« Mon fils est mort debout. Je n`ai pas le droit de m`asseoir »

lle aurait pu leur en vouloir,
mais elle préfère leur tendre
la main. Avec son association
« Imad Ibn Ziaten pour la
jeunesse et la paix », Latifa
enchaîne collèges, lycées,
cités et centres sociaux
pour délivrer aux jeunes son
message de paix. En tant que mère
endeuillée, elle tente d’alerter les
parents quant à leur responsabilité
dans l’éducation des enfants. Sa vision,
Latifa Ibn Ziaten la délivre dans
Mort pour la France, ouvrage dans
lequel elle insiste notamment sur la
nécessité de transmettre un sentiment
d’appartenance à la République.
Comment vous est venue l’idée de
l’association ? En me rendant dans le
quartier où a grandi Merah, j’ai vu ces
jeunes qui le considéraient comme un
héros. Mais j’ai surtout vu des jeunes de
cité enfermés, en souffrance. Ce n’est pas
normal. Ces enfants appartiennent aussi
à la République. En créant l’association,
j’ai voulu aider ceux qui étaient la cause
de ma souffrance.
Un Musulman victime, un
Musulman coupable. Comment
expliquez-vous ces deux chemins
opposés ? Merah n’est pas un
Musulman, c’est un assassin. Cet
homme n’avait aucune éducation ni
de compte. En face de moi, personne ne
ressentait ma douleur, uniquement parce
que je suis musulmane. Si moi, mère de
militaire, j’ai été traitée comme ça, alors
comment le sont les jeunes des cités ?
Quavez-vous ressenti lors des
déclarations de la sœur de
Mohamed Merah, se disant fière
de son frère ? J’étais en pèlerinage à la
Mecque. J’ai tellement pleuré que j’ai
perdu la voix pendant quatre jours. J’ai
conscience qu’elle a perdu son frère et
qu’elle souffre mais elle ne se rend pas
compte de la douleur qu’elle peut causer.
Un an après les tueries de Toulouse et Montauban, la mère
du premier militaire assassiné milite dans les quartiers
difficiles pour éviter un «deuxième Mohamed Merah».
Entretien autour de son livre Mort pour la France. Par L.S.
« Mon fils est mort
debout. Je nai pas
le droit de masseoir »
Latifa Ibn Ziaten
© Philippe Matsas / Flammarion
religion. Quand un jeune naît en France,
il est Français. L’Islam est une religion
et c’est personnel. On ne peut pas
mélanger les deux. Or, Merah n’a pas fait
la différence. Ses assassinats n’ont rien à
voir avec l’Islam. C’est une religion de
respect, d’amour et de paix. Je trouve
impardonnable que certains se cachent
derrière la religion pour commettre de
tels actes.
Un sondage de janvier indique que
74 % des Français considèrent que
l’Islam nest pas compatible avec les
valeurs de la France. Merah a-t-il
contribué à cette image-là ?
Ce n’est pas parce qu’un voyou a
terrorisé la France qu’on doit mettre tous
les Musulmans dans le même panier.
Nous sommes montrés du doigt, c’est
vrai. Les gens ont peur en voyant un
barbu ou une voilée. Mais ce sont des
gens comme vous et moi qui travaillent,
vivent normalement et pratiquent leur
religion sans scandale. Les lois de l’Islam,
c’est aussi le respect de la République.
Vous avez pourtant été vous-même
victime de préjugés lorsque vous
avez appris la mort d’Imad.
Lorsque nous sommes arrivés au
commissariat, nous avons été humiliés.
En voyant son nom, les policiers ont
supposé que c’était un délinquant et
qu’il avait été tué suite à un règlement
E
22 Gazelle
société
Son frère a tué gratuitement des enfants.
En tant que mère, comment peut-elle
parler comme ça ?
La France est-elle responsable
du destin de Merah ? Pas du tout.
Les responsables, ce sont à 100 % les
parents. Quand on met un enfant au
monde, on doit l’éduquer, l’encadrer,
le suivre. L’école est là pour l’orienter
et l’instruire. L’armée – qui n’est
malheureusement plus obligatoire –
apporte le respect et la discipline. Mais
si les parents ne sont pas là, l’école et
l’armée ne peuvent rien faire. La France
enfants et pour être écoutées. Parfois,
elles me demandent de me déplacer
en pensant que ma parole aura plus
d’impact que la leur. Mais c’est à
elles de mener le combat avec leurs
enfants. Certaines mères partagent
leur inquiétude avec moi lorsque leur
enfant se convertit à l’Islam. Je leur
conseille simplement de ne pas être
trop intrusives et de surveiller de loin
le comportement de leur fils ou de leur
fille. Autant de femmes m’appellent
car je parle avec mon cœur et avec ma
douleur. Ça touche les gens et c’est
important pour moi. Voilà pourquoi je
laisse mon numéro de portable sur le site
Internet de l’association.
Comment avez-vous pu choisir le
chemin de l’aide au lieu de celui de
la haine ? Avec l’espoir. Quand je parle à
ces jeunes, je vois qu’on peut les récupérer.
Aussi, quand une femme musulmane
française s’adresse à eux, le message a plus
de force. Lorsqu’un jeune, même le plus
dur des caïds, est en face de moi, les larmes
coulent sur son visage. Des Merah, il y
en a partout. Mais ces jeunes abandonnés
n’ont pas le droit de prendre la vie des
autres parce qu’ils n’ont pas réussi la leur.
Je ne veux qu’il y ait un autre Merah
et qu’une autre mère souffre comme je
souffre. Perdre son enfant, ça vous détruit
à vie. Et puis, mon fils est mort debout.
Alors, je n’ai pas le droit de m’asseoir.
Vous avez insisté pour que votre fils
soit déclaré « Mort pour la France » ?
Imad est mort parce qu’il était
militaire. Bien qu’il n’ait jamais servi
en Afghanistan, il était fier de servir
son pays. Il est d’ailleurs mort debout,
digne comme un soldat. Pour moi, cela
méritait la mention « Mort
pour la France ». Je n’ai pas
eu cette chance, mais le
gouvernement a spécialement
créé la mention « Mort pour
le service de la Nation »,
également attribuée aux deux
autres militaires tués par
Mohamed Merah. n
Mort pour la France, de Latifa Ibn
Ziaten, aux éditions Flammarion
n’est pas là pour toquer aux portes des
gens pour leur proposer du travail. C’est
aux jeunes de bouger. Si on a besoin
d’aide, on va manifester pacifiquement
dans la rue. On ne va pas commettre des
crimes comme Merah.
Pourquoi êtes-vous la seule mère à
livrer ce combat ? Mon fils me disait
toujours : « Garde la pêche en toi. » Mais
j’appelle toutes les familles, les mères
françaises, musulmanes ou non, à se
lever, parler, manifester. C’est important.
Tous ces jeunes qui souffrent, nous nous
devons de les écouter et de les aider. Ce
sont aussi nos enfants.
Pourquoi ne pas avoir co-écrit le
livre avec votre mari ? A la maison,
on appelle mon mari « le papa gâteau ».
C’est un homme très doux mais
réservé. Quant à moi, j’avais besoin
de m’exprimer à travers ce livre pour
que les mères voient que j’aime ce pays
qui m’a ouvert ses bras. En revanche,
certains pères ne sont pas présents alors
qu’ils représentent davantage l’autorité
auprès des enfants. C’est aussi pour
ça qu’il y a autant de délinquance.
Avec l’association, je rencontre plus de
femmes que d’hommes et ça, ce n’est pas
normal. Le père doit aussi
participer à l’éducation, car
la mère ne peut pas porter
seule cette charge. L’enfant,
on le fait à deux.
Que vous disent les mères
que vous rencontrez ?
Beaucoup d’entre elles me
demandent de l’aide, des
conseils pour parler à leurs
merah n’est pas
un musulman,
c’est un assassin.
IL N’AVAIT AUCUNE
ÉDUCATION NI
RELIGION
Gazelle 23
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