LE G8 - Crid

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LE G8
Du pilotage de la mondialisation néolibérale à l’hégémonie américaine
Gustave Massiah,
Président du CRID
Vice Président d’ATTAC
Le G8 devrait se réunir, en France, à Evian, du 1er au 3 juin 2003. Ce serait la
vingt-huitième fois, depuis 1975, que les chefs d'État et de gouvernement des pays les plus
riches et les plus puissants de la planète se réuniraient pour discuter ensemble, et entre eux,
des grands problèmes du monde. Progressivement ce groupe de dirigeants est devenu une
institution mondiale. Les résistances et les contestations au G8 ont pris un nouvel élan au
cours des dernières années avec l’émergence du mouvement de l’altermondialisation. Elles
mettent en cause les conséquences des politiques qu’il préconise et la nature même de cette
institution.
Cette année, la réunion du G8, si elle est maintenue, sera marquée par la guerre
menée par les Etats-Unis et la Grande Bretagne en Irak. Cette guerre ouvre une période de
lourdes incertitudes ; elle éclaire violemment les deux questions majeures qui ont été depuis
son origine au centre des discussions du G8 : l’organisation et l’évolution de l’économie
mondiale ; l’avenir des institutions internationales.
Comment caractériser le G8 ?1 Ce n’est pas un gouvernement mondial, d’autant qu’il
n’existe pas d’état mondial. Mais, si le G8 n’est pas l’exécutif mondial, il ne faudrait pas pour
autant déduire qu’il ne sert à rien et qu’il n’est qu’un simulacre. C’est le cercle des dirigeants
des pays dominants, les pays les plus riches et les plus puissants de la planète, le syndicat des
actionnaires majoritaires de l’économie mondiale. Avec ses réunions périodiques des chefs
d’État et des ministres, les “ sherpas ”, conseillers permanents qui en assurent le secrétariat,
la mobilisation très large des experts de toute nature, les relais dans les institutions
internationales économiques, financières, commerciales et militaires, l’accès permanent et
privilégié aux médias et à tous les supports de communication, le club est devenu une
institution mondiale permanente.
Au départ, l’objectif du club était de permettre aux dirigeants de discuter de leurs
problèmes et de trouver des solutions à leurs conflits et leurs contradictions. Rien n’est plus
éloigné de la réalité que la vision d’un monde unifié et sans conflits entre les grandes
puissances. Il s’agissait donc de trouver, comme dans un club anglais très sélect, des
“ Gentlemen Agreement ”, des accords entre les “ gentlemen ” que ne sauraient manquer
d’être les dirigeants de ce monde ! Il s’agissait de discuter de la récession des années
soixante-dix, des crises monétaires et pétrolières. Dans un deuxième temps, et surtout avec
l’effondrement du système soviétique parachevé en 1989, la discussion a porté sur la montée
en puissance de l’hégémonie des États-Unis. Aujourd’hui, avec la crise de l’économie
mondiale et de la pensée libérale et, surtout, avec la guerre américaine voulue et imposée, les
contradictions reprennent le dessus et pèsent sur l’avenir de l’institution.
La transition au néolibéralisme
En novembre 1975, le président français, Valéry Giscard d’Estaing invite les chefs
d’Etat des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de la France et du Japon, rejoint par
1
ATTAC, Le G8 illégitime, Ed. Mille et une nuits, 2003
1
l’Italie, puis par le Canada, en 1976. Le Président de la Commission Européenne est un invité
permanent. En 2000, les sept pays qui regroupent 12% de la population mondiale, totalisent
45% de la production mondiale et 60% des dépenses militaires mondiales.2 En 1997, l’arrivée
de la Russie, sans supprimer le G7, inaugure le G8.
Nous nous sommes réunis parce que nous partageons les mêmes convictions et les
mêmes responsabilités… Chacun d’entre nous a la responsabilité d’assurer la prospérité
économique d’un pays industriel important. La croissance et la stabilité de nos économies
aideront à la prospérité de l’ensemble du monde industriel et des pays en développement…
Nous sommes décidés à intensifier notre coopération …au sein de toutes les organisations
internationales 3 Cette décision de coopération entre les “ démocraties industrielles ”, comme
elles se désignent elles-mêmes, est une réponse aux conflits ouverts entre la France et les
Etats-Unis sur le rôle du dollar dans le système monétaire international et entre les Etats-Unis
et l’Allemagne sur les réponses à apporter à la récession économique de 1974-75. Elle a été
amorcée, en 1973, au cours de la réunion des ministres des finances des Cinq, à la Maison
Blanche, convoquée pour discuter de la crise pétrolière et de la crise du système monétaire
mondial. Il s’agit de la crise du modèle économique dominant depuis l’après-guerre.
Les trente années qui ont suivi la guerre ont été marquées par un nouvel équilibre
résultant de trois grands affrontements : la décolonisation et l’irruption des nouveaux pays sur
la scène mondiale ; la géopolitique définie à Yalta et la guerre froide muée en coexistence
pacifique ; la permanence des luttes sociales qui accompagnent l’industrialisation. Cette
situation marque les institutions internationales partagées entre le système des Nations Unies
et les institutions de Bretton Woods, particulièrement la FMI et la Banque Mondiale. Le modèle
de développement qui sert de référence est un modèle social-libéral que l’on qualifie aussi de
keynésien pour souligner l’importance de l’intervention de l’Etat dans l’économie à travers les
systèmes de protection sociale fondés sur la gestion publique du salaire indirect, la recherche
du plein-emploi et les politiques économiques fondées sur la souveraineté monétaire. On la
qualifie aussi de fordiste pour souligner le compromis social qui lie la productivité aux salaires
en contrepartie de l’acceptation de l’organisation taylorienne du travail et des limites à la
démocratisation dans les entreprises.
De 1975 à 1980, le néolibéralisme se dégage progressivement du modèle keynésien.
Les déclarations parlent de l’énergie, du système monétaire et du financement des balances
de paiement, du commerce international et des méfaits du protectionnisme, de la croissance et
de l’emploi, des relations Nord-Sud. Le tournant est complet en 1979 lorsque la FED, la
Banque Centrale des Etats-Unis, décide d’augmenter brutalement les taux d’intérêt. Dès 1980,
au sommet de Venise, la lutte contre l’inflation devient la priorité, la référence à l’emploi
devient platonique, la crise de la dette du Tiers Monde est ouverte. 4 La phase néolibérale de
la mondialisation est commencée.
Le pilotage de la mondialisation néolibérale
2
Gérard Duménil et Dominique Lévy, L’histoire et la nature du G8, CEPREMAP, 2003
3 déclaration de Rambouillet du 17 novembre 1975. On peut trouver toutes les déclarations sur le site officiel de la présidence
française : http://www.g8.fr/evian/english/home.html . On pourra aussi les trouver, avec des analyses sur le site d’information sur
le G8 de l’Université de Toronto : http://www.library.utoronto.ca/g7/g8online/french/index.html :
4 Il existe plusieurs analyses des déclarations du G8. René Deschutter, Analyse des déclarations de 1075 à 1995, GRESEA,
Bruxelles ; Gérard Surdez, à partir de 1996, déclarations, extraits et analyses sur les site : http://france.attac.org
2
Le G8 joue un rôle actif dans l’imposition d’un credo, un véritable dogme, et dans le
pilotage de la phase néo-libérale de la mondialisation. Il met en avant les politiques de
libéralisation fondée sur la prééminence de l’investissement international et des entreprises
dites multinationales, sur l’ajustement au marché mondial et l’élargissement du commerce
mondial, sur le désengagement des États et la réduction des dépenses publiques, sur les
privatisations et la remise en cause du statut du salariat et de l’emploi, sur la régulation de
l’économie mondiale par le marché mondial des capitaux. La doctrine qui guide les
interventions du FMI et de la Banque Mondiale repose sur le triptyque : stabilisation –
libéralisation - privatisations. Le dogme sera formalisé, en 1990 seulement, pour répondre aux
critiques qui montent, par l’économiste John Williamson sous l’appellation du Consensus de
Washington. Il repose sur sept principes : discipline fiscale (équilibre budgétaire et baisse des
prélèvements fiscaux) ; libéralisation financière (taux fixés par le seul marché des capitaux) ;
libéralisation commerciale (suppression des protections douanières) ; ouverture totale des
économies à l’investissement direct ; privatisation de l’ensemble des entreprises ;
dérégulation (élimination de tous les obstacles à la concurrence) ; protection totale des droits
de propriété intellectuelle des multinationales.5 Pour imposer ces politiques, il s’appuie sur les
institutions financières internationales, Fonds monétaire international et Banque mondiale,
dans lesquelles il dispose de la majorité du capital. Il construit avec constance le cadre
institutionnel de la mondialisation néo-libérale, dont l’élément déterminant est l’Organisation
mondiale du commerce.
Le G8 n’est pas une instance supérieure de pouvoir. Il ne s’impose pas aux États et,
particulièrement, aux gouvernements des pays qui le constituent. De même, il ne faut pas
sous-estimer totalement l’autonomie des bureaucraties qui gèrent le FMI, la Banque mondiale
et l’OMC. Enfin et surtout, le pouvoir économique bien que moins apparent n’est pas
subordonné aux gouvernements, et encore moins au G8. Mais aucune économie ne peut
fonctionner sans régulation politique, sans adaptation des cadres institutionnels et sans des
instances qu portent des visions stratégiques à long terme. La mondialisation est un processus
contradictoire, le G8 a assuré une double fonction de reproduction de l’ordre existant et de sa
profonde remise en cause au bénéfice de ses membres. Il a orchestré la mise en œuvre par
les dirigeants des pays dominants d’une stratégie de reconquête. Il s’est attaqué à la
décolonisation, à travers la gestion de la crise de la dette et en s’appuyant sur le discrédit de
régimes répressifs et corrompus. Il s’est attaqué au soviétisme, à travers la course aux
armements et l’idéologie spectaculaire des droits de l’homme, en s’appuyant sur le discrédit
des régimes qui avaient nié les aspirations démocratiques. Il s’est attaqué au compromis
social de l’après-guerre, à travers une offensive contre le salariat, en tant que statut social, et
en s’appuyant sur les politiques de libéralisation et les privatisations, l’affaiblissement de la
régulation publique, des États et du contrôle citoyen.
La contestation du G8
La contestation croissante du G8 offre une autre lecture de la phase néolibérale de la
mondialisation6. Elle permet de remettre les enjeux en perspective. Jusqu’en 1984, le G7 n’a
fait l’objet d’aucune contestation. Pourtant, l’impact social des mesures de réajustement
économique imposées aux pays endettés du tiers-monde, validées par le G7, conjuguées à la
5
On trouvera une analyse du consensus de Washington dans : ATTAC, Que faire du FMI et de la Banque Mondiale, Mille et Une
Nuits, 2002
6 On trouvera des éléments sur les mouvements de contestation du G8 dans John HATHAWAY, Jubilee 2000 and the G8, Nason
Press, Londres, 2000 ; Cristophe AGUITON, Le monde nous appartient, Plon, 2001 ; Philippe LE PRESTRE, Les relations entre
le G8 et la société civile, Observatoire de l'écopolitique internationale de l'Université du Québec à Montréal, au Canada, 2002 et
aussi sur le site du CEDETIM http://www.cedetim.org/ : pages analyses et mobilisations G8
3
chute du prix des matières premières, devient très vite insupportable. “ Dès 1980, que ce soit
en Afrique, en Amérique latine ou en Eurasie, l’application de ces mesures provoqua une série
de soulèvements populaires - grèves et manifestations dégénérant en émeutes, pillages entraînant des milliers de morts. La cause immédiate de ces explosions sociales urbaines était
généralement la hausse du prix des denrées alimentaires et des transports, à quoi s’ajoutait la
corruption des régimes en place”7 Ces explosions mettent en cause nommément le FMI et,
indirectement, le G7.
A partir de 1984 plusieurs ONG commencent à cibler directement le G7 pour exercer
des pressions et/ou pour s’y s'opposer. Le premier rassemblement, à l’occasion du G7 de
1984, à Londres, a été organisé par “ The Other Economic Summit ” (“ l’autre Sommet
économique ”), plus connu sous le nom de TOES, devenu plus tard la New Economic
Foundation. Progressivement, les coalitions d’ONG de solidarité internationale, de
développement et d’environnement des pays-hôtes qui accueillent désigneront le G7 comme
symbole de la “ mondialisation et du néolibéralisme ” 8.
En 1989, bicentenaire de la Révolution française, le sommet a été contesté par toutes
celles et tous ceux qui voulaient se faire l’écho du “ tiers-état ” de la planète. Cette contestation
a fait suite à la mobilisation qui a accueilli l’assemblée annuelle du FMI et de la Banque
mondiale, en 1988 à Berlin. Face à l’instrumentalisation du Bicentenaire, “ ça suffat comme ci ”
appel signé par l’écrivain Gilles Perrault et le chanteur Renaud organise un concert géant à la
Bastille. Le “ premier Sommet des Sept peuples parmi les plus pauvres ” les 15 et 16 juillet
1989, dénonce la philosophie même du G7 et prend son contre-pied. “ C’est à l’occasion du
Bicentaire de la Révolution française que des témoins de sept peuples parmi les plus
appauvris du monde, tout comme les sept pays les plus riches, sont réunis à Paris. Les uns et
les autres tirent leur légitimité de cet événement historique, mais ces légitimités sont
opposées. Car si la Révolution française a élargi le champ du capitalisme moderne, elle a en
même temps proclamé les principes de liberté et d’égalité comme fondement du droit des
pauvres et des opprimés à lutter contre la misère et l’oppression. ”9
La mobilisation face au G7 de Lyon, en 1996, retrouve le souffle de celle de 1989. Le
“ Sommet des sept résistances ” est organisé par le Cedetim et Agir ici. La coalition “ Les
autres voix de la planète ” se constitue en 1995, dans la continuité de la campagne “ 50 ans ça
suffit ”, menée à l'occasion des cinquante ans des accords de Bretton Woods. Son homologue
des Etats-Unis jouera un rôle essentiel dans l'organisation de la manifestation contre le FMI et
la Banque mondiale, en avril 2000, à Washington. À partir de 1996, le G7 est pris à partie
systématiquement. Après la chute du mur de Berlin, en 1989, le “ Consensus de Washington ”,
généralise les politiques néo-libérales à l'ensemble des pays et continents. Les mouvements
sociaux des années 1994 et 1995, en Italie, en France, en Allemagne, en Corée du Sud, aux
Etats-Unis, vont converger avec les mobilisations contre le G7.
La réunion du G7 à Birmingham, en 1998, voit la montée en puissance de Jubilee
2000. Cette campagne décide de centrer ses revendications sur le G-7, structure où siègent
les chefs d'État et de gouvernement “ actionnaires majoritaires des institutions financières
internationales ” et, à ce titre, en situation de grande responsabilité vis-à-vis de la situation
d’endettement des pays du tiers-monde. Deux ans plus tard, des coalitions Jubilee 2000
existaient dans 66 pays et font signer une pétition par 24 millions de signatures en provenance
de 166 pays. La mobilisation sur la dette continue à Cologne en 1999 ; Le G7 y annonce alors
l’engagement d’un processus de réduction – conditionnelle – de la dette des pays les plus
pauvres.
D’autres initiatives sont menées par rapport au G7 en 1999. Ainsi une “ caravane ” de paysans
indiens du Karnataka, membre de Via Campesina, vient populariser, en Europe, la lutte des
7
8
Serge Cordellier (sous la dir.), Le nouvel État du monde. Bilan de la décennie 1980-1990, La Découverte, 1990.
Mary Kaldor (sous la dir.) Global civil society 2001, Oxford University Press, 2002.
9 Extrait de la déclaration du Premier Sommet des 7 peuples, parmi les plus pauvres
4
paysans du Sud. Reclaim the Street, un mouvement né à partir des mouvements écologistes
“ Friend of the Earth ” et “ Greenpeace ” décide, au lendemain de la crise asiatique, comme
ATTAC en France, de mener campagne contre les marchés et institutions financières. Il
organise, du jamais vu, l’occupation de la “ City ” de Londres. En 2000, le G8 se réunit au
Japon, à Okinawa. La mobilisation met en avant l'annulation de la dette des pays pauvres,
mais aussi la lutte contre le maintien sur place d'importantes bases militaires américaines. Le
Forum international d'Okinawa sur la sécurité des peuples, met en avant les thèmes de la
coopération et du désarmement.
La réunion du G8 à Gênes, en 2001, voit s’imposer les nouvelles caractéristiques du
mouvement de contestation : une capacité de contre-expertise qui permet de remettre en
cause l’évidence du credo néolibéral ; l'apparition, dans la jeunesse, d'une nouvelle génération
militante ; la sympathie d'une opinion publique inquiète de l'impact négatif de la mondialisation
libérale sur le plan social, environnemental et démocratique. Gênes, après les mobilisations de
Québec contre la zone de libre-échange américaine quelque mois plus tôt, a marqué un saut
quantitatif et qualitatif. L’échec de la tentative, par les autorités italiennes, de criminalisation de
la contestation a amené le G8 à choisir, pour 2002, une réunion à Kananaskis, petit village
situé au fin fond des Rocheuses canadiennes.
C’est en 1999, à Seattle que le mouvement de contestation prend un nouveau tournant
à l’occasion de la Conférence de l’OMC. De Seattle à Porto Alegre en 2001 et 2002, le
mouvement de contestation entame le passage de l’antimondialisation à l’altermondialisation.
La convergence avec le mouvement anti-guerre se manifeste d’abord à Florence, en 2002, au
Forum Social Européen, à Porto Alegre, en janvier 2003, et avec les dix millions de
manifestants dans le monde entier contre la guerre, le 15 février 2003.
L’hégémonie américaine
La prise de conscience des dégâts provoqués par la gestion économique, politique et
militaire du monde est devenue si forte et si sensible que l’on peut parler, aujourd’hui, de
l’expression d’une opinion publique mondiale. La contestation qui s’affirme ne porte pas
seulement sur la nature des politiques, et donc de leurs conséquences, sur les conditions de
vie des populations du monde ; elle porte sur la nature du G8 en tant qu’institution mondiale.
Un petit groupe de chefs d'État représentant les privilégiés de la planète ne peut pas s’arroger
le monopole de décider pour tous. Il y a un déni profond de la démocratie par une institution
internationale qui se réfugie derrière un contestable pouvoir des experts, qui ne connaît aucun
contrôle et qui est coupé de toute instance représentative. Certes les dirigeants du G8 ont été
élus démocratiquement, mais s’ils ont été élus pour gouverner leur pays, personne ne peut les
mandater pour gouverner le monde. C’est ce qui fonde la mise en avant de l’illégitimité du G8
à s’arroger un rôle dirigeant dans la conduite d’une politique mondiale. Sa disparition
n’entraînerait pas une dérégulation supplémentaire ; cette instance n’a pas empêché les
guerres et les désordres, elle a au contraire affaibli le système des Nations unies, certes
critiquable et imparfait, mais combien plus légitime.
La nouvelle situation pose la question des institutions internationales. Dans la
conception qui prédominait au sein du G8, il y avait une nette préférence pour les institutions
de Bretton Woods considérées comme efficaces et contrôlables. La nouvelle institution de
référence est l’Organisation Mondiale du Commerce, avec son Organe de Règlements des
Différents. Elle devait servir de modèle pour une réforme du système des Nations Unies
accusé de bureaucratie, d’inefficacité et considéré avec ne grande méfiance depuis la
décolonisation.
La guerre américaine en Irak ouvre une nouvelle période. Plusieurs éléments
l’annonçaient : la persistance des crises financières, et notamment la crise argentine ; la
décision des états du Sud, le Brésil, l’Afrique du Sud, l’Inde, de ne pas faire passer, dans le cas
5
des médicaments génériques, le droit des affaires avant le droit à la santé ; la crise de la
pensée libérale à partir de la transition ultralibérale et contestée en Russie.10
Le système international est confronté à la question de l’hégémonie américaine.
Comment apprécier cette hégémonie ? Comme une nouvelle forme impériale d’hégémonie
par le désordre comme le propose Alain Joxe. 11 Faut-il considérer avec Immanuel
Wallerstein,12 que les Etats-Unis ont perdu l’hégémonie économique et idéologique et qu’il leur
reste l’hégémonie militaire, ce qui est le propre des puissances en déclin ; déclin qui peut durer
fort longtemps et qui accroît tous les dangers.
Dans cette situation les Nations Unies ont démontré leur intérêt. Elles n’ont pas été la
chambre d’enregistrement que certains souhaitaient et que d’autres craignaient. Les Nations
Unies sont à la croisée des chemins. Sans réforme radicale, il leur sera très difficile de résister
à l’hégémonie et d’esquisser la démocratie mondiale qui pourrait donner un nouveau sens à la
mondialisation. Le mouvement citoyen mondial pourra-t-il relever ce nouveau défi ?
10
Joseph Stiglitz, la grande désillusion, Fayard, 2002
11 Alain Joxe, L’empire du Chaos, Ed La Découverte, 2002
12 Immanuel Wallerstein, Extraits de Foreign Policy, traduits dans Le Courrier International 629, du 21 nov 2002
6
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