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Année 2012 - Numéro 04
04
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hei/hep
Géopolitique et Diplomatie
cesip
Centre de Recherche de l’école des hautes études internationales et politiques
2
Sommaire
L’éditorial de Jacques Soppelsa
p. 5
REPENSER LE COSMOPOLITISME
EN MÉDITERRANÉE (XIXe - XXe SIÈCLES)
Marie-Carmen Smyrnelis
p. 6
TROIS TRAJECTOIRES DE SÉCESSION
DANS LA CORNE DE L’AFRIQUE :
LE SOMALILAND, L’ERYTHRÉE, LE SOUDAN DU SUD
Sonia Le Gouriellec
p. 13
L’INDUSTRIE DE L’ARMEMENT ENTRE LOGIQUE ENTREPRENEURIALE ET INSTRUMENT POLITIQUE
Arnaud Borremans
p. 21
.
LIBÉRAUX ET CONSERVATEURS SUR LA SCÈNE POLITIQUE
POLONAISE : Retour sur les élections législatives
anticipées de 2007
Sophie Vercruysse
p. 34
3
4
L’éditorial de
Jacques Soppelsa
P
armi les principales initiatives que les nouveaux responsables de l’Institut des
Hautes Etudes Internationales et Politiques souhaitaient concrétiser, il y a désormais
trois ans, figurait aux tous premiers rangs le souci de publier une revue semestrielle
destinée à faire connaître les travaux de recherche de nos enseignants et de nos
étudiants.
Nul ne l’ignore désormais, à l’heure de la mondialisation, de l’accélération des
échanges et de l’harmonisation des diplômes, à une époque où la « compétition », au
sens le plus positif du terme, s’amplifie entre les institutions d’enseignement supérieur,
la production et l’édition de ces travaux de recherche sont de plus en plus fondamentales, voire incontournables.
Ce quatrième cahier, (de facto, le vingtième, si l’on se souvient du baptême de son
« grand frère », né du côté du Boulevard Murat dès 2004 !), correspond explicitement
à ces objectifs majeurs.
Figurent en effet au sommaire (très diversifié) dudit numéro :
- deux contributions d’enseignants-chercheurs, celles de nos collègues Marie Carmen
Smyrnelis et Sonia Le Gouriellec.
La première est consacrée à l’optimisation du cosmopolitisme méditerranéen à l’aube
du dernier siècle, et il est sans doute inutile d’insister sur l’exceptionnelle actualité de
cette approche, sur les rives de Mare Nostrum.
La seconde, de manière tout aussi pertinente, analyse sous le prisme de la Géopolitique stricto sensu, trois exemples concrets de sécessions contemporaines dans la
Corne de l’Afrique, milieu ô combien « privilégié », si l’on peut employer semblable
terme, en matière de tensions et de conflits, points chauds du globe chers à Mc Kinder et
Spykman.
- Ce quatrième Cahier publie aussi des contributions rédigées par deux des meilleurs
étudiants de notre institution :
Arnaud Borremans nous présente ainsi une étude fine et actualisée des acteurs des
industries de l’armement en France, un des secteurs les plus dynamiques… ou les
moins perturbés, (en cette dure période de crise) -selon que l’on soit optimiste ou
pessimistes !- de notre économie nationale.
- Sophie Vercruysse, excellente élève de notre collègue Fouad Nohra (qui a souhaité, via
cette publication, rendre hommage à sa mémoire) s'était intéressée à la montée des
sensibilités « ultra conservatrices » en Pologne au cours de ce dernier lustre. Thème
d’autant plus sensible qu’il correspond en outre à l’adhésion du pays à l’Union
Européenne.
Notre revue, confortée par vos commentaires et vos critiques, accueillera sans
réserve, au delà de la spécificité de chacun les productions de notre communauté
scientifique pour, espérons le, contribuer au dynamisme et à l’épanouissement de
notre institution.
Bien sincèrement
Jacques Soppelsa
Président honoraire de l’Université de Paris Panthéon Sorbonne
5
REPENSER LE COSMOPOLITISME
EN MÉDITERRANÉE (XIXe - XXe SIÈCLES)
Marie-Carmen Smyrnelis,
Docteur en histoire, chargée d’enseignement à HEI-HEP, chargée d’enseignement à l’EHESS
Comment qualifier une « ville cosmopolite » en Méditerranée aux XIXe
et XXe siècles ? Qu’entend-on par
« ville cosmopolite », par cosmopolitisme en
Méditerranée durant cette longue durée de
deux siècles ?
C
Le fait que la population de ces villes soit plurielle, c’est-à-dire constituée d’individus aux
appartenances ethniques, confessionnelles et
nationales diverses, parlant de surcroît plusieurs langues, selon le sens le plus courant du
terme ? Ou comme le définit l’historien Robert
Ilbert dans son étude sur Alexandrie au XIXe
siècle, l’élaboration et le partage entre les communautés qui y sont présentes d’une culture et
d’intérêts communs, au delà des différences
qui existent entre leurs membres, et donc
l’existence d’une véritable « communauté
d’intérêts » qui réunit les habitants de chacune
des villes méditerranéennes autour d’un minimum accepté par tous1 ? Le cosmopolitisme ne
pourrait-il pas être encore le fait pour les habitants de ces villes d’être inscrits dans des
espaces diversifiés et étendus qui dépassent les
frontières de leur lieu de résidence, ce qui renverrait à la définition du mot « cosmopolite »
apparue en 1784 dans les dictionnaires français: « qui a une répartition géographique très
large » ? Et dernier élément, reprenant une
définition encore plus ancienne du terme « cosmopolite » datant de 1560, les « citoyens de
l’univers » ou les « personnes qui vivent
indifféremment dans tous les pays » ne sontils par excellence cosmopolites ?2
Une chose est sûre : les termes mêmes de
« cosmopolite » et « cosmopolitisme » peuvent
se conjuguer de bien des façons et méritent,
dès lors, d’être employés avec prudence pour
qualifier les villes méditerranéennes des XIXe
et XXe siècles ou leurs habitants. D’ailleurs,
ils ne figurent pas dans les documents
d’archives consultés pour le XIXe et le début
du XXe siècle pour des villes comme Smyrne,
Alexandrie, Salonique, Beyrouth, Istanbul ou
même Marseille et Livourne. Et pour les
décennies postérieures, si leur usage se multiplie, la réalité à laquelle ils se réfèrent semble
tout autre.
1/Coexistences et réseaux de relations
1. Villes plurielles
Partant du premier élément de la définition du
cosmopolitisme, des villes comme Smyrne,
Alexandrie, Alger, Beyrouth, sont bien
cosmopolites au XIXe siècle et au début du
XXe siècle. En effet, on retrouve, parmi leurs
habitants, la même diversité (ethnique, confessionnelle, nationale et linguistique) qui caractérise la population de l’Empire ottoman : une
diversité qui ne se limite pas à la présence
d’étrangers mais qui concerne aussi la population ottomane proprement dite.
A Smyrne, principal port de l’Empire ottoman
et de la Méditerranée orientale aux XVIIIe et
XIXe siècles, si la population stable est composée de musulmans (Turcs surtout ainsi que
quelques Arabes), elle est majoritairement
non-musulmane : chrétienne essentiellement
(avec ces Grecs catholiques et orthodoxes, ces
Arméniens grégoriens et apostoliques) mais
juive aussi. Elle est dès lors surnommée, par
ses habitants musulmans, « gavur Izmir »,
Smyrne l’Infidèle. En son sein, les Européens
6
(Français, Anglais, Vénitiens, Hollandais, etc)
occupent une place à part : ils sont totalement
indépendants des instances administratives du
pays, au moyen des Capitulations3 dont ils
bénéficient. Jusqu’au début du XIXe siècle, ils
se trouvent dans une situation d’enclave au
sein de l’Empire ottoman, avec des privilèges
certes mais aussi avec des limites très fortes à
leurs droits : interdiction de circuler ou de
commercer dans l’arrière-pays de grandes
villes jusqu’en 1838, résidence dans des quartiers séparés dans les villes4. Cette population
stable côtoie une foule de travailleurs saisonniers, d’artisans, d’ouvriers, de maçons, de
commerçants, de marins, de capitaines, etc,
venus des îles de l’archipel égéen, d’une autre
région ottomane ou de différents pays
d’Europe, tous attirés par la vitalité de cette
ville et par sa position géographique exceptionnelle à la fois tournée vers la terre et vers
la mer, au carrefour des pistes de caravane de
Perse et d’Inde et des routes maritimes de la
mer d’Egée.
Mais cette diversité de la population se
retrouve aussi hors de l’Empire ottoman, dans
d’autres villes méditerranéennes comme
Marseille ou Livourne, pour n’en citer que
deux.
Dans le cas de Livourne, la ville toscane a été,
depuis le XVIIe siècle, un grand port méditerranéen ; comme tant d’autres ports, elle a su
profiter de sa position de carrefour pour se
développer et pour attirer des populations
d’origines diverses : si sa population majoritaire provient de Toscane ou d’Italie centrale,
ou encore de régions proches (Ligurie, sud de
la France), elle est constituée aussi d’Européens, d’Ottomans (Juifs, Arméniens catholiques ou apostoliques, des Grecs orthodoxes
et des Musulmans), etc. Ce brassage facilite
« la constitution d’une société unique en
Toscane, marquée par la forte présence de
personnes extérieures à l’Italie centrale (gens
de mer, voyageurs, négociants…), la coexistence de différents groupes ethniques-religieux
[…], la présence de plusieurs cultures méditerranéennes et l’existence d’espaces urbains
modelés et animés par les minorités. […]
Livourne est en effet le fruit d’une rencontre
entre trois volontés : la volonté étatique –elle
est la création des Médicis, grands-ducs de
Toscane-, la volonté des puissances nordiques,
en particulier la puissance anglaise dont
l’affirmation en Méditerranée est concomitante à l’affirmation de Livourne comme grand
port italien et méditerranéen, et la volonté des
marchands qui animent alors le grand commerce en Méditerranée, réseaux largement
contrôlés par des diasporas (Arméniens, Juifs
et Grecs surtout). »5
2. Vivre ensemble
Au XIXe siècle, les sociétés de ces villes
cosmopolites méditerranéennes sont-elles
vraiment des « immeubles où chacun vit retiré
chez soi avec pour seuls contacts des rencontres de couloirs ? » pour reprendre la formule
de Malcom Yapp6 lorsqu’il évoque le fonctionnement de la société ottomane ? Une partie des recherches historiques l’a longtemps
affirmé et continue de le faire, aussi bien pour
les villes ottomanes que pour les villes du reste
de la Méditerranée.
En réalité, dans le cas des premières, le fonctionnement même de la coexistence atténue la
rigidité des divisions et séparations entre leurs
habitants, qui apparaissent trop nettement à ne
prendre en compte que l’existence des différents groupes institutionnels (communautés
ethnico-confessionnelles ou « colonies » qui
encadrent respectivement les Ottomans nonmusulmans et les Européens dans les moindres
actes de leur vie quotidienne ; à n’examiner
que l’espace urbain comme compartimenté en
quartiers séparés réservés aux membres d’une
même communauté (quartiers européen, juif,
grecs, arménien, musulmans, etc) ; à n’analyser que les règles qui régissent les relations
entre les habitants de l’Empire ottoman qui
établissent des interdictions, des frontières
entre eux (comme ces interdictions de
mariages mixtes confessionnellement que l’on
retrouve encore dans tous les groupes et communautés au XIXe siècle, même si de manière
plus atténuée ; enfin à ne considérer que les
conflits qui ponctuent aussi les relations intercommunautaires ou que les seules relations qui
seraient possibles entre eux, c’est-à-dire celles
correspondant à une nécessité institutionnelle
(relations d’affaires, rapports officiels entre les
différentes institutions de ces villes).
En effet, les habitants de ces villes parviennent
bien à nouer des liens entre eux, par delà leurs
différentes appartenances, par delà leur rattachement à des groupes institutionnels divers,
7
par delà les règles qui régissent leurs relations,
par delà l’existence de quartiers séparés au
sein de l’espace urbain.
Certes l’établissement de ces liens obéit, en
réalité, à des règles implicites qui ne sont pas
toujours formulées de manière précise : les
barrières liées aux différentes confessions (ou
même aux différents rites au sein de la même
confession) sont difficiles, voire impossibles à
franchir, lors de la conclusion d’un mariage, et
cela au XVIIIe comme au XIXe siècle. Ce sont
les plus modestes qui, les premiers, par l’ensemble des liens qu’ils nouent, dépassent
certaines des barrières liées aux appartenances
de chacun. Avant même le XVIIIe siècle et
jusqu’au début du XIXe, des mariages unissent
des artisans, des bateliers, des marchands au
détail, des courtiers et commis, européens,
catholiques ou orthodoxes à des Grecs ottomans, catholiques ou orthodoxes ou à des
Arméniens catholiques. Ces mariages se font
au même niveau social. Pour leur part, les
négociants et notables de Smyrne, d’Alexandrie
ou d’Istanbul privilégient toujours le principe
de l’endogamie professionnelle. Ils tardent dès
lors à dépasser les distinctions de nature
ethnico-confessionnelle ou nationale qui
peuvent exister entre les conjoints, lors de la
conclusion d’un mariage et le font en plusieurs
étapes.
Car loin d’être fixés, ces règles et interdits ont
évolué entre XVIIIe et XIXe siècles : ainsi, au
cours du XIXe siècle, les barrières liées aux
différences de rite au sein de la religion chrétienne disparaissent progressivement. C’est
ainsi qu’à partir des années 1820-1830, sont
célébrés, au sein du milieu des négociants, les
premiers mariages entre catholiques et protestants, tous européens, avec de plus en plus
fréquemment conversion au protestantisme de
la femme ; puis à partir du milieu du XIXe siècle,
s’allient familles européennes et “persanes”7
et enfin, à partir du dernier tiers du XIXe siècle,
sont célébrés des mariages entre européens et
grecs ottomans (de confession catholique ou
orthodoxe) mais toujours suivant le rite catholique. Tour à tour, ce sont de nouvelles frontières qui sont franchies, sans pour autant que
toutes puissent l’être durant ces deux siècles :
aucun mariage n’est conclu entre familles
chrétiennes d’une part et familles juives ou
musulmanes de l’autre.
En revanche, les sociabilités et les activités
professionnelles permettent à des Ottomans
(musulmans, grecs orthodoxes ou catholiques,
arméniens apostoliques ou catholiques) et à
des Européens de nouer plus aisément des
liens entre eux pendant ces deux siècles. Ainsi,
négociants, commis, courtiers, marchands au
détail, boutiquiers, de toute confession et de
toute nationalité, font des affaires ou doivent
simplement entrer en contact dans le bazar ou
sur les quais du port lors de l’arrivée de bâtiments, européens ou ottomans. Les relations
contractées se limitent au seul cadre professionnel ou combinent liens professionnels et
liens de parenté. Quant aux pratiques de
sociabilité, elles permettent à des Européens et
des Ottomans, hommes ou femmes, de toutes
conditions sociales, issus des différents
groupes et communautés, de se côtoyer.
Ce sont l’ensemble de ces liens noués au jour
le jour par les habitants des villes méditerranéennes qui leur permettent de fonctionner. Ils
déterminent des espaces sociaux, des réseaux
transversaux qui les structurent en recomposant les appartenances ethniques, confessionnelles et nationales des individus, ainsi que
leurs différences sociales.
3. Espaces et identités
Comme l’a analysé Robert Ilbert, à partir de
son étude sur Alexandrie, la force de ces villes
de l’ensemble de la Méditerranée est fondée
sur un cosmopolitisme original, qui a su
définir un ordre urbain typique de l’espace
méditerranéen : elles étaient de « quasi CitésEtats appuyées sur la vitalité de leurs élites, le
poids de leur système de communauté et la
relative autonomie de leurs pouvoirs municipaux »8
De plus, ces villes entretiennent entre elles des
liens étroits constituant une « véritable chaîne
de cités », chacune s’inscrivant dès lors dans
des espaces géographiques larges. Des membres des mêmes familles se trouvent dans l’une
ou l’autre de ces villes, se déplaçant entre elles
pour leurs affaires ou en raison des liens de
parenté qu’ils y entretenaient. Des alliances
matrimoniales sont conclues entre eux, par
delà la distance géographique qui les sépare au
départ, permettant par la même de renforcer
les liens entre différentes branches familiales
et entre différents espaces. Leur existence
8
renvoie d’ailleurs au troisième élément de la
définition du cosmopolitisme évoqué en
introduction.
L’exemple du négociant Georges Baltazzi,
membre d’une famille grecque originaire de
l’île de Chio, qui vit à Smyrne entre 1778 et
1850, est représentatif des pratiques et réseaux
individuels et familiaux qui structurent
l’espace méditerranéen de cette époque : par
ses déplacements, par ses liens (en particulier
familiaux, professionnels) G.Baltazzi s’inscrit
dans des espaces qui s’étendent à Chio évidemment, à Istanbul (un de ses frères y est
changeur d’argent), à Marseille (deux de ses
frères y ont créé une maison de commerce qui
représente les intérêts de l’établissement de
Smyrne) et à Odessa (où son beau-frère est
négociant). D’autres alliés de la famille
Baltazzi se trouvent, pour leur part, à la même
période, établis à Londres, Livourne, Marseille
ou Alexandrie. Un Rodocanachi, allié des
Baltazzi, a même un square à son nom à
Marseille.
Comment définir dès lors l’identité des habitants de ces villes méditerranéennes, tant
l’existence des liens dans lesquels ils s’insèrent au quotidien, dans et hors de leur ville de
résidence, est diversifiée ?
Comment définir l’identité d’un individu né à
Alexandrie durant la seconde moitié du XVIIIe
siècle, d’une mère vénitienne et d’un père
français, qui a épousé, suivant le rite catholique, une grecque de confession orthodoxe, et
qui ne parle plus que le grec ? Ou celle de ce
négociant grec ottoman né à Smyrne au milieu
du XIXe siècle, de confession orthodoxe, marié
à une livournaise, qui réside, pour les besoins
des activités de sa maison de commerce, dix
ans à Marseille où deux de ses enfants naissent
et deux autres années à Odessa (son dernier fils
y voit le jour). Comment définir aussi l’identité
de ses enfants ?
Nous sont ainsi révélées la multiplicité des
appartenances individuelles et familiales, et
des inscriptions relationnelles et spatiales des
individus qui vivent au XIXe et au début du
XXe siècle d’un bord à l’autre de la Méditerranée ; et donc la difficulté à définir l’identité des
habitants d’une ville plurielle, sans prendre en
compte leurs pratiques quotidiennes. Identités
et appartenances sont d’une remarquable
complexité.
L’identité des individus est construite précisément par l’appartenance à des systèmes de
relations différentes qui impliquent tous des
obligations et des contraintes, qui ne sont
jamais perçus comme des absolus. Leur identité peut dès lors être envisagée comme un
« jeu » faisant intervenir un éventail plus ou
moins large selon le cas des solutions possibles et de « coups à jouer ». Un jeu qui leur
permet d’utiliser, en les consolidant, les différents registres de la notion même d’identité.
Ne pourrait-on dès lors pas affirmer que leur
identité est constituée par le fait d’être un
habitant de chacune de ces villes, par l’existence d’un minimum partagé par tous les individus et familles qui y sont établis ? Un
habitant au sens fort du terme, intégré dans les
réseaux de relations, nombreux et divers qui la
structurent ; conscient de son appartenance
locale et d’intérêts communs à partager avec
les autres, d’une « communauté d’intérêts »
comme en fait l’hypothèse Robert Ilbert.
2/ La mort des villes cosmopolites
Que deviennent ces villes cosmopolites avec
l’émergence des Etats-Nations ? Elles
meurent, chacune à leur tour, chacune suivant
une temporalité ou des temporalités qui leur
sont propres. Les différences culturelles ou
d’appartenances, avant perçues comme positives, sont désormais facteurs d’affrontement.
Les « chaînes de cités » sont brisées par les
frontières nationales mises en place et les
contrôles étatiques qu’elles impliquent. Le
changement de la physionomie des populations de ces villes, suivant des critères désormais d’homogénéité ethnique, confessionnelle
et nationale, s’accélère aussi avec l’arrivée
massive de populations rurales.
Le cosmopolitisme livournais disparaît,
victime de l’affirmation de l’Etat-nation italien ;
il a surtout disparu parce que les conditions qui
avaient permis son émergence (rencontre
possible en Méditerranée entre un Etat régional,
des réseaux commerciaux et des puissances)
n’existaient plus. Il s’est aussi éteint parce que
les élites livournaises n’ont pas su ou voulu
renouveler au sein du pouvoir local cette
alliance intercommunautaire qui avait pourtant
eu des développements prometteurs.9
9
Avec la fin de l’Empire ottoman, meurt le
modèle d’organisation sociale et de développement qu’il proposait ; c’est la fin aussi d’un
modèle de coexistence basé sur le respect des
différences de chacun et sur la pluralité de
leurs appartenances. Les Etats-nations qui
émergent des cendres de l’Empire prônent
d’autres valeurs, d’autres modes d’identification, d’autres formes de coexistence. Sentiment national fort et cosmopolitisme semblent
antinomiques10.
Il est vrai pourtant que les identités multiples
ont déjà été mises à mal dès la seconde moitié
du XIXe siècle par les différentes mesures qui
obligent les individus à faire des choix clairs :
ainsi, la loi sur la nationalité ottomane
promulguée en 1869 tente de promouvoir le
concept de citoyenneté ottomane et fixe les
conditions d’obtention de la nationalité ottomane sans jamais faire la distinction entre les
appartenances ethniques et/ou confessionnelles des individus. La loi française de 1872
concernant l’obligation de service militaire
pour tous les Français, y compris ceux résidant
à l’étranger, va dans le même sens de faire disparaître toute différence entre ressortissants
étrangers, qu’ils soient établis en France ou à
l’étranger.
La physionomie de la ville de Smyrne change
profondément dès les premières années du
XXe siècle et son histoire connaît d’importantes ruptures à partir de 1908 et la révolution des Jeunes-Turcs, puis en 1914 avec le
début de la première guerre mondiale. Avec le
départ dès 1914, d’une large partie de ses
habitants européens, et après l’incendie de
septembre 1922, qui ravage les quartiers grecs
et arménien ainsi que la façade de la ville,
symbole de sa modernisation et son importance économique à partir de la seconde moitié
du XIXe siècle, la « Smyrne Infidèle » cesse
d’exister. C’est en fait la quasi-totalité de la
population chrétienne de la ville (arménienne,
grecque, européenne) qui s’en va. Disparaît,
par conséquent, le modèle de coexistence entre
ses habitants qu’elle proposait.
Le rattachement de Salonique à l’Etat grec, en
1913, constitue la première étape de la disparition de cette ville cosmopolite. C’est encore
un incendie, cette fois en 1917, qui, suite aux
reconstructions qu’il implique, entraîne une
profonde modification de l’« apparence
physique » de cette ville. Quelques années plus
tard, au lendemain de la première guerre mondiale, avec l’échange de populations entre la
Grèce et la Turquie à la suite de la signature
du traité de Lausanne le 24 juillet 192311, le
départ de ses habitants musulmans et l’arrivée
de réfugiés grecs venus de Thrace et d’Asie
mineure, sa population devient autre ; une partie de ses habitants juifs quitte alors aussi la
ville. La vraie fin de l’histoire de la communauté juive de Salonique a lieu en 1943 quand
les nazis l’exterminent presque totalement.
Alexandrie reste, pour quelques décennies
encore, un des ultimes exemples, avec
Beyrouth, de ville cosmopolite en Méditerranée
orientale, avant, à son tour, de sombrer. 1956
constitue, sans aucun doute, la date
symbolique qui clôt cette histoire, qui clôt une
époque. En 1956, avec la nationalisation du
canal de Suez par Nasser et la guerre qui
s’ensuit, Français, Anglais et Juifs doivent
quitter Alexandrie et l’Egypte en quelques
heures et ceux qui restent voient leurs affaires
péricliter progressivement. La bourgeoisie
alexandrine est contrainte à l’exil vers l’Amérique, l’Australie, l’Europe ou Beyrouth. Mais
comme dans le cas des autres villes qui
viennent d’être évoquées, cette date a été
précédée par d’autres qui ont rythmé l’histoire
d’Alexandrie, et plus largement de l’Egypte,
faisant progressivement basculer sa société.
Dès 1937 et la conférence de Montreux qui
abolit les Capitulations, c’est la fin d’une
certaine Méditerranée, celle des communautés
et des cités. Une bonne partie de la colonie italienne quitte alors l’Egypte. « Le coup d’Etat
de 1952 consacre la victoire du nationalisme
égyptien. Entre 1950 et 1952, les colonies européennes d’Alexandrie vieillissent ensemble,
perdant leurs forces vives sans disparaître
pour autant »12 .
Beyrouth a pu conserver, un peu plus tardivement que les autres villes méditerranéennes,
son mode de fonctionnement en tant que ville
cosmopolite parce que son espace était relativement réduit et parce que sa fonction de
capitale lui a, jusqu'en 1975, permis de conserver les avantages de son expérience ancienne
du commerce international. Entre l'Indépendance et l'explosion de la guerre civile, les
dynamiques semblent inépuisables, avec une
croissance démographique et économique
spectaculaire. « Si elle n'était qu'un port parmi
10
d'autres dans la Méditerranée du tournant du
siècle (laissant Alexandrie servir de pôle
financier), Beyrouth est devenue la seule ville
ouverte des années 1960 ». Elle est plaque
tournante, banque ouverte pour les capitaux en
provenance du Golfe. « Cette prospérité voile
toutefois des déséquilibres de plus en plus évidents, que l'on ne saurait assimiler à la seule
poussée de groupes nouveaux comme les
Palestiniens. Les heurts qui se multiplient
depuis 1958 portent l'écho des tensions qui
déchirent alors l'ensemble de la Méditerranée.
Beyrouth hérite temporairement des fonctions
qui étaient celles d'Alexandrie ; elle reçoit des
centaines de milliers de réfugiés : Arméniens
dans les années 1920, Palestiniens dans les
années 1950, mais aussi Kurdes, Syriens ou
Egyptiens. Elle est, enfin, écrasée sous le poids
d'un exode rural qui lentement recouvre le réseau qui a fait la citadinité. Vient alors le
temps des crises, déséquilibres accumulés,
crises seulement retardées par l'assimilation
de la cité à l'Etat. »13
3/ Vers de nouveaux modèles du
cosmopolitisme méditerranéen ?
De nombreux travaux de recherche récents,
consacrés aux villes de Méditerranée voire
plus largement, font l’hypothèse de l’émergence d’un nouvel âge du cosmopolitisme.
Pour certains de ces chercheurs, comme par
exemple le géographe de la Méditerranée
Robert Escallier14, il serait ainsi possible de
distinguer trois âges du cosmopolitisme méditerranéen : le premier correspondrait au
modèle de villes qui ont fonctionné avant
l’émergence des Etats-nations, plus particulièrement au sein de l’Empire ottoman, modèle
développé dans la première partie de ce texte ;
un deuxième âge renverrait au déclin du
cosmopolitisme suite à l’affirmation des
nationalismes.
Le troisième âge s’inscrirait dans le cadre de la
mondialisation et de l’instauration d’un nouvel ordre spatial au sein duquel les grandes
métropoles attirent toujours plus de migrants
venus du monde entier, par le développement
et les possibilités qu’elles offrent - et ce alors
même que perdure la vision construite par les
Etats-nations de mondes uniformes et cohérents, en particulier suite aux bouleversements
aussi bien dans les Balkans que plus récem-
ment encore dans le monde arabe15.
Ce troisième âge se construit avec un souhait :
redécouvrir et comprendre le cosmopolitisme
d’antan des villes méditerranéennes et les
modalités de coexistence qui avaient pu alors
être possibles par delà les différences d’appartenance de leurs habitants, pour mieux
décrypter et analyser le phénomène actuel.
C’est dans cette perspective qu’il faut
comprendre les parutions nombreuses d’études
et de romans (par des auteurs, pour la plupart,
méditerranéens), sur cette période et sur la vie
des habitants des villes cosmopolites16.
Comme d’ailleurs l’initiative de la Direction
générale de la Démocratie et des Affaires
politiques du Conseil de l’Europe quand en
juin 2009, elle organise, dans le cadre du
Forum Européen sur Chypre17, une rencontre
consacrée à l’identité chypriote, resituée dans
le questionnement sur le fonctionnement des
sociétés plurielles dans la Chypre ottomane et
plus largement dans les villes de Méditerranée18.
Se pose alors, avec force, la question du
« vivre-ensemble » de populations d’origines
géographiques et de conditions sociales
diverses, d’appartenances ethniques, confessionnelles et nationales différentes, en particulier dans les villes du pourtour méditerranéen.
Naples, Marseille, Athènes, Beyrouth, Tel
Aviv, Le Caire, etc, font l’objet d’études
récentes sur les modalités de coexistence des
populations qui y sont établies, en particulier
compte tenu des nouveaux courants migratoires et de l’installation dans ces villes d’immigrés toujours plus nombreux et aux origines
très variées. Pour les pays du sud méditerranéen, l’arrivée d’immigrants dans des terres
traditionnellement d’émigration bouleverse
aussi les équilibres.
Ce sont dès lors les notions de multiculturalisme, de communautarisme, d’intégration et
d’appartenance à une Cité et à un Etat, qui
méritent d’être requestionnées, dans le cadre
de cette réflexion sur les nouveaux cosmopolitismes méditerranéens.
11
Résumé
Cet article réinterroge la notion de cosmopolitisme dans les villes du pourtour méditerranéen, en le resituant dans une longue durée de
deux siècles (XIXe et XXe siècles). L’hypothèse de trois âges du cosmopolitisme méditerranéen est ainsi testée.
Abstract
This paper reconsiders the notion of cosmopolitism in Mediterranean cities by studying it
through a long period of two centuries (19th
and 20th centuries). In this context, the three
ages hypothesis of the mediterranean cosmopolitism is tested.
Notes
1- Robert Ilbert, « Alexandrie cosmopolite ? » in Paul
Dumont et François Georgeon (dir.), Villes ottomanes à
la fin de l’Empire, Paris, Harmattan, 1992, p. 171-185.
2- Dictionnaire historique de la langue française, Le
Robert.
3- Les Capitulations accordées à titre gracieux aux
Européens établis dans l’Empire ottoman, par le sultan
ottoman, leur permettent de jouir d’importants privilèges dans leur vie quotidienne (en matière commerciale, en matière de statut, etc). La France est le premier
pays européen auquel le sultan ottoman concède des
Capitulations en 1569.
4- Marie-Carmen Smyrnelis, Une société hors de soi.
Identités et relations sociales à Smyrne aux XVIIIe et
XIXe siècles, Paris, Peeters, 2005.
5- Samuel Fettah, « Le cosmopolitisme livournais.
Représentations et institutions (XVIIe-XIXe siècle) »,
Cahiers de la Méditerranée, Numéro 67 « Du cosmopolitisme en Méditerranée (XVIe-XXe siècles) », 2003,
p. 51 à 60.
6-Malcom Yapp, The Making of Modern East. 17921923, London-New York, 1987. Cité par François Georgeon dans son introduction au livre qu’il a co-dirigé
avec Paul Dumont, Vivre dans l’Empire ottoman.
Sociabilités et relations intercommunautaires (XVIIIeXIXe siècles), Paris, Harmattan, 1997, p. 6.
urbain », Vingtième Siècle. Revue d’Histoire, n°32,
octobre-décembre 1991, p. 15-24.
9- Samuel Fettah, op. cit. , p. 60.
10- Je reprends ici, en la nuançant, l’affirmation d’Ilios
Yannakakis, « Epilogue : La mort du cosmopolitisme »,
in Robert Ilbert et llios Yannakakis, (dir.), Alexandrie.1860-1960. Un modèle éphémère de convivialité :
Communautés et identité cosmopolite, Paris, Ed. Autrement, Série « Mémoires » n°20, 1992, p. 225 : « Coset sentiment national fort sont
mopolitisme
antinomiques ».
11- Le traité de Lausanne reconnaît les frontières de la
Turquie moderne. La Turquie renonce à ses anciennes
provinces arabes et reconnaît la possession de Chypre
par les Britanniques et les possessions italiennes du
Dodécanèse. Il prévoit de régir les droits des minorités
turques en Grèce et des minorités grecques en Turquie,
ainsi qu’un échange de population entre la Grèce et la
Turquie.
12- Robert Ilbert et Ilios Yannakakis, (dir.), Alexandrie.1860-1960. op. cit., p. 15.
13- Robert Ilbert, « De Beyrouth à Alger, la fin d’un
ordre urbain », op. cit., p. 22-23.
14- Cf. par exemple : Robert Escallier, « Le cosmopolitisme méditerranéen. Réflexions et interrogations »,
Cahiers de la Méditerranée, Numéro 67 « Du cosmopolitisme en Méditerranée (XVIe-XXe siècles) », 2003,
p. 1-13 ; Alain Tarrius, Les nouveaux cosmopolitismes.
Mobilités, identités, territoires, Paris, Ed. de l’Aube,
2000.
15- Robert Escallier, op. cit., p. 8.
16- Pour n’en citer que quelques uns, outre ceux déjà
cités précédemment : Robert Solé, Une soirée au Caire,
Paris, Seuil, 2010 ; Amin Maalouf, Les identités meurtrières, Paris, Le Livre de Poche, Réédition, 2011.
17- Le Forum Européen sur Chypre rassemble une trentaine de jeunes chypriotes, des deux principales communautés présentes dans l’île (grecque et turque) qui
exercent des fonctions dans le monde politique, le journalisme, l’université, etc. Plusieurs rencontres ont lieu
chaque année depuis juin 2008 au cours desquelles sont
discutées et analysées les questions essentielles pour le
futur de l’île et ses relations avec l’Europe.
18- http://www.coe.int/t/dgap/efc/doc/Nicosia12_14%
20June2009programme.asp. Consulté le 10 mars 2011.
7- Les « Persans » sont des Arméniens catholiques
originaires du Nakhitchévan qui se sont établis dans
plusieurs villes de Méditerranée orientale, dont Smyrne
au milieu du XVIIIe siècle.
8- Robert Ilbert, « De Beyrouth à Alger, la fin d’un ordre
12
TROIS TRAJECTOIRES DE SÉCESSION
DANS LA CORNE DE L’AFRIQUE :
LE SOMALILAND, L’ERYTHRÉE, LE SOUDAN DU SUD
Sonia Le Gouriellec1
.
Doctorante en Science politique et ATER à l'Université Paris Descartes, membre des Jeunes Chercheurs de l'IRSEM
Chargée d’enseignement à HEI/HEP.
Une métaphore politique » : c’est en ces
mots que R. Patman décrivait les Etats de
la Corne de l’Afrique et leurs trajectoires2.
La naissance d’un nouvel Etat au Sud du
Soudan transforme une nouvelle fois la
géographie politique de la Corne de l’Afrique.
La multiplication du nombre d’Etats, et donc
de frontières, est l’un des paradoxes de la
période post-Guerre froide, marquée par la
globalisation et l’abolition des frontières. Ce
constat est particulièrement vrai dans la Corne
de l’Afrique, lieu des deux dernières naissances d’Etats internationalement reconnues.
L’Erythrée, le Somaliland et le Soudan du Sud
ont choisi la sécession, la forme la plus
radicale d'autodétermination. Ces nouvelles
entités, dont la naissance s’est faite au nom de
la paix et de la stabilité, remettent cependant
en question l’équilibre régional. Pourquoi ces
entités ont-elles fait sécession ? Assistons-nous
à une fragmentation politique illimitée de la
Corne de l’Afrique ? Cette fragmentation
régionale est-elle le signe d’un déclin de l’État
face à la volonté d’appropriation des territoires
par des identités infranationales ? La reconnaissance de l’Erythrée et du Soudan du Sud
par une communauté internationale pourtant
réticente à créer ce type de précédent est à ce
titre remarquable.
«
Notre propos n’est pas de revenir sur le « droit »
de sécession mais d’analyser les trajectoires
sécessionnistes de ces trois Etats par une
approche comparative. Chaque Etat ayant son
histoire propre, ses ressorts politiques, sociaux,
économiques, nous ne proposons pas de
revenir sur le processus de formation de l’Etat,
défini par Bruce Berman et John Lonsdale
comme un processus historique conflictuel,
involontaire et largement inconscient3.
Néanmoins, et alors qu’un nouvel Etat a fait
son apparition sur la scène régionale, il nous
semble pertinent de retracer les trajectoires de
ces trois sécessions, en mettant en évidence
leurs similarités. Il nous semble indéniable
qu’elles soient à certains égards comparables
et permettent de faire émerger une problématisation commune de la généalogie de ces sécessions.
Balkanisation, fragmentation, scission,
partition ?
Rappelons tout d’abord les différences entre
ces terminologies. Selon Stéphane Rosière, la
balkanisation est : « le processus de fragmentation d'un État en au moins trois nouveaux
États […] si un État “primaire” est divisé en
deux nouvelles entités, on peut préférer les
notions de scission ou de partition »4. Ainsi la
notion de balkanisation, souvent employée
avec une connotation péjorative, ne correspond
pas à la réalité de nos cas d’études. En effet,
l’Erythrée et le Soudan du Sud se sont séparés
d’une entité qui existe toujours. Le cas du
Somaliland est plus problématique, puisque
l’Etat somalien s’est effondré et qu’une autre
entité, le Puntland, s’est déclarée autonome. En
revanche, la sécession est bien l’aboutissement
d’un processus de désintégration politique. Si
l’intégration politique se définit comme un
processus par lequel les acteurs, de systèmes
politiques distincts, sont persuadés qu’ils
doivent loyauté à un nouveau centre de
pouvoir, prévalant sur l’ancien système5, lors
d’une sécession les acteurs décident à l’inverse
de retirer leur loyauté du centre juridique et de
13
le donner à un nouveau centre. En interne, une
sécession signifie donc la dissolution du pacte
existant et marque un coup d’arrêt à la capacité de l’Etat à gouverner sur tout le territoire.
La sécession est donc le retrait d’une entité
constitutive d’un ensemble établi et reconnu
internationalement et la création d’un nouvel
Etat souverain.
La reconnaissance internationale est en générale l’étape suivante. Cet acte fait entrer le
nouvel Etat dans l’ordre juridique international
en lui attribuant des droits et des obligations.
Néanmoins la reconnaissance reste un acte
discrétionnaire et bilatéral que le Somaliland
attend par exemple toujours.
La reconnaissance internationale des
nouvelles entités
Le système international ne reconnait qu’aux
Etats certains pouvoirs, droits et devoirs, alors
que les gouvernements ne sont reconnus que
comme les agents d’Etats légitimes6. En effet,
deux principes contradictoires guident la communauté internationale : le droit à l’autodétermination et le respect de l’intégrité territoriale.
En général, l’instauration de l’autonomie est
préférée à la sécession, mais cette dernière
reste parfois l’unique mode de résolution des
conflits.
Ainsi, l’Erythrée a accédé à l’indépendance,
après l’autorisation préalable du nouveau
régime en place à Addis Abeba, et son engagement à reconnaitre les résultats du référendum d’autodétermination. L’indépendance est
ainsi déclarée de facto en 1991, et de jure en
1994 après le referendum en avril 1993.
Concernant le Soudan du Sud, ce sont les
accords de paix inclusifs, ou Compehensive
Peace Agreement, (« accords de Naivasha »),
signés au Kenya le 9 janvier 2005 par la
rébellion sudiste de John Garang (Mouvement
populaire de Libération du Soudan - SPLM)
et Ali Osmane Taha, le vice-président du
Soudan, qui ont ouvert la voie au référendum
d’autodétermination. En effet, ces accords
prévoyaient une large autonomie du Soudan du
Sud, ainsi que la tenue d’élections démocratiques dans l'ensemble du Soudan un an avant
la fin de la période de transition. Puis ils
octroyaient, au terme d’une période intérimaire de six ans, la possibilité de choisir, par
référendum, entre l’indépendance et le maintien au sein du Soudan.
Le Somaliland s’est, quant à lui, autoproclamé
indépendant selon la même logique que
l’Erythrée, mais cette indépendance n’est pas
internationalement reconnue. L’ancienne
colonie britannique bénéficiait en 1991 d’une
autonomie de facto, en l’absence de pouvoir
central légitime à Mogadiscio. La capitale
Hargeisa s’est dotée de tous les instruments de
la puissance régalienne (drapeau, monnaie,
etc). Le président du SNM (Mouvement National Somalien) proclame, en mai 1991, la
nullité de l’acte d’union du 1er juillet 1960 et
déclare l’Etat souverain. Or la déclaration
d’indépendance est un acte juridiquement
controversé et n’est pas validé par la communauté internationale. Le Somaliland a
proclamé son indépendance unilatéralement à
plusieurs autres reprises ensuite : notamment
en mai 1993 et en 1997, à l’occasion de
« conférences nationales » qui devaient mener
à l’adoption d’une Constitution. Cette indépendance est inscrite dans l’article premier de
la Constitution, adoptée en mai 2001 : « The
country which gained its independence from
the United Kingdom of Great Britain and
Northern Ireland on 26th June 1960 and was
known as the Somaliland Protectorate and
which joined Somalia on 1st July 1960 so as to
form the Somali Republic and then regained
its independence by the Declaration of the
Conference of the Somaliland communities
held in Burao between 27th April 1991 and 15th
May 1991 shall hereby and in accordance with
this Constitution become a sovereign and independent country known as “The Republic of
Somaliland”7. »
Dans les trois cas, le scrutin référendaire a
recueilli des scores élevés et montre l’adhésion
du peuple aux mouvements d’indépendance.
Le scrutin d’autodétermination érythréen a été
approuvé par 99,8 % des électeurs. Le référendum somalilandais du 31 mai 2001, en
faveur de la nouvelle Constitution qui
réaffirme le statut indépendantiste de l’Etat8,
fut approuvé par 97 % des votes bien que les
résultats soient certainement surestimés. Au
Soudan du Sud, en 2011, près de 98 % des
votants approuvaient la sécession malgré les
contestations et les intimidations dénoncées.
14
Similarité des trajectoires sécessionnistes
L’analyse montre qu’au moins trois éléments
sont nécessaires pour faire sécession9 : une
communauté distincte, un territoire, et une
cause de mécontentement.
Une communauté distincte. Le terme
« communauté » que l’on préfèrera à celui de
« nation », trop souvent confondu avec celui
d’Etat. D’autant que ce terme permet d’inclure
toutes les communautés (groupes ethniques,
tribus, etc). Cette communauté est distincte par
la culture, la langue, la religion, etc. Mais
surtout les membres de cette communauté se
perçoivent différemment. Ils adhèrent au
projet du vivre ensemble, ce qu’Anderson a
appelé la « communauté imaginée»10. Déjà, à
la fin des années 1960, Samuel Huntington
soulignait l’importance de l’établissement
d’une communauté politique et d’une légitimité populaire pour la stabilité de l’État11. La
naissance d’une « communauté imaginée » est
aussi l’expression d’un rapport de domination
politique, économique ou social. La langue
peut être un vecteur d’affirmation, la religion
joue aussi un rôle essentiel. Elle est un
marqueur identitaire et organise la communauté. L’histoire coloniale est également un
facteur de sécession, les communautés se
vivant différemment.
En effet, la colonisation est un autre point
commun aux trois trajectoires sécessionnistes
étudiées ici. En Somalie les Anglais établissent
en 1887, sur le nord, le protectorat du British
Somaliland. Et en 1889, les Italiens établissent un protectorat sur le sud de l’actuelle
Somalie, la Somalia italiana. Dans le mouvement de décolonisation de l’Afrique des
années 1960, le Somaliland britannique se
déclare indépendant le 26 juin 1960. Mais il
décide six jours plus tard, de fusionner avec
l’ex-colonie italienne pour former la République de Somalie. Ces six jours d’indépendance vont jouer un rôle important quelques
décennies plus tard. La décision de se joindre
à la Somalie du Sud puis de s’en séparer peut
être comparée à la décision du Bengale de
rejoindre le Pakistan en 1947 puis de rompre et
de créer le Bangladesh en 1973. Les deux
parties du pays sont très différentes tant par
leurs appareils administratifs que leurs armées,
qui ont été formées selon des modèles différents. L’anglais est utilisé administrativement
au nord, l’italien au sud jusqu’en 1972. Le
nord commerce avec la péninsule arabique et
le sud avec l’Italie et les échanges entre les
deux parties du pays sont négligeables. A
partir de 1982, le SNM, au Nord, entame une
lutte armée contre la dictature de Syaad Barré
au Sud. La Somalie a été donc structurée en
partie par cette colonisation.
Au Soudan, les Britanniques ont maintenu
pendant la colonisation une division entre le
Nord et le Sud, chaque entité étant dirigée par
une administration distincte. Après 1920 les
langues des groupes majoritaires du Sud
étaient encouragées dans les missions chrétiennes alors que l’arabe était pratiqué au
Nord. Pour Catherine Miller, « la principale
conséquence de la politique linguistique
britannique fut non pas la modification des
usages linguistiques, mais la cristallisation
des attitudes conflictuelles concernant le rôle
de la langue arabe et de l'islam dans la future
nation soudanaise. Pour l'élite nordiste,
arabophone et musulmane, la langue arabe et
l'islam représentaient des valeurs authentiquement soudanaises. Pour la petite élite
sudiste, chrétienne et anglophone, la langue
arabe et l'islam constituaient des valeurs
étrangères, voire des symboles d'acculturation12». L’encadrement du Sud était minimaliste et assuré par des administrateurs locaux.
Les Britanniques introduisent même un
système de pass pour restreindre les mouvements des arabes. Le système judiciaire différait également entre musulmans et non
musulmans. Une série de mesures qui limita
d’autant plus les contacts entre les deux entités. Les Soudanais du Sud furent sous-représentés lors des négociations d’indépendance
puis dans le premier gouvernement, malgré
leurs protestations. Les Britanniques négligèrent d’intégrer les sudistes et déclarèrent, en
1946, les peuples négro-africains du Soudan
« inextricablement liés au Moyen-Orient et au
Nord-Soudan arabisé » créant ainsi un lien
artificiel entre ces deux entités. Le premier
ministre, Sadiq-el Mahdi, donna ainsi clairement un rôle prépondérant à la composante
arabe de l'identité du pays : « the dominant feature of our nation is an Islamic one and its
over-powering expression is Arab, and this nation will not have its entity identified and its
prestige and pride preserved except under an
Islamic revival ». En octobre 1954, seuls
6 postes de fonctionnaires sur 800 furent attribués à des sudistes. Dès 1956, le Nord mène
15
une politique d’intégration culturelle du Sud
par l’arabisation et l’islamisation. Ainsi, les
décisions du gouvernement et la résistance du
Sud Soudan sont, comme nous l’avons vu
précédemment, directement liées aux racines
coloniales du pays, même si le ressentiment
des sud soudanais envers le nord trouve aussi
ses origines avant le condominium angloégyptien (1899-1956), notamment dans la
mémoire de la traite islamo arabe au XIXè
siècle13 et l'occupation égyptienne en 1820.
Dans le cas érythréen, Michel Foucher a
souligné le fait que cette entité était une
création de l’Italie : « d’un ensemble disparate, le colonisateur italien a fait un territoire
et un peuple »14. En effet, le projet des Italiens
était de faire de ce territoire une colonie de
peuplement et une base de départ pour d’éventuelles nouvelles tentatives de conquête15 de
l’Éthiopie. Aussi, ont-ils doté l’Érythrée d’une
infrastructure économique moderne. Au cours
du siècle, le développement, dans les
domaines de l’éducation notamment, donne à
l’Érythrée ce sentiment d’être une communauté distincte de l’Éthiopie. Au moment de la
décolonisation, l’élite érythréenne se trouve
dans une position ambiguë. En effet, elle
conteste la domination italienne, sans pour
autant se reconnaître dans le régime éthiopien.
Michel Foucher parle de « cas exemplaire,
mais tragique, de formation d’un peuple » et y
voit l’une des causes de la revendication de
l’indépendance.
Le deuxième élément, essentiel à la sécession, est l’existence d’un territoire distinct,
un espace géographique spécifique sur lequel
sera établi le nouvel Etat. Ce territoire est
délimité par des frontières, comprises comme
les lignes séparatrices des compétences étatiques. Si la notion de frontière semble s’affaiblir avec le processus de mondialisation, elle
garde tout son sens pour les nouveaux Etats
indépendants aux souverainetés nationales
sourcilleuses (ils accordent une importance
particulière au bornage de leurs frontières).
Après les sécessions, aucun de ces Etats n’a
réussi à se soustraire territorialement de celui
auquel ils étaient rattachés précédemment.
Dans les trois cas, les frontières ont été l’objet
de conflits. Avec le Puntland dans le cas du
Somaliland, les deux entités se disputant les
territoires de Sool et de Sanaag à l’est du
Somaliland (ou à l’Ouest du Puntland selon le
parti). L’Erythrée a, quant à elle, provoqué une
guerre frontalière avec l’Ethiopie autour de la
localité de Badme, en 1998, qui lui sera finalement attribuée par une commission arbitrale
en 2002. Mais face au refus de l’Ethiopie de
retirer ses troupes, les deux pays demeurent
dans une paix froide dont les conséquences
déstabilisent toute la région. La politique
étrangère de l’Erythrée reste fondée sur cette
conviction que l’Ethiopie n’a toujours pas
accepté son indépendance et que le combat
doit se poursuivre pour à la fois parachever le
processus d’indépendance (avec la démarcation de la frontière) et défendre la souveraineté
du pays. L’Erythrée a aussi provoqué un
conflit frontalier avec son voisin djiboutien en
200816. Quant au Soudan du Sud, la délimitation de la frontière est depuis l’indépendance
du pays une cause de conflit avec le Soudan.
Enfin, les mouvements sécessionnistes
expriment un mécontentement et donc des
revendications, fondées sur des perceptions
communes liées au sentiment partagé d’être
confronté à des discriminations ou des exploitations pour des raisons économiques, politiques, culturelles, religieuses, etc.
Dans nos trois cas d’étude, la politique répressive des pouvoirs centraux a renforcé les
sentiments séparatistes et donné de la
légitimité aux mouvements de guérillas, bien
qu’à l’origine les mouvements séparatistes
aient été minoritaires. Ainsi, le Soudan du Sud
cherchait à obtenir un statut équitable : les
leaders sud soudanais demandaient uniquement des réformes internes. La sécession n’a
été envisagée qu’après le rejet par Khartoum
des mesures proposées par le Sud pour se protéger de l’islamisation.
Concernant le Somaliland, Daniel Compagnon
émet l’hypothèse que par réalisme politique,
ou intérêts économiques, une partie des dirigeants du SNM, n’étaient pas partisans de la
sécession. Pourtant ils ont du s’y plier sous la
pression populaire. En effet, une partie de cette
élite avait quitté le Nord du pays pour le
Somaliland. La population trouva dans les
répressions aveugles des manifestations à
partir de 1982 et les tueries de 1988, un
fondement à sa lutte. L’insurrection de 1988
fut un bain de sang mais un véritable succès
politique et renforça la légitimé de la guérilla17.
Dans le cas de l’Erythrée, le sentiment sépara-
16
tiste ne prend vraiment racine dans la population érythréenne qu’à partir de 1974 et la chute
du régime impérial Haylä Sellasé. En effet,
l’Assemblée Générale des Nations Unies
adopte en 1950 la résolution 390 rattachant
l’Érythrée à l’Éthiopie dans une union
fédérale. Cette décision accorde au peuple
érythréen un statut particulier de « peuple
reconnu titulaire de droits mais non sujet du
droit » tout en lui refusant l’indépendance. La
résolution 390 se prononce pour une « étroite
association politique et économique avec
l’Éthiopie ». Elle désire que « cette association assure aux habitants de l’Érythrée le respect et la sauvegarde de leurs institutions, de
leurs traditions, de leurs religions ou de leurs
langues ». Elle fait référence à la constitution
érythréenne, l’assemblée érythréenne, etc.
L’absence de Cour fédérale, qui serait chargée
de veiller au respect du texte, permet aux
Éthiopiens de dénaturer le fonctionnement des
institutions. Progressivement ils étendent leur
droit pénal au territoire érythréen, suppriment
le drapeau et les emblèmes érythréens (1952),
enfin imposent la langue amharique dans la vie
publique puis dans l’enseignement18. Le
Parlement érythréen s’adresse à l’ONU en
1954 et en 1956 pour protester. En vain
puisqu’en 1962, l’Érythrée devient officiellement la quatorzième province éthiopienne et
entre en guerre civile.
C’est également ce sentiment de voir leurs
particularités reniées qui motive les Sud
Soudanais. Leur motivation première est de
protéger leurs langues et religions du prosélytisme islamiste de Khartoum. L’origine des
contestations remonte à l’indépendance en
1956. Le gouvernement de Khartoum revient
alors sur les promesses faites aux provinces du
sud par le chef religieux Muhammad ibn
Abdallah, qui s’était proclamé Mahdi (« Messie ») à la fin du XIXè siècle, de créer un Etat
fédéral. Le gouvernement soudanais décréta
l’introduction de l’Islam et de l’arabe en 1958.
Or, dans un pays majoritairement animiste ou
chrétien, et historiquement détaché du gouvernement central de Khartoum, cette décision
génère l’hostilité. Dès lors, une mutinerie organisée par des officiers du Sud déclenche une
guerre civile Nord-Sud qui ne cessa qu’en
1972 avec l’accord d’Addis-Abeba et l’adoption du Southern Province Regional SelfGovernment Act (SPRA), créant ainsi un certain degré d’autonomie régionale. Mais l’hos-
tilité du Sud ne cessa que lorsque le gouvernement de Khartoum accepta formellement le
droit des Sud Soudanais à pratiquer leurs religions et parler anglais ou d’autres langues locales. Mais surtout, le Nord abandonna son
objectif de créer un Etat islamique, reconnut la
contribution des communautés africaines
noires au Soudan. D’après l'article 6 l'arabe
était la langue nationale mais l'anglais était reconnu comme « langue principale de la région
du Sud ». Néanmoins, Nimeiri introduisit la
charia (loi islamique) en 1983 dans le code
pénal et annonça que le Soudan devait devenir
un Etat islamique, afin de s’assurer la
survie de son régime en s’alliant aux groupes
musulmans conservateurs. En sacrifiant ainsi
les intérêts du Sud, une guerre civile entre le
gouvernement et des groupes armés du Sud
Soudan éclata à nouveau. Le conflit s'analyse
le plus souvent comme une guerre de religion
entre le Nord (islamique) et le Sud (chrétien).
Si cette dimension religieuse existe, elle doit
être relativisée, le Sud étant minoritairement
chrétien (15%). Ainsi, l'Armée populaire de
libération du Soudan (SPLA) de John Garang
était initialement procommuniste et anticléricale19.
Ainsi, ces guerres dites d’indépendance ou de
libération constituent le creuset d’une histoire
commune, qui fonde le sentiment d’appartenance nationale. Pour autant, l’accession à
l’indépendance n’est pas allée de pair avec
l’instauration de la paix et de la stabilité.
Après la sécession, les leaders au défi
du changement de paradigme
Ces trois cas ont ceci en commun que les
guérillas qui ont mené la lutte pour l’indépendance, éprouvent des difficultés à passer de la
lutte à la gouvernance dans les premières
années de transition. A différents degrés,
chaque sécession a éprouvé des difficultés à
passer d’une administration militaire à une
administration civile. C’est cette capacité
politique à changer de paradigme pour passer
du statut d’homme militaire à celui d’homme
politique, qui doit être analysée comme le
fondement d’une sécession réussie.
Le défi est grand pour ces nouveaux Etats qui
ont la charge de recomposer des sociétés traumatisées par des années de guerre. Si les
résultats des scrutins d’indépendance ont été
17
largement majoritaires, il ne faut pas s’y fier et
de façon réductrice croire en l’unanimité des
positions dans le nouvel Etat. Des divisions
internes persistent ou renaissent. Il faut solder
la guerre civile et répondre à des rébellions locales et instrumentalisées par l’extérieur. En
regardant de plus près l’histoire de ces guerres
civiles, on constate que le SPLM s’est
construit en incluant certains groupes et en
excluant d’autres. Ainsi, les Dinka domineraient le SPLM, le GoSS (Gouvernement du
Sud Soudan), pendant la période de transition
avant l’indépendance, et le gouvernement du
nouvel Etat. Au Soudan la guerre n’a pas
simplement opposée le Nord au Sud, le conflit
est bien plus complexe. Dans certaines régions, celle du Nil bleu par exemple, le SPLM
est vécu comme la structure d’un gouvernement étranger. En outre, lots des élections de
2010, les candidats non SPLM furent empêchés de participer à la campagne20.
En Erythrée, le gouvernement d’Issayas Afworki a été confronté au même défi après l’indépendance, d’autant que le pays avait connu
une double guerre civile. En effet, pendant la
guerre de libération, les revendications du
Front de Libération de l’Érythrée (FLE) s’inscrivaient dans la lutte séculaire des musulmans
pour conserver leurs droits face au pouvoir
centralisateur de l’Éthiopie chrétienne. Or en
1970, les Forces populaires de libération
(FPLE)21, fondées par Issayas Afworki
(protestant laïque) et recrutant dans les populations chrétiennes, mènent une guerre contre
le FLE. En 1980, le FPLE devient la seule
force luttant contre la domination éthiopienne.
Au moment de l’indépendance, « par souci
d’efficacité », le FPLE interdit l’opposition
politique et instaure une période de gouvernement intérimaire de quatre ans. Aujourd’hui,
le président est toujours en place, le processus
de démocratisation et la Constitution sont
suspendus…
Au Somaliland, le SNM a dirigé le pays
pendant une période transitoire de deux ans
avant la tenue de nouvelles élections et le vote
d’une Constitution. Or cette première phase
transitoire fut un échec. Le gouvernement ne
parvint pas à reconstruire l’administration,
l’armée, à dissoudre les milices et à mettre fin
aux luttes factionnelles. Les troubles internes
dégénérèrent quasiment en guerre civile
pendant une année.
Le défi de la construction de l’Etat
L’existence de ces trois facteurs (communauté,
territoire, revendication) ne garantit cependant
pas la viabilité des entités nouvellement créées,
qui n’obtiennent pas nécessairement la reconnaissance internationale. Ainsi, le Somaliland
reste un Etat illégitime au statut juridique flou
renvoyant à cette catégorie d’Etats qualifiée
par les chercheurs d’Etats de facto, para-states
ou quasi-states, pseudo-states ou encore unrecognized states. Peut-on qualifier le Somaliland d’Etat alors qu’il n’est pas reconnu ?
Selon une conception dite « constitutive » de la
reconnaissance étatique, la formation d’un Etat
n’est complète qu’avec l’existence d’une population, d’un gouvernement et d’un territoire
mais aussi de la reconnaissance de cet Etat par
les autres Etats du système international. Ainsi,
la reconnaissance n’est pas qu’un simple acte
déclaratif mais un élément essentiel de l’existence de l’Etat.
L’affirmation de la souveraineté est un enjeu
majeur pour la construction des Etats. D’autant que même leur souveraineté interne est
remise en cause. Robert Jackson parle d’une
« souveraineté négative » (negative sovereignty) » pour qualifier cette déliquescence de la
souveraineté. Et John Stuart Mill montre que la
liberté n’était pas possible dans un Etat conglomérat artificiel de deux ou plusieurs communautés distinctes dont l’une domine les
mécanismes gouvernementaux. Ainsi, selon
Jok Madut Jok, sous-secrétaire au ministère de
la Culture et de l’Héritage du Gouvernement
du Sud-Soudan, le Soudan du Sud ne serait
pour l’instant qu’une expression géographique.
Le gouvernement du nouvel Etat devra relever
le défi de gérer 70 groupes et ethnies différents.
Des groupes toujours en conflits, puisque le
SPLA a volontairement ethnicisé sa gestion de
la sécurité. Or le SPLA est passé d’armée
rebelle à armée nationale avec l’accession à
l’indépendance. Pour Marc-André Lagrange :
« cette stratégie s’inscrit dans une gestion à
court terme de la construction de l’appareil
d’Etat sud-soudanais où le référendum de
2011 est une fin en soi et non une étape dans la
construction de […] SPLA et SPLM ont bien
du mal à cacher leur penchant pour un régime
autoritaire à parti unique calqué sur celui de
Khartoum mais aussi et surtout sur les
modèles politico-économiques de leurs alliés
rwandais et ougandais au sein desquels armée
18
et origine ethnique jouent un rôle prépondérant. »23.
plication du nombre d’Etats, et donc de
frontières, est un des paradoxes de la période
post-Guerre froide, marquée par la globalisation et l’abolition des frontières. Ce constat est
particulièrement vrai dans la Corne de
l’Afrique, lieu des deux dernières naissances
d’Etats internationalement reconnues. L’Erythrée, le Somaliland et le Soudan du Sud ont
choisi par la sécession la forme la plus radicale d'autodétermination. Ces nouvelles
entités remettent en question l’équilibre
régional, bien que ce soit au nom de la paix et
de la stabilité qu’elles aient vu le jour. Pourquoi ces entités ont-elles fait sécession ?
Assistons-nous à une fragmentation politique
illimitée de la Corne de l’Afrique ?
Les dynamiques sécessionnistes sont donc
longues, souvent violentes et brutales : dix ans
de guerre pour le Somaliland, trente ans pour
l’Erythrée, presque autant pour le Soudan du
Sud. L’existence de trois dynamiques sécessionnistes dans cette région du monde, dont
deux reconnues par la communauté internationale, est surprenante. Elle met en évidence
une contradiction majeure de cette communauté depuis le milieu du XXè siècle : entre,
d’une part, le principe normatif nationaliste
c’est-à-dire le principe selon lequel tout
peuple ou groupe ethnique (le sens large du
terme « nation ») a le droit d'avoir son propre
État souverain24, bien qu’il ait été limité aux
cas de décolonisation, et, d’autre part, le
principe d'inviolabilité de l'intégrité territoriale
de tous les États existants, principe consacré
par l’Organisation de l’Union Africaine dans
sa Charte en 1963. Cette contradiction est particulièrement bien illustrée dans le cas de la
Corne de l'Afrique, où deux trajectoires
sécessionnistes ont abouti à l'application du
droit des peuples à disposer d'eux-mêmes,
tandis que le Somaliland n'en bénéficie
toujours pas.
Abstract :
Ainsi, la menace de perte de souveraineté
interne et/ou externe, après la sécession, est
prétexte à une confiscation des pouvoirs par
les acteurs qui ont dominé la lutte pour l’indépendance tant en Erythrée que, ce qui semble se profiler quelques mois après la
déclaration d’indépendance, au Soudan du
Sud. Ces mots font échos à ceux de Bertrand
Badie : « Une élection n'a de sens que si elle
est approuvée comme mode de régulation politique par tous ceux qui y participent. Autrement dit : pas d'élection sans démocratie
instituée, pas de démocratie possible sans Etat
installé, et pas d'Etat concevable sans nation
construite autour d'un contrat social. »
Résumé :
« Une métaphore politique », c’est en ces mots
que R. Patman décrivait les Etats de la Corne
de l’Afrique et leurs trajectoires. La naissance
d’un nouvel Etat au Sud du Soudan, transforme une nouvelle fois la géographie
politique de la Corne de l’Afrique. La multi-
R. Patman describes the states in the Horn of
Africa, and their trajectories, as a "political
metaphor". Once again, the birth of a new state
in South Sudan, reshaped the region's political
geography. More states means more borders,
this is one of the paradoxes of the post-Cold
War era, in a context of globalization. This is
particularly strinking in the Horn of Africa,
where the last two international State recognitions took place. Eritrea, Somaliland and
South Sudan have chosen the most radical
form of self-determination. Albeit they have
been created in the name of peace and stability, these new entities are challenging the
regional balance. Why these entities seceded ?
Are we witnessing an unlimited political
fragmentation of the Horn of Africa ?
Notes :
1- Cette contribution a bénéficié d’une parution parallèle
dans le numéro 18 de la revue Sécurité Globale (Institut
Choiseul), Hiver 2011-2012
2- Patman (R.), The Soviet Union in the Horn of Africa,
Cambridge University Press, 1991, cité par Roland
Marchal, “L’invention d’un nouvel ordre regional”,
Politique africaine, n°50, juin 1993, p.2
3- Bayart (Jean-François), L’historicité de l’Etat importé, Les Cahiers du CERI, n° 15, 1996
4- Rosière (Stéphane), « La fragmentation de l’espace
étatique mondial. », L'Espace Politique [En ligne],
11, 2010-2, mis en ligne le 16 novembre 2010, Consulté
le 01 décembre 2011. URL : http://espacepolitique.
19
revues.org/index1608.html
5- Haas (Ernest), The uniting of Europe, Stanford
University Press, 1968, p.16
6- Buchanan (Allen), “Recognitional legitimacy”,
Philosophy and Public Affairs, 28 (1), 1999, p.62
7- The Constitution of The Republic of Somaliland,
(en ligne), consulté le 19 juillet 2011, http://www.somalilandlaw.com/Somaliland_Constitution/body_somaliland_constitution.htm#_edn7
8- Somaliland National Referendum : Final Report of
the Initiative & Referendum Institute's Election Monitoring Team, Citizen Lawmaker Press, Washington,
D.C. 27 juillet 2001, 138p.
9- Bartkus (Viva Ona) The Dynamic of Secession,
Cambridge University Press, 1999, 276p
10- Renan (Ernest), Qu’est-ce qu’une nation ?, Paris,
Calmann-Lévy, 1882 ; Anderson (Benedict), Imagined
Communities : Reflections on the Origin and Spread of
Nationalism, Londres, Verso, 1991.
11- Huntington (Samuel), Political Order in Changing
Societies, New Haven, Yale University Press, 1968.
12- " Langues et identité ", Le Soudan contemporain,
dir. Lavergne (Marc), Paris, Karthala-Cermoc, 1989.
n° 66, juin 1997.
20- Lagrange (Marc-André), « Une stratégie contre-insurrectionnelle victorieuse ? Les insurrections de 2010
dans la province du Jonglei, au Sud-Soudan », Notes de
l’IFRI, juin 2011, p.6
21- Pool (David), From Guerrillas to Government: The
Eritrean People’s Liberation Front, Ohio University
Press, 2001
22- Jackson (R. H.), Quasi-states, Sovereignety, International Relations and the Third-World, Cambridge
University Press, 1990
23- Op. Cit., Lagrange (Marc-André), « Une stratégie
contre-insurrectionnelle victorieuse ? Les insurrections
de 2010 dans la province du Jonglei, au Sud-Soudan »,
p.18
24- Buchanan (Allen), « Les conditions de la sécession »,
Philosophiques, vol. 19, n° 2, 1992, p. 159-168. Ce
principe du « droit des peuples » est concrétisé par la
charte des Nations Unies de 1945 : « tous les peuples
ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce
droit, ils déterminent librement leur statut politique et
assurent librement leur développement économique,
social et culturel. »
13- Kasfir (Nelson), « Peace-Making and Social Cleavage in Sudan », in V. Montville (ed.), Conflict and
Peace-Making in Multi-Ethnic Societies, New-York,
Lexington Books, 1990, p.363-387
14- Foucher (Michel), Fronts et frontières : Un tour du
monde géopolitique, Paris, Fayard, 1991
15- Mussolini a attaqué l’Éthiopie en 1935 : Éthiopie,
Érythrée et Somalie ont alors été réunies dans l’AfriqueOrientale italienne. L’armée britannique, pendant la
Seconde guerre mondiale, a chassé les Italiens et
restauré l’autorité du négus (titre donné au souverain
éthiopien : negus nagast qui signifie « roi des rois »).
16- Imbert-Vier (Simon), « Invention et réalisations de
la frontière djibouto-érythréenne », Africa, 2009, vol.
64, no1-2, pp. 105-119. Pour une présentation de la position djiboutienne on lira avec intérêt le rapport rédigé
par le ministère djiboutien des affaires étrangères : "La
souveraineté de Djibouti sur le Ras Doumeira et l'île de
Doumeira. Faits et bien-fondé", MAECI, décembre
2009, 79 p.
17- Notons que pour la première fois, un gouvernement
bombarde et rase pratiquement deux villes de son pays
18- Le Houerou (Fabienne), Ethiopie-Erythrée : frères
ennemis de la Corne de l’Afrique, Paris, L’Harmattan,
2000, p.49.
19- Alex de Waal, " Exploiter l'esclavage : droits de
l'homme et enjeux politiques ", Politique africaine,
20
L’INDUSTRIE DE L’ARMEMENT ENTRE LOGIQUE
ENTREPRENEURIALE ET INSTRUMENT POLITIQUE
(1ère partie)
Arnaud BORREMANS
Etudiant à HEI/HEP
1/ Les acteurs de l’industrie de l’armement en France et leurs interactions
problématiques.
Il est d’abord nécessaire, afin de saisir la dynamique des partenariats public/privé dans le
secteur français de l’armement, de faire le tour
des acteurs majeurs de cette synergie entre les
autorités publiques et les firmes privées. Cela
permet de saisir leurs contraintes de fonctionnement et leurs intérêts respectifs, ce qui
permet de comprendre les ententes, ou au
contraire les mésententes, qui peuvent faciliter
ou handicaper la compétitivité du secteur à
l’international. Il est donc opportun de s’attarder sur les quelques entreprises privées qui se
partagent le secteur hexagonal, qui est de fait
tenu pour l’essentiel par un oligopole restreint1.
Puis, il faut se focaliser sur les organes politiques dont émergent les normes, réglementaires ou législatives, qui encadrent ce tissu
industriel particulier2, avant d’essayer de saisir
l’influence d’acteurs singuliers : ces derniers
ne cherchent pas la rentabilité économique et
n’ont pas de pouvoir contraignant, mais qui
peuvent peser en raison de leur rôle d’expertise, de conseil ou d’influence sur l’opinion
publique3.
1. Un oligopole restreint d’entreprises
pour la fabrication des armes.
Après une longue prédominance des régies et
autres entreprises publiques sur l’industrie
d’armement en France, ainsi qu’un éclatement
des acteurs entrepreneuriaux, la fin de la bipolarité au début des années 1990 amena une
restriction des commandes et par là même une
concentration des firmes. Ces dernières furent
par ailleurs privatisées pour l’essentiel pour les
rendre plus compétitives, depuis le milieu des
années 1980 jusqu’à la fin des années 1990. En
fait, seuls trois groupes industriels, dans ce
secteur, dominent le secteur et marginalisent les
autres firmes, qui pour beaucoup sont
contraintes au rôle de simples sous-traitants :
Thales (A), European Aeronautic Defence and
Space company (B) et Dassault (C). .
A. Thales.
Lors de la privatisation de Thomson CSF,
devenu ainsi Thales au tournant des années
2000, l’État a maintenu son influence dans ce
groupe en conservant des participations minoritaires, quitte à détenir une « action spécifique »,
ainsi qu’en négociant avec les partenaires
privés un « pacte d’actionnaires ». Ce pacte est
destiné à stabiliser le capital de pareille société
jugée stratégique, tout comme il le fit pour le
groupe EADS. Les participations publiques,
regroupées sous le terme de Secteur Public,
atteignent 31.2% du capital de Thales, ainsi
l’Etat demeure le premier actionnaire de Thales,
qui est meneur sur le secteur électronique de
défense. Ce cadre des cessions de participations
financières, qui sont des opérations strictement
encadrées par la loi, prévoit d’instituer dans les
sociétés privatisées une « action spécifique » à
laquelle sont attachés des droits spécifiques, a
fortiori lorsque la protection des intérêts nationaux l’exige. Il n’en existe plus qu’une
aujourd’hui, qui résulte du décret n°97-190 du
4 mars 1997 « instituant une action spécifique
de l’État au capital de Thales », cette « golden
share » ou « action dorée » donnant à l’Etat la
possibilité de contrôler l'évolution du capital.
Ainsi, l’article 3 du décret prévoit que tout franchissement à la hausse des seuils de détention
21
directe ou indirecte de titres, du dixième ou d’un
multiple du dixième du capital ou des droits de
vote de la société, par une personne physique ou
morale, agissant seule ou de concert, doit être
approuvé préalablement par le ministre chargé
de l’économie. Un représentant de l’État nommé
par décret, sur proposition du Ministre de la
Défense, siège également au conseil d’administration de Thales, sans voix délibérative certes.
Mais, il peut être également fait opposition aux
décisions de cession ou d’affectation, à titre de
garantie des actifs stratégiques de la société, si
bien qu’au travers de la signature d’un pacte
d’actionnaire, l’État peut faire entrer de nouveaux investisseurs sans toutefois perdre le pouvoir.
Cette convention permet dès lors d'éviter tout
investissement étranger non sollicité, avec en
plus la possibilité d’intégrer dans le pacte des
dispositifs et des procédures. Les dites procédures sont relatives aux conditions dans
lesquelles les actionnaires acquièrent, détiennent
ou cèdent leurs actions, ainsi qu’aux conditions
dans lesquelles ils participent à l’organisation de
la société, à son fonctionnement ou à sa gestion.
De même, lors de la privatisation de ThomsonCSF devenu Thales, initiée dès 1998, deux
pactes ont été conclus pour une durée expirant,
sauf reconduction qui eût effectivement lieu, le
30 juin 2008. Ils incluent un « pacte général »,
conclu entre Thomson SA qualifié sous l’appellation de « TSA » ou « le Secteur Public »,
Alcatel et le groupe Industriel Marcel Dassault,
nommé « GIMD » ou « le Partenaire Industriel »,
ainsi qu’un pacte d’actionnaires conclu entre les
deux sociétés constituant le « Partenaire Industriel », c’est-à-dire Alcatel et GIMD. Le premier
contrat fixe les bases de la coopération entre
l’entreprise et Alcatel, dans les domaines industriel, commercial, de la R&D, des achats et du
capital-risque, ainsi que sur les règles de composition du Conseil d’administration, alors que
le second pacte comporte des clauses sur les domaines dans lesquels Alcatel et GIMD s’informent ou agissent de concert.
Pour le PDG de Thales, Denis Ranque, la
présence de l'Etat dans le capital semble moins
justifiée que par le passé, en raison de l'évolution du marché mondial. En effet, cette participation étatique apparaîtrait dorénavant comme
une singularité, voire par moments comme un
handicap, notamment lorsqu'il s'agit de prendre
des participations dans le capital de sociétés
étrangères.
M. Ranque considère qu’une évolution de la
part de l'Etat ne conduirait pas à un risque de
perte de contrôle, l'actionnaire public représentant 15 % du chiffre d'affaires de Thales et 15 %
supplémentaires par le biais des autorisations
d'exportation. Aussi, l'Etat conserve de toute
façon, à travers sa « golden share », la possibilité de contrôler l'évolution du capital4.
B. European Aeronautic Defence and Space
company.
European Aeronautic Defence and Space
company (EADS) constitue une expérience
entrepreneuriale singulière, soit la fusion
d’entreprises publiques et privées de plusieurs
pays de l’Union Européenne, qui consistait donc
en la privatisation de plusieurs fleurons de
l’industrie nationalisée pour l’armement européen, dont le français Aérospatiale. Mais, il
s’agissait là d’une privatisation largement pilotée par les Etats avec pour finalité la constitution d’un « champion » européen du secteur, qui
permettrait à l’Europe des communautés de
peser commercialement face à ses concurrents,
grâce à la mutualisation des moyens et du savoir-faire. Créée suite à la fusion en juillet 2000
des activités du français Aérospatiale Matra, de
l’allemand Daimler Chrysler (DC) et des actifs
aéronautiques de la société holding de l’État espagnol SEPI (Construcciones Aeronauticas
SA-CASA), EADS est aujourd’hui principalement détenu par des intérêts français, allemands
et espagnols. Mais, le groupe compte deux actionnaires qui priment sur les autres : l’allemand
DC et le français Sogeade, car ces derniers détiennent à parité 59,8 % du capital du groupe,
soit 29,9 % pour chacun des deux. Or, la
Sogeade représente les intérêts français en tant
que joint venture co-détenue par le groupe privé
Lagardère et par la Sogepa, société en charge de
la Gestion des Participations Aéronautiques,
aussi la présence de l’Etat au capital d’EADS
est de l’ordre de 15 %5.
La création d’EADS fut notamment l’occasion
de la signature d’un « Contractual Partnership
Agreement » ou « Accord de Partenariat
Contractuel » entre les différentes parties prenantes, c’est-à-dire l’allemand Daimler Chrysler, le français Sogeade qui réunit l’Etat français
et le groupe Lagardère, plus l’espagnol SEPI.
Cet accord contient notamment des dispositions
relatives à la composition du conseil d'administration d'EADS, aux défenses contre des prises
de participation hostiles et aux droits spécifiques
de l'État6.
22
Le groupe EADS offre un exemple archétypal
des premiers rapprochements industriels européens, qui furent marqués par la constitution de
groupes dont l’organisation interne reflétait à
l’identique les logiques nationales en œuvre.
Cela impliqua que le niveau d’intégration, entre
les différentes filiales du groupe installées sur le
territoire des Etats à l’origine de sa création, soit
resté très limité jusqu’à maintenant. C’est
pareille situation qui explique une répartition
des capacités industrielles non pas en fonction
d’une logique économique, mais en fonction de
la volonté des responsables politiques de conserver sur leurs territoires nationaux des capacités
de R&D, de production et de maintenance
jugées stratégiques. Or, cela empêcha dans les
faits toute intégration ou spécialisation industrielles, aussi la crise que traverse EADS depuis
mi-2006 résulte essentiellement de dysfonctionnements organisationnels internes, causes de
nombreux surcoûts et retards sur des
programmes majeurs. Cela justifie que les
restructurations des sites industriels et les délocalisations aient été les maîtres mots du plan
d’urgence lancé par la direction du groupe, dont
l’objectif était de parvenir à baisser les coûts de
2 milliards d’euros par an d’ici 2010.
De plus, dès la création d’EADS, un principe
fondamental préside à l’organisation interne du
groupe, celui de la parité entre ses fondateurs,
ce qui s’est traduit par la mise en place d’un
système de gouvernance complexe avec, à tous
les niveaux de décision, une double commande
franco-allemande et un « reporting » croisé.
Donc, le maintien de cet équilibre demeure au
centre de toutes les tractations entre les deux
principaux actionnaires d’EADS, qui sont
Daimler Chrysler et Lagardère au travers de la
Sogeade, ainsi que les gouvernements français
et allemands. C’est ainsi qu’en avril 2006, la
décision du groupe Lagardère de céder progressivement, d’ici à juin 2009, 7,5 % des titres
détenus dans EADS s’est accompagnée simultanément de la cession d’une quantité, de titre
égale, par Daimler Chrysler. Alors, les réactions
des autorités allemandes à l’annonce par DC,
d’une possible poursuite de son désengagement
dans EADS, visant à abaisser sa participation à
15%, sont particulièrement symptomatiques
d’une volonté politique forte de conserver quoi
qu’il en coûte la parité franco-allemande.
Toutefois, si EADS est soumis à des pressions
politiques importantes, les dispositions contenues dans son pacte d’actionnaire, destinées à
stabiliser le capital d’un groupe aux activités
stratégiques, lui ont permis de répondre aux ambitions de la banque publique russe Vneshtorgbank (VTB) sur le groupe. Car, comme l’ont
souligné les deux co-présidents du conseil de
surveillance d’EADS, Arnaud Lagardère et
Manfred Bischoff, étant donné que les droits des
actionnaires de référence ne peuvent être
contournés par des actionnaires individuels,
quelle que soit leur position dans le flottant,
l’entrée dans le capital d’EADS de la banque
russe VTB, à hauteur de 5,02 %, ne peut se
traduire par une modification de la structure de
gouvernance de l’entreprise. Le ministre de la
Défense Michèle Alliot Marie avait également
rappelé qu’il convenait de distinguer la coopération politique et la répartition de l'actionnariat :
« Les Russes possèdent une vraie expertise en
matière aéronautique et une meilleure coopération pourrait être intéressante pour le développement de certains projets. En revanche, il n'est
pas question de modifier le pacte d'actionnaires
d'EADS, qui est clair et stable », alors que la
ministre allemand délégué aux Affaires étrangères, pour sa part, considérait que même si
EADS a « besoin de fonds pour son développement futur », les financiers russes doivent rester
des « actionnaires minoritaires »7.
C. Dassault.
L’entreprise de construction aéronautique
Dassault se singularise parmi ses pairs du
secteur, en raison de son émergence précoce
comme acteur purement privé, dans un tissu
industriel très largement nationalisé initialement. En effet, à la Libération en 1944-1945,
non seulement les industries appartenant à l’Etat
en propre restent majoritaires, avec notamment
les nationalisations effectuées par le Front
populaire le 17 juillet 1936, mais, d’autres
firmes jusqu’alors privées sont nationalisées à
leur tour, comme les usines Renault pour les
chars de combat, ou le fabriquant de moteurs
d’avions Gnôme et Rhône, rebaptisé Société
nationale d’études et de construction de moteurs
d’avion (SNECMA) pour l’occasion. Mais,
alors que cette concentration jacobine de
l’industrie d’armement s’effectue, sous la
houlette du communiste Charles Tillon, ministre
de l’Air puis de l’Armement de 1944 à 1946,
quelques industriels, qui avaient pour point
commun d’être pour l’essentiel les perdants des
nationalisations sous le Front populaire, en
1936, se relançaient dans le secteur de l’armement en fondant de nouvelles firmes. Parmi ces
23
derniers, Marcel Bloch, qui se rebaptisa Marcel
Dassault après la Libération, de retour de
déportation réactive la société anonyme qu’il
avait fondée en décembre 1936, en réaction à la
nationalisation de sa société des avions Marcel
Bloch en juillet 1936. Or, c’est cette nouvelle
firme nommée d’après son nouveau patronyme
de Dassault qui participa activement au réarmement de la France, puis à la formation de la force
de frappe nucléaire du pays8.
Effectivement, en homme d’affaires avisé,
Marcel Dassault sut imposer son entreprise
comme un acteur majeur de l’industrie française
de l’armement, malgré la prédominance originelle des régies. Il fit cela en adaptant ses
productions à des marchés d’exportation particulièrement profitables, ainsi qu’en sollicitant le
soutien financier de l’Etat pour la Recherche &
Développement, même pour des projets non
sollicités par les autorités publiques.
C’est justement en misant sur l’innovation, donc
sur l’attraction et la compétitivité de produits à
haute valeur ajoutée, que le groupe Dassault se
rendit incontournable dans ce secteur, dès les années 1950. C’est-à-dire quand, en parallèle de la
production d’avions de combat innovants pour
l’Armée de l’Air, dont l’avant-gardiste Mirage IV
en mesure de porter des charges atomiques et
dont le développement fut bouclé avec célérité,
en moins de trois ans, Marcel Dassault investit
dans l’industrie en plein essor de l’électronique.
Ainsi, M. Dassault engage en 1954, sur le
conseil de son fils Serge, un jeune électronicien
talentueux, Marcel Daugny, pour diriger le
département électronique de sa firme, afin de
concevoir des radars d’avions de combat et des
contre-mesures électroniques. Or, ce département s’avéra l’un des plus porteurs du groupe, à
la suite d’une diversification de ce laboratoire
dès 1959, qui lui fit créer des produits aussi innovants et profitables qu’une « tête chercheuse »,
au profit du premier missile air-air d’un nouveau
partenaire commercial, l’entreprise Matra, ainsi
qu’un calculateur de bombardement pour le
Mirage IV. Grâce à la multiplication des contrats
de développement, ainsi qu’à une activité
croissante dans le domaine stratégique,
Dassault développe les ordinateurs des missiles
embarqués sur les premiers Sous-marins
Nucléaires Lanceurs d’Engins (SNLE). Aussi,
le bureau d’études électroniques de l’avionneur
se développe de manière spectaculaire, ce qui
est l’occasion de le renommer comme le Centre
d’études et de recherches électroniques
(CEREL), avec des parts détenues exclusive-
ment par la holding de M. Dassault et de sa
famille, le Société Immobilière Marcel Dassault
(SIMD). En janvier 1963, le CEREL devient
Electronique Marcel Dassault (EMD), pile au
moment où il profita pleinement du décollage
de l’électronique militaire, puis en 1982 cela
devint Electronique Serge Dassault (ESD) et en
1990 Dassault Electronique. Cela passa par une
croissance associée à une diversification, la
spécialisation dans les systèmes de chiffrement
et de guerre électronique étant dépassée par une
introduction dans les domaines de l’informatique embarquée, pour les systèmes de transport
civils, les satellites ou encore les terminaux de
paiement sécurisés9.
Néanmoins, malgré son rôle historique dans le
développement du groupe Dassault, Dassault
Electronique fut sacrifié au nom d’une stratégie
de concentration imposée par les responsables
politiques : en effet, le lobbying du groupe quant
aux commandes de matériel militaire par l’Etat
français ne saurait aller contre des dynamiques
structurelles, or les années 1990 furent marquées
par la fin de la Guerre Froide, donc par la désuétude de dépenses militaires hypertrophiées.
Les budgets d’armement français ne pouvaient
dès lors se maintenir au même niveau que dans
les années 1980, à plus forte raison à celui des
années 1960, tant l’Etat était soucieux
d’engranger les « dividendes de la paix » pour
combler une partie de son déficit. Aussi, les
industriels de l’armement furent obligés de se
focaliser sur leurs cœurs de métier respectifs
pour maintenir leur rentabilité, quitte à se dissocier de branches porteuses par temps de forte
commande des Armées.
Dans le cas du groupe Dassault, cela passa par
le sauvetage des industries aéronautiques au prix
de la cessation de Dassault Electronique, qui fut
échangée contre 6% des parts de Thomson-CSF,
futur Thalès, à cette dernière suite à sa privatisation par le gouvernement de Lionel Jospin, en
octobre 199710. Le groupe Dassault se retrouve
dès lors dans la même situation que son concurrent EADS, obligé de marginaliser la part des
ventes militaires dans son chiffre d’affaires. Si
bien que les trois quarts de ses revenus proviennent dorénavant de la vente des avions civils
Falcon, qui sont largement rentables à l’image
du Falcon 7X qui est très demandé, preuve s’il
en est de sa qualité puisque les commandes sont
nombreuses malgré des délais de livraison a
priori contraignants, avec près de cinq ans en
moyenne11.
Dassault Aviation se trouve dans une situation
24
particulière dans l’industrie française de
défense, car il s’agit d’une société privée cotée
en bourse, l’entreprise comptant deux grands
actionnaires qui sont le Groupe industriel
Marcel Dassault (GIMD), à hauteur de 50,21%
de son capital, ainsi qu’EADS France à hauteur
de 46,30%. Cette prise de capital fit suite au
transfert, en décembre 1998, des participations
de l’Etat à Aérospatiale, mais il n'existe aucun
pacte d'actionnaires entre GIMD et EADS
France, ni aucune action d'autocontrôle, tandis
que le flottant inscrit en bourse ne représente que
de 3,49% du capital12. Néanmoins, ce statut de
pure indépendance financière ou organisationnelle envers l’Etat ne doit pas occulter la
recherche constante du soutien des autorités
publiques par le groupe Dassault, afin de légitimer ses choix sur la stratégie de production ou
de vente. Ainsi, Charles Edelstenne, l’actuel
Président Directeur Général de Dassault, déclara
lors d’une conférence de presse durant le Salon
de l’aviation de Paris en 2009 que la France
devrait acheter environ trois cents avions de
combat Rafale, en s’appuyant largement sur le
Livre blanc sur la Défense qui venait de paraître.
Aussi, la décision ultérieure des autorités françaises de réduire de 15 % la quantité initialement prévue a-t-elle contrarié les prévisions de
rendement du groupe qui dut prévoir un élargissement des exportations à l’extérieur.
Cette initiative suscita une perte entre 3,4 et 3,7
milliards de dollars US, que Dassault cherche
depuis à combler par l’exportation du Rafale
dans des pays qui ne l’ont pas encore testé et rejeté, comme le firent le Maroc qui lui préféra le
Lockheed Martin F-16 ou l’Arabie saoudite qui
opta pour l’Eurofighter Typhoon. Aussi, des
pays tels que le Brésil, la Grèce, l’Inde, la Suisse
et les Emirats Arabes Unis sont-ils privilégiés
comme marchés ciblés. Or, dans cette optique
Dassault bénéficia du soutien de la République
française qui, n’ayant pas pu assurer un marché
domestique viable à un des fleurons de l’industrie nationale de l’armement, cherche à réconcilier la nécessité d’encourager la croissance du
secteur et le besoin pour l’Etat de compresser
ses budgets de défense par la promotion du produit auprès d’autres Etats clients. Mais, cela impliqua la constitution d’accords contestables car
ils engagent l’avionneur française à effectuer un
transfert de technologie vers les pays acheteurs,
un transfert complet « qui inclut les codes
sources » à en croire le responsable du
programme Rafale chez Dassault, Jean-Noël
Stock13, alors que pareil argument commercial
pour des ventes à court terme risque de susciter
un préjudice en terme de compétitivité sur le
long terme.
2. Les institutions politiques chargées de
l’encadrement de cette industrie.
Les organes politiques qui encadrent le secteur,
qu’ils tirent leur pouvoir d’une délégation par
les élus de la Nation ou en raison de leur
composition qui incluent ces derniers, procèdent
à cette régulation par voie réglementaire ou
législative. Ainsi, parmi eux se dénombrent le
Secrétariat Général de la Défense et de la
Sécurité Nationale (A), qui conseille directement le Premier Ministre sur les questions
mentionnées dans son intitulé, y compris
portant sur les industries de défense. Il y a aussi
le Conseil de Défense et de Sécurité Nationale
(B) qui établit les grandes orientations stratégiques dans ces domaines, en réunissant tous les
principaux responsables publics concernés
autour du chef de l’Etat. Enfin, les commissions
parlementaires sur la Défense nationale (C)
élaborent les propositions de lois, qui limitent
les initiatives de l’exécutif dans un ensemble
normatif.
A. Le Secrétariat Général de la Défense et de la
Sécurité Nationale..
Le Conseil des ministres adopta, le 23 décembre
2009, le décret relatif au conseil de défense et
de sécurité nationale et au Secrétariat Général
de la Défense et de la Sécurité Nationale
(SGDSN), qui est rentré en vigueur le
13 janvier 2010 pour appliquer dans les faits les
orientations du Livre blanc sur la défense et la
sécurité nationale, pour ce qui concerne l’organisation des pouvoirs publics. Cela prolongea et
précisa les dispositions introduites dans le code
de la défense par la loi du 29 juillet 2009, relative à la programmation militaire pour les
années 2009 à 2014, ainsi le Secrétariat Général
de la Défense Nationale (SGDN) s’est transformé en Secrétariat Général de la Défense et de
la Sécurité Nationale (SGDSN).
Or, ses missions ont été élargies à l’ensemble
des questions stratégiques de défense et de
sécurité, qu’il s’agisse de la programmation
militaire, de la politique de dissuasion, de la
programmation de sécurité intérieure concourant à la sécurité nationale, de la sécurité
économique et énergétique, de la lutte contre le
25
terrorisme ou de la planification des réponses
aux crises14.
Le Secrétariat Général de la Défense et de la
Sécurité Nationale (SGDSN) assure le plus
officiellement possible le secrétariat du Conseil
de Défense et de Sécurité Nationale dans ses
formations plénières, spécialisées et restreintes.
Mais, il ne s’agit justement que d’assurer
l’intendance et cette mission est assurée au sein
du SGDSN par une équipe de conseillers justement, aussi ne sont-ils placés auprès du Secrétaire Général de la Défense et de la Sécurité
Nationale15 que pour conseiller le conseil auprès
du chef de l’Etat. Néanmoins, le SGDSN a un
rôle conséquent car il assure le contrôle des
exportations des matériels de guerre, en répondant à trois nécessités : une de sécurité nationale
pour garantir la protection des forces françaises
et celle des alliés de la République française,
ainsi que de ses partenaires engagés en opérations ; une autre de nature politique et juridique,
qui est le souci de garantir le respect des engagements internationaux souscrits par la France.
Cela comprend, notamment, la position
commune sur le contrôle des exportations de
technologie et d’équipements militaires,
l’arrangement de Wassenaar sur le contrôle des
exportations d’armes conventionnelles, les
conventions internationales relatives à la lutte
contre la prolifération, les embargos de l’Organisation des Nations Unies et de l’Union
Européenne ; une dernière économique et
industrielle, soit l’assurance de maîtriser les
transferts de technologies les plus sensibles.
Le système français de contrôle des exportations
de matériels de guerre, ainsi que des matériels
assimilés, est basé sur des principes généraux :
un principe de prohibition, à moins que l’Etat ne
l’autorise et ne le contrôle, principe justifié par
la nature particulière du commerce des armes et
qui est de nature législative, en vertu des articles
L 2335-2 et 3 du Code de la défense ; un autre
de coordination interministérielle, car le contrôle
des exportations est mis en œuvre sous la
responsabilité du Premier ministre. En fait, ces
opérations d’exportation de matériels de guerre
sont soumises à un contrôle en deux phases,
avec une première phase qui correspond à la
délivrance d’un Agrément Préalable (AP) du
gouvernement français, ce qui permet aux
exportateurs de promouvoir leurs matériels et de
prendre commande. Quant à la seconde phase,
elle consiste en l’autorisation d’exportation des
matériels de guerre, qui est nécessaire pour que
les matériels franchissent la frontière et soient
transférés jusqu’au client du pays destinataire.
Cela suit une procédure fixée par l’arrêté du
2 octobre 1992, relatif à la procédure d’importation, d’exportation et de transfert des matériels
de guerre, armes et munitions et des matériels
assimilés.
L’agrément préalable est octroyé par le Premier
ministre, suite à l’avis de la Commission
Interministérielle pour l’Etude des Exportations
de Matériels de Guerre (CIEEMG), fondée par
le décret n°55-965. Elle réunit actuellement des
représentants du ministre chargé de la défense,
du ministre chargé des affaires étrangères et
européennes, du ministre chargé des finances et
des affaires économiques, sous la présidence du
Secrétaire Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN). Son but est d’apprécier les projets d’exportation en fonction de
critères opérationnels, politiques, déontologiques, économiques et industriels avec, le cas
échéant, des avis assortis de réserves, telles que
l’insertion dans le contrat d’une clause de nonréexportation et d’utilisation finale. Avec cette
clause, l’acheteur s’engage à ne pas vendre ou
céder à un tiers les matériels et rechanges objet
du contrat sans l’accord préalable des autorités
françaises, tout en certifiant l’utilisation finale à
laquelle il les destine.
A la suite de quoi, l’autorisation d’exportation
est délivrée par le ministre chargé des douanes
après avis du Premier ministre, des ministres
chargés de l’économie, des affaires étrangères,
de la défense et du budget (Annexe 1)16.
B. Le Conseil de Défense et de Sécurité Nationale.
Le Conseil de Défense et de Sécurité Nationale
est présidé par le chef de l’Etat, avec pour
compétence toutes les questions de défense et
de sécurité, qu’il s’agisse de la programmation
militaire, de la politique de dissuasion, de la
programmation de sécurité intérieure, de la
sécurité économique et énergétique, de la lutte
contre le terrorisme ou de la planification de
réponse aux crises17. Il fut créé suite au conseil
des ministres du 23 décembre 2009, le Premier
ministre ayant présenté un décret relatif au
conseil de défense et de sécurité nationale, ainsi
qu’au secrétariat général de la défense et de la
sécurité nationale. Cette démarche était
conforme aux orientations du Livre blanc sur la
défense et la sécurité nationale, tout en faisant
suite à la loi du 29 juillet 2009 de programmation militaire pour les années 2009 à 2014, qui
26
avait fait entrer dans le droit français le concept
de sécurité nationale et avait créé le Conseil de
Défense et de Sécurité Nationale18.
Ce Conseil de Défense et de Sécurité Nationale
présente des implications concernant la politique
française sur l’industrie militaire, car il rassemble en plus du Président de la République et du
Premier ministre le ministre des affaires étrangères et européennes, le ministre de l’intérieur,
le ministre de la défense, le ministre du budget.
Mais, il comprend aussi le ministre de l’économie qui est donc appelé potentiellement à traiter
de questions industrielles concernant la Défense,
dans le cadre de ce Conseil.
Qui plus est, un Conseil consultatif sur la
défense et la sécurité nationale est partie intégrante du Conseil de Défense et de Sécurité
Nationale, or il est composé de personnalités indépendantes nommées par le chef de l’Etat et
pourra faire appel à des experts de l’administration, afin de mettre ses avis et ses analyses à la
disposition du Président de la République et du
Premier ministre. Aussi, les différentes dimensions, politiques, financières, opérationnelles et
internationales d’une situation feront ainsi l’objet de débats contradictoires, pour être présentées sous forme de choix ouverts à la décision
finale19. Donc, cette structure laisse aux représentants de l’industrie ou des administrations
concernées, tels que l’Etat-Major des Armées
(EMA) ou la Direction Générale de l’Armement
(DGA), l’occasion d’influencer les choix stratégiques de l’Elysée qui portent sur l’industrie de
l’armement. Encore faut-il avoir l’écoute
préalable du Président de la République pour
qu’il les y admette.
C. Les commissions parlementaires sur la Défense
nationale.
La prédominance de l’exécutif dans les
questions d’industrie à usage militaire ne doit
pas occulter la place essentielle des parlements
nationaux, donc de l’Assemblée nationale et du
Sénat. Car si ce sont le gouvernement et le chef
de l’Etat, au titre de chef des armées, qui gèrent
quotidiennement et adoptent des orientations
stratégiques sur ces points, ce sont les députés
et les sénateurs qui surveillent pareille activité
et ce, au nom de l’intérêt général. Ils en tirent
les conséquences sous la forme de lois, si
nécessaire, qui encadreront la marge de
manœuvre de l’exécutif. Néanmoins, l’expertise
sur les industries d’armement se focalise au sein
de ces cénacles dans les commissions prévues à
cet effet, étant entendu que ce sont elles qui
analysent les tendances et les dynamiques du
secteur, ainsi que les effets des politiques
publiques qui y sont associées. Aussi, est-il
opportun de se concentrer sur l’action des dites
commissions, qui sont à l’initiative des propositions de loi en la matière, plutôt que d’essayer de
discerner une pratique des parlements nationaux
dans leur ensemble sur ces sujets.
Pour l’Assemblée nationale, l’organe compétent
est la Commission de la Défense et des forces
armées qui, selon l’article 36, alinéa 12, du
Règlement de l’Assemblée nationale, a pour
domaines de compétence : l’organisation générale de la défense, les liens entre l’armée et la
Nation, la politique de coopération et d’assistance dans le domaine militaire, les questions
stratégiques, les personnels civils et militaires
des armées, la gendarmerie, la justice militaire et
les anciens combattants entre autres, mais aussi
les industries de défense qui nous concernent
ici20.
Or, un premier élément peut susciter la polémique ou des doutes : les députés membres de
cette commission, du moins le Président de
commission, ses vice-présidents et les secrétaires, qui ont pourtant un pouvoir de synthèse et
d’arbitrage qui devrait impliquer qu’ils maîtrisent la matière dont ils traitent, ne sont pour
l’essentiel ni des militaires, ni des personnels
civils de la Défense, ni des industriels21. Aussi,
n’ont-ils pas d’expérience professionnelle qui
leur permette de saisir intimement les problématiques de l’industrie d’armement.
Au Sénat, cette question relève de la Commission des affaires étrangères, de la Défense et des
forces armées, une des six commissions permanentes en vertu de l’article 43 de la constitution
de 1958, qui est composée de cinquante-six
membres. Or, ils partagent avec leurs homologues de l’Assemblée nationale la même
caractéristique troublante : ils n’ont pour la
plupart aucune expérience propre, ni des affaires
de défense ni de l’industrie privée22.
3. Les acteurs à but non lucratif mais
sans responsabilité politique.
Les deux types d’acteurs mentionnés précédemment avaient un pouvoir effectif sur le
secteur français de l’armement, les entreprises
privées étant aux prises directement avec la
concurrence internationale et les organes
spécialisés des institutions politiques régulant ce
tissu industriel, en fonction de la sécurité
27
nationale et des intérêts stratégiques ou diplomatiques du pays. Néanmoins, il ne faut pas
ignorer l’influence que peuvent détenir des
acteurs ne relevant ni du milieu entrepreneurial,
ni du pouvoir politique, leur raison d’être relevant du conseil et de l’expertise auprès des
responsables publics. Parmi eux, il y a notamment l’Etat-Major des Armées (A) ou la Direction Générale de l’Armement (B), ainsi que
pour la diffusion de l’information et de
l’opinion, comme les médias et les Organisations Non Gouvernementales (C).
A. L’Etat-Major des Armées
L’Etat-Major des Armées (EMA) est dirigé par
le Chef de l’Etat-Major des Armées (CEMA),
mais son pouvoir effectif, confié par le Président de la République et le Gouvernement, qui
englobe l’emploi des forces armées et le
commandement des opérations militaires est
limité. Cela est dû, d’une part à ses prérogatives
qui n’incluent pas les mesures singulières
concernant la dissuasion nucléaire, d’autre part
à sa position hiérarchique qui ne lui accorde une
autorité que sur les chefs d’état-major des trois
armées, les commandants supérieurs dans les
Départements d’Outre-Mer, en Polynésie
française et en Nouvelle-Calédonie, ainsi que
sur les commandants des forces françaises à
l’étranger avec leurs propres états-majors interarmées et les Officiers Généraux de Zone de
Défense (OGZD). Mais, sa compétence ne couvre pas la Direction Générale de l’Armement
(DGA), qui fixe les commandes de matériel et
teste les prototypes, pas plus que sur l’industrie
elle-même.
Néanmoins, le CEMA et à travers lui ses adjoints de l’EMA exercent une influence sur le
secteur industriel de l’armement, puisqu’une de
leurs responsabilités est la définition du format
d’ensemble des armées et de leur cohérence
capacitaire. En somme, il propose une circonscription de la demande en matériel militaire et a
de fortes chances d’être écouté, en sa qualité de
conseiller militaire du Gouvernement23.
Même si les officiers supérieurs, qui constituent
l’Etat-Major des Armées, n’ont censément
qu’un rôle de conseil auprès du pouvoir exécutif et d’application des résolutions de la Présidence de la République ou du gouvernement, il
ne faut pas pour autant sous-estimer leur
pouvoir d’obstruction ou de pression sur leurs
supérieurs politiques. Car, quand bien même ils
ont dû revenir sur des mesures qui avaient leur
faveur, ils ont pu aussi soutirer à plusieurs
reprises leur accord aux responsables de
l’Elysée ou de Matignon, quitte à « piéger » les
dits responsables. Ainsi, bien que lui-même
mitigé sur l’intérêt d’un sixième Sous-marin
Nucléaire Lanceur d’Engins (SNLE)24, l’amiral
Marc de Joybert, chef d’état-major de la marine
nationale, profita de l’intérim d’Alain Poher à
la Présidence de la République en avril 1974
pour faire signer à cet éphémère Président de la
République la « dépêche de mise en chantier »
de l’Inflexible. Les officiers de l’EMA ont ainsi
démontré qu’ils étaient aussi de fins tacticiens
politiques, surtout dès qu’il s’agissait de défendre les projets qu’ils estimaient indispensables
pour le Défense nationale, aptitude qu’ils
démontrèrent à nouveau lors de la première
cohabitation en 1986.
En effet, jugeant insuffisants les SNLE car ne
permettant pas une visibilité de la Marine
nationale pour les possibles belligérants, pas
plus qu’ils ne permettaient de projeter des
forces dans les airs ou sur terre, la Marine
nationale exigea la construction d’un porteavions dont le programme de construction fut
initié en février 1986, par le gouvernement
socialiste de Laurent Fabius, sous le nom de
Richelieu. Mais, craignant que le programme
ne soit abandonné pour raison de compressions
budgétaires comme tant d’autres par le passé,
les marins de l’EMA usèrent de toute leur
influence auprès du gouvernement de Jacques
Chirac. En effet, dès sa formation en mars 1986,
les officiers obtinrent que le navire soit rebaptisé Charles de Gaulle, afin que la charge
symbolique prêtée au porte-avions par pareil
patronyme dissuade tout gouvernement de
sacrifier le projet, devenu trop emblématique.
Néanmoins, les suites de cette entreprise
soulignent aussi les limites de l’influence de
l’EMA : en effet, au début des années 2000,
alors même que la nécessité d’un second porteavions s’avère nécessaire, pareille opportunité
d’engager le personnel politique sur le long
terme ne s’est pas présentée. Or, il apparaît que
la crainte de crever le budget national
apparaisse plus important pour l’instant que
l’opportunité opérationnelle d’un nouvel
équipement25.
B. La Direction Générale de l’Armement.
En sa qualité de maître d'ouvrage des
programmes d'armement, la Direction Générale
de l’Armement (DGA) est responsable de la
conception, de l'acquisition et de l'évaluation
28
des systèmes qui équipent les forces armées. A
ce titre, son action couvre toute la durée de vie
des dits programmes, ce qui contraint la DGA à
être le premier investisseur de l'Etat, avec en
2010 la conduite de quatre-vingts programmes
d'armement et 9,114 milliards d'euros de commandes à l'industrie, ce qui s’explique par le
souci de prospective, notamment sous l’aspect
anticipation des menaces et des risques, de
préparation des capacités technologiques et
industrielles, dans un cadre résolument européen. Aussi, la DGA est devenue par la même
occasion le premier acteur de la recherche de
défense en Europe, avec six cents trente cinq
millions d'euros de contrats d'études notifiés à
l'industrie en 2010, ainsi qu’avec plus de 17 %
des études en amont qui sont effectués en
coopération européenne. La DGA contribue
donc, largement et activement, à ce volet
majeur de la politique industrielle, tant sur
l'aspect contrôle pour le respect des engagements internationaux de la France que sur
l'aspect économique pour le développement des
entreprises de défense, devenant un partenaire
majeur pour le développement international des
entreprises françaises. Cela est nécessaire car
les exportations d'armement représentent un
tiers de l'activité des entreprises françaises du
secteur, ces dix dernières années, or grâce à la
DGA l’industrie française a pu faire
4,271 milliards d'euros de prises de commandes
export en 201026.
Dès sa création par le Général de Gaulle, le
5 avril 196127, la Direction Générale de
l’Armement (DGA) est dominée par les
Ingénieurs de l’Armement (IA), dont 80 %
environ sortent de Polytechnique, or lesdits IA
y exercent un rôle crucial qui est l’élaboration
des lois quinquennales de programmation militaire et des budgets militaires annuels de l’Etat.
Or, même si ces projets de lois doivent être
soumis aux parlementaires pour ratification,
l’influence de la DGA est garantie par le relatif
suivisme des commissions parlementaires, dont
les membres n’ont pas d’expérience propre
pour la plupart d’entre eux28 et qui se reposent
donc beaucoup sur les informations que les
services du Ministère de la Défense leur fournissent, notamment au travers de la DGA.
Néanmoins, un contrôle extérieur et critique
serait peut-être nécessaire, eu égard aux risques
de collusion et de trafic d’influence qui existent
dans ce milieu, en effet les IA sont répartis quasiment pour moitié entre la DGA et les firmes
industrielles de l’armement mais restent liés par
le cadre associatif de la Confédération Amicale
des Ingénieurs de l’Armement29. Or, il fut déjà
constaté qu’au mépris des règlements de la
fonction publique pareil cadre servait aux IA
des deux secteurs, public et privé, à se retrouver
afin de se concerter en vue de « pantoufler »,
c’est-à-dire de passer directement de leur poste
public à une fonction dans une société en lien
avec l’Etat, au risque que cette transition ne soit
conditionnée à du favoritisme, alors qu’ils sont
toujours en poste à la DGA, en faveur de telle
ou telle firme qui leur aura fait une offre30.
Par ailleurs, la DGA joue un rôle essentiel dans
la R&D du secteur, ce qui justifie son quasimonopole sur la recherche concernant tous les
types d’armement pour les cinq directions du
Ministère de la Défense, c’est-à-dire l’Armée
de Terre, l’Armée de l’Air, la Marine nationale,
la Gendarmerie nationale et la DGA elle-même.
Cela se fait au travers de ses propres centres
d’essais et laboratoires de recherche, à l’exception près du nucléaire militaire qui est l’exclusivité du Commissariat à l’Energie Atomique,
bien que la DGA en coordonne les commandes.
Aussi, la DGA a-t-elle contribué à des développements dans des technologies intéressant la
Défense, tels que l’industrie aérospatiale, la
construction navale ou les équipements électroniques et informatiques. Mais, elle a aussi participé au soutien étatique pour les exportations
de l’industrie française de l’armement, par le
biais de sa Direction des Affaires Internationales (DAI), qui à cette fin n’hésite pas à recourir aux aides directes ou indirectes, comme
des garanties ou des prêts d’Etat, rendant dès
lors les industriels français très dépendants et
sollicitants envers elle afin d’accroître leur activité internationale31.
Néanmoins, la DGA est en passe de suivre une
logique de compression budgétaire, mais
surtout de rationalisation des coûts, impulsée
par la Présidence de la République en raison des
difficultés financières suscitées par la crise
économique depuis 2007-2008. Cela devrait
réduire les complaisances envers l’industrie qui
lui permettaient de générer des profits importants de la vente domestique, pour le compte de
l’armée française, ce qui est confirmé par le
souci grandissant des entrepreneurs de vendre
à l’export, dynamique dans laquelle la DAI est
appelée à s’investir pleinement.
En effet, la législation a posé dès 2009, suite à
des projets de loi du Gouvernement, la nécessité
29
d’une
rationalisation
conséquente
de
l'organisation du Maintien en Condition
Opérationnelle (MCO). Aussi, la maîtrise
d'ouvrage déléguée, répondant dorénavant à une
logique de milieu, est généralisée avec la
création du Service Interarmées de Maintenance
des Matériels Terrestres (SIMMT), formé sur le
modèle du Service de Soutien de la Flotte (SSF)
et de la Structure Intégrée du Maintien en condition opérationnelle du Matériel Aéronautique de
la Défense (SIMMAD). Or, ces structures de
soutien devront travailler avec la DGA de
manière plus intégrée, avec un suivi tout au long
des programmes. Donc, le soutien tacite des IA
de la DGA envers leurs pairs de l’industrie, qui
passaient par l’acceptation de prévisions de coût
sous-évalués des programmes d’armement,
prévisions biaisées par la comptabilité des seules
dépenses de R&D initiale et en omettant les tests
complémentaires et améliorations ultérieures32,
devrait avoir du mal à s’appliquer désormais. En
effet, la maîtrise des coûts de MCO fait maintenant l'objet d'une approche partenariale avec
l'industrie, aussi les contrats devront prévoir des
indices de performance et faciliter l'analyse des
coûts complets des équipements33.
C. Organisations Non Gouvernementales et médias généralistes.
Il ne peut être ignoré l’influence des faiseurs
d’opinion sur cette question de l’industrie
d’armement, qu’il s’agisse des médias généralistes, avec le traitement qu’ils font de l’information concernant ce secteur, ou des
Organisations Non Gouvernementales en raison
de leur activisme partisan et idéologique, car ils
contribuent à forger l’avis de l’opinion publique
sur la matière étudiée ici et par là même à inciter les responsables politiques à emprunter une
posture, en fonction de l’Opinion du moment.
Or, il faut constater préalablement que des pans
entiers de l’audiovisuel et de la presse écrite en
France sont sous une double tutelle, celle des
groupes industriels dont certains investissements sont placés dans le secteur du matériel
militaire et celle de la communication des forces
armées. En effet, les firmes de l’armement ont
pour beaucoup une filiale dans les médias, à
l’image du groupe Matra-Hachette dont la
composante Hachette produit certes des
manuels scolaires et des ouvrages pour adultes,
ce qui fit de lui le premier groupe français de
presse-magazines, avec 20 % du chiffre
d’affaires de l’édition nationale à son actif en
1986, mais le groupe dispose aussi de médias
radiophoniques, avec les radios Europe 1,
Europe 2 ou Skyrock, sans oublier le rachat de
la Cinq qui s’avéra être une erreur par la suite34.
Par ailleurs, le Service d’Information et de
Relations Publiques des Armées (SIRPA) a pour
doctrine officielle de défendre dans les
médias les doctrines stratégiques des armées
françaises, notamment la dissuasion nucléaire
qui apparaît comme un élément à défendre de
manière prioritaire. Cela implique de diversifier
les vecteurs d’information, tels que les publications régulières, les émissions audiovisuels, les
centres de documentation ou les films vidéo,
pour atteindre des auditoires identifiés comme
peu sensibles aux questions de défense à l’origine, comme les enseignants ou les jeunes35.
Mais, il s’agit surtout de sensibiliser les journalistes, voire à les employer pour assurer le
relais, que cela soit au travers du Centre Opérationnel de Presse Internationale de Défense
(COPID), un centre informatisé de documentation destinée à la presse, ainsi que par le biais de
l’hebdomadaire à diffusion limitée SIRPAActualités. Il y a aussi l’Etablissement de
Conception et de Production Audiovisuelle
(ECPA) qui fournit des documents audiovisuels
aux journalistes sur les conflits armés passés ou
présents, mais qui commandite aussi des films
à des organismes français, avec la contribution
de personnalités de l’audiovisuel français, tels
que MM. Claude Lelouch et Costa-Gavras, qui
ont été affectés à ce service le temps de leur
service militaire36. Bref, autant de moyens par
lesquels l’institution militaire encadre le milieu
médiatique et assure une bonne image de son
action, quitte pour cela à dériver jusque dans la
propagande, en privilégiant l’information sur les
missions sociales de l’armée comme les interventions en cas de catastrophes naturelles ou
l’aide humanitaire dans les pays déstabilisés. Ce
biais vise à occulter l’aspect franchement guerrier, qui risquerait de faire s’éloigner les nouveaux publics que le SIRPA veut séduire37,
quitte à recourir à la censure comme en juillet
1993, quand un journaliste fut sanctionné par sa
hiérarchie suite à une réprimande du SIRPA, car
il avait mentionné les dommages écologiques
occasionnés à la Polynésie française par les
essais nucléaires, lors d’une émission d’Arte sur
le sujet38.
Face à des médias qui sont, pour la grande
majorité, sous ce double parrainage qui les
amène à être accommandants à l’égard des
positions de l’Etat et des industriels de l’arme-
30
ment, il existe une pléthore d’ONG rien qu’en
France qui essaient de mettre en avant des
arguments pour réduire les dépenses militaires
au nom du désarmement, voire pour faire
cesser certaines activités qu’elles jugent
polluantes ou dangereuses pour la santé. Mais,
leur militantisme virulent et leur manque de
considération pour les préoccupations géostratégiques les empêchent de rentrer dans un
dialogue constructif avec les autorités publiques,
ainsi que de susciter un attrait affirmé auprès des
opinions publiques.
Ainsi, le Comité des scientifiques pour le désarmement nucléaire ne distingue pas entre la
problématique de l’arme atomique et l’existence
d’un équivalent français au complexe militaroindustriel américain, ensemble institutionnel que
l’ancien président du Comité Roger Godement
qualifiait pour sa part de « complexe scientificomilitaro-industriel ». Aussi, ce Comité a-t-il
signé en juin 1987 une Déclaration de
Hambourg, regroupant tous les scientifiques
européens hostiles aux programmes d’armement
nucléaire et qui proposèrent notamment l’arrêt
de toute production de matériaux fissiles
militaires39. Or, il s’agit là de propositions
dépourvues d’impact car trop radicales et pas du
tout pragmatiques, qui excluent toute reconnaissance à l’utilité de ces moyens militaires, si
bien que ce genre de rhétorique nuit à la
démarche de ces ONG, notamment quand elle
est relayée dans les milieux académique ou
médiatique40.
Néanmoins, malgré leur radicalité, un exemple
pertinent d’ONG pacifiste parvenant à faire plier
les autorités est Greenpeace qui, ne dissociant
nullement écologisme et pacifisme, n’a jamais
cessé de dénoncer les conséquences de la pollution par le nucléaire militaire, au point d’avoir
réclamé un traité de dénucléarisation de la
Méditerranée à l’image de celui de 1960 sur
l’Antarctique afin de faire cesser les mouvements de SNLE dans cette mer. Mais, en 1995,
l’association obtint un succès après vingt-cinq
ans d’activisme avec non seulement l’arrêt des
essais nucléaires dans le Pacifique Sud, même
si ce moratoire fut facilité par l’efficacité acquise
par les simulations informatiques des essais, qui
permettaient de se passer des tests à tir réel.
Mais, elle exigeait aussi la fin de la propagande
d’Etat sur les conséquences économiques et
sociales, présentées comme positives, de la
présence du Centre d’Expérimentation du
Pacifique pour les Polynésiens, or le Président
du Gouvernement de Polynésie française
Gaston Flosse dut admettre, devant l’Assemblée
nationale en 1994, que cela avait généré des
déséquilibres économiques et sociaux criants,
ainsi qu’une croissance artificielle donc non
pérenne41.
Dans le premier livre ci-dessus, il fut constaté
que le partenariat public-privé en France aboutissait à des dysfonctionnements imputables à
deux excès inverses, mais tout aussi néfastes :
une connivence trop étroite des organes de
contrôle et d’évaluation avec les industriels des
armements ; ou a contrario une opposition frontale entre les firmes privées et l’Etat quand ce
dernier leur impose des contraintes contreproductives, comme des participations au
capital pour éviter des ingérences d’acteurs
étrangers dans ces groupes aux activité sensibles, ou réduit les commandes pour raison de
compression budgétaire.
A ces problèmes, se rajoutent des complications
comme les tensions au sein des pouvoirs
publics, notamment entre les options stratégiques des officiers militaires et des responsables politiques, les choix court-termistes pour
faciliter les exportations, quitte à faciliter
l’appropriation par des concurrents en devenir
du savoir-faire français. Ou encore, la difficulté
d’établir un débat public serein sur cette matière,
en raison de la dichotomie manichéenne entre
des médias suivistes envers les postures industrielles ou militaires et des ONG au militantisme
radicale, sans oublier l’atonie des commissions
parlementaires qui se résolvent trop souvent à
avaliser les déclarations du Ministère de la
Défense ou de Matignon.
Néanmoins, outre que ces problèmes n’empêchent nullement des succès commerciaux
comme la création puis la consolidation
d’EADS sur les marchés internationaux, les
gênes pour la compétitivité française ne s’expliquent pas tellement par ceux mentionnés cidessus puisque les principaux concurrents de
l’industrie française sur le secteur de l’armement
en ont de similaires. Aussi, s’agit-il surtout des
choix stratégiques pris par les pays concernés,
suivant leurs conditions réciproques, qui leur
donnent un avantage comparatif, qu’il s’agisse
d’une organisation efficiente de la R&D ou
d’une massification de la production à bas coût,
comme cela est détaillé ci-dessous dans le
second livre.
31
Notes :
1- Voir L’industrie de défense française à la croisée des
chemins – Partie 1. Industries de défense et actionnariat public : une singularité française, d’Hélène Masson, document PDF pour la Fondation pour la Recherche
Stratégique, de 2006-2007, page 2.
2- Voir L’industrie de défense française à la croisée des
chemins – Partie 1. Industries de défense et actionnariat public : une singularité française, d’Hélène
Masson, document PDF pour la Fondation pour la
Recherche Stratégique, de 2006-2007, pages 3-4.
3- Voir L’industrie de défense française à la croisée des
chemins – Partie 1. Industries de défense et actionnariat public : une singularité française, d’Hélène
Masson, document PDF pour la Fondation pour la
Recherche Stratégique, de 2006-2007, page 4.
4- Voir L’industrie de défense française à la croisée des
chemins – Partie 1. Industries de défense et actionnariat public : une singularité française, d’Hélène
Masson, document PDF pour la Fondation pour la
Recherche Stratégique, de 2006-2007, page 8.
5- Voir L’industrie de défense française à la croisée des
chemins – Partie 1. Industries de défense et actionnariat public : une singularité française, d’Hélène
Masson, document PDF pour la Fondation pour la
Recherche Stratégique, de 2006-2007, page 2.
6- Voir L’industrie de défense française à la croisée des
chemins – Partie 1. Industries de défense et actionnariat public : une singularité française, d’Hélène
Masson, document PDF pour la Fondation pour la
Recherche Stratégique, de 2006-2007, page 4.
7- Voir L’industrie de défense française à la croisée des
chemins – Partie 1. Industries de défense et actionnariat public : une singularité française, d’Hélène
Masson, document PDF pour la Fondation pour la
Recherche Stratégique, de 2006-2007, pages 9-10.
8- Voir Histoire secrète de la Vè République, sous la
direction de Roger FALIGOT et de Jean GUISNEL,
édité à Paris dans la collection La Découvert, en 2007,
pages 225-226.
9- Voir Histoire secrète de la Vè République, sous la
direction de Roger FALIGOT et de Jean GUISNEL,
édité à Paris dans la collection La Découvert, en 2007,
page 231.
10- Voir Histoire secrète de la Vè République, sous la
direction de Roger FALIGOT et de Jean GUISNEL,
édité à Paris dans la collection La Découvert, en 2007,
pages 231-232.
11- Voir Histoire secrète de la Vè République, sous la
direction de Roger FALIGOT et de Jean GUISNEL,
édité à Paris dans la collection La Découvert, en 2007,
page 233.
12- Voir L’industrie de défense française à la croisée des
chemins – Partie 1. Industries de défense et actionnariat public : une singularité française, d’Hélène
Masson, document PDF pour la Fondation pour la
Recherche Stratégique, de 2006-2007, page 4.
13- Voir Jane’s World Defence Industry – Issue Twentyeight, de Guy Anderson, publié au Royaume-Uni dans la
collection IHS Jane’s, en 2011, page 258.
14- Voir l’introduction du site du SGDSN, http://www
.sgdsn.gouv.fr/
15- Voir la page « Assurer le secrétariat du conseil de
défense et de sécurité nationale » du site du SGDSN,
http://www.sgdsn.gouv.fr/site_rubrique92.html
16- Voir la page « Contrôler les exportations de matériel
de guerre » du site du SGDSN, http://www.sgdsn.
gouv.fr/site_rubrique81.html
17- Voir la page « Assurer le secrétariat du conseil de
défense et de sécurité nationale » du site de la SGDSN,
http://www.sgdsn.gouv.fr/site_rubrique92.html
18- Voir la page « Conseil de défense et de sécurité
nationale » du site Portail du Gouvernement,
http://www.gouvernement.fr/gouvernement/conseil-dedefense-et-de-securite-nationale-et-secretariat-generalde-la-defense-et-de-
19- Voir un extrait du Livre blanc sur la défense et la
sécurité nationale, sous format PDF, à l’adresse Internet,
http://www.livreblancdefenseetsecurite.gouv.fr/IMG/pdf
/01.6-LeConseildedefenseetdesecuritenationale.pdf
20- Voir le site officiel de l’Assemblée nationale,
section Commission de la Défense et des forces armées,
en septembre 2011, http://www.assemblee-nationale.fr/
commissions/59046 tab.asp
21- A quelques exceptions près, comme M. Charles
Cova qui est Capitaine de vaisseau, M. Paul Quilès à la
rigueur en sa qualité d’ingénieur. Voir les compositions
des XIè, XIIè et XIIIè législatures, sur le site mentionné
ci-dessus.
22- Aux exceptions notables de M. Didier Borotra,
industriel de son état, M. Christian Cambon, qui est chef
d’entreprise, tout comme M. Jean-Paul Fournier ou
Mme. Gisèle Gautier, tandis que M. Michel Guerry est
ingénieur et M. Xavier Pintat ingénieur à la Commission de l’Energie Atomique
23- Voir la page consacrée au CEMA, sur le site de
l’EMA, http://www.defense.gouv.fr/ema/le-chef-d-etatmajor/fonction/fonction
24- Il aurait d’ailleurs déclaré à ce sujet : « Les sousmarins, il en faut, mais pas trop, c’est un métier de con ».
Propos extrait d'Histoire secrète de la Vè République,
sous la direction de Roger FALIGOT et de Jean
GUISNEL, édité à Paris dans la collection La
Découverte, en 2007, page 229.
32
25- Voir Histoire secrète de la Vè République, sous la direction de Roger FALIGOT et de Jean GUISNEL, édité
à Paris dans la collection La Découvert, en 2007, pages
229-230.
26- Voir la page « Présentation de la direction générale
de l’armement », http://www.defense.gouv.fr/dga/ladga2/missions/presentation-de-la-direction-generale-del-armement
27- Voir la page d’introduction de la DGA, http://www.
defense.gouv.fr/dga
hésité à affirmer que la menace soviétique contre les
Etats-Unis d’Amérique était purement virtuelle, n’était
qu’une fiction pour justifier la croissance de l’industrie
militaire. Voir Surarmement, pouvoirs, démocratie,
d’Andrée Michel, édité à Paris par l’Harmattan, en 1995,
page 20.
41- Voir Surarmement, pouvoirs, démocratie, d’Andrée
Michel, édité à Paris par l’Harmattan, en 1995, pages
351-352.
28- Voir les pages 28 et 29 du présent ouvrage.
29- Voir Surarmement, pouvoirs, démocratie, d’Andrée
Michel, édité à Paris par l’Harmattan, en 1995, page 53.
30- Les allers-retours entre les groupes Dassault ou
Aérospatiale et la DGA d’IA, tels que MM. Bernard
Retat et Gérard Chauvallon, sont sur ce point édifiants.
Voir Surarmement, pouvoirs, démocratie, d’Andrée
Michel, édité à Paris par l’Harmattan, en 1995, pages
54-55.
31- Voir Surarmement, pouvoirs, démocratie, d’Andrée
Michel, édité à Paris par l’Harmattan, en 1995, page 54.
32- Voir Surarmement, pouvoirs, démocratie, d’Andrée
Michel, édité à Paris par l’Harmattan, en 1995, page 82.
33- Voir l’article annexé, point 3.3, de la loi n°2009-928
du 29 juillet 2009 « relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses
dispositions concernant la Défense », sur http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000020930868&dateTexte=vig
34- Voir Surarmement, pouvoirs, démocratie, d’Andrée
Michel, édité à Paris par l’Harmattan, en 1995, pages
181-182.
35- Voir Surarmement, pouvoirs, démocratie, d’Andrée
Michel, édité à Paris par l’Harmattan, en 1995, pages
183-184.
36- Voir Surarmement, pouvoirs, démocratie, d’Andrée
Michel, édité à Paris par l’Harmattan, en 1995, page 184.
37- Voir Surarmement, pouvoirs, démocratie, d’Andrée
Michel, édité à Paris par l’Harmattan, en 1995, page 185.
38- Voir Surarmement, pouvoirs, démocratie, d’Andrée
Michel, édité à Paris par l’Harmattan, en 1995, page 186.
39- Voir Surarmement, pouvoirs, démocratie, d’Andrée
Michel, édité à Paris par l’Harmattan, en 1995, pages
345-346.
40- Un cas caricatural de ces enseignants-chercheurs qui
milite pour ces causes et les ONG qui les portent, mais
avec une subjectivité qui les décrédibilise, nonobstant
les éléments factuels qu’ils utilisent pour leur argumentaire, n’est autre que Mme. Andrée Michel qui n’a pas
33
LIBÉRAUX ET CONSERVATEURS SUR LA SCÈNE
POLITIQUE POLONAISE :
Retour sur les élections législatives anticipées de 2007
Sophie Vercruysse
Etudiante en langue étrangère appliquée à l’Université Lille 3. Synthèse rédigée par Fouad Nohra *
e processus d’adhésion à l’Union européenne est certes revendiqué par les
gouvernements polonais successifs et
approuvé par référendum (par 77%
des votants). Or, à l’approche de l’entrée de la
Pologne, en janvier 2004, les sociaux démocrates qui ont été les artisans de la mise en
œuvre des critères d’adhésion, tant sur le plan
politique qu’économique ont rencontré, dès les
élections européennes de juin 2004 l’opposition
radicale d’un nouveau courant conservateur,
eurosceptique, aux revendications souverainiste. L’ascension du Parti droit et justice (PiS)
des frères Kaczynski exprime cette liberté de
ton dans le refus de céder à la souveraineté
polonaise. La victoire de ce dernier aux
élections législatives le propulse à la tête de
toutes les autres formations avec 26,9% des
suffrages exprimés. De même, Lech Kaczynski
remporte l’élection présidentielle du 25 octobre
2005 avec 54% des suffrages au second tour,
face au libéral Donald Tusk.
L
Pendant deux années, la posture radicale du
parti au pouvoir et la difficulté à maintenir des
coalitions stables mènent à la dissolution de la
Diète (Sjem) et aux élections anticipées du
21 octobre 2007. L’importance de ces élections
réside dans le tournant qu’elles marquent à
nouveau en faveur d’un courant libéral, proeuropéen.
Des conservateurs désunis,
mais puissants
Les élections anticipées du 21 octobre 2007
remettent en cause le gouvernement de Jaroslaw
Kaczynski, compromis par son alliance avec
des forces politiques plus radicales. Plusieurs
ministres démissionnent et les relations entre les
différents partis de l’alliance conservatrice sont
tendues. Suite à sa démission, Andrzej Lepper,
outré par la nomination à son poste de son pire
adversaire au sein de la coalition, qualifie
Jaroslaw Kaczynski de « monstre ».
Premier ministre entre 2005 et 2007, ce dernier
dirige le parti conservateur polonais Droit et
Justice (PiS).
Dans le couple politique qu’il forme avec son
frère, Jaroslaw est le stratège, ainsi que l’idéologue. Il s’est entièrement voué à la politique,
ayant même sacrifié sa vie personnelle. Juriste
de formation, il s’est engagé dès les années
1970 dans les organisations clandestines qui
tentaient de combattre le communisme.
Sous sa direction, le PiS a conquis le pouvoir
en 2005. Depuis, ce parti a su capter l’électorat
de l’extrême droite. Il a fait campagne sur la
défense des valeurs nationales et la lutte contre
la corruption.
A tire annecdotique, Jaroslaw Kaczynski ne
s’était jamais marié, n’avait pas passé le permis
de conduire et refusait d’avoir un compte en
banque pour éviter les virements à son insu qui,
croit-il, pourraient servir à le discréditer en
l’accusant d’avoir perçu un pot-de-vin.
Lech Kaczynski, président de la république élu
en octobre 2005, est, dès sa jeunesse, un
activiste du mouvement démocratique et
anti-communiste en Pologne, et devient en
août 1980, conseiller au Comité de Grève du
chantier naval de Gdansk et du mouvement
Solidarność. Quelques jalons de son parcours :
34
• Après avoir occupé de hautes fonctions auprès
de Lech Wałęsa, il est en conflit avec le président polonais en raison de son opposition à la
« thérapie de choc » administrée à l'économie
polonaise.
• En 2001, il fonde le parti conservateur PiS, et
est élu maire de Varsovie capitale de la Pologne.
En tant que maire, il parvient, entre autres, à
faire construire le musée de l'Insurrection de
Varsovie.
• En 2005, il est le président de la Chambre
Suprême (Najwyższa Izba Kontroli), NIK,
• puis devient ministre de la justice du gouvernement de Jerzy Buzek
• Le 19 mars 2005, il déclare officiellement sa
candidature à l’élection présidentielle.
• Il est finalement élu président de la République
de Pologne le 23 octobre2005 avec 54% des
suffrages exprimés.
L’action des frères Kaczynski s’inscrit dans la
dynamique du Parti droit et justice, le PiS
(Prawo i Sprawiedliwość) Fondé en juin 2001
alors que Lech Kaczyński était ministre de la
justice du gouvernement de l’Alliance électorale Solidarité (AWS), il réunit divers mouvements de droite et conservateurs, les restes de
Solidarność et des dissidents du parti libéralconservateur
la Plateforme Cibique PO
(Platforma Obywatelska (PO).
Tout d'abord, le fait qu'ils soient frères dérange
beaucoup au niveau national et inquiète au
niveau international. A l'époque et encore
aujourd'hui, la Pologne demeure le seul pays
(démocratique) où deux membres de la même
famille occupaient les deux postes les plus
importants du pays.
Nombre de leurs actions ou discours qui ont
choqué le monde et ont précipité leur perte.
Lech Kaczynski a effectué des dérapages
verbaux, de même que plusieurs membres de
son gouvernement, dont certains (Roman
Giertych, ,Andrzej Lepper etc) sont affiliés à la
partie ultraconservatrice de l'Eglise catholique,
et professent des idées nationalistes et
antisémites.
Mais c'est surtout le projet de loi (dit de lustration) qui visait à purger l'administration
publique des anciens collaborateurs des services
secrets communistes, qui a suscité une réprobation très forte, en Pologne comme à l'étranger,
surtout en France.
Jaroslaw Kaczynski, lui, s’est isolé de ses
partenaires européens, notamment par ses
propos anti- allemands.
Tous deux justifient les attaques contre les
homosexuels et préconisent un durcissement du
droit criminel. Leur but est de renforcer les liens
entre l’Etat polonais et l’Eglise catholique tout
en purgeant ce dernier de toute influence
communiste.
Pendant leur «règne» de nombreux « limogeages » sont a signaler : la ministre des
Finances de Marcinkiewicz, Zyta Gilowska, fut
forcée de partir à la suite d’accusations sur des
liens avec la police secrète stalinienne qu’elle
aurait tus. Ces accusations non prouvées
auraient probablement été lancées par les
services secrets dont le contrôle est assuré par
le PiS.
Les alliés encombrants des frères
Kaczynski
L’un des précédents alliés du PiS est le Parti
d’Autodéfense d’Andrzej Lepper, qui, à ces
élections demeure en-deçà du seuil des 5% de
suffrages exprimés nécessaires à l’obtention de
sièges. Âgé de 53 ans, cet agriculteur qui fut un
fonctionnaire local du Parti communiste possède
aujourd’hui une exploitation de 300 hectares.
Il a longtemps affirmé vouloir renégocier le
traité d’adhésion à l’Union européenne, avant
de devoir abdiquer après 2004, lorsque les
agriculteurs polonais se sont trouvés massivement bénéficiaires des fonds européens. Il n’est
pas sûr que le parti populiste puisse survivre à
cet échec électoral. D’abord entré au gouvernement Kaczynski, Lepper a entretenu une
relation tendue avec ce dernier, pour enfin être
démis du gouvernement à l’approche des
élections de 2007.
Parmi les alliés du PiS situés plus à droite,
Roman Giertych est l’héritier d’une famille de
nationalistes. Avec un score dépassant à peine
1 %, il est avec son parti La Ligue des Familles
Polonaises, l’un des grands vaincus du scrutin
polonais. Il avait réussi une importante percée
en 2005 qui lui avait valu de devenir membre
de la coalition au pouvoir et ministre de
l’éducation.
Depuis, il a multiplié les déclarations qui ont
provoqué la colère des enseignants et des
35
étudiants, n’hésitant pas à plaider pour la peine
de mort, contre l’enseignement du darwinisme,
militant contre l’homosexualité, et voulant
bannir certains auteurs des programmes
scolaires.Son parti est ouvertement opposé à la
présence de la Pologne dans l’Union
européenne.
Donald Tusk, la revanche d’un libéral
tempéré
Lorsqu’il était étudiant, Donald Tusk fut l'un des
fondateurs du Syndicat libre des étudiants
(Niezależne Zrzeszenie Studentów) en 1980, en
réaction à la mort de Stanisław Pyjas, étudiant à
l'Université jagellonne de Cracovie et militant
du KOR (Le comité de défense des ouvriers, en
polonais, Komitet Obrony Robotników, est un
groupement d'intellectuels polonais formé en
1980) assassiné par les services communistes. Il
travaille ensuite au mensuel de l'écrivain
kachoube Lech Bądkowski, Pomerania.
À 50 ans, le libéral Donald Tusk est le nouveau
premier ministre polonais. Cet historien de
formation, est un grand admirateur de Ronald
Reagan et Margaret Thatcher.
Il a d’abord créé une entreprise de peinture dans
sa région d’origine, à Gdansk, dans les années
1980, avant de s’engager en politique. Proche
de Lech Walesa puis allié de Tadeusz Mazowiecki au sein de l’Union des libertés, il crée
son parti, la Plate-Forme civique (PO) en 2001.
Ferme dans ses convictions mais calme dans son
expression, Donald Tusk est longtemps apparu
comme trop introverti pour être un bon chef de
file.
La Plate-forme civique est un parti politique
polonais de type libéral et démocrate-chrétien
(centre droite). Créé le 24 janvier 2001,
abandonnée puis restaurée le 5 mars 2002 à
partir de scissions de l' Alliance électorale
Solidarité (AWS) et de l'Union pour la Liberté
(UW).
Ses trois fondateurs en 2001étaient Andrzej
Olechowski, Maciej Płażyński et Donald Tusk,
parfois surnommés les trois ténors de la
politique polonaise. Seul Donald Tusk est resté
au sein de PO et était le candidat favori de la
présidentielle de 2005 (en tête au 1er tour),
finalement remportée au 2nd tour par le candidat
de la droite conservatrice Lech Kaczyński.
Une semaine après que le président Lech
Kaczynski ait nommé le nouveau gouvernement, le président du Conseil des ministres,
Donald Tusk, a présenté son exposé de politique
générale aux députés, réunis dans l'hémicycle de
la Diète, le parlement polonais.
La première priorité du nouveau Premier ministre et de son parti est de rétablir la confiance
entre la société et le pouvoir, mise à mal par
l'ancien gouvernement. Il prévoit une baisse
progressive des impôts, la réduction du déficit
budgétaire et l’instauration de grands chantiers
nationaux, notamment pour les infrastructures
routières. Il souhaite aussi accélérer le nombre
des privatisations et simplifier les procédures
administratives et juridiques pour les
entreprises.
Le gouvernement promet de lutter sans merci
contre la corruption et de réformer la justice, en
séparant les fonctions de ministre de celles de
procureur général.
Sur le plan social, Donald Tusk a prévu de
mettre en place, un système d’aide pour les plus
défavorisés et une augmentation des salaires des
fonctionnaires ainsi que des pensions de
retraites. Il souhaite également réaliser une
grande reforme du système de santé publique,
incluant la privatisation d’hôpitaux.
Il a aussi réglé l'épineuse question des troupes
polonaise en Irak, en envisageant le retrait de
l'armée polonaise en 2008. Il a précisé que le
retrait serait progressif, est qu'il s'achèverait vers
la fin de l'année 2008.
Toujours dans le domaine militaire, sa politique
privilégie une professionnalisation plus marquée
de l’armée et l’abandon à terme de la
conscription.
A l’échelle internationale, le chef du gouvernement s'est également prononcé en faveur d'un
dialogue avec la Russie, contrairement au
gouvernement précédent avec lequel les relations étaient inexistantes.
Pour Donald Tusk, « l'absence de dialogue ne
sert ni la Pologne, ni la Russie, elle nuit à
l'image des deux pays ». Il s'est déclaré « que le
temps d'un changement positif est arrivé »,et
s'est dit « satisfait des premiers signes » en
provenance de Moscou.
Concernant, l'Europe et l'Union Européenne, il
a indiqué sa volonté de ramener la Pologne au
cœur de l’UE en concertation avec ses partenaires et s'est prononcé en faveur d'une intensi-
36
fication de la coopération de la Pologne avec
l'Allemagne et la France, dans le cadre de
l'Union européenne. En matière monétaire, il a
déclaré que la Pologne devait entrer le plus vite
possible dans la zone euro.
Après la Russie et l'U.E., Donald Tusk a évoqué
les relations de la Pologne avec les Etats-Unis
d'Amérique. Il a laissé entendre sans préciser,
que la Russie serait consultée sur le projet
controversé de base anti-missiles américaine en
Pologne. Sans pour autant rejeter ce projet de
bouclier anti-missiles, il a fait comprendre que
son gouvernement se montrerait dès à présent
plus ferme dans les négociations avec les américains, en demandant par exemple, des contreparties comme la garantie de la sécurité de la
Pologne.
Sociaux démocrates : la fin d’une
descente aux enfers
L’Alliance démocratique de gauche ( SLD Sojuz Lewicy Democratycznej) était le sacrifié
des élections législatives de 2005, à la suite
d’une décennie de présidence Kwasniewski. Ce
dernier est l’artisan du processus d’adhésion de
la Pologne à l’Union européenne et l’OTAN,
engagé à tempérer les effets de la thérapie de
choc du début des années quatre vingt dix. Au
cours des trois dernières années, la main mise
sur l’appareil d’Etat, les affaires de corruption,
les nombreuses défections et une scission donnant naissance à un nouveau parti de gauche la
Social démocratie polonaise, explique sa défaite
en 2005, lorsqu’il arrive en quatrième position
avec 11% des suffrages exprimés.
Le SLD progresse aux élections d’octobre 2007,
notamment en raison de ses multiples alliances
locales avec les libéraux, mais également, parce
qu’il exprime son opposition aux dérives des
conservateurs du PiS.
ments lourds est apparu comme l’homme en
mesure de maîtriser le débat, mettant en cause
la soi-disant « Pologne solidaire » qu’ont fui
quelques deux millions de personnes pour aller
gagner leur pain en Grande-Bretagne et en
Irlande
L’un des moments les plus étranges de ce débat
est arrivé lorsque Tusk a rappelé à Kaczynski
l’un des accidents qui s’était produit au début
des années 1990 lorsque les deux hommes
prirent une fois ensemble un ascenseur.
Kaczynski avait sorti un revolver et avait dit à
Donald Tusk « te tuer ne produira qu’un
crachage ». Kaczynski a dénié l’existence de cet
événement
Dans Krakow Post on apprend l'existence d'une
campagne de sms initiée par un informaticien de
27 ans qui, soucieux de plaisanter, appelle les
jeunes à cacher la carte d'identité de leur grandmère pour les empêcher d'aller voter (« Les élections approchent. Le pays a besoin d'être sauvé.
Cache la carte d'identité de ta grand-mère. Fais
passer ce message. »), sous-entendu pour qu'elle
ne puisse pas aller voter pour le très conservateur PiS au pouvoir !
Ce dernier a réagi avec fureur, en mettant une
pression énorme sur l'initiateur de la campagne,
voire même en proférant des menaces de
poursuites judiciaires avec emprisonnement à la
clé. Celui-ci a fini par « volontairement » déclarer qu'il irait voter avec ses grands-parents et
qu'il respectait Radio Marija, une station intégriste catholique, antisémite et homophobe, et
son dirigeant le prêtre catholique Tadeusz
Rydzyk, qui avait utilisé sa radio pour faire
campagne en faveur du PiS en 2005
En Pologne, on appelle cet électorat conservateur du PiS les « mohairs », en référence aux
bérets en mohair très prisés par les personnes
âgées.
Une victoire prévisible des libéraux
Une campagne électorale agressive
Le 12 octobre, lors d’un duel télévisé contre le
premier ministre Kaczynski, Donald Tusk a fait
taire les critiques en dominant largement, se
montrant précis dans ses propos, tandis que son
adversaire trébuchait sur le prix d’une miche de
pain. Selon les sondages, Donald Tusk en est
sorti largement vainqueur.
Tusk par sa décontraction et une série d’argu-
Les libéraux de Donald Tusk ont remporté les
législatives anticipées en Pologne. Ils obtiennent
plus de 41% des voix et 209 sièges à la Diète
(sur 460).
Le parti des frères Kaczynski, le PiS obtient
32% et 164 sièges.
La gauche obtient 13% et 52 sièges, le parti
paysan 8,8% et 35 sièges. Autodéfense (Andrzej
Lepper ) et la Ligue des familles polonaises
37
(Roman Giertych), qui avaient été les très
« turbulents » alliés des Kaczynski, sont battus,
à 1,5 et 1,3%.
Avec 209 députés, sur les 460 que compte la
Diète (le Parlement polonais), la Plateforme
civique (PO), n’a pas obtenu de majorité
absolue. Le parti de Donald Tusk a donc choisi
de s’allier avec le parti paysan centriste PSL de
Waldemar Pawlak. Les deux formations travaillent déjà ensemble dans certaines régions polonaises. Grâce à ce pacte, qui devrait être entériné
ce samedi, Donald Tusk pourra s’appuyer sur
une majorité de 240 députés.
Après deux ans de politique violente, le gouvernement de Jarosław Kaczyński a perdu le
pouvoir. Critiqué par ses opposants d’être trop
agressif et peu efficace, il est obligé de laisser la
place à la droite libérale (Plate-forme civique - PO).
Une cohabitation difficile avec
Lech Kaczynski
Le président polonais Lech Kaczynski avait
prévenu ses adversaires qu'il mènerait la vie
dure à l'opposition si les élections législatives
entraînaient la Pologne dans une période de
cohabitation. C'est sur ces paroles que la future
coopération entre le président Kaczynski et le
gouvernement libéral s’annonce difficile.
Donald Tusk a annoncé qu’il mettrait en place
des commissions d’enquête parlementaires sur
les services spéciaux. Les frères Kaczynski ont
en effet été accusés par leurs opposants d’avoir
utilisé ces services à des fins politiques.
Il est clair que le nouveau Premier ministre a la
ferme intention de rompre avec la politique très
conservatrice des jumeaux Kaczynski. Or le
Président de la République a d'ores et déjà
menacé de recourir à son veto pour faire obstacle aux réformes « libérales » du nouveau
Premier ministre.
Certaines réformes sont inévitables : tel est le
cas des politiques d’aide sociale promises par la
Plateforme civique en contrepartie de la poursuite du programme de libéralisation de
l’économie. Elles ne rencontrent pas de Veto
présidentiel. Il en est de même de la décision de
retirer les troupes polonaises d’Irak : il s’agit
également de la seule issue à l’impasse de
l’intervention militaire multinationale.
En revanche, ce sont les options européennes
qui se heurtent à l’hostilité présidentielle : la
sensibilité des Kaczynski est davantage souve-
rainiste et marque une méfiance à l’égard des
transferts de souveraineté. C’est bien la raison
pour laquelle le gouvernement polonais est le
seul avec le gouvernement britannique à exiger
que les lois polonaises en matière de protection
des libertés ne soient pas assujetties à la Charte
européenne de protection des droits de l’homme
et des libertés fondamentales, mais qu’au
contraire cette dernière soit acceptée sous condition de conformité au droit interne.
Conclusion
Depuis les élections législatives de 2007, la
Pologne a infléchi son « comportement » face à
ses voisins européens. En effet, Donald Tusk, le
nouveau Premier Ministre, a clairement exprimé
son sentiment « europhile ».
Certes, Tusk est europhile, hostile à la peine de
mort, mais il ne semble pas cependant être
favorable à l'avortement, au mariage homosexuel ou à l'euthanasie.
Le nouveau Premier Ministre avait tout à gagner
de rapprocher la législation polonaise de celle
des pays voisins. Mais la pression de l'Eglise est
encore trop forte en Pologne où politique rime
avec Catholique.
La Pologne s’est en tout état de cause, faite
remarquer par ses réussites économiques. En
revanche, dans une Pologne traditionaliste,
nationaliste, où la religion est omniprésente, il a
été difficile de faire preuve d'audace sur les
grandes questions de société.
Abstract
The unprecedented victory of the right wing
conservative parties at the 2005 Polish legislative and presidential elections brought the
country into a new stage of radical shifts and
turmoils. The relationship between Kaczynski
brothers and the allied political parties were unsteady if not conflictual. Thus the President
decided to dissolve the Chamber and to set for
anticipated elections on October, 21, 2007.
Unfortunately, his party, the Law and Justice
Party was defeated, leading to a coexistence
between a conservative president and a liberal
prime minister. Among the many issues at stake,
the more conflictual was the one related to the
european integration process.
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Bibliographie
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system or the referendum on a polarized
government : the October 2007 Polish parliamentary election », Journal of Communist
Studies and Transition, (2008-09) vol.24: n°3
p.415-443
Sczczerbiak Alek : « Social Poland defeats liberal Poland : the September-October 2005
Polish parliamentary and presidential election »,
Journal of Communist Studies and Transition,
(2008-09) vol.24: n°3 p.415-443
* Cet article est issu d'un dossier d'analyse géopolitique
rédigé et soumis au printemps 2008 par l'auteure, et très
bien évalué. Sophie Vercruysse, brillante étudiante de
licence en Langues étrangères appliquées, est décédée
en décembre 2010 et le présent texte est publié en son
hommage.
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HEI/HEP 54, avenue Marceau 75008 Paris - 01 47 20 57 47
ISSN 2257-0446
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