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GESTION URBAINE ET PARTICIPATION DE
L'HABITANT, QUELS ENJEUX, QUELS
RESULTATS.
LE CAS DE YEUMBEUL (SENEGAL).
2
INTRODUCTION
Villes en crise...
Dans les villes africaines, le développement croissant de poches de pauvreté le plus
souvent en franges et périphéries urbaines a été suffisamment analysé pour être
considéré comme le résultat d'un processus de désorganisation et paupérisation
généralisées des pays, aussi appelé "Crise urbaine" : faillite des Etats, croissance
urbaine non maîtrisée, accentuée encore par les mesures d'ajustement structurel ou par
la récente dévaluation du FCFA.
De plus en plus de quartiers voire des villes entières se font par les habitants eux
mêmes à côté, voire contre les pouvoirs publics locaux ; ceux ci étant le plus souvent
absents de leur rôle de gestionnaires territoriaux.
Les phénomènes de paupérisation en quartiers périurbains et irréguliers ne sauraient
pour autant, se réduire à la stricte marginalisation de leurs populations.
Le paradoxe de la Crise urbaine est qu'elle altère les solidarités et les modes
d'organisations sociales et économiques, en même temps qu'elle les renforce.
On voit ainsi souvent se déplacer ou émerger, dans les métropoles africaines de
nouveaux comportements collectifs des habitants les plus défavorisés afin de répondre
aux situations d'urgence :
- rattraper au minimum les insuffisances en services ou en équipements dans les
quartiers
- s'auto organiser pour la gestion urbaine de proximité ou enfin s'auto déterminer
pour le droit à la ville ou tout au moins pour de meilleures conditions de vie.
Comme l'illustre le Sommet Mondial des Villes "Habitat II" en 1996, cette
mobilisation des citoyens (brièvement présentée) pour l'accès à la ville interpelle toute
la communauté internationale.
Pour les uns, chercheurs, politologues, sociologues, urbanistes, la "participation" de la
"société civile", comprise comme processus de création ou d'émancipation collective,
serait annonciatrice d'une recomposition des rapports sociaux et politiques locaux ou
d'une autre façon de produire de la ville.
Pour les autres (bailleurs de fonds, praticiens, gouvernements..), elle réinterroge les
modes de développement ou "d'action" sur la ville : comment en effet intégrer et
s'appuyer sur les communautés locales qui s'organisent pour leur cadre de vie, tout en
rendant la gestion des villes plus performante ?
Ainsi, l'aide internationale, qui doit relayer les efforts locaux faits au Sud pour une
démocratisation et une décentralisation institutionnelles, se tourne de plus en plus vers
des systèmes d'appui au développement urbain décentralisés : soutien aux collectivités
territoriales, aux Organisations non Gouvernementales (ONG), aux comités d'usagers
de services urbains, aux associations de quartiers.
L'UNESCO n'est pas en reste sur la question, par le biais de son programme de
recherche-action "Villes, gestion des transformations sociales et de leur
environnement" (1996-2001), elle prend appui sur deux programmes (MOST et MAB)
et soutient plusieurs initiatives menées dans les quartiers.
3
Expérimenter, contribuer à la réduction de la pauvreté urbaine
Des actions pilotes autour de l'environnement et du cadre de vie, menées directement
par les citoyens en collaboration avec des ONG locales sont soutenues par le projet
"Villes" à Port au Prince en Haïti, en banlieue de Dakar au Sénégal, et à Rio au Brésil.
Toutes doivent déboucher sur une (re)mobilisation des énergies sociales et
économiques, la création de services, initiatives ou équipements de proximité (santé,
eau, assainissement, lutte contre la pollution, la délinquance..), mais aussi sur des
partenariats locaux entre acteurs "de "base" et pouvoirs locaux pour la gestion,
l'amélioration des quartiers.
L'expérience de Yeumbeul en banlieue de Dakar (Sénégal) présentée ci-après est l'une
de ces actions pilotes. Elle témoigne de la contribution (possible) d'une Organisation
Internationale à la mise en place de politiques urbaines et sociales au "plus près" des
habitants. Elle témoigne aussi des espaces de coopération (possibles) au sein même
des services et des programmes de l'Unesco.
Yeumbeul , une action de coopération , interne et externe
Yembeul et ses quartiers d'extrême pauvreté, choisis pour faire partie du programme
"Villes" apparaît comme symbolique, à la fois des phénomènes de prolétarisation et
paupérisation d'une grande métropole, et en retour des formes d'organisation et de
réaction possibles des communautés de base, dans un contexte institutionnel de
décentralisation et démocratisation.
Au terme de la première phase du programme (1995-1997), l'expérience apporte des
enseignements, sur les mécanismes de participation des acteurs "du bas" ou sur les
conditions de mise en oeuvre d'une expérience de gestion urbaine populaire.
Dans le champ des sciences sociales (notamment francophones), les travaux sur la
participation urbaine, la formation de l'acteur collectif dans la production de la ville
(stratégies, dynamiques sociale...).sont encore peu nombreux.
Peu fréquentes sont les tentatives qui procèdent d'un itéraction entre recherche et
expérimentation appelées aussi Recherche-Action.
L'expérience de Yeumbeul parce qu'elle est menée en temps réel et s'appuie sur des
partenaires de terrain (une ONG et des associations de développement) permet de
délimiter un champ d'intervention et d'expérimentation nouveau pour une Organisation
Internationale telle que l'Unesco, situé entre la connaissance empirique et l'action.
Participer à la construction de politiques urbaines et sociales, aux cotés de partenaires
locaux et en même temps faire l'expérience concrète des dynamiques et des pratiques
d'acteurs, de leur inscription dans le champ social sinon ethnique et culturel intéressent
au plus haut point les sciences sociales.
Action de coopération interne au sein de l'Unesco, car l'expérience conduite à
Yeumbeul appelle différents métiers, domaines de réflexions (environnement , santé,
hydrologie, appui au développement urbain) et donc un rapprochement disciplinaire
entre sciences sociales et sciences naturelles. La première phase du programme a ainsi
4
permis une collaboration entre différentes unités de l'UNESCO pour la connaissance
du milieu (étude sur l'aménagement de la zone côtière, études sur la nappe phréatique).
Des études de terrain ont ainsi réalisées par le CSI.1.
Cette expérimentation collective devrait être propice à l'élaboration d'outils ou de
méthodologies pour la coopération locale, de politiques intégrées pour l'amélioration
des quartiers mais aussi pour l'ouverture de champs d'investigation dans les sciences
sociales (méthodologie et outils d'évaluation, dynamiques culturelles liées à la
pluri-ethnicité.. ).
Dans une large mesure, la première phase de l'expérience menée à Yeumbeul, bien que
récente autorise un temps de distanciation, mais aussi de communication préalable au
démarrage de la seconde phase (1998-1999).
Elle permet d'ouvrir des questions centrales qui ne seront ici qu'effleurées :
- quels sont les comportements collectifs, les mécanismes de participation des
habitants à la gestion urbaine de proximité ?
- quel est l'impact possible, mais aussi quelles sont les conditions de mise en
oeuvre d'une politique d'appui aux quartiers défavorisés ?
Illustrer, démontrer
Sans avoir valeur d'exemplarité, compte tenu de la diversité des situations et des
contextes, d'un quartier à un autre, d'une ville à une autre, d'un habitant à un autre,
l'expérience de Yeumbeul et ses enseignements, a valeur de témoignage. Elle
démontre qu'il est possible de mettre en place des dispositifs à une micro échelle,
intéressant aussi bien l'habitant, que ses représentants, ou les partenaires
internationaux..
1
"Qualité de l'eau , la nappe phréatique à Yeumbeul, étude de terrain", CSI, juillet 97.
5
LE PROGRAMME D'APPUI
AUX
INITIATIVES
DE
QUARTIER
A
YEUMBEUL
(1995-1997)
CONTEXTE
DEMARCHE
RESULTATS
6
YEUMBEUL EN PERIPHERIE DE DAKAR, DANS SON PAYSAGE
POLITIQUE URBAIN ET ECONOMIQUE
Il serait vain de vouloir de faire la chronologie d'une expérience comme celle menée à
Yeumbeul en dehors de son contexte institutionnel et urbain .
Des réformes majeures institutionnelles sont intervenues au Sénégal dans la dernière
décennie. Les initiatives communautaires menées dans les quartiers de Yeumbeul
doivent être interprétées dans le contexte de décentralisation et démocratisation
entrepris depuis 1992, qu'il s'agisse de l'ouverture politique vers une démocratie
pluraliste ou de la réforme sur la Régionalisation ainsi que dans le contexte
d'émergence d'initiatives populaires, abondamment relayées par les pouvoirs publics
aujourd'hui.
LA DECENTRALISATION AU SENEGAL : ETAT ACTUEL
Appelée de ses voeux par la classe politique et amorcée depuis 5 ans sous l'égide de
l'Association des Maires et des Bailleurs de Fonds, la régionalisation est en marche.
Une série de lois, portant réforme de l'Etat et des Collectivités Territoriales, sont en
cours d'application. Les Collectivités (Régions, communautés rurales, communes
urbaines) se voient dorénavant dotées de compétences en matière de santé, gestion des
territoires et de leurs ressources (eau, forêts sols..).
L'application de la décentralisation se heurte à de nombreuses carences juridiques et
surtout financières, qu'il serait impossible de détailler ici. Néanmoins, de nombreuses
initiatives partagées pour gérer la décentralisation des services publics (collecte des
déchets urbains, entretien des espaces publics, création de services) sont à l'oeuvre,
pour l'essentiel dans les communes urbaines de la région de Dakar. Elles associent, sur
un mode contractuel et partenarial, Mairie, ONG, entreprises privées, Groupements
d'intérêt Economique (GIE) des quartiers.
A la décentralisation institutionnelle, fait écho la décentralisation des politiques
urbaines et de l'aide publique internationale. Dans la période récente ont été ouverts
des chantiers importants en matière de gestion urbaine :
- le 4ème projet urbain de la Banque Mondiale, démarré en 1995, ou "Programme
d'Appui aux collectivités Locales", avec un programme d'investissements et
d'infrastructures dans l'environnement urbain,
- le Programme de Développement Municipal (PDM), piloté par les différents
bailleurs de fonds (GTZ/Banque Mondiale/Coopération française). Il accompagne
également la décentralisation,
- les divers appuis de la coopération Française : Fonds d'Aide et de Coopération,
Fonds Spécial de Développement (programme post-dévaluation) auquel il faut
ajouter le Programme de Développement Social et Urbain cofinancé par l'Union
Européenne.
La plupart des infrastructures, et projets urbains financés par les bailleurs de fonds
sont aujourd'hui confiés à l'AGETIP (agence d'exécution des travaux publics) qui
7
répond aux exigences de réforme décentralisatrice, de participation des habitants et
création de revenus. Il s'agit en effet de réaliser (vite) des investissements de proximité
(assainissement, voirie, dispensaires, réhabilitation équipements publics) appelés
travaux à haute intensité de main d'oeuvre confiés à une main d'oeuvre locale. Les
investissements doivent générer des revenus et des emplois aux populations les plus
fragilisées par les effets négatifs de la dévaluation.
Le cas du PNC (Programme Nutritionnel Communautaire), financé en grande partie
par le Programme Alimentaire Mondial est sans doute l'exemple le plus probant de ces
dispositifs palliatifs à la pauvreté, mais dont les résultats économiques sont loin d'être
négligeables. Le PNC comprend un important volet Eau, Assainissement et Prévention
sanitaire et concerne à terme la couverture sanitaire de 1,2 millions de bénéficiaires
sénégalais dans les quartiers les plus pauvres. Au delà de l'objectif affiché de création
d'investissements (aménagement, adduction d'eau potable, assainissement,
infrastructures de santé) productifs de revenus, un programme d'appui et renforcement
des organisations de base est mis en place avec les structures existant dans les
quartiers (GIE, Associations, mais aussi jeunes diplômés sans emploi) formées par des
prestataires (ONG).
L'émergence de "la gouvernance urbaine" à Dakar
"C'est par la base qu'il faut impulser le développement", déclarait en janvier 1997 le
Maire de Dakar, lors du transfert des compétences aux communes, reprenant alors les
propos du Président de la République. C'est cette base que représentait le Mouvement
"Set Setal", mouvement spontané (et contestataire) de nettoyage des rues créé par de
jeunes dakarois en 1980 et qui demeure l'image allégorique et vivante de l'expérience
populaire.
Aujourd'hui des associations urbaines ou des groupements d'intérêt économique (GIE)
très structurés, autour de la gestion de l'environnement, de l'économie sociale
succèdent aux associations "riveraines", pionnières.
Issus de l'initiative populaire, et capturés ou instrumentalisés par les pouvoirs publics,
ils sont aujourd'hui des prestataires de service reconnus. Pour exemple, 20
groupements d'intérêt économique collaborent actuellement avec la seule Municipalité
de Dakar, pour l'entretien des espaces publics. Les associations et GIE sont aujourd'hui
regroupés au sein d'une coordination des associations et mouvements de jeunes
(CAMCUD) représentant leurs intérêts.
Cette mobilisation pour le "droit à la ville" a évidemment conforté la position et le rôle
des ONG, au sein desquelles Enda Tiers Monde fait incontestablement figure de chef
de file.
YEUMBEUL, FIGURE DE LA PAUVRETE URBAINE
L'héritage de l'urbanisation de Dakar
8
L'urbanisme populaire des quartiers spontanés de Yeumbeul et de toute la périphérie
du grand Dakar est l'héritage direct d'une politique intense de déplacements du centre
dakarois vers le Nord, planifiée mais. trahie par l'insuffisance de ses moyens.
Les quartiers spontanés représentant aujourd'hui près de 50% de la population du
Grand Dakar 2 , sont nés de ce mouvement d'urbanisation centrifuge repoussant les
limites de la ville, insérant des migrants d'origine rurale, tout en les éloignant.
Constitués au gré des rachats de terres ils s'étendent sur plus de 20 km et sont devenus
au fil du temps de véritables poches de pauvreté. Ils ne jouissent la plupart du temps
d'aucun statut foncier et sont généralement exclus de toute planification, notamment en
matière d'équipement public.
Yeumbeul (80000 habitants) est situé à 25 km au nord de Dakar et comprend deux
mairies d'arrondissement qui font partie de la Commune de Pikine. Cette commune
s'est constituée autour d'un noyau central traditionnel agricole détenu par les paysans
éleveurs lébou. Les quartiers irréguliers en pleine expansion depuis les années 60, sont
construits en auréole, dans l'improvisation la plus totale. Ils sont ceux d'un nouveau
prolétariat urbain d'origine rurale, victime des sécheresses successives, et issu de
diverses communautés (wolof, toucouleurs pour la plupart).
Pratiques urbaines en quartiers irréguliers
Yeumbeul apparaît comme une figure sociologique, celle du choc de deux
matrices, l'une moderne, l'autre autochtone, liées aux comportements
séculaires des habitants, d'origine lébou, détenteurs du pouvoir foncier,
conscients d'avoir formé leur quartier et d'avoir le droit de le contrôler.
De ces comportements séculaires subsistent des pratiques traditionnelles : le
chef de quartier (qui est souvent délégué politique) reste le passe droit pour
l'attribution des branchements en eau, bornes fontaines. Il est détenteur d'un
pouvoir fort dans le quartier.
Les quartiers irréguliers sont également des territoires sociaux et
économiques complexes construits sur des comportements sociologiques :
- autoconstruction, transgression des cadres fonciers ou réglementaires,
- pratiques coutumières, comportements sociologiques de débrouille, qui
sont des pratiques d'origine villageoise,
- solidarités ethniques, lignagères et parentalités qui fondent un cadre
communautaire,
- présence d'activités informelles qui sont des ressources économiques .
Etat des lieux dans les quartiers
2
La Communauté Urbaine de Dakar compte environ 2 millions d'habitants. D'après la Banque Mondiale, 30%
vivraient en dessous du seuil de pauvreté.
9
Les quartiers irréguliers de Yeumbeul couverts par le programme d'appui aux
initiatives ne disposent quasiment d'aucune d'infrastructure d'assainissement, voiries
primaires, réseaux d'adduction d'eau, électricité. Les équipements scolaires sont très
insuffisants, il n'existe aucune infrastructure de santé. Les transports urbains pour
Dakar sont organisées en microlignes informelles.
Dans la commune de Pikine, moins de 10% des concessions sont reliées à l'égout 3. Les
ordures ménagères sont jetées à même la rue, polluant la nappe phréatique.
La distribution en eau potable est très mal assurée : les bornes fontaines publiques
payantes dans la commune de Pikine couvrent environ 50% des besoins de la
population et sont très insuffisantes (une borne desservirait environ 2800 habitants).
Les branchements individuels étant par ailleurs peu nombreux, l'alimentation en eau se
fait quelquefois par revente "sauvage" ou le plus souvent aux puits.
Selon la SONEES, concessionnaire public pour l'exploitation et la distribution de l'eau,
80% des puits de la Communauté Urbaine de Dakar seraient pollués, d'autant que la
nappe phréatique y est peu profonde, l'environnement urbain dégradé, les densités de
population importantes. L'état sanitaire de la région de Dakar-Pikine (maladies
infantiles et choléra) est considéré comme le plus déplorable du Sénégal.
Sur sa partie côtière, Yeumbeul est ceinturée de dunes mouvantes, aujourd'hui en voie
de stabilisation par des initiatives de reboisement.
Yembeul compte environ 6000 4 ménages dont 50%, ont moins de 25 ans. Le taux
d'alphabétisation est environ de 10%, le taux d'inactivité de 50%, source de nombreux
problèmes urbains lies au sous emploi et à la faible scolarisation (délinquance,
drogue).
C'est dans ce contexte que des initiatives sont impulsées par les habitants, relayées par
des ONG, pour tenter d'apporter des solutions aux nombreux problèmes. Le tissu
associatif de Yembeul, tout comme dans les communes proches, est riche. Les actions
les plus nombreuses concernent le cadre de vie, l'environnement, ou les loisirs. Parmi
ces actions, des écoles de rue ont été créées par des jeunes alphabétisés, et des actions
de reboisement et de collecte d'ordures ont été conduites.
3
D'après ECOPOP, in "Initiatives locales, développement communautaire, l'exemple de Yeumbeul, Novembre
1997.
4 Id.
10
LE "PROGRAMME D'APPUI AUX
QUARTIER", GENESE ET RESULTATS
DYNAMIQUES
DE
Entre 1995 et 1997, le programme d'appui aux quartiers, soutenu par l'Unesco, relayé
par une ONG (ENDA ECOPOP) en relation avec les associations des quartiers, a
permis de réaliser des ouvrages d'assainissement individuel et collectif, de renforcer
l'organisation des groupements de femmes et de jeunes et appuyer des activités
économiques.
AU DEMARRAGE, LES ASSOCIATIONS..
Démarré en 1995, le programme mené à Yeumbeul en relation avec ENDA Ecopop
doit pour beaucoup au tissu associatif des quartiers, et plus précisément aux trois
associations de développement. Quoique de profil très hétérogène, toutes sont très
implantées dans leurs zones pour avoir mené diverses actions de proximité et sont les
bases fondatrices du programme
Deux sont à caractère plutôt identitaire, en dans le sens qu'elles sont fondées sur
l'appartenance ethnique : communauté wolof d'une part (AJYPROS 5 sur le secteur
ouest), lébou d'autre part (UFY6 implantée depuis 1961 dans le centre traditionnel de
Yeumbeul)
La troisième a une vocation plus communautaire (ANBEP)7. Très implantée depuis
1990 sur 4 sous quartiers Nord de Yeumbeul, porteuse d'un projet mobilisateur, elle
avait réalisé des micro actions d'assainissement et adduction d'eau, en partenariat avec
une ONG locale.
UN RELAIS (ENDA) ET UN CADRE D'INTERVENTION (LE PDSU)...
Les initiatives associatives ont pu trouver en 1995 un cadre d'inscription formel : le
PDSU (Programme de Développement Social et Urbain), programme de coopération
Nord/Sud et d'échange entre 4 villes du Nord et 4 communes de la Région de Dakar,
dont Pikine.
Financé par l'Union Européenne et la Coopération française, ainsi que par les villes
partenaires, il réunit régulièrement municipalités, ONG et chercheurs.
Quoique peu doté de moyens opérationnels et financiers, le PDSU appuie toutes les
initiatives municipales, communautaires concourant à la lutte contre l'exclusion dans
les quartiers défavorisés et fournit un appui méthodologique, logistique, matériel au
partenaires locaux.
Pour les communes de la région de Dakar (Pikine, Rufisque, Guedawaye), c'est
Ecopop, antenne de l'ONG ENDA Tiers Monde qui est maître d'oeuvre du PDSU.
5
6
7
Association des Jeunes de Yeumbeul pour la Promotion Sociale
Union des Frères de Yeumbeul
Association pour le Bien Etre de la Population
11
L'Antenne Ecopop était présente depuis 1991 sur les quartiers de Pikine, Thioraye,
Guedawaye, dans le cadre du "Programme Spécial Dévaluation" et a appuyé de
nombreuses initiatives dans l'économie populaire en quartiers spontanés.
On ne peut pas ne pas évoquer ici la spécificité et l'originalité de l'ONG
ENDA Tiers Monde sur le continent africain et en Afrique de l'Ouest.
La très forte implantation d'ENDA Tiers Monde dans la Région de Dakar
dépasse évidemment le seul espace temps. L'avantage d'ENDA, ONG du
Sud, dont le siège est à Dakar est de disposer de moyens auxquels peu
d'autres ONG locales peuvent prétendre. Elle est implantée depuis 20 ans
dans les quartiers, elle a des relais internationaux importants (10 à 20 pays
bailleurs) ; elle comprend 200 salariés de plus de 50 nationalités.
L'ancrage, souvent médiatisé d'ENDA Tiers Monde dans la région de Dakar
et son assise institutionnelle, sa reconnaissance externe et populaire tiennent
au marquage constant de l'objectif de lutte contre la pauvreté urbaine au
plus près des citadins. Dotée d'un projet politique et social fort, ENDA
investit des terrains négligés par l'action publique, là ou existe une volonté
collective des populations, là ou elle accompagne plutôt qu'elle n'impulse.
ENDA Tiers Monde compte environ pour la seule région de Dakar une
dizaine d'antennes de terrain, celles ci pouvant intervenir sur le même
quartier, dans tous les domaines d'action (hygiène, eau, santé, énergie,
assainissement, économie populaire, jeunesse..). L'intervention conjuguée
des différentes antennes permet bien souvent d'accélérer le processus de
réalisation et la lisibilité des actions.
UNE DEMARCHE "PARTICIPATIVE"
Au démarrage du programme, et pour l'identification des priorités, un diagnostic
participatif sous forme de séminaires, causeries, enquêtes a été préétabli par Enda
Ecopop avec les habitants de chaque zone, les 3 associations de Base (UFY,
AJYPROS et ANBEP), une ONG locale (l'AJED) 8 mais aussi les instances
traditionnelles (chef de quartier, sages).
Des ateliers, débats publics autour des problèmes et des potentialités des quartiers ont
été constitués par îlots d'habitation, par cibles (femmes, aînés) tenant compte des
hiérarchies traditionnelles. Les services municipaux, le service d'hygiène ont été
également associés pour aider à la mise en cohérence des demandes ou leur
formalisation.
8
Association des Jeunes pour l'Education et le Développement
12
A l'issue du diagnostic des objectifs centraux du programme à court terme (97) ont été
définis. Ces objectifs apparaissent acceptables, réalisables et mobilisateurs pour la
population des 18 sous quartiers (environ 20000 habitants) :
- la réalisation d'ouvrages individuels et collectifs d'assainissement (latrines,
puisards, ramassage des ordures sur les voies publiques) et d'adduction en eau
définis comme besoins prioritaires par les habitants,
- l'appui aux groupements de jeunes et de femmes et à leurs projets d'activités
économiques (maraîchage, commerce ..),
- le renforcement des capacités et des moyens des organisations de base
(associations de développement) dans une dynamique collective.
AU TERME
EFFECTUEES
DE
LA
PREMIERE
PHASE,
LES
REALISATIONS
Des réalisations importantes ont été effectuées pour l'environnement de proximité dans
les trois zones et au delà des objectifs initiaux :
- 5 bornes fontaines gérées par les comités d'habitants et l'extension du réseau
primaire d'adduction,
- 75 ouvrages d'assainissement individuels (au lieu de 45 prévus),
- la collecte des ordures ménagères à l'intérieur de certaines zones par des
charretiers.
Les actions périphériques concernent la formation de maçons pour la confection des
ouvrages, la formation de 36 animateurs en éducation sanitaire.
Une dizaine de groupements féminins (choisis selon des critères d'expérience, de
présence sur le terrain, selon la nature du projet) ont bénéficié de crédits rotatifs
remboursables (sur 3 mois) pour le démarrage de micro-projets. Certaines des
membres (50) ont bénéficié d'un appui en comptabilité, gestion; management,
pédagogie pour le renforcement de leurs capacités.
Un double appui est ainsi apporté à la dynamique émergente des quartiers :
- l'un par la création des équipements et l'amélioration concrète et immédiate des
conditions physiques d'habitabilité, et qui sont dans le même temps générateurs de
revenus (emplois de charretiers et revenus issus des chantiers),
- l'autre par l'appui matériel logistique et technique à des groupes cibles et à leurs
projets qui entrent dans une dynamique de quartier et pour faciliter le passage de
l'initiative individuelle à la participation collective.
DES DISPOSITIFS DE MISE EN OEUVRE ET DE REALISATION
Dynamiques autour de la mise en oeuvre
Dès lors que le programme affiche une volonté de partenariat local, une collaboration
s'est instaurée à diverses échelles :
13
- avec les partenaires extérieurs. Le CSI (UNESCO) a ainsi été sollicité avec
l'Université de Dakar pour des études préalables sur la nappe phréatique,
- le CREPA (Centre régional pour l'eau potable et l'assainissement à faible coût) et
le Service National d'Hygiène pour la conception des ouvrages d'assainissement,
mais aussi la conception de modules d'éducation sanitaire et la formation de relais
communautaires, inaugurant ici un partenariat original,
L'animation et sensibilisation autour des ouvrages d'assainissement ont été confiées
aux trois associations clefs de base en relation avec des structures d'appui (CCTAS)9
et les comités de salubrité de zones. Des séances de théâtre, démonstration, causeries
ont été organisées dans certaines zones-test pour la sensibilisation à l'hygiène mais
aussi sur la participation des femmes ou la mobilisation financière des habitants pour
les ouvrages.
Les modalités de réalisation des ouvrages et les critères de sélection des ménages
bénéficiaires ont été définis collectivement selon leur niveau de solvabilité, les
contraintes d'accessibilité et les conditions de salubrité (distance au puits pour éviter la
contamination, choix d'emplacements qui évitent de polluer la nappe..).
Modalités de financement et recours à la cotisation des usagers
Le coût total du programme est peu élevé (80000 USD), cofinancé par l'UNESCO
(Projet Villes et CSI) pour 35000 USD, par l'Union Européenne (35000 USD au titre
du 7ème FED). Les bénéficiaires d'ouvrages d'assainissement ont participé à
l'investissement à environ 8 à10 % de leur coût soit environ 20000 CFA par ménages
(40 à 50 USD), sans que n'ait été défini un montant fixe de la cotisation : les ménages
pouvaient apporter une participation en main d'oeuvre pour réduire le montant de leur
cotisation.
Dispositifs opérationnels et organisationnels
Le programme s'appuie sur
- des comités de gestion locaux dans chacune des trois zones, installés par ENDA
et composés d'habitants membres d'organisations de base, des personnes
"ressources" du quartier. Ils sont chargés de la sélection des bénéficiaires
d'ouvrages d'assainissement, l'animation autour des chantiers, le suivi des
recouvrements des participations financières des ménages. Pour certains, ils gèrent
également les bornes fontaines installées dans le programme (rémunération du
fontainier, paiement des factures d'eau),
- une équipe technique pour le suivi et la réalisation des travaux composé d'un
technicien de chantier, de l'ONG, des associations (pour les relations avec les
habitants).
9
Centre Communautaire des Technologies Appropriés pour la Santé
14
Enfin, le programme prévoyait un comité de suivi du programme, en passe d'être crée
et qui sera composé des différentes instances : l'ONG (ECOPOP), une association de
développement (CCTAS), les services techniques municipaux et administrations de
l'Etat (Service départemental d'hygiène, district médical, concessionnaires publics
d'assainissement), les instances traditionnelles (notables, chefs de quartier).
Il définira les orientations du programme à venir (validation des objectifs sociaux et
urbains du programme, modalités financières, viabilité opérationnelle..) et veillera à la
continuité et au suivi des réalisations.
Comité de suivi
Unesco, Municipalités,
Services eau, assainissement
ENDA
maîtrise d'oeuvre
équipe technique
(animateur, technicien..)
réalisation
équipements
(assainissement
bornes fontaines)
Structures d'appui
(Service Hygiène,.ONG)
gestion
animation
comités de gestion
(représentant d'associations,
groupements...)
participation financière
Habitants
DES RESULTATS.
Les acquis sont incontestables : amélioration de l'environnement immédiat pour les
familles, expérimentation de savoir faire en matière de gestion des quartiers par les
acteurs clefs, associations de base et groupements.
15
Le programme d'assainissement et ses réalisations périphériques (activités
économiques) s'est organisé autour d'axes clefs :
- la volonté d'un projet commun fondé "sur l'hygiène et l'amélioration
du cadre de vie" qui apparaît comme motivations fédératrices du
programme clairement signifiées par les habitants,
- l'appui sur des structures légitimées dans les quartiers (associations
de base) mais aussi sur les instances traditionnelles (sages, aînés, chefs
de quartier) légitimant à leur tour le dispositif,
- des modalités d'animation inscrites et ancrées dans la vie des
quartiers, qui tiennent compte de ses rythmes traditionnels et sociaux,
réunions, débats, permettant d'enclencher une réflexion élargie mais aussi
de recenser, hiérarchiser les demandes émises à l'échelle sociologique
essentielle (le voisinage).
La bonne réception du programme par les habitants, mais aussi par les partenaires
techniques et institutionnels dont témoigne la rapidité des délais de réalisation (moins
d'un an) peut sans aucun doute etre attribuée aux dispositifs d'animation de
mobilisation autour de l'hygiène, de l'assainissement en amont et en aval des
réalisations :
- formation de comités de base (pour la collecte des ordures et les ouvrages
individuels d'assainissement) prenant appui sur les associations des quartiers et
formation de relais chargés de l'information, l'animation à l'échelle du voisinage,
- modes d'animation, de sensibilisation et de réalisation effectuées en
collaboration avec des partenaires reconnus dans les quartiers ou dotés de
compétences : CCTAS et Service National d 'Hygiène,
- cadre opérationnel (financement, participation financière, choix des priorités et
suivi) mis en place par une ONG, accepté par des partenaires institutionnels (la
Commune en premier lieu), relayé par des Bailleurs de fonds.
La légitimation par les partenaires, en particulier par l'UNESCO et autres bailleurs
de fonds apparaît ici évidement comme un levier pour la traduction effective, rapide
d'un projet ou pour aider à sa formalisation, au delà des seules revendications des
habitants.
Néanmoins, cette dynamique communautaire enclenchée autour de l'environnement
ne doit pas masquer les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre (expérimentale)
de cette première phase, telles que les acteurs du programme l'ont évalué eux-mêmes
au cours d'un atelier "de capitalisation" en février 199710 :
- les difficultés au quotidien de collaboration, de dialogue entre associations de
base. Conflits ou comportements hégémoniques des uns ou des autres, qui
réactivent souvent des rivalités identitaires sinon ethniques, avec en arrière plan
10
"dont le compte rendu est consigné dans "Développement social et développement local dans les quartiers de
Yeumbeul, Guinaw-Rail", Salimata WADE, février 97.
16
un enjeu partagé : la volonté d'encadrer les citadins , sinon de contrôler ou de
"marquer "des territoires communautaires (les quartiers),
- les difficultés rencontrées pour le recouvrement des cotisations financières des
habitants (compte tenu de leur faibles revenus) pour les ouvrages d'assainissement
(retard de paiement), pour le paiement du service de collecte des ordures , ce qui
soulève la question de son appropriation et de sa rentabilité,
- les quelques difficultés techniques rencontrées au stade de la réalisation (conflits
d'usage d'équipements, mauvaise localisation de certains ouvrages,..).
A l'issue de cette première phase, une limite est soulignée quand à l'impact du
programme. En raison de l'échelle et des moyens modestes du programme, mais aussi
des difficultés d'information dans les sous quartiers, les ouvrages réalisés concernent
d'abord les bénéficiaires les plus solvables ou les moins pauvres, qui peuvent
potentiellement apporter une contribution financière, fût elle faible (200 CFA).
L'exigence d'une meilleure prise en compte des populations les plus pauvres
devient dès lors pour les partenaires un des enjeux de la deuxième phase.
VERS UN CHANGEMENT D'ECHELLE QUALITATIF ET QUANTITATIF :
LES ENJEUX POUR LA POURSUIT DU PROGRAMME (1998-1999)
Si on connaît les déficits actuels des quartiers, on connaît également
l'ampleur des efforts nécessaires pour les résorber. Les actions
communautaires dans les quartiers créent un effet d'appel : les besoins
engendrent plus de demandes qui appellent plus de moyens.
Forts des acquis et des enseignements de cette phase pilote , mais aussi de
la demande sociale exprimée par les riverains et générée par les réalisations,
des axes ont été fixés pour la poursuite :
- équiper, structurer, animer,
- pour plus d'habitants,
- dans des dispositifs plus solidaires, dans des cadres de partenariat
locaux.
L'ancrage géographique du programme : vers plus de réalisations et plus d'effets
économiques
C'est un véritable saut d'échelle quantitatif qui devrait ainsi s'opérer en deuxième
phase avec une accélération des réalisations .Le nombre d'ouvrages prévus suite aux
enquêtes faites par Ecopop auprès des familles (300 latrines, 100 puisards) devrait être
multiplié par huit ( environ 520 bénéficiaires). Sont également prévus :
17
- 20 bornes fontaines réalisées en partenariat avec le concessionnaire public pour
l'exploitation de l'eau (SONEES). Le programme participera également à
l'installation de branchement sociaux individuels (animation, sensibilisation
autour de la consommation d'eau..),
- la collecte d'ordures avec une dizaine de charretiers. Le circuit de collecte, la
tarification sera étudiée en concertation avec la coordination des Groupements de
jeunes intervenant dans la Communauté urbaine de Dakar (CAMCUD), ayant
acquis une forte expérience dans la gestion des déchets urbains. Les comités de
gestion des sous quartiers assureront le suivi de l'activité de collecte,
- la réfection ou la construction d'équipements publics (école, centre de soins
communautaire, salle de réunions pour les associations), avec la contribution
financière des habitants dans le cadre d'un fonds d'investissement local qui sera
créé,
Le soutien aux initiatives et aux projets d'activités économiques des groupes les plus
vulnérables (femmes, jeunes sans emploi) qui soient générateurs revenus ou d'emplois
sera poursuivi (octroi de petits crédits, formation).
Le coût de cette seconde phase est estimée à 0,6 Millions USD, cofinancés par
l'UNESCO (20%), la Coopération Française (30%), l'Union Européenne (30%) et la
participation du concessionnaire d'assainissement, inaugurant ici un nouveau mode de
partenariat .
Vers un changement d'échelle qualitatif
C'est bien l'ancrage institutionnel et social du programme qui est en jeu à travers son
extension.
Un outil de financement des ouvrages sera créé. Il s'agit d'un fonds d'assainissement
issu de la cotisation populaire, collectivisée. Il permettra d'aider les ménages qui ne
peuvent financer de façon autonome les travaux d'assainissement par l'octroi d'un prêt
remboursable. Il pourra être alimenté par les recettes et les bénéfices générés par les
services urbains lucratifs ou marchands (vente d'eau, collecte ordures) et par les
bailleurs de fonds pour financer des travaux sur les quartiers. Ce type d'outil social
devrait instaurer un principe de solidarité, d'équité, de mutualité dans l'accès aux
services de base, notamment pour les plus défavorisé). Il devrait renforcer ou impulser
les responsabilités collectives et individuelles et donc dynamiser la gestion des
quartiers.
D'autre part, le programme affiche fortement des objectifs prioritaires de consolidation
des partenariats locaux et institutionnels à diverses échelles :
- renforcement du partenariat avec la Commune, les concessionnaires
publics, ces derniers pouvant être amenés à participer financièrement aux
investissements (dans le cadre du Fonds d 'Assainissement), mais surtout être
18
associés à la conception ou à la gestion des ouvrages (bornes fontaines , collecte
ordures) voire à la cogestion des fonds d'investissement,
- consolidation du partenariat voire contractualisation avec les associations
locales, les structures d'appui (Service d'Hygiène, CCTAS) pour des missions
bien délimitées autour de la sensibilisation sanitaire, et à l'environnement,
- consolidation de la maîtrise d'oeuvre sociale par l'appui aux associations de
base qui sont les interlocuteurs directs des habitants (appui logistique, matériel,
formations..) en vue de leur autonomisation, et formation de relais du programme
sur les quartiers,
-aide au rapprochement encore faible entre pouvoirs locaux (et leurs services) et
les habitants (ou leurs représentants), allant dans le sens d'un dialogue élargi sur
les quartiers.
La perspective d'un projet de plus en plus décentralisé ou partagé que l'on voit
s'esquisser à une micro échelle, représente un changement d'échelle important, pour le
quartier, pour la lisibilité de l'expérience et pour le programme "Villes" de l'Unesco.
Dans ce chantier de coopération ouvert, la place d'une Organisation Internationale telle
l'Unesco est importante, parce qu'elle légitime l'action collective autant qu'elle est
en retour légitimée par cette même action.
L'appui du programme "Gestion des transformations sociales et de l'environnement"
qui continuera d'accompagner l'expérience communautaire de Yeumbeul consiste à
faciliter cette mise en convergence d'acteurs du "haut" du "bas", locaux et
internationaux.
D'autant que les enjeux sociaux de ce programme, que ses objectifs augmentent de
façon substantielle (rappelons le, les objectifs quantitatifs sont multipliées par huit),
l'exigence de lisibilité des priorités, des modalités de mise en oeuvre et des résultats
sont importants .
Identifier les noeuds de l'action permet de mieux assurer ces" passages d'échelle".
19
MIEUX CONNAITRE
MIEUX APPUYER..
POUR
LES DIFFERENTS VISAGES
DE LA PARTICIPATION DE
L'HABITANT
P
IMPACTS ET RESULTATS
D'UN PROGRAMME D'APPUI
AUX
QUARTIERS
DEFAVORISES
P
GESTION POPULAIRE OU
GESTIONS
PARTAGEES
:
COMMENT MIEUX APPUYER
LES INITIATIVES LOCALES ?
P
20
LES DIFFERENTS VISAGES DE LA PARTICIPATION DE
L'HABITANT
L'expérience conduite à Yeumbeul, même si elle ne peut être lue en dehors de son
contexte et de ses spécificités, apporte un éclairage sur des questions centrales qui sont
celles du "milieu" du "développement" :
- Qui sont les acteurs de la gestion populaire urbaine, et quels sont les
comportements collectifs issus du système de participation de l'habitant ?
- En quoi un simple dispositif de gestion populaire autour de l'environnement
est-il porteur d'enjeux plus globaux ?
- Quel est le véritable impact des politiques d'appui aux quartiers, comment le
mesurer, et au delà comment mieux les organiser aux différentes échelles ?
AU PREALABLE, QU'ENTEND ON PAR PARTICIPATION ?
Une initiative de gestion populaire urbaine comme celle de Yeumbeul recouvre
étroitement la notion de participation. Si l'usage de la Participation (qui s'appelle aussi
développement participatif, mobilisation développement à la base..) est de plus en plus
fréquent, par les pouvoirs publics, ONG, chercheurs, bailleurs de fonds et habitants,
nous sommes forcés de constater que ni ses contours, ni ses mécanismes ne sont pas
toujours bien délimités.
S'agit-il d'une participation technique des usagers habitants, à un dispositif ?.. S'agit-il
d'un investissement social dans une action ? S'agit-il d'une participation financière? Il
convient d'admettre que ce qui relève, pour les uns d'une modeste information des
habitants, relève pour les autres d'un processus de management collectif d'un quartier,
ou encore d'un acte politique, n'appartient ni au mêmes enjeux, ni aux mêmes
pratiques, ni aux mêmes intérêts. Car qu'il a t-il de commun entre une contribution
financière de l'habitant à l'équipement des quartiers (comme c'est souvent le cas en
Afrique de l'Ouest) et les profondes transformations sanitaires issues d'un système de
participation (en Inde par exemple) ?
Les difficultés de définition de la participation tiennent à l'instrumentalisation très
forte qui en est faite par les pouvoirs locaux, les ONG, les citoyens, les bailleurs de
fonds. L'usage du discours sur la participation recouvre des perceptions, des
interprétations et surtout des enjeux de développement radicalement divergents selon
les acteurs.
Pour certains, la "participation" ne serait que le volet "idéologiquement correct" qui
permet aux pouvoirs locaux d'asseoir une démocratisation nécessaire (ou une
décentralisation) des affaires urbaines, ou qui permet aux bailleurs de fonds d'atteindre
des objectifs et des résultats en matière de santé, éducation....
Plus encore, elle ne serait qu'un moyen de fiscaliser les populations (quand la
participation est assimilée à la contribution financière) ou de faire supporter les
difficultés d'en "haut" par le bas.
21
Dans le même registre politique, l'appropriation du thème de l'initiative populaire
serait prétexte à un discours populiste conduisant à la réification de l'habitant, et
notamment le plus pauvre.
A l'autre extrémité, la participation et l'action collective seraient bel et bien des signes
visibles du changement social et de la recomposition des rapports sociaux au Sud.
Devant la disparité des situations, des pratiques, il est préférable de délimiter des
degrés ou des seuils de participation qui s'effectue à différentes séquences, de
l'amorçage d'un processus, à la décision collective, à la gestion voire à la
"gouvernance" de quartiers.
Sur le terrain, ce qu'est ou n'est pas la participation
- Elle n'est pas une norme, mais un engagement responsable collectif individuel.
- Elle n'implique pas forcément que les citadins soient associés à toutes les étapes
d'un processus communautaire.
- A l'inverse, la gestion, le management d'équipements, de services de proximité,
ne sont que des formes possibles de la participation qui peuvent être partagées
avec les services publics.
Elle comprend différents degrés
la responsabilisation individuelle, en tant que citoyen usager :
- actes domestiques et quotidiens pour améliorer l’environnement
immédiat (santé, environnement, services..),
- sensibilisation du voisinage sur la nécessité de coopération au sein d’un
projet,
- actions de quartier (entretien des espaces, solidarité..)
p
p
la contribution financière directe aux actions de quartier ou matérielle :
- cotisations, prêt de matériel ou contribution en main d’oeuvre,
- paiement de service qui concourent à l’environnement, cadre de vie
la participation active à l’élaboration d'un projet :
- participation aux réunions (mobilisation, concertation, assemblées
générales) aux orientations prises,
- aux élections de représentants de quartier et au suivi des projets
p
la prise de responsabilité dans le management communautaire. Il
correspond au degré le plus élevé de participation de l’usager :
- il devient membre de comités, engage sa responsabilité morale voire
financière
- il s’implique dans le contrôle du projet
- il rend compte au voisinage des décisions
- il coopère avec les pouvoirs publics.
p
22
QUI SONT LES CITADINS IMPLIQUES DANS LES INITIATIVES?
La terminologie "acteurs communautaires", "acteurs de base" pour désigner les
citadins impliqués dans des initiatives, recouvrent là encore des catégories, des
stratégies, des pratiques de regroupement hétérogènes. Les difficultés économiques
urbaines, font émerger des processus dynamiques (revendications, mobilisation) par
lesquels l'individu devient un acteur déployant des stratégies pour l'accès à la Ville.
Les acteurs individuels très actifs sur le plan associatif sont les femmes et les jeunes.,
comme en témoigne le cas de Yeumbeul.
Les femmes sont les premières à s'impliquer dans l'espace public pour un
meilleur environnement. Au Sud, plus qu'ailleurs elles sont souvent considérées
comme les acteurs essentiels dans les transformations sociales, politiques. C'est
souvent à partir de leur cadre de vie immédiat qu'elles ouvrent des revendications.
Elles sont en effet les premières concernées par les problèmes d'environnement à
l'échelle domestique et de proximité, pour en subir au quotidien les difficultés
(maladies, absence d'eau, insalubrité..).
p
De nombreux exemples montrent qu'elles sont dotées d'un sens civique et d'une
volonté d'action marqués afin d'améliorer l'habitat, la santé, l'éducation. Les femmes
sont très actives dans les comités locaux d'hygiène et sont des relais importants
d'information, de sensibilisation à l'échelle du voisinage. Malgré les barrières
religieuses et sociales elles investissent la sphère publique et associative pour
s'exprimer. Comme le montre le cas de Yeumbeul qui ne comporte pas moins de 80
groupements féminins, la visibilité féminine est très forte dans les associations.
p Les jeunes sont également des acteurs importants dans la mobilisation
autour de l'environnement, du développement et constituent la base des associations de
développement, GIE.. Plus, ils sont scolarisés, plus les jeunes mesurent les enjeux
économiques, sanitaires autour du développement de leurs quartiers, mais aussi ceux
de la démocratisation politico-administrative. D'autant qu'ils sont souvent sans emploi,
disponibles et motivés pour des actions de quartier de proximité par lesquelles ils
peuvent éventuellement prétendre à une activité productive (charretier, animateur,
éducateur ).
ESPACES, TRAJECTOIRES , STRATEGIES DE REGROUPEMENTS
L'associativité apparaît bel et bien à Yembeul comme dans les quartiers populaires
comme ce qui permet d'amortir la crise. L'habitant est avant tout un faiseur de réseaux,
notamment en Afrique de l'Ouest ou les systèmes de regroupements sont
multidirectionnels. Le regroupement, de quelque nature et origine qu'il soit permet
d'activer une série de réseaux, symboliques, parentaux, économiques, relationnels , du
voisinage à la rue, aux instances politiques, au "milieu" du développement.
23
L'associativité qui permet de formaliser des actions urbaines structurées, est façonnée
par ce tissage de réseaux internes ou externes qui se fortifient au contact des uns et des
autres. On le voit à Yeumbeul, différentes catégories de regroupement existent qui
fonctionnent comme des filières d'acteurs:
Les regroupement à caractère traditionnel fondés sur l'appartenance
ethnique ou la parentalité. Très marqués à Yeumbeul, ou coexistent plusieurs
communautés lébou, wolof, toucouleur,..) ils donnent lieu à un occupation forte, sinon
un marquage de l'espace public.
Originellement constitués sur des objectifs informels limités (échanges, solidarité,
maintien d'un système de représentation infraclanique) ; ils sont loin d'etre
imperméables aux enjeux de quartier et représentent un capital social mobilisable. Le
cas de deux des organisations de base de Yeumbeul (UFY, AJYPROS) montrent
qu'elles savent intégrer ou évoluer vers des préoccupations urbaines et sociales.
p
p De même, les tontines, caisses de crédit, d'épargne féminines sont des
groupements informels, très nombreuses dans la banlieue de Dakar qui représentent un
capital social et économique considérable. Elles opèrent ce passage entre projet
économique (individuel ou collectif) de proximité et projet communautaire de quartier.
Les tontines féminines, d'autant qu'elles savent bien capter les enjeux et les projets de
développement évoluent le plus souvent vers un statut de groupement formel.
On le voit à Yeumbeul, les organisations formelles (associations,
groupements féminins) disposant d'un statut juridique, voire commercial constituent
les bases les plus importantes pour les actions de quartier (activités économiques,
alphabétisation, santé..). Bien que dotées de faibles ressources financières, elles
fournissent un potentiel humain (bénévolat, volontariat) de plus en plus présent dans la
sphère économique et publique.
p
Combinaisons de ressources et de projets
Ces groupements et organisations de base, et c'est une donnée importante dans la
compréhension des dispositifs de gestion urbaine populaire, savent se situer dans un
jeu d'acteurs locaux. Les groupements sont en effet bien souvent à la fois acteurs et
clients du développement communautaire. L'associativité peut être un tremplin pour
évoluer vers l'entreprenariat économique ou politique.
L'engagement social et civique voire militant des membres clefs des groupements qui
sont souvent très impliqués à l'échelle de leur quartier d'appartenance peut se doubler
d'un projet économique ou politique et personnel. L'adhésion à un groupement, une
organisation de base permet tout à la fois d'accéder à un statut social voire un emploi
et de contribuer à des actes citoyens (la gestion et l'amélioration de son quartier).
DE LA PARTICIPATION A LA REPRESENTATION DE L'HABITANT, ET
DES DIFFICULTES DANS LA FORMATION DE L'ACTEUR COLLECTIF
24
La participation est le résultat d'un processus d'apprentissage collectif et pragmatique
de la décision et du débat public. Parce qu'elle donne lieu à des initiatives (plus ou
moins) créatives; elle rencontre aussi des difficultés qui peuvent freiner la mise en
place d'un processus.
L'initiative communautaire pour formaliser un projet commun autour du quartier ou
simplement créer des structures de gestion, de réalisation (collecte des ordures eau)
met en en jeu la participation directe ou indirecte de l'habitant.
A Yembeul, où il n'existe pas de comité de quartier, (un cadre formel de coordination
doit etre créé) la représentation de l'habitant repose sur les 3 associations de secteur
qui conditionnent pour beaucoup la conduite des "projets". Or, celles ci pour être le
reflet de dynamiques locales ne sont pas indépendantes des pouvoirs, réseaux et
rapports de force qui traversent la société civile.
La première phase du projet de Yeumbeul a révélé des difficultés, loin d'être
singulières, et qui n'affaiblissent pas toutefois le bien fondé collectif du programme.
D'une part, les organisations de base "porteuses" du projet de quartier, et
"représentant" les habitants (choix des objectifs, des modalités d'exécution..)
fonctionne pour beaucoup sur un axe clanique, ethnique, que l'on a rappelé comme
prédominant dans les quartier irréguliers.
L'arrière plan ethnique, les revendications identitaires qui s'ensuivent, ne sont donc pas
étrangères aux conflits, rivalités, entre associations et masque (mal) le souhait de
contrôle social compréhensible du quartier, par les uns (les plus anciens; les
autochtones ) sur les autres (les allogènes, les derniers arrivés) . Il s'agit pour les uns
au minimum de "tirer" le projet, ses ressources vers son secteur, ou pour les autres de
s'imposer comme instance de pouvoir et de décision, dans un jeu d'acteurs difficile à
réguler.
D'autre part, les organisations de base porteuses d'un projet d'intérêt collectif pour le
quartier, ne sont pas imperméables aux comportements d'entrisme, voire aux stratégies
individuelles pour la défense d'intérêts particuliers. Dans un cas il s'agira de ne pas
trop élargir la base sociale pour garder le contrôle de l'association. Dans un autre, il
s'agira d'accéder aux commandes de l'association pour asseoir un projet individuel..
Ce sont bien souvent les membres les plus dynamiques des quartiers appelées aussi
personnes ressources, compétents et scolarises, voire militants politiques, que l'on
retrouve à la tête des associations et plus tard aux commandes des comités de quartier.
Or l'engagement individuel des leaders de quartiers ou le leadership présente autant
d'avantages que d'inconvénients. D'un coté, il permet de mobiliser la population, voire
les politiques en usant de ressources personnelles, relationnelles et d'accélérer
l'adhésion collective à un projet, et en retour, d'acquérir pour le leader, une crédibilité
dans le quartier. En revanche, la conduite d'un projet d'intérêt général, laissé entre les
mains de quelques membres, empêche bien souvent le passage à une
responsabilisation plus collective de l'association, et donc de sa base sociale :
l'habitant, l'usager. De surcroît, l'investissement personnel dans l'associatif se distingue
quelquefois mal d'un projet économique ou politique avoué ou non .
25
On le voit, l'entrepreneuriat communautaire qui désigne ces différents espaces, de
regroupement pour promouvoir une solidarité de quartier ouvre sans cesse sur des
enjeux majeurs : d'une part la représentation réelle de l'habitant et d'autre part la
responsabilité collective dans une dynamique de projet , avec en arrière plan celui du
respect de l'intérêt général.
COMMENT EST PRIS EN COMPTE L'HABITANT DANS UN PROJET
D'AMELIORATION DE QUARTIER ?
Les habitants, usagers de service ne sont pas égaux devant l'initiative. Selon qu'il est
homme, femme, scolarisé, analphabète, aisé, pauvre, il ne dispose pas des mêmes
opportunités ni des mêmes espaces pour s'exprimer, il n'a pas non plus les mêmes
intérêts et besoins que son voisin.
La représentation de l'habitant parce que celui-ci n'est pas toujours membre d'une
association de base, d'un comité de quartier et parce qu'il désigne, élit, choisit des
représentants de comités, est d'abord une construction formelle et symbolique.
Comment s'assurer dès lors qu'il n'est pas toujours associé directement à un projet
collectif qu'il est bien représenté par les dispositifs qui se réclament de sa légitimité,
d'autant que ceux-ci sont plus ou moins ouverts, personnalisés, dynamiques ? Et
d'abord qui parle au nom de qui ? Qui décide au nom de qui ?
Représentation formelle ou légitimité réelle des associations
A Yeumbeul les organisations qui décident d'orientations pour le quartier ou qui sont
impliquées dans des actions citoyennes montrent qu'elles savent s'adapter, modifier si
besoin est, leur cadre de représentation : se rapprocher pour mettre en place un cadre
unique de concertation, intégrer de nouveaux acteurs, anticiper des enjeux.
C'est le rôle de l'ONG que de les appuyer, veiller à l'équilibre social et à une
représentation élargie des forces du quartier : équilibre entre sous quartiers, équilibre
entre associations, intégration de personnes médiateurs comme les instances
traditionnelles (sages, chefs de quartier, chefs religieux...).
Si ces organisation de base sont le reflet de la demande sociale, encore faut il
qu'elles sachent l'apprécier et savoir où celle-ci s'exprime. Les tâches qui
incombent aux organisations (qui sont aussi celles des représentants politiques) ne
sont pas aisées.
Courroie de transmission, elles doivent aider à l'expression des besoins, les
décrypter et les satisfaire. Elles doivent être très présentes à l'échelle de voisinage
qui est l'espace naturel d'expression des besoins domestiques, ou primaires (l'eau,
la santé, l'assainissement). Dans le même temps, elles doivent être en mesure de
hiérarchiser les priorités, de l'échelle de proximité à celle de quartier , ou sont
formulées des demandes structurantes (voirie, école, transport, emploi...).
A Yeumbeul, les dispositifs de concertation, d'information permettent de bien couvrir
les besoins (diagnostic participatif, ateliers, débats par sous secteurs, enquêtes..) et les
26
associations sont très ancrées dans les quartiers, la représentation et l'expression de
l'habitant a ses propres limites .
Le voisinage, pour être l'espace naturel d'expression de la demande, n'en constitue pas
pour autant une communauté d'intérêts. Les riverains, voisins ne sont pas égaux
devant l'accès à l'information "à la base". Ce sont les populations les plus pauvres et
les plus fragilisées et donc les moins alphabétisées (les vieux, les femmes) qui sont les
plus éloignées des sources d'information et des associations.
Les femmes alors qu'elles sont très impliquées dans les enjeux de changement, restent
encore sous représentées dans les organes de décision collectives (comités de quartier,
de gestion) en raison des barrières religieuses et du poids des hiérarchies
traditionnelles.
Certains quartiers ne disposent pas toujours de personnes-relais ou d'espaces de
réunion, d'informations. Les associations peuvent donc se trouver éloignées
géographiquement des préoccupations des habitants.
D'autre part, la demande exprimée, formalisée ou centralisée par les organisations
populaires n'est pas toujours la demande réelle. Les besoins des habitants ne sont pas
toujours réductibles à la seule légitimité de structures qui prétendent les représenter,
d'autant que ceux ci ne connaissent pas toujours bien les cibles de populations ou qu'ils
peuvent filtrer sélectionner ou orienter les demandes "de base".
Dès lors, il appartient aux structures d'appui (les ONG mais aussi aux bailleurs de
fonds) de veiller à l'accès à l'information des populations les plus démunies et à leur
intégration dans une démarche de quartier, de faire en sorte que les associations tirent
une légitimité réelle, sociale issue de leur représentation.
De la notion d'intérêt à participer
La participation populaire ne peut pas non plus être dissociée de celle d'intérêt de
l'habitant. On sait que dans les quartiers populaires, les stratégies de l’habitant sont
fortes pour organiser sa survie, son territoire économique.
On sait aussi que l’adhésion à “un projet de développement”, l’appropriation de ses
objectifs par la population dépend de ses intérêts et de ses besoins à participer; que la
transaction, la négociation, le contournement/détournement des objectifs sont
structurellement inhérents aux initiatives communautaires surtout lorsque ceux-ci sont
laconiques.
Les notions d'intérêt collectif et de transaction sociale sont des clefs de lecture de
développement communautaire : l'habitant utilise les opportunités pour les mettre au
service de ses intérêts. Un micro entrepreneur (à Yeumbeul ou ailleurs) a intérêt à
s'organiser pour atteindre le bénéfice d'une action et obtenir des marchés, tout comme
les habitants ont intérêt à s'organiser pour se regrouper, négocier et obtenir des
financements des bailleurs de fonds. En revanche il est moins sur que les objectifs et
les intérêts catégoriels avoués des uns ou des autres soient toujours ceux du quartier.
27
Participation et énonciation d'objectifs
Parce que la participation renvoie à des intérêts, des stratégies différentes,
elle ne prend pas le même sens d'un habitant à un autre, d'une organisation
de base à une autre.
Pour certains, participer ce sera contribuer physiquement aux travaux, le
travail pouvant être éventuellement rémunéré. C'est par exemple le cas des
habitants de Yeumbeul optant pour une contribution en travaux pour
financer les ouvrages d'assainissement.
Pour d'autres, ce sera un acte symbolique, civique et citoyen pour
contribuer au développement du quartier" : c'est souvent le sens donné à la
participation par les femmes.
En d'autres termes, les représentations, perceptions auxquelles est liée la
participation sont directement liés à l'énonciation des objectifs par les
acteurs clefs et en premier lieu les organisations de base, leurs structures
d'appui , auxquelles il revient de formuler clairement et de rendre lisible les
attentes de la mobilisation et de la gestion populaire. Quels enjeux, avec
quelles populations, pour quels résultats ?
28
IMPACTS ET RESULTATS D'UN PROGRAMME D'APPUI AUX
QUARTIERS DEFAVORISES
A la lumière de l'expérience de Yembeul, quels sont globalement les effets structurants
d'un programme autour de l'environnement, avec la participation de l'habitant ?
LES ASPECTS FINANCIERS DE LA PARTICIPATION (ATOUTS ET
LIMITES)
Comme le montre le cas de Yembeul, la participation de l'habitant à la gestion urbaine
de son environnement recouvre celle de contribution financière. L'habitant est appelé
à cotiser dans des modalités assez variables pour la réalisation d'ouvrages
d'assainissement mais aussi des écoles, locaux associatifs, bornes fontaines..
Des outils de financement peuvent être créés. A Yeumbeul, un fonds d'investissement
local mutualiste et solidaire issu des cotisations des habitants et permettant d'avancer
le montant des cotisations aux plus démunis sera créé.
La cotisation financière est perçue par le citadin des quartiers irréguliers comme un
acte symbolique, civique important d'autant qu'il est habituellement tenu à l'écart des
décisions et des pouvoirs publics. De fait, il devient producteur ou coproducteur et
gestionnaire de services urbains de proximité.
La cotisation est bien souvent ce qui permet de s'identifier collectivement et
individuellement, comme citoyen. Elle renvoie à une notion forte de propriété
symbolique (des ouvrages, sinon du quartier); et à fortiori à la responsabilité
qu'instaure ce droit de propriété ou d'usage.
Elle est une solution réparatrice, pragmatique aux besoins et aux difficultés
immédiates, liés à l'absence d'équipements et de gestion publique. Elle permet de
réunir rapidement des fonds et de réaliser efficacement des ouvrages qui satisferont les
habitants tout en légitimant un processus d'action et de mobilisation collective.
Néanmoins, les citadins des quartiers les plus délaissés, parce que les besoins, les
demandes sont nombreuses, que les initiatives des quartier créent un effet d'appel, sont
amenés à cotiser de plus en plus souvent, pour plusieurs réalisations à la fois (école,
santé, espaces publics..).
Ce mode de financement populaire pour des équipements relevant la plupart du temps
des pouvoirs publics peut être perçu à terme comme un prélèvement fiscal parallèle ou
déguisé, rarement exigé des quartiers riches .
Au delà, des difficultés existent :
- le risque de saturation des habitants, voire de démobilisation,
- le risque de voir les plus démunis, exclus d'un processus de gestion collective,
faute de possibilités réelles à côtiser, ou lorsqu'il n'existe pas d'outils de solidarité
(prêts, mutuelles..).
29
Les efforts globalement faits par les citadins des quartiers démunis, pour consentir à
l'amélioration rapide de leur environnement laissent des questions en suspens tenant
aux objectifs de solidarité :
- Comment s'assurer que les projets d'amélioration des quartiers et à fortiori avec
la participation financière populaire, profitent bien aux plus pauvres ?
- Quelles sont les garanties ou les modalités d'accès aux équipements pour ceux
qui seraient exclus des mécanismes de participation, faute de moyens financiers,
faute d'information, ou parce qu'ils sont étrangers au quartier ?
- Doit on instaurer un contrôle sur les utilisateurs ("péage") et établir ainsi un lien
arbitraire entre participation financière, légitimité et droit d'usage ?
COMMENT EVALUER UN SYSTEME DE PARTICIPATION : UN DEFI
POUR LES ONG, LES ASSOCIATIONS DE BASE ET LES BAILLEURS DE
FONDS..
Une démarche communautaire perd sa finalité si son impact réel n'est pas connu.
Il s'agit de pouvoir évaluer les retours économiques et sociaux pour l'habitant.
Si l'on ne veut se contenter de constater que les équipements réalisés (assainissement,
santé, équipements de base) satisfont la population, ce qui est incontestablement le cas
pour toutes les initiatives populaires, il faut pouvoir apprécier :
- l'adéquation entre objectifs et résultats
- l'impact des actions par cibles de population
- l'avant et l'après du projet
- délimiter une échelle et les actions faisant partie ou qui sont induites par le
programme.
On le voit à Yeumbeul, certaines réalisations sont difficiles à évaluer, qualitativement
ou quantitativement. Comment évaluer par exemple l'augmentation du pouvoir d'achat
au niveau du quartier ? Comment mesurer l'impact sanitaire et épidémiologique réel du
programme d'assainissement et de potabilisation ? Les activités commerciales privées
induites (une boulangerie créée par des jeunes par exemple) doivent elles être
comptabilisées dans les résultats et imputées aux effets structurants du programme ?
L'évaluation de l'impact économique du programme et de la participation, qu'il s'agisse
d'investissements matériels (travaux, main d'oeuvre) appelle des instruments de
mesure, des outils et des méthodologies dont disposent rarement les organisations de
base, voire les ONG, et encore moins les populations "cibles" (groupements, artisans,
entreprises).
Il est difficile pour un artisan, une entreprise de délimiter un avant et un après
"économique" (heures de travail investissements réalisés, revenus créés). De même,
les comités de gestion qui gèrent des services lucratifs (eau, collecte ordure,..) ne
disposent pas toujours des moyens comptables qui permettent de juger de leur
rentabilité et des bénéfices dégagés.
L'évaluation de l'impact sanitaire d'un programme d'assainissement (comme celui de
Yeumbeul) suppose également de disposer d'éléments d'enquêtes épidémiologiques,
30
mais surtout de mettre en place des outils d'observation anthropologique sur les
comportements des citadins, pour pouvoir recouper leurs discours et leurs pratiques
(consommation eau, hygiène, nutrition...).
On s'épuiserait à inventorier ici les critères possibles d'évaluation sociologique de la
participation et de la gestion populaire. Ils sont d'autant hétérogènes que les
interprétations sur la participation sont variées : qu'entend on par participation ?
L'évaluation suppose que soient mis en place des grilles de lecture et
d'analyse dynamique des actions :
- impact en emplois mais aussi créativité économique et juridique des
montages, des procédures de gestion,..
- résultats financiers mais aussi capacités d'autonomie des associations et
des comités,
- pérennité des dispositifs mais aussi inscription dans la décentralisation,
- satisfaction de la population mais aussi appropriation,
responsabilisation...
- collaboration des pouvoirs publics mais aussi dispositifs de cogestion...
Enfin; la position de l'Ong que l'on ne peut détailler ici, interfère dans les
pratiques de mobilisation, et pèse de son poids dans la conduite d'un
processus. Pour seul exemple, appuyer des groupe cibles ne revient pas
forcément à appuyer un projet de quartier..
A YEMBEUL, QUELS EFFETS SOCIOLOGIQUES ET ECONOMIQUES DU
PROGRAMME D'APPUI AUX QUARTIERS
Pour avoir souligné les difficultés et les limites de la participation quand elle
s'apparente trop à la cotisation financière, quand elle est peu émancipée de la notion
d'intérêt et d'opportunité , on peut en détailler les effets de transformation sociale.
L'impact économique
A Yeumbeul les effets économiques directs du programme (emplois créés, bénéfices et
revenus) sont encore peu visibles et peu mesurables étant donnée la taille modeste en
première phase du programme.
Mais d'autres indicateurs entrent en compte pour mesurer l'impact économique :
- la masse de crédits individuels accordés aux micro-entrepreneurs, qui devraient
se traduire rapidement par des revenus et des activités durables (commerce,
transformation de produits...),
- les formations effectuées par les artisans sur les chantiers d'assainissement qui
consolident des savoir faire dans différents corps de métiers,
- les formations accordées aux organisations de base en matière de gestion en vue
de leur autonomie économique et logistique.
31
C'est l'expérimentation collective d'un dispositif qui permet aux uns et aux autres
d'acquérir des compétences dans la gestion collective qui doit etre mesurée et
appréciée. Cette créativité collective doit à la fois permettre aux acteurs de
s'émanciper économiquement mais aussi de générer des ressources en deuxième
phase du programme :
- recettes provenant des bornes fontaines, de la collecte des ordures (la rentabilité
de cette dernière activité reste à démontrer), gérés et contrôlés au niveau des
quartiers,
- mise en place du fonds d'investissement local qui devrait s'autonomiser par le jeu
de la redistribution (investissements sur la base de la contribution ou de l'épargne
générant des profits à leur tour réinvestis),
- fonds de solidarité pour les plus démunis.
Cet apprentissage d'une gestion urbaine et populaire créative,
redistributive est un enjeu pour la pérennité des équipements, et des
dispositifs de quartier :
- pour que ceux ci soient moins dépendants à terme de l'aide extérieure
(ONG et bailleurs de fonds) mais aussi de la contribution financière de
l'habitant,
- dans la perspective de la décentralisation mais aussi de la promotion de
la solidarité.
L'impact sociologique du programme ou les effets structurants de la participation
Ils sont de plusieurs ordre : changements de comportements individuels et collectifs,
coopération de quartier et à l'extérieur du quartier, redistribution de rôles au niveau
local.
Les effets immédiats
L'amélioration de l'environnement de proximité est incontestable pour les
bénéficiaires d'ouvrages d'assainissement et du service de collecte des déchets urbains:
baisse des nuisances liées au rejet des déchets et des eaux usées. De même, les cinq
bornes fontaines allègent considérablement les corvées des femmes (transport de l'eau)
et devraient modifier inéluctablement les comportements en matière de consommation
d'eau (baisse de l'approvisionnement au puits non potables).
Une limite a déjà été soulignée pour le programme d'assainissement. Etant donnée sa
faible taille, il a d'abord bénéficié aux ménages les plus solvables, dotés de capacités
financières suffisantes pour régler les cotisations.
p
La démultiplication des initiatives individuelles, des demandes pour la
poursuite du programme (et son accélération) est l'un des signes de changement ouvert
p
32
par le jeu de la participation et de la mobilisation. Celles ci sont moins liées à une
logique de résultat que d'action : il ne s'agit pas "de s'arrêter" quand les besoins sont
satisfaits, mais de continuer à faire l'apprentissage d'une démarche de quartier.
On enregistre ainsi :
- de nombreuses demandes d'équipement (collecte des déchets, assainissement,
eau) de la part des riverains, prouvant par la même que le programme a répondu
(partiellement ) aux attentes et a créé de nouveaux besoins,
- une augmentation des demandes d'aide par les groupements (crédits, aide
logistique, aide à la formalisation de projets personnels..). Là aussi, le programme
qui offre un cadre de discussion, de dialogue et d'appui permet à l'habitant d'être
reconnu, valorisé comme citoyen/citadin .
C'est très nettement le cas des initiatives féminines qui, si elles existaient
préalablement, ont pû ou peuvent être plus facilement énoncées dans un espace
d'expression collectif et avec un appui extérieur.
Les changements de comportements sanitaires et l'auto-responsabilisation
Il s'agit ici d'un des effets majeurs ouverts par la participation à la gestion urbaine.
L'habitant d'autant qu'il contribue financièrement est le meilleur relais pour la
valorisation, la promotion d'un programme d'environnement dans les quartiers.
A Yeumbeul il a été étroitement associé à l'élaboration du programme
d'assainissement dans des formes très adaptées : formation de relais, éducateurs
sanitaires, ateliers de démonstration. Il est à même de le promouvoir efficacement
mais aussi de gérer et d'entretenir les équipements (latrines, puisards, bornes
fontaines).
La responsabilisation individuelle et collective par le biais de la sensibilisation,
animation effectuées à l'échelle du voisinage en liaison avec les comités de salubrité et
avec des partenaires reconnus est un acquis pour la poursuite du programme. Elle va
accélérer la mobilisation des futurs usagers, autour de futurs ouvrages, mais surtout
elle permet l'apprentissage de comportements collectifs sanitaires.
Apprentissage et responsabilisation
L'habitant (et notamment les femmes) sont des acteurs clefs dans la
surveillance des ouvrages, les actions de sensibilisation (campagnes de
nettoyage, javellisation, des puits nettoyage des espaces collectifs,..).
La notion de responsabilisation est étroitement liée à celle de
reconnaissance civique et citoyenne de l'habitant, dans la meure où il a été
consulté, associé ainsi qu'à celle de légitimité liée au droit d'usage ou de
propriété.
Il faut établir une distinction entre responsabilisation et éducation
sanitaire. Trop de programmes d'ouvrages autour de l'environnement, de
missions "d'éducation sanitaire" échouent parce qu'il ont été simpulsés par
33
"le haut", sans que soient définies les modalités d'association, les
responsabilités de l'habitant, ou sans qu'il soit tenu compte de ses capacités,
ses motivations, ses pratiques et habitudes culturelles.
L'habitant, lorsqu'il est un acteur reconnu dans un espace de responsabilités
partagées, développe des participations et des pratiques citoyennes, pour
gérer, surveiller, entretenir, animer.
La responsabilisation de l'habitant doit être définie comme le processus
d'acquisition et d'apprentissage de connaissances empiriques issu de ses
responsabilités en vue de leur transmission.
Des espaces de coopération à l'intérieur du quartier
L'ancrage territorial
Le programme en légitimant les 4 quartiers et les 18 sous quartiers comme "échelle
d'intervention" permet de renforcer les liens sociaux et communautaires à l'échelle de
proximité.
Bien qu'il faille relativiser ici toute identité de quartier, comme tendraient à le
démontrer les conflits entre associations, il est clair qu'une action collective, portée de
l'intérieur permet aux citadins de coopérer, d'échanger ,de s'identifier.
Par le jeu des collectes, des réunions, les réseaux de quartier peuvent se renforcer :
entraide, solidarité de voisinage. De surcroît, la légitimité acquise par le citadin au titre
de la participation financière renforce son sentiment d'appartenance au quartier (voire
que le quartier lui appartient).
Enfin, les investissements individuels réalisés (ou collectifs comme les bornes
fontaines), même s'ils ne concernent qu'un faible nombre de ménages contribuent à
fixer une population qui peut être mobile.
Les effets de réseaux
Les effets les plus lisibles des transformations sociales sont sans doute ceux de
dialogue social ou rapprochement d'acteurs à l'intérieur du quartier :
- discussion entre associations devant aboutir à un cadre de concertation, vivement
souhaité, rapprochement autour de thèmes partagés (environnement, insertion
économique),
- mise en place d'outils communs entre groupements comme le projet de caisse
d'épargne porté par les groupements féminins,
- renforcement de l'assise sociale des comités locaux de gestion (assainissement).
Coopération à l'extérieur : le dialogue avec les pouvoirs publics
Il s'agit là aussi d'un enjeu majeur pour la poursuite du programme. Les actions
réalisées, les savoir faire acquis, la crédibilité renforcée des associations permettent
d'ouvrir un dialogue avec les partenaires publics assez faible au démarrage et
34
aujourd'hui vivement souhaité par les associations elles mêmes, relayée par l'ONG et
les bailleurs de Fonds.
Différents espaces de concertation se mettent en place:
- autour du Comité de suivi du programme (Commune, Service d'Hygiène,
concessionnaire pour l'assainissement et l'eau) en deuxième phase,
- par la création du fonds d'assainissement territorialisé qui devrait etre cogéré
avec la Commune et avec la contribution financière du concessionnaire. Il
constitue un acte fort et symbolique du rapprochement des acteurs à l'échelle
locale, mais aussi de la coproduction et cogestion possibles de services urbains
de base.
Vers une gouvernance de quartier
La perspective d'outils communs et d'un rapprochement entre pouvoirs
locaux et citadins inaugure un changement des modes de gestion urbaine à
une échelle de plus en plus territorialisée.
Ce qui permettra d'apprécier la pérennité des actions mises en place sera
sans doute la capacité des organisations de base et des quartiers à élargir
leur champ d'intervention, non plus à partir de la seule gestion de
proximité mais étendue à tous les secteurs de la gestion urbaine, et en
même temps au plus près des habitants .
Cette double perpective : à la fois élargir la gestion et le dialogue , tout en
les décentralisant, donne tout son sens à la gouvernance de quartiers
définie par de nouveaux rapports entre gouvernant et gouverné dans des
responsabilités délimitées aux différentes échelles (de l'îlot au quartier).
Elle suppose une qualité de relations entre participants (ou leurs
représentants) et les institutions qui doit etre encouragée par les partenaires
clefs.
35
APPUYER RENFORCER LES POLITIQUES
QUARTIERS ET POUR LE DROIT A LA VILLE
DANS
LES
L'apprentissage en temps réel de la gestion urbaine populaire est complexe. On
demande au citadin à la fois de faire la preuve de ses compétences sociales, de ses
capacités à créer, gérer un service, d'en garantir l'accès aux plus démunis, et bien
souvent de créer des ressources financières pour le quartier.
Peu d'initiatives sont durables si, à un moment ou à un autre elles ne sont pas
légitimées ou reconnues par l'institution, le politique. La mobilisation et la
participation des acteurs "du bas" s'effilochent ou s'épuisent bien souvent, si ceux-ci ne
sont pas relayés par des partenaires institutionnels ; s'il n'y a pas une réciprocité
continue de l'engagement, qu'il soit matériel, financier, juridique.
La construction d'un cadre permanent d'encadrement, de partenariat, ou de facilitation
des actions communautaires est d'autant nécessaire, que l'ONG ne peut être toujours
être le seul soutien ou le seul interlocuteur communautaire, et surtout que la
décentralisation ouvre de nouveaux espaces de coopération.
LES ENJEUX DE LA DECENTRALISATION
Au Sénégal et en Afrique de l'Ouest la décentralisation des services et des pouvoirs
publics telle qu'elle est amorcée, devrait permettre de mieux délimiter le rôle des
collectivités quant à la gestion des territoires et de ses ressources, à la correction des
inégalités locales qui devrait profiter aux moins bien administrés.
Cependant, le risque est grand, que la décentralisation demeure aussi un mode de
gestion de la crise plutôt qu'un mode de gestion de la ville, tant la tentation est forte de
réduire la crise de la ville à celle de sa gestion.
Les initiatives de "base" ne doivent pas être abordées sous leur seul aspect
conjoncturel : réparer ou se substituer aux charges et manquements des pouvoirs
publics. Elles peuvent permettre de créer des services urbains qui soient aussi
producteurs de rapports sociaux et "d'urbanité sociale": correction des inégalités,
redistribution des acteurs.
Les montages négociés entre associations de base, ONG et pouvoirs locaux, comme
ceux que l'on voit se dessiner à Yeumbeul, emprûntant tout à la fois aux logiques
institutionnelles qu'aux pratiques spontanées des quartiers préfigurent bien les
contours d'une gestion plus partagée.
SUR LE TERRAIN COMMENT S'EFFECTUE LE PARTENARIAT
La gestion populaire urbaine tire profit d'un agencement plus ou moins favorable
d'acteurs externes (Commune, Etat, bailleurs de fonds...) dont le mode d'appui varie,
selon les cas d'un soutien symbolique à la mise en place effective d'outils, de formules
de partenariats décentralisés.
L'exemple de Yeumbeul démontre qu'existent des volontés, des convergences entre
organisations de base, ONG et pouvoirs publics pour mettre en place des politiques et
des outils communs dans les quartiers périurbains. Des difficultés existent toutefois :
36
pour l'essentiel il s'agit de conflits de légitimité entre ONG (voire "organisations de
base") et Collectivité, autour de "l'intérêt local", mais surtout ces difficultés sont
liées à l'insuffisance de politiques nationales, communales et de moyens pour penser la
continuité des actions.
Entre les ONG et les Communes..
Bien souvent, des relations entre commune et ONG naissent des conflits de légitimité,
l'une (issue de la représentation politique), reprochant à l'autre (l'ONG) de ne pas
l'associer, l'autre reprochant à la commune de ne pas coopérer.
Les communes ont en charge la continuité du fonctionnement de la Ville. Elle sont des
acteurs institutionnels incontournables en raison de leurs prérogatives de gestionnaire
territorial. Mais elle sont la plupart du temps dépourvues de moyens humains,
matériels et de ressources financières. Elles ont à amortir et à absorber les transferts de
charges issus de la décentralisation. Elles sont à cet égard très demandeuses d'appui
technique et de formations, comme l'illustre le cas de la Commune de Pikine..11 .
Nous sommes forcés de reconnaître que les communes se montrent encore
insuffisamment actives dans l'appui aux initiatives communautaires. Soit elles se
contentent d'être attentistes et d'encourager "symboliquement" à distance, (les acteurs
communautaires étant des clientèles politiques), soit elles s'approprient la paternité des
opérations, lorsque celles ci sont reconnues; soit encore, elles se dédouanent de leurs
responsabilités, là où le communautaire permet le rattrapage des insuffisances des
pouvoirs publics.
Peu de communes ont par exemple des politiques d'environnement urbain qui
embrassent des dimensions plurielles (santé, assainissement, eau, économie). Avant
d'être perçus comme des outils de développement urbain, l'assainissement, l'eau, les
dispensaires demeurent surtout des services locaux à gérer.
Les communes constituent rarement des forces de propositions dans les quartiers
périurbains et parviennent rarement à penser des articulations, des stratégies entre
planification/réalisation /gestion, quartiers et territoire municipal. Là où existe une
offre institutionnelle (services préfectoraux, centre de santé, service d'hygiène...), le
rapprochement est peu encouragé avec les organisations de base (comités de salubrité,
de quartier, comités d'eau...) pour mener des actions communes autour de
l'environnement. Ou alors, des difficultés existent pour définir avec les comités de
quartier, les micro-entrepreneurs des responsabilités exactes dans le domaine de la
gestion des ouvrages, pour articuler services municipaux et services communautaires
(collecte des ordures notamment...).
A l'inverse, les exemples existent comme à Yeumbeul, avec la Commune de Pikine et
les deux mairies d'arrondissement et qui montrent qu'une coopération est possible. Elle
permet
11
Dans le cadre du PDSU, ECOPOP délivre des formations aux élus municipaux.
37
- de renforcer la légitimité institutionnelle de la commune dans les quartiers
périurbains quand celle-ci fait la preuve de son soutien aux initiatives
- de renforcer ses compétences, en faisant l'apprentissage de la gestion, aux
contacts de partenaires extérieurs; et de mieux maîtriser les mécanismes de
participation,
- de crédibiliser en retour les acteurs communautaires qui ont besoin, à un moment
où à un autre d'être légitimés,
- de faire l'apprentissage de l'intercommunalité.
Avec les Concessionnaires, et les services publics
Qu'il s'agisse de la distribution en eau, de l'assainissement, collecte des déchets
urbains, ils sont aussi très dépendants structurellement des moyens et des politiques
publics, en premier lieu ceux de l'Etat. Ils interviennent rarement dans les quartiers
périurbains ou irréguliers, et en connaissent donc mal les acteurs de base et les ONG.
A l'inverse, l'émergence du communautaire et de cadres de gestion de plus en plus
territorialisés offre des opportunités pour étendre leurs interventions, diversifier leurs
savoir-faires.
A Yeumbeul, les bonnes relations entre ONG (et à fortiori associations) et
concessionnaires des services publics laissent entrevoir de nouveaux modes de gestion
qui sont aussi de nouvelles formes de rapports entre citadins et pouvoirs et publics.
La coopération avec les exploitants d'eau et assainissement (SDE/SONEES) devrait
déboucher sur un partenariat financier et un suivi des opérations par le biais du comité
de suivi). L'acte de coopération est ici symbolique : le concessionnaire mais aussi la
Commune en légitimant le quartier comme territoire pertinent de gestion légitime aussi
le citadin qui acquiert des droits et des devoirs.
Au delà, le partenariat devrait permettre des arrangements ou des négociations (coût
des ouvrages, critères d'implantation, actions sanitaires..). Elles vont dans le sens d'une
meilleure accessibilité des quartiers périurbains aux services de base .
Au niveau des ONG
Elles sont l'interlocuteur central et privilégié des associations de base. Elles ont un rôle
d'aiguillon auprès des bailleurs de fonds, mais leur position d'intermédiaire entre
"haut" et "bas, public et communautaire, local et général n'est pas toujours clarifiée.
Les stratégies des organismes d'encadrement, que l'on ne peut détailler ici
conditionnent évidemment la conduite et la réception d'une démarche. S'agit-il d'aider
des structures ou des acteurs individuels ? S'agit-il d'encadrer fortement, maximaliser
les aides extérieures ou accompagner une démarche dite de self reliance ? Faut-il
s'appuyer sur les leaders, les plus réceptifs, ou les plus reconnus... ?
A Yeumbeul, ENDA ECOPOP intervient avant tout comme relais au dialogue social,
dans un contexte ou existe une culture récente mais forte de la participation. Il s'agit
moins d'impulser que de relayer l'émergence de mouvements populaires et répondre
aux très nombreuses demandes d'appui.
38
Il n'en demeure pas moins que les taches de l'ONG sont nombreuses car elle privilégie
un double appui aux quartiers et aux groupes :
- l'aide matérielle aux groupements économiques porteurs de projets (étude sur la
viabilité des projets, aide administrative..),
- l'appui logistique pédagogique aux associations de quartiers, et à la mise en
relations d'acteurs,
- l'appui à la maîtrise d'ouvrage ou maîtrise d’oeuvre (bornes, assainissement).
Les demandes des groupements voire individuelles doivent être articulées avec celles
de quartier pour que soient respectés les objectifs initiaux, pour que n'existe pas de
discrimination ou filtrage de la demande "de base" au profit de groupes mieux
organisés représentant des intérêts catégoriels.
Dans tous les cas c'est l'autonomie progressive des populations qui est en jeu. Il est
souvent plus facile de renforcer des réflexes assistanciels que des comportements
véritablement émancipés. Toute politique d'appui aux quartiers et de "réduction" de la
pauvreté doit s'appuyer sur une connaissance fine de quartiers, ses noeuds de pouvoirs
et d'intérêts pour définir des objectifs clairs : quels types de populations ? Pour faire
quoi avec eux ?
DES PISTES POUR L'ACTION
La mise en place de politiques ou d'outils par une meilleure accessibilité aux services
urbains dans les quartiers suppose tout à la fois de renforcer le juridique,
l'économique, le social, l'autorité institutionnelle autour des initiatives .
Il ne saurait être question de définir un idéal type de la participation ou de la
"gouvernance", les réponses étant rarement transposables d'un quartier à un autre.
Mais on peut évoquer quelques "leviers" pour des participation plus citoyennes et
mieux administrées.
Renforcer les conditions d'une meilleure participation
La participation est avant tout un courant pragmatique qui "traverse" la ville et dont
chacun s'accorde à reconnaître la créativité
Valoriser et mieux encadrer les énergies sociales, revient à identifier les acteurs clefs,
individuels (femmes en premier lieu) mais aussi leaders traditionnels (aînés, chefs
religieux, sages, chefs de quartier) qui contribuent pour beaucoup à la mobilisation,
l'information la médiation dans les quartiers..
La mobilisation des habitants au sein d'espaces de représentation plus équitables
repose aussi sur une ingénierie démocratique pour :
-identifier les difficultés conflits, logiques d'intérêt qui pénalisent en premier lieu
les plus démunis, et s'appuyer sur des acteurs de régulation notamment les
instances traditionnelles (sages chefs de quartier,..)
- créer d'avantage de lieux d'information, de réunions et plus proches de l'habitant,
39
- consolider les bases sociales des groupements pour qu'ils identifient mieux les
population par niveau social et aient des bases d'adhésion élargies,
- s'appuyer sur des organisations qui aient un ancrage territorial et soient
porteuses d'un projet d'intérêt général,
- se donner d'avantage de moyens de connaissance des quartiers, des pratiques
citadines, de la demande sociale et ses lieux d'expression.
Au stade de la mise en œuvre d'actions, si la contribution financière de l'habitant a des
effets positifs, des efforts sont à accomplir pour qu'elle soit mieux utilisée et ait plus de
retombées :
- outils de solidarité pour les plus défavorisés, mobilisations de réseaux
économiques pour les investissements,
- définition de priorités pour les équipements, pédagogie autour des projets...
De même l'habitant doit etre mieux associé au processus de décision et de gestion,
pour que les résultats soient plus performants sur les plan économique et social.
Pour exemple, les responsabilités peuvent être mieux partagées et définis au sein des
organisations de quartier qui gèrent des services, qui décident des choix stratégiques
ou d'investissements, pour que les décisions engageant le quartier ne soient pas celles
de quelques individus.
Les structures doivent être encadrées, en vue d'une plus grande transparence et d'un
meilleur respect de l'intérêt général, leurs capacités en management gagneraient à être
renforcées. Leur légitimation par l'interne (parrainage par les instances traditionnelles)
et par l'externe (techniciens, élus, bailleurs de fonds) est une étape importante.
Mais surtout, les performances sociales économiques des dispositifs de gestion urbaine
populaire passe par une responsabilisation et une association effective du citadin
(qui est aussi usager) autour des aspects sanitaires, d'hygiène, d'environnement,
d'entretien des ouvrages :
- consultation de l'habitant à toutes les séquences,
- modes d'animation, sensibilisation adaptés et ciblés par catégories de populations
selon ses rythmes sociaux , intégrant ses habitudes culturelles,
- des budgets et des moyens systématisés (avec l'aide de l'ONG et des bailleurs de
fonds) pour l'animation sanitaire et la sensibilisation à l'environnement.
- rapprochement pour la responsabilisation avec les structures communautaires
déjà présentes à l'échelle de proximité (tontines, comité de santé, comités d'eau..)
et collaboration avec les structures publiques...
Instaurer une présence de la Commune et de l'Etat dans les quartiers périurbains
aux cotés des citadins
Si l'on admet que le communautaire ne peut pas tout régler, beaucoup reste à faire pour
asseoir des modes de gestion partagée entre gouvernant / gouvernés : insuffisance de
moyens, de cadres institutionnels, de ressources humaines aux différentes échelles (y
compris celle des ONG), difficulté des acteurs à coopérer les uns avec les autres,
méfiance forte dans les quartiers périurbains envers la représentation politique, celle-ci
étant le plus souvent accusée de clientélisme.
40
Les Communes pour avoir une légitimité institutionnelle et un rôle d'arbitrage fort, des
prérogatives évidentes doivent être fortement encouragées à intervenir dans les
quartiers négligés et à ces nouvelles échelles de gestion de plus en plus décentralisées.
Instaurer une présence de la commune ou de l'Etat déconcentré dans les quartiers
les moins bien administrés, donc les plus pauvres doit permettre de créer un effet
d'appel pour les associations, les Ong, les citadins. Celui ci passe de plus en plus par
le copartage de territoires d'action et de gestion entre organisations de base et
services communaux, entre légitimité populaire et politique.
Le renforcement d'un système d’acteurs doit permettre de dynamiser des processus
d’action et non seulement renforcer des territoires de compétences. Les interfaces
entre territoires communautaires et territoires municipaux gagneraient à être mieux
définis :
- par des liens officiels et contractuels entre ONG, associations et Commune aux
différentes séquences : animation, gestion, réalisation,..
- des contractualisations financières et juridiques pour des responsabilités en
matière d'équipements (propriété, convention de gestion, maintenance..).
Les communes ont également à mettre en place des cadres juridiques (règlement
d'assainissement, appui des activités économiques dans les quartiers, législation et
politiques d'environnement...).
Ces nouvelles échelles de gestion appellent dans bien des cas une nouvelle culture
professionnelle et technique : métiers et compétences plus tournés vers les quartiers,
pour la mise en place de politiques intégrées et décentralisées, que les bailleurs de
fonds doivent pouvoir appuyer. C'est dores et déjà le cas du programme MOST qui
appuie des formation aux nouveaux métiers de la Ville en Afrique de l'Ouest.
Ce qui est vrai pour la Commune l'est aussi pour les Services publics (Santé, emploi,
éducation..) et parapublics (les concessionnaires d'eau, assainissement) voire les
opérateurs privés auxquels les communes délèguent la gestion urbaine. Ils ont à se
rapprocher des acteurs communautaires : mettre en commun des compétences
professionnelles et techniques, définir des actions communes (notamment dans la
santé, l'hygiène, l'alphabétisation).
La démocratisation-décentralisation n'est pas le prétexte qui permettrait aux appareils
d'état de se dégager de leur fonction de régulation sociale et institutionnelle. Il
revient à l'Etat avec l'aide des bailleurs de fonds de suivre au plan local le transfert des
charges aux collectivités, d'organiser la gouvernance (c'est à dire encadrer sur les plans
juridique, institutionnel, les actions de quartier). En outre, l'Etat dépositaire de l'intérêt
collectif a évidemment un rôle important dans l'impulsion de politiques intégrées,
mieux cordonnées en faveur de l'environnement et de la réduction de la pauvreté.
Enfin, il appartient aux ONG et aux bailleurs de fonds de renforcer des moyens
d'action et de connaissance qui aillent dans le sens d'une meilleure qualité de
relations entre gouvernants et gouvernés et d'une accessibilité des plus pauvres aux
services urbains :
41
- renforcement des ressources humaines, articulation des différents partenaires,
là où ils interviennent et à l'interface de différentes responsabilités,
- légitimation des acteurs, des dispositifs par les bailleurs de fonds; comme c'est
le cas à Yeumbeul où le représentant du Bureau Régional de l'Unesco est membre
du comité de suivi du programme mené sur les quartiers.
L'exigence d'une meilleure prise en compte du "droit à la ville" passe par une approche
fine et contextuelle des quartiers pour pouvoir apprécier la diversité des situations
citadines : analyses sociologiques, anthropologiques, notamment autour des
comportements sanitaires, mis en place d'outils d'évaluation dynamiques et moins
uniformisants, qui enrichissent la connaissance des Bailleurs de fonds et des ONG.
Ceux ci ont aussi à intégrer la temporalité des projets. L'espace temps de l'habitant
n'est pas celui de l'institution. Les cycles institutionnels définis au Nord selon des
contraintes programmatiques (un à trois ans) ne correspondent pas toujours au cycle
sociologique des projets au Sud. L'apprentissage de la gestion urbaine populaire
urbaine passe, là ou n'existe pas de culture de la participation et de la démocratie par
un temps de maturation., expérimentation.
42
EN CONCLUSION, POURSUIVRE LE CHANTIER DE
COOPERATION : LES ENJEUX POUR LE PROGRAMME
"VILLES" DE L'UNESCO
On le voit, l'appui qu'apporte le programme aux dynamiques de quartiers dépasse la
seule logique de résultat : équiper les quartiers ou contribuer fut ce modestement à
réduire la pauvreté urbaine.
Si l'expérience de Yeumbeul apparaît comme porteuse et productrice de sens pour la
recherche en sciences sociales et pour l'action, c'est parce que les pratiques des citadins
autour de l'environnement sont des espaces privilégiés d'observation des
transformations sociales.
Les enjeux de citoyenneté sociale urbaine autour de l'environnement
L'accès aux services de base (eau, assainissement, pour l'essentiel) sont en
effet des clefs d'entrée à la participation urbaine, parce qu'ils représentent
des enjeux concrets importants pour les citadins.
Nombreux et significatifs sont les exemples qui témoignent des enjeux
spécifiques autour de ces services de base.
p La mobilisation urbaine dans les quartiers part presque toujours de
demandes d'infrastructures (eau, assainissement). L'eau notamment est un
besoin incontournable, vital qui accélère la mobilisation des citadins, amène
à coup sur une adhésion générale , car elle débouche sur des résultats
visibles, immédiats.
p De façon moins visible, l'eau, l'entretien de l'espace domestique
renvoient aux représentations symboliques religieuses et anthropologiques
(autour de la pureté, notamment).
p La mobilisation autour des infrastructures primaires qui débouche sur
des réalisations communautaires est une forme d'expression et de
revendication populaires ou politiques, sinon une tactique pour signifier aux
pouvoirs publics leurs manquements les plus graves. Elle sanctionne donc
les relations ou les non relations entre citoyens et les pouvoirs locaux dans
les quartiers.
p Mais surtout la construction ou l'amélioration des infrastructures de
base permet d'accéder directement à une citoyenneté urbaine, foncière,
minimale.
L'équipement des quartiers, non ou mal administrés, en assainissement, réseaux
primaires, eau leur permet d'acquérir un statut spatial minimal (par la régularisation
foncière notamment ). Il leur permet de sortir de leur statut informel, et d'être reconnus
de fait comme territoire urbain économique et productif.
Les exemples seraient nombreux pour montrer le lien entre équipements,
reconnaissance foncière ou spatiale, et citoyenneté minimale. La sécurisation des
habitants mieux desservis, mieux équipés débouche sur la formulation d'enjeux de
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quartier, donc l'apprentissage d'un processus collectif de gestion urbaine, que l'on a
suffisamment évoqué.
Quelle production de sens pour le programme "Ville" ?
Les initiatives en matière d'environnement urbain, pour des conditions minimales
d'habitabilité apparaissent bien comme le moyen d'activer à l'échelle de proximité un
processus de transformations politiques et sociales. Ces pratiques citadines sont
généralement mise en oeuvre à une échelle micrologique et interstitielle : celle des
quartiers périurbains.
La portée n'en n'est pas moins importante pour la compréhension des mécanismes de
production de la Ville au Sud, et pour le programme MOST : saisir "en creux " à
travers ces comportements civiques, les redistributions d'acteurs et le passage d'une
modernisation à une modernité de la gestion urbaine et donc de la Ville.
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L'auteur
Sylvaine BULLE
Sociologue et urbaniste, elle travaille depuis plusieurs années sur les questions
urbaines , et a participé à de nombreux projets urbains, travaux interdisciplinaires sur
les villes en banlieue parisienne notamment.
Elles s'intéresse également aux modes de production de la Ville dans les pays du Sud
(Maghreb, Afrique et Proche-Orient). En tant que consultante elle collabore avec des
ONG à des analyses sur les initiatives citadines et les politiques d'environnement
urbain.
En tant que chercheur et auteur, elle conduit des travaux de recherche sur les territoires
et espaces illégitimes et en crise au Proche Orient (Israël, Palestine, Jordanie) en
collaboration avec les universités israélienne et palestinienne.
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