M. Jollivet et J.-C. Mounolou : Natures Sciences Sociétés 13, 45-53 (2005) 49
par cas. Ces questions, formulées en termes de risques,
conduisent Ă qualiïŹer par des probabilitĂ©s les observa-
tions faites comme les projections possibles. Des concepts
et des démarches universels, adaptés à de telles problé-
matiques, existent. Ils ont Ă©tĂ© Ă©laborĂ©s dans un eïŹort in-
terdisciplinaire qui bĂ©nĂ©ïŹcie dâune longue expĂ©rience, in-
dépendamment du cas particulier des OGM. Par contre,
la mise en Ćuvre des outils disponibles demande un in-
vestissement de recherche spĂ©ciïŹque, puis des ïŹliĂšres
technologiques adaptĂ©es, des instances dâĂ©valuation qui
dĂ©ïŹnissent des normes et des rĂ©glementations, enïŹn des
structures de contrĂŽle. La mise en place de toutes les
Ă©tapes de ce processus, de la connaissance aux contrĂŽles,
exige de la dĂ©cision, du temps, du travail et de lâargent.
Ainsi que le courage de reconnaĂźtre quâil nây aura, au
bout de lâeïŹort, ni rĂ©ponse dĂ©ïŹnitive ni Ă©quilibre confor-
table, mais une situation nouvelle qui posera ses propres
questions et en relancera dâautres6.
Le recours aux plantes OGM correspond donc bien Ă
de nouveaux risques sanitaires. Mais ils sont du mĂȘme
ordredegrandeuretdemĂȘmenaturequeceuxquetoutes
les innovations antérieures ont toujours introduits, que
ce soit dans le domaine de la santĂ© ou dans dâautres.
Sur le plan scientiïŹque, aucune de ces questions ne crĂ©e
une situation de rupture dans la façon de les prendre en
charge. Il sâagit simplement de sâen donner les moyens.
En outre, elles ne concernentenrienspĂ©ciïŹquementles
OGM vĂ©gĂ©taux ; on pourrait les poser tout aussi bien Ă
propos de cultures de cellules animales ou de microor-
ganismes gĂ©nĂ©tiquement modiïŹĂ©s mis en culture pour
produire des médicaments ou intervenir dans de nou-
veaux procĂ©dĂ©s industriels. Or, elles ne font dĂ©bat quâĂ
propos des premiers. Ignorance de lâutilisation dâOGM
par lâindustrie ? ConïŹance particuliĂšre dans la sĂ»retĂ© des
processus industriels qui permettent de mettre Ă la dis-
position du public des protĂ©ines et non des ĂȘtres vivants?
Représentation et symbolique de la plante entiÚre et de
sa culture? Interférence avec la question des risques éco-
logiques, second volet de la contestation ?
6Ă lâheure actuelle, il nâexiste pas de risque toxique avĂ©rĂ©
concernant les OGM vivants mis dans le commerce, et Ă©tablir
desnormesnâapasdesens.CâestlagrandediïŹĂ©rence avec les
pesticides, dont on connaĂźt des eïŹets toxiques pour lâhomme
et pour lesquels ont été établies des normes : seuil de toxicité,
dose journaliÚre admissible, limite maximale de résidu dans
un produit commercial, etc. Par conséquent, tout un travail
dâanalyse de risque et dâĂ©laboration de normes mĂ©rite dâĂȘtre
conduit pour les OGM végétaux producteurs de pesticides et
les usages des produits qui en sont dérivés. Mais ceci ne peut
Ă©videmment se faire quâĂ long terme, puisquâil nây a pas dâeïŹet
avĂ©rĂ© Ă court terme. Ceci nâest quâun exemple et une approche
interdisciplinairepeut, spĂ©ciïŹquement, au cas par cas, proposer
des rĂ©ponses (toujours provisoires)aux inquiĂ©tudes que fortiïŹe
lâapparition, sur le marchĂ© de la drogue, de Cannabis OGM
surproducteur de cannabinol. . .
Des risques Ă©cologiques maĂźtrisables
Câest en fait sur ce point que la controverse est la plus
intense. On pourrait pourtant facilement dire que, lĂ non
plus, la situation nâa rien dâoriginal : les questions sont
bien identiïŹĂ©es et partagĂ©es (Mounolou et Fridlansky,
2002). Soulignons simplement quâen lâoccurrence, la liste
des interrogations va de questions trĂšs spĂ©ciïŹques (avan-
tages aux insectes parasites qui acquiÚrent une résis-
tance aux pesticides avec lesquels les mettent en contact
les plantes OGM, dissémination de gÚnes portés par les
plantes OGM Ă des plantes sauvages de la mĂȘme espĂšce
ou dâespĂšces diïŹĂ©rentes, modiïŹcations de la diversitĂ©
biologique des communautĂ©s dâĂȘtres vivants. . . ) Ă des
problÚmes plus généraux (invasions biologiques, appau-
vrissement du patrimoine génétique collectif des espÚces,
modiïŹcations globales de lâenvironnement par chan-
gement des fonctions des espĂšces qui le peuplent. . . ).
Ces risques existent. Et leurs eïŹets peuvent mĂȘme, sur
un plan strictement biologique, ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme
crĂ©ant une situation irrĂ©versible. Ils peuvent donc ĂȘtre
vus comme irrĂ©versiblement « dommageables » si lâon
considÚre que la diversité biologique existante, ainsi que
les processus qui, en lâĂ©tat actuel des choses, la produisent
et la font Ă©voluer, prĂ©sentent des avantages quâil est in-
dispensable de prĂ©server (dâoĂč la rĂ©fĂ©rence Ă la notion de
patrimoine). PrĂ©cisons toutefois quâil sâagit lĂ dâun juge-
ment de valeur, câest-Ă -dire dâune apprĂ©ciation qui nâest
pas uniquement fondée par la science biologique, mais
qui correspond avant tout à une représentation sociale
concernant les vitesses et les chemins des Ă©volutions bio-
logiques souhaitables. Du point de vue strictement bio-
logique, lâĂ©valuation que lâon peut faire sur le plan scien-
tiïŹque est semblable Ă celle qui a Ă©tĂ© faite sur le point
précédent : les biologistes sont outillés pour aborder les
questions soulevées.
Ceci vaut pour la question de la résistance acquise par
un insecte aux molécules produites par une plante OGM
en vue de la protéger de lui : si la démarche reste à faire,
les connaissances et les techniques existent. Celles dont
nous disposons actuellement ont fait la preuve de leur
pertinence, en mĂȘme temps que de leurs limites (appari-
tions dâinsectes rĂ©sistants, suivies de leurs disparitions ;
modiïŹcations de lâenvironnement. . . ) Ă propos dâautres
problĂšmes (par exemple, la lutte contre les moustiques
vecteurs du paludisme ou contre les criquets pĂšlerins ra-
vageurs des cultures). Mais il en va de mĂȘme en ce qui
concerne les incidences biologiques que risquent dâavoir
sur lâenvironnement et lâagriculture lâexpĂ©rimentation en
plein champ des OGM et, plus encore, leur culture Ă
grande Ă©chelle (INRA, 2002). On sâarrĂȘtera tout particu-
liĂšrement ici sur la question qui revient comme un leit-
motiv dans ce dĂ©bat : celle de savoir sâil est possible,
« traçabilitĂ© » Ă la clef, de maintenir Ă©tanches une ïŹliĂšre