M. Ibula BWANGILA - "Rationalisme critique et Ethique de la discussion : Autour de la question de la fondation ultime de la raison et de la morale"
Position de thèse :
La problématique de ma thèse concerne cinq philosophes : Karl R. Popper (1902- 1994), Hans Albert (1921- ),
William W. Bartley III (1934-1990), Karl-Otto Apel (1922- ) et Jürgen Habermas (1929- ). Les trois premiers
représentent le rationalisme critique et les deux derniers sont les principaux artisans de l'éthique de la discussion. Je
n'ai pas étudié ces deux dernières écoles philosophiques en elles-mêmes - dans une forme d'étude comparative par
exemple - ; j'ai surtout analysé les arguments de ces philosophes au sujet de la question de la fondation ultime de
la raison et de la morale. J'ai donc tenté une reprise à nouveaux frais de l'antique problème de la justification des
présuppositions du savoir en général et de leur validité dans la connaissance rationnelle et dans l'action morale.
D'une certaine manière, Jean-Marc Ferry, Alain Renaut et Sylvie Mesure ont déjà étudié cette problématique. Mon
apport a consisté à l'élargir et à étudier attentivement les positions de H. Albert et de W. W. Bartley concernant leur
rejet radical de la justification ultime du rationalisme. À mon sens, le débat concernant la fondation de la raison et la
philosophie transcendantale est aujourd'hui à situer davantage entre K.-O. Apel et H. Albert. Au sujet de la question
de la fondation ultime, Habermas défend une position proche de Popper. Entre le dogmatisme « fort » de Apel et le
scepticisme « dynamique » des faillibilistes, je suggère une voie médiane ; cette voie serait un mode de fondation
faible qui s'inspire de la philosophie critique de Kant. En effet, Kant affirme que la liberté, qui se définit comme
autonomie de la volonté, constitue le principe de la fondation ultime de l'éthique. En outre, ce principe permet de
comprendre comment l'impératif catégorique, qui est en fait synonyme d'objectivité pratique, est possible.
Par ailleurs, le rationalisme critique et l'éthique de la discussion se définissent comme des philosophies qui
parachèvent le projet critique d'Emmanuel Kant. Popper a enrichi la philosophie critique de Kant des apports venus
des théories de la relativité d'Einstein et de la physique quantique. Il a totalement abandonné la perspective
transcendantaliste de fondation et il a critiqué tout essentialisme en épistémologie et en philosophie. Au demeurant,
Popper reconnaît qu'il existe des a priori de la connaissance, mais ils ne sont pas a priori valides comme chez Kant.
Ils demeurent toujours exposés à la critique. En effet, Popper défend une position antifondationnaliste : il n'y a pas
de fondement ultime du rationalisme, il y a une décision morale fondamentale qui justifie le choix de la raison.
L'engagement pour la raison reste donc un choix libre qu'aucune argumentation ne saurait fonder absolument.
A l'intérieur du rationalisme critique, W. W. Bartley a jugé que la position de Popper admettait encore une forme
d'irrationnalisme inacceptable. Dans The Retreat to Commitment (1962 ; 1984), Bartley estime que le rationalisme
critique de Popper se disqualifie doublement. D'une part, il place à sa cime une décision arbitraire et soustraite par
définition à toute réfutation et à toute discussion ; d'autre part, il offre à l'irrationnalisme des chemins de traverse
inespérés parce que cet irrationnalisme n'est ni plus ni moins convoqué au principe même du rationalisme critique.
Pour sortir de ce dilemme, Bartley affirme que le rationalisme critique ne peut être qu'auto-inclusif ; il doit donc
inclure d'emblée sa propre réfutation. Bartley inaugure ainsi ce qu'il nomme panrationalisme critique ou rationalisme
critique illimité (pancritical rationalism or comprehensively critical rationalism) : tout est critiquable ; le principe de
critique devient lui-même injustifiable.
Hans Albert se réclame aussi du rationalisme critique ; il radicalise la position de Bartley et présente, dans le
contexte allemand, le rationalisme critique de Popper comme une alternative sérieuse à la théorie critique de l'École
de Francfort, à l'herméneutique et à la philosophie analytique du langage issue de Wittgenstein, courants qui
prédominaient alors dans les cercles philosophiques allemands. Albert met en place ce qu'il nomme le trilemme de
Münchhausen. Il veut montrer que toute pensée fondationnaliste tombe dans ce trilemme : soit on regresse à l'infini,
soit on s'arrête à un moment de la démonstration et on admet que l'arrêt .En morale, estime Albert, il ne faut pas
chercher de norme fondamentale qui donnerait sens à l'agir éthique des hommes. Il faut seulement soumettre les
systèmes moraux existants à un réexamen critique, de la même manière qu'on vérifie sans cesse les théories
scientifiques par la réalité. Grosso modo, Albert préconise aujourd'hui le réalisme transcendantal (transzendentaler
Realismus). Ce réalisme veut dès lors supplanter la pragmatique transcendantale d'un Apel. de la régression est
purement arbitraire ; soit on reconnaît que l'on est dans un cercle vicieux. Hérité de Popper, de Nelson, de Fries, de
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