Revue Maritime n° 472
Mai 2005-04-05
Rédacteur M. Dujardin, 06 60 29 42 84 Trafalgar, deux siècles après
Et si Trafalgar n’avait jamais existé, ou le
mythe de la victoire décisive ?
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qu'en l'absence d'un soutien de la marine de guerre française. Est-ce possible ? Non
disent la plupart des auteurs, Oui, selon les marins de Boulogne en profitant du
mauvais temps. Ainsi le capitaine Broquant, un des plus célèbres corsaires de
Boulogne, affirme avoir communiqué un plan à Napoléon, à la demande de ce
dernier : « Sire, il arrive dix fois dans un an, et particulièrement en hiver, le vent
commence par le sud pour venir mauvais temps, il vient gros vent sud et sud-ouest
: la division anglaise qui est la n'y peut tenir et s'en va mettre a l'abri dans la rade des
Dunes (Downs).... Pour faire la descente, il faut que les préparatifs se fassent dans
les mimais temps, parce que du sud, le vent saute ensuite à l'ouest au nord-ouest ou
au nord... Vous qui avez tout à bord, vous profitez de ce vent du Sud qui est vent
arrière pour aller faire votre échouement [en Angleterre] qui va durer quatre heures
environ. Vous ne trouverez personne qui puisse gêner. Quand on apprendra que
vous êtes passé, il sera un peu tard et vous serez passé... »
Ce rôle déterminant de la météorologie dans un débarquement pour tromper
l'ennemi ne peut pas ne pas faire penser au 6 juin 1944. En venant à Boulogne et en
y séjournant, principalement dans le château de Pont de Briques, Napoléon s'était
amplement informé, mais s'il avait écouté, avait-il entendu le point de vue des
professionnels de la mer ? Broquant proposa également de «faire venir 25 ou 30
corsaires à Boulogne... » pour débarquer chacun 200 hommes en renfort...14 A noter
que beaucoup de corsaires de Boulogne reçurent des commandements des navires
de la flottille. Quelque temps après cet entretien, Napoléon fera remettre la légion
d'honneur à Broquant15.
Ainsi les navires de Forfait ne sont plus aussi absurdes qu'on a trop voulu l'écrire16.
Maurice Dupont est peu favorable à ces navires, reprenant l'argumentation négative
de Decrès tout en citant une lettre de ce même Decrès au Premier Consul en date du
17 juin 1803 après avoir vu manœuvrer au Havre une chaloupe canonnière : « Cela
marche bien médiocrement, nuis avec un temps favorable os bâtiments rempliront
notre objet. »17 Débarquer un corps de troupes sans possibilité ultérieure de
ravitaillement serait donc possible. Rappelons cène évidence, le désastre d'Aboukir
n'empêche ni Bonaparte de triompher aux Pyramides, ni aux troupes françaises de
rester en Egypte près de deux ans. Reste ce que les historiens nomment les 2e et 3e
projets et la bataille de Trafalgar. Là encore, j'invite à lire Maurice Dupont et son
remarquable Decrès. Il y exprime ses doutes quant à la volonté réelle de Napoléon
de vouloir débarquer en Angleterre18. Le premier grand dessein, celui du 25 mai
1804 repose sur l'idée de concentrer les 45 vaisseaux en Manche en échappant aux
blocus anglais et sans avoir préalablement combattu. Latouche-Tréville et les autres
marins rappellent à Napoléon que toute la stratégie anglaise depuis Louis XIV
consiste justement à empêcher une concentration de forces en Manche des flottes
14 In Henri Malo, Les corsaires, Paris 1908, p. 144-145
15 Cf. P. Villiers : « Les corsaires et la Légion d'honneur, quelques exemples des premières légions d'honneur :
Surcouf, Joseph Bavastro, Broquant, Mourdeille, Fourmentin, » in colloque Le sentiment de l'honneur, ULCO, Boulogne
sur mer, 27 avril 2004, à paraître 2005.
16 Pour une reproduction des plans de ces navires voir Maurice Dupont, L’amiral Decrès... ,op. cit., p. 112-114.
17 Ibidem, Maurice Dupont, L’amiral Decrès..., op. cit., p. 121.
18 Philippe Masson affirme également que l'Amirauté anglaise n'a jamais cru à un débarquement à partir de Boulogne.
Cf. Histoire de la Marine, Paris, 1981, tome 1, pp. 377-381