Courrier du médecin vaudois •Août-septembre 2006 • 5
tique sont incompatibles avec l’idée d’un
choix complètement libre et actif.
«La santé n’a pas de prix, mais elle a un
coût», répète-t-on. En réalité, c’est la
pathologie qui a un coût. L’inversion n’est
pas innocente.
Je suis d’une génération qui a connu la
médecine d’avant les antibiotiques et les
maladies de longue durée, souvent invali-
dantes. Les séjours hospitaliers – souvent
en sanatorium – pouvaient se compter en
mois, parfois en années. Qui payait? Le
coût social était énorme, les inégalités
criantes. Mais personne n’avait eu l’idée
de supplanter l’éthique médicale par les
lois de l’économie.
En isolant le calcul actuel du coût des
soins de leur histoire et de leur contexte
social, les tenants du marché total font
l’impasse non seulement sur les fabuleux
bénéfices de la santé – y compris écono-
miques – mais aussi sur la réalité du statut
et de l’identité des patients.
Après le serment d’Hippocrate, après lui
celui de Maïmonide (XII
e
siècle) qui
fixent les devoirs du médecin vis-à-vis de
la personne qui souffre, la Déclaration
de Lisbonne de l’Association médicale
mondiale (1995) établit et détaille le
droit des patients.
Les médecins comme les autres personnes
ou organismes concernés par les soins aux
patients sont appelés à reconnaître leur
responsabilité conjointe et à défendre ces
droits. Parmi lesquels celui «de recevoir,
sans aucune discrimination, des soins
médicaux appropriés… dans le respect de
son meilleur intérêt». Que le patient «a le
droit de choisir et de changer librement
de médecin». Ou encore «il a le droit
d’être traité par un médecin dont on sait
qu’il peut porter un jugement clinique et
éthique sans pression extérieure». Autre-
ment dit: un médecin en qui il peut avoir
confiance. Remarquons à ce propos que
ce sont les hérauts du marché soi-disant
autorégulé qui s’efforcent de le res-
treindre en supprimant l’obligation de
contracter et en empêchant les jeunes
médecins de s’installer. Le prétendu mar-
ché de la santé n’est qu’un prétexte pour
prendre le contrôle des patients et de
les grandes surfaces) ou à des menaces de
sanctions.
La confusion des cadres conceptuels, l’in-
version des causes et des effets et les mys-
tifications verbales ont pour objectif de
dissimuler que le système actuel a atteint
ses limites et qu’il n’est pas réformable.
Faut-il organiser, comme on cherche à le
faire, une régression de la qualité des
soins pour la très grande majorité de la
population?
Ou bien faut-il admettre qu’«on ne fait
pas de promotion de la santé sans une
remise en question socio-politique»
*
?
Voilà la vraie question.
■
*Déclaration du socio-pédiatre
J.-P. Deschamps, cité par P.-A. Michaud
(Revue médicale suisse du 7 juin 2006).
leurs médecins afin de les maintenir dans
le système d’assurance actuel.
D’ailleurs, les patients n’ont rien à voir
avec le marché, qui est une puissance abs-
traite, indifférente aux personnes et dont
les transactions s’expriment en valeurs
comptables.
Confusion et inversion
des priorités
Patients et médecins évoluent dans une
autre sphère. Les priorités y sont inver-
sées et la question des coûts est subor-
donnée aux besoins des uns et aux
devoirs des autres, en donnant aux
patients les meilleures chances de succès
thérapeutiques.
Au lieu de cela, on recourt à des expé-
dients, à des offres d’appel (comme dans
Dossier La santé, un (super)marché comme un autre?
Les patients n’obéissent pas aux lois
du marché et ne sont pas des consommateurs
Même du temps où le coût social était énorme et les inégalités criantes, personne
n’a imaginé supplanter l’éthique médicale par les lois de l’économie.
Sanatorium de Leysin en 1902,
extrait de «La médecine
à Lausanne du XVIe au XXe».
C’est la pathologie
qui a un coût.
”
“
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