Au delà du PIB; pour une autre mesure de la richesse
(Flammarion, champs actuel)
de Dominique Méda
Une intervention du Président Sarkozy, passée assez inaperçue, relative à l’incapacité du PIB à
refléter les évolutions économiques et sociales du pays donne l’occasion à Dominique Méda (comme
elle le dit elle-même) de réaliser le rappel des questionnements posés par cet indicateur qu' auraient
du faire les médias. Au delà des insuffisances du PIB comme indicateur de richesse d’une nation,
c’est une analyse des représentations du bien-être que véhiculées par le PIB (et plus largement par la
comptabilité nationale) et sa critique que nous propose l’auteur par la suite.
Que devrait être une société vraiment riche?
«C'est une société qui a sans doute un assez bon PIB, qui produit en quantité suffisante des biens et
services, pour les mettre à disposition des individus; mais c'est aussi une société qui répartit
continûment les revenus issus de la production, et qui permet à l'ensemble de la population active de
participer à celle-ci; c'est encore une société bien éduquée, bien liée, dont le niveau de participation
démocratique est élevé, où l'égalité des sexes est développée, où les individus ont un égal accès aux
soins de qualité, où l'air est respirable, où les individus ont du temps à consacrer à leur famille et à
eux-mêmes, où la violence est peu répandue, où les conditions de tous sont dignes, où la xénophobie
et l'incivisme sont combattus, où les individus apprennent à être des sujets. »
Les insuffisances du PIB:
C’est un indicateur qui ne reflète pas le bien-être collectif. En effet, les sociétés qui
enregistrent un PIB élevé ne sont pas forcément celles dont le niveau de vie, de sécurité,
d’éducation... le bien-être est le plus développé. (cf différence entre les USA par exemple et les
pays scandinaves).
Le PIB enregistre un niveau de richesse créée exclusivement par la production et la
consommation _ éléments comptables qui nient que nous puissions voir de la richesse dans des
éléments immatériels ou n‘impliquant pas d‘échanges marchands.
Le taux de croissance du PIB ne reflète pas les inégalités de répartition: «L'hypocrisie consiste
à ne s'intéresser qu'au taux de croissance de la consommation sans jamais regarder la manière
dont celui-ci se décompose entre les différentes catégories de la population, entre les différentes
sortes de besoin. S'il s'avérait que ce sont les désirs d'une minorité qui guident la production,
pourrait-on alors vraiment dire que celle-ci est une production socialement utile?».
Paradoxalement certaines destructions amènent de la richesse: c'est l'exemple type des
accidents automobiles qui amènent de la richesse grâces aux réparations et achats d'automobiles
qu‘ils entraînent.
L’action de l ’État et les services collectifs sont considérés comme non productifs dans le sens
où leur intervention n’est permise que parce que les échanges et la production ont créé une
richesse préalable et nécessaire à leur mise en place. Il ne crée pas de la richesse à proprement
parler mais au contraire, ses interventions sont considérées comme des dépenses de réparations
diverses que la création de richesse a justement rendues possibles. Une dépense de l’État dans le
domaine de la santé par exemple, sera intégrée au PIB de l’année de son émission, en termes de
coûts, mais ses conséquences comme la gratuité d’un service de santé par exemple ne figurera
nulle part dans les PIB des années suivantes. Ces interventions ne sont pas considérées comme
des investissements.
Les mesures utilisées par le PIB excluent en effet l’idée que l’on puisse
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investir dans le
patrimoine naturel et humain
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(environnement et qualité du niveau de vie) et que l’on puisse
valoriser le temps
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non productif
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(celui passé autrement que dans un processus de
production ou d’échange économique comme le temps passé à la maison par exemple). Pourtant,
protéger des ressources naturelles utiles et la santé physique et psychologique des travailleurs est
indispensable à la production, à long terme.
Ce que les insuffisances du PIB révèlent de nos représentations, entre économie,
bien-être et progrès
L’élément qui témoigne le plus nettement des représentations véhiculées par la comptabili
nationale ( et donc par le PIB) est la définition de la richesse. La comptabilité nationale s’appuie sur
une définition de la richesse notamment mise en forme par Malthus, où celui-ci, par souci de
scientificité (fonder une science économique) n’y a inclus que des éléments de bien-être ayant les
qualités d’être à la fois matériels, quantifiables et dont le degré d’importance est synthétisé par le
prix (offert lors de leur échange). Le problème est que tout ce qui a de la valeur n'a pas forcément de
prix et que, des biens immatériels comme les « productions de Shakespeare » font partie de la
richesse d’une nation.
Sans doute aussi que la confusion ou l’assimilation de bonheur individuel à
l’augmentation des ressources peut-être justifiée par le contexte historique dans lequel elle est
apparue (Dominique Méda donne l’exemple d’une certaine pénurie pour la période de Malthus et
Smith et de « décollage » économique pour celle de Keynes). L’accumulation des richesses était
alors perçue comme le moyen le plus efficace d’obtenir un supplément de bien-être. « Pour Smith et,
cinquante ans plus tard, pour Malthus, il s’agit de cerner où sont les véritables sources de la richesse
pour permettre à l’ensemble des ressortissants de la nation d’y avoir accès » (p 69). En simplifiant,
ces auteurs nous ont donné l’idée suivante: ‘‘si on la croissance, le reste suivra’’(bien-être et
progrès). Or cette conception est, selon l‘auteur, idiosyncrasique à l‘époque qui la vue naître et est
largement contredite de nos jours.
Le fait que nos sociétés recherchent encore la croissance à tout prix est un « coup de force de
l’économie »: un simple impératif de scientificité a déterminé nos représentations.
De plus, notre comptabilité nationale exclut la possibilité d'un "bien-être collectif" et ne
mesure que des satisfactions individuelles.
Pour comprendre cela il faut prendre conscience du rôle central de la notion d'utilité individuelle
dans la comptabilité nationale. Selon Léon Walras «je dis que les choses sont utiles dès qu'elles
peuvent servir à un usage quelconque et permettent une satisfaction» et ainsi le remède du médecin
et le poison de l'assassin ont la même utilité; il n'y a donc pas de considération morale dans la notion
d'utilité. Cette neutralité a engendré l'idée selon laquelle, toute production désirée est utile lors
d'une transaction individuelle et a permis de « faire passer pour utile l’ensemble de la production
simplement parce que, une personne au moins l’ayant désirée, elle est passée sur le marché et a ainsi
obtenu l’insigne honneur de contribuer à l’accroissement du PIB »(p88). « La comptabilité nationale
n'est donc que la projection sur un plan _au sens propre du terme _ des désirs exprimés sur des
produits.» (p91). Et si ces produits constituent la mesure de la richesse des nations, seule leur
consommation constituera une forme de bonheur (d'où notre foi dans la consommation pour assurer
du bien être).
De fait, rien n‘est considéré au niveau collectif :«On se retrouve plongé dans un monde d'individus
ou de regroupement d'individus qui font des transactions. La société n'existe pas: il n'y a ni bien
collectif, bon pour tous même s'ils paraissent mauvais du point de vue de chaque individu, ni menace
générale, ni intérêt commun, il n'y a que des transactions correctes ou incorrectes.» Pourtant par
exemple, un prélèvement obligatoire sur le revenu peut être ressenti comme une désutilité
individuelle mais s'il est réinvesti pour créer un système de sécurité social, il devrait être considéré
comme d'utilité commune.
C’est le deuxième coup de force de l’économie.
Il faudrait substituer au travail de valorisation de la production, la culture d'un
développement humain durable.
Il faut s'intéresser aux risques et "coûts cachés de la croissance". Ils sont de deux sortes
selon notre auteur:
Les coûts environnementaux(le PNUD tente de mesurer l’impact du développement des activités
économiques sur le milieu pour trois usages: l’épuisement des actifs naturels, l’usage du sol et du
paysage, l’utilisation de l’environnement pour l’élimination des déchets).
Les coûts de la flexibilisation du système socioproductif, soit tout ce qui a été fait pour rendre
l’appareil productif plus réactif à la demande; en termes de conditions de travail (stress,
flexibilité des contrats...); en termes d’investissements gâchés (formation immédiatement
obsolète, chômage de longue durée...); en termes de dépenses publiques (politique de l’emploi...);
en termes d’investissements matériels (équipements modernes remplaçant les anciens...); et en
termes enfin, de coûts de fusion et acquisition (disparition de certains capitaux).
Il faut se rendre compte des insuffisances des concepts actuels et agir en conséquence:
Bertrand Jouvel remarque par exemple que la comptabilité nationale « forme une image cohérente
mais non exhaustive [de l'économie]. Ce qu’elle écarte est en effet négligeable pour une politique
économique conjoncturelle, mais non pour une politique sociale progressive. » (p191). Ainsi comme
le dit un rapport du PNUD, il faut « faire de la croissance un moyen en vue d’une fin » pour l'inscrire
dans une réflexion à plus long terme. Elle doit pouvoir permettre d’assurer des bonnes conditions de
vie à la génération qui la crée mais aussi aux générations qui suivront. Pour cela on considère que la
qualité de la croissance (répartition des richesses et le non endommagement du patrimoine qu’elle
provoque) doit avoir autant d’importance que sa quantité (son rythme de progression).
Pour Dominique Méda, il s’agirait de travailler à une culture du développement,
harmonieux économiquement et assurant une bonne cohésion sociale (et substituer une politique de
« civilisation » à la mondialisation).
Pour cela il faut changer certaines représentations et à cette fin, une nouvelle batterie d'indicateurs
doit être valorisée. Ces indicateurs pourront «entraîner un "effet de visibilité" qui ne peut, me
semble-t-il, que soutenir _ si tant est bien sûr que l'on en ait la volonté _ la mise en oeuvre d'autres
politiques.»
Quels sont ces indicateurs pour aller "au delà du PIB"?
La première tentative de "correction" de cet indicateur est celle du Net National Welfare
(NNW) des américains Tobin et Nordhaus et celle de l’équipe japonaise publiée par l’Economic
Council of Japan. Leur NNW s’obtient à partir du produit national en lui retranchant ou en lui
rajoutant des facteurs exprimés en prix en les comparants à des opérations marchandes équivalentes.
Sont retranchés: les dépenses de justice, de police et d’administration, l’entretient de
l’environnement stricto sensu, les dégradations liées à la pollution ou à l’urbanisation ( ex:
allongement de la distance domicile/travail). Sont ajoutés: la consommation publique, les services
rendus par les équipements collectifs, par les biens domestiques, les heures de loisirs et le travail de
la ménagère dans son foyer.
Ensuite vient l’indicateur du Programme des Nations Unies pour le Développement: L’IDH,
qui depuis 1990 « mesure le niveau des potentialités humaines élémentaires sous trois angles
cruciaux: possibilité de vivre longtemps et en bonne santé, d’acquérir des connaissances et d’avoir
un niveau de vie convenable ».Il est mesuré par rapport à un état "idéal ": une durée de vie de 85 ans,
l’accès à l’éducation pour tous, et un niveau de vie correcte (exprimé en PIB par habitant en parité de
pouvoir d’achat). Depuis 1995 un indicateur qui examine les même potentialités que l’IDH,
l’indicateur sexospécifique du développement humain, opère une différenciation en fonction de
l’égalité entre sexes. Enfin en 1998 sont ajoutés les indicateurs de pauvreté humaine, IPH,
différenciés pour les pays riches et les pays moins développés (En 1998 c’est la Suède qui a le plus
faible taux de pauvreté parmi 17 autres pays industrialisés avec une proportion de 6,8% alors que les
États-unis sont à 16,5%).
Le PNUD s’enrichit régulièrement d’indicateurs qui recoupent des dimensions variées. C’est pour
Dominique Méda une démarche particulièrement intéressante car elle va justement à contre-courant
du message véhiculé par le PIB: ces études suggèrent que les objectifs humains et ses potentialités
sont multiples et que la poursuite d’un objectif (par exemple un PIB très élevé) ne peut pas
supplanter tous les autres.
Les auteurs reprochent principalement à ces démarches de fixer arbitrairement les éléments qui
constituent le bien-être collectif ou leur pondération.
Le principal, le condensé, l’essentiel sans détails:
Le PIB ne peut pas constituer un indicateur de bien-être collectif et une batterie d’indicateurs
prenant en compte des domaines plus nombreux devrait le compléter voir le supplanter.
La conception de la richesse utilisée par la comptabilité nationale réduit cette dernière « à ce qui
est produit et peut être vendu ». Elle néglige des dimensions plus humaines de la richesse (niveau
de vie et souci de le préserver pour les générations futures) et occulte certaines inégalités d’accès
aux ressources. Enfin, elle oublie que tout ce qui a une valeur n’a pas forcément de prix.
Dominique Méda souhaite une évolution plus civique de ces mesures de richesse et des notions
économiques et qu'à un phénomène de mondialisation, celui de "civilisation" lui soit substitué.
Trois point de vocabulaire:
«le Patrimoine humain, c'est-à-dire tout ensemble le nombre d'individus vivants, leur qualité de Vie,
leur état de santé, leur caractère plus ou moins xénophobe, leur tendance ou non au fascisme et au
totalitarisme, leur degré de solidarité, leur niveau d'éducation et leur niveau de culture, leur
participation à l'activité politique, la qualité de leur libertés individuelles, leurs moyens exercer
réellement celles-ci, le caractère réel des droits sociaux dont ils disposent... »
La civilisation est un processus par lequel les civilisations et ses membres «s'approfondissent,
cherchent à développer ce qu'il a de plus civil en elles, à domestiquer la barbarie et la violence que
suscite la vie en société, à orienter le processus de développement humain d'une manière toujours
plus digne, toujours moins barbare, toujours plus civilisée»
«le développement humain considère l’individu comme une fin en soi, et envisage son bien-être
comme l’unique et ultime objectif du développement. »(rapport de 1996 pour le développement
humain)
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