in Ichthus 1981/3
L'ENDURCISSEMENT DU COEUR DU PHARAON
ou
“ Pharaon, victime de l'arbitraire divin ? ”
par Frank HORTON
Dans l'approche des mystères, il faut éviter deux écueils : aussi bien la présomption ou suffisance
de ceux qui croient tout expliquer, que la timidité presque superstitieuse de ceux qui s'éloignent
craintivement du sujet et ne cherchant même plus à comprendre les choses que Dieu a dites pour
notre instruction et réflexion. Ainsi de l'énigme redoutable des causalités de l'endurcissement. Avec
audace et prudence à la fois, Frank HORTON s'attache aux expressions exactes de l'écriture dans
le cas du Pharaon de l'Exode. Il montre comment Dieu “endurcit ceux qui s'endurcissent
eux-mêmes” et comment ceux qui s'endurcissent ne le font pas sans son préalable décret: justice et
souveraineté.
Lire les chapitres 4 à 14 du livre de l'Exode
L'énoncé du problème
La déclaration a de quoi scandaliser le lecteur sensible! Après lui avoir adressé sa vocation au
buisson ardent, Dieu donne un dernier message à Moïse :
en partant pour retourner en Egypte, vois tous les prodiges que je mets en ta main: tu les
feras devant Pharaon. Et moi, J'endurcirai son coeur, et il ne laissera point aller le peuple
(4 : 21).
Simple constatation de la part de Dieu qui, grâce à sa prescience, sait déjà comment Pharaon
réagira en toute liberté ? Ou engagement d'imposer à Pharaon un comportement prédéterminé ? Une
paraphrase récente réunit ces deux idées, ou plutôt appuie la première :
Je le laisserai libre d'accepter ou de refuser d'écouter ma voix et de collaborer à mon plan
de salut pour Israël ; mais sa liberté ne pourra pas m'empêcher de me servir de son endurcissement
même pour faire éclater ma puissance ”.
1
Vérité qui ressort de l'ensemble du récit, certes - nous anticipons - mais qui n'est pas évidente
à la lecture de ce seul verset.
Voire, Dieu se livre à la surenchère ! Avant la huitième plaie, il dit à Moïse :
“ Va vers Pharaon, car j'ai endurci son coeur et le coeur de ses serviteurs, pour faire éclater
mes signes au milieu d'eux ” (10 : 1).
Et encore, après le départ d'Israël de Gosen :
J'endurcirai le coeur de Pharaon, et il les poursuivra ; mais Pharaon et toute son armée
serviront à faire éclater ma gloire, et les Egyptiens sauront que je suis Yahvé ” (14:3, 17-18).
1
Claire-Lise de Benoit, L'Exode, Ligue pour la lecture de la Bible, 1980, p. 34.
Avons-nous donc affaire à un Dieu tyrannique, à ce “ bourreau sanguinaire de l'Ancien
Testament ” (selon la boutade d'un théologien des années trente), dont la souveraineté de décision et
d'action fera de Pharaon un pantin ? Pour une génération préoccupée par les droits de l'homme, cette
question est très actuelle et la tentation d'accuser Dieu plus forte que jamais.
Point de départ biblique
Soyons au clair, d'abord, sur nos a priori de chrétiens évangéliques qui concernent, dans le
cas particulier, le caractère de Dieu, et qui sont inspirés par le témoignage de l'ensemble de
l'Ecriture sainte.
Nous croyons, d'abord, à la perfection de Dieu, selon laquelle il possède tous les attributs
sans limitation ni défaut, dans une harmonie et un équilibre complets. Ainsi, disons-nous, sa sainteté
est parfaite en ce qu'elle est qualitativement libre de toute limitation et de tout défaut. Il en va de
même de sa connaissance, sa sagesse, sa justice, son amour, sa grâce et sa patience.
Ensuite, nous maintenons que l'Ecriture sainte insiste sur la souveraineté de Dieu. Par sa
seule volonté, toutes choses ont été créées, par cette volonté elles subsistent, elles lui appartiennent
et servent à l'accomplissement des desseins qu'il a lui-rnême - et lui seul - déterminés. Il règne dans
le sens le plus absolu du mot : tout dépend de lui et tout lui est - ou lui sera - subordonné.
Enfin, nous déclarons que la volonde Dieu est bonne, agréable et parfaite. Dans l'épître aux
Ephésiens, Paul met en relief divers aspects de cette volonté divine, parfaite et souveraine, en
utilisant quatre mots différents :
thelêma : Dieu possède une capacité d'auto-détermination absolue, libre de toute influence
extérieure ;
eudokia : les desseins de Dieu sont bienveillants et mettent en honneur ses perfections :
justice, sainteté, amour et grâce ;
prothesis : loin d'être des décisions de dernière heure, les résolutions de Dieu, prises avant le
temps, sont définitives et sûres ;
boulè : le dessein d'ensemble de Dieu n'est ni incohérent, ni inconséquent, mais orienté dans
un sens bien déterminé et conforme aux perfections divines.
Après avoir assuré nos arrières, nous serons délivrés de la tentation blasphématoire de mettre
Dieu au banc des accusés ou - ce qui serait aussi perfide - de nous ériger en juges au-dessus de sa
Parole. Nous préférerons mettre la main sur la bouche, reconnaître nos limitations et chercher
humblement à comprendre un peu mieux les mystères de ses voies. Nous croirons, sans avoir tout
compris, qu'en endurcissant le coeur de Pharaon, Dieu a agi dans une fidélité absolue par rapport à
lui-même, et qu'il n'a trahi la perfection d'aucun de ses attributs. Bref, qu'il a fait éclater sa gloire de
Yahvé.
Examen des textes
L'obstination de Pharaon s'était manifestée longtemps avant l'altercation avec Moïse (chap. 5
et ss.). Le roi égyptien avait déjà endurci son coeur en soumettant les enfants d'Israël à une dure
servitude et en refusant d'entendre leurs gémissements (chap. 1 et 2). Le juste jugement contre
Pharaon, annoncé à Moïse, prépare l'homme de Dieu pour un combat qui sera long et dur, et il
l'arme contre le découragement.
Dieu ne cache pas, non plus, le but visé par les jugements. Pour l'Egypte Les Egyptiens
connaîtront que je suis Yahvé (7 : 5 ; 14 : 4, 18).
Pour Israël,
C'est aussi pour que tu racontes à ton fils et au fils de ton fils comment j'ai traité les
Egyptiens, et quels signes j'ai fait éclater au milieu d'eux. Et vous saurez que je suis Yahvé (10 :
2).
Le dessein de Dieu est donc de se révéler aux uns et aux autres sous le nom de Yahvé (cp. 3 :
14 ss), c'est-à-dire Celui qui était, qui est et qui sera, sans début ni fin, unique, universel, immuable,
et qui, usant de ses droits, intervient dans les affaires des hommes pour être le Rédempteur des uns
et le Juge des autres. En Egypte comme ailleurs...
Le verbe “endurcir” d'ailleurs traduit trois termes hébraïques
1) Je rendrai son coeur ferme (4 : 21) pour que son attitude envers Israël ne change pas ;
2) “ Je rendrai son coeur dur ” (7 : 3), ou dépourvu de sentiment ;
3) “ J'ai rendu son coeur lourd ” (10: 1), c'est-à-dire insensible aux influences divines.
Ces trois termes expriment une progression dynamique dans l'endurcissement du coeur de
Pharaon. Mais nous sommes loin d'avoir épuisé les textes ! A trois reprises, Pharaon endurcit son
coeur (8 : 11, 28 ; 9 : 34), et six fois, son coeur s'endurcit sans que la raison soit précisée, mais où le
contexte laisse clairement entendre qu'il en porte la responsabilité (7 : 13, 14, 22 ; 8 : 15 ; 9 : 7, 35).
Enfin, comme nous l'avons déjà vu, Dieu annonce son jugement; de plus, il endurcit cinq fois le
coeur de Pharaon (9 : 12 ; 10 : 20, 27 ; 11 : 10 ; 14 : 8). Dans l'ordre des formules, c'est
“l'auto-endurcissement” de Pharaon qui a la priorité, notamment en rapport avec les cinq premiers
jugements. La première intervention effective de Dieu, pour “rendre ferme” le coeur de Pharaon, ne
se manifeste qu'après la sixième plaie (9 : 12). Pharaon continue de pécher à la suite du septième
miracle (9 : 34, 35), puis Dieu prend la relève... Il entérine en la confirmant, la décision maintes fois
réitérée de Pharaon; il endurcit ceux qui s'endurcissent eux-mêmes !
Théodoret, au 5e siècle, l'avait bien compris :
Le soleil, par la force de sa chaleur, fait fondre la cire et sécher l'argile, ramollissant l'une
et durcissant l'autre ; et comme la même puissance produit des effets opposés, ainsi, au travers de
la longanimité de Dieu qui atteint tout /a monde, certains reçoivent le bien, et d'autres le mal,
certains sont adoucis et d'autres endurcis ”.
2
Car Dieu avait fait preuve de longanimité ! Tout au long de son face-à-face avec Pharaon, il
lui avait tendu la perche, multipliant signes, annonces, menaces, avertissements et appels,
promesses même. L'homme reste sans excuse, après tant d'occasions de se repentir.
Quelques citations et réflexions en vrac
Pharaon fait preuve d'obstination ; il a une volonté de fer qui le rend incapable de modifier
ses habitudes de pensée et de s'adapter à des idées nouvelles. L'expression biblique coeur
endurci” se rapporte moins aux sentiments qu'à l'entendement, à la volonté, à l'intelligence et à la
réponse ”.
3
Cet endurcissement est un fruit du péché, une conséquence de la volonté égocentrique, de la
pensée hautaine et de l'orgueil qui découle du péché ; (il est) l'abus continu et grandissant de la
2
Théodoret, quaest. 12 in Ex.
3
Alan Cole, Exodus, Introduction and Commentary, Inter-Varsity, 1977, p. 77.
liberté de la volonté innée à l'homme, et qui l'entraîne dans une résistance obstinée à la parole et
au châtiment de Dieu, même jusqu'à la mort ”.
4
“ Dieu fournit aux méchants l'occasion de mettre en lumière les mauvais penchants, les désirs
et les pensées qui sont dans leur coeur ; ensuite, conformément à une loi invariable du
gouvernement moral du monde, il rend le retour du pécheur impénitent de plus en plus difficile à
cause de sa résistance têtue ; enfin, il rend ce retour tout-à-fait impossible ”.
5
L'histoire de la résistance de Pharaon n'est rien d'autre qu'un exemple frappant du phénomène
de l'incrédulité, disséquée avec tant de soin par l'apôtre Jean dans le quatrième évangile. Parlant du
Christ, Jean dit que la lumière est venue dans le monde, et que les hommes, préférant les ténèbres à
la lumière, attirent sur eux-mêmes le juste jugement de Dieu (Jn. 3 : 18-20). Il constate, avec un
étonnement attristé, que malgré tous les miracles que Jésus avait faits en leur présence, ses
contemporains ne croyaient pas en lui (Jn. 12 : 37). Aujourd'hui encore, Pharaon a de nombreux
frères...
Laissons la conclusion à l'apôtre Paul
Paul n'est pas plus troublé par l'idée d'un quelconque arbitraire de la part de Dieu que ne l'est
l'auteur de l'Exode. Qu'il s'agisse de la vocation adressée à Moïse ou du dessein auquel Pharaon doit
servir (Rm. 9 : 14-18), Paul voit un tout tiennent harmonieusement ensemble la volonté
inscrutable de Dieu, sa toute-puissance, sa justice absolue et... sa façon miséricordieuse de traiter les
hommes. Qu'il soit la cause première de tout (Rm. 9), cela n'enlève rien à la réelle responsabilité
morale des personnes concernées (Rm. 10).
Dieu ne doit rien à personne, sa souveraineté reste absolue ; il peut disposer des hommes
comme il veut, il garde le droit de dispenser ou de retenir la miséricorde selon son bon plaisir. Le
choix divin n'est pas motivé par le mérite humain. Lorsque Moïse prie Dieu de lui révéler sa gloire,
il apprend que l'exaucement de sa prière dépend uniquement de la miséricorde divine, et nullement
des services rendus (Ex. 33 : 18-23 ; Rm. 9 : 15). Le même principe s'applique lorsque Dieu retient
sa miséricorde dans le cas de Pharaon.
Mais il ne faut en aucun cas voir dans l'exercice de cette souveraineté un déterminisme rigide
et inexorable ! Ce serait attribuer à Dieu une cruauté monstrueuse, ce serait faire de lui l'auteur du
péché ; ce serait contredire d'autres déclarations de l'Ecriture (I Tim. 2 : 4 ; Ja. 1 : 13 ; 2 Pi.3 : 9); ce
serait fermer les yeux sur toutes les perches tendues à Pharaon par un Dieu patient et compatissant,
comme nous l'avons déjà vu.
Enfin, l'image du potier et de l'argile évoquée par Paul (Rm. 9: 19 ss) rappelle des textes de
Jérémie (18 : 1-10) et d'Esaïe (29 : 16 ; 45 : 9 ; 64 : 7), textes éloquents dans leur présentation d'un
Potier bienveillant ! On y voit Dieu en train de supporter la désobéissance volontaire et persistante
de l'homme, afin de faire de lui ce qu'il peut de meilleur, d'en forger un serviteur obéissant - au
besoin par le châtiment - et tout cela dans une fidélité totale aux exigences de la justice et de la
grâce divines.
Oh, si vous pouviez écouter aujourd'hui sa voix ! N'endurcissez pas votre coeur (Ps. 95 :
7-8).
FIN
4
Keil & Delitzsch, Biblical Commentary on the Old Testament, Eerdmans, 1951, Vol. 1, p. 455.
5
ibid. p. 456.
in Ichthus 1977/71
Souveraineté de Dieu
et décision humaine
par Henri BLOCHER
“ Avec crainte et tremblement mettez en oeuvre votre salut, car c'est Dieu qui fait
en vous et le vouloir et le faire selon son dessein bienveillant. ”
(Philippiens 2, 12b 13 - TOB)
Qui vient s'immiscer dans un débat millénaire ne doit pas rêver qu'il produira beaucoup
d'inédit : ce qui est bon est rarement neuf ; ce qui est neuf est rarement bon. Il faut se méfier surtout
des solutions “miracles”, faussement supérieures, qui prétendent réconcilier tout le monde, ou
renvoyer tous les adversaires dos à dos.
Sur la souveraineté de Dieu et la décision humaine, nous pourrions donc reprendre les
plaidoyers, toujours valides, des théologiens d'autrefois. Deux tendances doctrinales s'affrontent
depuis longtemps - il y a le côté d'Augustin, de Luther, de Calvin, de César Malan, de Spurgeon ; il
y a de l'autre côté, celui de Pélage, de Melanchthon, d'Arminius, de Wesley, de Finney. Les
arguments échangés n'ont pas perdu leur pertinence.
Je ne les passerai pourtant pas en revue, comme j'aurais pu le faire : pour mieux concentrer
notre étude sur la théologie de l'évangélisation ; pour mieux marquer que nous travaillons en 1977
et non en 1677, ou 1577, avec, l'obligation de nous intéresser aux théologiens du xxe siècle.
6
Annonçons, d'entrée, la couleur ! Voici notre thèse : L'affirmation sans réserve de la
souveraineté de Dieu dans la conversion de l'homme, loin d'exclure, implique et fonde l'appel
à la décision, en lui permettant de garder son caractère biblique. Il suffit d'ajouter deux
précisions sur le langage : “ dans la conversion ” n'est pas exclusif, mais désigne le moment du salut
pour lequel le débat est le plus vif ; “ conversion ” est à prendre au sens large.
1. Les contradicteurs de la thèse
S'opposent à notre thèse, “traditionnellement”, les hyper-calvinistes qui affirment la
souveraineté de Dieu mais refusent d'appeler à la décision (repentance, foi) tous les pécheurs, et les
arminiens qui insistent sur la décision et limitent la souveraineté.
Au XXe siècle, mutatis mutandis (la mutatio principale, c'est que la doctrine orthodoxe
de l'Ecriture n'est plus respectée), on peut classer Karl Barth du côté des premiers - parce que la
décision pour lui n'est plus le moyen d'obtenir la justification - et les théologiens existentialistes de
l'autre. On se rappelle le savoureux témoignage de Billy Graham, lors d'une pastorale à Paris : il
avait rendu visite successivement à Karl Barth et à Emil Brunner. Le premier lui avait dit, à peu
près : “ J'apprécie bien des choses dans votre prédication, et je voudrais vous encourager; mais il y a
quand même une insistance qui me gêne, votre insistance sur la décision de l'homme ”. Et Brunner,
l'existentialiste modéré, comme on pouvait prévoir : Ah ! théologiquement, je ne suis pas toujours
d'accord avec vous ; mais il y a une chose qui me plaît, c'est votre appel à la décision, c'est bien
qu'il faut mettre l'accent.”
6
comme échantillon du traitement classique, le petit ouvrage de J.I. Packer, L'évangélisation et la souveraineté de
Dieu (Bannière de la Vérité), remporte la palme de l'irénisme et de la clarté.
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