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une plate-forme reliée à la terre ou en pleine eau. Une telle interprétation est plus conforme aux
découvertes qui ont suivi celles d’Obermeilen en 1854.
Pour résumer le débat sur l’interprétation des structures d’habitation en milieu littoral, on pourrait
dire que les modèles proposés, entre 1854 et aujourd’hui, suivent cinq périodes, jalonnées par des
découvertes significatives ou par des remises en question majeures.
La première période, de 1854 à 1922, est dominée par le modèle Keller (Keller 1854 et 1866 ;
Troyon 1860 ; Munro 1890 et 1908). L’association entre les pilotis retrouvés sur les rives immergées des
lacs et les objets archéologiques attribués à l’âge de la Pierre ou à l’âge du Bronze correspond
obligatoirement à des cabanes construites sur de vastes plates-formes, surélevées de manière permanente
en dessus des eaux. Les raisons évoquées pour justifier le choix de telles constructions sont multiples :
protection contre les bêtes sauvages et les voisins belliqueux, hygiène domestique favorisée par le « tout
à l’égout », facilité pour la pêche et les communications en pirogue ; enfin, attrait pour le paysage
lacustre, ouvert, par opposition à la forêt fermée et sombre, etc.
Les éventuels habitats terrestres, contemporains, ne sont pratiquement pas mentionnés, ou alors,
seulement pour évoquer la menace de tribus plus frustes, forcément vindicatives, en opposition aux
« pacifiques lacustres », laborieux et civilisés.
Un aspect singulier du modèle Keller est de négliger la discussion sur la durée du phénomène
lacustre et son évolution culturelle possible. Pour lui, il s’agit d’un peuple original, aux caractéristiques
ethniques et culturelles homogènes, les nombreuses spéculations sur la « race des lacustres » attestent
d’ailleurs de ce souci d’identification.
Le débat sur l’appartenance des villages immergés à plusieurs périodes, rattachées au « système des
trois âges » proposé dès 1836 par l’archéologue danois Thomsen, n’apparaît tout d’abord qu’en Suisse
occidentale, après la découverte d’objets de pierre mais aussi de bronze sur différentes stations. C’est
notamment le géologue et archéologue Adolphe Morlot qui adopte ce système. C’est aussi à lui qu’on
doit la première exploration en plongée d’une station littorale immergée, le 24 août 1854, à Morges sur le
site Bronze final de la Grande-Cité.
Dès 1919, à partir des fouilles menées dans les sites de tourbière du bassin du Federsee (Allemagne
du sud-ouest), H. Reinerth, R.R. Schmidt et O. Paret remettent en cause le modèle Keller. L’excellente
conservation des vestiges de bois et de matières organiques des tourbières permet à Reinerth de mettre en
évidence des constructions établies à même le sol, mais avec un dispositif d’isolation du plancher contre
l’humidité (Reinerth 1922). Il propose aussi des cabanes à plancher surélevé, mais exclut l’existence
d’une plate-forme unique. A Aichbul, ce modèle distingue les villages néolithiques, construits sur le
rivage humide, mais émergé, des habitats de l’âge du Bronze établis plus au large, surélevés de manière
permanente. Il introduit aussi la notion de fluctuation du niveau de l’eau.
C’est dès cette date que naît la querelle entre les « lacustres » et les « terrestres », c’est-à-dire les
savants qui défendent la thèse de Keller et ceux qui voient les constructions « lacustres » comme des
habitats terrestres, abandonnés pendant les périodes d’inondation. Il faut néanmoins relever que les
interprétations de Reinerth sont basées sur des recherches menées en milieux marécageux et non dans les
zones littorales de grands lacs tels ceux de Zurich, de Constance ou du Léman. Cette distinction ne
semblait pas gêner les auteurs de ces reconstitutions, tant la notion d’homogénéité de la « civilisation
lacustre » est encore ancrée dans les mentalités.
Une troisième période – de 1946 à 1965 environ – est caractérisée par le rejet absolu, du moins dans
le monde des spécialistes, du modèle Keller et l’apparition d’une réflexion basée sur des observations à
caractères géologique et sédimentologique. Le schéma interprétatif qui en ressort abouti au modèle
Paret-Vogt, (Paret 1946 ; Vogt 1955 ; Paret 1958, traduction française de son ouvrage de 1946). Les
principaux arguments d’Oscar Paret, déjà ébauchés dans une publication de 1942, négligent
complètement le comparatisme ethnographique pour ne retenir que des observations d’ordre géologique
mais, surtout, font appel au « bon sens ». En douze points il prouve que les constructions retrouvées dans
les lacs d’Allemagne et de Suisse ne pouvaient être construites qu’au niveau du sol, à l’abri des
fluctuations saisonnières des eaux et ne devoir leur position actuelle qu’à des remontées régulières du
niveau des eaux. De son côté, l’archéologue suisse Emil Vogt confirme la thèse de Paret, à la suite des
fouilles qu’il réalise à Egolzwil 3, dans le marais de Wauwil (canton de Lucerne, Suisse), où il décrit des
cabanes dont le sol est isolé par des dépôts d’écorces, donc construites sur un terrain exondé.