Surface approx. (cm²) : 3385
Vautre vie de Le Nôtre.
Qui était véritablement Le Nôtre ? Forgée de son vivant, entretenue au cours
des siècles, la legende du bonhomme jardinier - qu'il se plaisait lui-même
a colporter - fait aujourd'hui place a une autre histoire : celle d'un homme
habile, infiniment cultive, proche du pouvoir et ami de Louis XIV, qui surfe
sur les querelles de la cour en affichant une courtoisie mesurée Auteure
d une biographie d'André Le Nôtre chez Fayard et commissaire
de l'exposition qui vient clore, a Versailles, l'année commemorative de
la naissance du célèbre paysagiste, Patricia Bouchenot-Dechm dépoussière
l'image de « l'homme heureux » en démêlant la pelote des idees reçues
Le Nôtre était faussement modeste En parfait connaisseur de la cour,
il se faufilait a travers ce repaire de serpents en faisant sienne la devise
« Pour vivre heureux, vivons caches ». Premier jardinier du roi, il était aussi
administrateur et controleur des bâtiments. Il avait pour titre conseiller du
roi, un titre honorifique dont il a fait une realite C'était aussi, évidemment,
un homme de pouvoir qui avait l'assurance de l'affection du souverain,
bénéficiait de sa confiance illimitée ainsi que de celles de Colbert et de
Louvois. A aucun moment il n'a laisse la place a ses collaborateurs : il n'est
pas une œuvre que l'on peut leur attribuer en propre... Le Nôtre reste tout
puissant jusqu'à la fin de sa vie. Telle la statue du Commandeur, il jette son
ombre sur ce qui I entoure On comprend que Jules Hardoum-Mansard ait
souffert de cette omniprésence ! Architecte-jardinier, il fait preuve durant
toute sa carriere d une habileté étonnante a servir plusieurs maîtres tout
en restant l'homme du roi il travaille a distance pour les cours d'Europe,
réalise pour Charles-Emmanuel ll de Savoie les jardins de Racconigi
et pour Victor Amedee ll, les jardins du palais royal de Turin. Son influence
est manifeste en
Allemagne, ou
il dessine le parc
et les jardins de
Charlottenburg pour
Sophie-Charlotte de
Hanovre. Egalement
aux Pays-Bas, avec
les jardins de Met Loc
pour Guillaume lll, et
en Grande-Bretagne,
avec ceux de Windsor
et de Greenwich,
toujours pour
Guillaume lll, le propre
ennemi de Louis XIV !
Erudit, esthète,
le « jardiner »
collectionne
les tableaux, les bronzes, les médailles, les estampes En 1693, avant
de se retirer a l'âge de quatre-vingt ans, il lègue au roi les oeuvres les plus
prestigieuses de sa collection : des tableaux de Poussin, du Lorrain,
de Brueghel.. Lin don exceptionnel, qui impressionna l'Europe entière.
VOIR
Exposition
«
André
Le
Nôtre
en
perspectives. 1613-2013
»,
|usqi
au
23 fevrier 2014 au Château de Versailles www chateauversailles fr
sine L'obligation première de notre métier est
de travailler avec les saisons : si on en manque
une, on n'en finit plus. En un an, tout peut dis-
paraître. .
C P Quatre cents ans après Le Nôtre,
Versailles perdure dans son intégrité Cette
discrétion, ces mains invisibles qui entretien-
nent quotidiennement le jardin, c'est le génie
des hommes qui se succèdent Nous pensons
tout d'abord à respectei ce lieu. A le péren-
niser. A le transmettre
Madame la présidente, qu'est-ce qui vous
a surpris le plus lors de votre arrivée
à Versailles ?
C P Justement, ceux qui font Versailles
aujourd'hui Pt parmi eux, les jardiniers Je
me souviens de la premiere visite que jc leur
ai rendue, à Versailles et à Trianon Sans doute
étaient-ils curieux de voir qui arrivait en leur
domaine. La piemieie chose que Joël Coton
m'a dite, c'est qu'il fallait changer le tapis de
l'Orangerie, un tapis en coco. Je venais de
prendre mes fonctions, j'avais dans la tête la
restauration du salon de l'Abondance, du
salon de Mercure et les acquisitions qu'il fau-
drait faire pour meubler les appartements
royaux, et voilà qu'il me parlait moquette '
Maîs lorsqu'il a ajouté qu'il s'agissait d'un
tapis de 4 400 m2, j'ai compris. Même en
coco, c'est un budget !
J C Chaque été, l'Orangerie est louée pour
des soirées. Un tapis est donc nécessaire pour
recouvrir le sol en terre battue II fallait expli-
quer les choses à madame Pégard quand elle
est arrivée a Versailles..
C P Avec les jardiniers, on est tout de suite
plonge dans la réalité ct dans l'histoire. I eur
savoir-faire traverse le temps Ils ont une
connaissance intime, charnelle de la nature et
des jardins. Ils ressentent le lieu, reproduisent
les gestes d'autrefois, par exemple celui de des-
siner et d'entretenir cles topiaires exactement
comme au XVII1 siècle.
J C On va juste un peu plus vite !
C P Oui, mais les gestes sont les mêmes
Avez-vous des lieux de prédilection ?
JCl 'Orangerie est une exception. En vingt
ans, nous avons entrepris un gros travail de
restauration, recréé la collection, changé les
caisses, modifié les parterres. C'est une part
impoi tante de notre travail et une spécificité
de Versailles.
C P C'est effectivement un monde à part.
L'hiver, les orangers dorment sous les voûtes.
En avril et en novembre, les jardiniers les sor-
tent et les rentrent d'une manière immuable
Ce mouvement des arbres est magique Maîs
il faut aussi se perdre dans les bosquets •
l'Encelade, la salle de Bal. En un instant,
votre imagination prend le dessus.
« QUATRE CENTS ANS APRÈS
LE
NÔTRE,
Versailles
perdure
dans son intégrité. »
Y a-t-il desjardins secrets à Versailles ?
C P Je sais que Joël en a. Il faut du temps pour
qu'il vous les montre. Il rn a fait l'amitié de
m'en faire découvrir deux cette année.
J C Nous avons nos petits secrets.
Le roi aimait montrer ses jardins.
Est-ce toujours une tradition ?
C P Tous ceux qui viennent ici ont leur pro-
pre rêve de Versailles Et on peut y raconter
tant d'histoires.. Il n'y a pas de pensée figée.
Il n'y pas deux conservateurs, deux jardiniers
qui portent le même regard sur Versailles.
C'est d'ailleurs cela qui nous a donné l'idée
d'une application pour smartphones Jardins
de Versailles, permettant à nos visiteurs de les
découvrir avec l'écrivain Erik Orsenna pour
guide, par exemple
Le mariage avec l'art contemporain
permet-il d'appréhender différemment
les jardins ?
C P Sans doute Giuseppe Penone Fa-t-il sou-
haité ainsi. Son regard ne contredit pas le
lieu. Il le fait même vivre, s'agissant du bos-
quet de l'Etoile qui était en domiance et où
il a installe certaines de ses œuvres. Il y a une
justesse à « être-là », justesse que l'artiste a
mesurée — ct jc parle tres sérieusement - avec
le jardinier. Penone avait besoin d'un histo-
rique physique des jardins. Joël lui en a fait
partagei sa connaissance profonde.
J C C'est vrai que nous nous sommes bien
entendus
Pensez-vous que Louis XIV serait surpris
de voir son jardin aujourd'hui ?
C P II verrait que le caractère symbolique de
Versailles et son exemplarité demeurent aux
yeux du monde entier. C'est, je croîs, ce qu'il
voulait.»