funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours.
Tout l’hiver va rentrer dans mon être :
colère,
Haine, frissons, horreur, labeur dur et
forcé,
Et, comme le soleil dans son enfer polaire,
Mon cœur ne sera plus qu’un bloc rouge
et glacé.
J’écoute en frémissant chaque bûche qui
tombe ;
L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus
sourd.
Mon esprit est pareil à la tour qui
succombe
Sous les coups du bélier infatigable et
lourd.
Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu’on cloue en grande hâte un cercueil
quelque part.
Pour qui ? - C’était hier l’été ; voici
l’automne !
Ce bruit mystérieux sonne comme un
départ.
II
J’aime de vos longs yeux la lumière
verdâtre,
Douce beauté, mais tout aujourd’hui m’est
amer,
Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni
l’âtre,
Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.
Et pourtant aimez-moi, tendre cœur !
Soyez mère,
Même pour un ingrat, même pour un
méchant ;
Amante ou sœur, soyez la douceur
éphémère
D’un glorieux automne ou d’un soleil
couchant.
Courte tâche ! La tombe attend ; elle est
avide !
Ah ! Laissez-moi, mon front posé sur vos
genoux,
Goûter, en regrettant l’été blanc et torride,
De l’arrière-saison le rayon jaune et doux !
Charles Baudelaire, Les fleurs du mal
Soupir
Mon âme vers ton front où rêve, ô calme
sœur,
Un automne jonché de taches de
rousseur,
Et vers le ciel errant de ton œil angélique
Monte, comme dans un jardin
mélancolique,
Fidèle, un blanc jet d’eau soupire vers
l’Azur !
- Vers l’Azur attendri d’Octobre pâle et pur
Qui mire aux grands bassins sa langueur
infinie
Et laisse, sur l’eau morte où la fauve
agonie
Des feuilles erre au vent et creuse un froid
sillon,
Se traîner le soleil jaune d’un long rayon.
Stéphane Mallarmé
Les saisons et l'amour
Le gazon soleilleux est plein
De campanules violettes,
Le jour las et brûlé hâlette
Et pend aux ailes des moulins.
La nature, comme une abeille,
Est lourde de miel et d'odeur,
Le vent se berce dans les fleurs
Et tout l'été luisant sommeille.
Ô gaieté claire du matin
Où l'âme, simple dans sa course,
Est dansante comme une source
Qu'ombragent des brins de plantain !
De lumineuses araignées
Glissent au long d'un fil vermeil,
Le cœur dévide du soleil
Dans la chaleur d'ombre baignée.
Ivresse des midis profonds,
Coteaux roux où grimpent des chèvres,
Vertige d'appuyer les lèvres
Au vent qui vient de l'horizon ;
Chaumières debout dans l'espace
Au milieu des seigles ployés,
Ayant des plants de groseilliers
Devant la porte large et basse ...
Soirs lourds où l'air est assoupi,
Où la moisson pleine est penchante,
Où l'âme, chaude et désirante,
Est lasse comme les épis.
Plaisir des aubes de l'automne,
Où, bondissant d'élans naïfs,
Le cœur est comme un buisson vif
Dont toutes les feuilles frissonnent !