Voix plurielles 13.1 (2016) 164
Savoie, Paul. L’heure ovée. Montréal : Noroît, 2015. 24 p.
Ce nouveau recueil de l’excellent Paul Savoie compte deux parties, « Fleur
innommée » et « Les vingt-quatre enfantements de la muse », dont la deuxième, empreinte
d’une tristesse mélancolique, éteint dans sa gravité les moments naissants et le bonheur de
toutes les beautés esquissées auparavant.
De manière caractéristique, Savoie produit à nouveau une œuvre à la fois forte et
douce d’une grande qualité dans laquelle il raconte en fine poésie le début du monde, sa
magie, sa légèreté prometteuse, l’heure avant que son histoire débute, les derniers instants
avant l’éclosion, le matin unique de la naissance. Ce moment sur le point de s’ouvrir et de
sortir de sa coquille donne lieu aux premiers enchantements : « l’heure ovée » « ne réduit
pas la nuit à un agencement / l’aurore à un vacillement / elle dicte à peine / par images
surimposées / la phrase / qu’annoncent les signes ravivés ». C’est une « sorte de soleil »
qui illumine la « carapace du vent », expérience protégée de la vie (et de l’écriture) à venir.
Ce commencement qui n’en est pas encore tout à fait un, « pressent la créature enfouie »
et des « signes fugaces ».
Dans ce nouveau monde (cette nouvelle écriture) qui perce un brin, sont promis la
plus grande liberté et les épanouissements les plus salutaires : « il y a / tout près / l’oiseau
secret / dont on pressent le ramage étrange / avant même l’invention des mots / avant que
la tendresse n’ait été suscitée » ; « l’ondulation / le début de l’ondulation / se forge ici /
tout devient conjoncture ». Ces vers évoquent la réalisation des désirs de l’écolier enfermé
dans la salle de classe qui, dans « Page d’écriture » de Jacques Prévert, rêve de falaises,
d’oiseaux et de rires, et qui, à force d’imagination, abolit les murs, l’encrier, la craie et les
contraintes imposées à une vie inassouvie. L’esprit cabotin marque par endroits la genèse
du monde (et de l’écriture) que conçoit Savoie.
Mais cette genèse n’aura pas lieu et les vingt-quatre accouchements qui suivent, ne
suffiront pas. Bien au contraire, ceux-ci sont vingt-quatre épreuves douloureuses
conduisant à la prostration du corps et de l’esprit. La muse fléchit, finit par se terrer dans
l’âtre étouffant après avoir connu les espaces de la plaine. Elle est domptée, à vrai dire
domestiquée, en larmes, incertaine, fragilisée, somnolente et passive, maudite semble-t-il.
La muse, qui est femme, amante, mère, poète, qui devrait éveiller l’inspiration et donner la
vie, finit par s’allonger : « une tourmente vient l’assaillir », elle est la pythie habitée par un