Fiche de lecture René Cassin

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Margaux Meunier
FICHE DE LECTURE
RENE CASSIN
Auteur : MARC AGI
PARIS, PERRIN, 1998
INTRODUCTION
En 1998, pour le cinquantenaire de l’adoption de la Déclaration Universelle des droits
de l’homme, Marc Agi écrit la biographie de René Cassin.
Ce professeur et diplomate rencontre René Cassin en 1964, il mettra par la suite tous
ses efforts au service des droits de l’homme et de leur promotion. Il est également membre de
la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
René Cassin traverse un siècle fait à la fois de deux guerres meurtrières, d’ascension
du totalitarisme mais aussi de force et espoir dans le progrès. Il sera témoin et acteur de ces
deux phénomènes. Cette expérience va l’influencer dans ce qui sera son œuvre majeure, sa
contribution à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
L’histoire de sa vie permet de comprendre la source de son pacifisme, donc son
combat pour l’instauration d’une paix durable grâce à une organisation juridique
internationale. (I)
Dans quelle mesure, les guerres ont-elles engendré son pacifisme et quelles en sont les
limites géographiques et morales? (II)
Ce contemporain de la construction européenne partage un idéal avec les penseurs
européens, peut-on pour autant parler de René Cassin comme d’un « européen » ?(III)
Alors que René Cassin est entré au Panthéon en 1987 en quoi son œuvre et ses idées
sont-elles encore d’actualité?
I.- UN HOMME
René Cassin naît en 1887. Issu d’une famille de petits commerçants niçois, il fait ses
études à Nice. Ses parents étant juifs, il fera sa bar-mitsva sans pour autant être pratiquant.
Après avoir obtenu les trois Baccalauréats, le jeune René part à Aix étudier le droit.
A la fin de ses études, René est licencié de lettres et agrégé en droit.
Après l’assassinat de l’archiduc François Ferdinand le 28 juin à Sarajevo le 1 er août,
l’ordre de mobilisation générale est donné et Cassin rejoint le 311e Régiment d’infanterie de
ligne. Pendant la bataille de la Marne, en octobre, le Caporal Cassin est blessé et devient un
reformé de guerre. Cette expérience de la guerre sur le « terrain » va profondément le
marquer.
Cinquante ans plus tard, René Cassin confiera: « C’est véritablement la guerre
1914-1918 qui m’a tiré du confort moral provisoire ou, pour être moins sévère, de la
concentration à laquelle je m’étais astreint. Cette guerre m’a marqué très profondément et
pour toujours, comme beaucoup de mes camarades. » Cette guerre est donc à la source de son
engagement.
On lui propose un poste d’enseignant alors qu’il n’est pas encore agrégé à l’université
d’Aix. René Cassin épouse Simone Yzombard le 29 mars 1917 à Paris Alors que pendant la
guerre, il était resté auprès de ses camarades blessés de guerre, en 1920, il se rapproche de
l’Organisation internationale du travail (OIT) où il provoque très rapidement une action
positive en faveur des anciens combattants. Il prend ensuite rapidement la présidence de
l’Union Fédérale des anciens combattants. Il sera amené à représenter cette catégorie sociale
au sein de la SDN, et sera un représentant important en France des anciens combattants.
Dès 1933, il pressent le danger Nazi et il va se battre en vain au sein de la SDN afin
que celle-ci soit forte et qu’elle impose le respect du droit.
En 1940, il prend la décision de rejoindre avec sa femme le général de Gaulle malgré
leurs divergences d’opinion politique. Comme lui, ce dernier a compris que la guerre serait
mondiale. Du fait de sa judéité, Cassin sait qu’il ne peut pas être le chef de cette « résistance »
extérieure. Il met cependant toutes ses connaissances et son savoir juridique à la disposition
du général. Il travaillera pour la France Libre durant la guerre. Il sera notamment l’artisan des
accords Churchill-de Gaulle et organisera la reconnaissance du « gouvernement » du général
par les Alliés.
Après la guerre, il commence son œuvre principale, celle pour laquelle il restera dans
l’Histoire. Membre de la commission chargée d’écrire la Déclaration Universelle des droits
de l’homme, il y occupe une position centrale. La rédaction s’inspire des déclarations
françaises de 1789, 1793 et d’autres moins connues en France comme l’habeas corpus anglais
et le préambule de la constitution américaine ?). Il s’ouvre aujourd’hui une polémique sur la
prépondérance des idées de Cassin dans l’écriture de cette déclaration. Pour Marc Agi, le
doute n’est pas permis, René Cassin est bien le père fondateur de la Déclaration.
En octobre 1968, René Cassin reçoit le prix Nobel de la paix, « en raison de ses
travaux en tant que vice-président de la Commission de l’ONU qui, en 1948, publie la
Déclaration universelle des droits de l’homme. ».
Alors qu’il est depuis 10 ans juge à la Cour européenne, qu’il a présidée pendant près
de 9 ans, il se retire pour reprendre sa liberté de parole, désolé que son pays n’ait pas ratifié la
convention européenne des droits de l’homme. Trois ans plus tard, en octobre 1973, il réussit
à faire ratifier la Convention, après 23 ans de réflexion.
René Cassin décède en 1976.
Le 5 octobre 1987, les cendres de René Cassin sont transférées au Panthéon. Il voulait
être au Panthéon pour servir d’enseignement à la jeunesse. Il devient ainsi une sorte de
« soldat de l’idéal » des droits de l’homme.
II.- UN JURISTE PACIFISTE ?
René Cassin a suivi une formation juridique. Pour lui, le droit est le meilleur moyen
d’assurer la paix dans le monde. Il réclame la paix par le droit.
Ce dernier doit en effet servir à la construction d’un monde organisé par opposition à
l’anarchisme, source de laisser faire dans les relations internationales. Les Etats doivent être
incités à respecter le droit qui amènera la paix.
Pour cela le droit international doit être fort. Il s’oppose à la SDN très tôt pour ne pas
s’être manifestée pendant l’occupation russe de la Mandchourie puis pendant les invasions
Nazies.
Il lui paraît essentiel que la SDN puis l’ONU soient des organismes dont le but
principal est d’organiser la société autour de règles universelles qui devront s’imposer dans
tous les pays assurant ainsi les droits fondamentaux.
Ces droits devront donc être supranationaux, capable de contraindre les Etats en cas de
violations du droit international biaisant ainsi le principe de non-ingérence et de souveraineté
d’un Etat sur son sol jusqu’alors admis. Pour cela, en plus de l’adoption de la Déclaration
universelle, Cassin voudrait homogénéiser les droits nationaux.
Ses convictions juridiques sont motivées par un patriotisme difficilement concevable
aujourd’hui. En effet, la conception historique du génie français, des lumières et de la
révolution, d’une France patrie des droits de l’homme n’est plus d’actualité. L’importance
qu’il donne à son action dans les diverses commissions internationales où il représente la
France, s’explique par le fait qu’en tant que représentant de la France, il se sent de fait le
représentant des droits de l’homme et des libertés.
René Cassin a certes voué sa vie au maintien de la paix, mais était-il vraiment pacifiste
quand il admettait que pour cela il eut fallut faire des sacrifices, voir même des guerres?
En Mars 1973, J. Chancel pendant une interview demande à René Cassin comment se
fait-il qu’on ait pu donner le prix Nobel de la Paix à un homme qui a fait deux fois la guerre,
il répond « C’est parce que ma conception de la paix, c’est la fermeté et non pas la
mollesse. » Ainsi il se réjouira en apprenant que l’ONU se dote de forces armées.
L’attitude de René Cassin devant l’agression Nazie était d’ailleurs complexe. Pour lui,
trois attitudes étaient envisageables:
 La collaboration avec le système nazi,
 L’attitude pacifiste consistant à éviter la guerre à tout prix, ici celui de l’occupation
 La continuation de la lutte sans capitulation.
Cette dernière position est, bien sûr, celle choisie par Cassin.
Cependant, le qualificatif de pacifiste lui convient puisqu’il voue sa vie à éviter que les
guerres ne se reproduisent et ce par son combat pour l’éducation et la Déclaration universelle
des droits de l’homme, qui en assurant aux hommes leurs droits fondamentaux amoindrissait
leurs intérêts à la guerre.
III.- UN EUROPEEN ?
Les réflexions de René Cassin sur le fédéralisme international ainsi que sur le
nécessaire appui populaire de ce dernier sont celles d’un européen.
Toute sa vie a été marquée par la première guerre mondiale, elle a été l’impulsion de
toutes ses actions. « Au moment de mourir, tout le monde crie dans la même langue ». Les
peuples des deux camps ont très peu d’intérêt à choisir la guerre, c’est donc par les
populations que la paix sera le mieux garantie, loin des intérêts de politique nationale.
Pour lui, les institutions doivent se reposer sur la volonté des peuples plus que sur celle
des Etats, qui peuvent parfois avoir des intérêts contraires à ceux des populations.
Cependant le meilleur moyen de garantir une paix mondiale est de respecter les droits
fondamentaux de tous les hommes. Car c’est dans le non-respect de leurs droits fondamentaux
que les populations trouvent l’esprit de violence, qui peut les amener à faire la guerre. Cassin
veut instaurer une institution supranationale capable de contraindre un pays à faire son seul
devoir: faire respecter les droits de l’homme sur son territoire.
C’est donc un idéal à la fois de justice internationale qu’il conceptualise mais aussi
une réaffirmation de l’unité humaine. Lors de l’écriture de la déclaration universelle des droits
de l’homme, il est celui qui demande que le terme « international » soit changé en «
universel » car, par là, l’assemblée générale admet que la Déclaration « émane de la
communauté juridiquement organisée de tous les peuples du monde (…) et qu’elle exprime
les aspirations communes à tous les hommes. »
La vie de René Cassin est donc entièrement vouée au maintien de la paix. L’idée
d’Europe et l’idée de paix sont étroitement liées.
Cassin contemporain d’un siècle de construction et de confrontation des idées
européennes a-t-il était un Européen actif?
Selon la biographie de Marc Agi, René Cassin mène très peu de combats pour la construction
européenne, l’étude des quelques actions que l’on peut qualifier d’ « européennes » semble
importante pour comprendre l’intérêt de Cassin pour la question.
Face à l’émergence des totalitarismes, René Cassin va organiser une réunion de grande
signification. Il va en effet réussir à réunir à la SDN, des anciens combattants des deux camps.
Il pense que ces derniers ayant vu l’horreur de la guerre seront les plus à même de
l’empêcher, il va donc travailler dans le sens d’une réconciliation européenne, basée sur les
droits des peuples à agir suivant leurs intérêts et non pas se faire envoyer, par obéissance, sur
le front comme cela avait été le cas pendant la première guerre mondiale.
Avant la seconde guerre, il sera un proche d’Aristide Briand, dont il soutiendra les
conceptions européennes. Pour Cassin, le meilleur moyen d’éviter la guerre due à l’ascension
du totalitarisme («état Léviathan ») reste une société internationale organisée autour de lois,
mais il conçoit en cas d’échec de passer par un fédéralisme européen et la constitution de
blocs.
L’Europe n’est pas un combat dominant pour René Cassin, mais peut être une étape
dans l’organisation juridique qu’il espère, « Le régionalisme appliqué à la protection de ces
droits (droits de l’homme) est utile et positif, mais à la condition expresse qu’il ait une
harmonisation obligée entre les Cours régionales ».
Il va assurer des fonctions européennes (juge et vice-président de la Cour Européenne)
et partager l’idée fondatrice de l’Europe : l’idée de paix. Il peut donc à juste titre être
considéré comme un Européen.
Cependant, il considère la création d’une organisation entre les Etats européens
comme une étape avant l’organisation juridique de tous les Etats. L’Europe n’est donc pas une
fin mais un moyen dans la protection des droits fondamentaux.
Après avoir reçu le prix Nobel, il se bat pour que la France ratifie la convention
européenne des droits de l’homme. Ici encore son combat est basé sur la protection des droits
fondamentaux et non sur une construction économique, sociale voir politique de l’Europe.
C’est peut-être dans ce sens que ses perceptions européennes sont limitées. En effet, elles ne
concernent que l’organisation juridique de l’Europe et ne prennent pas en compte la mise en
place d’institution économique, sociale ou politique d’envergure européenne.
CONCLUSION
Le développement des questions portant à la fois sur le pacifisme et l’européanisme de
René Cassin montre qu’aucune des deux conceptions ne s’applique complètement à l’homme.
Il est à la fois Européen puisque universaliste et pacifiste en luttant contre la guerre par le
droit. C’est un humaniste peut-être, qui veut mettre la guerre hors la loi parce qu’elle n’est pas
le choix de ceux qui la font.
Les idées de Cassin sont-elles d’actualité aujourd’hui? Le peuple n’a pas encore pris la
mesure de son engagement nécessaire dans la vie politique de son pays. On assiste encore a
des taux d’abstention records aux élections. La société internationale n’est toujours pas
organisée, en effet le rôle de l’ONU a été minime pendant la guerre froide et la montée de
l’unilatéralisme aujourd’hui pose la question de sa survivance.
La construction européenne a pour sa part avancé, autant dans la précision de ses
institutions que dans l’agrandissement de son aire géographique. Cela peut être considéré
comme un succès pour Cassin, puisque les peuples d’Europe ne se feront sans doute plus la
guerre. Mais cela s’est fait par une organisation mise en place entre les Etats et non pas entre
les peuples comme l’aurait voulu René Cassin. Les batailles de Cassin n’ont pas encore été
remportées, ses certitudes sont encore discutées, peut-être était-il trop utopiste ou bien
simplement trop visionnaire.
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