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Document n°2
Vive le bon vieux PIB!
Le rapport de la Commission Stiglitz s'apparente à de la pure gesticulation. L'important n'est pas
le thermomètre, mais la réalité.
Toute cette histoire de la
Commission Stiglitz dont le rapport
a été remis en grande pompe à la
Sorbonne au président Sarkozy,
lundi 14 septembre, ne débouchera
sur rien. Changer la façon dont on
mesure le bien être n'améliorera pas
le bien être lui même. Seuls les
gros pervers croient que le
thermomètre est le médicament.
L'ambiguïté est totale dès l'origine
et le lancement de cette
commission début 2008. La vérité
est que Nicolas Sarkozy déteste
l'Insee, avec ses statisticiens
indépendants, qui bombardent le
gouvernement de chiffres
déplaisants.
Le chef de l'Etat a un problème
général avec les stats, on le voit
avec celles de la délinquance, elles
résistent à sa volonté. Quand il était
ministre de l'économie, l'Insee n'a
pas cédé à ses desiderata et,
ensuite, devenu chef de l'Etat il a
essayé de «casser» cette institution
récalcitrante en la délocalisant
brutalement à Metz.
Fin 2008, nous étions dans la
polémique sur les prix, leur
évolution depuis la création de
l'euro et «la perception» par les
Français que l'indice du coût de la
vie ne reflétait pas la vérité de leur
«vécu». L'inflation devait être plus
forte que ne le mesuraient les
grognards de la porte de Vanves.
Illico, le pouvoir vira le patron de
l'Insee et demanda que l'indice fut
changé, au moins qu'il soit éclaté
en plusieurs chiffres en fonction
des différents niveaux de revenu.
A cette volonté présidentielle de
faire plier les chiffres, s'est ajoutée
la constante lutte de son conseiller
Henri Guaino pour contester les
«institutions» du pouvoir
économique en France: le Trésor, la
Banque de France, l'Insee, etc... Le
multi-recalé à l'ENA veut abaisser
les maisons qu'il n'a pu investir.
Esprit hétérodoxe, il peste aussi
contre le consensus orthodoxe qui y
règne, dénoncé dans la formule de
«la pensée unique». Haro sur
l'Insee donc puisqu'avec cette
histoire de prix, on a mis le doigt
sur une faiblesse du système
orthodoxe.
A ces deux volontés du roi et de
son conseiller, se sont mêlées les
idéologies de la décroissance. Le
PIB est pour les écolos tout à la fois
le symbole, le fruit et le moteur du
productivisme. On mesure la
production, plus elle est forte, plus
il faut s'en féliciter! Quand bien
même on ruine les ressources, on
tue des coléoptères et on fait fondre
la banquise. Où sont les ours dans
le PIB? Hein? Haro donc sur cet
indice qui, pour bien faire, devrait
carrément s'inverser et mesurer tout
ce qu'on perd lorsqu'il augmente:
plus la décroissance est forte plus
l'humanité sera durable.
Enfin, à ce gros mic-mac de pré-
supposés, s'est mélangé ce que
pensent les économistes depuis
toujours du PIB: c'est un outil de
mesure de la croissance
économique, il ne mesure
qu'imparfaitement le niveau de vie,
qui dépend de bien d'autres choses,
et certainement il mesure très mal
le bonheur des populations.
L'honorable commission Stiglitz,
emplie de gens très bien, aura bien
du mal à dégager le vrai du faux et
à expliquer qu'il ne faut pas croire
qu'une nouvelle mesure du PIB
donnera la clé du bonheur humain.
Mais que, cela étant dit, «l'on ne
peut pas tout réduire à la statistique
unique du PIB», comme l'écrit
Joseph Stiglitz.
Et oui! le PIB ne mesure pas bien le
niveau de vie et il faut le compléter
par d'autres indicateurs. Les
économistes n'ont d'ailleurs pas
attendu Nicolas Sarkozy: la Banque
mondiale élabore un indice de
développement humain depuis
belle lurette, Bruxelles travaille sur
un PIB vert et de nombreux
organismes ont des indicateurs de
santé sociale. Autant d'outils
statistiques, autant d'outils
imparfaits, autant de mesures pour
cerner une vérité qui, de toutes
façons, est irréductible à une
colonne de chiffres. C'est n'avoir
pas compris ce qu'est la science
statistique que de lui demander
autre chose et de lui reprocher
d'être imparfaite, elle l'est par
définition.
Alors voilà, on va compléter le
PIB. Comment? Ah là,
immédiatement querelle! Car
chacun y va de sa petite arrière-
pensée. Mais bon, un peu d'ours par
ci, un peu de CO² par là, un peu de
qualité ajoutée à la quantité, un peu
de lutte contre la pauvreté... Autant
de choses bien utiles, personne n'en
doute mais... à la condition de
conserver le PIB, quitte à l'amender
un peu. Le PIB qui somme toute,
rend de bons et loyaux services. Et
les populations ne sont pas dupes
de la masturbation intellectuelle
autour des indices: la décroissance
qu'a apportée la récession n'a été du
goût de personne. Que la reprise
advienne! Que le PIB augmente! Et
vive le PIB!
***
Éric Le Boucher (journaliste
économique).
Article publié le mardi 15
septembre 2009 sur le site Slate.fr