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Hebdomadaire
OJD : 182587
Surface approx. (cm²) : 3385
N° de page : 40-45
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VERSAILLES
8332297300504/XHM/OTO/2 Eléments de recherche : PENONE VERSAILLES, LE NÔTRE : exposition de Giuseppe Penone, du 11/06 au 30/10/13 au Château de Versailles
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interview
ANNEE LE NOTRE
CATHERINE REGARD & JOËL COTTIN
Versailles,
petits et grands moments
Elle est présidente du domaine royal, il soigne depuis
trente ans les jardins du château cle Versailles
Habités par les lieux, ils partagent quotidiennement
les rêves les plus fous de Louis XIV et de son jardinier,
pour les pérenniser et les offrir a tous Portraits croisés,
de parterres en bosquets, dans le jardin le plus
Célèbre
dU
monde
Propos,
lecueillit,
par
Marianne
Xiermans
X
e Nôtre est-il toujours
le patron desjardins
de Versailles ?
JOËL
COn
M
Le
patron
'Je
dirais
plutôt le concepteur
CATHERINE REGARD
Le
patron
des
jardins
de
Versailles, aujourd hui, c'est Joël Collin bien
sur ' Maîs Andre Le Nôtre en reste l'mspua
tcur Lhommage que nous lui rendons, a I oc-
casion du quatre centieme anniversaire de sa
naissance, le souligne Pour recréer le bosquet
du Theatre d eau, qui avait déjà ete redessine
a la fm du XVIII siecle le paysagiste Louis
Benech et I artiste Jean Michel Othomel
revendiquent son influence De même,
Giuseppe l'enone situe son œuvre, a
Versailles, dans un dialogue a\ ec Le Nôtre
Lexposition qui lui est consacrée montie
combien sa vision des jardins, partagée avec
le roi, révèle une certaines v ision du monde
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« CES JARDINS SONT EN EUX-MÊMES UN MUSÉE.
Un musée de plein air unique au monde. »
J G Le Nôtre est davantage que le créateur
des jardins de Versailles : il est le premier amé-
nageur de l'espace. Le « ressusciter », comme
nous le faisons aujourd'hui, c'est se dire :
nous nous devons de continuer.
Voyons-nous actuellement le Versailles
de Le Nôtre?
J C A mon arrivée à Versailles, j'ai connu un
jardin vieillissant. Certains arbres s'élevaient
alors à 35 mètres de haut, le dessin général
n'était plus perceptible. La tempête malheu-
reuse de 1999 a provoqué le déclic de la res-
tauration. Au|ourd'hui, nous avons un jardin
qui reprend goût à la vie, et la chance inouïe
d'admirer le parc pratiquement tel que
Louis XIV Fa connu.
C P Le château a été remeublé, restauré... II
a repris vie. Mais lorsque l'on regarde les pho-
tos du début du XXe siècle, on voit un jardin
à l'abandon. Le changement est inimagina-
ble : en quinze ans, ce sont peut-être les jar-
dins qui se sont le plus transformés.
Versailles est donc un éternel chantier...
J C Cette année, nous avons engagé nos forces
dans la restauration du parterre de Latone. La
prochaine pourrait être - si un mécène nous
accompagne - celle du parterre du Nord.
L'équipe des jardiniers de Versailles est prête
et impatiente de voir débuter ce beau projet.
Y reyerra-t-on des fleurs ?
J C À l'époque de Louis XIV, la palette végé-
tale était réduite, comme nous l'indiquent
certains tableaux du XVIIIe siècle. Les plantes
fleurissaient peu. II fallait les changer sou-
vent. Il faut essayer de s'approcher de ce
modèle, mais c'est toujours un grand débat...
C P Lin grand débat que je me garderai de
trancher aujourd'hui.
J C En tout cas, un jardinier sans fleur est un
jardinier malheureux...
Quelle est votre perception de Versailles ?
J C Versailles est notre quotidien. J'aime m'y
retrouver seul. Chaque saison nous apporte
du bonheur : l'hiver, lorsque le parc est recou-
vert de neige ; l'été, lorsque le soleil se couche
sur le château... II y a tant de belles images le
matin et le soir. C'est évidemment une grande
joie de faire sa carrière dans ces jardins.
C P Ce lieu s'impose à nous. Le temps, en
effet, s'y arrête, quelle que soit l'heure du jour.
Sur une lumière. Une perspective. Une sta-
tue. Un jeu d'eau. En réalité, ces jardins sont
en eux-mêmes un musée. Un musée de plein
air, unique au monde.
J C Versailles est une référence : trois cents
sculptures et plus de cent fontaines. On ne
peut trouver cela nulle part ailleurs.
Comment vivez-vous cette particularité ?
J C Nous, les jardiniers, sommes les petites
mains œuvrant chaque jour. Notre but est de
faire notre rravail discrètement. Cela nécessite
beaucoup de rigueur. Le jardin est un élément
vivant qui évolue tous les jours. Je me souviens
du bosquet de la Girandole. Abattu, il avait été
laissé une année sans entretien et avait perdu
toute sa structure végétale. Nous l'avons redes-
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Outil de réference de Joël Cottin, le plan general du jardin
de Versailles, dresse pour Louis XV par Jean Chaufouner,
en 1720 En haut, les jardiniers s'affairent dans les
parterres du Midi En bas à gauche, les orangers
« ranges » pour I hiver dans l'Orangerie de Jules Hardoum
Mansart A droite, détail d une toile d'Etienne Allegram,
Promenade Louis XIV en vue du parterre du Nord
dans les jardins de Versailles vers 1688
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Vautre vie de Le Nôtre.
Qui était véritablement Le Nôtre ? Forgée de son vivant, entretenue au cours
des siècles, la legende du bonhomme jardinier - qu'il se plaisait lui-même
a colporter - fait aujourd'hui place a une autre histoire : celle d'un homme
habile, infiniment cultive, proche du pouvoir et ami de Louis XIV, qui surfe
sur les querelles de la cour en affichant une courtoisie mesurée Auteure
d une biographie d'André Le Nôtre chez Fayard et commissaire
de l'exposition qui vient clore, a Versailles, l'année commemorative de
la naissance du célèbre paysagiste, Patricia Bouchenot-Dechm dépoussière
l'image de « l'homme heureux » en démêlant la pelote des idees reçues
Le Nôtre était faussement modeste En parfait connaisseur de la cour,
il se faufilait a travers ce repaire de serpents en faisant sienne la devise
« Pour vivre heureux, vivons caches ». Premier jardinier du roi, il était aussi
administrateur et controleur des bâtiments. Il avait pour titre conseiller du
roi, un titre honorifique dont il a fait une realite C'était aussi, évidemment,
un homme de pouvoir qui avait l'assurance de l'affection du souverain,
bénéficiait de sa confiance illimitée ainsi que de celles de Colbert et de
Louvois. A aucun moment il n'a laisse la place a ses collaborateurs : il n'est
pas une œuvre que l'on peut leur attribuer en propre... Le Nôtre reste tout
puissant jusqu'à la fin de sa vie. Telle la statue du Commandeur, il jette son
ombre sur ce qui I entoure On comprend que Jules Hardoum-Mansard ait
souffert de cette omniprésence ! Architecte-jardinier, il fait preuve durant
toute sa carriere d une habileté étonnante a servir plusieurs maîtres tout
en restant l'homme du roi il travaille a distance pour les cours d'Europe,
réalise pour Charles-Emmanuel ll de Savoie les jardins de Racconigi
et pour Victor Amedee ll, les jardins du palais royal de Turin. Son influence
est manifeste en
Allemagne, ou
il dessine le parc
et les jardins de
Charlottenburg pour
Sophie-Charlotte de
Hanovre. Egalement
aux Pays-Bas, avec
les jardins de Met Loc
pour Guillaume lll, et
en Grande-Bretagne,
avec ceux de Windsor
et de Greenwich,
toujours pour
Guillaume lll, le propre
ennemi de Louis XIV !
Erudit, esthète,
le « jardiner »
collectionne
les tableaux, les bronzes, les médailles, les estampes En 1693, avant
de se retirer a l'âge de quatre-vingt ans, il lègue au roi les oeuvres les plus
prestigieuses de sa collection : des tableaux de Poussin, du Lorrain,
de Brueghel.. Lin don exceptionnel, qui impressionna l'Europe entière.
VOIR
Exposition
«
André
Le
Nôtre
en
perspectives. 1613-2013
»,
|usqi
au
23 fevrier 2014 au Château de Versailles www chateauversailles fr
sine L'obligation première de notre métier est
de travailler avec les saisons : si on en manque
une, on n'en finit plus. En un an, tout peut dis-
paraître. .
C P Quatre cents ans après Le Nôtre,
Versailles perdure dans son intégrité Cette
discrétion, ces mains invisibles qui entretien-
nent quotidiennement le jardin, c'est le génie
des hommes qui se succèdent Nous pensons
tout d'abord à respectei ce lieu. A le péren-
niser. A le transmettre
Madame la présidente, qu'est-ce qui vous
a surpris le plus lors de votre arrivée
à Versailles ?
C P Justement, ceux qui font Versailles
aujourd'hui Pt parmi eux, les jardiniers Je
me souviens de la premiere visite que jc leur
ai rendue, à Versailles et à Trianon Sans doute
étaient-ils curieux de voir qui arrivait en leur
domaine. La piemieie chose que Joël Coton
m'a dite, c'est qu'il fallait changer le tapis de
l'Orangerie, un tapis en coco. Je venais de
prendre mes fonctions, j'avais dans la tête la
restauration du salon de l'Abondance, du
salon de Mercure et les acquisitions qu'il fau-
drait faire pour meubler les appartements
royaux, et voilà qu'il me parlait moquette '
Maîs lorsqu'il a ajouté qu'il s'agissait d'un
tapis de 4 400 m2, j'ai compris. Même en
coco, c'est un budget !
J C Chaque été, l'Orangerie est louée pour
des soirées. Un tapis est donc nécessaire pour
recouvrir le sol en terre battue II fallait expli-
quer les choses à madame Pégard quand elle
est arrivée a Versailles..
C P Avec les jardiniers, on est tout de suite
plonge dans la réalité ct dans l'histoire. I eur
savoir-faire traverse le temps Ils ont une
connaissance intime, charnelle de la nature et
des jardins. Ils ressentent le lieu, reproduisent
les gestes d'autrefois, par exemple celui de des-
siner et d'entretenir cles topiaires exactement
comme au XVII1 siècle.
J C On va juste un peu plus vite !
C P Oui, mais les gestes sont les mêmes
Avez-vous des lieux de prédilection ?
JCl 'Orangerie est une exception. En vingt
ans, nous avons entrepris un gros travail de
restauration, recréé la collection, changé les
caisses, modifié les parterres. C'est une part
impoi tante de notre travail et une spécificité
de Versailles.
C P C'est effectivement un monde à part.
L'hiver, les orangers dorment sous les voûtes.
En avril et en novembre, les jardiniers les sor-
tent et les rentrent d'une manière immuable
Ce mouvement des arbres est magique Maîs
il faut aussi se perdre dans les bosquets
l'Encelade, la salle de Bal. En un instant,
votre imagination prend le dessus.
« QUATRE CENTS ANS APRÈS
LE
NÔTRE,
Versailles
perdure
dans son intégrité. »
Y a-t-il desjardins secrets à Versailles ?
C P Je sais que Joël en a. Il faut du temps pour
qu'il vous les montre. Il rn a fait l'amitié de
m'en faire découvrir deux cette année.
J C Nous avons nos petits secrets.
Le roi aimait montrer ses jardins.
Est-ce toujours une tradition ?
C P Tous ceux qui viennent ici ont leur pro-
pre rêve de Versailles Et on peut y raconter
tant d'histoires.. Il n'y a pas de pensée figée.
Il n'y pas deux conservateurs, deux jardiniers
qui portent le même regard sur Versailles.
C'est d'ailleurs cela qui nous a donné l'idée
d'une application pour smartphones Jardins
de Versailles, permettant à nos visiteurs de les
découvrir avec l'écrivain Erik Orsenna pour
guide, par exemple
Le mariage avec l'art contemporain
permet-il d'appréhender différemment
les jardins ?
C P Sans doute Giuseppe Penone Fa-t-il sou-
haité ainsi. Son regard ne contredit pas le
lieu. Il le fait même vivre, s'agissant du bos-
quet de l'Etoile qui était en domiance et où
il a installe certaines de ses œuvres. Il y a une
justesse à « être-là », justesse que l'artiste a
mesurée ct jc parle tres sérieusement - avec
le jardinier. Penone avait besoin d'un histo-
rique physique des jardins. Joël lui en a fait
partagei sa connaissance profonde.
J C C'est vrai que nous nous sommes bien
entendus
Pensez-vous que Louis XIV serait surpris
de voir son jardin aujourd'hui ?
C P II verrait que le caractère symbolique de
Versailles et son exemplarité demeurent aux
yeux du monde entier. C'est, je croîs, ce qu'il
voulait.»
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