SURVEILLER, PUNIR, SOIGNER
Violence et psychiatrie :
quels experts ? pour quels rôles ?
Gérard Rossinelli*
* CHS G. Marchant, 134, route d’Espagne, 31057 Toulouse.
Société de l’Information Psychiatrique, Association nationale des psychiatres hospitaliers experts judiciaires, journée du 2 juin 2006 à Montpellier :
Violence et psychiatrie : place des experts psychiatres.
RÉSUMÉ
Confrontés à une crise structurelle qui se surajoute à celle de l’institution judiciaire, la psychiatrie médicolégale et
l’expertise psychiatrique connaissent des difficultés d’exercice majeures sur fond d’accroissement continu des demandes,
de l’importance prise dans la société par la violence et la dangerosité, sur fond de gravité de la baisse démographique de la
psychiatrie médicale. Les démarches de survie de la médecine légale, le rapport Jarde et celui de la mission interministé-
rielle réalisé en janvier 2006 n’intègrent pas cette nécessaire spécificité de l’exercice psychiatrique expertal, l’importance
de la pratique clinique, l’importance aussi d’investir la clinique psychiatrique expertale. La nécessaire amélioration du
statut des psychiatres experts, la création d’un DESC de psychiatrie médicolégale et la naissance d’une dimension
fédérative psychiatrique médicolégale constitueraient des orientations adaptées.
Mots clés :psychiatrie médicolégale, rapport Jarde, expertise psychiatrique, expertise pénale, violence et psychiatrie
ABSTRACT
Violence and psychiatry: what role for what experts? Faced with both a structural crisis and a crisis in the legal
institution, the sectors of medico-legal psychiatry and psychiatric expert opinion are experiencing major operational
difficulties which are only compounded by growing demand, the perceived increase of violent and dangerous behaviour
within society and the demographic freefall in medical psychiatry. Neither those actions set up by the legal medicine sector
to ensure its survival, the Jarde report nor the interministerial report carried out in January 2006 take into account the
necessary specificity of expert psychiatric reports, the importance of clinical practice, and the need to invest in expert
psychiatric clinical practice. Vital steps for the future would include an improvement in the status of expert psychiatrists,
the creation of a specialised diploma (DESC) for medico-legal psychiatry, and the setting up of a federative structure for
medico-legal psychiatry.
Key words:medico-legal psychiatry, Jarde report, expert psychiatric opinion, expert legal opinion, violence and
psychiatry
RESUMEN
Violencia y psiquiatría : ¿que péritos? ¿para que roles? Confrontados a una crisis estructural, que se superpone a la de
la institución judicial, la psiquiatría medicolegal y el peritaje psiquiátrico funcionan con gran dificultad en un ambiente en
el que la demanda es cada vez mayor, la violencia y la peligrosidad cada vez más presentes y todo ello agravado por la
disminución demográfica de la psiquiatría médica. Los intentos de la medicina legal para sobrevivir, el informe Jarde y el
de la misión interministerial realizado en enero del 2006 no integran esta necesidad específica del ejercicio del peritaje
psiquiátrico, la importancia de la práctica clínica y también la importancia de desarrollar la clínica del peritaje psiquiátrico.
La necesidad de mejorar el estatuto de los péritos psiquiatricos, la creación de un DESC de psiquiatría medicolegal y el
desarrollo de una dimensión federativa psiquiátrica medicolegal serían las orientaciones adecuadas.
Palabras claves :psiquiatría medicolegal, informe Jarde, peritaje psiquiátrico, peritaje penal, violencia y psiquiatría
Tirés à part : G. Rossinelli
L’Information psychiatrique 2006 ; 82 : 655-62
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 82, N° 8 - OCTOBRE 2006 655
doi: 10.1684/ipe.2006.0005
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Les interactions entre violence et psychiatrie, psychia-
trie et justice, dangerosité se développent avec les muta-
tions, sociales, politiques, économiques et structurelles dif-
ficiles.
Aux crimes sexuels, aux meurtres de soignants dans les
hôpitaux psychiatriques, aux actes criminels perpétrés par
certains malades mentaux se sont médiatiquement ajoutés
dans le temps la crise des banlieues, les nouveaux phéno-
mènes de violence sociale comme les happy slapping sur
fond d’accroissement régulier d’actes de délinquance,
d’incivilité, de violence ressentis dans les différents espa-
ces sociaux, scolaires et familiaux.
La prégnance de l’insécurité s’accompagne d’orienta-
tions législatives réglementaires dans un contexte de sécu-
risation. Des affrontements communautaires s’expriment
itérativement sur fond de crise sociale, de récession écono-
mique et d’inquiétude vis-à-vis de l’avenir. Le champ psy-
chiatrique est régulièrement interpellé devant des violences
non comprises, la crainte aussi de voir des malades men-
taux criminels déambuler librement dans la société, les
risques de récidive, mais aussi l’incompréhension devant
des actes sans fondement, sans explication, sans finalité
apparente.
Violence en santé mentale
La pensée populaire tend à associer maladie mentale et
dangerosité. Il convient de rappeler que la majorité des
crimes sont commis par des délinquants ne présentant pas
de maladie mentale. Dans les pays occidentaux, le taux
d’homicides est de1à5pour 100 000 habitants et les
troubles mentaux avérés des personnes impliquées ne
concernent que 0,16 cas sur 100 000 habitants ; 90 % des
malades mentaux ne commettent pas d’actes de violence et
le taux d’actes recensés pour des patients régulièrement
traités est tout à fait comparable à celui de la population
générale [14].
Toutefois, de nombreux auteurs tendent à mettre en
évidence la situation en se situant dans une perspective
différente de la formulation antérieure exprimant l’absence
de majoration de risques pour les actes de violence de la
part des personnes présentant des troubles psychiques.
Ainsi, la schizophrénie ou les troubles graves de l’humeur
constituent un risque accru de violence4à7fois plus
important que dans la population générale. En psychiatrie
ambulatoire, le risque de comportement homicidaire est 3 à
5 fois plus élevé pour des patients suivis que dans la
population générale.
Même si cela ne concerne qu’une population minori-
taire, la hausse des risques par comorbidité et l’importance
de la reconnaissance de certaines dimensions psychiatri-
ques et psychopathologiques s’imposent. Ainsi, pour la
majoration du risque criminel, on peut évoquer un cumul
de troubles psychopathologiques, pouvant associer
états psychotiques, troubles de l’humeur, alcoolisme/
toxicomanie et troubles de la personnalité de type antiso-
cial [2].
Les carences thérapeutiques, par des soins insuffisants
ou inappropriés, créées notamment par la démographie
médicale psychiatrique, l’insuffisance de la capacité d’hos-
pitalisation en milieu psychiatrique de patients redevables
ainsi que le débordement des cabinets libéraux et des cen-
tres médicopsychologiques représentent une incidence cer-
taine de majoration des risques [14].
Certaines pathologies psychiatriques, associées à des
éléments de comorbidité, représentent une élévation consé-
quente des risques d’actes médicolégaux en l’absence de
mesures appropriées et de soins adaptés...
Violences et traumatismes psychiques
La société se penche chaque jour davantage sur les
victimes d’infractions, la prise en compte des symptômes
et séquelles, la reconnaissance sociale, l’imputabilité et la
réparation des préjudices créés. La victimologie dans sa
seconde génération s’est particulièrement développée avec
la violence associée au concept de traumatisme psychique.
Ce dernier a connu un grand succès depuis les années
1980 dans sa banalisation et l’absence de stigmatisation,
car évoquant la notion de réaction normale à une situation
anormale. Ainsi, le syndrome post-traumatique (PTSD)
représente l’ensemble des manifestations psychologiques
en deçà des critères cliniques. Toutefois, ce n’est pas la
violence qui engendre le PTSD, mais le traumatisme psy-
chique, et il convient de distinguer nettement traumatisme
psychique et violence. Certains actes de violence, y com-
pris sexuels, n’engendrent pas de traumatisme psychique
dans un certain nombre de cas. Cela pose bien entendu le
problème de l’imputabilité et de la réparation du préjudice.
Un tiers des personnes exposées à des traumatismes déve-
loppent un PTSD, un tiers ont une réaction traumatique
brève et un tiers sont indemnes de pathologie psychiatri-
que.
Certaines populations ont été reconnues comme davan-
tage vulnérables au PTSD avec notamment les traumatis-
mes multiples, le rôle du sexe, le faible niveau d’éducation,
la minorité ethnique ou encore les antécédents psychiatri-
ques lourds. Une bonne connaissance de la clinique psy-
chopathologique s’impose pour évaluer les séquelles des
traumatismes psychiques, les réactions pouvant être immé-
diates ou différées, non révélées ou encore pouvant s’expri-
mer secondairement dans des conduites atypiques asocia-
les ou addictives. L’évaluation doit se faire en intégrant le
facteur temps et cela se manifeste explicitement pour les
enfants victimes de maltraitances ou de violences sexuel-
les, dont certaines séquelles ne peuvent être reconnues
qu’après structuration définitive de la personnalité à l’âge
adulte...
Cette connaissance de la clinique se retrouve aussi pour
les auteurs et les victimes d’agressions, notamment pour
les pathologies limites de l’adolescence dont le diagnostic
G. Rossinelli
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n’apparaît pas évident en dehors du champ de la spécialité
psychiatrique.
Violence contre les troubles mentaux
Si la maladie mentale est associée dans l’imagerie popu-
laire aux actes de violence envers autrui, il convient de
reconnaître l’importance de la victimisation des malades
mentaux.
Ainsi, aux Etats-Unis, des études ont montré que le taux
de victimisation était de 65 % pour les malades mentaux
contre 13 % pour la population générale, les SDF avec des
troubles mentaux ont une vulnérabilité de 44 % pour les
violences et 34 % des résidents de logements thérapeuti-
ques sont victimes de vols.
Il existe aussi une forme de violence légitime dans le
cadre des violences institutionnelles en milieu psychiatri-
que, des violences liées à l’hospitalisation sous contrainte
ou à des mesures de surveillance et de protection. Cette
violence légitime, qui n’est que partiellement contournable
et évolutive, doit probablement être différenciée de la vio-
lence légale.
Penrose, en 1939, dans une étude classique, avait pu
soutenir que, en Europe, plus il existait de lits d’hospitali-
sation psychiatrique, moins il y avait de détenus dans les
prisons européennes [11]. La situation paradoxale des
États-Unis confirme cette donnée, notamment dans le cas
de l’État de NewYork, avec le processus de tolérance zéro.
Ilyaeuincontestablement une chute considérable du
nombre d’hospitalisations psychiatriques, mais cet état
cumule plus de détenus avec des troubles mentaux que de
patients hospitalisés en milieu psychiatrique [9].
La France n’est pas non plus à l’écart de ces problèmes
de violence légale, car il existe de manière scandaleuse une
aggravation des peines par les jurés populaires de cours
d’assises en application de l’article 122-1.2 du Code pénal,
les personnes présentant des troubles mentaux dans un
contexte sécuritaire voient leurs peines souvent sévèrement
aggravées par rapport à des personnes jugées pour des faits
identiques mais sans pathologie psychiatrique reconnue...
Confrontation psychiatrie médicolégale
et médecine légale
Le rapport Jarde [6]
Ce rapport au Premier ministre sur la médecine légale a
été établi en décembre 2003 par le professeur Jarde, profes-
seur de médecine légale et parlementaire. Les conditions
spécifiques de sa rédaction et de son audition s’expriment
d’emblée, l’auteur n’ayant auditionné que des magistrats et
des légistes, mais pas de médecin psychiatre. Il précise que
la médecine légale concerne la médecine des morts, mais
aussi la médecine des vivants et les victimes. Celles-ci sont
redevables d’une collaboration avec les pédiatres, les gyné-
cologues et les obstétriciens. Il exclut de son approche la
toxicologie et la biologie médicolégale.
Rappel est fait des travaux du Conseil supérieur de
médecine légale, de l’abord des circulaires ministérielles
des 27 mai 1997, 27 février 1998, 13 juillet 2000 et
16 novembre 2001 concernant les victimes de violences
sexuelles, les victimes de violences et détresses psycholo-
giques, prônant l’organisation adaptée, les consultations
médicojudiciaires d’urgence, la création des UMJ (unités
médicojudiciaires). Aucune allusion ne concerne la psy-
chiatrie, tant hospitalière que libérale, et le rapport précise
seulement que la psychiatrie médicolégale traverse une
crise profonde...
Au total, cette vision se montre relativement fragmen-
taire et, s’il existe cette association des constats aux soins
pratiqués par des équipes médicales somaticiennes spécia-
lisées, l’hospitalocentrisme prévaut. On doit retenir pour la
psychiatrie médicolégale les notions d’oubli et de substitu-
tion. Toutefois, ce rapport ne concerne, à propos des exper-
tises pénales, que les actes accomplis sur réquisition lors
d’enquêtes préliminaires ou de flagrance, et non les autres
missions judiciaires ; de plus, il semble induire la limitation
des rôles de la médecine légale aux relations avec le Par-
quet et les constats immédiats.
Mission interministérielle en vue d’une réforme
de la médecine légale [10]
Les membres de cette mission, qui ont déposé leur
rapport en janvier 2006, appartiennent à l’Igas (Inspection
générale des affaires sociales) et à l’Inspection des services
judiciaires. Succédant au rapport Jarde, différentes préci-
sions sont apportées, dont l’absence de cadre légal aux
réglementaires de la médecine légale et le rejet de l’amen-
dement parlementaire visant à intégrer la médecine légale
dans les missions des établissements publics de santé. Ce
rapport associe dans la médecine légale les expertises psy-
chiatriques, psychologiques ou médicopsychologiques
avec un coût d’ensemble correspondant à 25 % des frais de
justice en matière pénale.
Les rapporteurs précisent par ailleurs que les enjeux
sanitaires et médicosociaux sont importants et que l’acte
médicolégal doit être intégré au soin. Il est aussi précisé
que le champ de l’étude concerne non seulement la thana-
tologie, mais également la médecine légale du vivant, avec
les examens des victimes et des auteurs présumés d’infrac-
tions, y compris psychologiques et psychiatriques.
L’approche de la thanatologie apparaît relativement quan-
titativement limitée car 6 % des actes seulement sont
concernés dans des aspects techniques précis, avec réalisa-
tion, en 2004, d’un nombre d’autopsies oscillant
entre 8 000 et 8 500. Le rapport évoque le morcellement de
la médecine légale.
Certaines propositions sont aussi formulées, dont
notamment le besoin de donner un cadre législatif et régle-
mentaire à la médecine légale et de placer les établisse-
Violence et psychiatrie : quels experts ? quels rôles ?
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ments publics hospitaliers au cœur du dispositif. Le rapport
revient sur la nécessité d’associer médecins libéraux, struc-
tures non hospitalières, instituts médicolégaux. Est aussi
soulignée la nécessité de favoriser une approche globale de
la médecine légale.
Il convient de constater, au-delà de l’intégration du
constat de l’acte médicolégal aux soins, l’approche psy-
chiatrique et psychologique, et de regretter, avec cette
nécessaire association du constat et du soin, la qualification
donnée pour ce faire, aux pédiatres, obstétriciens et urgen-
tistes.
L’expertise : interface psychiatrie/justice
Les frontières ont toujours été difficiles à définir. Pour
Pinel, « les limites réciproques entre le domaine de la
jurisprudence et celui de la médecine sont encore loin
d’êtres fixées » [12]. Pour Esquirol évoquant la psychiatrie,
cette maladie associant en quelque sorte le médecin à
l’administration publique, le médecin éclaire le gouverne-
ment sur la tendance des esprits [3]. Au début du XX
e
siè-
cle, le désaccord du congrès de Genève entre Grasset et
G. Ballet se situait dans les suites de la circulaire Chaumié
[1], puis Lacan abordait la positivité de la sanction pénale
[7]. Foucault se montrait plus incisif ultérieurement :
« l’expertise contemporaine a substitué un jeu que l’on
pourrait appeler le jeu de la double qualification médi-
cale et judiciaire » [4]. Les drames meurtriers de Pau et de
Nanterre ont apporté un éclairage différent sur la dangero-
sité psychiatrique. Une ambiguïté constante s’est manifes-
tée dans les relations entre la psychiatrie et la justice depuis
la dénonciation de la guillotine de malades mentaux par
Georget, les débats intenses du XIX
e
siècle et un position-
nement difficile de la psychiatrie permettant de faire échap-
per des malades à la guillotine et au bagne. Mais le malade
mental vécu comme criminel et l’irresponsabilité des soi-
gnants ont accompagné de manière paradoxale l’évocation
des internements arbitraires, les défauts de surveillance et
contrainte des malades mentaux porteurs des peurs archaï-
ques. Les évolutions complexes de l’institution judiciaire
ont permis d’évoquer le concept de la « culpabilité du juge
à juger » et une psychiatrisation inadaptée de certains com-
portements sociaux transgressifs spectaculaires ou angois-
sants. L’abord de la violence se trouve confronté au double
versant de psychiatrisation de la justice et de la judiciarisa-
tion de la psychiatrie. Les expertises se voient attribuer un
rôle d’officialisation, de reconnaissance d’une éventuelle
dimension psychiatrique sous-jacente pour les personnes
sous main de justice. Il a par ailleurs été régulièrement
rappelé que, étant citoyens, ils intégraient parfois les lieux
communs, les craintes collectives, dans leurs évaluations
médicales et approches cliniques.
L’approche synchronique
et dimension diachronique
Des expertises judiciaires ont été amenées par les instan-
ces judiciaires, induisant l’expert psychiatre à pratiquer,
dans le cadre d’un même examen, deux temps d’analyse
différents pour le sujet examiné, celui de l’évaluation de
son état au moment de l’examen dans une approche syn-
chronique et une démarche rétrospective avec évaluation au
moment des faits incriminés, induisant une approche dia-
chronique.
On ne connaît pas de définition précise de l’expertise
dans le droit français, mais la jurisprudence induit que
l’acte expertal comporte non seulement un constat, un
examen et recueil de données cliniques pour l’acte médical,
mais aussi une interprétation des constatations visant à
éclairer la justice [8].
Le glissement vers la prédictivité et l’évaluation
Les démarches projectives et anticipatrices émergeant
plus dans l’approche synchronique que dans l’approche
diachronique de l’expertise psychiatrique pénale ont connu
une évolution notable marquée depuis la loi Méhaignerie
de 1994 et surtout depuis la loi Guigou du 17 juin 1998 sur
les auteurs d’infractions sexuelles. La quête de prédictivité,
la dangerosité criminologique s’y trouvent là nettement
affirmées et il est demandé à l’expert psychiatre de prédire
littéralement l’avenir d’une personne pouvant bénéficier
d’une libération conditionnelle et d’éclairer objectivement
la justice dans ce domaine. Les questions types posées à
l’expert sont ainsi significatives :
décrire précisément la personnalité du détenu et son évo-
lution depuis son incarcération, indiquer son évolution pré-
visible à court, moyen ou long terme ;
dire s’il est susceptible de présenter une dangerosité en
milieu libre et, le cas échéant, en préciser le risque ;
préciser s’il doit être soumis à une surveillance ou à un
traitement médical et, dans l’affirmative, en préciser la
nature.
Au-delà des échelles d’évaluation, l’expert devrait donc
disposer d’une boule de cristal, intégrant les différents
facteurs pouvant induire une récidive éventuelle d’infrac-
tions d’une personne en milieu libre, reconstituer seul une
approche synthétique des facteurs sociaux individuels psy-
chopathologiques, conjoncturels, familiaux, de nature à
éclairer l’institution judiciaire.
Des travaux tentent toutefois de clarifier et d’opérer une
démarche à visée criminologique. Ainsi, pour Bruno Gra-
vier, la différenciation peut être faite entre la dangerosité
psychiatrique, avec un risque de violence psychiatrique, de
la dangerosité criminologique concernant la capacité de
récidive. La dangerosité et le risque de violence nécessitent
un regard transversal, longitudinal et qualitatif concernant
l’expert, et à la notion de prédictivité, devrait être substi-
tuée celle d’évaluation. Il est loisible de s’appuyer aussi sur
des entretiens cliniques dirigés ou semi-dirigés, d’envisa-
G. Rossinelli
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ger conceptuellement l’utilisation d’échelles d’évaluation,
mais la fiabilité de celles couramment utilisées n’apparaît
pas évidente.
Les craintes suscitées par les incivilités, la violence et la
dangerosité obscurcissent encore cette approche évaluative
et constituent une pression constante avec induction de
responsabilité et d’imputabilité secondaires dans une
société qui tend quasi systématiquement à rechercher la
responsabilité à l’origine des faits.
L’injection de soins
L’obligation de soins est prévue depuis longtemps dans
le Code pénal. Mais, depuis la loi Guigou du 17 juin 1998
concernant les auteurs d’infractions sexuelles, une nou-
velle peine alternative a été pratiquement créée, peine ame-
nant l’incarcération du sujet si celui-ci ne se soumet pas à
l’injonction de soins. Elle se manifeste par la question
posée pour les infractions sexuelles : « une injonction de
soins dans le cadre d’un suivi sociojudiciaire apparaît-
elle opportune pour le sujet ? ». Elle comporte des garan-
ties certaines pour la personne concernée avec, par exem-
ple, le rôle du médecin coordonnateur, interface entre
l’autorité judiciaire et le thérapeute de la personne, qui peut
être un psychologue clinicien d’après un récent texte por-
tant traitement des récidives aux infractions pénales de
décembre 2005. Ce même texte prévoit d’ailleurs l’élargis-
sement des mesures d’injonction de soins, dans le cadre
d’un suivi sociojudiciaire, à d’autres catégories de condam-
nés, notamment criminels, auteurs d’actes de torture et de
barbarie...
L’injonction de soins repose sur un avis expertal pou-
vant être fourni dans la phase d’enquête, en pré et post-
sentenciel, à la demande de différentes instances judiciaires
comme le président de tribunal ou de cours d’assises, le
juge d’application des peines... mais s’inscrit aussi dans un
contexte sécuritaire, avec un élargissement secondaire
recherché.
Cette orientation contraignante sous-tend en 2006, dans
l’actualité, le texte portant proposition du projet de préven-
tion de la délinquance, puisque les injonctions de soins
seraient élargies, si le législateur l’autorise, aux violences
familiales, aux conduites addictives. Cette voie, outre son
élargissement et la judiciarisation de la psychiatrie, met les
psychiatres en position difficile, devant ouvrir un espace de
soins sans être eux-mêmes victimes de pressions ou
d’injonctions extérieures. Cette dimension traditionnelle
en milieu hospitalier présente une nouveauté certaine pour
les soins ambulatoires, modifie considérablement la culture
professionnelle fondée sur la recherche du contrat de soins,
la démarche de restauration psychique du patient, l’inter-
subjectivité...
L’accroissement des comparutions immédiates
et du rôle du Parquet
L’équilibre traditionnel entre le Parquet et les magistrats
du siège, dans le cadre des procédures inquisitoires, se
trouve progressivement modifié depuis quelques années
par l’accroissement des comparutions immédiates, mais
aussi par l’extension progressive du « plaider coupable ».
Dans ces différentes démarches, le Parquet voit son rôle
renforcé et, proportionnellement, celui de l’instruction se
réduire. Le déséquilibre entre le Parquet et l’instruction
accroît considérablement les pressions expertales avec la
multiplication des expertises psychiatriques d’urgence,
leur contingentement dans le temps, la lourdeur des ques-
tions types posées, identiques à celles posées au cours de la
phase d’instruction. La loi Guigou pour les auteurs
d’infractions sexuelles a accéléré ce déséquilibre et, de
surcroît, de nombreux auteurs estiment que l’accélération
des procédures, notamment dans le cadre de la comparu-
tion immédiate, induit l’augmentation du nombre de per-
sonnes incarcérées présentant des troubles psychiques.
Très fréquemment aussi, en association avec l’insuffisance,
la dégradation ou l’inadaptation des soins pouvant être
prodigués, en amont du fait médicolégal, à ces personnes.
Spécificités de la psychiatrie
médicolégale
Prévalence de la clinique
Il convient de rappeler que l’expertise associe examen
clinique, constat et interprétation des éléments constatés et
recueillis. Cette démarche d’éclairage s’appuie essentielle-
ment dans le champ psychiatrique sur l’examen clinique, la
démarche diagnostique de l’expert, la notion d’entretien
clinique structuré. Dimension synchronique et dimension
diachronique s’expriment là. On peut regretter le contin-
gentement dans le temps et dans l’espace de ces examens
cliniques, la non-possibilité d’observation approfondie
dans un milieu hospitalier, l’absence aussi d’éléments
d’information d’origines diverses, et notamment d’infor-
mations médicales, le plus souvent pour les personnes
concernées.
L’utilisation d’échelles d’évaluation se fait plus rare-
ment, mais certaines échelles comme l’HCR20, la Stuart,
l’échelle de Hare, bénéficient d’une utilisation limitée, avec
toutefois un décalage notoire entre leurs éléments de pré-
dictivité et les résultats constatés. Les prévisions se véri-
fient rarement, mais il existe aussi, dans la réalisation d’un
acte asocial médicolégal, la conjoncture de facteurs diffé-
rents individuels, environnementaux, circonstanciels, des
éléments de référence sociaux individuels, familiaux, cul-
turels, complexifiant l’évaluation expertale.
Mais l’approfondissement d’une clinique psychiatrique,
de sa dimension structurelle et de la symptomatologie cli-
Violence et psychiatrie : quels experts ? quels rôles ?
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