Compte-rendu des rencontres professionnelles franco

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Rencontres professionnelles franco-allemandes
du spectacle vivant
Edition 2015
22 & 23 janvier 2015
Sarrebruck (D) & Forbach (F)
– CONCLUSIONS –
Transmédia et arts vivants - Quelles perspectives pour le théâtre jeune
public ?
A. Introduction : Qu’est-ce que la création transmédia ?
B. Table ronde : Projets artistiques et expérience professionnelle dans le
domaine du transmédia
C. Travail de groupe : Conception d’une trame de projet transmédia
D. Bilan des travaux de groupe et ouverture
Rencontres ASSITEJ
E. Le théâtre pour enfants et adolescents en Allemagne et en France
ANNEXES : Documentation remise lors de la rencontre
Projet cofinancé par les Fonds européens de développement régional dans le cadre du
programme INTERREG IV A Grande Région
Gefördert durch den Europäischen Fonds für regionale Entwicklung im Rahmen des
Programms INTERREG IV A Großregion
L’Union Européenne investit dans votre avenir
Die Europäische Union investiert in Ihre Zukunft
Lors de ces rencontres professionnelles, nous voulions faire découvrir l’émergence et les possibilités
offertes par la création transmédia comme forme d’écriture augmentée, dans son application au
spectacle vivant.
Une première partie était consacrée à la présentation des précurseurs et d’expériences existantes. La
seconde partie avait pour objectif d’immerger les participants de ces rencontres dans l’écriture ellemême.
Remarques préliminaires : Ces conclusions sont la synthèse des échanges des rencontres des 22 et
23 janvier 2015. Elles rapportent les propos des différents intervenants, ainsi que leurs remarques et
leurs interrogations. Ce document n’est donc ni exhaustif ni représentatif de l’ensemble des
pratiques théâtrales propres à chaque pays. Par ailleurs, il regroupe des informations de plusieurs
natures : d’une part des éléments descriptifs et factuels, d’autre part des échanges d’opinion et
témoignages d’expériences.
2
Transmédia et arts vivants - Quelles perspectives
pour le théâtre jeune public ?
A. INTRODUCTION : QU’EST-CE QUE LA CREATION TRANSMEDIA ?
Intervenante
Julie Burgheim, Chargée de projet (L-EST/Laboratoire Européen Spectacle vivant et Transmédia en
préfiguration CCNFCB / MA scène nationale-Pays de Montbéliard / Le Granit scène nationale, Belfort)
Compilation d'apports théoriques sur la question du transmedia storytelling dans l'idée de permettre
une réflexion ouverte autour de son articulation avec le spectacle vivant – sachant que les exemples
sont très marginaux. Extraits d’une note de Julie Burgheim.
1. Contexte d'apparition du concept de transmedia storytelling et définition
Le terme et le concept de transmedia storytelling sont récents et se sont développés dans un
contexte d'accroissement notable de convergence des médias, plus précisément de leur contenu
véhiculé. C'est Henry Jenkins, chercheur et professeur en Communication, Journalisme et Arts
cinématiques à l'Université USC Annenberg School en Californie qui est à l'origine de ce terme.
La convergence dans son acception première définie notamment par Grant et Wilkinson, serait un
rapprochement d'équipements et d'outils différents pour la production et la distribution de
l'information1 et cela par la combinaison des médias, des télécommunications et de l'industrie
informatique. Henry Jenkins quant à lui élargit la réflexion et définit la convergence comme un flux
de contenu sur de multiples plateformes médiatiques2, ce qui suggère que les audiences des
médias jouent un rôle crucial dans la création et la distribution de contenu. Selon lui, la
convergence doit donc être examinée, en prenant en compte les mutations économiques et sociales
autant que technologiques au sein de la société. Pour Jenkins, la convergence des médias est un
processus continu qui ne devrait pas être considéré comme un remplacement ou un déplacement
[displacement] des anciens médias, mais plutôt comme une interaction entre différentes formes de
médias et plates-formes. En soutien à cet argument dans un contexte de recherche sur le
journalisme multimédia, Mark Deuze3 suggère que la convergence des médias doit être considérée
comme une « coopération et une collaboration » entre des formes de médias différentes et des
plates-formes médiatiques sans liens préalables.
C'est donc dans ce contexte de convergence de médias de toutes formes que se développe la théorie
du transmedia storytelling de Jenkins dont il situe l'origine en premier lieu dans l'espace
audiovisuel (cinéma et télévision).
Le transmedia storytelling selon Jenkins
1
2
3
August E.GRANT et Jeffrey S.WILKINSON (sous la direction de), Understanding media convergence : the state of the field,
New York, Oxford University Press, 2009.
Henry JENKINS, Convergence Culture: Where Old and New Media Collide, New York, New York University Press, 2006.
Mark DEUZE, « What is Multimedia Journalism », In: Journalism Studies, Volume 5, Number 2, Routledge Press, 2004.
3
Avant de débuter sur la typologie du transmédia selon Jenkins, il semble important de rappeler que
le terme de storytelling comporte en soi une information de taille, par ailleurs centrale dans les
recherches de Jenkins. Il s'agit d'une méthode, principalement utilisée en communication et en
communication politique ; elle consiste dans l'application de procédés narratifs permettant de
gagner l'adhésion du public ; en utilisant le biais d'une histoire forte qui génère une émotionnalité
dans un contexte qui ni ne la génère ni ne la suppose a priori (ex: au sein même d'une entreprise :
roman d'entreprise... OU dans la relation entreprise/public - dans la manière de véhiculer une
marque, un produit). L'enjeu étant de créer une forme de mythologie.
Lorsque Jenkins parle donc de transmedia storytelling, il s'appuie sur des exemples et schémas, bien
que ceux-ci soient tout à fait créatifs, avec un but et une stratégie commerciale misant sur l'affect
du consommateur.
Un deuxième point important, qui introduit les notions d'interactivité et de participation sur
lesquelles Jenkins fonde son analyse, c'est que le transmédia n'est pas univoque, que le transmedia
storytelling ne se crée pas dans la solitude créatrice mais que l'histoire racontée est bel et bien un
processus. Par ailleurs, Jenkins différencie fondamentalement ces deux notions :
Pour moi, l'interactivité concerne les propriétés de la technologie, et la participation celle de la
culture. Évidemment, en pratique, tous deux peuvent entrer en jeu dans le même texte. […]. Nous
pouvons imaginer toute une gamme de relations différentes que les fans pourraient avoir avec une
propriété transmédiatique. D'un côté, il y a la chasse ou les pratiques de collecte pour retrouver
les morceaux dispersés d'information et comprendre comment tout cela s'assemble pour former
un tout cohérent. De l'autre côté, nous pourrions passer par différents niveaux d'un jeu, et franchir
des obstacles, tuer des patrons et rassembler des objets. Mais on peut aussi penser à diverses
4
formes de performances de fans – en partant des fanzines jusqu'au cosplay – qui sont plus
participatives et ouvertes et moins dépendantes des choix de conception des producteurs
5
transmédia.
Ainsi dans un système transmédiatique la narration évolue en fonction d'une communauté, d'une
société et s'apparente ainsi à une écriture performative. Pour sous-tendre cet argument, on peut
notamment se référer au fait que Jenkins a débuté son travail de recherche par une approche
ethnographique en collectant sur la toile (forums, réseaux sociaux, etc) les témoignages de jeunes
adolescents en analysant leurs comportements et leurs rapports (réactions, propositions et
participation) à des fictions transmédialisées et leurs impacts sur celles-ci.
En combinant ses conclusions avec sa recherche plus générale, il en vient finalement à son concept
de narration transmédia qu'il définit comme suit:
Le transmedia storytelling représente un processus dans lequel les éléments d'une fiction sont
dispersés systématiquement à travers de multiples plateformes médiatiques dans le but de créer
une expérience de divertissement unifiée et coordonnée. Idéalement, chaque médium apporte sa
6
propre contribution pour le développement de l'histoire.
4
5
6
Le cosplay, mot-valise composé des mots anglais "costume" et "playing", est un phénomène culturel japonais qui
consiste à jouer le rôle de ses personnages (héros de mangas, d'animation japonaise, de tokusatsu, de films, de jeux
vidéo ou encore de comics) en imitant leur costume, leurs cheveux —à l'aide d'une perruque ou en réalisant la même
coupe de cheveux que celle du personnage— et leur maquillage.
Henry JENKINS. Transmedia 202: Further Reflections. 2011
Henry JENKINS, « La Licorne Origami contre-attaque. Réflexions plus poussées sur le transmedia storytelling », in :
Transmedia Storytelling, Revue Terminal-Technologie de l'information – Culture et Société N° 112, Paris, l'Harmattan,
2013, page 13
4
Notons à cet endroit que Jenkins précise que les éléments constitutifs de cette définition sont
évolutifs et qu'il les met à jour régulièrement en fonction de l'avancement de ses recherches et celles
de ses pairs dans ce domaine. Sa définition fondatrice s'appuie sur l'analyse des dispositifs,
numériques ou non numériques, d'extension de la narration autour de la trilogie des films Matrix.
Pour lui, ces films représentaient, du fait de leur complexité narrative, un laboratoire innovant en
matière de narration « augmentée » engageante et immersive et nous rappelle que le transmedia
storytelling est « une façon de raconter des histoires en rajoutant des éléments narratifs sur diverses
plateformes médiatiques pour créer un univers complet et augmenté7. Il s'agit d'une pratique en
constante évolution et non d'un objet fini et immobile que l'on observe et tente de définir.
2. Les principes esthétiques du transmedia storytelling
A partir de différents systèmes identifiés comme transmédiatiques par Jenkins et toujours en partant
d'expériences du champ de l'audiovisuel, celui-ci dresse une liste de sept principes esthétiques
formant le transmédia :
1. La circulation vs le forage
Capacité des publics de s'engager activement dans la circulation des contenus médiatiques à travers les
réseaux sociaux et ainsi, d'étendre leur intérêt économique et culturel. La circulation encourage la
recherche horizontale, de surface, sans nécessairement favoriser un engagement à long terme. Le forage
attire moins de fans, mais occupe beaucoup de leur temps dans une descente verticale dans les
complexités narratives.
2. Continuité vs Multiplicité
Continuité de l'histoire racontée, qui favorise notre appréciation de la cohérence et de la plausibilité
des univers fictifs. Ex : les continuités élaborées par les univers de supers-héros Marvel et DC, qui ont
depuis longtemps attiré les fans dans la découverte de leurs bandes dessinées et comics. Si nous
prenons ces éditeurs comme point de départ, nous remarquons qu'ils vont au-delà de la continuité
et proposent également de la multiplicité : la création de versions multiples et alternées de la même
histoire et des mêmes personnages.
3. Immersion vs Extraction
Ces deux notions font référence à la relation qui s'établit entre la fiction transmédia et nos
expériences quotidiennes. Avec le phénomène d'immersion, les publics entrent dans le monde de
l'histoire ; avec le phénomène d'extraction, les fans se réapproprient des aspects de l'histoire pour les
intégrer dans leur vie quotidienne.
4. La création d'un univers
Un scénariste anonyme qui montre comment les priorités d'Hollywood ont évolué au cours de sa
carrière : « Quand j'ai commencé, il fallait présenter une histoire parce que sans histoire, il n'y avait
pas de film. Plus tard, quand les suites ont commencé à prendre de l'ampleur, il fallait présenter un
personnage parce qu'un bon personnage permettait de développer plusieurs histoires. Et maintenant,
il faut présenter un univers parce qu'un univers permet de développer plusieurs personnages et
plusieurs histoires à travers plusieurs médias. »
7
Mélanie BOURDAA., « Introduction », in : Transmedia Storytelling, Revue Terminal-Technologie de l'information –
Culture et Société N° 112, Paris, l'Harmattan, 2013, page 7.
5
5. Sérialité (et sérialité avec temporalités ajoutées)
L'idée de sérialité remonte au XIXe siècle avec les écrivains Charles Dickens et Alexandre Dumas. La
sérialisation est devenue primordiale dans la narration audiovisuelle, depuis l'émergence des séries
cinématographiques au début du XXe siècle. Une série met en place des bouts d'histoires satisfaisants et
pertinents puis disperse ensuite l'histoire complète sur différentes plateformes.
6. Subjectivité
Une autre fonction du transmédia peut permettre de nous montrer les expériences et points de vue
des personnages secondaires. Ces fonctions peuvent être combinées, comme dans les webcomics de
Heroes, qui fournissaient des précisions sur les nombreux personnages au lancement de la série.
Nous pouvons apprendre énormément sur cet aspect du transmédia en étudiant la tradition des
romans épistolaires.
7. Performance
Deux notions étroitement liées : les attracteurs culturels (notion empruntée à Pierre Lévy) et les
activateurs culturels. Les attracteurs culturels rassemblent une communauté de gens qui partagent
les mêmes passions, même si leur intérêt est seulement de savoir le prochain candidat exclu de l'île.
Les activateurs culturels donnent quelque chose à faire à cette communauté.
3. Débats et perspectives autour du transmedia storytelling
Si Henry Jenkins ne différencie pas vraiment le cross-media et le transmedia storytelling, on constate
une volonté de distinction dans certaines recherches. Cette rupture trouve son origine dans la
volonté de différencier une approche corporate et industrielle (cinéma, informatique) et une
approche créative, artistique et culturelle.
Cette position s'exprime dans les contributions de Benjamin Lesson8, qui définit le crossmédia
comme « un ensemble de produits dérivés autour d’une œuvre. Par exemple des adaptations, en
bandes dessinées, d’un film9 ». Alors que concernant le transmédia, il ne s'agit pas, selon lui,
« d’offrir des objets et œuvres dérivées autour d’une œuvre maîtresse, mais de proposer un
ensemble d'œuvres semi-autonomes. L’intérêt du transmédia réside dans la découverte
progressive d’un univers diégétique, à travers des expériences esthétiques distinctes (cinéma, jeux
vidéos, etc). Dans un cas, il y a toujours une pièce maîtresse ; dans l’autre, elle est moins
nécessaire 10 ». Lesson décrit plus précisément la caractéristique principale d'une narration
transmédia par la particulière mobilisation du spectateur qui ne se situe pas uniquement dans un
rapport interprétatif et réflexif à la représentation, mais plutôt dans la découverte de nouvelles
facettes (à travers différentes représentations) et avec une réelle possibilité d'action (par le biais
d'une interface). Cette action sur l'œuvre a un impact sur le geste artistique du primo-créateur et
remet du moins partiellement en cause de la souveraineté de l'artiste.
4. En résumé...
Mise en perspective avec le spectacle vivant, la définition de Jenkins ainsi que ses dérivés mettent en
exergue certains points importants :
8
9
10
Benjamin Lesson est Docteur en Sciences de l'Information, Université Lyon 2.
Benjamin LESSON, « (Hi)story telling : vers un nouveau partage du sensible... », in : Transmedia Storytelling, Revue
Terminal-Technologie de l'information – Culture et Société N° 112, Paris, l'Harmattan, 2013, page 30.
Ibidem p. 30
6

le transmédia et le spectacle vivant, il s’agit là d’une expérimentation de formes encore très
marginales. Beaucoup de choses restent encore à inventer.

la narration transmédia se développe et se déploie dans un contexte de progrès technique,
d'émergence (voire d'une explosion) des nouvelles technologies modifiant profondément
nos habitudes, nos rapports sociaux, nos productions/notre productivité etc...

le transmédia se propose de coordonner tous ces outils pour les mettre au service d'une
mise en récit.

contrairement au cross-média, le transmédia ne s'attache pas à décliner par l'adaptation sur
d'autres médias l'histoire d'un média maître mais s'entend comme un processus de
fragmentation d'un récit (d'un univers) sur différents supports complémentaires qui
ménagerait une place prépondérante à l'usager (au public) dans l'évolution même de son
récit, mais également dans sa mise en scène (donc dans l'aspect du « vivant » du spectacle).

Le public :
*interagit : avec les personnages
*expérimente : il est l'un des personnages, immersion dans l'espace narratif etc
*s'exprime : réseaux sociaux, BD, écriture...
*cherche et trouve : résolution d'énigme, il s'agit de rechercher activement du contenu à
travers un processus de chasse et de glanage à travers de multiples supports, peser la
fiabilité des informations qui émerge dans différents contextes.
*deux personnes ne trouveront pas le même contenu = nécessité de comparer les notes et
les connaissances en mettant en commun.
Conséquences :
*expansion des pratiques amateurs (vidéo, photographie, art graphique), attitude
contributive
*plus forte fréquentation de lieux culturels (sortie, culture musicale), incite les gens à quitter
leurs écrans pour s’investir dans une vie culturelle locale. Les utilisateurs du numérique ont
une sorte de besoin compensatoire de quitter leur solitude physique et la Toile globalisée.
*porosité entre distraction et art
*importance de la communication
>> Par ce biais, le public modifie le récit, il agit sur le récit.

Le transmédia suppose donc un temps de la représentation plus long / étendu > donc
également l'espace scénique, c'est-à-dire en incluant l'espace public ?

Le transmédia est transdisciplinaire, c'est à dire qu'il porte en lui la question d'un
dépassement. Partir de l'idée de transdisciplinarité comme décloisonnement des disciplines
artistiques est certes déjà intéressant, celle-ci se posant la question du « entre », du « à
travers », mais la question de la transdisciplinarité porte également la question de « l'audelà » ; au-delà du champ artistique et du secteur culturel.
Ex : réunion de créateurs (auteurs, dramaturge, techniciens, web designer, animateurs de
communuatés, sociologues, architectes, etc) de divers horizons qui sont sur un même pied
d'égalité.
7
B. TABLE RONDE : PROJETS ARTISTIQUES ET EXPERIENCE PROFESSIONNELLE DANS LE DOMAINE
DU TRANSMEDIA
Intervenants
Gesine Danckwart (Metteuse en scène et auteure, Allemagne)
Matthieu Roy (Metteur en scène et directeur artistique, Compagnie DU VEILLEUR, France)
Miguel Decleire (Membre du collectif transquinquennal, Belgique)
Moderation
Julie Burgheim (L’EST/Laboratoire Européen Spectacle vivant et Transmédia en préfiguration CCNFCB
/ MA scène nationale Pays de Montbéliard / Le Granit scène nationale, Belfort)
1. Utilisation de nouvelles technologies – Dans quel but ?
o
o
o
Miguel Decleire : L’emploi de nouvelles technologies est venu naturellement à travers le travail
quotidien, le travail en collectif nécessitant des documents collaboratifs qui doivent circuler
entre les membres du collectif.
Par ailleurs, les nouvelles technologies permettent de re-questionner le rapport au public. Nous
cherchons à re-placer le spectateur au centre du spectacle, à développer l’immersion en temps
réel, à le mettre en rapport avec l’espace symbolique grâce à des moyens concrets. Par exemple
par l’utilisation du surtitrage, et son détournement.
Gesine Danckwart : C’est le travail sans « quatrième mur » qui m’intéresse : les situations de jeu
performatives, les films, les créations théâtrales transposées sur internet, la production de pièces
radiophoniques. Ces formes qui relèvent de plusieurs genres ont amené l’utilisation de médias
différents. Le projet Chez Icke a eu lieu tout d’abord à Berlin, et a ensuite été invité dans
différents lieux. Chez Icke est un bar itinérant qui accueille de vrais clients et des clients incarnés
par des comédiens, mais aussi des « barvatares », dirigés par internet : leurs dialogues sont écrits
sur un forum de chat et une communauté d’internautes décide par vote de leur comportement.
Chez Icke existe également en pièce radiophonique, car je m’intéresse à la question de
l’archivage.
Matthieu Roy : Quand on parle de nouvelles technologies, il ne faut pas oublier la question du
sens. Les nouvelles technologies permettent de faire entrer les jeunes spectateurs dans une
œuvre complexe. Dans notre spectacle Amour conjugal, les spectateurs suivaient le spectacle
avec des casques, ce qui les mettait dans une situation semblable à celle d’un lecteur qui lit seul
un texte. Ceci permettait une approche très individuelle. Les médias peuvent être vecteurs
d’émancipation intellectuelle.
8
2. Utilisation de médias dans le domaine du jeune public – Divertissement vs éducation ?
Marketing vs Art ?
o
o
o
Gesine Danckwart : Il s’agit d’utiliser les mêmes instruments que l’industrie du divertissement,
mais en évitant de sombrer dans les travers du marketing. Il est vrai qu’il y a peu de projets
vraiment intéressants. Les moyens sont souvent trop limités, et ce n’est qu’en trouvant
différentes sources de financement qu’on arrive à faire aboutir les projets. Trouver les moyens
nécessaires pour pouvoir transmettre des contenus complexes est un vrai défi. Dans un contexte
transmédia, il ne s’agit pas d’utiliser des technologies uniquement pendant les représentations,
mais également en amont. La narration se déroule sur plusieurs semaines. Mais l’enjeu ne réside
pas tant dans l’utilisation des technologies, que dans la façon de les utiliser à des fins artistiques.
Dans Chez Icke, nous nous demandions comment donner plus de profondeur et une meilleure
qualité à ce qui était écrit dans le chat. Car c’est la qualité et la profondeur qui nous différencient
du marketing.
Miguel Decleire : Les médias ne doivent pas devenir le sujet du projet artistique. Dans notre
collectif, nous les utilisons pour provoquer la fragmentation du public. Dans les œuvres
transmédias pour enfants, il faudrait partir de leurs pratiques, réussir à créer un lien entre leurs
univers et le nôtre et briser ainsi l’opposition scène/salle.
Matthieu Roy : Parfois, c’est le texte qui mène au transmédia, c’était par exemple le cas pour Un
doux reniement. Nous nous sommes demandé comment mettre le spectateur dans une situation
qui lui permette de s’identifier au personnage. Le résultat était une forme conçue pour un seul
spectateur à la fois. Il n’y a pas besoin de préciser que sur le plan économique, ce fut un
désastre !
Ce que je souhaite, ce n’est pas mettre les enfants DANS un théâtre, mais les mettre en situation
de jeu, leur faire vivre quelque chose qui s’apparente à un jeu vidéo ou un livre dont ils sont les
héros. Je veux les faire rencontrer d’autres enfants, des adultes et des comédiens. Il est
important de les faire rencontrer l’altérité des acteurs plus âgés. Car il faut que cela reste
encadré, professionnel.
3. Combien de temps, quelles ressources et quels moyens financiers sont nécessaires pour un
projet transmédia ?
Temporalité et lieu
o Miguel Decleire : Il nous faut entre trois et quatre ans pour créer un spectacle. Notre compagnie
en conçoit plusieurs en même temps. Par exemple, le projet A vous de choisir/The Choice
engendre une coopération avec la technique, les relations publiques, la communication, et crée
un pont entre les artistes et les publics. Dans un contexte transmédia, le spectacle commence
bien avant le spectacle. Dès la rédaction de la première ligne d’écriture du spectacle, on
communique. C’est un peu du « merchandising » à l’envers : il s’agit de vendre des produits
dérivés avant que le spectacle soit présenté.
o Matthieu Roy : Un doux reniement a été produit en deux ans de travail. Mais la question de la
temporalité est très importante : à quel moment commence le spectacle ? Est-ce que cela
commence et est-ce que cela se termine vraiment ?
o Gesine Danckwart : Les frontières spatiales disparaissent également : tous les habitants de la
planète deviennent des spectateurs potentiels.
9
Conditions techniques
o
Matthieu Roy: La remorque qui héberge Un doux reniement donne de l’autonomie par rapport
aux lieux de représentation classiques, et aussi d’un point de vue technique. Le spectacle a été
véritablement élaboré en équipe, tout le monde était au même niveau.
Les écoles et établissements de formation en revanche ne sont pas à la hauteur de cette
évolution. Les jeunes acteurs, mais aussi les jeunes techniciens, ne sont pas formés pour
travailler ainsi.
Gesine Danckwart : Il y a de plus en plus de programmeurs qui s’intéressent aux projets
artistiques. Et les produits développés dans un contexte artistique sont parfois en avance sur les
produits commerciaux. On a par exemple peu de connaissances sur les aspects performatifs des
technologies utilisées pour les conférences. Et il arrive régulièrement que les technologies dont
on a besoin pour une création artistique n’existent pas encore. Pour Chez Icke, par exemple, la
qualité des vidéos en terme de définition n’était pas assez bonne pour l’utilisation que nous
voulions en faire.
Financement
o
o
o
Miguel Decleire : La Compagnie Transquinquennal reçoit peu d’aides financières privées. Nous
travaillons avec un développeur de logiciels de surtitrage, mais le produit adapté est hors de
prix. La seule solution est de détourner des produits existants, en général open source. Mais
nous aimerions beaucoup coopérer avec une entreprise pour créer des prototypes.
Gesine Danckwart : Pour nos projets, nous recevons de plus en plus de subventions venant de
l’aide à la création cinématographique.
Matthieu Roy : La Compagnie DU VEILLEUR travaille uniquement avec de l’argent public, ce qui a
posé problème pour un spectacle comme Un doux reniement, et donc un risque économique.
Nous avons essayé d’obtenir une aide financière de la SNCF, mais sans succès.
4. Transmédia et émotion ? Y a-t-il une prépondérance des médias sur l’histoire racontée ?
o
Miguel Decleire : La juxtaposition de médias différents peut produire une sorte de choc. Dans
notre compagnie, nous nous servons beaucoup de la figure de style de la parataxe. Cela peut
être troublant pour le public parce qu’elle évite l’émotionnel. L’endroit émotionnel nous paraît
dangereux. Bien au contraire, nous disons clairement dans nos spectacles : “nous vous
manipulons”. La parataxe permet le décloisonnement. Chaque élément est mis en égard de
quelque chose. La fragmentation est en quelque sorte le contraire de l’immersion. C’est ainsi que
nous essayons de mettre en avant le vécu propre du spectateur.
o
Matthieu Roy : Il s’agit de réfléchir au rapport entre le théâtre et la réalité. Des jeunes
spectateurs prennent souvent pour réel ce qui se passe dans la pièce. Or il faut apprendre à
déconstruire, à analyser les images. Par exemple : la nudité sur le plateau choque. Les
enseignants se demandent souvent s’ils doivent prévenir les élèves quand il y a de la nudité, mais
l’émotion ne s’installe pas forcement quand on est prévenu. Quant à l’usage des médias, nous
devons faire confiance à la force symbolique du théâtre – parfois les médias à disposition sont
aussi une contrainte. Le théâtre reste vivant, contrairement au reste.
o
Gesine Danckwart : Le théâtre a une toute autre relation aux émotions que, par exemple, le
cinéma. Le théâtre se sert toujours de différents médias – et c’est à nous de décider si nous les
réunissons, ou si nous nous en servons pour faire une fragmentation. L’utilisation commerciale
de différents médias simule une unité, alors que le théâtre peut créer des points de contact pour
les détruire ensuite.
10
5. Questions et commentaires du public
Présentation d’un projet transmédia sans technologie numérique
o
Le transmédia ne comprend pas nécessairement de dimension numérique. Frédéric Simon
présente un projet transmédia qu’il a lui-même développé.
Public cible : élèves d’école maternelle (3-6 ans)
Durée : une année scolaire
1ère phase : De petites marionnettes apparaissent dans la cour de récréation et suscitent la
curiosité des enfants. Deux protocoles sont alors possibles : soit l’enseignant voit également les
marionnettes, et lui et les enfants se posent ensemble des questions à leur sujet ; soit
l’enseignant prétend qu’il ne les voit pas, et encourage les enfants à décrire ce qu’ils voient. Les
marionnettes sont chaque jour à un endroit différent, jusqu’à ce qu’elles disparaissent
soudainement.
2nde phase : Un facteur livre un jour une grande caisse dans la cour de l’école au moment de la
récréation. La caisse s’ouvre et les enfants y découvrent un marionnettiste qui les invite à rentrer
tour à tour dans la caisse : il leur montre les marionnettes, qu’ils connaissent déjà, et les autorise
à les toucher. Lorsque les enfants reviennent dans la cour à la récréation suivante, la caisse, le
marionnettiste et les marionnettes ont disparu.
3ème phase : La classe va au théâtre, sans que les enfants aient été préparés à ce qu’ils vont voir.
La représentation commence, les enfants retrouvent sur scène les marionnettes qu’ils
connaissent et découvrent enfin leur histoire.
4ème phase : Quelques semaines plus tard, les enfants reçoivent chez eux une carte postale
d’une des marionnettes prise en photo dans un lieu connu, par exemple devant la tour Eiffel.
L’histoire entre ainsi également dans l’univers familial de l’enfant.
La dimension du jeu dans le transmedia
o
Jonathon Thonon, Théâtre de Liège :
Toutes les pratiques transmédias ont en commun de produire un jeu. Le jeu, c’est interagir, c’est
aussi incarner. Le concept de jeu englobe aussi le jeu de théâtre. Le théâtre devrait contaminer le
réel, faire basculer le réel vers quelque chose d’autre, travailler sur l’altérité. Le transmédia
change également nos pratiques professionnelles : une institution va se placer différemment
dans la pratique transmédia quant à la communication, etc.
Multilinguisme de projets transmédias
o
o
o
Sandrine Grataloup, SACD/ASSITEJ France : Quand le monde entier est le public potentiel d’un
projet transmédia, quelle langue utilise-t-on ?
Miguel Decleire : Certains de nos spectacles existent en flamand et en français. L’acteur peut
également illustrer un texte qui est projeté en trois langues. Nous travaillons très régulièrement
avec du surtitrage.
Gesine Danckwart : La question de la langue se pose dans Chez Icke comme dans tous mes autres
projets. Pour Chez Icke, nous avons travaillé avec un forum de chat en anglais, ce qui a ses
limites, surtout pour du chat. En Suisse, nous avions une « barvatare » qui parlait plusieurs
langues. Je travaille souvent sur des projets multilingues. Ce n’est pas seulement une question
technique, mais surtout une question de contenu.
11
o
Frédéric Simon, Le Carreau : La problématique linguistique se pose de façon particulièrement
évidente dans les Balkans. Comment faire partager le même spectacle aux spectateurs dans leurs
langues respectives et les rapprocher de cette manière-là ? La compagnie Rimini Protokoll a créé
un projet que les spectateurs suivent à l’aide de tablettes, dont les contenus existent en
plusieurs langues. De cette façon, les spectateurs peuvent interagir sans barrière de langues.
Dans les Balkans, mais aussi dans le monde entier, le grand enjeu futur sera de savoir comment
pouvoir vivre le multilinguisme et multiculturalisme.
12
C. TRAVAIL DE GROUPE : CONCEPTION D’UNE TRAME DE PROJET TRANSMEDIA
Les groupes de travail ont permis d’immerger les participants dans un processus d’écriture
transmédia. L’objectif était de pouvoir présenter, au terme de deux demi-journées de travail en
petits groupes, une ébauche de protocole de spectacle transmédia.
Pour ne pas former de groupes selon des affinités disciplinaires, l’équipe organisatrice a
volontairement regroupé des membres des corps de métier présent (auteurs transmédias, metteurs
en scène, comédiens, directeurs et administrateurs de structures, chargés des relations publics,
chargés de la communication, représentants de l’éducation nationale, informaticiens…) dans chaque
groupe de travail. Deux groupes d’environ 15 à 20 personnes ont été ainsi constitués. Au fil du
travail, des petits groupes de quatre à cinq personnes se sont formés pour travailler à des ébauches
de projet.
Julie Burgheim, responsable du L’EST/Laboratoire Européen Spectacle vivant et Transmédia en
préfiguration et Alexandre Pierrin, auteur transmédia, ont animé ces deux groupes. Le travail s’est
fait autour d’un matériau narratif textuel : Matin Brun de Franck Pavloff (fourni aux participants
inscrits au préalable). D’autres matériaux contextuels (photographies, journaux régionaux,…) étaient
à disposition des participants pour nourrir leur réflexion. La traduction simultanée des échanges par
casque a permis de réduire le frein linguistique et le temps de traduction.
Afin de déployer l’écriture dans un espace-temps différent de celui du temps de la représentation
scénique, il était important de déplacer la réflexion artistique par des jeux de pistes, des contraintes
d’écritures et des « brainstorming » en boucle. Après une première prise de notes autour de mots
clés, les groupes ont été conduits à constituer une « timeline », frise temporelle et spatiale qui
pouvait décrire les différentes phases actives de l’écriture.
Atelier de conception transmédia
Contraintes préalables :
- dimension franco-allemande
- projet transfrontalier dans l’Eurodistrict SarreMoselle (carte à l'appui et affichée)
- projet jeune Public
- cadre temporel s'étendant sur plusieurs mois
- au moins une représentation (spectacle)
- point de départ de la narration : l'univers de Matin Brun de Franck Pavloff
Déroulé de l'atelier :
Première étape : « Remue-méninges »
En début de séance, une « boîte à outil » est mise à disposition des participants pour étendre
l'univers narratif d'une œuvre transmédia, des pistes pour initier la réflexion :



Étendre ou creuser l'univers narratif : et si on commençait la narration un mois après la fin
de la nouvelle ? Et si l’on suivait pendant des semaines des podcasts de Radio Brune ?
Subjectivité : et si chaque spectateur avait un avatar qui participait à cette histoire ? Et si on
découvrait la situation à travers les yeux d'un autre personnage ?
Immersion : et si on immergeait littéralement le public dans l'univers de la pièce ?
13








Extraction: et si on installait un vidéomathon devant la salle ?
Rompre la barrière auteur/spectateur : et si on suivait la construction du spectacle, des
répétitions avant d'assister à sa représentation ?
Sérialiser : et si on découpait la pièce en plusieurs épisodes ?
Ludifier : et si on intégrait une logique de jeu (jeu de rôle, livre « dont on est le héros ») à la
narration ?
Récit contributif et participatif : et si on demandait au public d'écrire la ou les suites de
l'histoire ? et si on demandait aux participants de hacker le site de Brune.com ?
Transposer : et si au lieu de prendre l'exemple des animaux, on parlait d'outils
technologiques ?
Fragmenter le récit : et si on répartissait les éléments de l'histoire des deux côtés de la
frontière et que les élèves devaient collaborer pour reconstituer l'histoire ?
etc.
L'idée est de donner des supports qui permettent de prendre la réflexion par un bout : les éléments
de l'univers narratif d'un coté, les orientations de l'architecture transmédia et de l'expérienceutilisateur de l'autre.
Deuxième étape : sélection et structuration du/des dispositifs
Passé le « remue-méninge », l'idée est de rassembler les possibles, de les trier et de les hiérarchiser
pour structurer l'élan initial :
→ Pitcher des dispositifs transmédia : formation de groupes ?
→ Réflexion sur la cible « public jeune », ses usages, ses codes
→ Inciter les gens à réfléchir en groupe selon leurs compétences : quel lien ? Dispositif territorial ?
Lien avec les écoles ?
→ Réfléchir aux différentes plateformes
→ Quelles interactions avec le récit ?
Troisième étape : matérialisation de l'expérience et architecture transmédia
Il faut matérialiser le travail du groupe sous une forme ou une autre pour donner une conclusion
satisfaisante à l'élan collectif :
→ Faire un « storyboard » qui présente le pas-à-pas de l'expérience-utilisateur
→ La durée et le calendrier : faire une « timeline »
→ Les partenariats locaux à établir
14
D. BILAN DES TRAVAUX DE GROUPE ET OUVERTURE
Les travaux de groupe ont été la simulation en quelques heures d’un processus qui dure
normalement plusieurs jours. Le but était de montrer que le transmédia nécessite de sortir de
l’espace de travail habituel, de s’affranchir des séparations entre les disciplines artistiques et des
routines et habitudes.
Les groupes ont présenté une dizaine d’ébauches de projets très variés, desquels se dégagent de
grandes pistes de réflexion :
-
-
-
-
Le contexte du projet ainsi que les connaissances personnelles, l’expérience et les contacts des
participants à sa création représentent des ressources importantes pour le développement d’un
projet transmédia. Il est important de définir ces ressources au début du travail afin de pouvoir y
recourir par la suite.
Même quand un texte existant est à l’origine d’un projet transmédia, on peut envisager un
protocole transmédia à la structure narrative et la chronologie tout à fait différentes de celles du
texte.
Il est important, dans la phase de conception riche en digressions, de ne pas perdre le fil
conducteur et de vérifier régulièrement la viabilité de la construction et du déroulé
chronologique du projet.
Le travail transmédia peut souvent se heurter à des difficultés administratives (avec des
municipalités ou autres), et il faut faire preuve d’ingéniosité et de force de persuasion pour les
surmonter. On doit même parfois recourir à la fiction et à la manipulation, et ainsi intégrer son
interlocuteur au projet transmédia.
Les projets transmédias associent fiction et réalité au point de les rendre parfois difficilement
dissociables. Cela pose donc également une vraie question de responsabilité pour les organisateurs.
Mais cela peut également permettre de rendre visibles et compréhensibles des contenus très
complexes, et cela permet l’apprentissage non-formel et informel.
L’échange entre professionnels du spectacle vivant sur l’utilisation de nouvelles technologies a lieu
dans un contexte où ces technologies sont déjà omniprésentes dans notre quotidien. Au théâtre, des
nouvelles technologies comme l’éclairage à gaz ont été utilisées très tôt à des fins artistiques. Le
théâtre doit se réapproprier le développement technologique afin d’y prendre part activement. Ne
pas le faire reviendrait à laisser le monopole de ces technologies, surtout dans le domaine de la
communication, aux secteurs du marketing et de la publicité.
Sur les axes de définition „synchrone / asynchrone“ et „média de flux / média de stockage“, le
théâtre se définit comme un média de flux défini dans le temps (synchrone). D’autres médias de flux
synchrones, comme la radio ou la télévision, se sont développés et proposent des espaces
d’utilisation asynchrones, où les utilisateurs peuvent trouver des contenus stockés.
Par ailleurs, de plus en plus de formes narratives sont proposées dans le domaine du patrimoine
culturel, un médium de stockage asynchrone, ce qui lui donne une nouvelle dimension, synchrone,
de médium de stockage.
15
Une des particularités du spectacle vivant est que l’expérience du spectateur se fait de façon
collective. Les projets transmédias dans le domaine du spectacle vivant ne suppriment pas cette
particularité, mais ils la complètent par d’autres dimensions.
Notes :
- L’EST (Laboratoire Européen Spectacle vivant et Transmédia en préfiguration) organise chaque
année un appel à projets transmédias européen. www.l-est.org
ArtBrücken
>> www.artbruecken.eu
>> [email protected]
16
Rencontres ASSITEJ France et ASSITEJ Allemagne
E. LE THEATRE POUR ENFANTS ET ADOLESCENTS EN ALLEMAGNE ET EN FRANCE
>> Présentation de Marie Bernanoce (Université De Grenoble 3)
Panorama et tendances du théâtre jeunesse contemporain
Une tradition littéraire avant la scène (la France a une tradition littéraire)
Théâtre jeune public, avec les jeunes
Théâtre jeunesse, pour les jeunes
- période de fort développement pendant les
années 1930-1950 et pendant les années 1970
(Catherine Dasté)
grande effervescence autour des textes écrits à
l’intention du jeune public: la créativité de
l’artiste n'est plus incompatible, bien au
contraire, avec la mise en œuvre d’un texte pour
les enfants...
- formes d'épuisement : écritures trop et mal
destinées (infantilisme)
Le théâtre pour le jeune public est donc ainsi
- 1988 : Mamie Ouate en Papoâsie, écrit et mis en
sorti de son statut de sous-théâtre dans lequel on
scène par Joël Jouanneau
le cantonnait. Les compagnies de théâtre s'en
emparent pour mettre en scène ces pièces.
Les maisons d’éditions publient de plus en plus
de littérature dramatique pour jeunesse et créent
des collections jeune public :
- 1989 : Lansman
- 1995 : L'Ecole des loisirs
- 1999 : Actes Sud / Heyoka jeunesse
- 2001 : Théâtrales jeunesse
- 2002 : L'Arche jeunesse + Am Stram Gram
- 2009 : Espaces 39
- 2014 : Les Solitaires intempestifs, jeunesse

pièces jeunesses publiées en français : 1000 (450 auteurs)

les plus grosses ventes théâtrales sont celles pour le théâtre jeune public (80 000
exemplaires vendus pour la pièce Le long voyage du pingouin de Jean-Gabriel Nordmann)

fossé entre production / moyens

théâtre jeunesse ≠ théâtre jeune public

1975 : première collection théâtre jeunesse : Très Tôt Théâtre
17
LES CLASSIQUES :

Bruno Castan : metteur en scène, il ne trouvait pas la matière littéraire et théâtrale pour ses
mises en scènes, il a écrit Coup de bleu (1988) ; Barbe Bleue et La fille aux oiseaux.

Joël Jouanneau : metteur en scène et auteur. L’enfant cachée dans l’encrier, la pièce n’est
pas autobiographique mais s’inspire de la vie de l’auteur (théâtre palimpseste, théâtre du
balancement entre lumière et obscurité), PinKpunK CirKus , L’ébloui …

Jean-Claude Grumberg : auteur marqué par la shoah. Le Petit Chaperon Uf ; Le petit violon.

Parti pris dans l'illustration ou non des couvertures de livres pour le théâtre jeune public →
politique d'édition à penser.

Yves Lebeau (traducteur de Mayorga) Du temps que les arbres parlaient.

Richard Demarcy, Françoise Pillet…
LES INSTALLÉS :

Philippe Dorin (assimilé à Beckett) : En attendant le petit poucet ; 2084 (théâtre de science
fiction)  joue avec la plastique langagière

Nathalie Papin (théâtre obstiné) : Debout ; Camino ; Mange-moi... (théâtre revendiquant son
lecteur) Un, deux, Rois

Olivier Py : La jeune fille, le diable et le Moulin (écriture classique et épurée)

Catherine Zambon : Mon frère, ma princesse (questions sur l'incertitude sexuelle)

Fabrice Melquiot (auteur aux multiples visages) : Blanches → poélitique = poétique +
politique

Dominique Richard : Le journal de grosse patate (2001) ; Les cahiers de Rémi ; L’enfant aux
cheveux blancs

Sylvain Levey (écriture coup de poing) → théâtre qui dit fortement le monde : Cent culottes
et sans papiers ; Quasmok ? ; Alice pour le moment…

Stéphane Jauberie : Une chenille dans le cœur ; Un tigre dans le crâne ; Un chien dans la tête

Karin Serres : Le petit bonhomme vert ; Louise/Les ours, mise en scène par Patrice Douchet
(Théâtre de la Tête Noire)

Jean-Pierre Canet : La petite Danube  traduite en allemand

Joël Pommerat : Pinocchio (2008) ; Le petit chaperon rouge ; Cendrillon (2012)

Dominique Paquet, Catherine Anne…
LES ÉMERGENTS :
Claudine Galea, Luc Tartar (Les yeux d’Anna), Jean Cagnard, Philippe Gautier, Claire Rengade
(pouvoir de la langue poétique)
 L’inventivité du théâtre actuel se trouve dans la jeunesse (théâtre surréaliste, symboliste…!)
 Grande liberté, tout est possible, à part désespérer les enfants !
 Les écritures remplissent un rôle, celui de parler du monde, mais sans désespérer.
18
>> Présentation de Henning Fangauf (Centre du théâtre jeune public, Francfort)
Le centre du théâtre jeune public existe depuis 25 ans  Il a créé entre autres en 1989 le Forum des
auteurs jeune public de Francfort, moment annuel de rencontre entre professionnels, qui souhaite
promouvoir les mondes théâtraux allemands et français.
Selon Henning Fanghauf, la situation du théâtre jeune public en Allemagne se résume en deux
phrases :
- « Tout va bien »
- « Tout se transforme, tout est remis en question »




L’Allemagne est un grand marché du théâtre, qui se forge un répertoire (ce qui nécessite des
textes théâtraux) qui met des pièces en scène et qui reprend d’anciens textes. Est-ce que le
répertoire perd en importance ? Est-il encore joué ?
Il y a de plus en plus d’auteurs allemands, et également de plus en plus de théâtre international
en Allemagne. 50% des pièces mises en scène en Allemagne sont d’auteurs étrangers, ce qui
stimule le théâtre allemand. L’institut Goethe propose d’importants moyens de traduction pour
l’import et l’export de textes de théâtre.
L’auteur se caractérise toujours par ses compétences dans les domaines de l’écriture et de la
dramaturgie et sa bonne connaissance de la culture des enfants et adolescents. Mais les textes
de spectacles ne sont pas nécessairement des pièces écrites par des auteurs, ils peuvent être
l’œuvre de metteurs en scène ou de professionnels du théâtre. Depuis deux à trois ans, il y a
également de plus en plus de créations collectives, qui poussent à se demander : Qui est
l’auteur ? Quel rôle joue t-il dans le processus de création ?
Le PPP (= le théâtre post-dramatique, participatif et performatif) modifie le paysage théâtral
actuel.
o Festival Augenblick mal! : le seul festival national du théâtre jeune public en Allemagne
propose chaque année un forum qui reflète bien la richesse et la diversité de cette forme
artistique.
Le Festival Augenblick mal! a l’objectif suivant = Stimuler la création, moins de théâtre de pièce du
répertoire, mais davantage de formes expérimentales, danse, travail avec les adolescents.

Question : Quand et comment la mise en scène commence t-elle ? Qui est l’auteur dans le cadre
d’un processus théâtral ? Quel rôle jouent les auteurs de théâtre ? On se rend également
compte que les grands théâtres commencent à produire des spectacles jeune public.
>> Lectures
Es waren zwei Königskinder / Il était une fois deux enfants de rois
Mis en scène en 2000, spectacle bilingue
überzwerg – Theater am Kästnerplatz
Présenté par Christoph Dewes (dramaturge)
Lecture par Eva Coenen et Nicolas Bertholet
Chimères, la valse des écorchés
Texte de Sylvain Levet et Pamela Dürr
Mis en scène en 2011
Théâtre de la Tête Noire
Lecture par Leyla-Claire Rabih
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>> Tour de table d’auteurs franco-allemands : « Quelle est votre expérience professionnelle avec
l’autre pays ? »
Corinna Sigmund, écrivaine : Nous avons besoin d’un nouveau regard sur le théâtre. J’ai habité à
Paris, et j’y ai fait des études de littérature. Si j’étais restée à Paris, j’aurais probablement commencé
à écrire en français. Mais je suis rentrée à Berlin.
J’ai travaillé dans le cadre du projet aufBruch avec Marie Urban. Il s’agissait d’un atelier d’écriture
avec des personnes incarcérées. J’ai également collaboré à l’écriture d’un spectacle qui a été joué au
festival Augenblick Mal.
Erhardt Schmidt, écrivain : Je ne parle pas français. J’aimerais travailler avec des Français, car les
Français pensent différemment des Allemands. La collaboration est probablement très riche. Mais la
barrière de la langue rend les choses difficiles.
Claire Rengade, écrivaine : J’ai travaillé en Allemagne suite à une rencontre avec un auteur allemand
et une traductrice allemande. Nous nous sommes bien entendus et avons eu envie de faire un projet
à trois.
Ma première expérience en Allemagne a été la direction d’ateliers d’écriture en allemand avec des
collégiens allemands et français. Je ne parle pas allemand, je travaillais avec une interprète.
Le travail avec des traducteurs crée des liens très forts : quand son texte est traduit, on redécouvre
sa propre écriture.
Je collabore depuis trois ans avec le Thalia Theater de Halle, j’ai notamment participé à une
résidence d’auteurs franco-allemande (deux binômes d’auteurs franco-allemands), dans deux villes
qu’on ne connaissait pas. Je travaillais avec Claudius Lünstedt sur le thème « Est-ce que je parle du
monde quand je parle de moi ? »
Sylvain Levey, écrivain : Pamela Dürr et moi formions le second binôme, dans le cadre
d'“Outrepasseurs #2” (Thalia Theater Halle, Allemagne, et Théâtre de la Tête Noire). Nous ne nous
connaissions pas et ne parlions pas la langue de l’autre. Comme nous ne voulions parler ni de la
guerre, ni de l’amitié franco-allemande, nous avons travaillé sur la difformité du corps.
Nos échanges étaient passionnants, mais l’écriture commune a été difficile. Cela a été surtout
frustrant pour Pamela Dürr, car l’équipe qui montait le spectacle était française, du coup elle était
« en minorité ».
Nous avons travaillé selon le processus suivant : elle a écrit la première scène, qui a été traduite. Je
l’ai retravaillée et j’ai écrit la seconde scène. Le tout a été retraduit, elle l’a retravaillé et écrit la
troisième scène…
On peut dire qu’il y avait quatre auteurs, car les traducteurs Frank Weigand et Karin Serres, faisaient
partie intégrante du processus d’écriture.
C’était passionnant, mais comme cela devait aboutir sur une production et que les dates étaient
arrêtées, nous avons dû interrompre le processus d’écriture car il fallait boucler : ça a été très
frustrant, et l’écriture a perdu en qualité à cause de l’urgence.
Claire Rengade : Travailler en binôme franco-allemand prend beaucoup plus de temps, il faut y faire
attention. Dans notre projet, cette question du temps a changé ma façon d’écrire et le sujet
d’écriture. Au début, la coopération était très simple, mais au fil de l’écriture c’est devenu complexe.
Lors de ce projet, j’ai écrit le texte le plus violent de mon existence : Je travaillais sur le mouvement
de la langue française.
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Jan Linders, Badisches Staatstheater Karlsruhe, membre de European Theatre Convention (ETC) :
J’adore les coopérations : ce sont les plus beaux projets, même si ce sont les plus difficiles, et
rarement les plus réussis. Dans les coopérations, il faut du temps pour apprendre à se connaître, et
deux fois plus de temps pour les projets bilingues.
Il y a de grandes différences entre l’Europe de l’Ouest (la France, l’Espagne,...) et l’Europe de l’Est
(l’Allemagne, l’Autriche). Dans les coopérations, il ne faut pas être poli et politiquement correct, il
faut être franc. Il est aussi très important de se rencontrer de visu, et en présence d’un traducteur. Il
n’y a que comme ça qu’on peut développer des formes hybrides.
Dans le cadre de Young Europe, il y avait quatre tandems de deux théâtres partenaires, qui ont
conçu des spectacles pour salle de classe. Dans chaque tandem, l’équipe allemande et l’équipe
française mettaient en scène la même pièce. Les deux versions étaient ensuite jouées dans les villes
des deux équipes.
Young Europe 2: Projet autour d’une pièce bilingue pour salle de classe (La vache et le
commissaire de Grégoire Callies & Hélène Hamon)
Young Europe 3: Le projet est en création actuellement. Il doit aboutir à une création
multilingue avec du 2nd screening, et des surtitrages numériques sur smartphones.
ETC a actuellement le projet de créer un laboratoire européen de création théâtrale. Nous avons
demandé des subventions européennes pour ce projet et attendons une réponse.
Susanne Freiling, Theaterhaus & Festival Starke Stücke, Francfort : Nous organisons, dans le cadre du
festival Starke Stücke, un temps fort franco-allemand en partenariat avec l’Office Franco-Allemand
pour la Jeunesse (OFAJ) : il comprend des représentations de pièces françaises, une réception et une
formation ouverte aux professeurs de français. Cette année, nous organisons également, à la
demande de plusieurs traducteurs, une rencontre de traducteurs de théâtre jeune public venus de
plusieurs pays.
Leyla-Claire Rabih, écrivaine, metteuse en scène : Nous parlons depuis tout à l’heure de langue, au
lieu de parler de théâtre. Traditionnellement, en France le théâtre est texte, alors qu’en Allemagne le
théâtre est « Handlung » (= action).
Il est important de s’en souvenir, quand on essaie de diffuser des spectacles allemands en France et
vice versa, sinon ils risquent de ne pas répondre aux attentes du public. Le metteur en scène est déjà
traducteur.
Je dirige avec Frank Weigand la revue Scène : nous y traduisons cinq pièces de théâtre françaises en
allemand par an. Notre prochain numéro sera consacré au théâtre jeune public. Le choix des textes
est difficile : il faut choisir non seulement des textes qui nous plaisent, mais dont nous pensons qu’ils
ont une chance d’être ensuite montés en Allemagne. Nous hésitons par exemple à publier Terre
océane de Daniel Dannis, texte que nous aimons beaucoup mais dont nous ne sommes pas sûrs qu’il
fonctionne en Allemagne, par sa forme.
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>> Programmes d’échanges franco-allemands
- le programme Ping Pong (ASSITEJ) : pour mettre en place des échanges entre personnes de même
métier du spectacle vivant (entre la France et tous les autres pays), ex : immersion au sein d’une
structure dans un pays étranger.
www.pingpong.assitejfrance.fr
- Fonds Transfabrik : un nouveau fonds pour encourager des projets de coopération francoallemands. Lancement officiel à Hambourg, le 30 janvier 2015.
www.fondstransfabrik.com
>> Lectures
Extrait d’Ein Bodybild de Corinna Sigmund
Lecture par Corinna Sigmund
Extrait de Juste des jeux de Claire Rengade
Lecture par Claire Rengade
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ANNEXES
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