CAILLASSER
Les faits divers qui impliquent les agressions contre la police semblent se multiplier, et l’on parle de
plus en plus de guets-apens dans lesquels des policiers sont attirés. Des inconnus alors s’en prennent
à eux, mais en général, tout ça commence par un bon « caillassage ».
Drôle de mot, même s’il correspond à une réalité qui l’est moins. Son sens est facile à deviner : il s’agit
d’une pluie de pierres et de cailloux qui sont projetés sur les voitures qui se sont hasardées dans le
piège.
Le mot est relevé depuis une quinzaine d’années en France, même s’il semble qu’on l’ait employé
bien avant, au début des années 60 en Nouvelle-Calédonie.
Il se décompose sans problème : bien sûr, il dérive de caillou… Pourtant le verbe employé n’est pas
caillouter, mais caillasser : il faut donc passer de caillou à caillasse.
On sent bien avec cette terminaison qu’on est dans l’expressif, et le familier… La caillasse désigne
d’abord les cailloux qu’on n’est pas content de rencontrer ! La pierraille qui empêche de marcher
confortablement, qui coupe les semelles et ralentit la marche.
Le suffixe « asse » marque bien l’impatience, il est en tout cas péjoratif, et le verbe qui en dérive
endossera sans difficulté un écho de violence. D’autant qu’il a été formé sur un modèle productif : on
dit par exemple « rafaler » une voiture, ce qui est d’une certaine façon un degré nettement supérieur
au caillassage. Rafaler, c’est-à-dire tirer une rafale de mitraillette. Là encore, le mot n’est pas attesté
dans les dictionnaires.
Alors pourquoi inventer un mot, alors qu’on avait déjà « lapider » ? Ce verbe en effet semble répondre
aux mêmes besoins, et parfois d’ailleurs, on l’a vu employé dans les mêmes circonstances. Plus
encore : l’image qui le nourrit est la même, puisqu’il est construit sur la racine lapidem qui signifie
pierre en latin. Mais le mot n’est pas très fréquent, il est ancien, et parfois réservé à des usages précis.
En effet, s’ils s’agit bien de lancer des pierres, elles sont d’ordinaire lancées directement sur
quelqu’un. Et on a bien l’idée d’une foule, d’un geste collectif et haineux, qui cherche à atteindre une
seule personne. La plupart du temps d’ailleurs, la lapidation se termine par la mort de la victime.
Comme un lynchage de masse !
Le mot renvoie volontiers à de vieilles traditions, et en particulier à la Bible, puisqu’il y est question de
la femme adultère. « Que celui qui n’a jamais pêché lui jette la première pierre ! » dit Jésus. Et la
parole du Christ reprend donc le sens littéral du mot, quelle que soit la langue dans laquelle elle a été
prononcée.
Et si nous revenons au « caillou », on voit que le mot est bien peu fréquent dans des expressions
populaires, au regard de « la pierre ». C’est que la pierre est grande et noble, alors que le caillou est
petit et populaire.
Mais la pierre se prête aussi au travail humain : c’est le résultat bien souvent de l’artisanat et du
savoir-faire. Il n’y a pas loin de la pierre à la pierre polie, ou taillée… Alors que le caillou est la masse
brute qui parsème les routes. A peine peut-on s’en servir pour marquer son chemin comme a fait le
Petit Poucet. De là l’expression « semer des petits cailloux », l’une des rares à faire apparaître ce
mot…
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