IDENTITÉS INDIVIDUELLES, IDENTITÉS COLLECTIVES

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Sous la direction de
Michelle TANON-LORA
IDENTITÉS INDIVIDUELLES,
IDENTITÉS COLLECTIVES
Avec le soutien de MULTITUDES
(Centre pluridisciplinaire d’étude
des sociétés contemporaines)
- Côte d’Ivoire
IDENTITÉS INDIVIDUELLES,
IDENTITÉS COLLECTIVES
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’École-polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
[email protected]
ISBN : 978-2-296-54431-4
EAN : 9782296544314
Sous la direction de Michelle TANON-LORA
IDENTITÉS INDIVIDUELLES,
IDENTITÉS COLLECTIVES
Avec le soutien de MULTITUDES
(Centre pluridisciplinaire d’étude
des sociétés contemporaines)
PREFACE
Le 21° siècle est à n’en point douter l’époque du mélange
des cultures. La mondialisation et le syncrétisme se déclinent
sous toutes les formes. Dans ce paysage aux couleurs multiples,
au propre comme au figuré, MULTITUDES propose un espace
de réflexion sur la question identitaire.
Le colloque « Identités individuelles / Identités collectives »
préconise un regard pluriel sur l’individu en tant que tel, sur son
rapport à lui-même et aux autres. Le processus d’interactions
communicationnelles impliquant des échanges entre plusieurs
identités, le deuxième volet de la réflexion porte sur les
paramètres d’identification d’un individu à un groupe (ou vice
versa), et d’un groupe à un ou plusieurs autres.
La politique, la religion, la philosophie, la socio
anthropologie, la psychologie, la littérature, la linguistique
énonciative, le droit, l’art et la culture sont autant de champs qui
ont été prospectés lors de ce colloque international. Dans tous
ces domaines où les différences peuvent rassembler ou diviser,
quels sont les tenants et les aboutissants des identités
individuelles et collectives ?
Le présent ouvrage regroupe les interventions
pluridisciplinaires qui ont fait l’objet de débats très
enrichissants. Les barrières et les ouvertures identitaires ont été
envisagées sous divers angles, permettant une confrontation des
points de vue parfois diamétralement opposés.
Michelle TANON-LORA
7
QUE FAIRE DE NOS MULTIPLES IDENTITÉS ?
BOA TIEMELE
Université de Cocody-Abidjan
INTRODUCTION
La revendication des identités est chose commune de nos
jours. Cette revendication semble paradoxale puisque c’est au
moment où, par la mondialisation, nous formons, selon les
expressions courantes, un village planétaire, que naît ce désir de
trouver ancrage en soi-même et dans une communauté.
Comment peut-on s’enfermer dans des considérations
d’identités nationales quand tout nous oblige à ouvrir notre
esprit au globe entier ? Quels sont les niveaux de formulation de
l’identité ? Comment harmoniser les différentes composantes de
mon identité sans nuire à mon équilibre mental ?
1. LES IDENTITES SINGULIERES
ET LA MONDIALISATION
La mondialisation se déploie sur fond de profondes
mutations économiques, culturelles et politiques. Elle impose
aux économies nationales une ouverture (forcée ou volontaire)
au marché mondial. La mondialisation a par ailleurs changé
notre manière de concevoir la vie en général. On avait pensé
que l’ouverture sur le monde créerait une conscience
d’appartenance planétaire. Bien au contraire, ce qui devrait
contribuer au renforcement de liens de l’humanité semble
malheureusement participer à l’enfermement sur soi :
La mondialisation, plutôt que de rapprocher les peuples,
produit souvent dans les pays du sud l’effet inverse : elle ne
dissipe pas les différences tribales, ne rapproche pas les points
9
de vue, mais risque en revanche d’amplifier des réactions
identitaires…1.
La mondialisation est sentie par certaines cultures et par
certains peuples comme sous-estimation de la diversité et de la
variété des modèles d’existence. Elle proposerait un monde
mono-culturel fondé sur les valeurs des États-Unis ou de
l'Occident. Les États-Unis et l'Occident deviendraient les
gardiens des valeurs universelles.
En effet, elle est pour certains une modernisation à
l’américaine où l’on voit la liberté poussée jusqu’à son ultime
limite. Ce que l’on voit sur les marchés, c’est-à-dire la liberté de
circulation des capitaux, est interprété comme l’image même de
la liberté exempte de toute entrave. La conception américaine
de la liberté coïncide ainsi parfaitement avec la fluidité du
capital mondial : la laïcité, le rationalisme, le bien-être
individuel contre le bonheur collectif, présentés comme valeurs
universelles ne sont-ils pas en réalité des valeurs de réussite
d’une société où seuls comptent le profit absolu,
l’individualisme, la mort ou l’absence de Dieu ? Des réactions
radicales vont se diriger contre ces valeurs au nom d’une prise
de conscience de la puissance de domination des États-Unis et
de l'Occident :
La mondialisation est-elle autre chose qu’une
américanisation ? N’aurait-elle pas pour principale
conséquence d’imposer au monde entier une même langue, un
même système économique, politique et social, un même mode
de vie, une même échelle des valeurs, ceux des États-Unis
d'Amérique2 ?
1
Daryush Shayegan, « Le choc des civilisations », in Esprit, avril 1996, p. 42.
On lira avec intérêt, dans ce même numéro cette interview : « Du culturalisme
comme idéologie », Entretien avec Jean-François Bayart, propos recueillis par
Olivier Mongin, pp. 54-70.
2
Amin Maalouf, Les Identités meurtrières, Paris, Le Livre de poche, 2001,
pp. 132-133 ; Cf. Yves Michaud, « Identité et politique. Réflexions sur les
projections humaines » in Archives de Philosophie, juillet-septembre 2000,
tome 63, Cahier 3. L’auteur envisage quelques questions soulevées par la
notion d’identité aussi bien individuelle que collective dans le politique.
10
En réponse à cette inquiétude, va se développer un
enracinement local. On peut donc dire que la mise en scène du
"localisme" est contemporaine de la mondialisation. Celle-ci va
secréter son contraire, le "localisme" ou encore l’identité
microscopique, c’est-à-dire le désir d’entrer en soi-même, sur le
plan local, à une échelle réduite, pour trouver dans ses propres
valeurs, et non dans les valeurs importées de l'Occident ou des
Etats- Unis, les raisons de vivre et de se créer un avenir. Ce type
de rejet de la mondialisation ne s’enferme-t-il pas dans
l’archaïsme ?
Mais à côté de cette manière élémentaire et exclusive de
poser le problème de la revendication identitaire, il faut
remarquer une autre pour qui la mondialisation est un
mouvement à amplitude large, dont les oscillations vont dans
les deux sens. Pour ce dernier courant, il n’est pas
contradictoire d’envisager une mondialisation ouverte sur les
identités nationales. L’identité nationale devient ainsi
l’affirmation d’un droit à la différence, droit situé à l’intérieur
de valeurs universelles et non revendication d’une spécificité
folklorique.
Il s’agit pour cette identité ouverte de ne pas renoncer à la
communauté d’appartenance originaire et à l’identité culturelle
qui la sous-tend. Les recherches identitaires comme l’ivoirité,
les fondamentalismes musulmans et même les remises en
causes des pratiques religieuses chrétiennes ne peuvent-elles
pas être considérées comme des réponses à la dilution dans
l’universel que propose une certaine conception de la
mondialisation ?
1.1) L’ivoirité et l’identité ivoirienne
L’ivoirité en tant que synthèse culturelle de tous les peuples
et de toutes les cultures qui vivent sur ce bout de territoire
qu’on appelle la Côte d'Ivoire, devrait amener les Ivoiriens à
être attentifs aux intérêts de la Côte d'Ivoire. Être attentifs au
pays, c’est défendre ses intérêts quand, devant l’impossibilité de
conserver les entreprises, lorsqu’il a fallu les privatiser au nom
de la mondialisation et sur injonction de la Banque mondiale et
11
du FMI, le sentiment nationaliste, l’amour du pays aurait dû
guider ceux qui, peu avant la dévaluation, avaient pu planquer
de l’argent dans les banques européennes, ou simplement ceux
qui, Ivoiriens, avaient les moyens d’investir dans la nouvelle
économie-monde. Cet attachement au pays que voulait créer
l’ivoirité devait nous pousser à y investir, à respecter ses lois, à
appliquer les principes d’accueil qui ont constitué les bases de
la politique assimilationniste de F. Houphouët-Boigny.
Par l’ivoirité, les Ivoiriens voulaient affirmer ce qui leur
reste de souveraineté malgré les conséquences des différents
programmes d’ajustement structurels : licenciements massifs,
pertes des avantages pour les étudiants, libéralisations des prix,
désengagements de l'Etat par exemple dans l’entretien des
routes, etc. Enfin par l’ivoirité, il s’agissait de créer une société
moderne délivrée des références tribales, régionalistes ou
religieuses pour penser des rapports de qualité fondés sur le
respect de l’autre, les principes de la laïcité et de l'Etat de droit.
Armés de ces valeurs, les Ivoiriens devaient aller dans une
nécessaire union, d’abord avec les pays de la CEDEAO, puis
après, avec les autres de l'Afrique centrale, orientale, australe et
du Nord.
Ainsi la bonne ivoirité serait harmonisation des deux
tendances contradictoires et néanmoins complémentaires :
l’aspiration à l’unité africaine, donc à l’universel, puis le besoin
de se construire une identité, de revendiquer sans haine son
appartenance à un groupe plus petit que l’humanité, mais à
l’intérieur duquel se vivent les valeurs d’humanité. Elle est
également en adéquation avec la mondialisation entendue
comme étape de la modernité dans l’évolution des sociétés
humaines. Dans cette modernité qu’elle voulait de toutes ses
forces, l’ivoirité devait façonner une conscience citoyenne
respectueuse de la loi et des droits humains. C’est pourquoi
l’essence première de l’ivoirité fut l’idée de synthèse culturelle,
tout comme la négritude fut jadis la synthèse culturelle de tout
ce qui avait quelques liens avec l'Afrique. Le président Henri
Konan Bédié qui a donné au concept une formulation politique
conçoit ainsi la notion d’ivoirité :
12
… lorsque nous avons voulu trouver une formule qui évoque la
synthèse culturelle entre les ethnies habitant la Côte d'Ivoire,
nous nous sommes référés à la géographie et nous avons forgé
"l’ivoirité" qui souligne la qualité de ce qui est ivoirien, au sens
culturel et identitaire. Mais nous aurions pu, tout aussi bien,
choisir le mot" ivoiritude3.
Il y avait un fond de nationalisme et de patriotisme que
l’ivoirité voulait déposer dans le cœur de tous les Ivoiriens et de
tous les frères qui, faisant de la Côte d'Ivoire leur seconde
partie, y avaient bâti des fortunes, y avaient vécu ou simplement
partageaient son idéal de paix et de prospérité. L’ivoirité est
ouverture sur l’altérité et la conscience d’appartenir à des
groupes plus vastes en construction : « Il y a donc lieu de
reconnaître dans le concept d’ivoirité, non pas l’appel à
l’exclusion mais le linéament du grand dessein national
capable de donner sens et signification aux efforts
d’enrichissement national. On peut le constater, la récente
carrière pratique du concept d’ivoirité l’installe hors de portée
du désir de sa récupération xénophobe et a fortiori de son
identification à la renonciation à l’idéal d’intégration
africaine4. »
Le premier sens de l’ivoirité poussait les citoyens ivoiriens à
se créer une identité que les Ivoiriens appréciaient chez les
frères et sœurs du Sénégal, du Mali ou de la Guinée. Mais
récupérée par des hommes politiques aux desseins quelquefois
inconnus, l’ivoirité va déraper à partir de 1995, après sa
réception idéologique. Elle prend alors des proportions qui ont
miné l’unité nationale et fragilisé par ailleurs les relations de
bon voisinage avec les Etats frontaliers. Les rebelles qui ont pris
les armes contre la Côte d’Ivoire mentionnent l’ivoirité comme
première cause de leurs actions. D’ailleurs à Linas Marcoussis,
banlieue parisienne où fut convoquée sur l’initiative de la
3
Henri Konan Bédié, Les chemins de ma vie, Paris, Plon, 1999, p. 44.
Gouda Gnaoré Victor, « Recherche de l’identification du concept d’
ivoirité », in Actes du forum CURDIPHE sur L'IVOIRITÉ ou l’esprit du
nouveau contrat social du président Henri Konan Bédié, Abidjan, 20-23 mars
1996, Abidjan, Éditions Presses universitaires de Côte d'Ivoire, 1996, p. 35.
4
13
France la table ronde relative à la crise ivoirienne, l’ivoirité
figurait en tête des problèmes qui fâchaient les Ivoiriens5.
De plus en plus, nous constatons que, après plusieurs
clarifications faites par les initiateurs de sa version politique,
l’aspect unificateur de l’ivoirité prend le dessus. Une meilleure
compréhension du concept en est faite. L’ivoirité vient ainsi
entrer en union avec d’autres types d’appartenance individuelle,
fondés non pas sur l’exclusion, mais sur l’affirmation de valeurs
propres et sur l’intégration harmonieuse de nos diverses
appartenances. Ce que nous observons sur le plan politique et
culturel en Côte d'Ivoire a existé sous des formes diverses sur le
plan de la religion, en d’autres temps et sous d’autres cieux.
1.2) L’identité chrétienne contemporaine
À côté de cette ivoirité en réalité complémentaire de la
mondialisation et pensée par nous comme modernité ivoirienne
et modernisation de ce que nous avons et de ce que nous
sommes, mais avec les autres, on peut citer les formes de vie
chrétiennes. Elles sont aussi des affirmations d’identités dans la
mesure où, par exemple, dans les CEB (Communauté Ecclésiale
de Base) les chrétiens, partis du constat d’une dilution de leurs
pratiques religieuses, veulent revenir aux anciennes fraternités.
Comme les premiers chrétiens, ils veulent vivre le partage
chrétien de proximité dans des petites cellules de prière. Ils
veulent revenir à l’identité chrétienne initiale qui faisait que,
dans la charité et l’amour du Christ, chaque chrétien était
réellement le frère de son voisin et partageait ses joies et ses
peines. Les chrétiens en sont arrivés à ces formes plus
chaleureuses de leur vie religieuse en se posant sans doute les
questions : qu’est-ce qui fait de nous des chrétiens et des
chrétiens repérables comme tels dans la société actuelle ?
Qu’est-ce qui nous distingue des autres et qu’est-ce qui nous
permet de tourner le dos aux formes de vie antérieures à notre
conversion ? Nés de nouveaux dans le Christ, comment
devrions-nous exprimer cette initiative de liberté que nous
5
Ramsès L. Boa Thiémélé, L’ivoirité entre culture et politique, Paris,
L’Harmattan, 2003, p. 15.
14
confère le commencement d’une vie vraiment chrétienne ?
Telles sont les questions que se posent les chrétiens à la
recherche d’une identité propre, si l’on s’en tient aux paroles du
théologien Kä Mana :
« Nous autres, Chrétiens et Chrétiennes des églises établies,
nous savons que le christianisme de notre continent ne peut
plus être celui des temps coloniaux et néocoloniaux dont
beaucoup d’entre nous ont souffert dans leur esprit et dans leur
corps6.»
Des théologiens chrétiens africains ont été confrontés à cette
question de l’identité. Ils ont forgé les concepts de théologie de
la libération, bien avant ceux de l'Amérique latine. Des
théologiens comme Mgr Engelbert Mveng et Jean-Marc Ela ont
posé le problème de l’affirmation de valeurs propres aux
chrétiens africains en termes de créativité culturelle et de
libération économique.
Pour Engelbert Mveng, c’est sur la pauvreté anthropologique
qu’il faut insister quand il s’agit de la compréhension
intellectuelle de la libération du chrétien africain. Il faut un
nouveau type d'Africain chrétien. Celui-ci doit remettre en
question les idéologies de la domination et de la mort qui
menacent le continent ; il doit proposer une cosmologie et une
anthropologie qui triomphe de la vie et sur la mort7. En somme,
il s’agit pour E. Mveng, de libérer l'Eglise universelle de sa
prison occidentale, de l’universaliser en l’africanisant8.
Parallèlement à ce courant culturel, Jean-Marc Ela propose
un autre courant, plus économique. Selon lui, il n’y a pas
d’autonomie culturelle sans autonomie dans le domaine
économique, c’est pourquoi la libération économique est
première. Il veut trouver des stratégies qui mettent l’homme
6
Kä Mana, Le souffle pharaonique de Jésus-Christ. Réinventer le
Christianisme dans ses sources, sa lumière et ses fondements africains,
Yaoundé (Cameroun), Editions Sherpa, 2001, p. 62.
7
Engelbert Mveng et B. L Lipawing, Théologie, libération et cultures
africaines, dialogue sur l’anthropologie africaine, Yaoundé, Paris, Édition
Clé/Présence Africaine, 1996, p. 33.
8
Ibidem, p. 68.
15
chrétien africain en état d’échapper à la misère, à l’inégalité et à
l’oppression.
Même la théorie et la pratique chrétienne de l’inculturation
peuvent être considérées comme une théologie de l’identité
culturelle. Ce néologisme théologique tire son fondement de
l’idée que Dieu se révèle aux hommes en s’engageant dans leur
histoire pour assumer chaque culture particulière en vue de la
transformer de l’intérieur. Il s’agit de faire l’effort de faire se
rencontrer les secteurs de la vie d’un peuple et le message
évangélique afin de promouvoir les valeurs propres de ce
peuple. Au bout du compte, il s’agit d’inviter les Églises
d'Afrique à se prendre en charge par une ascèse intellectuelle et
morale dans laquelle l'Afrique participe de façon positive et
active à l’expansion du message de Fraternité et d'Amour de
Jésus- Christ.
Il existe d’autres courants théologiques (comme la théologie
noire d'Afrique du Sud, la théologie de la reconstruction de Kä
Mana, etc.) mais nous nous en tenons au courant de la pauvreté
anthropologique, de la libération économique et de
l’inculturation pour montrer que les chrétiens africains ont été
secoués par le problème de l’identité et qu’ils y ont répondu de
façon multiple, en fonction de leur fondement idéologique, de
leur environnement9.
La dernière réponse la plus originale et sans doute la plus
prometteuse est celle du théologien Kä Mana, qui après avoir
découvert la place capitale des négro-africains dans l’histoire de
l’Egypte, puis du rôle de cette même Egypte dans l’Alliance
avec le Dieu de la Bible, veut ouvrir l’ère d’un christianisme
post colonial :
Assurés que nous sommes désormais responsables de la foi
chrétienne sur nos terres, de ce qu’elle doit être et de ce qu’elle
doit devenir au plus profond de nos quêtes et de nos
espérances, nous ne pouvons que trouver dans la référence
9
Cf. Tshibangu T. Mgr, La théologie africaine. Manifeste et programme pour
le développement des activités théologiques en Afrique, Kinshasa, Éditions
saint Paul, 1987.
16
égyptienne une source féconde pour réinventer le christianisme
dans un projet au cœur de nos sociétés 10.
Outre le christianisme, l’islam ne va-t-il pas être pris à son
tour, dans cette vague de remise en cause ?
1.3) L’identité musulmane
L’islam va s’installer dans une position d’enracinement car
il sait que l’identité se construit, dans la formation de nos idées,
de notre foi, à travers des engagements de diverses natures.
Mais bien plus, et relativement à notre première hypothèse, la
mondialisation va secréter des formes nouvelles de
fondamentalismes dans l’islam aussi. Cependant il faut écarter
de notre analyse les groupes terroristes armés en guerre contre
certains régimes corrompus des pays arabes ou responsables
d’actes terroristes avérés. Du reste, ces intégristes-là s’en
prennent aux systèmes politiques qu’ils jugent intolérants,
répressifs et vendus à l'Occident. L'Occident de son côté est vue
comme le complice de ces pouvoirs qui oppriment leurs peuples
et exploitent leurs richesses nationales.
Il faut plutôt prendre en compte les mouvements de
renouveau islamiques, c’est-à-dire ces mouvements qui
adoptent l’islam comme mode de vie et projet universel. Si les
premiers vivent en marge de la société et se servent de la
religion pour justifier leur ras-le-bol, les seconds par contre
s’associent à l’islam par conviction et veulent se protéger de
l’acculturation occidentale. Ils nourrissent l’espoir de bâtir un
modèle de civilisation indépendant, dont les modèles
reposeraient sur les valeurs de l’islam. Cet espoir est né d’une
quête identitaire qui s’enracine dans le sol de l’aube du XX e
siècle.
Cette quête identitaire fondamentaliste ou islamique prend
au mot la civilisation occidentale qui prône le pluralisme, le
respect de la différence et de la liberté de religion. Le résultat de
l’éveil du sentiment national et identitaire islamique est une
10
Kä Mana, Le souffle pharaonique de Jésus-Christ, op. cit., p. 62.
17
pléthore de courants, de stratégies et de sensibilité. Cette
pléthore de courants va du refus de la modernité au retour aux
formes les plus anciennes de l’islam. D’abord, nous avons des
groupes qui pensent qu’il faut retourner à l’islam de la pureté
des premiers temps. L’identité musulmane serait conservée
dans les manières anciennes de vivre la Parole de Dieu. L’âge
d'Or est celui des premiers temps de l'islam, lorsque s’appliquait
de façon intégrale et rigoureuse la loi divine. Le simple retour
aux sources recréerait la société idéale et son rayonnement
d’antan. Ils proposent ainsi de refuser les aspects politiques
actuels comme le vote et le travail des femmes, la laïcité de
l'Etat au motif que dans l'islam il n’y a pas de séparation entre
le privé et le public, entre l'Etat et la société. Pour eux il n’y a
pas de droits de l’homme qui vaille, seul Dieu a des droits.
L’homme n’a que des devoirs. La société dans son ensemble
doit être sous la loi coranique : l’armée est l’armée de Dieu,
l’ennemi est l’ennemi de Dieu, la loi reconnue est celle du
Livre, le Coran. Ils croient pouvoir régler par la violence les
problèmes sociaux et politiques ; ils sont convaincus de
l’inanité du recours à des moyens de nature juridique ou
politique pour trancher les différends qu’ils ont avec le pouvoir
politique moderne.
Ensuite, nous avons des groupes de modernistes. Face aux
courants identitaires que nous pouvons qualifier de rétrogrades,
se trouvent des quêtes identitaires souhaitant moderniser l’islam
de l’intérieur, selon son propre rythme. Ces modernistes
pensent que les musulmans doivent faire le jeu des droits acquis
et de l’interprétation réformiste du Coran. Ils proposent aux
partis qui se réclament de l’islam de s’affirmer comme parti
légal, de se soumettre aux règles de jeu de la démocratie, de
reconnaître aux femmes le droit à l’éducation et au travail.
Enfin ce dernier courant estime qu’il ne s’agit pas
d’occidentaliser l’islam ni de l’arabiser mais au contraire
d’islamiser l'Occident, de l’amener petit à petit à épouser les
valeurs musulmanes. Pour réussir ce pari, il est nécessaire pour
les musulmans de veiller à l’élaboration intellectuelle d’une
société et d'un Etat islamique, d’une théorie économique
islamique. Ce faisant, l’islam reprendra l’initiative historique
qu’il avait perdue et montrera par ses propres reformes que,
18
avant l’arrivée de la colonisation, il avait tenté de renouveler, de
dépoussiérer et de rénover la vie des musulmans. Il montre que
la civilisation occidentale n’est pas le modèle unique pour les
sociétés du reste du monde11.
Au total il revient aux musulmans de reconquérir leur propre
identité en tant que communauté porteuse d’une mission
globale éternelle. Ils se font, en agissant de la sorte, les dignes
héritiers des prophètes d’antan.
L'Afrique noire n’a pas attendu l’aspect impérialiste de la
mondialisation pour imprimer une identité à l’islam. Ne peut-on
pas reconnaître la confrérie mouride au Sénégal comme
représentative de ce que les Noirs africains ont apporté, dans
leur adhésion à l’islam, d’expériences morales et spirituelles
propres ?
En effet, on peut considérer le mouridisme du Sénégal, à
travers son style de vie caractéristique, l’exaltation de la valeur
du travail tant intellectuel que manuel, le contrat passé entre
l’adepte et le marabout, comme une identité musulmane
africaine. Cheikh Tidiane Sy a raison de dire, parlant du
mouridisme, que les valeurs symboliques de la société
traditionnelle wolof sont récupérées et incorporées dans le
nouveau cadre islamique12 .
Ces désirs d’identité des Ivoiriens, des musulmans, et plus
haut des chrétiens, doivent-ils être pensé comme hostilité à
l’égard de la civilisation occidentale ou à l’égard des voisins ?
Doit-on débusquer derrière toute volonté de savoir qui l’on est,
ou derrière tout désir de se construire une identité, la haine de
l’autre ?
Si on stigmatise en général les comportements relatifs aux
revendications des identités, c’est parce qu’une certaine forme
d’identité se veut exclusive. Ce type de revendication se fait
uniquement au nom d’une seule identité qui, devenue
tyrannique, exclut les autres appartenances dans la constitution
11
Cf. Abderrahim Lammchichi, L’Islamisme en question(s), Paris, L’
Harmattan, 1997.
12
Cheikh Tidiane Sy, La confrérie sénégalaise des mourides, Paris, Présence
africaine, 1969, p. 172.
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