Zibeline : Vous organisez deux manifestations
importantes au Dock des Suds : La Fiesta et Babel Med.
En quoi ces manifestations diffèrent-elles ?
Bernard Aubert : D’abord la Fiesta a 17 ans, Babel Med
en est à sa cinquième édition. Il y a 17 ans, program-
mer des musiques du monde, des Suds en particulier,
était audacieux. Maintenant cela l’est moins, et la
Fiesta a d’autres audaces, qui consistent à faire se croi-
ser des publics très différents, à surprendre y compris
en invitant Bashung à côté de Maalesh ou d’Herbie
Hancock. Babel Med en revanche va chercher des artis-
tes souvent inconnus, mais qui travaillent avec les
traditions musicales du monde.
Babel Med est aussi une manifestation professionnelle.
B.A. : Oui, avant tout. Il y a 30 concerts publics en
trois jours, mais durant la journée Babel Med est
ouverte aux professionnels, acheteurs, programma-
teurs, organisateurs de festivals, qui viennent visiter
les stands des exposants, assister aux conférences puis
aux concerts. C’est important aujourd’hui de défendre
le concert, 80% des artistes en vivent. L’industrie du
disque s’effondrant, les gros festivals français deviennent
rentables et sont rachetés par des sociétés américaines,
tout comme les tourneurs. Nous voulons préserver le côté
artisanal et PME, nous nous battons pour que les festi-
vals restent libres de leur programmation et ne se
voient pas imposer les artistes par les producteurs. Et
pour que les groupes restent abordables pour de petits
festivals, pour que la palette esthétique reste large…
Comment définiriez-vous la palette esthétique de
Babel Med ? Et plus exactement, comment peut-on
se réclamer d’une «tradition contemporaine», ce qui
semble a priori paradoxal ?
Sami Sadak : C’est le problème de la musique tradi-
tionnelle, qui est un mythe en fait. Même les musiques
les plus conservées changent par mini vagues, opèrent
par ruptures avec les traditions précédentes. Et puis
qu’est-ce qu’une musique traditionnelle ? Quelle est sa
pureté ? Le flamenco date par exemple de la fin du
XVIIIe, sa tradition se fixe à la fin du XIXe… c’est très
récent. Interpréter une tradition de façon contempo-
raine n’est donc pas une trahison, et le but de Babel
Med n’est pas muséologique.
À force de mixer les traditions du monde, n’en arrive-
t-on pas à les araser, à en éliminer les originalités dans
un geste unificateur ? Est-ce que toutes ces musiques
revisitées ne finissent pas par sonner pareil ?
S.S. : Non. On peut faire du rock teinté de tradition
iranienne, qui sonnera différemment, et pas seulement
à cause de la langue. À Bamako la techno n’a pas le
même son, même s’ils utilisent les mêmes machines.
C’est une question d’instrumentation, mais aussi de ma-
nière d’entrer dans la musique. De tradition, justement!
Vous voulez donc couvrir toutes les esthétiques des
musiques du monde ?
S.S. : Oui, c’est ça, depuis la plus traditionnelle, celle
qui permet de défendre et transmettre des patri-
moines en danger, ceux qui ne passent que de maître
à élèves, jusqu’aux mariages les plus éclectiques.
Olivier Rey : Nous faisons la différence entre Folklore,
qui désigne la musique du passé, figée, souvent inau-
thentique, et Tradition, qui suppose un mouvement.
Et nous pensons qu’à Babel Med nous offrons un
panorama de ce qui s’écrit aujourd’hui. Comme Sam
Karpienia par exemple, qui est en train d’écrire la tradi-
tion occitane contemporaine, loin des revendications
passéistes ou identitaires du folklore provençal.
Et quel est votre budget pour ces 3 jours de mani-
festation ?
Florence Chastanier : 850 000 euros, dont 350 000
euros de la Région, notre partenaire principal, 20%
de recettes propres seulement car nous pratiquons une
politique de prix très bas, le reste provenant du
Conseil Général, mais surtout de sociétés musicales
comme la SACEM, l’ADAMI, le FCM, ou de partenaires
privés comme la Caisse d’Epargne, ou le Port
Autonome…
Pour combien de public ?
F.C. : Environ 15000 personnes sont attendues à
Babel Med.
ENTRETIENS RÉALISÉS PAR AGNÈS FRESCHEL
05
POLITIQUE CULTURELLE
BABEL MED MUSIC
La cinquième édition de Babel Med s’annonce, fidèle à son
esprit initial, en pleine croissance en ces temps de crise du
disque. Zibeline a rencontré l’équipe dirigeante, qui explique
l’esprit de cette manifestation
Houria Aïchi, une des rares femmes invitées,
dans un monde de musiques ou les femmes chantent
parfois, mais ne jouent jamais...
Babel Med Music 2008 © X-D.R.
Au programme
Le 26 mars à partir de 19h30
Novalima (Pérou), Aronas (Nouvelle Zélande /
GB), Wasis Diop (Sénégal / Fr), Sayon Bamba
(Guinée / Fr), Houria Aïchi & L’Hijâz’car
(Algérie / Fr), Kamel El Harrachi (Algérie / Fr),
Fouad Didi
et l’Orchestre Tarab (Algérie / Fr), Goldenberg
& Schmuyle (Fr) Grail’Oli (Occitanie / Fr).
Le 27 mars à partir de 18h30
Yom (Fr), Baster (La Réunion / Fr), Deba
(Mayotte / Fr), Nidi d’Arac (It), Mosaïca
(Occitanie / Maroc), Zaman Fabriq (Egypte / Fr),
Hemdem (Turquie), Frédéric Galliano Kuduro
Sound System (Angola / Fr), Les Bantous de la
Capitale (Congo).
Le 28 mars à partir de 18h30
Kora Jazz Trio (Guinée / Sénégal), Kristin
Asbjørnsen (Norvège), Moussu T e lei Jovents
(Provence - Fr), Rupa & The April Fishes (USA),
Dj ClicK (Roumanie / Fr / GB), Istanbul Calling
(Turquie), Waed Bouhassoun (Syrie), Axivil
Aljamía (Andalousie - Esp), Le Bus Rouge (Fr),
Sam Karpienia (Provence - Fr), Kumar (Cuba /
Esp).
Babel Med Music, forum des musiques
du 27 au 29 mars
04 91 99 00 00
www.docks-des-suds.org
© gunther Vicente
Au tour de Babel