Blaise - 2ème partie - page 3
René Pommier
potuisset ab initio talem creare hominem qualis nunc nascitur
» (Dieu n'aurait pu, à
l'origine, créer l'homme tel qu'il naît actuellement). Ainsi donc la thèse qui, est sans
doute la thèse maîtresse des Pensées puisque toute la première partie ne fait que
l'illustrer et que la deuxième repose sur elle, cette thèse est, en fait, une thèse que
l'Eglise a déclarée hérétique, bien que ce soit une thèse essentielle de la pensée de saint
Augustin et de toute la tradition augustinienne. Mais l'Eglise, qui a pu condamner un
théologien assez obscur comme Baïus, ne pouvait pas se permettre de condamner en
Augustin un de ses plus grands saints, un des principaux docteurs de l'Eglise, un des
trois hommes qui, avec saint Paul et saint Thomas, ont eu la plus grande part dans
l'élaboration de la théologie chrétienne.
Mais laissons de côté les querelles doctrinales qui ont tellement marqué l'histoire de
l'Eglise pour nous en tenir à la position de Pascal, On pourrait tout d'abord estimer qu'il
s'avance beaucoup lorsqu'il affirme que seule la doctrine chrétienne a su reconnaître à la
fois la grandeur et la misère de l'homme, prétendant qu'aucune autre religion et aucune
autre philosophie n'a su le faire. Pour pouvoir l'affirmer, il aurait fallu, pour commencer,
qu'il eût une connaissance aussi large et aussi complète que possible des diverses
religions et des diverses philosophies. Or il était assurément très loin du compte : en
dehors de la religion juive, que d'ailleurs il ne connaissait sans doute qu'assez
superficiellement, il ne connaissait vraiment qu'une seule religion, la sienne, et il semble
n'avoir guère lu d'autres philosophes qu'Epictète et Montaigne. S'il avait cherché un peu,
il aurait pu assez facilement, au moins chez les philosophes, trouver des auteurs qui
avaient à la fois souligné la grandeur et la misère de l'homme, à commencer par
Platon
.
Cette objection, il est vrai, ne mérite guère qu'on s'y attarde. Car il importe au fond
assez peu de savoir si, oui ou non, la doctrine chrétienne est la seule à avoir vu à la fois
la grandeur et la misère de l'homme. Il est beaucoup plus important de savoir si la
réponse que Pascal croit trouver dans la doctrine chrétienne est vraiment une réponse.
Pour lui, il ne fait pas de doute que le dogme du péché originel apporte une réponse au
problème que pose le caractère profondément contradictoire de la condition humaine, et
que cette réponse est la seule possible. Il reconnaît pourtant que cette réponse
« choque » profondément notre raison et « heurte » violemment notre sens de la justice :
« Il est sans doute qu'il n'y a rien qui choque plus notre raison que de dire que le péché
du premier homme ait rendu coupables ceux qui, étant si éloignés de cette source,
semblent incapables d'y participer. Cet écoulement ne nous paraît pas seulement
impossible, il nous semble même très injuste; car qu'y a-t-il de plus contraire aux règles
Voir Denzinger-Schönmetzer, Enchiridion symbolorum definitionum et declarationum de rebus fidei et
morum, editio XXXIV, Herder, 1963, p.434 (proposition 55).
Mais, comme le remarque Brusnchvicg (note du fragment 219-612-505), Pascal <<ne paraît pas l'avoir
lu>>.