Marie-Pierre Rey – Le congrès de Vienne, un outil diplomatique à réhabitier ? / 23
imperturbablement en âmes les indications qu’on lui donnait sur les
échanges de territoires envisagés, et troqua âme contre âme, mille carré
contre mille carré, quantitativement et sans se préoccuper de
sentimentalités nationales.7 » Mais en réalité, et ce sera tout le sens de
cette contribution, ces critiques et ces jugements sévères ne sauraient
rendre justice à l’extraordinaire travail qu’accomplit le Congrès et à son
apport considérable au plan diplomatique, géopolitique et juridique.
Avec le congrès de Vienne, tout confine à la démesure : sa durée – il
siège de novembre 1814 à juin 1815 et se conclut par la signature d’un
Acte final le 9 juin –, le nombre vertigineux des États qui s’y trouvent
présents ou représentés – 216 États dont deux empereurs, cinq rois et 209
principautés –, le nombre de personnes présentes (500 diplomates
accrédités auxquels s’ajoutent épouses, secrétaires, domestiques,
policiers, demi-mondaines!), l’importance de ses décisions – il remodèle
entièrement la carte de l’Europe – et ses coups de théâtre puisque c’est
durant son déroulement que prend place l’épisode des Cent-Jours
(1er mars-18 juin 1815). Avec ses séances officielles, ses conciliabules de
salons, ses apartés, ses réceptions, ses revirements, ses célébrations en
marge des discussions politiques, mais aussi sa structure – il s’organise
bientôt en commissions et comités –, le Congrès inaugure aussi l’ère de la
diplomatie professionnelle moderne ; l’on ne s’étonnera donc pas que
plusieurs diplomates contemporains – dont Henry Kissinger qui dans son
ouvrage Diplomacy lui consacre une réflexion aboutie et détaillée – se
soient intéressés à l’événement et lui aient consacré nombre d’ouvrages et
articles8.
Pour tenter de rendre compte de l’apport du Congrès dans toute sa
richesse, on reviendra tout d’abord sur l’atmosphère très particulière dans
laquelle il prit place. On s’arrêtera ensuite sur les enjeux du Congrès en
7 Pierre Renouvin, Histoire des relations internationales, Paris, Hachette, tome 2,
1994 (nouvelle édition), p. 360.
8 Henry Kissinger, Diplomacy, New York, Simon and Schuster Paperbacks, 1994.