Projet de nouvelle « Les mots pour le dire » - Collectif « Nos différences nous rasssemblent »
Chapitre 18 – Etape 3
Je marche, je marche et la fatigue m’envahit. Au sommet d’une brune colline un paysage s’annonce.
Nouvelle naissance. Je plonge dans l’inconnu. Mes yeux se remplissent de larmes. Je serre alors très fort
mon collier de cauris !
Cette sensation m’apaise, me redonne courage, force, confiance, comme une nécessité inexorable de
poursuivre mon chemin.
J’explore les lieux. De cette beauté sauvage, s’élèvent des parfums enivrants. De la terre, de chaque
arbuste, chaque broussaille, jaillissent des odeurs vives, parfumées, douces, amères. Au loin de
nombreuses mares abritent des oiseaux multicolores aux noms inconnus.
Je ferme les yeux et apprivoise peu à peu ce nouveau paysage, ces odeurs, ces bruits. Un écho sourd,
attire alors mon attention. Curieuse, je me rapproche. Une musique rythmée, familière, cogne désormais
mon oreille. Je reconnais le son du djembé. Près d’un arbuste un homme au regard noir, au bras nu est
plongé dans un duel rythmique, endiablé. Il est drôle, me fait sourire, je l’interpelle. Il arrête de jouer et
nous faisons connaissance. Je ne sais pourquoi, j’ai confiance en lui et retrace mes péripéties, mon refus
d’une tradition familiale injuste.
Abou me comprend et m’explique alors, qu’il est pêcheur sur le fleuve Gambie. Il propose de m’y
conduire.
Le soleil cogne encore très fort et nous profitons d’une pause à l’ombre d’un mar lodj, pour déguster du
poisson grillé pêché la veille. Sans même m’en apercevoir deux oiseaux se posent sur l’arbre. Abou me
les présente. Il s’agit d’un ibis et d’une aigrette, libres comme le vent, l’air.
Nous reprenons la route tout le restant de la journée et passons la nuit au bord de ce grand fleuve. La lune
fait luire d’étranges ombres inquiétantes et obscures. Je m’endors malgré tout, rassurée par une douce
mélodie, fredonnée par mon nouvel ami.
A l’aube, je me réveille, Abou est déjà sur sa pirogue bigarrée de rouge, de jaune, de vert. Fragment taillé,
long, effilé et étroit, du fromager. Il est prêt à partir et m’attend patiemment.
Un peu inquiète, angoissée, je vérifie si mon précieux collier est toujours là. Rassurée, je pars avec Abou.
Il m’explique que ce fleuve est plus méchant que ce que je ne pourrai le croire.
Des odeurs sauvages de mangrove diffusent dans l’air et je le trouve d’une miraculeuse et presque
insupportable beauté.
Nous voguons paisiblement sur ces eaux troubles. Soudain, les craintes pressenties par Abou se
confirment. Un fort courant nous surprend, nous emporte. Des vagues puissantes, boueuses, déferlantes,
recouvrent la pirogue. La peur m’envahit, je pousse promptement un cri. Abou m’encourage, mais je ne
peux lui répondre malgré mon désir. L’effroi me neutralise. C’est alors que les vagues cessent leur
harcèlement. Le danger est écarté. Fièrement, nous manifestons notre joie.
La traversée s’achève sereinement, je mets pied à terre, je me sens libre. Abou est heureux, mais nos
chemins se séparent sur la berge. Peut-être nous reverrons-nous? La Gambie restera gravée dans ma
mémoire, notre amitié est profonde.
Je poursuis désormais seule ma route et quitte définitivement ces terres, à la fois envoûtantes et
menaçantes.