Psychologie de l’éducation / Doc. 1
Apprendre
Un verbe unique en français « apprendre » renvoie aux deux verbes anglais : learning (s'instruire, apprendre pour soi)
et teaching (instruire, apprendre à quelqu'un d'autre, enseigner). Dire j'apprends l'anglais peut signifier que je suis élève ou
que je suis enseignant. C'est peut-être cette difficulté de positionnement entre l'apprenant et l'enseignant que recèle le
verbe apprendre, qui permet à certains de croire qu'il suffirait d'enseigner pour que les élèves apprennent. Alors qu'il est
possible d'apprendre, et même beaucoup, sans enseignement (l’éducation spontanée, par opposition à l'éducation intentionnelle
dispensée dans des institutions, en offre des exemples nombreux telles la marche, la langue maternelle etc.), il est possible
aussi de suivre un enseignement sans apprendre quoi que ce soit.
La seconde difficulté tient aux trois possibilités de construction syntaxique du verbe apprendre - dans le sens de
s'instruire - que note Olivier Reboul
. Dire « J'ai appris que les étudiants d'anglais avaient une classe en responsabilité dès le
début de la seconde année d'IUFM » est un acte d'information au plan de l'action dont le résultat est un renseignement.
J'apprends que Marseille a été battue en finale de coupe d'Europe, que l'essence augmente, que l'on vient de découvrir de
nouvelles formes d'hépatite. « Apprendre que..., reste la forme inférieure de l'acte d'apprendre... Elle n'a d'autre vérité que
son utilité. L’information n'est donc pas l'enseignement, puisque d'elle-même elle ne donne ni savoir-faire ni savoir. Et,
pourtant, elle lui est indispensable, tant il est vrai qu'un savoir authentique se constitue toujours sur une base de non-savoir,
et que la vérité n'est jamais qu'une apparence surmontée...
»
Apprendre à jouer au scrabble, à faire de la planche à voile, à résoudre une équation, à monter des circuits
électriques en parallèle, sont au niveau de l'action des apprentissages, et au plan du résultat des savoir-faire. Parler d'un
savoir-faire c'est évoquer une conduite, une méthode qui peut être reproduite si la situation s'y prête. C'est donc un pouvoir
transférable, au moins en partie. En ce sens, savoir ... est d'un niveau supérieur à savoir que...
Apprendre employé comme transitif signifie comprendre. L'action est l'étude. Apprendre l'anglais, c'est plus que
apprendre à parler l'anglais. Dans le premier cas, on évoque une étude (j'étudie l'anglais, je fais des études d'anglais), qui est
davantage que la maîtrise de la langue. Apprendre l'anglais, c'est aller à la découverte d'un humour, d'une cuisine particulière,
d'un style de vie, de paysages, d'une histoire, d'une civilisation, d'une culture. Ainsi apprendre... constitue un niveau
d'apprentissage dont le résultat est une compréhension qui oblige à des mises en relation. Du reste si l'on peut apprendre à
faire (apprendre à ... ), on ne peut apprendre à comprendre. « Apprendre à comprendre, c'est comprendre
. » La forme la plus
élaborée de l'apprentissage est donc, pour 0. Reboul, la compréhension.
Avec F. Smith
, il y a lieu pourtant d'établir une distinction entre apprendre et comprendre, entre apprentissage et
compréhension. Pour cet auteur, il y a compréhension lorsque nous arrivons à donner du sens au monde à partir des structures
cognitives que nous possédons. Ainsi ai-je compris récemment quelques-unes des raisons pour lesquelles les écureuils étaient
plus nombreux dans mon jardin. Les martres, leur plus grand prédateur, avait disparu des bois alentours, chassées malgré les
interdictions, il y a peu encore. Dans le même temps, chez mes voisins et chez moi-même les noisetiers des haies et les
résineux maintenant à pleine maturité offraient des réserves de nourriture absentes il y a seulement trois ans. Une situation
d'apprentissage existe chaque fois que notre structure cognitive montre son incapacité à donner du sens au monde. Alors le
sujet cherche à réduire l'incertitude, ce qui aura pour conséquence une modification de la structure cognitive initiale. De
sorte qu'il existe une symétrie entre l'apprentissage et la compréhension, avec un processus cyclique sans fin. La structure
cognitive s'efforce de donner sans fin du sens au monde (la compréhension), et l'apprentissage conduit à une réorganisation et
à un développement de cette structure. Chaque fois que nous ne comprenons pas, nous sommes motivés pour apprendre.
On notera avec cette modélisation de F. Smith, que seule
la dimension cognitive est ici présente dans le phénomène
d'apprentissage, alors que tout apprentissage inclut aussi une
dimension affective. Or Jean Piaget auquel on a parfois reproché
cette non-prise en compte directe de l'affectif, écrivait lui-même
: «L’affectivité jouerait alors le rôle d'une source énergétique
dont dépendrait le fonctionnement de l'intelligence, mais non ses
structures, de même que le fonctionnement d'une automobile
dépend de l'essence qui actionne le moteur mais ne modifie pas la
structure de la machine
. » L’apprentissage implique pour le sujet
la capacité d'affronter le non encore maîtrisé, donc l'inconnu (aux
plans cognitifs et émotionnels) et d'aller à la rencontre du possible (grâce à l'inférence ou l'hypothèse au plan
cognitif, qui s'accompagne d'une prise de risque et nécessite une certaine confiance en soi pour présenter sa pensée
comme possible, au plan affectif).
(M.) Develay, De l’apprentissage à l’enseignement, Paris, ESF, 1992, p. 96-98.
(0.) Reboul, Qu'est-ce qu'apprendre, Paris, PUF, 1980.
(0.) Reboul, op. cit., p. 39.
(0.) Reboul, op. cit., p. 98.
(F.) Smith, La compréhension et l'apprentissage, HRW Montréal, Québec, 1979.
(J.) Piaget, « Les relations entre l'intelligence et l'affectivité dans le développement de l'enfant » dans B. RIME et K. SCHERER (dir.),
Les émotions, Lausanne, Delachaux-Niestié, 1989.