
la psychiatrie dans le champ des disciplines médicales en
s’appuyant sur une épistémologie du soin qui lui soit pro-
pre.
L’élaboration de référentiels, premier temps d’une éva-
luation des pratiques professionnelles, constitue une oppor-
tunité de renouer avec une clinique « de la pratique quoti-
dienne » pour produire un savoir sur les soins qui puisse
constituer une référence évolutive.
Mais l’élaboration de tels référentiels ne peut pas procé-
der des mêmes exigences que celles de la recherche clini-
que. Le cadre de la recherche clinique se conçoit selon le
schéma classique de toute recherche et, en matière d’éva-
luation d’impact thérapeutique, impose l’utilisation de la
méthode comparative. Le cadre de l’essai clinique rando-
misé peut tout aussi bien être appliqué à l’évaluation du
médicament qu’à celle de techniques psychothérapiques,
pour peu que le cadre méthodologique général pose les
variables pertinentes pour une « juste » évaluation des pra-
tiques comparées. De plus en plus d’études de grand intérêt
introduisent d’ailleurs, à ce jour, dans le cadre d’essais
randomisés, un « bras » psychothérapique.
Nous sommes, dans le cadre d’une démarche de qualité,
bien loin des exigences de la recherche appliquée, qu’elle
soit pharmacoclinique, psychanalytique, cognitivocompor-
tementale ou systémique. Si l’élaboration de référentiels
adaptés intègre certaines des données issues de cette
recherche appliquée, elle procède d’une tout autre démar-
che, que Peterson (cité dans Études pragmatiques de cas,
D.B. Fishman, 2004) qualifie, dès 1991, d’« investigation
contrôlée ».
En matière de recherche appliquée, la théorie neurobio-
logique ne procède pas autrement que la théorie psychana-
lytique, la théorie cognitivocomportementale ou la théorie
systémique (pour ne prendre que les plus renseignées) pour
valider la technique de soins qu’elle propose. Cependant,
même si toute technique de soin spécifique doit apporter la
preuve et les conditions de son efficacité pour figurer dans
l’arsenal thérapeutique de la psychiatrie, l’évaluation de
ces différentes techniques de soins ne procède pas du même
schéma. C’est dans le cadre de la théorie qui lui a donné
naissance qu’une technique de soin peut élaborer sa propre
méthode de validation. En réalité, si, dans tous les cas, il
s’agit d’une recherche appliquée qui doit se soumettre à
démonstration et intégrer à un moment de ce processus de
validation la méthode comparative, le cadre méthodologi-
que général, c’est-à-dire les variables prises en compte, le
délai attendu de la réponse, la nature de l’objectif à attein-
dre, le périmètre du contexte renseigné ou
l’« encadrement » de la technique de soin effectivement
mise en œuvre, sera très variable d’une technique à l’autre.
Nous sommes là dans le cadre de la recherche clinique
appliquée à telle ou telle théorie qui prétend relever du soin
en psychiatrie. L’évaluation des psychothérapies trouve sa
place dans ce type de recherches cliniques.
La construction de référentiels adaptés à l’évaluation
des pratiques professionnelles en psychiatrie devrait procé-
der d’une autre démarche, plus proche de ce que la HAS
nomme la « démarche de qualité ». Cette démarche porte
en elle l’idée d’une norme évolutive et d’un ajustement
permanent entre les données de la pratique et l’évolution du
rationnel de prise en charge. Ce qu’il s’agit de renseigner
dans les stratégies de prise en charge qui, à un moment
donné de la démarche, seront posées comme « norme », est
issu à la fois de l’expérience acquise des différents profes-
sionnels, acteurs du soin, et des données issues de la recher-
che appliquée. Cette démarche impose à la fois d’expliciter
nos rationnels de prise de décision, de formaliser la nature
des pratiques réellement mises en œuvre et de procéder à
une validation de nos prises de décisions de soin (sur le
mode du « retour sur décision ») par un suivi du devenir du
patient. Nous renouons là avec une épistémologie du soin.
Si l’objectif poursuivi par la HAS, élaborer des prati-
ques dites de référence pour l’ensemble des disciplines
médicales, relève bien de l’intention de constituer un savoir
thérapeutique et, à ce titre, s’inscrit dans une épistémologie
du soin, la méthode choisie pour en élaborer les contours ne
répond pas aux principes d’une épistémologie unifiée,
visant à rassembler l’ensemble des savoirs thérapeutiques
issus des regards théoriques divers qui ont chacun enrichi la
discipline psychiatrique.
Cette méthode privilégie le savoir biomédical au détri-
ment des autres connaissances acquises en privilégiant les
données recueillies selon les normes du savoir scientifique.
En cela, elle se comporte comme une recherche appliquée
et non comme une investigation contrôlée des stratégies
thérapeutiques. Elle construit un modèle des soins réduit à
l’application des seules données biomédicales, dont le
niveau de preuve répond aux exigences de cette seule
démarche scientifique. Par ailleurs, ces données ont été
obtenues selon une méthode bien différente de celle de
l’acte thérapeutique en situation naturelle, la méthode
expérimentale, dans laquelle le cadre construit artificielle-
ment une clinique adaptée à sa recherche. En somme, la
démarche dite de l’evidence based medicine s’oppose, par
principe, à une démarche « centrée par le patient ». Cette
dernière, pour se construire, doit adopter une méthode
adaptée à son objet, pour définir des « généralisables » ne
négligeant aucun des facteurs pris en compte par la disci-
pline et s’inscrivant dans une théorie de la décision qui est
celle qu’adopte le psychiatre lorsqu’il se comporte en pra-
ticien.
Si recherche et démarche qualité méritent d’être distin-
guées, ce n’est pas seulement parce qu’elles procèdent
d’une démarche de validation très différente et que les
objectifs visés ne sont pas comparables.
Cette distinction se justifie aussi par le fait que l’adop-
tion, par la discipline, d’une réelle démarche d’améliora-
tion des pratiques imposera, en retour, à la recherche appli-
quée de répondre à des questions que la pratique lui
Démarche de qualité en psychiatrie
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 82, N° 1 - JANVIER 2006 33
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