Diogènedanssonamphore
parJLGérôme
1 Arrièrespensées et arrièreplan de la
question.
Cettequestionestàlafoistrès«inactuelle»(cétait
déjà la «grande» question philosophique des
philosophes de lAntiquité), et très actuelle.
Pourquoiactuelle?
Sous son aspect «naïf»,ellecachebeaucoup de sous
entendus…Carsinon,pourquoiposerunequestiondont
la réponse apparaît «aller de soi» si l’on remonte à
l’étymologie du terme «philosophia»? Pour tenter de
donner des éléments de réponse, il est peutêtre
nécessairedefaireunpeud’histoire…
Après un temps de crise présentée par certains commemortelle,la philosophie connaît un regain
assez«spectaculaire»depuislesannées90.Elleveutdésormaissortirdesenceintesjugéestrop
ferméesdesUniversitéspourdevenirpopulaire(ledéveloppementdes«cafésphilo»entémoigne,
maisaussitouteslespublicationsphilosophiquesadresséesàunpublicbeaucouppluslargequeles
traditionnels travaux de «spécialistes», et corrélativement, il semble que la question de la
sagesse, associée à une «médecine de lâme» (titre dun n° de Philosophie Magazine),
deviennecentrale,mêmesiceretouràlatraditionphilosophiquegrécoromainen’estpasexempt
d’amalgames:chacunyvadesesconseilsetpréconisationssurlartdebienvivre,quellequesoit
la source de ces derniers: psychothérapie, médecine parallèle, gourous orientaux, religions,
veloppementpersonnel,courantdesressourceshumaines,psychologies,psychanalyse,etaussi
biensûr,philosophie.Ilestparfoisdifficile,commeilestditdansl’évangile,de«séparerlebongrain
del’ivraie».Quelquescommentairessurcettemutation:àlafindesannées60,laphilosophieest
écartelée entre les «classiques» et des approches qui relèvent aumoins autant des sciences de
l’hommequedelaphilosophie:lestructuralisme(C.LeviStrauss),lapsychanalyseetle«retourà
Freud» (Lacan), le marxisme dans sa dimension épistémologique (Althusser),  Michel Foucault
…etc.La
doxa
intellectuelle(ilyenauneaussi!)pronostiquelafinprobabledelaphilosophie.La
première édition de l’
Encyclopédia Universalis
 parle dans l’article consacré à la Philosophie de
«perte de crédit», de «perte d’identité», «la philosophie est menacée, parce que la notion, le
conceptmêmedephilosophieestmalade»,mêmesiellereconnaîtque«malgrétouteslesalarmes,
il est peutêtre imprudent, prématuré d’annoncer la fin de la philosophie…». Quoiqu’il en soit, et
même si le diagnostic s’avère plus que discutable, on ne peut que reconnaître labolition de la
fonction hégémonique de la philosophie, qui serait alors peutêtre responsable de la
réapparition de la sagesse, pendant longtemps «refoulée» dans les grands systèmes
conceptuels,etdontledomainenesemblepasmenacéparlessordessciences(ycompris
des sciences dites «humaines»).  Il est sans doute tentant également de mettre en relation ce
phénomène avec le regain d’intérêt manifesté aujourd’hui pour toutes les questions autour du
bonheur,du«mieuxvivre»,del’accomplissementdesoi…etc.Cen’estpaslelieud’examinercette
questionàfond.Maisilestvraiquedansunmondel’onseméfiedeplusenplusdesutopieset
où l’on est privé de grandes espérances collectives, où il revient à l’individu de se «sauver»
(pensonsau«soucidesoi»quiselonFoucaultrejointl’idéalhumanisteantique,mêmesil’onpeut
endiscuter),oùla«douleurd’exister»estplusdifficilementsupportée,commed’ailleurslafinitude
etsessignes(devieillissement…),oùl’injonctionaubonheurestparailleurscontinuelle(cf.Pascal
Bruckner,
 L’euphorie du bonheur
), un monde aussi dont l’avenir s’obscurcit au point où nous ne
savonsplus s’il fautparler dedécadenceoude transition, il n’estpas si étonnant que«l’individu
hypercontemporain»(MarcelGauchet)réactivelaquestiondelarecherchedesagesse.Surleplan
delaphilosophie,toutsepasseraitunpeucommesi(celaneveutpasdirequ’ilensoitainsi…)la
sagesse était alors devenue son seul objet légitime, une fois dépossédée par les sciences
«Philosopherpourêtreplussage?»
TextedelaconférencedonnéeparDanielMercierle19mars2011
danslecadreducaféphilo.
PhiloSophia
àColombiers(34)
humainesdecequifaisaitauparavantsagrandeur,l’inventiondesgrandssystèmesconceptuelsse
proposantdepenserlatotalitéduréel.Lesunsseréjouissentd’abandonnercetteconceptionaride
et vieillotte dune philosophie de spécialistes qui serait coupée du réel et del’action, propriété
exclusive d’universitaires qui en font métier; les autres reprochent de vouloir promouvoir une
«sousphilosophie»; pour les premiers, citons M. Onfray: dans un récent article paru dans
 Le
Monde
pourrendrehommageaugrandphilosopheP.Hadot(quiaprécisémenttraitédecesujet),et
surlequelnousallonsrevenir),ilopposefrontalementunephilosophieuniversitairequiestaffairede
colloquesetdespécialistes,auxdiscoursabstraitsetsouventabsconslesnéologismesetautres
glossolalies»), dontlasophistiqueest«brillantemaisspécieuse»,àlaphilosophievéritablequi
seraitavanttoutunepropositiondemodedevie:d’uncôtélesdiscoursquitournentàvide,de
l’autre la vie; les mots et les choses n’auraient jamais cessé de s’opposer. Le débat a le mérite
d’être posé…Pourlessecondsaucontraire,ceretourd’unephilosophieessentiellementpratique
serait le signe dune pensée édulcorée, d’une pensée «plate», «molle», «résiduelle», comme
«lacendrefroidequirecouvrelabraise».Ilestvraiaussiquelasignificationduterme«sagesse»
n’acessédes’affadiraucoursdutemps,commeDescartesenfaisaitdéjàétat,commeleremarque
aussi audébut du sièclele
VocabulairedelaPhilosophie
deLalande,illustrantcetaffaiblissement
par l’utilisation de ce terme à propos des «enfants sages», le sens courant étant associé à la
modération et à la prudence. Il est significatif aussi qu’aujourd’hui lidée dune sagesse
contemplative,certesmoinsfréquentequecellerelativeàunbanalartdevivre,soitassociée
à la sagesse des moines tibétainsou des prêtres taoïstes, comme si lauthentique sagesse
avaitdéserténotrevieiloccidentLasagesse,initialementconçuecommel’aboutissementultime
delaphilosophie,severrait«traitéeàl’enversensousphilosophie»(FrançoisJullien).Voilàdonc
l’enjeudeladiscussionposé:quel estleprojetinauguraldelaphilosophie?Quelssontaujuste
lesrapportsquentretientlaphilosophieaveclasagesse?
2Lephilosopheamidelasagesse
Lesdeuxdimensionsdelasagesse:
sophia
 et
phronésis
Estceque philosopherpeut nous aiderà être plus sage? C’est en tout casleprojet même de la
philosophie, si l’on s’en tient à son étymologie et à ses racines: le terme est composé des mots
«ami» (
philos
) et «sagesse» (
sophia
). Mais
sophia
 signifie aussi savoir. Il est significatif devoir
pournotrequestionquecesdeuxsignificationssontprésentesdans
sophia
.Biensûr,unsavoirqui
n’est pas nécessairement scientifique ou théorique, mais aussi pratique. En réalité,la sagesse en
grec recouvre les deux mots
 sophia
 et
 phronésis
: la
 sophia
 concernerait plutôt ce que Cicéron
appelle «la sciencedeschoses divines ethumaines », alors que laphronésis sedéfiniraitcomme
«lasciencedecequiestàvouloiretdecequiestàéviter».C’estpeutêtreAristotequidistinguele
plus clairement la
 phronésis
 de la
 sophia
, la connaissance des choses d’ordre théorique, et la
connaissancedeschosesd’ordrepratique,«carlapossessiondelapremière,commelemontreaux
yeux de tous la chute de Thalès dans un puits, n’entraîne nullement la seconde» (
Dictionnaire
d’éthique etdephilosophiemorale
,T2). Lapenséedupremierordredoitconduireàl’action,sous
peined’êtremutilée.
Lapanagedesdieux
Entendue ainsi, la sagesse ne peut pasêtre un simple art devivre, elle est, comme le dit Platon,
l’apanage des dieux. Euxseuls ont «l’entière connaissance de la vérité de toutes choses». La
philosophie, en tant qu’amour de la sagesse, doit nous y préparer. La philosophie est à la fois
connaissanceetidéaldevie.Ainsielleesttensionversquelquechosequel’onnepossèdepas,la
sagesseétantenquelquesorteune«superphilosophie»jamaistotalementaccessible.
Unéquilibreentreconnaissanceetsagessepratique?
Dansles philosophies grecques oulatines,nepouvonsnouspasparlerdemodulationsdifférentes
dans les rapports entre connaissance et sagesse pratique, certaines faisant davantage porter
l’accent sur l’une que sur l’autre. Platon, peutêtre, sur la connaissance (ne ditil pas dans la
République: «Désir de connaître et amour du savoir, ou philosophie, c’est bien une même
chose?»)?Epicuresurlesavoirvivre(pasdanslesensaffadioùonl’emploieaujourd’hui…):«La
philosophie est une activité, qui, par des discours ou des raisonnements, nous procure la vie
heureuse»)?Maisl’articulationesttoujoursposéeexplicitement,etjugéeinséparable:delamême
manière qu’une connaissance théorique ou contemplative ne peut suffire pour mieux vivre, une
pratiquenepeutêtreséparabledusavoirquilafonde.
Lexigencedevérité
Epicure,commed’autres,parledevieheureuse,cequiposelaquestiondesrelationsentresagesse
et bonheur; sans entrer complètement dans cette discussion, nous retiendrons ce qu’en dit A.
ComteSponvilledans
Présentationsdelaphilosophie
,chap.surlasagesse:«lasagesse,c’estle
bonheurdanslavérité».Nouslaisseronsentièrelaquestiondubonheurpourdirequelquesmots
surl’exigencedevérité.L’ennemidelaphilosophieesteneffetl’erreuretl’illusion;decepointde
vue,le
savoirvivre
oule
commentvivre
nepeuventpasfairebonménageavecelles.Celaimplique
aussi que le chemin vers la sagesse soit celui d’une grande probité et lucidité intellectuelle. La
philosophieestuneécoledudoutepourdébusquerlespréjugés,présupposés,partisprisimplicites,
impensés.Autrementdit,lebutde
savoirvivre
pournepasaborderlaquestiondesdivergencesde
«modèles»,traduisons
savoirvivre
comme«uneviepluslibre,pluslucide,plusheureuse» neva
passansceluide
savoirpenser
.Pourexemplifiercesrelationsdeproximitéentrelaconnaissanceet
laconduitedevie,entrelaphilosophieetlasagesse,prenonsl’exempledelaphilosophiestoïcienne
tellequelaprésenteSénèque.
LexempledeSénèque
1
Lesouverainbien estlavertudanssapureté,lorsqu’ellen’estpascontaminéeparlarecherchede
plaisirs qui nous rend complètement dépendant de «la fortune», c'estàdire du concours des
circonstances.Lavertunouspermettrad’atteindreunehauteurquinousprotègeradeladouleur,de
l’espérance ou de la crainte, demanière à pouvoir vivre sans trouble, ce qu’il n’est pas de toute
façon dans notre pouvoir d’éviter, au lieu de gémir ou de nous plaindre. C’est dans ce pouvoir
d’obéissanceàDieu(auxloisdelaNature)quesidenotreliberté.Noussommes,parcetactede
liberté,maisaussidecourage,defrugalité,etdetempérance,enquelquesorte,l’égaldesdieux.La
philosophieestlegoûtdelarecherchedelasagesse,quiest«laconnaissancedeschosesdivines
ethumaines».Ladifférenceentrelesdeuxestlamêmequ’entre«cequel’onrechercheetcequi
recherche»,commeladifférenceentrel’argentetl’avarice.Lasagesseestl’effetetlarécompense
delaphilosophie.Maiscependant,iln’estpasfaciledelesdistinguercarcontrairementàcequise
passeentreuntireuretsacible(séparationnetteentrelesdeux),iln’yapasdevertu(finalité)sans
philosophie(moyen),maisiln’yapasnonplusdephilosophiesansvertu.Autrementdit,linstrument
pour conduireàlavertuestlavertuellemême.Onvoitici nonseulementl’articulationmaisaussi
l’intricationentrephilosophieetsagesse,lesrelationsd’implicationréciproquequ’ellesentretiennent.
Il faut insister également sur le fait que le philosophe n’est pas le sage, celuici étant un idéal
transcendanttoutetentativehumaine.
Enconclusiondecepoint,etaudelàdel’idéalstoïcien,c’estbienlaquestion«commentvivre?»
qui apparaît comme la question centrale, question que l’on peut ajouter  et renvoyer aux quatre
principalesquestionsdelaphilosophiedeKant:Quepuisjeconnaître(questiondelaconnaissance
etdesesconditionsdepossibilité)?Quedoisjefaire (questiondudevoir)?Qu’estcequel’homme
(questionanthropologique)?Quem’estilpermisd’espérer(questiondubonheuretdusalut)?
3 Laphilosophiecommemanièredevivre
Lerisquedunepenséeuniquementsavanteetthéorique
Doiton considérer à partir de là que, contrairement au projet inaugural de cette tradition
philosophique grécolatine, le discours philosophique risque de manquer sa cible et s’éloigner de
plusenplusdecetidéal?NotammentàpartirdesgrandssystèmesconceptuelsnésauXVIIèmequi
auraient dévalué cette idée de sagesse au profit d’une pensée uniquement savante et théorique,
mouvement accentué par la création et l’essor des universités qui auraient en quelque sorte
«professionnalisé»laphilosophie,enoubliantqu’avantd’êtreunediscipline,elleestunedimension
constitutive de l’existence. C’est en tout cas la thèse de P. Hadot qui souhaite montrer comment
1
Delavieheureuse,
et
LettresàLucilius,
(enparticulierlaLettreLXXIII),traductiondeBrehier,PUF,
coll.
GrandsTextesphilosophiques
.
c’estavanttoutcomme«manièredevivre»etnoncommepursavoirthéoriquequelaphilosophie
del’antiquitéatracésaroute.Arrêtonsnousunmomentsursapene
2 :
«Beaucoupdemescontemporainsconsidèrentquelaphilosophieestundiscours,plusexactement
undiscourssurundiscours,unpointc’esttout.Personnellement,j’aiuneautreconception.»
Laphilosophiecomme«exercicesspirituels»
Comme nous venons de le dire P. Hadot accorde une forte priorité à la philosophie en tant
qu’
exercicesspirituels
destinésàs’approprierun«styledevie»proprementphilosophique,c'està
dire capable de transformer la façon de vivre et de voir les choses. Contrairement aux traités
systématiques qui paraissent aux XVIIe et XVIIIe siècle, qui proposent la construction de beaux
édificesconceptuelsquideviennentdesfinseneuxmêmes,laphilosophiedesanciensestoraleet
seproposederépondreauxquestionsconcrètesquiseposentconcernantlavieordinaire,laplupart
dutempssouslaformedudialogueavecdesdisciples,danslesdifférentesécolesdephilosophie.
Lorsqu’il yaexposé, il s’agit moinsd’unethéorie systématique que d’uneméthodepour s’orienter
danslapenséeetdanslavie,apprendreaudiscipleàvivreuneviespirituelle;nonpasinformersur
unefaçondepenser,mais
 former
(VictorGoldschmidt),enrépétantetrevenantsurcequiestditde
façon à permettre à l’interlocuteur de s’approprier le savoir. Il est instructif d’observer que nous
sommesenprésenced’unemodèleinitiatiquedetransmissioncomparableauxécolesbouddhistes
outaoïstes,oumêmeclassiquementreligieuses(ilnefautpasoublieràcesujetqueP.Hadotaété
ordonné prêtre dans sa jeunesse). Les exercices spirituels ne s’ajoutent pas au discours
philosophique,ilssontsachairmême:laphilosophie,c’estl’exerciceeffectif,concret,vécudeses
différentespartiesquisontparexemple,pourlestoïcisme,lalogique,lamorale,etlaphysique(en
faitl’étudeducosmos):critiquerlesrepsentations,lesimagesquiviennentdumonde,nepasse
précipiter pour dire que telle chose qui arrive est un mal ou un bien (voilà un exercice qui serait
précieux aujourd’hui!), vivre concrètement l’éthique dans la vie avec les autres hommes, voir les
choses «d’en haut», du point de vue du cosmos et de la nature, et non de manière
anthropomorphique, prendre conscience que l’on est une partie du tout (conscience cosmique»),
contempler l’univers dans sa splendeur, comme dans ses choses les plus humbles, percevoir les
chosescommeétranges…etc.SuivantencelaMerleauPontypourquilaphilosophieconsisteavant
tout à «rapprendre à voir le monde», qui surgit alors devant nos yeux pour la première fois,
Bergson qui pense quelle doit permettre de substituer à une perception utilitaire une perception
désintéresséedumondeentantquemonde,laphilosophieest pourP.Hadotaussiuneaffairede
changementderegard.Les«exercicesspirituels»porterontavanttoutsurcetteperception.
Des«attitudesphilosophiques»propresàchaqueécole
Chaque école philosophique se caractérise par des comportements et des traits particuliers. Pour
illustrerl’impactpratiquesurlaviepersonnelledesprincipauxcourants,nouspouvonsdresseravec
P. Hadot le portraitrobot de ces différents «types»: Les Cyniques, illustrés habituellement par
Diogène dans son tonneau, refusent les conventions, revendiquent un retour à un état de non
civilisation, sont impudiques (image connue de la masturbation en public), vivent de très peu et
mendient. Lattitude philosophique des platoniciens peut se résumer en trois points: le souci
d’exercer une influence politique (dirigée selon les normes de l’idéal platonicien); la volonté de
discuter, dans la tradition socratique; l’intellectualisme (même si cette thèse est discutée, en
particulier par Sylvie Queval dont on peut se reporter à la précédente conférence à l’UP de
Narbonne):«
l’essentielduplatonisme,ditP.Hadot,c’estlemouvementdeséparationdel’âmeet
ducorps,ledétachementducorps
».Alafindel’antiquité,lesnéoplatonicienspensentquelavie
estavanttoutuneviedepensée,lavieselonl’esprit;àtraverscetexempled’ailleurs,nouspouvons
déjàinterroger,interrogationquiserareprisedansladiscussiondelapartiesuivante,lapertinence
d’une telle opposition tranchée entre discours théorique et vie philosophique…. Lattitude
philosophique des épicuriens se caractérise par l’ascèse des désirs (contrairement à l’image
courante,maisnousavonsdéjàeul’occasiondelepréciser…),puisqueseulslesdésirsnaturelset
nécessairesont«droitdecité»(manger,boire,dormir).Ilsexcluentgénéralementl’actionpolitique,
les affaires de la ci. Ils aiment les repas très sobres entre amis, l’amitié étant une valeur très
importante pour eux. Le fil conducteur de cette vie est la recherche de cette jouissance qu’ils
2
Qu’estce que la philosophie antique?
 (Folio,
 Essais
, 95)
 et La philosophie comme manière de
vivre(entretiens
avecJeannieCarlieretArnoldI.Davidson
),
Livredepoche,(2001),
considèrentfondamentale,delasimplejoied’exister.Lamanièredevivredesaristotéliciensest
proche de celle du savant; elle est dite «théorétique»:vie consacrée aux études, contemplation
deschoses,maisaussiparticipationàlapenséedivine,notammentàtraverslacontemplationdes
astres. La physique, comme nous l’avons déjà dit, est un exercice spirituel. Lattitude des
sceptiquesestplutôtconformiste.Lesseulesrèglesdeconduitequ’ilsadmettent,sontlesloisetles
coutumesdelacité.Ilssuspendentleursjugementssurleschoses,ettrouventainsilatranquillitéde
l’âme.Enfinlesstoïciens,dontnousavonsdéjàparléavecSénèque,ontdesmanuelsoùonleur
indiquelaconduiteàtenirdans touteslescirconstancesdelavie(certains écritsdel’époques’en
moquent…).Onsedemandesanscessequelleest lattitudeconformeàl’idéal philosophique.Les
exigencessonticitrèsfortes:exigencesd’uneloyauté,d’unetransparence,d’undésintéressement
absolus.C’estpeutêtreaveceuxqueletiraillemententreuntelidéalascétique(quiressemble,dit
Hadot,auxprescriptionsadresséesauxnovicesreligieuxquandilsentrentaucouvent…Ilenparle
en connaissance de cause), et lavie quotidienne, est le plus problématique. Il y a d’un côté une
volontédeseséparerdumonde,etdel’autreuneadaptationquiseveutréalistevisantàmenerla
viequotidienneaveclesautres,carc’estnécessaireaussid’entrerdanscemonde.
Maisqu’estcequirassemblecesmanièresdevivredifférentes?Yatildespointsdeconvergence
fondamentauxsurlesquelslesunsetlesautresseretrouvent?Nouspouvonsendénombrertrois:
Toutd’abord,l’amourdeshommes,lesoucid’autruietledésirdebienagir.
Ensuite,unevisioncosmiquedel’univers,avecl’idéequeleToutdoitêtreconstammentprésentà
l’esprit.
 Enfin, une liberté intérieure qui est l’instrument principal de cette «tranquillité de l’âme» ou
«ataraxie»sisouventmentionnéelorsquel’onparledelasagesseantique.
Réflexionthéoriqueetchoixdevie:unecausalitéréciproque
Laphilosophiecomme«choixdevie»impliquepourP.Hadotqueceluiciestpremier,etqu’iln’est
pas le fruit d’une pure réflexion théorique. Les motivations personnelles de chacun – mais nous
pourrionsajouterqu’audelàdes «motivations»,ilyaplusfondamentalementdesmanièresd’être
aumondequirenvoientautantàcequenouspourrionsappelerdes«équations»personnellesou
transpersonnelles qu’à des données anthropologiques et historiques– les déterminent. Il y a une
causalitéréciproqueentreréflexionthéorique et choixdevie: « Laréflexionthéoriquevadansun
certainsensgrâceàuneorientationfondamentaledelavieintérieure,etcettetendancedelavie
intérieure se précise et prend forme grâce à la réflexion théorique». P. Hadot s’inscrit en effet
heureusement parmi ceux qui refusent de séparer le rationnel et l’affectif. D’autres parleront
«d’intuition fondamentale préphilosophique» (Deleuze) comme constitutive de la philosophie
(comme création de concepts; cf. café philo précédent: qu’estce qu’un concept?). P. Hadot se
réfèreàunedissertationdebacde1939oùilfallaitcommenterlaphrasesuivantedeBergson:«
La
philosophie n’est pas une constructionde système, mais la résolution, une fois prise, de regarder
naïvement en soi et autour de soi
». Il retient avec raison qu’il y a en effet d’abord un choix
existentiel,etnonuneconstructionthéorique.Nouspouvonscependantajouterquesans
Matièreet
Mémoire
,l’œuvremagistraledeBergson,cechoixexistentielintimeconcernantunetransformation
delaperception(sedébarrasserdetoutle
construit
préalablequivientrecouvrirtoutechoseauprofit
d’un retour à la perception la plus «élémentaire») n’aurait pu connaître aucun développement
conceptuel… Il est donc indispensable, mais P. Hadot en est d’accord, de tenir ensemble l’un
commel’autre.Laréflexionthéoriquesupposeuncertainchoixdevie,maiscechoixdevienepeut
progresser et se préciser que grâce à la réflexion théorique. Nous reprendrons plus loin cette
question.
Laquestiondeléclectisme
Contreunesorted’embrigadementquiconsisteraitàseconduirequoiqu’ilarriveen«stoïcien»ou
en«épicurien»(c’estunpeul’impressionquel’onaaujourd’huiquandonprendconnaissancede
telsfonctionnements,etquipourraitnousfaireassimilercesécolesàdessectes,sinousnesavions
pas à quel péché d’anachronisme nous nous livrerions en prononçant un tel jugement !), certains
comme Cicéron revendiquent une forme d’éclectisme: nous sommes libres, indépendants, nous
vivonsaujourlejour,décidantenfonctiondescirconstancesetdescasparticuliers.Cetéclectisme,
peutêtrevécucommeunesorte de «tache» danslevœudecohérence qui est celui de toutela
philosophie occidentale, est cependant fort intéressant et introduit une forme de sagesse qui n’a
jamaisétévraimentpenséedansnotretradition,maisquiaucontraireestveloppéedanstoutela
pensée chinoise: unesagessequi s’organiseautour de lanotion amorale de «disponibilité».Elle
seral’objetdeladernièrepartie,maisdisonssimplementici,pourillustrerl’affirmationd’éclectisme
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