Les mesures utilisées par le PIB excluent en effet l’idée que l’on puisse
investir dans le
patrimoine naturel et humain
(environnement et qualité du niveau de vie) et que l’on puisse
valoriser le temps
non productif
(celui passé autrement que dans un processus de
production ou d’échange économique comme le temps passé à la maison par exemple). Pourtant,
protéger des ressources naturelles utiles et la santé physique et psychologique des travailleurs est
indispensable à la production, à long terme.
Ce que les insuffisances du PIB révèlent de nos représentations, entre économie,
bien-être et progrès
L’élément qui témoigne le plus nettement des représentations véhiculées par la comptabilité
nationale ( et donc par le PIB) est la définition de la richesse. La comptabilité nationale s’appuie sur
une définition de la richesse notamment mise en forme par Malthus, où celui-ci, par souci de
scientificité (fonder une science économique) n’y a inclus que des éléments de bien-être ayant les
qualités d’être à la fois matériels, quantifiables et dont le degré d’importance est synthétisé par le
prix (offert lors de leur échange). Le problème est que tout ce qui a de la valeur n'a pas forcément de
prix et que, des biens immatériels comme les « productions de Shakespeare » font partie de la
richesse d’une nation.
Sans doute aussi que la confusion ou l’assimilation de bonheur individuel à
l’augmentation des ressources peut-être justifiée par le contexte historique dans lequel elle est
apparue (Dominique Méda donne l’exemple d’une certaine pénurie pour la période de Malthus et
Smith et de « décollage » économique pour celle de Keynes). L’accumulation des richesses était
alors perçue comme le moyen le plus efficace d’obtenir un supplément de bien-être. « Pour Smith et,
cinquante ans plus tard, pour Malthus, il s’agit de cerner où sont les véritables sources de la richesse
pour permettre à l’ensemble des ressortissants de la nation d’y avoir accès » (p 69). En simplifiant,
ces auteurs nous ont donné l’idée suivante: ‘‘si on la croissance, le reste suivra’’(bien-être et
progrès). Or cette conception est, selon l‘auteur, idiosyncrasique à l‘époque qui la vue naître et est
largement contredite de nos jours.
Le fait que nos sociétés recherchent encore la croissance à tout prix est un « coup de force de
l’économie »: un simple impératif de scientificité a déterminé nos représentations.
De plus, notre comptabilité nationale exclut la possibilité d'un "bien-être collectif" et ne
mesure que des satisfactions individuelles.
Pour comprendre cela il faut prendre conscience du rôle central de la notion d'utilité individuelle
dans la comptabilité nationale. Selon Léon Walras «je dis que les choses sont utiles dès qu'elles
peuvent servir à un usage quelconque et permettent une satisfaction» et ainsi le remède du médecin
et le poison de l'assassin ont la même utilité; il n'y a donc pas de considération morale dans la notion
d'utilité. Cette neutralité a engendré l'idée selon laquelle, toute production désirée est utile lors
d'une transaction individuelle et a permis de « faire passer pour utile l’ensemble de la production
simplement parce que, une personne au moins l’ayant désirée, elle est passée sur le marché et a ainsi
obtenu l’insigne honneur de contribuer à l’accroissement du PIB »(p88). « La comptabilité nationale
n'est donc que la projection sur un plan _au sens propre du terme _ des désirs exprimés sur des
produits.» (p91). Et si ces produits constituent la mesure de la richesse des nations, seule leur
consommation constituera une forme de bonheur (d'où notre foi dans la consommation pour assurer
du bien être).
De fait, rien n‘est considéré au niveau collectif :«On se retrouve plongé dans un monde d'individus
ou de regroupement d'individus qui font des transactions. La société n'existe pas: il n'y a ni bien
collectif, bon pour tous même s'ils paraissent mauvais du point de vue de chaque individu, ni menace
générale, ni intérêt commun, il n'y a que des transactions correctes ou incorrectes.» Pourtant par
exemple, un prélèvement obligatoire sur le revenu peut être ressenti comme une désutilité