dommages, doivent être réunies les conditions
suivantes :
- L’illégalité de l’action (de l’inaction) de l’autorité administrative, de
ses fonctionnaires ;
- L’existence réelle d’un dommage ;
- Une relation de causalité entre l’action (l’inaction) illégale et le
dommage ;
- La faute de l’autorité, de ses fonctionnaires.
La preuve du dommage et de la relation de causalité incombe à la
victime. L’autorité administrative est exonérée de sa responsabilité si elle
démontre qu’elle n’a commis aucune faute.
L. K. TERECHTCHENKO : RELATIONS DES USAGERS AVEC L’ADMINISTRATION 261
6. Procédures et garanties à l’occasion de la délivrance des
autorisations et licences pour l’exercice de certaines activités.
La Constitution de la Fédération de Russie garantit la liberté des
activités économiques (art. 8, part. 1). N’étant pas absolue, la liberté des
activités d’entreprise et d’autres activités économiques non interdites peut
être limitée par la loi, mais seulement dans la mesure où cela est nécessaire à
la protection des bases du régime constitutionnel, de la moralité, à la
protection de la santé, des droits et intérêts légitimes d’autres personnes, à la
défense du pays et à la sécurité de l’État.
Selon l’article 49.1 du Code civil de la Fédération de Russie, certaines
catégories d’activités dont la liste est définie par la loi ne peuvent être
exercés par une personne morale (ou par l’entrepreneur individuel) qu’en
vertu d’une autorisation spécifique dénommée « licence ». Par conséquent,
une licence n’est nécessaire que pour l’exercice des catégories d’activités
directement énumérées dans la loi. Cette loi est la loi fédérale du 8 août
2001, n° 128 « Sur la délivrance de licences pour certains types
d’activités ».
Font partie de ces catégories les activités dont l’exercice cause un
préjudice aux droits et à la santé de personnes, à la défense et à la sécurité de
l’État, au patrimoine culturel des peuples de la Fédération de Russie et celle
dont la réglementation ne peut s’exercer par d’autres méthodes que la
délivrance de licences.
L’un des objectifs de la réforme administrative en cours est la réduction
des catégories d’activités sous licence. En 1998, la liste comprenait 214
catégories d’activités dont l’exercice nécessitait l’obtention d’une licence (il
s’agit du nombre exact des catégories d’activités initialement visées par
l’article 17 de la loi fédérale du 25 septembre 1998, n° 158). À la date de
l’adoption de la nouvelle Loi sous la même dénomination (loi du 8 août
2001), la liste s’est réduite jusqu’aux 120 catégories et elle continue à
diminuer (la liste indiquée dans ne comprend plus que 84 catégories
d’activités dont l’exercice est subordonné à l’obtention de licences). Il est à
noter que le champ d’application de la Loi ne concerne pas certains types
d’activités (par exemple, les activités des établissements de crédit, les
activités dans le domaine des communications, les activités douanières, les
activités des notaires) régies par des lois spéciales ; par conséquent, la liste
des activités dont l’exercice est conditionnée par une licence est en réalité
plus longue que celle figurant dans la Loi. Mais l’obligation d’obtenir une
licence doit être obligatoirement prévue par la loi.
La délivrance de licences est un domaine qui donne lieu à de fréquents
abus de la part des organes du pouvoir exécutif. Les procédures et les
garanties prévues, en premier lieu, par la Loi fédérale « Sur la délivrance de
licences pour certains types d’activités » sont donc particulièrement
262
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
importantes. Peut être considérée comme une garantie la norme interdisant
aux autorités délivrant les licences de réclamer au demandeur de la licence
la présentation des documents qui ne sont pas prévus par la Loi fédérale. La
demande de licence et les documents annexés sont enregistrés le jour de leur
réception par l’autorité délivrant les licences, et une copie de cet
enregistrement portant mention de la date de réception de la demande et des
documents joints est adressée au demandeur de la licence.
Les intérêts du demandeur sont également protégés par la fixation des
délais pour la décision de l’autorité administrative qui délivre la licence ou
rejette la demande, par l’obligation pour cette autorité de notifier la décision
prise au demandeur, dans le délai prescrit, et par l’obligation de motiver le
refus éventuel.
Les motifs du refus de délivrer la licence sont établis par la Loi précitée
de manière exhaustive :
- Les informations contenues dans les documents accompagnant la
demande sont fausses ou ont été falsifiées ;
- Le demandeur de la licence ou les installations lui appartenant ou
utilisées par lui ne satisfont pas aux conditions légales.
7. Les recours contre l’action (l’inaction) et les décisions des autorités
administratives et de leurs fonctionnaires. L’une des principales garanties
du respect de droits et de libertés est constituée par la possibilité de formuler
un recours contre l’action (l’inaction) et les décisions des autorités
administratives et de leurs fonctionnaires. La protection des droits de
personnes physiques et morales est exercée par la voie administrative
(recours à l’autorité hiérarchique supérieure (au responsable hiérarchique
supérieur) et/ou en justice. En même temps, la question de savoir où et avec
quelle demande peut s’adresser la personne à laquelle le service rendu
n’était pas de la qualité prévue, ou ne correspondait pas aux standards
approuvés ne trouve pas, pour l’instant, de réponse précise et non ambiguë.
Outre le recours à la justice ou à une autorité hiérarchique supérieure par
rapport à l’autorité (au fonctionnaire) auteur de l’acte (de l’action ou de
l’inaction) contesté, il est possible de saisir le Ministère public ou le
Défenseur pour les Droits de l’homme en Fédération de Russie.
Selon l’article 30.1 du Code des infractions administratives de la
Fédération de Russie, l’arrêté pris sur une infraction administrative peut
faire objet d’un recours adressé, selon son auteur : à l’instance judiciaire
supérieure (si les poursuites ont été engagées devant un tribunal), au tribunal
d’arrondissement (raion) ou au tribunal d’arbitrage du siège de l’organe
collégial (si l’arrêté est prononcé par une autorité collégiale), à l’autorité
hiérarchique supérieure, au responsable hiérarchique supérieur, ou au
L. K. TERECHTCHENKO : RELATIONS DES USAGERS AVEC L’ADMINISTRATION 263
tribunal d’arrondissement ou au tribunal d’arbitrage (si les poursuites ont été
engagées par un fonctionnaire).
De cette manière la législation en vigueur prévoit deux procédures de
réexamen des arrêtés concernant les infractions administratives :
extrajudiciaire et judiciaire. À cette occasion, le droit de choisir les modalités
concrètes de recours contre l’arrêté sur l’infraction administrative est
d’habitude laissé à la personne dont la responsabilité administrative est mise
en cause.
Aujourd’hui, la législation russe en matière administrative ne prévoit
pas un régime général de recours administratif (extrajudiciaire) obligatoire
contre les arrêtés prononcés au terme de poursuites administratives.
Néanmoins, ce type de procédure n’est pas inconnu de la législation russe,
(v. not. l’article 104.1 du Code fiscal de la Fédération de Russie). Le
perfectionnement et le développement de la procédure administrative
constitue une garantie importante des droits de ceux qui n’exercent pas le
pouvoir.
Un grand nombre de textes législatifs réglementent en détail les
modalités du recours contre les actions (l’inaction) et les décisions des
autorités du pouvoir exécutif et de leurs fonctionnaires dans des domaines
précis. Notamment, le Code fiscal, le Code des Douanes contiennent des
parties spécifiques sur les recours.
Pourtant, il apparaît que pour les personnes physiques et morales il est
important d’avoir une bonne compréhension de la succession de leurs
démarches dans les relations concrète avec des autorités administratives
concrète. Cet objectif est atteint par l’introduction de dispositions
correspondantes dans les règlements administratifs. Outre la mention du
droit de saisir le tribunal, les règlements administratifs contiennent
également les informations pour les personnes s’adressant à l’autorité
administrative :
- Sur les personnes habilitées à examiner les plaintes de citoyens ;
- Sur les types de décisions prises en exécution du règlement
administratif qui peuvent faire l’objet d’un recours ;
- Sur l’ensemble des infractions disciplinaires pouvant faire objet
d’un recours ;
- Sur les procédures d’enquête interne ;
- Sur les procédures de décision sur plaintes des citoyens, incluant
leur examen avec intervention de l’auteur de la plainte ;
- Sur les critères pouvant servir à définition des formes d’inaction des
fonctionnaires.
Selon les données de la Cour supérieure d’Arbitrage de la Fédération de
Russie, après une diminution pendant quelques années, le nombre des
264
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
recours adressés aux tribunaux d’arbitrage pour les litiges économiques
résultant de rapports avec l’administration et d’autres rapports de droit
public est de nouveau en augmentation.
Ainsi, le nombre de ces recours a augmenté en 2008 de 5,6% par
rapport à 2007 : 468 833 recours en 2007 contre 495 025 en 2008. Le poids
spécifique de ces affaires dans le volume total des affaires jugées par les
tribunaux s’élève à 48,7%.
Parmi les affaires concernant la contestation de décisions des autorités
administratives portant sur l’engagement de poursuites administratives,
pratiquement un quart (10 551 ou 24,2%) correspond aux dossiers de
contestation des décisions des autorités fiscales. Dans 7,6% des cas, les
tribunaux d’arbitrage ont statué sur des affaires dans lesquelles étaient
contestées les décisions des autorités douanières sur l’engagement des
poursuites administratives à l’encontre de personnes morales et
d’entrepreneurs individuels. S’agissant des décisions des autorités exerçant
le contrôle dans le domaine de la protection de l’environnement, ont été
examinés 3 250 affaires, ou 7,5% du nombre total des affaires visant à
contester les décisions des autorités administratives sur l’engagement des
poursuites administratives. Dans 1 404 des cas ont été contestées les
décisions des autorités de la concurrence. En outre, ont été examinées 1 002
affaires sur la contestation des décisions des autorités responsables de
l’exécution des budgets.
L’analyse des données statistiques concernant les recours contre les
décisions des autorités administratives sur l’engagement des poursuites
administratives témoigne que la part des affaires dans lesquelles les
réclamations de demandeurs ont été satisfaites a représenté en 2008 en
moyenne 59,4% (contre 55,7% en 2007). Le taux de succès des recours,
aboutissant à l’abrogation de la décision de l’autorité poursuivante a été par
secteur et par ordre décroissant : les décisions des autorités chargées du
contrôle d’utilisation des sols (67,7%), des autorités exerçant le contrôle
dans le domaine de la protection de l’environnement (64,2%), des autorités
responsables pour l’exécution des budgets (58,1%), des autorités fiscales
(57,3%).
Parmi les affaires concernant la contestation d’actes non réglementaires,
plus de la moitié (51,3%) est constituée par des recours contre des décisions
illégales des autorités fédérales. Les recours contre des décisions des autorités
des sujets de la Fédération et des autorités des collectivités locales
représentent respectivement 9,7 et 15,9% des affaires. Au cours de la période
examinée, les recours contre des actes non réglementaires ont obtenu
satisfaction devant les tribunaux d’arbitrage en moyenne dans 32,7% des cas,
c’est-à-dire que les actes irréguliers contestés ont été déclarés nuls ou les
décisions illégales.
L. K. TERECHTCHENKO : RELATIONS DES USAGERS AVEC L’ADMINISTRATION 265
8. Engagement des poursuites administratives. La législation en vigueur
garantit aux personnes physiques et morales la possibilité d’une
participation active dans le règlement de leurs affaires par les autorités
administrative et en justice.
En vertu de l’alinéa 6 de l’article 28.2 du Code sur les infractions
administratives de la Fédération de Russie, une copie du procès-verbal
constatant l’infraction administrative doit être remise contre un reçu à la
personne physique ou au représentant légal d’une personne morale faisant
l’objet des poursuites intentées pour l’infraction administrative, ainsi qu’à la
victime. Avant le 16 décembre 2003, la remise d’une copie du procès-verbal
constatant l’infraction administrative n’était obligatoire que sur la demande
de la personne poursuivie. En vertu de l’amendement introduit par la Loi
fédérale du 8 décembre 2003, n° 161 « Sur la mise en conformité du Code
de la procédure pénale de la Fédération de Russie » et d’autres actes
législatifs avec la Loi fédérale « Sur des modifications et additions au Code
pénal de la Fédération de Russie », la communication du procès-verbal est
impérative, indépendamment de la demande ou de l’absence de demande du
sujet poursuivi.
Les personnes impliquées dans la procédure d’infraction administrative
ont le droit de fixer par écrit ou au moyen d’un enregistrement sonore le
déroulement de l’examen du dossier. Elles ont également le droit de
soumettre des requêtes devant être obligatoirement examinées par le juge,
l’autorité, le fonctionnaire statuant (selon les cas) sur l’affaire concernée, de
prendre connaissance avec toutes les pièces du dossier, de produire des
explications, de présenter des preuves, de demander des récusations,
d’utiliser l’assistance juridique d’un défenseur et aussi de bénéficier d’autres
droits procéduraux prévus par le Code sur les infractions administratives.
En règle générale, une infraction administrative est examinée avec la
participation de la personne poursuivie. L’affaire ne peut être examinée en
son absence que dans les cas prévus par l’article 28. 6 (paragraphe 3) du
Code sur les infractions administratives, c’est-à-dire s’il apparaît que le lieu
et l’heure de l’audience ont bien été notifiées à la personne poursuivie et si
celle-ci, étant absente, n’a pas demandé le report, ou si sa demande de report
est rejetée.
On peut dégager les particularités suivantes de règlement des
contentieux administratifs par les tribunaux :
- les délais de procédure plus courts ;
- le rôle plus actif du tribunal dans la collecte des preuves, dans la
convocation des parties ;
- l’imputation de la charge de la preuve pour les affaires administratives
aux autorités administratives.
LA GESTION DES SERVICES PUBLICS
PAR LES PERSONNES PRIVÉES
Jean-Marie PONTIER
La notion de service public, qui a connu en France un développement
remarquable, est une notion clé de toute intervention publique dans un État
qui reconnaît un rôle important à la puissance publique.
Le service public est, en France, où l’on peut considérer que la notion
est apparue en premier, une invention, d’abord du juge, mais également de
la doctrine (les professeurs de droit) qui a largement commenté la
jurisprudence et a élaboré de véritables théories du service public. Le
législateur a tout naturellement repris, ensuite, cette notion, et l’a consacrée
à maintes reprises. Le service public est une notion qui a aujourd’hui
largement débordé le droit au sens strict, elle est devenue une notion
« populaire » en ce sens que, d’une part, elle est reprise par des non juristes
et dans un cadre non juridique (par exemple les syndicats, qui parlent,
notamment en cas de grève, de « défense du service public »), d’autre part
elle est évocatrice, c’est-à-dire que les citoyens mettent un contenu dans
cette notion, qui est perçue de manière favorable, et même si cela ne
correspond pas à la notion juridique.
Si l’on s’en tient au point de vue juridique, le service public est défini
traditionnellement par deux composantes, ou deux aspects, l’aspect organique
et l’aspect matériel. Ce dernier est à la fois le plus facile et le plus difficile à
définir : c’est le plus facile parce que tout le monde s’accorde à dire que la
finalité du service public c’est l’intérêt général, il ne peut y avoir service
public que parce qu’il y a poursuite d’un intérêt général ; mais c’est
également l’aspect le plus difficile parce que toute la question est de savoir
ce qu’est l’intérêt général, et l’on conçoit immédiatement que cette notion
d’intérêt général est une notion relative parce que, dans un même pays, tel
que la France, elle évolue selon les périodes mais également selon les
268
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
conceptions des gouvernants, qui définissent, sous un certain contrôle du
juge, ce qui est et ce qui n’est pas d’intérêt général. À plus forte raison peuton penser que l’intérêt général n’est pas perçu de la même manière par deux
pays, il faut tenir compte de l’histoire propre et de la « culture » de chacun
d’eux.
L’aspect organique est relatif à la personne qui gère le service public.
Au départ, si l’on peut dire (le départ, c’est après la Révolution, c’est même
la seconde moitié du XIXe siècle) il y a conjonction entre la composante
organique et la composante matérielle : le service public est géré par les
personnes publiques, dont l’unique finalité est la satisfaction de l’intérêt
général, tandis que les personnes privées sont considérées comme
poursuivant un intérêt privé, qui peut être un intérêt lucratif ou autre.
Un point est important, dans l’histoire administrative française, c’est
l’existence, non pas seulement d’un droit administratif, qui a été forgé peu à
peu au fil du temps, mais également d’un juge administratif spécialisé
appliquant ce droit administratif, en particulier le Conseil d’État. Et l’on va
considérer que les personnes publiques sont soumises au droit administratif
et au juge administratif, tandis que les personnes privées sont soumises au
droit privé et au juge judiciaire. Au milieu du XIXe siècle, la conjonction est
donc parfaite : les personnes publiques gèrent des services publics soumis au
droit public et le juge compétent pour en connaître est le juge administratif.
Les choses vont progressivement changer, à partir du début du XXe
siècle, sous l’influence de deux facteurs.
D’une part, il va apparaître que les personnes publiques agissent parfois
de la même manière que de simples particuliers et, dans ce cas, il n’y a pas
de raison d’appliquer à l’administration le droit administratif et de soumettre
l’administration à un juge spécifique, le juge administratif. Cette application
du droit privé à l’action administrative va s’opérer en deux temps. Dans un
premier temps ce n’est que ponctuellement que l’administration va échapper
au droit public et au juge administratif, pour un acte déterminé, par exemple
pour un contrat dont il va apparaître qu’il a été conclu avec une personne
privée dans les mêmes conditions qui auraient été celles de n’importe quel
contrat conclu par une personne privée. Dans un second temps, il va
apparaître que, pour certaines personnes publiques, c’est tout un pan de leur
activité qui fonctionne de la même manière qu’une activité comparable. Le
juge va alors opérer une distinction (en 1921) au sein du service public et
consacrer la notion de service public à caractère industriel et commercial
(SPIC), à côté du service public « traditionnel » que l’on va dès lors
dénommer service public administratif (SPA).
D’autre part, ce découplage entre la nature de la personne en cause et le
droit applicable devait avoir nécessairement un retentissement sur les
personnes privées. Car si les personnes publiques peuvent, dans certaines
M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 269
conditions, se conduire comme des personnes privées, et se voir appliquer le
droit privé, tout en gérant un service public, comment n’aurait-on pas pu
admettre que, parallèlement, les personnes privées puissent poursuivre un
intérêt général, gérer un service public et être soumises, éventuellement, au
droit public ? Cette évolution était d’autant plus inévitable que, si l’on
remonte un peu dans l’histoire, on se rend compte que ce que nous appelons
aujourd’hui services publics était assuré par des personnes privées, même si
c’étaient, à l’époque, des personnes privées un peu particulières : sous
l’Ancien Régime, avant 1789, l’éducation, les services « sociaux », étaient
assurés par l’Église catholique. Après la Révolution, de multiples
organisations ont continué à assurer des missions sociales qui,
incontestablement, sont des services publics.
C’est pourquoi le juge a fini par consacrer la possibilité pour des
personnes privées, d’abord pour les services publics les moins
« contestables », c’est-à-dire les services publics sociaux, puis pour toutes
sortes d’autres services publics, de gérer un ou plusieurs services publics.
À la suite de cette reconnaissance, d’abord jurisprudentielle, puis
législative, pour des personnes privées, de gérer un service public, cette
situation est devenue de plus en plus fréquente, et, sur le plan juridique, il
faut ajouter quatre précisions.
En premier lieu, dans cette reconnaissance de la possibilité pour une
personne privée de gérer un service public, la nature juridique de la
personne privée importe peu : il peut s’agir d’associations (qui, en France,
sont obligatoirement des personnes poursuivant un but non lucratif), mais il
peut s’agir aussi de sociétés, même si cette situation est moins fréquente.
En deuxième lieu, une personne privée peut aussi bien gérer un service
public administratif qu’un service public à caractère industriel et
commercial. Certes, on pourrait penser que la seconde situation est plus
fréquente que la première mais, en réalité, il existe de très nombreux
services publics administratifs (ceux de caractère social, qu’il s’agisse de
protection sociale, d’éducation, de santé, ou ceux de caractère culturel) gérés
par des personnes privées (notamment des associations).
En troisième lieu, dans le cadre de la gestion d’un service public une
personne privée peut prendre des actes (actes unilatéraux ou contrats) qui,
éventuellement, pourront être considérés comme des actes administratifs ou
des contrats administratifs relevant, dès lors, de la compétence du juge
administratif.
En quatrième lieu, la dévolution du service public à la personne privée
peut s’opérer, juridiquement, de deux manières. Soit elle est unilatérale et,
dans ce cas, le législateur décide de confier à une personne privée un service
public. Il faut seulement préciser que l’habilitation n’est pas toujours
explicite et qu’il arrive au juge de constater « qu’il résulte de la loi » qu’une
270
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
personne privée s’est vu confier un service public. Soit l’habilitation est
contractuelle, et c’est cette dernière que l’on va présenter, à travers les
divers modes contractuels de gestion du service public.
En simplifiant, on peut dire que le choix du mode de gestion d’un
service public est conditionné par la distinction entre le « faire » et le « faire
faire » : ou bien la collectivité veut gérer elle-même, elle « fait », c’est la
gestion directe des services ; ou bien elle confie la gestion à une autre
personne, c’est le « faire faire ». Mais ce « faire faire » est lui-même
susceptible de plusieurs modalités, très différentes : le « faire faire » peut
être confié à une personne privée, c’est la situation que l’on retrouve le plus
fréquemment dans les pays occidentaux comparables à la France, mais, en
France, on peut trouver une délégation du service public par une personne
publique à une autre personne publique, notamment à un établissement
public, qui est une personne publique spécialisée.
On envisagera tout d’abord les contrats comportant délégation de
services publics. Mais il faut distinguer, aujourd’hui, deux types de
catégories de contrats, les contrats que l’on peut qualifier de « classiques »
parce qu’ils existent depuis longtemps, et les nouveaux types de contrats,
apparus depuis quelques années seulement, parmi lesquels, notamment, les
« contrats de partenariat », fort à la mode actuellement. On ajoutera à tout
cela, une catégorie de contrats qu’il faut présenter, qui ne comportent pas
délégation de services publics, mais qui occupent une place importante, en
particulier les marchés publics.
I. LES CONTRATS CLASSIQUES COMPORTANT DÉLÉGATION
DE LA GESTION D’UN SERVICE PUBLIC
L’expression « délégation de service public », aujourd’hui utilisée,
résulte d’une loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de
la République (et que l’on nomme, pour cette raison, loi ATR). Elle
recouvre des catégories traditionnelles de contrats, mais qui ont été
renouvelées sous l’influence, notamment, du droit communautaire.
Les contrats de délégation de service public présentent un certain
nombre de caractéristiques communes : ils résultent obligatoirement d’un
contrat (il ne peut y avoir de délégation unilatérale) ; la délégation peut
comporter la dévolution d’une partie ou de l’ensemble du service public et
porter aussi bien sur un service public administratif que sur un service public
à caractère industriel et commercial ; elle doit confier au délégataire la
gestion même du service public, elle ne doit pas se borner à fournir au
service les moyens ; la rémunération du concessionnaire doit comporter une
M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 271
part d’aléas économique et financier. On peut distinguer la concession des
autres formes de délégation de service public.
A. – La concession
La concession est un contrat par lequel une personne publique, appelée
concédant, confie à une autre personne, qui est normalement une personne
privée, et qui est appelée concessionnaire, la gestion d’un service public ou
la réalisation d’un travail public, ou les deux à la fois, à charge pour ce
concessionnaire de se rémunérer sur les usagers en leur faisant acquitter une
redevance pour le service fourni. Il peut exister une concession de travail
public sans service public (ce fut le cas de la concession de chutes d’eau en
zone montagneuse pour la réalisation d’un barrage) et concession de service
public sans concession de travail public. L’hypothèse la plus fréquente est
cependant celle dans laquelle on trouve simultanément une concession de
travail public et une concession de service public. Tel est le cas lorsque le
concessionnaire se voit confier la réalisation d’un ouvrage public et, lorsque
celui-ci est achevé, l’exploitation de cet ouvrage, par exemple les travaux
autoroutiers (construction et gestion d’autoroutes, ponts à péage, tunnels
routiers).
Originellement le concessionnaire est une personne privée et, au 19e
siècle, pour la construction des canaux d’abord, des chemins de fer ensuite,
ce fut la solution qui fut adoptée. Au 20e siècle, on a pu rencontrer des
situations qui s’écartaient de ce schéma dans la mesure où le
concessionnaire a pu être une personne publique. Cela correspond aux
nationalisations qui ont été opérées en France en 1936, puis en 1946 et en
1981-1982. La loi de nationalisation de l’électricité et du gaz, qui a créé les
établissements publics d’EDF (Electricité de France) et de GDF (Gaz de
France) a laissé subsister certaines entreprises de production d’électricité ou
de gaz, notamment les entreprises de production dont disposaient certaines
communes de montagne, mais ces communes ont dû concéder à EDF la
distribution de l’électricité qu’elles produisaient. De même encore la loi sur
la communication audiovisuelle a prévu la possibilité de concéder
l’exploitation d’entreprises de communication à des personnes publiques ou
privées. Il est vrai qu’à la date de cette loi certaines de ces entreprises étaient
sous forme de personnes publiques, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
La conclusion du contrat de concession a longtemps été dominée par le
principe de l’intuitu personae, c’est-à-dire le choix fait par la personne
publique de son concessionnaire en considération de la personne, et l’on
estimait que c’était là l’une des caractéristiques de la concession. Celle-ci
doit obéir aujourd’hui, sous l’influence du droit communautaire, à une mise
272
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
en concurrence effective, mais qui ne supprime pas la liberté de choix du
concédant, ce choix demeurant librement effectué.
Au départ, la durée de la concession était généralement longue, parce
que l’on estimait que cela était nécessaire pour permettre au concessionnaire
d’amortir les investissements qu’il avait réalisés. Aujourd’hui la loi
(art. L. 1411-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT))
impose une limitation de cette durée, qui est déterminée par la collectivité en
fonction des prestations demandées au concessionnaire. Il est seulement
précisé que dans le domaine de l’eau potable, de l’assainissement, des
ordures ménagères et autres déchets, les délégations ne peuvent pas avoir, en
principe, une durée supérieure à vingt ans. Une prorogation de la concession
est possible à condition de ne pas excéder un an.
La concession comporte deux types d’actes, le cahier des charges, qui
est rédigé en fonction d’un cahier des charges type applicable en fonction de
l’objet du contrat de concession, et le contrat de concession proprement dit,
qui est la partie contractuelle du document. Ce contrat de concession
comprend des dispositions qui sont pour partie réglementaires (ce sont les
clauses du contrat relatives aux conditions de gestion du service public
concédé) et pour partie véritablement contractuelles (ce sont celles relatives
aux conditions financières du contrat, qu’il s’agisse des tarifs, des recettes,
des subventions et aides diverses). Le contrat de concession est soumis au
droit de la concurrence.
Les relations entre le concédant et le concessionnaire sont commandées
par cette double nature du contrat, le concédant disposant à l’égard du
concessionnaire de pouvoirs exorbitants, mais également d’obligations
exorbitantes.
Les pouvoirs du concédant sont des pouvoirs de contrôle de la bonne
exécution du contrat, avec la possibilité de donner des ordres, ce sont
également des pouvoirs de sanction, sanctions financières (pénalités) et
sanctions administratives (avec la possibilité de mise sous séquestre de
l’exploitation). Ce sont également des pouvoirs de modification unilatérale
du contrat, qui ont soulevé beaucoup de discussions, car ils apparaissent
comme les plus dérogatoires au droit commun. Cependant, si un tel pouvoir
a effectivement été reconnu au concédant, et ceci dans tous les types de
concession, il n’est pas aussi étendu qu’on l’a parfois prétendu, ce n’est pas
un pouvoir discrétionnaire, il doit être commandé par l’unique
préoccupation de l’intérêt général, et il est étroitement contrôlé par le juge
administratif.
Le concédant a également des obligations : il est tenu de garantir
l’exécution paisible du contrat, il doit respecter les conditions de
rémunération et, plus généralement, les conditions de ce que l’on appelle
« l’équilibre financier » du contrat, qu’il ne peut remettre en cause (c’est
M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 273
pourquoi, si le concédant aggrave les conditions d’exécution du contrat, il
doit compenser financièrement ces charges nouvelles). Le concédant doit
également venir en aide à son cocontractant si celui-ci rencontre des
difficultés, car il importe avant tout que l’intérêt général soit satisfait, que le
service ne soit pas interrompu, et cette obligation apparaît en particulier dans
la théorie que l’on appelle la théorie de l’imprévision.
Le concessionnaire dispose de droits et se trouve soumis à des
obligations qui sont l’exacte contrepartie des droits et des obligations du
concédant. Il a le droit à ce que certains moyens d’action lui soient accordés,
ces droits consistant par exemple en prérogatives de puissance publique,
avec la possibilité d’exproprier, des droits d’occupation du domaine public.
Il a droit, naturellement, à rémunération, celle-ci consistant en une
redevance perçue sur les usagers du service public, il a droit à l’équilibre
financier du contrat. Il peut se voir reconnaître un certain nombre de
privilèges tels que le monopole d’exploitation et, lorsque cela est
juridiquement possible, la protection contre la concurrence. Il peut exiger du
concédant que celui-ci lui vienne en aide s’il rencontre des difficultés. Le
concessionnaire a également des obligations : obligation d’exécuter
correctement et loyalement le contrat, obligation d’accomplir les travaux
supplémentaires qui lui sont demandés par le concédant, soumission aux
contrôles et aux ordres de service du concédant, interdiction de recourir à la
sous-traitance sans l’accord du concédant.
La concession prend fin, normalement, par l’arrivée du terme prévu,
c’est-à-dire l’expiration de la durée pour laquelle le contrat avait été conclu.
Mais il existe d’autres hypothèses de fin de la concession : il peut s’agir de
la survenance d’un cas de force majeure, il peut s’agir également du rachat
de la concession, qui constitue un droit pour le concédant, il peut s’agir
enfin de la déchéance, qui constitue la plus grave des sanctions pouvant être
prononcées contre le concessionnaire.
B. – Les autres contrats de délégation de service public
Parmi les contrats de délégation de service public on trouve, outre la
concession, des types de contrats tels que l’affermage ou la régie intéressée.
L’affermage est un contrat par lequel une personne publique charge,
sous son contrôle, un cocontractant appelé fermier, d’exploiter un service
public moyennant la perception de redevances sur les usagers. L’affermage
se rapproche donc de la concession, mais une double différence l’en
distingue. D’une part, le fermier prend en charge un service public qui existe
déjà, il reçoit de l’administration des ouvrages et des installations qu’il n’a
pas lui-même créés ; d’autre part, il verse à l’administration une redevance
274
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
pour l’utilisation de ces ouvrages. Une autre différence importante existe
dans le régime juridique applicable : le juge se reconnaît le pouvoir
d’annuler la résiliation illégale d’une concession, il ne se reconnaît pas ce
pouvoir dans le cas d’un affermage, dans cette dernière hypothèse l’illégalité
de la résiliation se résout en l’octroi de dommages intérêts.
L’affermage peut ne porter que sur une partie d’un service public, à
condition que n’en résultent pas pour les usagers des différences de
traitement autres que celles découlant, soit d’une nécessité d’intérêt général,
soit de l’existence entre eux de différences objectives de situations.
Le terme d’affermage est parfois utilisé dans des situations qui ne
relèvent pas du régime juridique de ce dernier. Ainsi, on parle, dans les
textes, de l’affermage des droits de place sur les halles et marchés (ce sont
des droits que paient les commerçants pour pouvoir s’installer sur ces
marchés), ainsi que de l’affermage des taxes municipales. Mais, en dépit de
cette dénomination trompeuse, il ne s’agit pas d’affermage au sens juridique
du terme. Il s’agit, pour une personne privée, de percevoir des taxes pour le
compte d’une personne publique et de les lui remettre, ce sont d’ailleurs là,
non pas des contrats de droit public mais des contrats de droit privé dont le
contentieux relève du juge judiciaire en vertu d’un décret de 1809.
Un autre contrat de délégation de service public, beaucoup moins
fréquent que le précédent, est celui de la régie intéressée. Malgré sa
dénomination, trompeuse, la régie intéressée n’est pas une régie, celle-ci
étant la gestion directe du service par la personne publique, avec ses moyens
financiers, son personnel, et sans que le service apparaisse directement. La
régie intéressée est un contrat, par lequel une personne publique confie à un
cocontractant qui est une personne privée, personne physique ou morale,
appelée régisseur, le soin d’exploiter un service public que cette personne
publique a elle-même créé et organisé.
L’une des particularités de la régie intéressée est le mode de
rémunération du régisseur. Celui-ci est rémunéré en fonction des résultats de
l’exploitation du service, ces résultats pouvant ne pas être, ou ne pas être
seulement, des bénéfices financiers mais des prestations matérielles non
directement financières. Il s’agit en fait pour l’administration de s’assurer le
concours actif du régisseur en lui attribuant des primes. La régie intéressée
ressemble à la concession en ce que l’administration se fait assister par le
régisseur, mais elle s’en distingue par le mode de rémunération. Sur les
autres points la régie intéressée peut se comparer à la concession. Mais, de
ce fait, elle présente en définitive, aujourd’hui, un intérêt limité, les
inconvénients paraissant l’emporter sur les avantages, et c’est pourquoi les
personnes publiques y recourent beaucoup moins qu’autrefois.
M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 275
II. LES NOUVEAUX TYPES DE CONTRATS
DE DÉLÉGATION DE SERVICES PUBLICS
On parle beaucoup, depuis quelques années, d’externalisation des
services publics. L’externalisation est un mot moderne pour désigner la
délégation d’un service, mais avec cette particularité notable que si la
délégation de service public peut être opérée au profit de personnes privées
mais aussi de personnes publiques, l’externalisation désigne nécessairement
le fait de confier à une personne privée tout ou partie d’une activité qui,
jusque-là, était assurée par l’administration. L’externalisation s’effectue par
délégation de tout ou partie d’un service public au secteur privé, que ce soit
par contrat de délégation ou par contrat de partenariat. Elle peut concerner
aussi bien des investissements tels que la construction d’hôpitaux ou de
prisons que la gestion (par exemple nettoyage des locaux, services de
surveillance, avec cette nuance importante, pour cette dernière activité, que
le pouvoir de police ne peut jamais être délégué à des personnes privées, ces
personnes privées ne peuvent être que associées à ce service, sans pouvoir
disposer du pouvoir de police).
Cette externalisation prend plusieurs formes, relativement nouvelles les
unes et les autres, avec, d’une part, les baux emphytéotiques administratifs
et la vente en l’état futur d’achèvement, d’autre part, et surtout, ce que l’on
appelle, en France, les contrats de partenariat.
A. – Les baux emphytéotiques administratifs (BEA)
et la vente en l’état futur d’achèvement (VEFA)
Le bail emphytéotique est d’abord un contrat de droit privé, que l’on
trouve dans un domaine particulier, celui de l’agriculture et du monde rural.
La définition du bail emphytéotique se trouve d’ailleurs dans le Code rural,
aux articles L. 451-1 et suivants. Le bail emphytéotique a été conçu, à
l’origine, pour permettre à l’exploitant d’une exploitation agricole d’exercer
son activité sur une période suffisamment longue, sans craindre que le
propriétaire ne veuille reprendre d’un coup son bien. Cela explique les
particularités du bail emphytéotique : c’est un bail qui est conclu sur une
durée qui ne peut pas être inférieure à 18 ans, sans pouvoir dépasser 99 ans ;
le loyer versé par celui que l’on appelle le « preneur » (ou encore
« l’emphytéote ») est faible mais, en compensation, les constructions
réalisées par le preneur deviennent, en fin de bail, la propriété du
propriétaire de l’immeuble (au sens juridique, cet immeuble est souvent une
terre), propriétaire qui est appelé bailleur ; enfin le preneur (le « locataire »
si l’on veut) est titulaire de droits réels (un droit réel est un droit qui porte
276
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
sur un bien, mobilier ou immobilier ; il s’oppose au droit personnel, qui est
représenté notamment par une créance, c’est-à-dire une obligation, pour le
débiteur, de donner, de faire ou de ne pas faire) qu’il peut hypothéquer.
La question qui s’est évidemment posée a été de savoir si le bail
emphytéotique était applicable ou non à l’administration, aux personnes
publiques, si celles-ci pouvaient y recourir ou non. En réalité, il faut
distinguer. Pour comprendre la distinction, il faut d’abord savoir qu’en droit
français, les personnes publiques (principalement les personnes publiques
territoriales que sont l’État et les collectivités territoriales) possèdent un
domaine public, mais aussi un domaine privé.
En ce qui concerne le domaine privé de ces personnes publiques, il n’y
a aucune difficulté parce que le droit applicable au domaine privé est le droit
privé, par conséquent rien ne s’oppose à ce que les personnes publiques
recourent, pour ce domaine privé, au bail emphytéotique.
Mais le problème n’est pas pour le domaine privé, il concerne le
domaine public. Car ce domaine public est commandé par un principe très
ancien, appelé principe d’inaliénabilité, qui interdit, comme l’indique son
nom, que la collectivité propriétaire puisse aliéner le bien. Cependant, ce
principe d’aliénabilité n’a pas de valeur constitutionnelle, il a une valeur
simplement législative, il n’est donc pas interdit au législateur de modifier
l’état du droit en la matière.
Le législateur a estimé précisément qu’il était souhaitable que des droits
réels puissent être constitués sur le domaine public des collectivités publiques.
Dans un premier temps, la loi du 5 janvier 1988 a prévu, par des dispositions
codifiées aux articles L. 1311-2 et suivants du Code général des collectivités
territoriales, la conclusion de baux emphytéotiques sur le domaine public de
ces collectivités locales. Les dispositions ont été modifiées plusieurs fois. À
l’heure actuelle, donc, de tels baux emphytéotiques, appelés depuis 2006 baux
emphytéotiques administratifs (BEA) peuvent être conclus sur le domaine
public des collectivités locales « en vue de l’accomplissement, pour le compte
de la collectivité territoriale, d’une mission de service public ou en vue de la
réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence ou en
vue de l’affectation à une association cultuelle d’un édifice du culte ouvert
au public ou en vue de la réalisation d’enceintes sportives et des
équipements connexes nécessaires à leur implantation ou, jusqu’au 31
décembre 2007, liée aux besoins de la justice, de la police ou de la
gendarmerie nationales ainsi que d’un établissement public de santé ou
d’une structure de coopération sanitaire dotée de la personnalité morale
publique ou, jusqu’au 31 décembre 2010, liée aux besoins d’un service
départemental d’incendie et de secours ».
De tels baux permettent donc, comme il a été dit, de constituer des
droits réels sur le domaine public, et le CGCT renvoie à l’article L. 451-1 du
M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 277
Code rural. Cependant, les litiges relatifs à ces baux emphytéotiques
relèvent de la compétence des tribunaux administratifs, et les droits réels
ainsi conférés par le bail ne sont pas cessibles, ni susceptibles d’être
hypothéqué librement.
Un autre procédé est la vente en l’état futur d’achèvement (VEFA). Il
s’agit d’un contrat passé par une collectivité publique, c’est un contrat de
droit privé, qui est défini par le Code civil. Selon l’article 1601-3 de ce
Code, la vente en l’état futur d’achèvement est le contrat « par lequel le
vendeur transfère immédiatement à l’acquéreur ses droits sur le sol ainsi que
la propriété des constructions existantes. Les ouvrages à venir deviennent la
propriété de l’acquéreur au fur et à mesure de leur exécution. Le vendeur
conserve les pouvoirs de maître de l’ouvrage jusqu’à la réception des
travaux ».
Des collectivités territoriales, notamment des régions, ont utilisé ce
procédé, qui a soulevé de nombreuses interrogations juridiques. On parle,
pour ce procédé, comme pour le bail emphytéotique, de « montages
complexes », et il est difficile, parfois, de savoir dans quel cadre juridique
on se trouve exactement, ces montages étant difficiles à différencier, dans
certains cas, des marchés. L’intérêt de tels montages est évidemment de
permettre de répartir dans le temps le paiement des travaux sous forme de
loyers.
B. – Les contrats de partenariat
Une ordonnance du 17 juin 2004, appliquant la directive du Parlement
européen et du Conseil du 31 mars 2004, a créé une nouvelle catégorie de
contrats, les contrats de partenariat, vite appelés contrats PPP (pour
partenariat public-privé). Ces contrats représentent une association de
personnes publiques et de personnes privées qui décident d’agir en commun
en vue de répondre à un besoin collectif et en partageant les ressources, les
risques et les profits. Outre l’ordonnance du 17 juin 2004, les contrats de
partenariat sont régis par un décret d’application du 9 août 2005, et une
circulaire du 29 novembre 2005 précise les conditions de ces contrats à
destination des collectivités territoriales.
1. Définition des contrats de partenariat
Les collectivités publiques disposent de plusieurs modalités d’action
pour l’exercice de leur mission de service public : elles peuvent gérer
directement en régie, elles peuvent également procéder à une délégation de
service public, avec une personne publique mais, beaucoup plus souvent,
278
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
avec une personne privée. Les relations contractuelles avec les personnes
privées sont anciennes, et la concession représente déjà, bien avant que
l’appellation n’existe, une forme de partenariat entre une personne publique
et une personne privée. Deux formes de relations contractuelles résultaient,
jusqu’en 2004, de la jurisprudence et des textes, celle des marchés publics,
pour la réalisation de travaux, fournitures ou services, celle des délégations
de service public pour la gestion dans la durée de services publics à
dimension économique ou marchande, dont la rémunération peut être
assurée par l’exploitation.
Mais, selon les pouvoirs publics, il manquait un outil juridique
permettant de confier à un tiers le soin de financer, concevoir tout ou partie,
réaliser, maintenir et gérer des ouvrages ou équipements publics et des
services concourant aux missions de service public en contrepartie d’une
rémunération publique étalée dans le temps. Divers mécanismes ont permis
à titre temporaire d’expérimenter dans cette voie. Il en a été ainsi, pour les
collectivités territoriales, avec la procédure du bail emphytéotique
administratif (BEA), mais dans le seul domaine de la construction et de la
gestion de bâtiments, sans pouvoir y ajouter d’autres prestations.
Cette procédure, qui a été codifiée au Code général des collectivités
territoriales, a été aménagée pour couvrir, jusqu’au 31 décembre 2007, les
opérations d’intérêt général liées aux besoins de la défense, de l’intérieur et
de la justice. Mais le contrat de partenariat représente, selon la circulaire du
29 novembre 2005, « le premier mécanisme simple et d’application globale
permettant à toutes les administrations, et en particulier aux collectivités
territoriales, premiers acteurs de la commande et de l’investissement
publics, de pratiquer un partenariat public-privé à la française ».
La définition du contrat de partenariat, reprise à l’article L. 1414-1 du
Code général des collectivités territoriales, est le suivant : « Le contrat de
partenariat est un contrat administratif par lequel la personne publique
confie à un tiers, pour une période déterminée en fonction de la période
d’amortissement des investissements ou des modalités de financement
retenues, une mission globale relative au financement d’investissements
immatériels, d’ouvrages ou d’équipements nécessaires au service public, à la
construction ou à la transformation des ouvrages ou équipements, ainsi qu’à
leur entretien, leur maintenance, leur exploitation ou leur gestion et, le cas
échéant, à d’autres prestations de services concourant à l’exercice par la
personne publique de la mission de service public dont elle est chargée ».
Le contrat de partenariat est donc un contrat qui présente les
caractéristiques suivantes. D’abord, c’est un contrat « global », ainsi que le
qualifient les textes. Il comprend en effet au moins trois éléments : le
financement privé d’investissements nécessaires au service public sur une
longue durée ; la construction ou la transformation des ouvrages ou des
M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 279
équipements ou d’autres investissements ; leur entretien, leur maintenance
et/ou leur exploitation ou leur gestion.
Ensuite, c’est un contrat qui est passé pour une longue durée, celle-ci
étant déterminée par la durée d’amortissement des investissements ou des
modalités de financement retenues. La circulaire du 29 novembre 2005
indique qu’un délai de cinq ans doit être considéré comme minimal. Cela
suppose que la personne publique soit en mesure d’assurer le « pilotage » de
ce contrat sur toute sa durée, laquelle dépassera le plus souvent, pour les
collectivités territoriales, la durée du mandat d’une équipe municipale.
C’est également un contrat dont les modalités de rémunération sont
originales. Cette rémunération présente trois éléments caractéristiques. En
premier lieu, elle est étalée sur tout la durée du contrat, les contrats de
partenariat autorisant une rémunération dans laquelle les investissements
initiaux ne sont pas nécessairement réglés à leur « réception » mais peuvent
donner lieu à des paiements tout au long de la phase d’exploitation.
L’ordonnance pose une obligation de transparence en exigeant que le contrat
de partenariat distingue, pour le calcul de cette rémunération, les coûts
d’investissement, de fonctionnement et de financement. En deuxième lieu,
elle est liée à des objectifs de performance, l’objet premier d’un contrat de
partenariat étant l’amélioration du service rendu aux usagers. Cette logique
permet d’imposer au titulaire du contrat des objectifs de résultat, notamment
en matière d’entretien et de maintenance et le non respect des objectifs
conduit à une pénalisation financière du cocontractant sous la forme d’une
minoration de sa rémunération. En troisième lieu, la rémunération peut
comporter des recettes annexes, qui doivent cependant demeurer accessoires
afin d’éviter tout risque de requalification du contrat.
Le contrat de partenariat est un contrat administratif par détermination
de la loi. Il est donc soumis à l’ensemble des règles applicables à ce type de
contrats, qu’il s’agisse des règles jurisprudentielles ou des mécanismes de
contrôle, en particulier lorsqu’ils sont passés par des autorités locales, avec
le contrôle de légalité. En revanche, ce n’est pas un marché public, les
dispositions du Code des marchés publics ne lui sont pas applicables. Mais,
étant donné que, au plan européen, le droit communautaire de la commande
publique ne connaît que deux catégories de contrats, les concessions et les
marchés publics, les contrats de partenariat seront qualifiés de marchés
publics au sens du droit communautaire. Et, pour renforcer la sécurité
juridique de ces contrats, l’ordonnance leur applique l’ensemble des règles
de passation des marchés publics communautaires qui figurent dans la
directive du 31 mars 2004.
Quant au champ d’application des contrats de partenariat, il est très
large. Ces contrats peuvent concerner aussi bien le bâtiment et les travaux
publics que les nouvelles technologies de l’information et de la
280
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
communication. Les pouvoirs publics estiment que le contrat de partenariat
est particulièrement adapté à la réalisation de certains projets des
collectivités territoriales tels que les infrastructures scolaires (écoles,
collèges, lycées, instituts de formation), les bâtiments et services sanitaires
et sociaux (hôpitaux, crèches), l’éclairage public et la signalisation tricolore,
la voirie, les stationnement et le transport, l’informatisation des services
publics locaux, les équipements culturels et sportifs (stades, piscines,
musées, centres culturels), les projets d’aménagement urbain ou touristique,
certaines infrastructures dans le domaine de l’eau, de l’assainissement ou
des déchets (stations d’épuration, incinérateurs).
Les pouvoirs publics insistent sur le fait que le contrat de partenariat
n’est pas réservé aux grandes collectivités territoriales, ni aux grands
groupes privés. D’ailleurs les petites et moyennes entreprises (PME)
bénéficient d’un traitement privilégié dans la mesure où la part qui leur est
réservée doit être obligatoirement un critère d’attribution du contrat, celui-ci
devant préciser comment la collectivité publique pourra vérifier le respect de
cet engagement.
2. Les conditions du recours au contrat de partenariat
L’ordonnance du 17 juin 2004 subordonne le recours au contrat de
partenariat à une « évaluation » préalable qui « montre, ou bien que, compte
tenu de la complexité du projet, la personne publique n’est pas
objectivement en mesure de définir seule et à l’avance les moyens
techniques pouvant répondre à ses besoins ou d’établir le montage financier
ou juridique du projet, ou bien que le projet présente un caractère
d’urgence ».
La « complexité du projet » est donc la première hypothèse dans
laquelle il est possible de recourir à un contrat de partenariat. L’exigence qui
est inscrite dans l’ordonnance est issue des dispositions de la directive
communautaire du 31 mars 2004. La directive précise que « les pouvoirs
adjudicateurs qui réalisent des projets particulièrement complexes peuvent,
sans qu’une critique puisse leur être adressée à cet égard, être dans
l’impossibilité objective de définir les moyens aptes à satisfaire leurs
besoins ou d’évaluer ce que le marché peut offrir en termes de solutions
techniques et/ou de solutions financières/juridiques ». La complexité du
projet est présentée comme une condition objective. Mais la circulaire du
29 novembre 2005 précise : « La complexité doit s’apprécier dans une
situation donnée car, en passant des marchés d’études ou en s’entourant de
partenaires spécialisés, une collectivité pourrait toujours acquérir la
possibilité de définir les moyens techniques adéquats ».
M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 281
Quant à la condition de l’urgence, elle n’est pas définie par
l’ordonnance, mais deux décisions du Conseil constitutionnel ont précisé
cette notion dans le cadre des contrats de partenariat. En particulier, dans sa
décision du 2 décembre 2004 le Conseil constitutionnel a déclaré que
« l’urgence qui s’attache à la réalisation du projet envisagé est au nombre
des motifs d’intérêt général pouvant justifier la passation d’un contrat de
partenariat, dès lors qu’elle résulte objectivement, dans un secteur ou une
zone géographique déterminés, de la nécessité de rattraper un retard
particulièrement grave affectant la réalisation d’équipements collectifs ».
Lorsque la condition de complexité ou d’urgence est remplie, l’analyse
comparative permet de déterminer et d’exposer les motifs que retient la
personne publique pour expliquer son choix de lancer une procédure de
passation d’un contrat de partenariat. Cette analyse doit porter sur les coûts,
mais aussi au minimum sur la performance et le partage des risques. Cette
analyse doit toujours être accessible au public dans le cadre de la loi du
17 juillet 1978 modifiée relative à la liberté d’accès aux documents
administratifs. Cette évaluation est une phase délicate de la réalisation d’un
projet de partenariat, elle nécessite une réelle expertise en matière juridique,
financière, comptable et technique. Selon la circulaire du 29 novembre
2005 : « Il est recommandé à la personne publique de faire appel à des
conseils extérieurs si telle ou telle de ces compétences (juridique, technique,
financière …) lui fait défaut ».
En ce qui concerne en particulier le partage du risque, il doit faire
l’objet d’une analyse systématique, l’optimisation du partage des risques
étant une condition déterminante de la réussite du contrat de partenariat. Une
méthodologie est proposée dans un document intitulé « Les contrats de
partenariat, principes et méthodes », pour identifier les risques, les répartir et
évaluer leurs coûts dans les différentes possibilités qu’offre l’analyse
comparative.
Il est très difficile de se prononcer sur la « supériorité » ou pas d’un
mode de gestion sur un autre et il est probable qu’il n’existe pas de mode de
gestion idéal qui vaudrait pour toutes les activités et pour toutes les
périodes : au contraire, selon les moments, selon les objectifs poursuivis,
selon les financements dont on dispose, selon même « l’air du temps » c’est
un mode de gestion ou un autre qui l’emporte.
En ce qui concerne l’externalisation des services, elle comporte des
avantages et des inconvénients. L’appel au secteur privé pour la gestion des
services publics est souvent présenté comme une source d’économie
budgétaire pour la collectivité, et d’efficacité de la gestion par une réponse
adaptée à une technicité croissante de certaines charges, par la diminution
des coûts fixes, par la réduction des délais (délais de commande de
matériels, délais de réalisation des ouvrages), par une meilleure satisfaction
282
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
des usagers, par un allègement de la contrainte budgétaire (en particulier par
une économie sur les charges liées aux pensions de retraite), par un partage
des responsabilités, par la souplesse, etc.
Cependant, tout ceci ne va pas sans difficultés, l’externalisation
comporte aussi des inconvénients : c’est le problème du reclassement des
agents souvent spécialisés ou âgés, c’est l’évaluation des coûts complexe (il
n’existe pas de comptabilité analytique au sein de l’administration).
Paradoxalement, l’externalisation peut être facteur de rigidité budgétaire,
lorsqu’il s’agit de contrats de longue durée. Par ailleurs, l’externalisation ne
supprime pas le risque : l’exécution du contrat peut révéler une défaillance
du prestataire (c’est une situation que les communes françaises ont bien
connu à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle avec
les concessions de gaz qui avaient été conclues avec des personnes privées :
la Première Guerre mondiale, avec l’accroissement du coût du charbon,
l’arrivée de l’électricité, ont contraint les collectivités locales à se substituer
aux concessionnaires défaillants). D’autres risques existent, comme les
problèmes de dépendance vis-à-vis du prestataire, la perte de contrôle ou de
savoir-faire de l’administration. Le Centre d’analyse stratégique (CAS,
organisme public qui a succédé en quelque sorte au Commissariat général
du plan qui existait en France), qui a effectué une analyse sur
l’externalisation des services publics en Europe en déduit ceci : « Le
processus de négociation contractuelle revêt alors une importance vitale
pour optimiser les intérêts de l’État à long terme, notamment pour envisager
la répartition des risques dans les différents scénarios possibles ». Enfin, si
l’externalisation touche aux fonctions régaliennes – avec la difficulté de
savoir ce que sont ces fonctions régaliennes – elle peut mettre en cause la
souveraineté de l’État, diminuer la capacité stratégique de l’administration,
entraîner une perte d’autonomie du service public, une dégradation de la
qualité.
III. LES CONTRATS NE COMPORTANT PAS
DÉLÉGATION D’UN SERVICE PUBLIC
Les contrats ne comportant pas délégation de la gestion d’un service
public constituent une catégorie très hétérogène au sein de laquelle il existe
une grande variété de contrats. À titre d’exemples, on peut citer l’offre de
concours, qui s’apparente quelque peu au marché de travaux publics. L’offre
de concours est un contrat par lequel une personne, publique ou privée,
s’engage à participer, parce qu’elle y trouve un intérêt, à participer, ou bien
en nature (par l’apport d’un bien, par exemple un immeuble constitué par un
chemin), ou bien en espèces, aux frais nécessités par un travail public
M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 283
qu’elle souhaite voir réaliser. L’administration bénéficiaire de l’offre n’est
pas tenue d’accepter celle-ci, sauf dans des cas très particuliers.
On peut citer encore le marché d’entreprise de travaux publics
(METP), qui est un contrat par lequel une personne publique confie à un
entrepreneur, contre paiement d’un prix à celui-ci, soit à la fois la
construction d’un ouvrage nécessaire à un service public (auquel cas on se
trouve dans une situation assez comparable à celle d’un marché public) et
l’exploitation de cet ouvrage (ce qui est une situation assez comparable à
celle de la concession), soit seulement l’exploitation de celui-ci. On peut
encore citer la concession sur créments futurs, qui est un contrat par lequel
un particulier s’engage à exécuter à ses frais des travaux destinés à conquérir
des travaux sur la mer ou sur un étang et reçoit, en contrepartie, la
jouissance des terrains asséchés ou exondés.
Mais la catégorie la plus importante au sein des contrats ne comportant
pas délégation de la gestion d’un service public est représentée par les
marchés publics, auxquels on va s’attacher maintenant, bien qu’il ne
s’agisse pas de service public, en raison de l’importance que représentent,
aujourd’hui, ces contrats.
Les marchés publics constituent une catégorie de contrats très ancienne,
et avec une réglementation qui intervient tôt, puisque dès 1800 le législateur
va décider que ces marchés sont des contrats administratifs. Mais la
définition contemporaine des marchés publics est devenue plus compliquée
qu’elle n’était car on se trouve avec une double définition des marchés
publics, la définition donnée par le droit administratif français et la
définition donnée par le droit communautaire, ces deux définitions ne
coïncidant pas exactement entre elles.
Le nouveau Code des marchés publics donne une définition des
marchés publics plus précise que le précédent Code. Selon le nouvel article
1er du Code : « Les marchés publics sont les contrats conclus à titre onéreux
avec des personnes publiques ou privées par les personnes morales de droit
public mentionnées à l’article 2 pour répondre à leurs besoins en matière de
travaux, de fournitures ou de services ». Cette définition appelle quelques
précisions.
En ce qui concerne tout d’abord les parties au contrat, il s’agit des
personnes publiques mentionnées à l’article 2 du Code, à savoir, l’État, ses
établissements publics administratifs, les collectivités territoriales et leurs
établissements publics. Cela signifie tout d’abord que certaines personnes
publiques ne sont pas soumises au Code des marchés publics. Ce sont les
établissements publics à caractère industriel et commercial de l’État (mais
non pas ceux des collectivités territoriales), ainsi que certaines personnes
auxquelles le Conseil d’État a reconnu la nature de personnes publiques
spécifiques, cela s’appliquant, pour l’instant, à la Banque de France ainsi
284
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
qu’aux groupements d’intérêt public (GIP à propos desquels on s’est
demandé, pendant plusieurs années, s’il s’agissait de personnes publiques à
part, ou d’une forme particulière d’établissements publics, jusqu’à ce que le
Conseil d’État déclare, dans un arrêt de 2000, qu’il s’agissait de personnes
publique spécifiques). Ces exclusions s’expliquent parce que ces personnes
interviennent dans le domaine industriel et commercial. Toutefois, comme
ces personnes sont susceptibles d’être considérées par le droit
communautaire comme des « pouvoirs adjudicateurs », la loi MURCEF
organise une procédure de mise en concurrence pour certains de leurs
contrats.
Ajoutons, sur ce point, deux précisions. D’abord, il est toujours possible
de se soumettre volontairement au Code des marchés publics mais, dans ce
cas, ce sont toutes les règles du Code qui doivent être respectées du début
jusqu’à la fin de la procédure. Ensuite, le Code a repris une solution
consacrée par le juge administratif selon laquelle une personne privée
agissant sur le fondement d’un mandat, exprès ou tacite, d’une personne
publique, est soumise au Code.
Par ailleurs, traditionnellement il était admis que le Code des marchés
publics n’était pas applicable aux contrats conclus entre des personnes
publiques. Le Conseil d’État a fini par se prononcer, dans un avis
contentieux du 8 novembre 2000 (Société Jean-Louis Bernard Consultants)
sur cette question en faisant valoir qu’ « aucun texte ni aucun principe
n’interdit, en raison de sa nature, à une personne publique de se porter
candidate à l’attribution d’un marché public ou d’une délégation de service
public » en précisant que devait être garantie « l’égalité des conditions
concurrentielles » entre candidats publics et privés, et la Cour de justice des
communautés européennes s’était prononcée en 2000 dans le même sens. Le
nouveau Code des marchés publics a tranché la question en soumettant les
marchés conclus entre personnes publiques à ses dispositions.
En ce qui concerne, ensuite, l’objet du contrat, certains contrats sont
inclus, en raison de leur objet, dans le champ d’application du Code tandis
que d’autres en sont exclus, également en raison de leur objet.
S’agissant tout d’abord de l’objet des contrats inclus dans le champ
d’application du Code des marchés publics, selon ce dernier l’objet d’un
marché est de répondre aux besoins des collectivités publiques en matière de
« travaux, de fournitures ou de services ».
Pour ce qui concerne les travaux, le Code définit le marché public de
travaux comme le contrat ayant pour objet « la réalisation de tous travaux de
bâtiment ou de génie civil à la demande d’une personne publique exerçant la
maîtrise d’ouvrage ». Ce type de marché public s’applique donc aux seules
hypothèses dans lesquelles une personne publique est maître d’ouvrage.
Cela exclut tous les contrats dans lesquels la personne publique commande
M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 285
la construction d’un ouvrage sans pour autant en assurer la maîtrise
d’ouvrage, et c’est le cas, par exemple, des baux emphytéotiques
administratifs (BEA), ou encore des ventes en l’état futur d’achèvement
(VEFA), qui sont en revanche des exemples d’externalisation de services.
En ce qui concerne ensuite les marchés de fournitures, le Code
consacre la conception extensive retenue par le droit communautaire en
indiquant que ces marchés ont pour objet non seulement l’achat, mais
également la prise en crédit-bail, la location ou la location-vente de produits
ou matériels.
En ce qui concerne enfin les marchés de services, selon le Code ils ont
pour objet « la réalisation de prestations de services », ces prestations
pouvant être très diverses et pouvant consister, par exemple, en des études,
des opérations de maîtrise d’œuvre, de nettoyage de locaux, de
développement de logiciels, etc.
En fonction toujours de l’objet, certains contrats sont exclus du champ
d’application du Code. L’article 3 du Code en dresse une liste. Ce sont « les
contrats qui ont pour objet l’acquisition ou la location de terrains, de
bâtiments existants ou d’autres biens immeubles, ou qui concernent d’autres
droits sur ces biens ; toutefois, les contrats de services financiers conclus en
relation avec le contrat d’acquisition ou de location sous quelque forme que
ce soit, entrent dans le champ d’application du Code ».
C’est également le cas des contrats ayant pour objet l’achat, le
développement, la production ou la coproduction de programmes par des
organismes de radiodiffusion et pour les contrats concernant les temps de
diffusion ; les contrats relatifs à des programmes de recherchedéveloppement auxquels une personne publique contribue sans les financer
intégralement ni en acquérir complètement les résultats ; les contrats relatifs
à des fournitures, des travaux ou des services conclus pour le compte d’une
organisation internationale, etc. En fait ces exclusions consacrées par le
Code ne font que reprendre les exclusions instituées par les directives
communautaires.
Toutefois le législateur français avait ajouté d’autres exclusions, en
particulier les contrats d’achat d’œuvres d’art ou d’objets d’antiquité ou de
collection. L’exclusion de ces contrats du champ d’application du Code des
marchés publics avait été justifiée par l’objet même de ces contrats, car on
avait estimé que du fait de leurs particularités ces contrats ne pouvaient
s’adapter aux procédures de passation des marchés publics. Mais la
Commission européenne a considéré cette exclusion contraire à une
directive. En arrière-plan de cette exclusion on trouve naturellement le débat
sur ce que l’on a appelé, en France, « l’exception culturelle ». Pour tenir
compte des réserves de la Commission le Code des marchés publics de 2004
a adopté une formulation différente, en excluant du Code les biens qui, « en
286
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
raison de leur nature et de leurs caractéristiques, ne permettent pas la mise
en œuvre de procédures de publicité et de mise en concurrence ».
D’autres exclusions concernent les contrats qui ont pour objet des
emprunts ou des engagements financiers, les premiers étant considérés
comme contraires aux directives communautaires par la Commission. Les
contrats de mandat avaient été également exclus mais, après la critique de la
Commission, qui a fait valoir qu’à partir du moment où ils donnaient lieu à
une prestation rémunérée, ils pouvaient être requalifiés en marchés de
travaux ou de services au regard des directives, et après une censure sur ce
même fondement par le Conseil d’État dans un arrêt de 2003, cette
exception a disparu dans la version de 2004 du Code.
Les institutions communautaires ont estimé que ce qu’elles ont appelé
le droit de la « commande publique » devait être soumis aux principes du
droit communautaire et ont élaboré à cette fin des directives spécifiques, qui
sont intervenues en 1992 et 1993. Il convient d’ajouter que la définition
communautaire des marchés publics ne résulte pas seulement des directives
mais également de l’interprétation, extensive, qui a été donnée de ces
dernières par la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), la
Cour ayant même, à partir des principes généraux du droit communautaire,
consacré des principes spécifiques applicables aux marchés tels que le
principe de l’égalité de traitement, le principe de transparence, le principe de
reconnaissance mutuelle.
En ce qui concerne les parties, les directives font entrer dans ce droit de
la commande publique, et sous l’appellation de « pouvoirs adjudicateurs »
l’État, les collectivités territoriales, mais également les « organismes de droit
public ». Ces organismes sont définis par une directive de 1993 comme des
« organismes créés pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt
général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, ayant la
personnalité juridique et dont soit l’activité est financée majoritairement par
l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public,
soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l’organe
d’administration, de direction ou de surveillance est composée de membres
dont plus de la moitié est désignée par l’État, les collectivités territoriales ou
d’autres organismes de droit public ».
Et, selon la jurisprudence communautaire, un organisme est un pouvoir
adjudicateur dès qu’il a la personnalité juridique, qu’il est soumis au
contrôle de l’État ou d’autres collectivités publiques et qu’il a été
spécifiquement créé pour satisfaire des besoins d’intérêt général ayant un
caractère autre qu’industriel et commercial.
Cette notion d’organisme de droit public peut soulever, du point de vue
du droit français, des hésitations, car elle peut s’appliquer aussi bien à des
personnes privées qu’à des personnes publiques. Quant à la notion de
M. PONTIER : GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR LES PERSONNES PRIVÉES 287
besoins d’intérêt général autre qu’industriel et commercial, elle est entendue
également largement par la Cour de justice des communautés. Cette Cour
estime qu’entrent dans ce champ des activités telles que la fabrication
d’imprimés officiels, les passeports, les permis de conduire, les cartes
d’identité, ou encore l’enlèvement et le traitement des ordures ménagères, la
gestion de réseaux publics de télécommunications et la fourniture de
services publics de communication.
Même si l’on s’en tient au seul droit communautaire, on relève
certaines difficultés, qui tiennent notamment au fait que les différentes
directives sur les marchés publics n’ont pas la même définition de ces
derniers selon les secteurs considérés, cette définition étant plus ou moins
large. Ainsi, la directive dite « secteurs spéciaux », qui régit les secteurs de
l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications, adopte un
critère de définition qui n’est pas seulement organique mais est également
matériel : le premier est largement entendu, mais, du point de vue matériel,
ne sont concernées que les entités qui assurent certaines activités dans les
domaines couverts par la directive.
En ce qui concerne l’objet du contrat, le droit communautaire se
caractérise également par une approche plus extensive que le droit français.
En ce qui concerne les marchés publics de travaux, la directive de 1993 qui
les régit les définit comme « des contrats à titre onéreux, conclus par écrit
entre, d’une part, un entrepreneur et, d’autre part, un pouvoir adjudicateur et
ayant pour objet soit l’exécution, soit conjointement l’exécution et la
conception des travaux (…), soit la réalisation, par quelque moyen que ce
soit, d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir
adjudicateur ». Cette définition est beaucoup plus large que celle du droit
interne français et englobe, par exemple, les baux emphytéotiques ou les
ventes en l’état futur d’achèvement, qui sont exclus de la définition
française.
En ce qui concerne les marchés publics de fourniture, une autre
directive de 1993 les définit comme « des contrats conclus par écrit à titre
onéreux ayant pour objet l’achat, le crédit-bail, la location ou la locationvente, avec ou sans option d’achat, de produits entre un fournisseur
(personne physique ou morale), d’une part, et, d’autre part, un des pouvoirs
adjudicateurs. La livraison de produits peut comporter, à titre accessoire, des
travaux de pose et d’installation ». Sur ce point la définition française et la
définition communautaire coïncident.
En ce qui concerne les marchés publics de services, le droit
communautaire éprouve quelques difficultés à les définir. Selon le Traité ce
sont des prestations « qui ne sont pas régies par les dispositions relatives à la
libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes » et la
directive de 1992 sur ces marchés déclare que les marchés de service sont
288
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
« des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un prestataire de
services et un pouvoir adjudicateur, à l’exclusion des marchés publics de
fournitures et des marchés publics de travaux », cette catégorie de marchés
étant donc définie de manière négative. La directive comprend deux annexes
plus explicites, la première (annexe I A) dressant une liste exhaustive des
services destinés à être directement ouverts à la concurrence, la seconde
annexe (annexe I B) couvrant « tous les autres services », qui bénéficient
d’un régime transitoire avec des obligations allégées de publicité.
Les directives communautaires ont contraint les pouvoirs publics
français à revoir le système de certains contrats, notamment ceux concernant
les prestations de services techniques que, traditionnellement, les services de
l’État apportaient aux collectivités territoriales. Le concours de ces services
de l’État aux collectivités territoriales était considéré par la jurisprudence du
Conseil d’État comme étant de nature contractuelle, et il était également
admis que ces contrats ne relevaient pas du Code des marchés publics, ce
qui les faisaient dès lors échapper à toute exigence de concurrence avec les
professionnels du secteur privé. Les nouvelles exigences du droit de la
concurrence résultant, tant des dispositions de droit interne que du droit
communautaire ont contraint les pouvoirs publics à revoir le dispositif, et
c’est ce qui a été effectué par la loi du 11 décembre 2001, dite loi MURCEF.
Toutefois cette loi réserve toujours aux services de l’État la conclusion, sans
mise en concurrence, de certaines conventions d’assistance technique avec
les communes et leurs groupements, et la compatibilité de ce dispositif avec
le droit communautaire demeure douteuse.
LA PARTICIPATION DES ORGANISATIONS PRIVÉES À
LA PRESTATION DES SERVICES PUBLICS EN RUSSIE
Natalia POUTILO
1. Les prestataires de services publics : les bases théoriques et
constitutionnelles
Dans l’histoire des rapports juridiques relatifs à la fourniture de services
dont l’importance pour la société est clairement reconnue, on peut distinguer
deux périodes. La première se caractérise par une séparation stricte entre le
public et le privé : les services publics doivent être soumis au droit public,
mais les services privés sont soumis au droit privé. Cependant, de nos jours,
les limites de la participation de l’État à la vie de la société et les formes
qu’elle prend ont subi de profonds changements. Les changements dans les
rapports sociaux brouillent la structure des branches du droit et conduisent
au développement de formations complexes dans le droit (branches,
institutions). Une manifestation particulière de ces processus globaux est
que l’on admet que des sujets de droit public puissent fournir des services
privés, tandis que des sujets de droit privé peuvent poursuivre un but
d’intérêt général et fournir des services publics.
À la différence de pays de droit continental où cette conception a
commencé à se répandre il y a presque un siècle, dans la science juridique
russe, c’est seulement après l’adoption de la Constitution de la Fédération de
Russie de 1993 que sont apparus de véritables sujets de droit privé et les
régimes juridiques correspondants.
L’évolution de la répartition entre droit privé et droit public en ce qui
concerne les services publics en Europe a commencé bien plus tôt dans

On entend ici par organisations privées toutes les organisations non étatiques, à l’exception
des collectivités locales, dans la mesure où celles-ci font partie des pouvoirs publics, bien que, selon
la Constitution de la Fédération de Russie, elles soient séparées du système de l’administration d’État.
290
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
l’histoire des pays européens : l’instruction élémentaire, l’assistance aux
indigents, les soins médicaux relevaient de la responsabilité de différentes
personnes, de la famille et de la bienfaisance privée ; après la révolution
industrielle ils sont devenus le domaine d’activités de masse des Églises et
des communautés mais ne se rattachaient pas à des fonctions publiques de
l’État1. C’est ainsi qu’en Europe, les services publics, ou bien sont apparus
quand l’État a évincé les organisations privées d’une série de secteurs (par
exemple l’enseignement, la protection de la santé), ou bien sont nés du
développement d’activités nouvelles considérées à leur origine par l’État
comme des domaines d’intérêt public et entrant dans la responsabilité de
l’État. Dans la Russie contemporaine, le processus est orienté dans un sens
inverse : du fait que, suivant la tradition soviétique tout relevait de la
compétence de différentes branches du pouvoir, ce sont certaines zones qui
relèvent progressivement de la société civile. Les fonctions traditionnelles
de l’État font alors l’objet d’un inventaire en fonction de leur objet pour
déterminer lesquelles sont des services publics et pourraient ainsi être
fournis, non plus par l’État, mais par d’autres prestataires.
La particularité de l’approche russe actuelle de la participation des
personnes privées à la fourniture de services publics, est qu’il existe encore,
pour le moment, une corrélation stricte entre statut juridique et possibilité de
participer à la fourniture de services publics (selon la tradition soviétique,
les activités d’enseignement, de soins médicaux, de culture ne peuvent être
exercées que par des établissements publics2)3. Si en Europe, un nombre
important de prestataires de services publics dans les domaines de
l’enseignement, de la protection de la santé et des services sociaux sont des
organisations émanant de la société, en Russie la prépondérance des
établissements publics est caractéristique dans ces secteurs. Selon les
données officielles de l’année 2008, sur 25.287 établissements budgétaires
fédéraux, 9.997 étaient des établissements d’État fournissant des services
publics à des personnes physiques ou morales4. Jusqu’à présent, l’opinion
publique reste réticente à ce que les services soient fournis par des
organisations non publiques au lieu des organes et des établissements
1
Si, jusqu’à la Révolution française les activités d’enseignement et d’assistance ont été placés
sous le patronage de l’Église catholique, de même en Russie et jusqu’à la fin du 19e siècle la
communauté et l’Église orthodoxe ont joué un rôle important dans l’enseignement, l’aide aux
pauvres, les soins médicaux aux malades, etc.
2
NdT : nous traduisons ainsi, dans ce contexte, le mot russe : outchrejdenie, qui peut aussi
s’appliquer à des institutions créées par des personnes privées (Code civil russe, art. 120).
3
Ces dernières années, on a commencé à s’éloigner de cette tradition. Par exemple, si
auparavant, selon la loi, les pharmacies ne pouvaient être que des établissements publics, depuis
2010, elles peuvent être créées sous n’importe quelle forme, commerciale ou non commerciale.
4
Selon l’exposé des motifs du projet de loi fédérale « Sur des amendements à différentes lois
de la Fédération de Russie à propos de l’amélioration du régime juridique des établissements publics
de l’État et des collectivités locales » (SPS KonsultantPlus).
N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ
291
publics de l’État5. Ainsi, par exemple, l’opinion selon laquelle la capacité
limitée par la loi du secteur non étatique en matière d’enseignement, avec
pour seule forme juridique possible la fondation, serait une des garanties
juridiques spéciales du droit à l’éducation inscrit dans la Constitution,
demeure très répandue6.
L’article 53 de la Constitution de la Russie7 garantit un droit particulier
du citoyen, qui ne peut s’appliquer dans les conditions de rapports de droit
privé : c’est le droit à la l’indemnisation du dommage causé par une action
(ou l’inaction) illégale d’un organe du pouvoir d’État ou d’un de ses
fonctionnaires. Ce droit ne s’applique que dans le cas où le service est
délivré par l’État (c’est-à-dire par des agents de l’État, mais, quand les
services sont fournis par des établissements publics de l’État ou des
collectivités locales, ce n’est justement pas le cas (selon la législation russe,
leurs employés ne sont pas des agents de l’État), et il s’applique encore
moins quand le service public est fourni par des personnes privées.
La différence avec l’approche européenne consiste en ce que, si en
Europe le développement d’un système contractuel permettant la délégation
à des sujets de droit privé de la fourniture de services publics (y compris
l’éducation) est courant, en Russie cette pratique se trouve encore en
devenir.
Actuellement, l’un des buts de la politique de l’État visant à attirer les
sujets de droit privé dans les activités de fourniture de services publics est
d’améliorer la qualité de ces services et de répondre au mieux aux intérêts des
citoyens. Ainsi, par exemple, jusqu’en 2012, on prévoit, pour élargir la
diversité des services d’enseignement préscolaire d’autoriser les organisations
de différents régimes de propriété8. Pour atteindre cet objectif, il est
5
Le statut non étatique des organisations, d’après une série de normes juridiques, autorise à
s’éloigner de la responsabilité et du contrôle pour passer à des relations avec les usagers des services
sous un régime de droit privé.
6
M. V. SMIRNOVA, « Конституционное право на образование и гарантии его
реализации в негосударственном общеобразовательном утверждении » [Le droit
constitutionnel à l’éducation et les garanties de sa réalisation dans l’établissement d’enseignement
général non public], Публично-рпавовое иссделования: Ежeгодник Центра публично-правовых
иссделований [Recherches de Droit public. Annuaire du Centre de Recherche de Droit public],
vol. 1, Moscou, 2006.
7
La Cour suprême de la Fédération de Russie inclut aussi cette norme dans le système des
garanties des droits sociaux et juge que la reconnaissance et l’application du droit à l’indemnisation
d’un dommage causé à la santé est un droit inaliénable – une obligation constitutionnelle de la
Fédération de Russie comme État social. Cf : Collège des affaires civiles de la Cour suprême de la
Fédération de Russie, « Généralisation de la pratique judiciaire sur la question de l’indexation de
l’allocation mensuelle pour l’acquisition de produits alimentaires et de l’allocation annuelle pour le
dommage causé à la santé des citoyens ayant souffert des suites de la catastrophe de Tchernobyl »,
Бюллетень Верховного Суда РФ [Bulletin de la Cour suprême], 2008, n° 9.
8
Lettre du Ministre de l’Education et de la Science de Russie du 3 mars 2008, n° 03-369 « Sur
l’orientation de matériaux sur les modèles contemporains d’enseignement général ».
292
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
nécessaire de passer à un système de financement par tête du programme sur
l’enseignement préscolaire qui suppose la possibilité pour des organisations
non publiques fournissant des services d’enseignement préscolaire de
recevoir un financement budgétaire. Il y a une série de stimulants juridiques
correspondants. La législation budgétaire russe prévoit la possibilité
d’attribuer sur les fonds budgétaires des subventions à des personnes
morales qui ne sont pas des établissements publics d’État ou municipaux
mais qui produisent des biens, des travaux, des services et dont l’activité est
liée à l’accomplissement de missions publiques importantes.
Cependant, il y a toujours des décisions de l’État qui s’en tiennent à la
réalisation du principe de l’égalité formelle et qui font obstacle aux objectifs
globaux – le développement des institutions de la société civile capables
d’assumer une partie des obligations de l’État. Ainsi, par exemple, la loi sur
la « monétarisation des avantages sociaux »9 a abrogé la disposition qui
établissait le droit des citoyens à la compensation partielle par l’État des
dépenses engagées pour recevoir l’enseignement général dans des
établissements d’enseignement payants non publics10. À ce qu’il semble,
cette abrogation n’est en rien compatible avec les normes sur le droit des
parents qui s’occupent de l’éducation et de l’enseignement de leurs enfants
mineurs dans la famille à y consacrer des dépenses supplémentaires par
rapport à la dépense que consacre l’État à chaque enfant dans les
établissements scolaires d’État ou municipaux11, et elle a conduit à priver
nombre d’enfants invalides de la possibilité de fréquenter des établissements
non publics mettant en œuvre des programmes d’enseignement adaptés.
L’expérience étrangère témoigne des larges possibilités qui existent
d’utiliser des organismes privés dans le système de prestation des services
sociaux12. Une des dernières réalisations intéressantes : au Danemark, dans
le cadre de la réforme de la fonction publique, est lancé un projet intitulé
« L’État de bien-être universel et de libre choix ». Son but est de donner aux
citoyens la possibilité de choisir entre les services sociaux fournis par l’État
ou par des prestataires privés. Par exemple, à côté des services offerts par les
établissements municipaux, les citoyens danois peuvent profiter des services
de sociétés privées qui assurent la garde de petits enfants, les soins aux
personnes handicapées, l’enseignement des jeunes handicapés etc. (le
service est payé par le budget municipal).
9
Loi fédérale du 22 août 2004, n° 122.
Art. 5, par. 4 de la loi fédérale du 10 juillet 1992, n° 3266-I « Sur l’enseignement ».
11
Art. 40, par. 8 de la loi fédérale « Sur l’enseignement » dans la rédaction de 2004.
12
N. M. ANTIOUCHINA, « Проблемы государственной службы и пути их решения в
Дании » [Les problèmes de la fonction publique au Danemark et les voies de leur solution], Труд за
рубежом [Le Travail à l’étranger], 2008, n° 3.
10
N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ
293
La conception moderne de l’État social et démocratique est un système
politique orienté vers la satisfaction des demandes des citoyens, le service de
l’intérêt public. L’obtention de certains biens de l’État en forme de services
est dans l’intérêt des citoyens. L’État, lié par le système des obligations
internationales et l’ensemble de droits constitutionnellement garantis, a
l’obligation de fournir ces services soit directement, par le système de ses
administrations et établissements, soit par l’organisation de leur prestation
par les structures non-étatiques dans des conditions qui en garantissent des
aspects essentiels (gratuité, accessibilité etc.). De cette caractéristique de
l’État découle dans une large mesure celle des services publics, et si
auparavant ces services étaient fournis des organismes de l’État, puis
transférés à des organismes privés, au cas où la qualité en serait insuffisante
par rapport à ce qu’attendent les citoyens russes, ceux-ci se retourneront de
toute façon vers l’État.
Dans la conception concrète du droit administratif, les services sont des
actions déterminées, des activités quotidiennes des organes de l’État et des
fonctionnaires en rapport avec les personnes physiques ou morales, qui en
reçoivent certains biens. De nos jours, la prestation des services publics par
l’État correspond à la théorie de contrat social, selon laquelle le destinataire
de ces services est la société, le peuple abstrait.
L’implication des organismes privés dans la fourniture des services
publics en Russie est compliquée par la jeunesse relative des travaux
théoriques et scientifiques et par l’existence de nombreux éléments de cette
institution juridique qui ne sont pas réglés par le droit. Si, selon l’Accord
général sur le commerce des services (GATS, Marrakech 15 avril 199413), le
service fourni en exécution des fonctions gouvernementales est n’importe
quel service fourni sur une base non-commerciale et non selon un régime
concurrentiel avec un ou plusieurs fournisseurs (art. I 3b, 3c), ce qui, à côté
des différentes positions doctrinales, tend à simplifier le problème des
particularités des services publics, cela conduit à considérer comme services
publics (les services offerts par l’État) les diverses fonctions de l’État qui
sont exécutées seulement à la demande de personnes physiques ou morales.
Ce point de vue peut, de manière destructive, conduire à organiser
l’implication juridique des personnes privées dans la fourniture des services
publics, de telle sorte que pratiquement toutes les fonctions de l’État
devraient être reconnues comme susceptibles d’être transférées au secteur
privé. Assimiler les services aux fonctions de l’État sans en dégager les
particularités conduit à donner l’extension la plus large des moyens du
pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, mais cela ne prend pas en compte
les acquis de l’expérience européenne et la doctrine juridique russe.
13
General agreement on trade in services.
294
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Actuellement, la conception la plus répandue dans la doctrine russe est
celle proposée par Youri Tikhomirov et Ludmila Terechtchenko14, selon
laquelle les services publics forment un système comprenant deux soussystèmes - les services d’État et les services sociaux. La spécificité des
premiers est qu’ils sont fournis par les administrations ; les seconds peuvent
en revanche être fournis non seulement par les administrations (alors ils sont
réglementés comme services d’État), mais aussi par des établissements
publics de l’État et des collectivités locales. Selon nous, seuls quelques
exemples de services sociaux peuvent être considérés comme des services
d’État et, en conséquence, être fournis selon les règles fixées par les
règlements administratifs.
Compte tenu de cette conception, on définit la notion de « services
publics » comme l’aspect de l’activité des pouvoirs publics visant à la
satisfaction de besoins sociaux importants de la population liés à l’accès à
des biens constitutionnellement déterminés et à leur usage15.
La Constitution de la Fédération de Russie ne mentionne pas les
services publics comme la fonction particulière de l’État. Le terme
« services » est utilisé dans un sens étroit comme un élément des rapports
économiques (l’article 8 garantit la libre circulation des services, l’article 74
prévoit que des restrictions à la circulation des biens et des services peuvent
être introduites, conformément à la loi fédérale, si c’est nécessaire pour
assurer la sécurité, la protection de la vie et de la santé des personnes, la
protection de la nature et des valeurs culturelles). Les obligations de l’État
relatives à la fourniture des services publics découlent des droits des citoyens
fixés par la Constitution : le droit de l’assistance médicale gratuite dans les
établissements publics de santé de l’État et des collectivités locales (art. 41), le
droit à l’enseignement préscolaire, à l’enseignement général et à
l’enseignement professionnel moyen à titre gratuit, ainsi qu’à l’enseignement
supérieur (sur concours) à titre gratuit dans les établissements publics
d’enseignement de l’État et des collectivités locales et dans les entreprises
(art. 43), le droit d’usage des établissements culturels (art. 44).
La participation d’organismes ne relevant pas de l’État à l’offre de
services publics est aussi prévue par la Constitution : l’article 39.3 indique
que l’État encourage la création d’assurances sociales volontaires et de
régimes complémentaires de sécurité sociale et d’assistance, l’article 41.2
14
V. par ex. L. K. TERECHTCHENKO, « Функция государственных услуг » [La fonction
des services d’État], p. 79, in Административная реформа в России: Научно-практическое
пособие [La réforme administrative en Russie. Guide scientifique et pratique], Moscou, 2006.
15
N. S BONDAR, Местное самоуправление и конституционное правосудие:
конституционализация муниципальной демократии в России [Les collectivités locales et la
justice constitutionnelle : la constitutionnalisation de la démocratie locale en Russie], Мoscou, Ed.
Norma, 2008.
N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ
295
prévoit que des mesures sont prises pour le développement de systèmes
municipaux et privés de protection de la santé, d’encouragement de
l’activité contribuant au renforcement de la santé de l’homme, le
développement de la culture physique et du sport.
La plus grande part des services publics du domaine social est fournie
par les établissements publics municipaux. Ainsi, selon le Rapport de l’État
sur l’état de santé de la population de la Fédération de Russie en 2006,
préparé par le Ministère fédéral de la Santé publique et du Développement
social et l’Académie russe des sciences médicales, les établissements
relevant des organes d’État de la Fédération reçoivent 1,6% du nombre total
des visites, les établissements relevant des organes d’État des sujets de la
Fédération 23,0%, et les établissements des collectivités locales 75,4. En ce
qui concerne les soins ambulatoires, les établissements relevant des
collectivités locales accueillent 89,7% des visites.
Pour que des organismes privés s’engagent dans des activités qui ont le
caractère de missions publiques (y compris la fourniture de services
publics), il ne suffit pas de stimuler la participation d’organismes ne relevant
pas de l’État dans l’exécution de missions importantes d’intérêt général. À la
différence de l’expérience européenne, où il est recommandé aux sujets de
droit public de se tourner vers l’extérieur si leurs possibilités et leurs
ressources ne sont pas suffisantes ; la législation russe ne contient aucune
disposition indiquant dans quels cas les pouvoirs publics peuvent se tourner
vers les personnes privées et à quel point il est nécessaire de le faire.
Pour quels motifs les personnes privées réclameraient-elles plus
activement une participation à l’offre de services publics, et quelles
initiatives juridiques pourraient-elles leur en donner la capacité ? Du côté de
l’État, il existe plusieurs motifs, qui découlent tous de la reconnaissance du
fait qu’une partie des services publics sont assurés par l’État sous la forme
de ses organes et de ses établissements publics de manière autonome, et que
l’État en impose ou stimule l’exécution par d’autres sujets. La question du
choix des méthodes pour inciter des organismes privés à dispenser des
services publics (et à en décharger en même temps l’État) est d’une extrême
importance. Sa solution dépend des bases constitutionnelles des relations
réciproques de l’État et de la société civile. Dans un État de droit
démocratique la motivation des personnes privées ne peut reposer que sur la
coopération, des relations réciproques entre les deux parties. L’étude des
raisons et des conséquences de la participation des personnes privées à
l’offre de services publics est caractéristique de la pensée juridique d’une
série de pays européens. En particulier, les auteurs allemands16 ont porté
16
E. FORSTHOFF, Rechtsfragen der leistenden Verwaltung [Questions juridiques de
l’administration de prestation], Stuttgart, 1959 ; F. SCHOCH, « Privatisierung von
Verwaltungsaufgaben » [La privatisation des missions administratives], Deutsches Verwaltungsblatt
296
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
leur attention sur la question de l’insuffisance des ressources du droit
administratif pour les questions relatives à la fourniture des services publics
en relation avec une gestion positive de celles-ci. Dans les recherches
menées en Russie, on remarque qu’en cas d’insuffisance du financement
budgétaire, la qualité des services diminue dans les établissements publics
de l’État, tandis que les organismes qui ne relèvent pas de l’État se
différencient par l’efficacité financière, la rapidité de réponse aux
problèmes, un niveau élevé de responsabilité.
2. Les procédés juridiques
Actuellement, il existe toute une série de mesures différentes que l’on
peut considérer comme des éléments d’un mécanisme tendant à inclure les
personnes privées dans la fourniture des services publics (services d’État).
Comme on l’a remarqué plus haut, les organismes privés peuvent être
impliqués dans la fourniture de services publics, ou bien par voie d’autorité
(par un acte administratif unilatéral conférant des droits et des obligations),
ou par la voie contractuelle. Dans ce dernier cas, on admet généralement,
dans la doctrine européenne et dans la doctrine russe, que la participation
des organismes ne relevant pas de l’État à la fourniture des services publics
constitue un partenariat public-privé.
Si l’on fait abstraction de quelques différences entre la participation des
personnes privées à la fourniture des services d’État et la participation
d’organismes ne relevant pas de l’État, on peut distinguer les instruments
juridiques suivants :
1. Les procédés d’autorité
Malgré l’intérêt marqué des études juridiques pour les instruments
contractuels par lesquels des sujets de droit privé sont amenés à dispenser
des services publics, ce sont les instruments législatifs et réglementaires qui
demeurent prédominant à l’étape actuelle (ou à son début) pour organiser la
participation de structures ne relevant pas de l’État à la fourniture des
services publics.
Au niveau fédéral, en dehors des normes constitutionnelles déjà
évoquées, les rapports juridiques relatifs à la fourniture de services publics
par des organismes privés bénéficient de garanties. Ainsi, selon la loi
fédérale « Sur l’enseignement », on peut créer des établissements
d’enseignement qui ne relèvent pas de l’État ; en outre, leur forme juridique,
prévue par la législation civile, doit être, comme pour les établissements
publics, de nature non commerciale. Suivant la loi de Saint-Pétersbourg du
24 janvier 2008, n° 710 « Sur l’assistance juridique gratuite à différentes
1994, p. 109.
N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ
297
catégories de citoyens à Saint-Pétersbourg », plusieurs catégories de
citoyens peuvent bénéficier de consultations juridiques gratuites ; elle porte
sur la rédaction de demandes, plaintes, requêtes et d’autres documents de
caractère juridique, la représentation des intérêts de ces citoyens en justice,
et dans les procédures d’exécution, dans les organes du pouvoir d’État, les
organes des collectivités locales, les associations et autres organisations. Ce
service est fourni par des organisations choisies sur la base d’un appel
d’offres et financé par le budget de Saint-Pétersbourg.
2. Les instruments contractuels
À la différence de la pratique européenne, où, selon la directive du
Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 (n° 2004/28), le
partenariat public-privé est compris de manière étroite, seulement dans le
cadre d’une catégorie de contrat (le contrat de concession), on en donne en
Russie une définition plus large. Le partenariat public-privé représente une
tentative de l’État d’utiliser le potentiel diversifié (financier, intellectuel et
de gestion) du secteur privé pour améliorer la qualité des services rendus, la
responsabilité qui incombe aux organes de l’État et aux établissements
publics à l’égard de ces services.
L’instrument le plus important parmi les instruments contractuels
permettant de confier à des organismes privés la fourniture de services
publics est le contrat de concession. Il est aujourd’hui caractéristique d’une
série d’organes du pouvoir d’État de disposer des pouvoirs correspondants.
Par exemple, le Département du domaine de la ville de Moscou (selon le
paragraphe 2.2.74 de l’arrêté du gouvernement de la ville de Moscou du
1er avril 2009, n° 255 « Sur l’approbation du règlement sur le Département
du domaine de la ville de Moscou ») conclut les accords de concession
intéressant les biens de la ville de Moscou, ainsi que d’autres contrats dans
le domaine des partenariats public-privé. De même, il est prévu, sur le plan
juridique, la possibilité d’utiliser les biens d’établissements publics qui sont
la propriété de la ville de Moscou pour la conclusion de contrats de
concession comportant la participation d’organismes privés.
Les accords de concession peuvent voir, en matière de fourniture de
services publics, quelques particularités positives. On note justement, dans
la littérature juridique, que les organismes privés ne sont pas intéressés à
porter la responsabilité pour les risques de la gestion de biens qui demeurent
dans la propriété des organes des pouvoirs publics17. Cependant, dans le
domaine social (éducation, santé, culture, services sociaux), ce n’est pas tant
17
A. V. CHIROKOV, « Административный договор как форма регулирования
государственно-частных партнерств » [Le contrat administratif comme mode de fixation des
règles des partenariats public-privé], Административное и муниципальное право [Droit
administratif et municipal], 2008, n° 12.
298
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
la propriété que les services collectifs qui sont dispensés ; c’est pourquoi le
degré de risque « matériel » est réduit.
L’engagement de fournisseurs privés dans le système de distribution
des biens publics, leur participation à l’exécution des services publics est
liée au processus de commercialisation des services sociaux : éducation,
santé, assistance. Il n’est pas rare que les gouvernements fassent pression sur
les administrations municipales pour qu’elles transfèrent les fonctions et
même les établissements d’enseignement, de soins et autres à des sociétés
privées, modifiant ainsi l’organisation de l’enseignement et de la protection
de la santé : pour la gestion de ces systèmes, il n’est déjà plus besoin
d’organes d’État, qui laissent la place à des sociétés privées. De tels
processus posent des questions sur le futur de l’État providence et la
croissance des dépenses de sous-traitance et de consultance de l’État
témoigne de la tendance à la perte de compétences de l’État dans les
domaines transférés18.
Déjà aujourd’hui, à la suite des initiatives législatives visant à délimiter
les fonctions à l’achat et à la fourniture de services, à transférer des pouvoirs
des collectivités locales qui, au lieu de gérer directement les services,
garantiront l’offre des services nécessaires aux consommateurs, la part du
secteur privé et social dans le volume total des services offerts a augmenté et
le secteur public a perdu son monopole pour l’offre de services d’ordre
social à la population (si en 1990, pratiquement la totalité des services à
l’enfance et aux adultes en établissement était dispensée par le secteur
public, en 2006 la part du secteur privé atteignait 92%, celle du secteur
social 7% et celle de l’État 1%)19.
Parmi les instruments juridiques généraux existants pour faire appel à la
participation des personnes privées dans la fourniture des services publics,
on peut distinguer :
a) Les instruments de la commande publique
La Loi fédérale du 21 juillet 2005, n° 94 « Sur les marchés publics de
fournitures, de travaux et de services de l’État et des collectivités locales»
établit un régime juridique uniforme applicable aux personnes privées qui
fournissent des services aux organes et établissements publics de l’État et
18
C. CROUCH, Постдемократия [Post-democracy], traduit de l’anglais par N. V.
EDELMAN, Moscou, 2010, pp. 13-14 et 60-61 – édition originale Cambridge, Polity Press, 2004.
19
I. GUYSBERRTS, « Практика социального подряда (коммишининга) и прямых
выплат в Великобритании и Нидерландах » [La pratique du contrat de service social et du
paiement direct en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas], in Система реабилитационных услуг для
людей с ограниченными возможностями в Российской Федерации [Le système des services de
rééducation pour les personnes handicapées en Fédération de Russie], Ежеквартальный
бюллетень [Bulletin trimestriel], avril 2008, n° 2, p. 47.
N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ
299
des collectivités locales. Il existe actuellement deux approches dans la
doctrine russe sur la conception de cette institution. Pour une partie des
auteurs, les questions juridiques relatives à la commande publique se
rattachent au droit administratif puisque la passation de la commande d’État
est un ensemble d’actes d’administration liés entre eux, ainsi que d’actions
administratives juridiquement importantes, effectuées au nom d’autorités
publiques et territoriales20. Mais, selon le point de vue le plus répandu, la
passation de la commande d’État (ou municipale) relève de rapports de droit
civil, régis par les normes de droit privé. Cette position se fonde sur
l’interprétation littérale de l’article 2 de la loi précitée : la législation de la
Fédération de Russie sur la passation des marchés publics se fonde sur les
dispositions du Code civil de la Fédération de Russie ; la passation des
marchés publics est réglée exclusivement par la loi fédérale et n’appelle
aucune disposition législative ou réglementaire complémentaire de la part
des sujets de la Fédération. Cette exclusivité de la législation fédérale est
typique de la législation civile21 et non de la législation administrative.
Nous croyons qu’on peut considérer la commande d’État comme l’un
des moyens permettant aux organismes privées de participer à la fourniture
des services publics par les organes et les établissements publics de l’État et
des collectivités locales. Par exemple, si à la suite de l’appel d’offres un
organisme privé remporte le marché de la livraison des produits alimentaires
pour les écoles de la ville ou le marché du nettoyage des établissements
d’enseignement, de soins ou d’aide sociale du territoire, on peut considérer
les services rendus à cet organisme comme publics, puisque, d’une part, ces
services sont de la responsabilité des collectivités locales, et, d’autre part,
l’existence d’un intérêt public ne fait aucun doute.
Le recours au secteur privé pour fournir les services publics comprend
l’ensemble des normes visant à couvrir les besoins en biens et en services
que peinent à assurer les organes d’État de la Fédération de Russie et les
organes des collectivités locales, de même que le statut particulier, fixé par
la loi, de l’établissement public budgétaire, lequel incarne l’État dans son
secteur22.
Les textes ne contiennent pas toujours une disposition spéciale
déterminante s’il est permis de faire appel à des personnes privées pour
20
M. KOUDILINSKI, « Государственный контракт: проблемы правоприменения » [Le
contrat passé par l’État : problèmes d’application du droit], p. 109, in E. GRITSENKO /
E. BABELIOUK (dir.), Договор в публичном праве: Сборник научных статей [Le contrat dans
le droit public. Recueil d’articles], Moscou, Walters Kluwer, 2009.
21
NdT : comme compétence exclusive du législateur fédéral (Constitution fédérale : art. 71,o),
la législation civile est entendue dans un sens étroit : en effet, la législation sur la famille, sur le
régime foncier, sur le travail, sur le logement relève du domaine de la compétence commune de la
Fédération et des sujets de la Fédération (art. 72,k).
22
Ibid. p. 112.
300
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
dispenser des services publics (étant entendu que l’on doit utiliser la
procédure de marchés publics), mais c’est le cas la plupart du temps. Ainsi,
les services communaux23 (distribution d’eau froide et chaude,
assainissement, distribution d’électricité et de gaz, chauffage, nécessaires
pour assurer des conditions de vie confortables aux citoyens dans leurs
logements) peuvent être assurés par différents types de prestataires. Parmi
eux : des personnes morales indépendamment de leur nature juridique, ainsi
que des entreprises individuelles, fournissent des services communaux,
produisent ou acquièrent des ressources communales et garantissent le
service de maintenance des installations techniques à l’intérieur des
immeubles par lesquelles les consommateurs reçoivent les services ; des
organismes administratifs ; des syndicats de copropriétaires ; des
coopératives de construction, des coopératives de logement ou d’autres
coopératives spécialisées de consommation, ou d’autres organismes.
b) Les régimes législatifs particuliers de participation d’organismes ne
relevant pas de l’État à la fourniture de services publics
Des contrats peuvent être conclus directement avec des organismes
privés (en dehors du régime des marchés publics) pour l’exécution de
certaines fonctions de l’État. Actuellement, le recours à des contrats
d’entreprise connaît une grande extension dans les pays de l’Union
européenne pour l’organisation des services sociaux ; on entend par contrat
d’entreprise sociale le choix, la garantie et le contrôle du fournisseur des
services qui sont nécessaires à la satisfaction des besoins les plus importants
de la population, les fournisseurs pouvant être aussi bien des organes du
pouvoir exécutif ou différents établissements publics, que des organismes
privés ou sociaux. Dans certains cas, on renonce à la procédure d’appel
d’offres pour la fourniture de services aux personnes handicapées et on a
recours à un système de certification des prestataires, sur la base duquel on
passe des contrats au terme d’une procédure d’adjudication.
Les organes du pouvoir d’État passent, après les procédures d’appel
d’offres, des contrats avec des organismes privés pour l’exécution par ces
derniers de certaines activités pour lesquelles il n’est pas prévu de paiement
direct par l’État. De tels contrats, passés en dehors du régime des marchés
publics, sont rares. Par exemple, l’Inspection d’État de la sécurité routière a
passé des contrats avec des personnes morales et des entrepreneurs
individuels pour effectuer le contrôle technique des véhicules soumis à cette
obligation par l’État. Selon la décision de la Cour Suprême de la Fédération
de Russie du 25 janvier 2007 n° GKPI06-1623 l’appel d’offres pour la
23
Selon l’arrêté du Gouvernement de la Fédération de Russie du 23 mai 2006, n° 307 « Sur
les modalités de fourniture des services communaux aux citoyens ».
N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ
301
participation au contrôle technique des véhicules ne relève pas de la
procédure des marchés publics, dans la mesure où le contrôle technique est
financé, non pas sur le budget de l’État, mais aux frais du propriétaire du
véhicule.
Le Code des douanes prévoit la participation d’organismes ne relevant
pas de l’État aux « affaires douanières », c’est-à-dire l’ensemble des
méthodes et des moyens visant à assurer le respect des dispositions relatives
aux tarifs douaniers, aux interdictions et restrictions qui s’appliquent au
mouvement des marchandises et des véhicules par la frontière douanière.
Ainsi, l’article 18 établit que l’activité de personnes morales comme
transporteurs douaniers, propriétaires de magasins d’entrepôt temporaire,
propriétaires d’entrepôts douaniers et de transitaires en douane est admise
sous la condition de leur inscription dans le registre correspondant à leur
activité.
c) L’externalisation comme le moyen de l’optimisation du système des
compétences des organes d’État
L’externalisation est prévue par le Concept de l’introduction de la
réforme administrative en Fédération de Russie 2006-2010. L’externalisation
signifie que des catégories déterminées d’activité sont soustraites au cadre des
compétences des organes du pouvoir exécutif au moyen de contrats conclus
avec des prestataires extérieurs. Le Concept part de l’idée que l’absence
d’expérience de l’externalisation fait souvent obstacle à l’augmentation de
l’efficacité dans le fonctionnement de l’administration et la gestion
(notamment en ce qui concerne la mise en œuvre des nouvelles technologies
de l’information, la gestion des bâtiments et des constructions des
administrations, l’organisation du choix du personnel d’encadrement, les
services de télécommunication, la comptabilité financière).
L’expérience mondiale montre que l’externalisation permet d’augmenter
l’efficacité du fonctionnement de l’administration, de contrôler plus
effectivement les dépenses, de concentrer l’attention des administrations sur
leur activité principale, d’augmenter la qualité des services, de faciliter l’accès
aux nouvelles technologies, de réduire les dépenses en capital, de réduire les
effectifs ce qui conduit à une économie substantielle de moyens budgétaires.
L’externalisation est un moyen de répartir les responsabilités, de telle
sorte que l’exécution directe des services publics est de la compétence de
sujets du droit privé, tandis que la responsabilité de garantir ces services
reste entre les mains de l’État.
Il en découle plusieurs problèmes : 1) comment déterminer les limites
de l’externalisation, la liste des compétences qui peuvent être externalisées,
dans la mesure où tout ceci matérialise la crainte de la société russe de
« l’abandon par l’État des fonctions sociales », 2) comment assurer la
302
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
qualité des services réalisés par les structures privées, 3) comment assurer la
protection des droits et des intérêts des citoyens face aux entreprises de
services publics et assurer la responsabilité de celles-ci si le service est
défectueux (ou tardif).
Comme le remarque justement E. Talapina, le statut non-étatique de
l’organisation (en forme de société commerciale ou d’organisme noncommercial), permet plus facilement de se dérober à la responsabilité et au
contrôle, en faisant passer dans le droit privé les relations avec les usagers.
En outre la responsabilité subsidiaire de l’État disparaît vis-à-vis des
services publics assurés par des organismes ne relevant pas de l’État24. Mais
les garanties de l’État, la réglementation et le contrôle dans ces domaines
doivent exister et c’est déjà le rôle de la législation. En effet, selon l’article
126.3 de Code Civil de la Fédération de Russie, la Fédération de Russie, les
sujets de la Fédération, les collectivités locales ne répondent pas des dettes
des personnes civiles créées par eux, sauf dans les cas prévus par la loi.
Actuellement, il n’existe aucune disposition établissant des règles
uniformes sur l’externalisation de services publics et les critères qui la
rendraient nécessaire25. Cependant, on peut en trouver des exemples au
niveau des organismes de gestion. La décision de la Société des chemins de
fer russes du 31 octobre 2006, n° 2164r « Sur le recours à l’externalisation du
réseau dans la Société anonyme ouverte Les Chemins de fer russes » établit
ainsi les buts de l’externalisation pour le réseau, ainsi que les motifs du
recours à l’externalisation pour certaines activités. Leur analyse montre que
les facteurs principaux de l’externalisation de certaines activités sont des
motifs économiques.
Malgré de nombreux problèmes non résolus au niveau doctrinal et les
lacunes du cadre juridique, l’externalisation a pris place dans le système
d’enseignement. L’Agence fédérale de la science et de l’innovation a
recours à l’externalisation pour réaliser l’expertise scientifique des
programmes et des projets, pour l’élaboration de divers documents
d’orientation politique, pour la création d’un système centralisé de comptes
de résultats des activités scientifiques et techniques, l’organisation de
multiples expositions, etc.
Peut-on utiliser de semblables arguments d’ordre économique pour
l’externalisation des services sociaux ? Il semble que, pour le moment,
l’avantage économique pour l’État de la transmission massive de services
publics à des structures privées s’accompagne, non seulement d’une baisse
24
E. TALAPINA, « О новых институтах административного права » [Des institutions
nouvelles du droit administratif], Государство и право [L’État et le droit], 2006, n° 5, pp. 15-16.
25
C’est encore le cas dans la loi fédérale « Sur les principes généraux de l’organisation de
l’octroi des services d’État (ou municipaux) et l’exécution des fonctions d’État (ou municipales) »
n° 210 du 27 juillet 2010, préc.
N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ
303
de la qualité des services, mais aussi d’une augmentation substantielle des
dépenses de la population (cofinancement des services par le budget de
l’État).
La gestion des services publics par des structures privées n’est pas
toujours moins coûteuse que le financement budgétaire de ces activités par
l’organe d’État ou l’établissement public de l’État et de la collectivité locale.
Les besoins de la population dans le domaine des services sociaux excèdent
de beaucoup les possibilités de l’État et des collectivités locales d’y
répondre ; mais ils ne correspondent pas non plus aux services de ce type
proposés par les structures privées. Le marché des services sociaux est
présenté principalement par les fournisseurs d’État et municipaux ; le
secteur privé concurrentiel en est absent. Cependant, en supprimant
certaines obligations des organes du pouvoir d’État et des collectivités
locales, l’État force les citoyens à rechercher des fournisseurs privés des
services dont ils ont besoin.
Dans les recherches sur les problèmes de l’externalisation chez les
exploitants, on se demande souvent si, avec l’externalisation, on peut refuser
les activités qui ne sont pas propres à la mission qui est assumée. Cette
proposition est-elle applicable à l’externalisation des services publics ? Si on
part de l’idée que les organes de l’État peuvent entrer dans des rapports de
droit privé où, par l’objet du contrat, la réalisation des travaux, la fourniture
des services, seront assurés selon les dispositions du chapitre 37 (contrat
d’entreprise) et du chapitre 39 (services fournis à titre onéreux), alors la
réponse est sans aucun doute positive.
3. La création d’organisations spéciales de l’État – les « agences »
pour la fourniture (parfois l’organisation de la fourniture) de services
publics
La pratique de la création par les organes publics de sujets du droit
privé se passe principalement par la création d’établissements budgétaires et
autonomes. Cependant ces établissements ne font pas partie du système
d’enseignement privé, ni du système de santé privé etc. C’est la différence
entre la pratique russe et les pratiques étrangères. On appelle ainsi dans la
littérature allemande « privatisation formelle » la création par
l’administration publique d’une personne morale du droit privé et la
transmission à celle-ci de la fonction de fournir un type déterminé de
services publics26.
26
F. SCHOCH, « Privatisierung von Verwaltungsaufgaben » [La privatisation des missions de
l’administration], Deutsches Verwaltungsblatt 1994, n° 109, pp. 962-963.
304
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
Comme les auteurs allemands27 le remarquent, le recours aux formes
juridiques du droit privé s’explique par l’absence dans le droit administratif
de formes juridiques propres à l’activité positive de fourniture directe par
l’État de biens divers aux citoyens. En même temps, pendant la période
soviétique la fourniture de l’ensemble immense des services sociaux était
réglée par les normes du droit administratif. Les processus de redistribution
des biens publics étaient alors réglés par les normes du droit public
pratiquement à toutes leurs étapes : du niveau macroéconomique (Plan
d’État) jusqu’aux rapports de droit concrets (l’accès du citoyen aux services
publics, la surface habitable, etc.).
La reconnaissance de la possibilité pour l’État d’utiliser les formes du
droit privé pour la réalisation des missions de l’administration est
prédominante, mais ce n’est pas la seule position. D’autres auteurs critiquent
cette possibilité, et certains excluent même que l’administration puissent
choisir entre la gestion publique et la gestion privée d’une activité28. Le libre
choix par l’administration du régime juridique sous lequel elle va placer la
gestion d’une activité (droit public ou droit privé) et, par voie de
conséquence, ses effets juridiques, peut conduire à des abus si
l’administration est tentée de choisir la solution la plus favorable pour elle
plutôt que pour le citoyen29.
La fourniture de services dans le cadre des CPS (Centres polyvalents de
services d’État et municipaux), auxquels participent plusieurs organes du
pouvoir d’État ainsi que d’autres organismes (le plus souvent sous la forme
d’établissement public), se distingue par cette particularité importante de la
diversité des statuts juridiques des participants à la fourniture des services, la
valeur juridique différente de leurs décisions, etc.
Les services publics de la sphère sociale pour les différentes catégories
de citoyens et de personnes forment des chaînes d’actions déterminées qui,
par la force de leur caractère subjectif, doivent être rassemblées en un seul
lieu. On peut alors pleinement appliquer le principe du « guichet unique »,
qui est mis en œuvre dans les États étrangers dans les relations avec les
27
L. A. MITSKEVITCH, Основы административного права Германии [Les fondements
du droit administratif de l’Allemagne], Krasnoïarsk, 2002, p. 25.
28
F. OSSENBÜHL, « Öffentliches Recht und Privatrecht in der Leistungsverwaltung » [Droit
public et droit privé dans l’administration de prestation], Veröffentlichungen des Verbands der
deutschen Staatsrechtslehrer (VVDStRL), vol. 29 (1974), p. 541 ; F. ZEZSCHWITZ,
« Rechtsstaatliche und prozessuale Probleme des Verwaltungsprivatrechts » [Problèmes de droit
public et processuels du droit privé de l’administration], Neue Juristische Wochenschrift 1983,
p. 1875 ; M. ZULEEG, « Die Anwendungsbereiche des öffentlichen Rechts und des Privatrechts »
[Les domaines d’application du droit public et du droit privé], Verwaltungsarchiv 1982, p. 397.
29
D. EHLERS, « Die Handlungsformen bei der Vergabe von Wirtschaftssubventionen » [Les
modalités d’attribution des subventions à l’économie], Verwaltungsarchiv 1983, p. 112.
N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ
305
activités commerciales, comme la possibilité de satisfaire tous les besoins
des clients dans le cadre d’un ensemble déterminé de biens et de services.
Pour résoudre la question de la fourniture des services sociaux, la
Conception du développement économique et social à long terme de la
Fédération de Russie jusqu’en 202030 prévoit le développement des centres
publics d’information juridique, sociale et d’affaires créés sur la base des
bibliothèques régionales et municipales, la formation d’un réseau
d’ensembles culturels polyvalents (des établissements publics, réunissant en
leur sein le club, la bibliothèque, le musée, la galerie, l’enseignement
artistique, etc.), l’augmentation de la quantité de systèmes universels
ambulants (les autoclubs, les appareils de projection et les centres
polyvalents culturels et de loisirs ambulants).
L’État refuse totalement l’exécution par les organes de l’État (ou les
établissements publics qui en relèvent) des fonctions qui se rapportent à des
services qui sont dispensés sous un régime de droit civil. La délégation de
fonctions à des opérateurs sur le marché répondant aux conditions fixées par
la loi et sous le contrôle de l’État, est nécessaire au cas où ces fonctions
visent un cercle indéterminé de personnes, ne comportent pas l’exercice de
prérogatives de puissance publique et peuvent être réalisées plus
efficacement par ces opérateurs. La certification de leur compétence
particulière est alors nécessaire. À titre d’exemples de telles fonctions, on
peut citer les contrôles de conformité, la certification, des examens de
laboratoire, des études, des expertises, des procédures d’attestation et
d’accréditation, des examens etc.
Les fonctions typiques remises aux organisations professionnelles31
sont le contrôle de la compétence professionnelles des opérateurs
(attestation, certification, les examens de qualification), le contrôle des
opérateurs (contrôle de la qualité des services fournis et de l’observation des
standards de l’activité), la production de standards de qualité des services
fournis, la création de systèmes de préparation, de reconversion et de
formation continue des spécialistes dans ensembles déterminés de rapports
juridiques.
Les organisations professionnelles ne participent pas elles-mêmes à la
fourniture des services publics, mais leur activité est un facteur important
d’élévation de la qualité des services offerts à la population. La loi fédérale
du 1er décembre 2007, n° 315 « Sur les organisations professionnelles »
établit qu’elles se caractérisent par des activités autonomes et des initiatives,
30
Approuvée par la décision du Gouvernement de la Fédération de Russie du 17 novembre
2008, n° 1662-r.
31
NdT : le texte russe utilise l’expression : « autoréglementé » (саморегулируемый) ; il vise
en fait les attributions exercées par des organisations professionnelles (corporatives) envers leurs
membres.
306
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
poursuivies par les entreprises et les professionnels, qui comportent
l’élaboration et l’établissement de standards et de règles professionnelles,
ainsi que le contrôle du respect de celles-ci.
Le faible niveau d’activité et le manque d’intérêt des organismes privés
pour la fourniture de services sociaux expliquent le fait que, dans les
conditions juridiques actuelles de la participation du secteur privé à l’offre
de services publics, seul un nombre insignifiant d’organismes privés se sont
engagés dans ce type d’activité32. Le but des entreprises privées est de
dégager un profit, ce qui ne correspond pas à la nature des services sociaux,
qui sont des services offert à titre gratuit ou avec seulement un paiement
partiel. Sans une réelle pression extérieure, le secteur privé ne s’engagera
pas dans des projets qui consomment des ressources importantes et
apparaissent comme potentiellement peu rentables. On le voit avec
l’exemple des jardins d’enfants : le besoin est évident et la population
n’exclut pas de payer un prix raisonnable dans des jardins d’enfants privés,
mais ceux-ci n’existent pas ou le coût en est prohibitif. En 2009, le coût
mensuel de l’accueil en jardin d’enfants était de 40 euros environ dans les
structures communales, mais de 200 euros dans les structures non publiques,
bien que cela puisse atteindre 1000 euros dans des jardins d’enfants privés à
Moscou (sans parler des établissements « élitistes »)33. Dans les zones
rurales, il existe un besoin encore plus aigu, celui de garantir aux habitants
des zones rurales la réception des médicaments ; le réseau des pharmacies
d’État de la période soviétique est détruit, mais aucun pharmacien privé ne
s’installe au village. L’État est donc obligé d’ « inventer » certaines
solutions pour garantir aux habitants des villages les services médicaux et
pharmaceutiques. En effet, il est du devoir de l’État de garantir l’accès aux
services qui conditionnent la réalisation des droits sociaux des citoyens fixés
et garantis par la Constitution de la Fédération de Russie et par les normes
du droit international.
Ayant reconnu la nécessité et l’existence de relations entre le public et
le privé pour la fourniture des services d’État, on doit remarquer qu’il existe
quelques problèmes non résolus de la recherche théorique et appliquée, dont
ceux qui concernent l’application du droit. Parmi ceux-ci : le choix des
méthodes de réglementation des relations entre l’État et les organismes
privés dans la fourniture des services publics ; l’absence d’une liste des
services publics qui peuvent être confiés à des organismes privés ; la maigre
32
Selon les données de l’Agence russe de l’enseignement (Rosobrazovania), en 2008, il
existait au total 697 établissements d’enseignement ne relevant pas de l’État, et aucun dans une série
de sujets de la Fédération (par exemple la République de Kalmoukie, la République de Mordovie, la
région de Tambov, etc.).
33
Образование в цифрах:2010 [L’éducation en chiffres 2010], Moscou, École Supérieure
d’Économie – Université d’État, p. 23.
N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ
307
utilisation des moyens juridiques de coordination et d’incitation visant le
secteur privé ; l’inefficacité de ces moyens ; l’absence d’orientations
prioritaires en ce qui concerne le recours au secteur privé dans le domaine
de la fourniture des services publics ; l’amélioration du système de la
commande publique (de l’État ou des collectivités locales) par une
différenciation des types de commande ; l’amélioration de la législation sur
le régime des missions de l’État ou des collectivités locales ; la nécessité de
régimes administratifs uniformes, comme les attestations et les
accréditations.
L’inégalité de situation juridique entre les organismes privés et
organismes publics participant à la fourniture des services les plus
importants financés par le budget n’est pas éliminée. Par exemple, selon
l’ordre du Ministère de la Santé publique et du Développement social du
16 janvier 2008, n° 11, le paiement des services d’assistance médicale
offerts aux femmes pendant la grossesse, pour l’accouchement, et après la
naissance, ainsi que le suivi médical préventif en dispensaire des enfants
jusqu’à l’âge de 3 mois n’est pas pris en charge dans tous les établissements
de soins (en dehors des établissements de l’État ou des collectivités locales),
mais seulement dans ceux qui ont passé un marché public conformément à
la loi avec l’État ou la collectivité locale.
Pendant ce temps, on observe différents changements dans la
législation, ayant pour objectif de placer les organismes privés sur un pied
d’égalité avec les établissements de l’État ou des collectivités locales pour
l’offre de services publics. L’article 52 de la loi fédérale sur l’enseignement
qui prévoyait la compensation par l’État de la part familiale des frais du
jardin d’enfants ne s’appliquait pas lorsque l’enfant fréquentait un jardin
d’enfants privé34. Cependant, depuis l’adoption de la loi fédérale du
17 juillet 2009, n° 148, qui amende la loi sur l’enseignement, le régime de la
compensation par l’État est étendu à tous les établissements scolaires qui
suivent le programme d’enseignement général.
Les organismes privés peuvent être créés sous diverses formes
juridiques, telles que l’association, l’établissement, la fondation, la société,
le contrat entre partenaires et poursuivent leurs activités dans les domaines
sociaux, de l’environnement, de l’enseignement, de la vie civique et d’autres
domaines de la vie sociale, ce qui rend possible et nécessaire leur
participation à tous les secteurs de la politique sociale : aujourd’hui, les
domaines les plus importants de l’activité des organismes privés à but non
34
S. V. VASSILEVA, « « Нижние этажи » демократии: правовые формы участия
некоммерческих неправительственных организаций в управлении делами государства » [Les
étages inférieurs de la démocratie : les formes juridiques de la participation des organismes non
gouvernementaux à but non lucratif à la gestion des affaires de l’État], Конституционное и
муниципальное право [Droit constitutionnel et municipal] 2009, n° 1.
308
LES PROCÉDURES ADMINISTRATIVES ET LE CONTRÔLE
lucratif sont l’enseignement et la science (32%), la culture et le sport
(27%)35.
3. Conclusion
Étant admise la nécessité de la coopération entre l’État et les
organisations privées pour assurer la fourniture des services publics, il faut
reconnaître l’existence de quelques problèmes théoriques et pratiques encore
non résolus :
- L’utilisation des divers modes de réglementation juridique de cette
coopération. Un groupe d’auteurs incline à ce que l’administration d’État
doit être réalisée dans les formes publiques. Un autre groupe d’auteurs
reconnaît la possibilité de la réalisation de l’administration d’État au moyen
de formes de droit privé. T. Khabrieva, A. Nozdratchev et J. Tikhomirov
remarquent la possibilité des différentes variantes pour régler les relations
entre les organes du pouvoir exécutif (les administrations ou les
organisations autorisées par l’État) et leurs clients (les personnes physiques
et morales) dans la gestion des services publics.
- La santé privée placée au paragraphe 2 de l’article 41 de la
Constitution à la Fédération de Russie sur un pied d’égalité avec le système
de la santé publique d’État et municipal, se trouve encore au stade
embryonnaire, comme tout le marché privé des services sociaux. La
coordination et les incitations de l’État sont insuffisantes et inefficaces.
Nous estimons qu’il est nécessaire de fixer par la loi les orientations
prioritaires de la sphère sociale, pour les petites et moyennes entreprises
dans un cadre de concurrence loyale, par exemple, les organisations privées
pour la surveillance et l’entretien des enfants (elles résoudront le problème
du manque de jardins d’enfants), les organisations de loisir pour les
adolescents et les écoliers, les organisations médicales, non seulement dans
les secteurs de l’esthétique et de l’odontologie, mais aussi d’autres secteurs,
en dehors de ceux qui nécessitent le recours à des technologies médicales
lourdes, les organisations du service médico-social (des personnes âgées,
des invalides, des citoyens solitaires et ayant besoin de services).
- Pour faciliter la participation des petites et moyennes entreprises à
l’exécution des services publics en matière sociale sont nécessaires : la
simplification de leur création, des exonérations fiscales, un régime simplifié
de comptabilité, la réduction du nombre des documents à fournir pour les
contrôles, une aide à l’obtention de crédits avec des conditions
d’amortissement avantageuses. Sur le plan des modalités juridiques, la loi
35
Rapport annuel de la Chambre de la Société de la Fédération de Russie sur la situation de la
société civile dans la Fédération de Russie (site officiel de la Chambre de la Société).
N. POUTILO : PARTICIPATION DU SECTEUR PRIVÉ
309
fédérale devrait fixer les éléments fondamentaux du nouveau régime pour
concrétiser le programme fédéral.
- Le perfectionnement du système de la commande d’État (ou
municipale) avec un régime spécial pour les services sociaux.
- L’allégement des régimes administratifs comme l’attestation et
l’accréditation, nettement définis au niveau législatif et unifié, mais qui ne
tiennent pas compte des particularités du secteur en cause.
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