La continuité du service public : l`étonnante destinée d

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des
640 Journal tribunaux 2014
Doctrine
La continuité du service public :
l’étonnante destinée d’un principe élémentaire
e principe général du droit de la continuité du service public est aujourd’hui reconnu comme une des lois
essentielles qui régissent le service public1. Cette loi n’en est pas moins dénoncée comme confuse2, à l’instar
de la notion de service public qu’elle régit3. Une des explications de ce caractère imprécis réside sans
conteste dans le cheminement sinueux qu’a suivi l’élaboration de ce principe général du droit. Issu de diverses idées
et législations du XIXe siècle (1), le principe ne s’est affirmé qu’à l’issue de la Seconde Guerre mondiale (2). Sa
consécration doctrinale et jurisprudentielle n’a cependant pas empêché qu’il soit régulièrement remis en question, en
particulier à propos du droit de grève des fonctionnaires (3).
1
Les origines d’un principe : « permanence
de l’autorité » et « régularité du service »
Une des difficultés récurrentes de l’histoire contemporaine du droit administratif est la faiblesse des théories administratives dans la doctrine
belge du XIXe siècle, en grande partie liée à l’absence de véritables juridictions administratives. Presque aucun verbo, dans les ouvrages de
cette époque, ne donne accès à des concepts théoriques, tels ceux du
service public ou de la continuité. C’est au travers de recherches
« plein texte », permises par les outils d’aujourd’hui dans nos vieux
ouvrages belges (qui connaissent une nouvelle vie grâce à leur
numérisation4), que des expressions récurrentes au XIXe siècle se
révèlent : celle de la « permanence » de l’autorité (ou des institutions),
par exemple, ou celle de la « régularité » du service, deux mots clefs
pour expliquer les origines du principe de continuité.
Le premier ouvrage belge de droit administratif, à savoir le Répertoire
de l’administration et du droit administratif de la Belgique de
MM. De Brouckère et Tielemans expose ainsi que « Toutes les institutions ont un caractère de permanence et de perpétuité; elles
doivent toutes exister et être prêtes à fonctionner dans chacun des
instants où l’intérêt public peut réclamer leur service ». Cette affirmation n’est cependant utilisée que pour prévenir — contrairement
à la portée actuelle du principe de continuité — le maintien en fonction de mandats (électifs ou non) échus5. Au début du XXe siècle, Orban concluait justement que « la permanence, la fixité dans le temps
(1) J. VANDE LANOTTE et
nistratif, Bruxelles, Bruylant, 2006,
G. GOEDERTIER (m.m.v. T. DE PELSp. 72, vo « Continuité du service puMAEKER) Handboek Belgisch Public (principe de la) ».
bliekrecht, 7e éd., Bruges, die Keure,
(2) D. DE ROY, « Le principe de
2013, pp. 772-774, no 1240;
continuité du service public et la siPh. BOUVIER, R. BORN, B. CUVELIER et
tuation de l’usager », R.C.J.B., 2005,
F. PIRET, Éléments de droit administrap. 207; S. STIJNS et H. VUYE, « La fae
tif, 2 éd., Bruxelles, Larcier, 2013,
culté de remplacement à la lumière
p. 108; A. MAST, J. DUJARDIN,
de l’exécution en nature et du prinM. VAN DAMME et J. VANDE LANOTTE,
cipe de la continuité du service
Overzicht van het Belgisch adminispublic », R.G.D.C., 1999, p. 631. See
tratief recht, 19 éd., Malines,
lon la thèse de M. NIHOUL, Les priviKluwer, 2012, p. 108; A.-L. DURlèges du préalable et de l’exécution
VIAUX et D. FISSE, Droit administratif,
d’office, Bruxelles, la Charte, 2001,
t. 1, L’action publique, Bruxelles, Larp. 614, il faut même voir dans ce
cier, 2011, p. 155; D. BATSELÉ,
principe un « mirage ».
T. MORTIER et M. SCARCEZ, Manuel de
(3) P.-O. DE BROUX, « Historique et
droit administratif, Bruxelles, Bruytransformation de la notion de serlant, 2010, p. 81; D. RENDERS et
vice public à la lumière du droit
L. VANSNICK, « La place des lois du
européen », in H. DUMONT e.a. (dir.),
service public dans la hiérarchie des
Le service public, t. 1, Le service
normes » et B. LOMBAERT, « La loi de
public : passé, présent, avenir,
continuité du service public, la grève
Bruxelles, la Charte, 2008, pp. 3-4.
des agents publics et le service
(4) Telles celles réalisées par Google
minimum », in H. DUMONT e.a. (dir.),
Livres ou par la base de données de la
Le service public, t. 2, Les lois du serBibliothèque nationale de France,
vice public, Bruxelles, la Charte,
Gallica.
pp. 1 et 53;
P. GOFFAUX
, Dic(5) Bruxelles, Weissenbruch, t. 8,
Facultés2008,
Universitaires
Saint-Louis
(193.190.250.2)
La continuité
du service
public de
: l'étonnante
d'un pp.
principe
élémentaire
tionnaire
élémentaire
droit admi-destinée
1856,
87-88,
vo « Garde
Éditions Larcier - © Groupe Larcier
comme dans l’espace, apparaissent comme l’un des traits caractéristiques de l’État (sensu lato), comme manière d’être essentielle à chacun des éléments qui le composent, au peuple, à sa résidence, à son
gouvernement »6.
La « régularité » du service est aussi régulièrement invoquée par
MM. De Brouckère et Tielemans7. Cette idée de régularité semble surtout issue de lois particulières qui régissent certaines activités assurées
par les pouvoirs publics. Ceux-ci y prévoient un certain nombre de
règles pour garantir l’accomplissement de leurs activités. Par exemple,
la législation révolutionnaire française — longtemps restée en vigueur
chez nous — prévoyait, en matière postale, que « les paiements, ainsi
que les chevaux, provisions, ustensiles et équipages destinés au service
de la poste, ne pourront être saisis sous aucun prétexte »8. L’exigence
de régularité justifie aussi le monopole postal, dans une période pourtant très libérale sur le plan économique : « Le transport des dépêches
effectué par des agents dépendant de l’administration est plus économique, en même temps qu’il offre plus de célérité, d’exactitude et de
garanties »9. L’idée est également fort présente dans la réglementation
ferroviaire, télégraphique ou téléphonique. Un service quotidien, à
horaire régulier, est organisé par les règlements d’exploitation; les retards sont contrôlés, voire sanctionnés s’ils sont commis par des
concessionnaires. En ce qui concerne l’eau potable, l’État se réserve le
droit de racheter unilatéralement « moyennant préavis d’un an, tout ou
partie des installations affectées au service de distribution d’eau », et
ce en raison du « caractère de service public » des intercommunales,
qui permet d’intervenir « pour réprimer les abus et assurer, en cas de
nécessité, la continuité du service »10. La meilleure synthèse de cette
civique ». Les auteurs développent
longuement : partout « où les pouvoirs publics s’exercent par délégation, c’est un principe incontestable
et incontesté que les fonctions déléguées à terme sont des mandats qui
finissent de plein droit à l’expiration
du temps pour lequel ils se donnent.
(...) si l’on admet qu’à défaut de
convocation en temps utile les mandats expirés se continuent jusqu’au
remplacement des anciens titulaires,
il suffira au pouvoir exécutif d’une
simple abstention pour dénaturer la
Constitution et tous les pouvoirs électifs de l’État. C’est ce que le principe
ci-dessus mentionné doit prévenir.
On nous objectera que la loi fait exception à ce principe dans certains
cas. Nous le savons, mais ces exceptions mêmes confirment la règle. (...)
étendre ces exceptions à d’autre cas
non prévus et surtout à des cas politiques ou judiciaires, ce serait fort
dangereux ». La notion de
« permanence d’une autorité » est
encore évoquée dans le tome 6,
1843, p. 79, vo « Démission ».
(6) O. ORBAN, Le droit constitution-
nel de la Belgique, t. I, Liège-Paris,
Dessain - Giard & Brière, 1906,
p. 148.
(7) Op. cit., t. 1, 1834, p. 335, vo
« Adjudication », p. 351, vo
« Administrateur près d’un département ministériel », p. 364, vo
« Administration »; t. 6, 1843, p. 40,
vo « Délai »; t. 8, 1856, p. 297, vo
« Hospices, hôpitaux, etc. ».
(8) Articles 71 et 76 du décret précité
des 24-30 juillet 1793, Pasinomie,
1re série, t. 5, p. 312.
(9) Préambule de l’arrêté royal du
10 décembre 1832 réglant le mode
de transport des dépêches, Pasinomie, 1832, p. 571. Voy. également le
long plaidoyer dans le rapport de la
section centrale, Doc. parl., Ch., sess.
1834-1835, no 137, p. 1.
(10) Première occurrence belge de
l’expression que nous avons rencontrée. Voy. la loi du 18 août 1907 relative aux associations de communes et
de particuliers pour l’établissement
de services de distribution d’eau,
M.B., 5 septembre 1907; ainsi que
son exposé des motifs, Doc. parl.,
Chambre, sess. 1906-1907, no 124,
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deuxième idée émane ici des Pandectes belges, sous le verbo « Service
public », rédigé en 1910 : « une des caractéristiques d’un service public est sa permanence, sa continuité, il ne peut être entravé ni suspendu que pour des cas de force majeure ». La principale obligation des
personnes qui y sont préposées « sera, dans les cas de force majeure
prévus ou imprévus, de prendre les mesures les plus efficaces pour
amener le rétablissement du service normal ». Enfin, « la continuité
des services publics, si nécessaire, a pour conséquence l’obligation
pour tout fonctionnaire de rester en fonction tant qu’il n’a pas été régulièrement remplacé »11, prenant ainsi le contrepied direct de l’opinion de De Brouckère et Tielemans. Dès le début du XXe siècle, donc,
un principe de continuité est déjà expressément rattaché au régime juridique belge des services publics12.
2
La consécration d’un principe général
du droit
Il faut cependant attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour
voir les juges s’emparer du principe. Mais depuis 1945, la Cour de cassation et le Conseil d’État ont consacré à de multiples reprises le
« principe général de la continuité du service public »13. Les sources
d’inspiration ayant rendu possible cette consécration sont incontestablement les deux idées identifiées ci-dessus : permanence de l’État et
régularité du service.
S’appuyant d’abord sur l’idée de permanence de l’État, c’est la Cour de
cassation, puis également le Conseil d’État après sa création en 1946,
qui vont valider des décisions prises en temps de guerre, et dont la régularité était contestée14. Mais lorsqu’il faudra étendre l’application
d’un principe de continuité au-delà de cette situation très spécifique,
le procureur Ganshof van der Meersch va recourir aux doctrines engagées de son temps, en particulier celle du professeur liégeois, André
Buttgenbach, pour consacrer le principe, aujourd’hui décrit comme le
premier principe général du droit reconnu en droit belge15.
La thèse de doctorat de Buttgenbach, publiée pendant la Seconde
Guerre mondiale, s’appuie sur une analyse approfondie des modes de
gestion des services publics en Belgique et sur une lecture attentive de
la doctrine française. Selon lui, la « loi de régularité et de continuité
du service public » « n’est que le corollaire de sa définition même et
de l’obligation que les gouvernants estiment leur incomber de créer,
pp. 6 et 9.
tratif belge, Bruxelles, Story-Scientia,
(11) Pandectes belges, t. 98 (1910),
1989, pp. 68-70.
vo « Service public », nos 84, 85, 87
(14) Voy. les contributions de
et 132. À propos de la démission
M. BOST et J. DE BROUWER dans le
d’un fonctionnaire, ils précisent enprésent numéro du J.T.
core que « cette opinion n’est basée
(15) On oublie souvent à quel point
sur aucun texte de loi. Elle prend sa
la reconnaissance de l’existence de
source dans la nécessité; mais la néprincipes généraux du droit par nos
cessité est une loi aussi en beaucoup
juridictions suprêmes est récente en
de matières et particulièrement en
Belgique (postérieure à la Seconde
administration » (no 134).
Guerre mondiale). Voy. à cet égard
(12) Soit avant la théorisation du serP. MARCHAL, « Principes généraux du
vice public par Duguit et l’énonciadroit », R.P.D.B., complément XI,
tion des lois du service public par
Bruxelles, Bruylant, 2011, pp. 338Rolland en France, et seulement
339; S. SEYS, D. DE JONGHE et
quelques années après le lien fait par
F. TULKENS, « Les principes généraux
Hauriou entre service public et
du droit », in I. HACHEZ, Les sources
« chose offrant le maximum de
du droit revisitées, vol. 2, Normes instabilité », première formulation, à
ternes infraconstitutionnelles, Limal,
notre connaissance, de la continuité
Anthemis, 2012, pp. 496 et s.
du service public au sens actuel du
(16) A. BUTTGENBACH, Les modes de
terme (M. HAURIOU, Précis de droit
gestion des services publics en Beladministratif et de droit public génégique, Bruxelles, Larcier, 1942, p. 42,
ral, 4e éd., Paris, Larose, 1900-1901,
citant le cours, en droit français, de
pp. 217-218, note 1).
L. ROLLAND. La théorie est dévelop(13) Voy. la synthèse de
pée dans A. BUTTGENBACH, Théorie
W.J. GANSHOF VAN DER MEERSCH,
générale des modes de gestion des
« Propos sur le texte de la loi et les
services public en Belgique,
principes généraux du droit », J.T.,
Bruxelles, Larcier, 1952, et reprise
1970, pp. 581-583. De même, pour
ensuite par P. WIGNY, Droit adminisla jurisprudence originelle du
tratif, Bruxelles, Bruylant, 1953,
Conseil d’État en matière de continuipp. 27 et s., spécialement pp. 35-37.
té, voy. A. MAST, A. ALEN et
(17) Revue de l’administration et du
Facultés Universitaires Saint-Louis (193.190.250.2)
J. DUJARDIN
, Précis
de droit
adminis-destinée
droit
administratif
de la Belgique,
La continuité
du service
public
: l'étonnante
d'un
principe élémentaire
Éditions Larcier - © Groupe Larcier
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d’organiser et de faire fonctionner une entreprise en vue de la satisfaction de l’intérêt public »16. Cette théorie du service public conduit
d’ailleurs Buttgenbach à marier pour la première fois la loi de continuité avec la question de la grève des agents de l’État, en 1951, dans un
article intitulé « La loi de la continuité et de la régularité des services
publics et la grève de leurs agents »17. Il y plaide fermement : « ma position est prise : il n’y a pas de solution possible au problème de la
grève des fonctionnaires que le maintien de l’interdiction totale de
toute grève dans les services publics. Mais je n’hésite pas à ajouter aussitôt qu’il n’y a pas de problèmes plus urgent que la recherche d’un
palliatif et d’une compensation à cette interdiction ». Si l’interdiction
du droit de grève était reconnue et défendue par une majorité de la
doctrine depuis fort longtemps, elle ne s’était jamais appuyée, jusqu’alors, sur le principe de continuité du service public18. La thèse de
Paul Orianne, publiée en 1961, conforte mais nuance l’idée d’une
« loi de continuité du service public » : « ce n’est pas sur le caractère
de nécessité que présentent en fait les services publics que se fonde la
loi de continuité. Ici encore c’est la volonté du législateur qui est déterminante. Par le fait qu’il les crée et les confie à la vigilance de l’exécutif, il leur donne une vocation à la continuité, même si celle-ci n’est
pas, pour le public, indispensable. L’appréciation de l’opportunité
cède ici devant la volonté de la loi »19. Orianne et Buttgenbach
fondent en grande partie leur analyse sur les activités de l’État visées
par la notion de « régularité » au XIXe siècle, bien que, fort étonnamment, aucun des deux ne mentionne la synthèse des Pandectes belges
citée ci-dessus. Ils appliquent essentiellement la doctrine française du
service public aux activités des multiples établissements publics ou
aux activités concédées par les pouvoirs publics. L’idée plus constitutionnelle de « continuité de l’État » est totalement absente de leurs raisonnements.
Armée de ces doctrines convaincantes et de sa jurisprudence sur le
temps de guerre, la Cour de cassation va désormais consacrer expressément le principe général du droit de la continuité du service public,
lequel « tend seulement à assurer la permanence des institutions publiques et de leur fonctionnement »20. Les deux idées originelles de
continuité de l’État et de régularité du service sont fusionnées par la
Cour, qui n’y voit plus qu’un seul principe général du droit, dont
peuvent se déduire de multiples conséquences. C’est ainsi que, à la
suite de Buttgenbach et de la jurisprudence des deux juridictions suprêmes, la majorité des auteurs de droit administratif belge vont affirmer l’existence de la loi de continuité sans presque jamais la remettre
en question, se bornant souvent à énumérer ses cas d’application,
qu’ils soient législatifs ou jurisprudentiels21. La Cour constitutionnelle
s’y ralliera sans la moindre hésitation22, de même que le législateur à
1951, pp. 5-12.
(18) Voy. notamment la synthèse qui
en est faite dans la Revue de l’administration et du droit administratif de
la Belgique, 1920, pp. 341-356; ainsi
que, dans la même revue, 1923,
pp. 149-155 et 1928, pp. 245-257;
M. VAUTHIER, Précis du droit administratif de la Belgique, Bruxelles, Larcier, 1937, p. 47; A. HENRY, Administration et fonctionnaires, Bruxelles,
Stoops, 1944, pp. 229-232.
(19) P. ORIANNE, La loi et le contrat
dans les concessions de service public, Bruxelles, Larcier, 1961, p. 6970, selon une idée reconnue par le
législateur dès l’entre-deux-guerres :
« l’intérêt général exige que l’exploitation des services publics qui font
l’objet des contrats de concession, se
poursuive sans interruption » (rapport
de la section centrale, Doc. parl.,
Chambre, sess. 1918-1919, no 200,
p. 15).
(20) Cass. 12 février 2004, R.C.J.B.,
2005, p. 201, note précitée de D. DE
ROY, « Le principe de continuité du
service public... »; Bruxelles, 9 juin
2003, R.G. no 1998/AR/3608 (inédit,
sommaire sur www.juridat.be); Cass.,
28 janvier 1999, Pas., I, p. 49; Cass.,
24 avril 1998, Pas., I, no 210, p. 488,
concl. DE RIEMACKER et J.L.M.B.,
1999, p. 672, note D. DELVAX, « Le
privilège d’immunité d’exécution : le
colosse aux pieds d’argile ou le
dogme trahi par son fondement »;
Cass., 30 septembre 1993, J.L.M.B.,
1993, p. 954, note A. VAREMAN;
Cass., 19 octobre 1989, Pas., 1990, I,
p. 200; Cass., 26 juin 1980, J.T.,
1980, p. 707; Cass., 9 décembre
1977, Pas., 1978, I, p. 409; Cass.,
22 octobre 1970, Pas., 1971, I,
p. 144, concl. W.J. GANSHOF VAN DER
MEERSCH; Cass., 21 avril 1966, Pas.,
1966, I, p. 1060.
(21) Outre les références citées à la
note 1, voy. notamment :
D. D’HOOGHE et Ph. DE KEYSER,
« Het continuïteitsbeginsel en het
veranderlijkheidsbeginsel », in
I. OPDEBEEK et M. VAN DAMME (dir.),
Beginselen van behoorlijk bestuur,
Bruges, die Keure, 2006, pp. 363380; M. BOES, Administratief recht,
4e éd., Louvain, ACCO, 2000,
pp. 103-105; D. DÉOM, Le statut juridique des entreprises publiques,
Bruxelles, Story-Scientia, 1990,
pp. 423-424; M.-A. FLAMME, Droit
administratif, t. II, Bruxelles, Bruylant, 1989, pp. 1125 et s.; A. MAST,
A. ALEN et J. DUJARDIN, op. cit.,
pp. 68-70; J. DEMBOUR, Droit administratif, Liège - La Haye, Faculté de
droit - M. Nijhof, 1972, pp. 96-99.
(22) Voy., sans exhaustivité : C.
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des
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Doctrine
de très nombreuses reprises dans ses travaux préparatoires, voire exceptionnellement dans le texte législatif lui-même23.
3
La valeur normative du principe
de la continuité du service public
Depuis sa reconnaissance, le principe de la continuité du service public n’en a pas moins été sérieusement bousculé, par la remise en
cause fondamentale de certains de ses cas d’application les plus traditionnels. Ainsi, le droit de grève des fonctionnaires a-t-il été progressivement reconnu, et est aujourd’hui généralement admis24, sous
la seule réserve de l’exercice abusif de ce droit25 ou de sa limitation
légale. Bien que radicalement contraire aux opinions professées par
Buttgenbach, la place du principe de continuité demeure cependant
au cœur de cette question : c’est ce principe en effet qui doit pouvoir
justifier, notamment au regard des articles 10 et 11 de la Constitution,
les limitations légales au droit de grève des fonctionnaires26. Le principe ne suffit cependant pas (ou plus) : c’est bien la loi seule qui permet d’encadrer le droit de grève ou de prévoir un « service
minimum »27.
Les remises en question sont très similaires en ce qui concerne l’impossibilité de mettre en faillite une entreprise publique28, ou à propos
de l’impossibilité d’exécution forcée sur les biens de l’État, déduite
(mais préexistante au principe) du principe de continuité. Dans ce dernier cas, c’est l’ancienne Commission européenne des droits de
l’homme qui a mis un frein à son application illimitée, en la considérant comme contraire au droit de propriété garanti par l’article 1er du
Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits
const., arrêt no 31/95 du 4 avril
encore l’interdiction du droit de
1995, B.3.4; C. const., arrêt no 45/95
grève comme une application acdu 6 juin 1995, B.4.4 et B.4.5; C.
tuelle de la loi de continuité.
o
const., arrêt n 64/97 du 6 novembre
(25) C.E., arrêt no 185.075 du 2 juin
o
1997, B.5; C. const., arrêt n 49/98
2008; C.E., arrêt no 221.273 du
du 20 mai 1998, B.4 et B.5.2; C.
6 novembre 2012.
const., arrêt no 130/99 du
(26) En ce sens, voy. O. DE SCHUTTER
7 décembre 1999, B.4; C. const., aret S. VAN DROOGHENBROECK, Droit ino
rêt n 42/2004 du 17 mars 2004,
ternational des droits de l’homme deB.6.3.2; C. const., arrêt no 186/2009
vant le juge national, Bruxelles, Lardu 26 novembre 2009, B.9.2.3 et
cier, 1999, p. 391; J. DE STAERCKE,
B.9.3.
« Het werkstakingsverbod in de pu(23) Voy. par exemple, outre
blieke sector en het continuïteitsbel’article 1412bis du Code judiciaire
ginsel anno 2003 : een requiem »,
évoqué infra, l’article 82 de la loi du
C.D.P.K., 2003/4, pp. 607 et s.
21 mars 1991 portant réforme de cer(27) B. LOMBAERT, « La loi de
taines entreprises publiques éconocontinuité... », op. cit., pp. 82 et s.,
miques, tel que remplacé par la loi
analysant notamment de manière apdu 19 décembre 1997, M.B.,
profondie l’avis de la section de légis30 décembre 1997 (mais néanmoins
lation du Conseil d’État L39.942/AG
abrogé déjà en 2005).
du 18 avril 2006, Doc. parl., Ch.,
(24) J. GIJSSELS, « Het stakingsrecht in
sess. 2005-2006, no 51-604/3. Voy.
de overheidsdiensten en de
notamment, pour le service minikontinuiteitsbeginsel », in M. VAN
mum à assurer par les services de poHOECKE (dir.), Algemene rechtsbeginlice, l’article 126, § 2, de la loi du
selen, Anvers, Kluwer, 1991, pp. 297
7 décembre 1998 organisant un seret s.; B. LOMBAERT, « La grève des
vice de police intégré, structuré à
fonctionnaires ou la lente émergence
deux niveaux, M.B., 5 janvier 1999;
d’un droit fondamental », in Les
ou pour celui à assurer à la RTBF,
droits de l’homme au seuil du troil’article 7, § 6 du décret du 14 juillet
sième millénaire - Mélanges en hom1997 portant statut de la Radio-télémage à Pierre Lambert, Bruxelles,
vision belge de la Communauté franBruylant, 2000, pp. 518 et s. C’est ercaise, M.B., 28 août 1997.
ronément que A.-L. DURVIAUX et
(28) R. ERGEC et H. DELWAIDE, « Les
Facultés Universitaires Saint-Louis (193.190.250.2)
La continuité
du, op.
service
l'étonnante destinée
d'un principe
élémentaire
D. FISSE
cit., public
p. 155,: mentionnent
entreprises
publiques
peuvent-elles
Éditions Larcier - © Groupe Larcier
de l’homme29. La jeune règle jurisprudentielle a dès lors dû être aménagée par la loi, ce qu’a fait l’article 1412bis du Code judiciaire en interdisant la saisie des biens utiles « pour l’exercice de leur mission ou
pour la continuité du service public »30.
Ces multiples nuances désormais attachées au principe de continuité
conduisent en réalité à s’interroger sur sa place dans la hiérarchie des
normes. Comme l’ont justement démontré David Renders et Louis
Vansnick, il semble de prime abord très difficile de trancher entre les
valeurs constitutionnelle, légale ou seulement réglementaire qui sont
alternativement admises par la jurisprudence et la doctrine31. Le retour
aux origines du principe, réalisé ci-dessus, nous paraît cependant permettre de plaider en faveur d’une réponse claire, qui impose de distinguer le principe de la continuité du service public et le principe de la
permanence de l’État, même si le premier peut sans aucun doute trouver un fondement dans le second. Le principe de la permanence de
l’État doit prétendre à une valeur constitutionnelle : il se dégage de
l’économie de la Constitution et s’applique à l’organisation des
pouvoirs32. Le principe de la continuité du service public ne revêt au
contraire qu’une valeur quasi supplétive, « une valeur inférieure à
celle de la loi, voire à celle d’une disposition réglementaire générale
(...). Les autorités, pour garantir la continuité du service public, apprécient de manière discrétionnaire les mesures nécessaires à cette fin
pourvu que ces mesures ne soient pas illégales ou manifestement
déraisonnable »33. À la suite de David De Roy, il nous paraît dès lors
indispensable de plaider en faveur de la reconnaissance de deux principes distincts34, seule à même de résoudre des positions jurisprudentielles et doctrinales aussi divergentes.
Pierre-Olivier DE BROUX
Professeur à l’Université Saint-Louis-Bruxelles
Professeur invité à l’Université catholique de Louvain
être déclarées en faillite? », J.T.,
1995, pp. 713-717, selon lesquels
seule l’intention (explicite ou implicite) du législateur peut empêcher la
mise en faillite d’une entreprise publique, et non pas tant le principe de
continuité du service public. La nécessité de cette intervention légale
s’est par exemple traduite dans
l’article 8, alinéa 2, de la loi du
21 mars 1991 déjà citée, qui soustrait
les entreprises publiques autonomes
à la législation en matière de faillite.
(29) Comm. eur. D.H., décision du
13 juillet 1983, Decisions and Reports, no 32, p. 242. Voy. les nombreuses références (et notamment les
conséquences en France, où la continuité du service public ne fonde plus
l’interdiction d’exécution forcée) citées par A. MAST, A. ALEN et
J. DUJARDIN, Précis de droit administratif belge, Bruxelles, Story-Scientia,
1989, p. 68; ainsi que J. LINSMEAU,
« L’immunité d’exécution des pouvoirs publics », in La responsabilité
des pouvoirs publics, Bruxelles,
Bruylant, 1991, pp. 479 et s.
(30) I. DUPONT, « L’article 1412bis
du Code judiciaire - A-t-il saisi les autorités publiques? », A.P.T., 2004/1,
pp. 58-71. Voy. également D. DE
ROY, op. cit., pp. 219 et s.; S. STIJNS et
H. VUYE, op. cit.; A.-M. STRANART et
P. GOFFAUX, « L’immunité d’exécu-
tion des personnes publiques et
l’article 1412bis du Code
judiciaire », J.T., 1995, pp. 437-447.
(31) D. RENDERS et L. VANSNICK, « La
place des lois du service public dans
la hiérarchie des normes », op. cit.,
pp. 21-36.
(32) J. VELAERS, « Les principes généraux du droit à “valeur
constitutionnelle” : des incontournables de notre ordre
constitutionnel », in I. HACHEZ e.a.
(dir.), Les sources du droit revisitées,
vol. 1, Normes internationales et
constitutionnelles, Limal, Anthemis,
2012, pp. 559-560.
(33) J. SALMON, J. JAUMOTTE et
E. THIBAUT, Le Conseil d’État de Belgique, vol. 1, Bruxelles, Bruylant,
2012, p. 809; M. NIHOUL, op. cit.,
pp. 98-99.
(34) D. DE ROY, op. cit., pp. 229 et s.,
plaide en faveur d’une distinction
entre les situations dans lesquelles la
continuité vise à assurer la stabilité
de l’exercice des pouvoirs, de celles
dans lesquelles la continuité ne vise
qu’à assurer l’offre d’un service public; spécialement pp. 238 et s., où il
analyse en profondeur les conséquences de cette reconnaissance et le
régime de ces deux principes. Il faut
regretter que cette brillante analyse
n’ait pas reçu plus d’échos dans la
doctrine et la jurisprudence récente.
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