La santé, un (super)marché
comme un autre?
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Adaptation
du tarif des
mammographies
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No5 - Août-septembre 2006
Courrier du médecin vaudois Août-septembre 2006 1
Sommaire
Dossier 3-11
Le marché de la santé se différen-
cie en de nombreux points d’un
marché qui obéit aux lois écono-
miques classiques. Voici les points
de vue d’un médecin, d’un
député, du chef du Service de la
santé vaudois et de la déléguée
romande de l’Organisation suisse
des patients.
SVM Express 12-13
Football: les médecins ont battu
les députés.
Le courriel du Comité.
Portrait de membre 15
«Je me suis partiellement exprimé
dans ce que j’ai fait, mais tout être
est plus riche que ce qu’il fait.»
Portrait du Dr Christian Danthe,
philosophe et artiste à Vallorbe.
Calendrier médical
vaudois 16
Editorial
A la veille de mon installation en pratique privée,
je passai auprès du banquier pour négocier un
prêt qui me fut accordé. Et le banquier de me sou-
haiter «bonne chance pour votre affaire»…
J’en suis encore aujourd’hui abasourdi. Mais la
vision du banquier ne se confond-elle pas avec
celle d’une majorité du politique, bien condi-
tionné par un certain lobbying efficace?
Le médecin ouvre sa boutique, reçoit ses «clients», offre «ses prestations»
au meilleur rapport qualité/prix, fait «des affaires». Tromperie!
Faut-il rappeler l’élémentaire et l’étymologie du mot patient? Le patient
est celui «qui supporte, qui souffre» et qui attend du médecin une guéri-
son, sinon un soulagement. Comme le rappelle avec force le Dr Robert
Dreyfuss dans un texte essentiel et magnifique: le malade ne choisit pas de
l’être et il n’est pas un client, un consommateur avec une liberté de choisir
dans le supermarché de la médecine. Cette perception est partagée à
l’unisson par les citoyens non-médecins, qui s’expriment dans ce CMV.
Et cela sans se concerter…
L’espoir est donc de mise. Car il est temps de monter aux barricades et de
faire front à ceux qui veulent enfermer la médecine dans la sphère de l’éco-
nomie, à ceux qui ignorent le patient mais qui désignent le consommateur
des prestations médicales d’un doigt culpabilisant, à ceux qui veulent
prendre le contrôle des patients et de leurs médecins, à ceux, enfin, qui
veulent le pouvoir.
Dr Jean-Pierre Randin
«Bonne chance
pour votre affaire!»
Courrier du médecin vaudois Août-septembre 2006 3
Sommaire du Dossier
Les patients ne sont pas des
consommateurs et n’obéissent
pas aux lois du marché:
réflexions philosophiques,
éthiques et historiques. 3-5
Largement régulé, le marché
de la santé se différencie des autres
notamment par le fait qu’on
n’y «consomme» pas par plaisir. 7
Même sans «patient-abuseur»
et «médecin-complice», l’évolution
des coûts montre que notre
système de santé s’emballe. 8-9
Dix ans après l’introduction
de la LAMal, les confusions
et les inégalités sont criantes
pour les patients. 11
Dossier
L’
idée a pris naissance tout natu-
rellement dans les milieux de
l’assurance où tout se calcule et
se conçoit en termes de coût et
de réserves de fonctionne-
ment, de concurrence et de publicité. La
cause de l’augmentation régulière des
primes est toute trouvée: les patients
consomment trop, les produits renchéris-
sent et les prestataires de soins – on ne dit
pas encore fournisseurs… – sont trop
enclins à satisfaire la demande quand ils
ne sont pas soupçonnés de l’encourager.
De tout temps, les médecins ont exercé
une importante activité de prévention
dans les thérapies individuelles et dans les
activités médico-sociales. Il serait facile de
démontrer que les mesures de contrainte
et les restrictions que les assureurs veulent
imposer à l’activité des soignants vont à
fin contraire. Mais c’est là un autre sujet.
Les patients n’obéissent pas aux lois
du marché et ne sont pas des consommateurs
Dès lors que tout dans l’activité des soi-
gnants serait prétendument quantifiable,
comparable et rationalisable, le consom-
mateur de soins perd toute spécificité.
Exit le patient, sa personnalité, son his-
toire, son contexte familial et social et
surtout sa demande.
Le malade ne choisit pas de l’être
Les patients ne sont pas des consomma-
teurs parce qu’ils n’ont pas la liberté de
choisir. Ils sont poussés par une nécessité,
non par un désir autre que celui d’un sou-
lagement et d’une guérison. Ils ne recher-
chent pas les soins, plutôt redoutés, ils s’y
soumettent. Malgré tous les éclaircisse-
ments donnés par leur médecin, ce ne
sont pas eux qui prescriront le traitement.
Cette position de dépendance et la
nature même de la relation thérapeu-
Dr Robert Dreyfuss
Psychiatre
Loin d’être seulement
réductrice, la notion du patient
consommateur est au cœur
d’un dispositif de désinforma-
tion qui a pour but d’imposer
l’idée d’un marché de la santé
– accréditée par le pouvoir
politique – en phase avec
le Grand Marché Universel
et obéissant aux mêmes lois.
La santé, un (super)marché
comme un autre?
La première étape visible d’un changement en profondeur des
rapports de force à l’intérieur du système de santé a commencé
le jour où les médecins, et avec eux tous les autres soignants,
sont devenus des fournisseurs de prestations en vertu de la loi.
Parallèlement la confusion s’est progressivement installée entre
assurés et patients par un syllogisme réducteur qui voudrait
que ce qui est bon pour l’assuré est bon pour le patient aussi.
C’est ainsi que l’on prétend vouloir appliquer à la médecine les
règles de l’économie de marché qui pourraient régir l’assurance
alors que tel est déjà loin d’être le cas.
Finalement on pourrait assister à un paradoxe de plus, révéla-
teur de cette mystification: c’est dans le domaine de l’assurance
complémentaire le plus proche des règles du marché que la spé-
cificité de la relation médecin-malade pourrait être la mieux
reconnue et préservée. Mais à quel prix? P.-A. Repond
Courrier du médecin vaudois Août-septembre 2006 5
tique sont incompatibles avec l’idée d’un
choix complètement libre et actif.
«La santé n’a pas de prix, mais elle a un
coût», répète-t-on. En réalité, c’est la
pathologie qui a un coût. L’inversion n’est
pas innocente.
Je suis d’une génération qui a connu la
médecine d’avant les antibiotiques et les
maladies de longue durée, souvent invali-
dantes. Les séjours hospitaliers – souvent
en sanatorium – pouvaient se compter en
mois, parfois en années. Qui payait? Le
coût social était énorme, les inégalités
criantes. Mais personne n’avait eu l’idée
de supplanter l’éthique médicale par les
lois de l’économie.
En isolant le calcul actuel du coût des
soins de leur histoire et de leur contexte
social, les tenants du marché total font
l’impasse non seulement sur les fabuleux
bénéfices de la santé – y compris écono-
miques – mais aussi sur la réalité du statut
et de l’identité des patients.
Après le serment d’Hippocrate, après lui
celui de Maïmonide (XII
e
siècle) qui
fixent les devoirs du médecin vis-à-vis de
la personne qui souffre, la Déclaration
de Lisbonne de l’Association médicale
mondiale (1995) établit et détaille le
droit des patients.
Les médecins comme les autres personnes
ou organismes concernés par les soins aux
patients sont appelés à reconnaître leur
responsabilité conjointe et à défendre ces
droits. Parmi lesquels celui «de recevoir,
sans aucune discrimination, des soins
médicaux appropriés… dans le respect de
son meilleur intérêt». Que le patient «a le
droit de choisir et de changer librement
de médecin». Ou encore «il a le droit
d’être traité par un médecin dont on sait
qu’il peut porter un jugement clinique et
éthique sans pression extérieure». Autre-
ment dit: un médecin en qui il peut avoir
confiance. Remarquons à ce propos que
ce sont les hérauts du marché soi-disant
autorégulé qui s’efforcent de le res-
treindre en supprimant l’obligation de
contracter et en empêchant les jeunes
médecins de s’installer. Le prétendu mar-
ché de la santé n’est qu’un prétexte pour
prendre le contrôle des patients et de
les grandes surfaces) ou à des menaces de
sanctions.
La confusion des cadres conceptuels, l’in-
version des causes et des effets et les mys-
tifications verbales ont pour objectif de
dissimuler que le système actuel a atteint
ses limites et qu’il n’est pas réformable.
Faut-il organiser, comme on cherche à le
faire, une régression de la qualité des
soins pour la très grande majorité de la
population?
Ou bien faut-il admettre qu’«on ne fait
pas de promotion de la santé sans une
remise en question socio-politique»
*
?
Voilà la vraie question.
*Déclaration du socio-pédiatre
J.-P. Deschamps, cité par P.-A. Michaud
(Revue médicale suisse du 7 juin 2006).
leurs médecins afin de les maintenir dans
le système d’assurance actuel.
D’ailleurs, les patients n’ont rien à voir
avec le marché, qui est une puissance abs-
traite, indifférente aux personnes et dont
les transactions s’expriment en valeurs
comptables.
Confusion et inversion
des priorités
Patients et médecins évoluent dans une
autre sphère. Les priorités y sont inver-
sées et la question des coûts est subor-
donnée aux besoins des uns et aux
devoirs des autres, en donnant aux
patients les meilleures chances de succès
thérapeutiques.
Au lieu de cela, on recourt à des expé-
dients, à des offres d’appel (comme dans
Dossier La santé, un (super)marché comme un autre?
Les patients n’obéissent pas aux lois
du marché et ne sont pas des consommateurs
Même du temps où le coût social était énorme et les inégalités criantes, personne
n’a imaginé supplanter l’éthique médicale par les lois de l’économie.
Sanatorium de Leysin en 1902,
extrait de «La médecine
à Lausanne du XVIe au XXe».
C’est la pathologie
qui a un coût.
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