STÉPHANE PAGÈS
44
du présent de l'indicatif serait bien la pierre angulaire du système du présent, voire de
l'ensemble du système verbal.
Ces éléments, quels sont-ils ?
Ainsi, tout d'abord, pour un grand nombre de verbes dits irréguliers – 11
sur 18 –, c'est la première personne du présent de l'indicatif qui transmet son physisme
à l'ensemble du paradigme du présent du subjonctif (c'est le cas des verbes en -go, ou
bien en -po, notamment avec le verbe caber et la forme quepo). Un modèle de
formation qui consacre ipso facto la première personne comme référentiel structurant, à
partir de la répétition du même signal, car pour ces onze verbes, le paradigme du
présent du subjonctif possède une morphologie qui rappelle la première personne du
présent de l'indicatif qui se trouve elle-même comme inscrite implicitement dans
chacune des personnes du présent du subjonctif. Ainsi, la forme tenga (présent du
subjonctif de tener) est par exemple contenue dans toutes les formes personnelles
du paradigme subjonctif. Or, on a bien ainsi la répétition de la même racine teng- qui
rappelle justement le signifiant de la première personne du présent de l'indicatif, tengo9.
Ensuite, une simple observation lourde du signifiant permet d'arriver à
l'hypothèse, pour le moins certes hardie, qu'il n'y aurait pas à proprement parler de
morphologie spécifique ni du présent de l'indicatif ni du présent du subjonctif, la
seule marque physique isolable de présent étant en réalité celle de la première
personne du singulier du présent de l'indicatif avec un -o désinentiel atone (à
distinguer du -ó tonique de la troisième personne du prétérit). En effet, d'un point
de vue strictement morphologique, la suite des désinences en -a peut correspondre
aussi bien à un présent de l'indicatif (cantas, canta, cantamos...), qu'à un présent du
subjonctif (vivas, viva, vivamos...), de la même façon que le thème en -e10 peut
également s'appliquer aussi bien à un présent de l'indicatif (comes, come,
comemos...) qu'à un présent du subjonctif (cantes, cante, cantemos, etc.)
Enfin, pour se convaincre du caractère central de la première personne, il
suffit de se rappeler, à la lumière de l'histoire de la langue, la force analogique
qu'elle a pu exercer sur certains paradigmes.
Pour résumer, il ressort donc de ce premier parcours qu'un simple regard
porté sur les signifiants du système des présents accorde une place de premier plan
à ego. Un constat qui semble fonder l'hypothèse d'un fonctionnement binaire
déictique au niveau de la construction du système verbal espagnol et qui incite
ainsi à ratifier l'opposition modale conçue à travers l'opposition actuel vs inactuel
plutôt que l'opposition traditionnelle indicatif vs subjonctif ou encore l'opposition
de deux plans psychiques, thétique vs non-thétique, – empruntée à la phénoménologie11.
9 Une telle description confirme par ailleurs que les deux paradigmes du présent forment un système, au sens
où ils sont régis par une logique de substitution désinentielle (-a-e ; -e-a), c'est-à-dire de morphologie
inversée selon l'univers modal auquel ils sont associés. Un système où le présent de l'indicatif semble
présider à la formation du présent du subjonctif, un peu comme s’il lui servait de modèle.
10 Ou palatal si l'on inclut le -i de la troisième conjugaison.
11 Deux plans psychiques différents qui, naturellement, ne sauraient être traduits par et sous le même signifiant.