GASSENDI [1592-1655]
Recherches métaphysiques (1644)
Je pense, dites-vous ; mais que pensez-vous ? car enfin toute pensée est pensée de quelque chose. Est-ce le
Ciel ? La Terre ? on n’importe quoi d’autre ? ou vous-même ? Vous avez désormais considéré tout cela comme
faux et n’avez pas changé d’avis : il en résulte que ce que vous pensez, quoi que ce soit, vous le pensez
faussement, et que par conséquent votre pensée est fausse. Donc aussi toutes les pensées que vous en ferez sortir
par voie de conséquence seront fausses. Vous dites, encore une fois : Je pense. Mais quand vous dites Je, vous
connaissez-vous, on non ? Vous vous connaissez, cela est hors de doute, car autrement vous ne vous nommeriez
pas. Mais connaissez-vous le fait que vous existez, on non ? Si oui, vous avez donc un préjugé, ce qui est opposé
à votre supposition ; si non, vous ne savez donc pas non plus que vous agissez, car I’action, dit-on, suppose
l’être. Et par suite vous ne savez pas davantage que vous pensez, puisque penser c’est agir ; donc, quand vous
dites je pense, vous ne savez ce que vous dites, et tout ce qu’à partir de là vous connaîtrez et déduirez s’appuiera
finalement sur un principe absolument inconnu. Outre cela, quand vous dites Je pense, vous énoncez sur vous--
même quelque chose, et cela vaut pour le présent ; c’est donc la même chose que si vous disiez je suis pensant,
vous tenez bien la fonction du sujet, et la pensée celle d’attribut. Or, vous ne pouvez dire que vous êtes en train
de penser sans dire que Vous êtes : c’est ce que disent les Dialecticiens
quand ils enseignent que (ce) verbe
donne une indication sur le temps, que c’est le fait d’exister maintenant, la présence actuelle. Donc lorsque vous
dites Je pense, vous dites Je suis ; et alors, en disant sous forme de conséquence : donc je suis, vous n’ajoutez
rien de plus que ce que vous avez présupposé ; ainsi vous prouvez le même par le même.
Pierre GASSENDI, Recherches métaphysiques, Vrin, trad. Rochot, 1962.
. Il s’agit des logiciens.