Histoire de la RDA Maxim LEO, Histoire d’un Allemand de l’Est Maxim Leo, journaliste berlinois, avait vingt ans au moment de la chute du Mur. D’une plume alerte et captivante, il raconte aujourd’hui l’histoire d’une famille peu commune : la sienne. Après avoir combattu dans la Résistance française, son grand-père a contribué à la fondation de la RDA. Sa mère a cru en l’avenir du jeune Etat communiste, tandis que son père rêvait déjà de le voir disparaître. La force de ce document exceptionnel réside dans l’intelligence avec laquelle Maxim Leo organise ce récit qui englobe une soixantaine d’années. Son talent de narrateur rend ce témoignage et ses protagonistes inoubliables. Histoire d’un Allemand de l’Est ne permet pas seulement de comprendre vraiment ce que fut la RDA mais éclaire aussi les contradictions de l’Allemagne actuelle. Septembre, 2013 / 11 x 17,6 / 320 pages Traduit de l’allemand par : Olivier MANNONI ISBN 978-2-330-02277-8 prix indicatif : 8,70€ Babel n° 1144 La RDA, une démocratie populaire I – Le temps des démocraties populaires A la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’URSS occupe et domine la partie orientale de l’Europe. Elle va y mettre en place un « glacis défensif » constitué de démocraties populaires suivant le modèle soviétique. Cependant, ce modèle va subir des évolutions jusqu’à sa disparition à la fin des années 80. Les démocraties populaires se mettent en place de 1945 à 1953. Puis, de 1953 à 1975, parallèlement à la déstalinisation en URSS, les démocraties populaires contestent le modèle qui leur est imposé et tentent de le réformer. Enfin, de 1975 à 1989, les démocraties populaires s’éloignent du modèle soviétique et finissent par disparaître. Les pays d’Europe centrale et orientale (PECO) ont été sous la domination allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Les communistes sont encouragés par Moscou à participer à des « fronts patriotiques » contre l’hitlérisme, pour lutter contre ce dernier mais aussi pour légitimer l’importance du communisme après la guerre et préparer l’arrivée de l’Armée rouge. Les PECO ont été ensuite libérés soit par l’Armée Rouge, soit par une résistance communiste (Yougoslavie, Albanie). Les traités qui mettent fin à la guerre réorganisent l’Europe et fixent un calendrier d’évacuation des troupes d’occupation dans les 6 mois à venir d’où la nécessité d’une rapide prise de pouvoir par les communistes. Certains pays ont connu des expériences révolutionnaires communistes dans l’entre-deux-guerres (Hongrie 1919, Bulgarie 1923), la RDA elle, naît du règlement de la seconde guerre mondiale. Grâce à la présence de l’Armée rouge, une dénazification et une épuration sont menées permettant le démantèlement des structures et des cadres politiques de l’ancien régime. Les partis communistes participent aux gouvernements d’union selon une stratégie du « cheval de Troie ». Grâce à la pression de l’Armée rouge et à l’utilisation de « sous-marins » ou de « cryptocommunistes », les PC obtiennent des postes clés (Justice, Intérieur, Défense, Economie). Ils observent une stratégie volontariste de retour à la démocratie afin de justifier leur contrôle sur les institutions (Roumanie : Intérieur, Justice, « Service spécial »). La reconstruction économique permet la mise en place d’une nouvelle économie fondée sur le communisme : réformes agraires en 45 (6 millions d’hectares distribués en Pologne), nationalisations des industries (1946 60% du potentiel industriel tchécoslovaque). Si leurs opposants rappellent que les réformes agraires seront suivies par la collectivisation, les paysans voient juste qu’ils reçoivent plus de terres. Les réformes visant à homogénéiser les politiques économiques selon le modèle soviétique, l’économie doit constituer un « tuteur » à l’idéologie communiste. C’est pourquoi, l’URSS fait pression sur les PECO pour qu’ils refusent le plan Marshall en 1947. Ce fait est significatif de l’importance de l’économie et indique une perte d’indépendance (« satellisation ») des PECO vis-à-vis de l’URSS. 1947 marque le début de la Guerre froide. La doctrine Jdanov impose, aux partis communistes, de rompre avec les autres partis et, si possible, de prendre le pouvoir. Aussi, le pluralisme politique disparaît progressivement par l’élimination des hommes politiques refusant l’assimilation de leur mouvement au bénéfice du PC. Cependant, on peut observer des variantes en fonction des pays : - Stratégie du procès politique : En Hongrie, le parti des petits propriétaires est le vainqueur des élections de 1945 avec 57% des suffrages. Son secrétaire général, Béla Kovacs, est arrêté pour « complot contre la sécurité de l’Armée rouge » puis suivent les arrestations de grandes personnalités politiques. Ensuite, les partis, privés de leurs principaux défenseurs, sont dissous progressivement (= « tactique du salami » – Matyas Rakosi, secrétaire général du PC hongrois), en commençant par la droite et en finissant par les sociaux-démocrates (entre 45 et 50, 5 000 sociaux-démocrates sont arrêtés en secteur soviétique allemand dont 4 000 vont mourir en détention). Enfin, le parti unique est instauré. - Stratégie du coup de force : Le PC tchécoslovaque remporte les élections de mai 46 (35% des voix), Gottwald, chef du PC, devient président du conseil. En septembre 47, grâce à une opportune « conspiration anti-Etat en Slovaquie », le parti démocratique slovaque, second parti aux élections, est dissous. La radicalisation progressive du PC suscite l’inquiétude des autres partis qui cherchent à l’éliminer mais celui-ci contrôle la rue (immenses manifestations), la police et des milices ouvrières qui vont permettre le « coup de Prague ». Le 25 février 1948, le président Benès est contraint d’accepter un gouvernement entièrement communiste pour éviter une guerre civile, ce « semi-coup d’Etat » se déroule sans l’aide directe de l’Armée rouge. - Stratégie de la terreur : La brutalisation de l’attitude des PC (fraude aux élections, réseau de collaborateurs, assassinats, arrestations, tortures, passages à tabac, pression pour pousser à l’exil) leur permet d’imposer leur pouvoir. Entre 1945 et 1948, la « pacification » menée en Pologne par le PC conduit à 8 700 morts. En Bulgarie, entre 45 et 46, 100 000 personnes sont déportées. Il est prévu, dès la conférence de Yalta, que l’Allemagne soit divisée en quatre zones d’occupation (Américaine, soviétique, britannique et française, grâce à l’action de Churchill). Entre 1945 et 1947, on assiste progressivement à la dissolution de la Grande Alliance. Ce sont les Anglais qui vont les premiers tirer la sonnette d’alarme. A l’hiver 1946, les Britanniques ont déjà commencé à inscrire la rivalité naissante avec l’URSS en tête de leur agenda stratégique. Les EU mettent un peu plus de temps à accréditer cette menace et il faut attendre 1947 et le fameux discours Truman pour percevoir clairement la nouvelle orientation de la politique américaine. Si la « tactique du salami » en Pologne ou en Hongrie a clairement averti les occidentaux et que le coup de Prague en février 1948 a achevé de montrer les intentions de Staline, c’est l’Allemagne qui se trouve la première au centre du conflit. Si l’année 1947 marque le début de la guerre froide, c’est l’Allemagne qui est sa frontière et le champ clos dans lequel, au rythme des différentes crises (blocus de Berlin, mur de Berlin, crise des missiles) les deux superpuissances vont se livrer à un bras de fer qui revient constamment au théâtre d’opérations européen, central dans la guerre froide (même si la crise de Cuba ou la guerre de Corée représentent des conflits de haute intensité ou presque directs). Rapidement après le début de l’occupation de l’Allemagne par les Alliés, les relations se dégradent entre les trois puissances occidentales (États-Unis, Royaume-Uni et France) et l’URSS, entraînant leur zones d’occupation respectives dans des directions différentes au cours de la Guerre froide. Si un Conseil de contrôle commun est prévu pour la direction d'une Allemagne unifiée, les alliés administrent néanmoins à leur guise les zones qui leur ont été confiées en fonction de leurs intérêts et de leurs idéologies respectives. Le retour au capitalisme qui s'impose peu à peu dans les secteurs occidentaux (formant la bizone, puis la trizone) s'oppose au socialisme triomphant qui domine déjà dans l'est de Allemagne sous occupation de l'Armée rouge. Dans cette période de bipolarisation que constitue le début de la Guerre froide, on assiste à une uniformisation des régimes Date de la politiques et à une obéissance de constitution Personnage-clé plus en plus marquée vis-à-vis de Etats établissant la dans la naissance de la l’URSS. Les constitutions sont démocratie démocratie populaire modifiées par voie légale et les populaire démocraties populaires sont Yougoslavie 1946 Tito (Josip Broz) instaurées. Albanie 1946 Enver Hoxha Bulgarie 1947 George Dimitrov Roumanie 1948 Petru Groza Tchécoslova quie 1948 Klement Gottwald Hongrie 1949 Matyas Rakosi RDA 1949 Wilhelm Pieck Les constitutions nouvelles centralisent le pouvoir au profit des « masses populaires » et d’une institution parlementaire les représentant mais ne disposant pas de l’initiative législative. Le pouvoir réel est exercé par le bureau politique du PC même si, en théorie, il existe une séparation entre l’Etat et le parti. Dans le cadre de cette uniformisation, est mis en place le Kominform, en octobre 47, destiné à garantir le monolithisme du bloc de l’est. Les partis communistes, « amis », doivent une obéissance inconditionnelle au PCUS sinon ils seront ostracisés. Cette volonté de former un bloc explique la première crise de Berlin. La RDA, proclamée le 7 octobre 49, constitue quant à elle une véritable vitrine du socialisme. Pologne 1952 Boleslaw Bierut Les États-Unis, le Royaume-Uni et la France mettent en place la réforme monétaire du 20 juin 1948 en zone occidentale, en lançant le Deutsche Mark pour remplacer le Reichsmark. Les autorités soviétiques décident alors de créer dans leur zone d'occupation leur propre unité monétaire, le Ostmark. Le blocus de Berlin contraint l’URSS à quitter le Conseil de contrôle allié mettant fin à une éventuelle politique commune pour l'Allemagne. C’est donc cette méfiance mutuelle entre Est et Ouest qui mène finalement à la fondation de la République fédérale d'Allemagne dans la Trizone occidentale le 23 mai 1949. En réponse, la République démocratique allemande voit le jour le 7 octobre 1949 et se dote de son propre hymne national. Le premier président de la RDA est Wilhelm Pieck (1876–1960), le premier ministre-président Otto Grotewohl (1894–1964), mais l’homme fort du régime est Walter Ulbricht (1893–1973), le secrétaire général du comité central du SED. Le contrôle que le régime exerce sur la population incombe, à partir de 1950, au ministère de la Sécurité d’État, la Stasi, calqué sur le NKVD soviétique, mais de plus réorganisé par certains anciens de la Gestapo : traque des opinions non-conformes, contrôle systématique des moyens de communication, espionnage des suspects jour et nuit, etc… II – La RDA, élève modèle du bloc soviétique ? Une nouvelle patrie du socialisme Maxim Leo est né dans une famille atypique, même pour la RDA (chapitre I). On pourrait qualifier ses parents de baba-cools, même s’il existe de grandes divergences entre eux. Le père est un anticonformiste un peu rebelle mais pas vraiment subversif et sa mère une intellectuel qui nourrit de grandes espérances et de grandes illusions vis-à-vis de la RDA. Maxim est à cheval sur deux cultures, l’allemande et la française bien sûr mais celle qui caractérise son enfance protégée et celle qu’il découvre quand il entre en apprentissage (chapitre XXI « Profession de foi »). Il découvre qu’il existe une distance entre la RDA qu’il a vécu en quelque sorte de manière idéale, jusqu’à la sortie de l’adolescence et la RDA qu’il redécouvre après la chute du mur. « C’est seulement plus tard, lorsqu’il n’a plus été aussi facile d’éluder la RDA, lorsqu’elle m’a collé de trop près, que je me suis mis à la regarder avec d’autres yeux. » Chapitre XVII, « Collisions » (cit. p. 219), très important et qui répond au chapitre I, puisqu’il s’agit de la partie du livre dans laquelle Maxim revient d’abord sur le parcours de ses parents puis sur le sien. Dans le chapitre I, Maxim Leo confie la distance qui s’est établie avec l’Allemagne qu’il découvre après la chute du mur. Cette Allemagne de l’est à laquelle il n’a pas la sensation d’appartenir (« Je fais partie des autres. De ceux de l’ouest. » p. 17 Il observe avec étonnement ce que sont devenus sa femme et son fils. Description de la rue prise en photo par Wolf (cf. couverture + lire la description p. 17) et comparaison avec son aspect d’aujourd’hui. « J’ignore comment (…) l’homme de l’est a disparu en moi. » la démarche suivi par le livre est donc de retrouver à travers sa famille cette Allemagne de l’est enfuie pour lui permettre de comprendre le sens du deuil qui lui permet de construire son existence en tant qu’individu (comme chacun d’entre nous d’ailleurs) distribuer les plans d’ouvrage. Quelle était exactement cette Allemagne ? Nous suivrons dans les deux parties suivantes le plan suggéré par l’ouvrage lui-même, à savoir l’étude des fondements de cette nouvelle « patrie du socialisme » puis l’étude d’une société entièrement contrôlée par le régime. a) La patrie de l’antifascisme Reprendre le cours sur la répression de la résistance La figure de Gehrard symbolise ce qui constitue le facteur unificateur de la RDA des premières années, à savoir l’antifascisme. A partir du chapitre IX, nous voyons Gehrard intégrer les rangs de la résistance, pas n’importe laquelle, il s’agit de la résistance communiste. Les motivations qui poussent les gens à résister sont diverses d'un individu à l'autre : • La première motivation est la volonté de lutter contre le fascisme, le nazisme, le système totalitaire et raciste qui se met en place en Europe. Il n'y a pas de portrait politique et culturel type des résistants : ils sont de tous les milieux. • Il existe également des motivations personnelles qui poussent surtout les jeunes vers la résistance : ainsi, échapper au STO en France, conduit de nombreux jeunes, souvent inexpérimentés, dans les rangs de la résistance. • Le goût du risque, de l'aventure est enfin une des motivations qui pousse les plus jeunes làencore à rejoindre la résistance. Le risque est bien réel, puisque dans les pays occupés, les résistants sont considérés comme des terroristes : s'ils sont capturés, ils sont le plus souvent fusillés sur place. La résistance prend des formes très variées en Europe : • Elle peut prendre la forme d'un sabotage « administratif ». • Elle peut se manifester par des grèves ou des manifestations menées par exemple à partir de 1943 par les mineurs belges qui refusent de travailler pour les Allemands. • Elle peut s'organiser autour de filières d'évasion : par exemple des juifs du Danemark qui sont évacués vers la Suède en 1943. • Elle peut conduire à la mise en place de réseau de renseignements en direction des alliés. « L'orchestre rouge » par exemple renseignait Moscou sur les intentions des nazis. • Les actes les plus visibles étaient évidemment les attentats contre les occupants ou encore les sabotages contre les voies de communications, les lignes téléphoniques, les ponts, les tunnels… • Avec l'approche de la fin de la guerre, la résistance prend la forme de véritables opérations militaires. Une véritable guérilla est par exemple menée en Yougoslavie. Elle conduit à la libération du pays par Tito et ses partisans communistes sans quasiment aucune aide extérieure. La résistance a été particulièrement importante dans les pays de l'est (Pologne, Grèce, Yougoslavie, Ukraine). Mais dans certains de ces pays, elle a souvent été affaiblie par la lutte entre les résistants communistes et les résistants non communistes. Du fait de la débâcle en mai-juin 1940, le Maréchal Pétain, chef du gouvernement depuis le 16 juin 1940, signe l'armistice avec l'Allemagne le 22 juin 1940. Les clauses définies par cet armistice sont très sévères à l'égard de la France : Des clauses territoriales La France est divisée en deux : la France du nord (France directement occupée par les nazis, avec Paris comme capitale) et la France du sud (dite France « libre », avec Vichy comme capitale). Entre ces deux France passe la ligne de démarcation. Des clauses militaires L'armée française est réduite à 100.000 soldats en métropole et à 120.000 soldats en outre-mer. La flotte doit être désarmée : l'Allemagne s'engage à ne pas l'utiliser. Toutes les fortifications doivent être livrées à l'Allemagne. La France doit prendre à sa charge les frais d'occupation de son territoire (fournir logement, nourriture aux troupes d'occupation). Les deux millions de prisonniers français ne sont pas autorisés à rentrer en France tant qu'une paix définitive ne sera pas conclue. La France doit livrer tous les ressortissants allemands qui se trouvent en France. (c'est-à-dire notamment les Juifs allemands). On estime que les faits de résistances en France ont concerné 1% à 1,5% de la population, et pourtant cette résistance est très divisée. On devrait en effet plutôt dire les résistances françaises. On distingue en fait deux ensembles : une résistance extérieure et une résistance intérieure (de plus, cette dernière est divisée en plusieurs groupes). La résistance extérieure Les débuts de la résistance française sont à placer en dehors du sol français. Elle commence en effet le 18 juin 1940 par l'appel lancé par le général de Gaulle, de Londres, sur la radio anglaise, la BBC. Cet appel marque la naissance de la France Libre. En juillet 1940, la France Libre ce sont seulement 7.000 hommes environ autour de de Gaulle à Londres. Peu de colonies se rallient à la bannière de de Gaulle (l'AEF [Afrique Equatoriale Française], Tahiti, et la Nouvelle-Calédonie). Le reste de l'Empire français reste fidèle à Vichy. Pour rajouter à la faiblesse de de Gaulle, la France Libre n'est pas reconnue par les Alliéscomme un gouvernement en exil et, la France libre n'a pas de lien, pas de contact avec les premiers mouvements de résistance en France. La résistance intérieure La résistance intérieure commence à se manifester par des actes isolés dès juillet 1940 (distributions de tracts, inscriptions sur les murs…). En zone sud, l'absence des Allemands facilite la formation spontanée, parfois désordonnée de groupes (ou réseaux) comme Combat (Henri Frenay), ou encore Franc-Tireur (Marc Bloch). En zone nord, la situation est plus difficile pour les résistants qui doivent rapidement s'organiser en réseaux clandestins s'ils veulent échapper à la Gestapo. Les premiers groupes sont Libération nord, Ceux de la Résistance. Seul le Front National, groupe de résistants communistes, fondé en mai 1941 mais surtout actif à partir de juillet 1941, est présent en zone nord et en zone sud. Le problème de tous ces mouvements de résistance jusqu'à la fin de l'année 1941, c'est qu'ils sont divisés, parfois concurrents, faiblement implantés dans les régions et globalement mal organisés. Organisation et unification de la résistance française C'est pour l'essentiel l'œuvre de Jean Moulin, ancien préfet, rallié à la France libre, et envoyé parde Gaulle en France en janvier 1942. Jean Moulin assure dès juillet 1942 le lien entre la France Libre et la résistance intérieure. Jean Moulin unit les résistants du sud de la France en créant les Mouvements Unis de la Résistance (MUR) en janvier 1943. Et le 27 mai 1943, il réunit sous l'autorité de de Gaulle l'ensemble des mouvements de résistants français au sein du CNR (Conseil National de la Résistance). La mission de Jean Moulin s'arrête un mois plus tard : le 21 juin 1943 : il est arrêté, torturé par la Gestapo lyonnaise, et décède lors de son transfert en Allemagne juillet 1943. Le Conseil National de la Résistance, uni sous l'autorité de de Gaulle, donne au général une nouvelle légitimité. Depuis mai 1943, de Gaulle est en Algérie, qui a été reconquise par les Alliés et les Forces Françaises Libres ou FFL (armée de la France Libre). Le 3 juin 1943, il devient le chef duComité Français de Libération Nationale, mais il partage ce poste avec le général Giraud, qui est soutenu par les Américains. De Gaulle réussit finalement à se débarrasser de Giraud pour s'imposer comme le seul chef de la France libre. Il sera à partir de juin 1944, le chef du Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF). La résistance française, tant intérieure (les FFI, Forces Françaises de l'Intérieur qui accomplissent la libération de Paris) qu'extérieure (les FFL, Forces Françaises Libres qui libèrent le sud de la France), participent à la libération de la France aux côtés des Alliés. Alors que le maréchal Pétain et le gouvernement de Vichy sont amenés par les Allemands àSigmaringen, le GPRF est reconnu par les Français comme le pouvoir légal. De Gaulle remonte triomphalement les Champs-Élysées fin août 1944. Il envoie les premiers préfets pour « relayer l'autorité » des chefs résistants et dissoudre les organisations paramilitaires. Au début de l'année 1945, le GPRF est reconnu à l'étranger comme le gouvernement légal de la France. La parenthèse de la guerre et celle du régime de Vichy se referment donc avec l'année 1944. C’est à ce moment-là que se situe la fin de la « période française » de Gehrard. Il va donc revenir en Allemagne, auréolé du prestige des combattants antifascistes pour participer à l’édification du nouvel Etat. L’athéisme du parti, avec la constitution d’une démocratie populaire, vise à endiguer le fascisme du troisième Reich, mais sans la liberté. La sécularisation signifie aussi bien la déchristianisation des consciences et des mentalités produite par le totalitarisme, pour la remplacer par une nouvelle religion d’Etat qui s’appuie largement sur la mythologie de l’antifascisme dont le « mur de protection antifasciste » représente une sorte d’aboutissement délirant. Pour les deux grands-pères, il s’agit également de faire table rase du passé, de commencer un nouvel avenir. b) Une dénazification incomplète Reprendre le cours sur la dénazification c) Brave New World Afin de mettre en œuvre leur politique, les Soviétiques n'hésiteront pas à s'appuyer notamment sur le Nationalkomitee Freies Deutschland(« Comité national pour une Allemagne libre » ou NKFD) organisation de résistance anti-nazie fondé le 12 juillet 1943, à Krasnogorsk (à proximité de Moscou), dans le camp modèle no 27, par les membres du comité central du Parti communiste d'Allemagne (Kommunistische Partei Deutschlands - KPD) exilés en URSS et par quelques soldats allemands prisonniers (tant hommes de troupe qu'officiers). Même si le comité sera dissout le 2 novembre 1945, leurs membres communistes les plus influents, Wilhelm Pieck et Walter Ulbricht deviendront néanmoins par la suite les futurs dirigeants de la RDA. Ulbricht est chargé avec 9 autres membres du KPD réunis au sein du groupe qui porte son nom, de poser les bases de la reconstruction allemande dans un programme en 4 points : 1. Réforme agraire (die Bodenreform) ; 2. Essor de l’industrie nationalisée : mines, chimie, etc. ; 3. Organisation d’élection libre et secrète ; 4. Réalisation de l’unité de la classe ouvrière. La mise en place de régimes communistes en Europe de l’Est s'amorce aussi dans la zone d'occupation soviétique. Ainsi, en juillet 1945 est créé un Front national regroupant les formations politiques ayant une activité légale dans la zone, notamment le Parti communiste d'Allemagne (KPD), le Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD), la Union chrétienne-démocrate d'Allemagne (CDU) et Parti libéral-démocrate (FPD), opérant de cette manière une scission de fait avec leurs homologues de l'ouest. Les communistes prennent pourtant rapidement l'ascendant dans cette structure. Après que le XVe congrès du Parti communiste d'Allemagne (KPD) et le XLe Congrès du Parti socialdémocrate d'Allemagne (SPD) se sont prononcés à l’unanimité pour la fusion entre les deux organisations, les deux groupes se réunissent dans un contexte d'intimidation massive2, les 21 et 22 avril 1946 pour former le Parti socialiste unifié d'Allemagne (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands – SED), ces délégués représentent respectivement les 620 000 communistes et les 680 000 sociaux-démocrates d'Allemagne orientale. Wilhelm Pieck et Otto Grotewohl, leaders respectifis des deux partis, furent élus conjointement présidents de la nouvelle formation. Les fonctions de direction furent réparties en respectant la parité entre membres issus du KPD et ceux du SPD. Il est également décidé de fusionner les deux organes de presse. Là aussi, la répartition paritaire entre les communistes et les sociaux-démocrates est respectée. En décembre 1947 est convoqué un « congrès du peuple » pour l’unité et la paix sous la direction du SED. De là naît en mars 1948 le premier « conseil du peuple » allemand, chargé d’établir la constitution d'une République démocratique allemande (Verfassung der Deutschen Demokratischen Republik). Une constitution fédéraliste est également rédigée, mais le pays devient rapidement une dictature de parti totalitaire3 : les procès de Waldheim en avril 1950 condamnent les nazis et les opposants politiques restés dans les camps spéciaux depuis 19454. Le SED est purgé de 150 000 « éléments suspects » en 1950-19515. En octobre 1950, une seule liste est proposée au vote pour les élections à la chambre du peuple5. Une politique antireligieuse est mise en place qui provoque l'arrestation de plusieurs pasteurs évangéliques6. Dans les universités, les cours de russe deviennent obligatoires6. Redoutant les éventuelles velléités d'indépendance des diètes régionales vis-à-vis du pouvoir central, la réforme territoriale de 1952 supprime les cinq Länder qui existait jusqu'ici pour les remplacer par une structure d'état plus centralisatrice constituée de 15 Bezirke (districts). L’économie est soviétisée : planification à partir de 1949-1950, nationalisation et développement de l’industrie lourde, collectivisation des terres à partir de 49, apparition de coopératives artisanales, création du CAEM en 1949 pour harmoniser les économies (RDA pour biens manufacturés, création de sociétés mixtes subordonnant production à l’URSS [Sovroms en Roumanie]) en faveur de l’URSS (part de l’URSS dans les échanges commerciaux des démocraties populaires de 80%), recours à la croissance extensive – recours à une main d’œuvre peu qualifiée venant des campagnes dans les industries. Il en est de même pour la société : disparition des libertés et droits fondamentaux, élimination des traces du passé pré soviétique ou intégration dans le système du parti pour créer une nouvelle élite sociale. Par exemple, une propagande intense est mise en place pour éliminer le religieux (Eglises catholique et orthodoxe) et tout ce qui a trait à l’Occident, des persécutions fortes (en Pologne, en 49, nationalisation des biens, arrestation des prêtres et internement du cardinal primat de Pologne) sont menées contre l’Eglise provoquant l’excommunication de tous les communistes en 49. L’enseignement du russe, véhicule de la nouvelle idéologie, et du marxismeléninisme est obligatoire. La RDA, en tant que « vitrine du communisme », devient un véritable modèle social, politique, économique et idéologique pour les pays-satellites du « glacis protecteur ». Les premières grèves contre les cadences de travail éclatent le 11 juin 19538. Elles sont relayées par les premières émeutes qui éclatent le 16 juin à Berlin-Est, dans lesquelles 60 000 manifestants s'en prennent aux symboles du pouvoir communiste. Ils exigent l'abaissement des normes de production et des élections libres8. Le Politbüro (Bureau politique du SED) décide de satisfaire la première exigence. Mais dès le lendemain, l'agitation gagne très vite le reste du pays, où des centaines de milliers de personnes descendent dans les rues des principales villes. provoquant la mort de 55 personnes. Walter Ulbricht dut faire appel aux soviétiques afin de rétablir l'ordre8. L'URSS envoie ses chars dès le 17 juin contre les manifestants8. La répression provoqua la mort d'une cinquantaine8 de personnes en RDA ; trois membres du SED et une quarantaine de soldats de l'Armée rouge sont tués lors des événements8. 3 000 personnes furent arrêtées par les Soviétiques et 13 000 furent emprisonnées par les autorités de la RDA9. Le soulèvement ne provoqua aucune intervention de la part des Occidentaux. Les désordres s'arrêtent à partir du 23 juin ; une fois l’alerte passée, les autorités engagent la répression et procèdent à l'épuration du SED. Des milliers d'Allemands de l'est cherchent à s'enfuir à l'Ouest. Pour commémorer l'insurrection, la RFA instaura un jour férié le 17 juin, proclamé « jour de l'unité allemande »9. La réforme agraire, les changements dans l’organisation scolaire et les lois sur la famille sont des lieux de tensions et de conflits particulièrement nets, surtout quand la politique de l’État envers les Églises, entre 1949 et 1953 – impose la réforme des structures. La manière dont a été réprimée l’insurrection du 17 Juin 1953 (la révolte ouvrière Berlin- Est), est un premier signe du type de système imposé à la population. Alors que le blocus de Berlin échoue, des réformes monétaires séparées dans chaque zone d’occupation militaire, renforcent les antagonismes. Les conceptions opposées sur la société entraînent des prises de positions et des intérêts contradictoires, qui rendent inévitable la partition non seulement de Berlin et de l’Allemagne, mais aussi de l’Europe. La collectivisation de l’agriculture, la planification et la suppression d’une grande partie de l’artisanat, comme la fusion des partis et le contrôle de la presse vont entraîner un exode massif, prétexte ou justification à l’édification du mur de Berlin en 1961. La RDA (7 octobre 1949) est donc un produit, comme sa rivale de l’ouest (24 mai 1949), de la guerre et de la formation des blocs. Elle compte une population de 18,9 millions d’habitants en 1949. Elle compte un certain nombre de bassins industriels (Chemnitz) mais surtout des zones rurales (Brandebourg, Mecklembourg) et de grandes cités historiques (Dresde, Leipzig, Erfurt, Weimar, Berlin, Dresde). Trois millions de victimes de guerre sont par ailleurs compensées par le retour de cinq millions de germanophones expulsés des pays d’Europe centrale et orientale ce qui engendre un problème de population sans foyers très important en SBZ et RDA. La dénazification des biens et des personnes concerne un million d’hectare de terres expropriées entre 1945 et 1947, 10000 entreprises confisquées et mises à disposition des autorités soviétiques tandis que la dénazification de la société civile est menée par des groupes antifascistes (antifagruppen) entre 1945 et 47. C’est sur cette « table rase » que se constitue la RDA. Les autorités est-allemandes ont voulu imposer un vaste projet de changement et d’organisation de la société par la terreur et la surveillance mais pas seulement puisque la société a à la fois résisté et contribué à l’édification de ce modèle. Il est très important de comprendre qu’individus et groupes sociaux n’ont pas servi « d’argile molle » aux transformations mises en œuvre par les « ingénieurs » du parti au pouvoir. Ceux-ci ont modelé la société est-allemande quelquefois en fonction des résistances qu’ils ont rencontrées. La société estallemande est le fruit du projet mis en œuvre par le parti au pouvoir, le SED, avec l’appui de toutes les organisations de masse, des institutions, institutions locales et comités de villes, villages et quartiers dont il avait le contrôle. Dans les premières années, la politique du SED répond aux revendications fortes du mouvement ouvrier allemand qui va, comme en URSS, tirer les bénéfices de cette politique. Les mesures de transformations sociales mises en place s’inscrivent dans un programme de reconstruction de l’Allemagne. La domination du parti communiste s’appuie donc sur des groupes sociaux tels que les catégories ouvrières ainsi que les intellectuels ralliés au parti. Afin de réaliser le modèle de la « communauté d’hommes socialiste » vantée par Walter Ulbricht en 1967, le SED met en place un modèle à la fois communautariste, collectiviste et patriarcal d’organisation sociale parfois assimilé à une véritable société d’ordre qui fait de la RDA une société relativement inégalitaire dominée par la catégorie des privilégiés du régime. Le projet socialiste est basé sur une conception optimiste de l’individu dont les possibilités d’amélioration et d’éducabilité sont infinies si on lui offre les conditions propices à son développement. La réforme de l’individu est donc un préalable à l’établissement du paradis socialiste, comme en URSS où il s’agit de créer un « homme nouveau soviétique ». En RDA, ce nouvel individu est la « personnalité socialiste », et l’emploi du terme « personne » renvoie à la relation étroite entre la personne et son milieu, il renvoie à une approche pédagogique du monde social selon laquelle le souci d’éduquer l’homme n’est pas limité aux murs des institutions mais doit se déployer dans l’ensemble de la nouvelle société en construction. Les coopératives, l’usine, le bureau, la famille sont vus comme autant de lieux de formation du sujet socialiste. En marge de cette société « unifiée », il y a ceux qui échappent, volontairement ou non, à cette organisation et franchissent la « frontière » (Grezen) – notion centrale dans l’univers idéologique et mental de la RDA. La frontière est fixée par le pouvoir politique et elle est constamment mouvante mais de plus en plus restrictive au fur et à mesure de l’évolution de la RDA. La population est exclue du projet de plus en plus massivement sans même en avoir toujours conscience tandis même que le contrôle totalitaire cherche à renforcer son contrôle. III – La Stasi, l’invisible compagnon La Stasi est le nom donné au service d’espionnage et de contre-espionnage qui sert aussi de police politique de sa création en 1949 à sa disparition en 1990. Le Ministerium für Staatssicherheit était l’instrument du SED, Sozialistische Einheitspartei Deutschlands. En effet, dès 1950, le Parti Socialiste Unifié s’est emparé de tous les leviers du pouvoir. La Stasi, qui a commencé sa carrière en 1949 (voir l’article « La Stasi, histoire d’une police politique »)