NOTE D’INTENTION
Je souhaite m’adresser aux adolescents. Pacamambo est une pièce pour eux, une langue qui
parle à tous et à l’adolescent en particulier. Wajdi Mouawad trouve l’endroit juste pour parler de
cet âge entre deux âges. Le franc-parler de Julie en est le signe. On oublie vite cette période, on
en parle peu quand on est adulte comme si c’était gênant ou peu glorieux d’y revenir. L’âge
ingrat, qu’est-ce que cela veut dire ?
Julie a des idées à l’emporte-pièce et c’est cela qui fait son charme, mais son regard s’affine au
fur et à mesure de la progression de la pièce et de sa compréhension du monde. Quand la mort
est passée et a emporté Marie-Marie, Julie est prise d’une colère qui la dépasse. Cette rage
devant la perte de sa grand-mère est sa première réaction, une révolte face à la condition
humaine. Elle n’en fait qu’à sa tête et souhaite rencontrer la mort pour la vaincre. Ce combat
impossible l’empêche de vivre. Son chemin au fil des mots sera d’accepter la réalité de
l’existence et de pouvoir à nouveau vivre et grandir forte de cette acceptation.
Le peuple noir a une importance vitale pour Julie. Cela lui a été transmis par Marie-Marie. Julie
est maladroite dans ses propos, mais on voit bien où elle veut en venir quand elle s’insurge
contre le racisme. Elle reprend les idées de sa grand-mère à sa façon, fougueuse et emportée.
La pièce retranscrit bien le décalage entre la pensée mesurée d’une vieille dame et la façon dont
une jeune fille la dynamite. Sa pensée va dans tous les sens et répond à un besoin urgent d’être
dite à voix haute. Une fois que la digue a cédé, Julie ne peut plus arrêter le flot de paroles et
cette énergie brutale et instinctive, nous la porterons à la scène.
« C’est le pays de l’empathie générale ». Pacamambo est une façon pour Marie-Marie
d’apprendre à sa petite-fille l’importance de la compassion. Pour Julie, ressentir de la
compassion, c’est avoir la peau noire. Le deuil conduit Julie à prendre des décisions
importantes, comme ne plus avoir la même couleur de peau. Changer de peau devant la mort
d’un être cher, c’est s’inscrire dans le flux des générations et devenir dépositaire de sa propre
enfance. Les tissus même de la peau changent et palpitent violemment. Le corps tout entier de
Julie crie comme le peuple noir outragé.
Marie-Marie a légué le mystère de Pacamambo à Julie pour lui dire de regarder « de face, de
côté, et de biais, par au-dessus et par-dessous ». Elle lui a appris à regarder autrement et c’est
cet autre regard qui sera le moteur de la mise en scène. « Dans la vie, on n’y arrive jamais, on y
rêve ! ». Pacamambo, c’est une façon de nommer le royaume du ciel avec un air de jazz. Le
royaume du ciel est déjà en chemin, il peut être ici et maintenant. C’est à nous d’y rêver, de
l’inventer. Le discours de Martin Luther King prononcé en 1963 sur les marches du Lincoln
Memorial n’en est-il pas un symbole ardent ?
« Je fais le rêve qu'un jour, cette nation se lève et vive sous le véritable sens de son credo :
“Nous considérons ces vérités comme évidentes, que tous les hommes ont été créés égaux.”
Je fais le rêve qu'un jour, sur les collines rouges de la Géorgie, les fils des esclaves et les fils des
propriétaires d'esclaves puissent s'asseoir ensemble à la table de la fraternité. (…)
Je fais le rêve que mes quatre jeunes enfants vivront un jour dans une nation où ils ne seront
pas jugés pour la couleur de leur peau, mais pour le contenu de leur personne. Je fais ce rêve
aujourd'hui ! (…)
Je fais le rêve qu'un jour chaque vallée soit glorifiée, que chaque colline et chaque montagne
soit aplanie, que les endroits rudes soient transformés en plaines, que les endroits tortueux
soient redressés… »
Aux pays de Pacamambo, on ne se demande pas si un homme est un homme. Tout le monde
mange « à la table de la fraternité » et le sol ne se dérobe pas sous les pieds. Pacamambo est
une histoire, un conte pour s’endormir ou une foi en la vie qui ne s’éteint pas. Chacun est libre
de voir son étoile. Pacamambo est une pièce de théâtre qui parle de la mort et du deuil sans
détours et sans fioritures avec l’humour, la pudeur et la distance qui caractérisent bien
l’écriture de Wajdi Mouawad. Pacamambo est l’ailleurs rêvé qui permet à la jeune fille de rester
vivante et joyeuse dans ce monde. Que pourrions-nous sans l’imagination et l’espoir ?