1 QU’EST-CE QUE LA PHILOSOPHIE ? G UILLAUME - Bonjour ! Bienvenu à ce cours expérimental de philosophie. Mon nom est Guillaume Aucamiotte. C’est moi qui serai votre professeur de philosophie. Avant toute chose, permettez-moi de vous souhaitez une belle session, riche en découvertes et en apprentissages de toutes sortes. Mon voeu le plus cher est que ce cours de philosophie vous fasse aimer la philosophie et, surtout, que vous mettiez au coeur de vos vies la réflexion de nature philosophique. Mais qu’est-ce que la réflexion philosophique ? demanderez-vous. D’abord, c’est un truisme de dire que tout le monde réfléchit. Qu’est-ce donc que réfléchir philosophiquement ? En fait, je viens de poser la grande question: qu’est-ce donc que la philosophie ? Eh bien, à cette question il n’y a malheureusement (ou heureusement) pas de réponse qui soit universelle, c’est-à-dire qui soit valable pour tous et toutes, pour toutes les époques. Aussi, avant de se demander ce qu’est la philosophie, et de se perdre dans des réflexions qui ne vous diraient à peu près rien, le mieux, je crois, est de l’expérimenter. Comment ? Par la discussion. En effet, lorsqu’on sait mener adéquatement une discussion, on peut se faire une assez bonne idée de ce qu’est la philosophie. Dans ce cours, vous allez faire de la philosophie au moyen de la discussion. Malgré qu’il ne soit pas approprié de parler de la nature de la philosophie, je voudrais quand même vous en parler un tout petit peu. À son origine la philosophie consistait en la discussion. La philosophie est née en Grèce ancienne, il y a longtemps, aux environs du 6e siècle av. J.-C. Il y a deux caractéristiques importantes qui démarquent sensiblement les premiers penseurs grecs des penseurs antérieurs, qu’ils soient grecs ou non grecs, comme les Égyptiens, les Perses ou encore les Juifs. 1 1o Les penseurs grecs étaient à la recherche d’une explication ‘naturelle’ des phénomènes de la nature ne faisant pas intervenir ni dieu ni divinité. Donnons un exemple. Thalès de Milet (env. 625-545 av. J.-C.) expliquait les tremblements de terre de la façon suivante. La plupart des Grecs croyaient que le dieu des mers -- Poséidon -- était à l’origine des tremblements de terre. Thalès faisant l’hypothèse que la Terre était soutenue par de l’eau. Les tremblements de terre se produisent donc , soutenait Thalès, lorsque la Terre est ébranlée par l’agitation des eaux sur lesquelles elle flotte. Remarquez que l’idée que la Terre flotte sur l’eau est une idée que l’on rencontre dans de nombreux mythes babyloniens, égyptiens, et plus près de nous, chez les amérindiens. Si simpliste que soit l’explication de Thalès, sa grande nouveauté est qu’elle ne fait appel à aucune divinité, mais simplement à l’idée d’un effet de la nature physique résultant d’une cause physique. 2o Les penseurs grecs étaient des adeptes, dirons-nous, de la discussion rationnelle. 1 En effet, les premiers penseurs grecs pratiquaient la discussion critique et rationnelle. Chacun connaissait les théories des autres et chacun critiquait les idées des autres. Par “ critique ”, on ne doit pas comprendre que les Grecs avaient l’esprit “ grincheux ”, jamais satisfait de rien. On doit plutôt entendre que les penseurs grecs évaluaient leur théorie d’après ce qui leur paraissait logique, c’est-à-dire 1 Je me réfère ici à l’ouvrage de Geoffrey E.R. Lloyd, Une histoire de la science grecque, Paris, Éditions La Découverte, 1990, chapitre 1, p. 23. rationnelle. Comme on dit souvent, ils aimaient le gros bon sens. Chacun avait le souci de trouver la meilleure explication, la théorie la plus adéquate. Chacun devait ainsi présenter ce qui peut donner raison à leurs idées, soit les observations, soit les arguments appuyant leurs idées. À la différence des autres penseurs, ils avaient le sentiment qu’une raison est plus ou moins correcte qu’une autre, ou qu’une croyance pût être plus ou moins bonne qu’une autre suivant qu’elle repose sur de meilleures ou de moins bonnes raisons. C’est ce qu’on entend par ‘discussion rationnelle ou critique’ : la recherche des meilleures raisons de croire ce que nous croyons. À l’instar des premiers philosophes, nous allons pratiquer la discussion rationnelle et critique. Soyez, sans crainte, nous ne discuterons pas de n'importe quelle manière, et personne ne va perdre son précieux temps. Nous allons nous donner des règles de procédure afin que notre discussion soit enrichissante au plan de l'apprentissage du “ savoir-être philosophe ”. Voici comment nous allons procéder aujourd’hui. 1. Chacun choisit une question qu’il aimerait discuter. Le groupe des participants s’entend ensuite de la (des) question (s) qu’il désire discuter. Nous convenons de l’importance de cette question et nous aimerions en faire une discussion de fond. 2. La discussion n’est pas un débat compétitif. Chacun coopère à la recherche d’éléments de réponse à la question que nous nous posons. Il n’est pas interdit de critiquer ceux qui émettent leurs idées, mais cela doit être fait dans un esprit fait d’ouverture, de respect et de tolérance. De plus, notre discussion se fait dans un esprit démocratique : chacun est sur le même 2 pied d'égalité que tous les autres; chacun peut exprimer ses opinions. 3. Il y a un animateur, ce sera moi. Mon rôle consistera à donner le droit de parole et à animer la discussion, c’est-à-dire à résumer les propos tenus, à faire des synthèses de la discussion, à favoriser les échanges et à relancer le débat. C'est moi qui ouvrira la discussion et qui la clôturera. Comme tous les autres participants, je peut prendre la parole. Notez bien: je n'ai pas forcément la réponse à la question discutée. Cela posé, il ne nous reste plus qu’à déterminer le sujet de notre discussion d’aujourd’hui. Oui. Donne d’abord ton prénom. SOPHIE - M’entendez-vous bien ? Ça va ? Ok. Mon nom est Sophie Archambault. Je suis sourde, mais je parle un peu. Lui, c’est mon interprète, François. J’aimerais savoir ce qu’est la philosophie. GUILLAUME - Bienvenu parmi nous, Sophie. Nous allons entendre d’autres personnes. Oui, toi. Dis-nous seulement ton prénom. NICOLAS - Nicolas. Moi, je pense que personne n’a rien à dire là-dessus, parce que personne ne sait ce qu’est la philosophie. GUILLAUME - C’est, je pense, une bonne raison pour éliminer ce sujet. Qu’en dites-vous ? BURT - Moi, je m’appelle Burt Barrette -- ‘BiBi’ pour les intimes. J’étudie en électrotechnique. J’ai coulé deux fois mon cours de philo. Mes profs parlaient, pis je comprenais rien.... GUILLAUME - Dommage... Mais que voulais-tu nous dire au juste ? BURT - Ben, c’est pas nous qui savons ce qu’est la philosophie ! D’ailleurs, on ne le saura jamais. C’est trop profond... PATRICE - Patrice. Moi, je propose qu’on parle d’un sujet comme la légalisation des drogues ou de la violence. Ça intéresse les jeunes. GUILLAUME Moi aussi ça m’intéresse, même si je n’ai pas votre âge. Quelle question formulerais-tu à propos de la légalisation des drogues ? PATRICE - Bien, s’il faut légaliser le marijuana, le haschisch. GUILLAUME - Si je comprends bien tu veux parler de la légalisation des drogues dites ‘douces’. Plus précisément, encore ? NICOLAS Euh... La question... c’est...attendez un peu... ah, oui, c’est de savoir si c’est une bonne chose pour tout le monde. Moi, je pense que oui. Des fois, quelqu’un peut être malade après avoir fumé un joint parce qu’il a fait trop confiance au trafiquant. Si les jeunes pouvaient se procurer de la ‘bonne drogue’ à la tabagie du coin, ça pourrait éviter bien des problèmes. GUILLAUME - Bon. Il semble bien que nous sommes engagés dans la discussion de la légalisation des drogues douces. Et Nicolas vient d’apporter une première raison en faveur de la légalisation des drogues. Oui, Sophie ? 3 SOPHIE - Moi, je veux pas parler de ce sujet. Il n’est pas assez philosophique. GUILLAUME - Que veux-tu dire par ‘pas assez philosophique’ ? NICOLAS - C’est le bien. GUILLAUME - Tout ce qui est légal ? NICOLAS - Euh...ouais... SOPHIE - Bien, je sais pas, mais il me semble trop terre-à-terre. Une question philosophique, selon moi, c’est une question qui demande s’il y a une vie après la mort, si Dieu existe, par exemple. NICOLAS - Des questions auxquelles on ne peut pas répondre, quoi ! En tout cas, moi je pense qu’une fois que la drogue sera légalisée, ce sera vraiment une bonne chose. PATRICE - Tu vas pouvoir fumer en paix... NICOLAS - Ha! Ha! Ha ! GUILLAUME - Écoute bien, Sophie, maintenant. Je vais poser une question à Nicolas et prête bien attention pour voir si cette question que je vais lui poser est philosophique ou non. D’accord ? SOPHIE - Ok. GUILLAUME - Nicolas, répondre à ma question ? tu veux NICOLAS - Bien sûr, allez-y ! GUILLAUME - Est-ce que tout ce qui est légal est forcément bon ? NICOLAS - Bien oui; autrement ce serait pas une loi. LOUIS-ARSENE Louis-Arsene Jean-Baptiste. Moi, je pense que les lois ne sont pas toutes bonnes. Prenez les lois concernant les prêts et bourses ou les nouvelles lois de l’assurance-emploi. Dans mon pays d’origine, Haïti, à l’époque de Duvalier, les lois n’étaient pas justes. GUILLAUME - Alors, je repose ma question à Nicolas : ce qui est légal est-il forcément bon ? NICOLAS - Non, pas forcément. GUILLAUME - Donc, nous voici avec cette question sous les bras : qu’est-ce que le bon ? Ou encore : qu’est-ce que le bien. Est-ce là, dis-moi Sophie, une question philosophique à tes yeux? SOPHIE - Oh, oui, tout à fait ! Et je serais bien en peine d’y répondre... GUILLAUME - C’était la question du grand philosophe grec appelé Platon (427-347 av. J.-C.). Quelqu’un veut-il avancer une réponse à cette question philosophique pour qu’on puisse chercher à y répondre ensemble ? Mais, d’abord, êtes-vous tous d’avis qu’il s’agit bien d’une question philosophique ? NANCY - Nancy Walker. Oui, c’est une question philosophique. Moi, je répondrais que le bien et le mal c’est ce que la société nous a appris. On a reçu GUILLAUME - C’est quoi le ‘bon’ ? 4 une certaine éducation et on est né dans un certain milieu. ceux qui n’ont pas encore parlé. Than, de quelle nationalité d’origine es-tu? PHILIPPE - Philippe. Bien d’accord avec ça! Mais trouves-tu ça correct toi qu’une personne en écrase une autre et s’enfuit après coup sans s’arrêter la laissant morte dans son sang ? THAN - Je suis d’origine thaïlandaise. Je pense que je vais aimer la philosophie. NANCY - C’est pas correct. LOUIS-ARSÈNE - Mais je suis né ici à Montréal. Mon père est arrivé au Québec en 1970. GUILLAUME Bonne question, Philippe. Comment savons-nous que c’est pas correct ? Cherchons ensemble. Nancy dit que c’est la société qui nous a appris que c’était pas correct. THAN - Mon nom est Than. Pour répondre à la question, je dis qu’il y a aussi en nous une petite voix qui nous dit que ce n’est pas bien. C’est la voix de la conscience qui parle en nous. PHILIPPE - Oui, d’accord avec toi. La ‘norme’ de la société peut être mauvaise. Si tout le monde décidait que c’est bien de tuer, je ne serait pas d’accord. Moi, je suis pas du genre ‘suiveux’. GUILLAUME - Merci. Louis-Arsène est sans doute haïtien. MAMBOUTOU - Mamboutou. Je viens du Zaïre. SHILAN - Shilan. Je suis d’origine kurde. Je suis née en Iran, mais j’ai été élevée en France. LUTHER - Luther Allison. GUILLAUME - Tiens, comme c’est curieux ! Tu as le même nom que ce bluesman fameux qui est récemment décédé... LUTHER - Je ne le connais pas... GUILLAUME - Bon. Très bien. Voilà un beau débat en perspective! Nancy croit que le bien et le mal sont des choses apprises et viennent de la société; Than et Philippe pensent au contraire que ce ne sont pas des choses apprises, le bien et le mal provennant plutôt de notre conscience. JEAN-SÉBASTIEN - Jean-Sébastien. Je suis québécois et j’étudie en art plastique. Avant de poursuivre, il serait bon, je crois, de se connaître davantage. Je constate avec joie que nous formons un groupe multiethnique. Je m’adresse à CARMEN - Carmen. Je suis chilienne. ......................................................................... GUILLAUME Tu comme tous ici présent. EDOUARDO péruvien. es Québécois Edouardo, et je suis ...à compléter... 5 EXERCICE : Qu’est-ce que la philosophie ? Après que les étudiants de la classe se soient tous présentés, la discussion se poursuit à partir de là où elle était restée. Dans un minimum d’une page et un maximum de 2 pages, rédigez une suite à la discussion. Dans votre rédaction vous devez vous efforcer d’illustrer deux choses. 1o Votre discussion est de nature philosophique (et non pas, par exemple, une simple conversion que vous auriez entre amis). 2o Votre conclusion de la discussion met en évidence une caractéristique principale de la discussion qui vient de se terminer. * 6