LE MOYEN ÂGE (10 -15 siècles) De la Féodalité à la Monarchie

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UNIVERSITÉ JEAN MOULIN – LYON 3
Faculté de Droit
LICENCE EN DROIT, 1er SEMESTRE
INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT
HISTOIRE DES INSTITUTIONS ET DU DROIT FRANÇAIS
de la fin de l’Antiquité à la fin de l’Ancien Régime (5e-18e siècles)
Chr. LAURANSON-ROSAZ
Professeur à l’Université Jean Moulin
Deuxième Partie
LE MOYEN ÂGE (10e-15e siècles)
De la Féodalité à la Monarchie
La “mutation féodale” désigne le grand changement qui s’est opéré entre le 10e et le 12e siècle ―
autour de l’an Mil ― dans la société occidentale : un changement à la fois politique, économique et
social, que les historiens perçoivent plus ou moins fort selon les régions (selon que le pouvoir royal ou
impérial est plus ou moins affaibli ou lointain ), et qui débouche sur un “paysage” (au sens réel du terme)
totalement différent de celui du haut Moyen Âge finissant. Les temps carolingiens font place aux temps
féodaux, dominés par les seigneurs, avant que ces seigneurs ne soient bridés par la royauté, laquelle
recouvre ses prérogatives. Le haut Moyen Âge devient Moyen Âge pour ½ millénaire (bas Moyen Âge /
Moyen Âge classique), avec un nouvel ordre institutionnel, social et économique, perceptible dès les
premières décennies du 11e siècle, et qui va régir la vie de nos ancêtres pour longtemps, tant en ce qui
concerne la condition des personnes que la condition des terres.
INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT
HISTOIRE DES INSTITUTIONS ET DU DROIT FRANÇAIS 5e-18e SIÈCLES
Pour l’histoire des institutions françaises, le Moyen Âge est une période cruciale, qui voit d’abord
s’affaiblir l’État, le pouvoir royal s’effaçant devant les féodaux ; puis ce pouvoir revient avec force (à
partir du milieu du 12e siècle) et place la France au 1er rang des puissances occidentales (13e siècle). Aux
14e et 15e siècles, les épreuves de la Guerre de Cent ans affectent la royauté capétienne, mais elle en sort
victorieuse, s’appuyant sur ce qu’on peut déjà appeler la “Nation”, qui émerge politiquement à travers
des institutions nouvelles : États généraux, armée et impôt permanents. Il en sortira une monarchie de
plus en plus centralisatrice et absolue.
Les changements sont à la fois juridiques, socio-économiques, institutionnels :
Nouveaux droits : Chapitre 1. Les sources du droit médiéval
Nouvelle société : Chapitre 2. La société féodale
Nouvelles institutions : Chapitre 3. Les institutions royales
Mais auparavant, il convient de faire quelques rappels chronologiques…
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REPÈRES CHRONOLOGIQUES
987
Hugues Capet élu roi des Francs
La “mutation féodale” (10e-12e)
La Paix de Dieu et la Trêve de Dieu
1054
Schisme d’Orient (orthodoxie)
1073
Début de la Réforme grégorienne
1081-1137 Louis VI le Gros. Suger.
1095
Début des croisades
1112
Commune de Laon.
1123-1215 Conciles de Latran (4)
1135-1140 Vézelay.
1152
Divorce de Louis VII et d’Aliénor
1163
Début de la construction de ND de Paris
1184
Inquisition. ― Baillis
1214
Bouvines (Philippe Auguste)
1226
Saint Louis (†1270)
1302
États généraux (Philippe le Bel)
1309-1376 Les papes en Avignon
1337-1453 Guerre de Cent ans
1348
Peste noire
1358
Étienne Marcel : Commune de Paris
1378-1417 Grand Schisme d’Occident
1397
Fondation de la Banque Médicis à Florence
1415
Défaite d’Azincourt. ― 1420 Traité de Troyes
1429-1431 Victoires de Jeanne d’Arc. Charles VII
1439, 1447 Impôt puis armée permanents
1453
Prise de Constantinople par les Turcs
1454
1er livre imprimé par Gutenberg à Mayence
1461
Louis XI
1492
Découverte de l’Amérique
1157
“Bulle d’Or”. L’archevêque maître de Lyon
1167/73 Le Forez dans le royaume
1269
Révolte des bourgeois de Lyon
1311
1320
1349
1356
Lyon dans le royaume
Charte de franchise de Lyon
“Transport” du Dauphiné
“Bulle d’or” ou constitution de l’Empire
1416 Le comté de Savoie devient duché
1420-1463 Foires de Lyon
1436 “Rébeyne” ou révolte des Lyonnais
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HISTOIRE DES INSTITUTIONS ET DU DROIT FRANÇAIS 5e-18e SIÈCLES
Rappels : le contexte historique, de l’an Mil à la Renaissance
La France médiévale se caractérise tout d’abord par une phase d’effacement, d’effondrement même, du pouvoir
royal (10e-11e siècles), puis, à partir du début du 12e siècle, par une période de redressement de l’autorité
monarchique, qui connaît, à nouveau, les plus graves difficultés durant la guerre de Cent Ans (14e-15e s.).
§ 1. La mutation féodale (10e et 11e siècles).
En 888, les Grands assemblés à Compiègne n’ont pas proclamé roi l’héritier carolingien, mais Eudes, comte de
Paris, qui, comme son père Robert le Fort, s’est illustré dans la lutte contre les Normands : pendant un siècle,
Carolingiens et Robertiens vont alterner sur le trône. Parallèlement, les grands du royaume — les « princes
territoriaux »1 — prennent une importance politique de premier plan, prélude à la crise féodale.
En 987 est ainsi élu un « Robertien »2, Hugues « Capet ». Avec lui commence la troisième « race » des rois de
France, celle des Capétiens3 qui aura une carrière de plus de 8 siècles, jusqu’en 1792.
Les débuts de cette dynastie sont des plus modestes. Le roi n’exerce pas d’autorité réelle sur l’ensemble du
royaume, mais seulement sur le « domaine royal », un domaine restreint situé dans l’Île de France, entre
Compiègne et Orléans, et encore, bien souvent, avec difficultés. Le reste du territoire est réparti en grandes
seigneuries, héritières des principautés territoriales mises en place à la fin du 9e siècle, avec à leurs têtes des comtes
et ducs devenus autonomes.
Bien que ses pouvoirs sur le royaume soient inexistants dans la pratique quotidienne, le roi se distingue
néanmoins des autres seigneurs par son titre de roi, par le caractère sacré que lui confère l’onction de Reims (il
guérit les écrouelles : on dit qu’il est thaumaturge), par l’autorité morale qui en découle et qui en fait nominalement
le seigneur des seigneurs.
Sur le plan économique a lieu une formidable renaissance, en même temps que se met en place la société féodale. Ce
renouveau a des causes multiples : changements climatiques, essor démographique, conquête de nouvelles terres, réapparition
de l’or par l’intermédiaire de l’Espagne musulmane. Le « décollage », qui se fait sentir dès le milieu du 10e siècle, s’affirme
nettement durant les deux siècles suivants.
Si l’ordre féodal règne (les sires essaient au maximum d’exploiter les nouvelles sources de richesse), les villes, lieux de
refuge, se repeuplent et connaissent une activité plus grande : celles de la Flandre, par exemple, fabriquent avec la laine venue
d’Angleterre des tissus destinés à toute l’Europe. Le travail des artisans va s’organiser dans les métiers qui unissent en une
même corporation maîtres et compagnons. Le commerce reprend également : les marchands du Nord et ceux d’Italie se
rencontrent en Champagne où ont lieu de grandes foires, comme à Provins, Troyes ou Lagny.
§ 2. L’apogée capétien (12e et 13e siècles).
Point de départ du redressement du pouvoir royal, le règne de Louis VI le Gros (1108-1137), bien conseillé par
Suger. Deux faits sont significatifs du changement : 1° Le roi rétablit entièrement l’ordre dans son domaine entre
Paris et Orléans et s’y fait totalement respecter par des agents efficaces ; 2° Devant le danger que font peser les
menaces allemande (l’empereur germanique Henri V) et anglaise (le roi Henri Ier), tous les seigneurs du royaume
s’unissent auprès de lui : c’est la première manifestation de cohésion « nationale » autour de la personne du roi.
Hélas, le règne de son fils Louis VII (1137-1180) connaît une suite d’évènements aux conséquences désastreuses
sur le plan territorial : en 1152, le roi divorce de la reine Aliénor d’Aquitaine, qui lui avait apporté en dot le duché
de Guyenne (Aquitania = Gascogne, Saintonge, Poitou) ; 6 semaines seulement après, Aliénor se remarie à Henri «
Plantagenêt », comte d’Anjou et duc de Normandie : celui-ci hérite 2 ans plus tard de la couronne d’Angleterre.
Henri II se retrouve maître de la moitié de la France (cf. carte).
Philippe II Auguste (1180 à 1223), redresse la situation en réunissant la Normandie, l’Anjou, le Maine et le
Poitou, soit toutes les terres anglaises sauf l’Aquitaine. Il remporte par ailleurs contre l’empereur et le comte de
Flandre coalisés la victoire de Bouvines (1214) qui montre qu’il est le prince le plus puissant d’Europe occidentale.
1 Comte d’Anjou ou de Blois-Champagne, duc d’Aquitaine, bientôt duc de Normandie ou de Bourgogne.
2 Le dernier roi carolingien, Louis V meurt accidentellement d’une chute de cheval, à 20 ans et sans postérité le 28 mai. Le 1er juin, à
Noyon, l’assemblée des grands du royaume, sous l’influence de l’archevêque de Reims Adalbéron, choisit Hugues. Le nouveau roi est sacré
dans la cathédrale de Reims le 3 juillet suivant.
3 De même que les Pippinides étaient devenus les Carolingiens avec Charlemagne, à partir de 987 les Robertiens deviennent les
Capétiens. Le surnom de « Capet » (dont sera affublé symboliquement Louis XVI en 1793) était donné à Hugues parce qu’en tant qu’abbé
laïque de Saint-Martin de Tours, il était chargé de la garde de la chape de saint Martin.
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HISTOIRE DES INSTITUTIONS ET DU DROIT FRANÇAIS 5e-18e SIÈCLES
Le long règne de Louis IX (1226-1270), saint Louis pour la postérité, accroît considérablement le rayonnement
moral de la monarchie, faisant de la France la première puissance politique, économique et surtout culturelle du
monde européen (le « temps des cathédrales », mais aussi des universités, de la théologie et du droit canon…).
Philippe IV le Bel (1285-1314), est le premier monarque prenant avec autorité des initiatives dans les domaines
les plus divers : il innove en réunissant les États généraux, pour appuyer sa politique par l’assentiment des
population, met en place pour des raisons militaires un impôt royal bientôt permanent, manipule la monnaie, fait le
procès des Templiers, entre en conflit avec le pape, a des démêlés avec les grands seigneurs...
Les progrès de la monarchie capétienne sont mis à mal par la grave crise dynastique qui éclate en 13164. Le
principe de masculinité, retenu pour écarter du trône les femmes et leur progéniture, sert de prétexte au
déclenchement de la fameuse Guerre de Cent Ans par le roi d’Angleterre Édouard III qui aurait dû hériter de la
couronne (1336).
Économiquement, l’essor des 10e et 11e siècles se prolonge. Si les foires de Champagne déclinent, c’est au profit de celles
de Chalon-sur-Saône, de Lyon et de Beaucaire. Comme il est normal, la renaissance du commerce crée un besoin de
numéraire. Les grands seigneurs et les évêques frappent des monnaies d’argent ; les villes italiennes, comme Venise, qui
s’enrichit par le commerce avec Byzance, parfois des monnaies d’or. Saint Louis donne prééminence à la monnaie royale
d’argent et la fait accepter dans tout le royaume. En 1266, il va plus loin en frappant des monnaies d’or (l’écu d’or) et en
déclarant qu’il en a seul le droit. L’activité bancaire n’est pas absente du renouveau économique et le procédé du crédit est
fréquemment utilisé dans les transactions.
Les conséquences sociales de cette activité économique sont de deux sortes : 1° La noblesse, uniquement propriétaire de
terres, s’appauvrit par les partages successoraux, la fixité des redevances des paysans, les dépenses occasionnées par les
départs aux Croisades ; 2° Une bourgeoisie aisée apparaît, dont une partie est détentrice de capitaux, nouvelle forme de
puissance.
§ 3. La guerre de Cent Ans (14e et 15e siècles).
Cette guerre constitue une épreuve fort rude pour la France. Le pays connaît alors :
1° des désastres militaires (Crécy, 1346 ; Poitiers, 1356, où le roi de France est fait prisonnier ; Azincourt,
1415).
2° des difficultés financières aiguës
3° des crises sociales avec les révoltes de paysans (les paysans s’insurgent en particulier parce qu’ils sont ruinés
par les bandes de soldats qui circulent dans le pays entre les différentes opérations militaires. Ces jacqueries
paysannes sont souvent violentes : il arrive que l’on massacre les nobles et que l’on incendie les châteaux)
4° des crises politiques extrêmement graves, dues notamment à la situation de régence, souvent répétée, durant
la captivité en Angleterre du roi Jean II le Bon (1356-1360)5, ou durant le règne désastreux de Charles VI (13801422)6, qui voit une véritable guerre civile opposer les factions politiques rivales, et l’héritier du trône, le dauphin
Charles, désavoué par son père fou.
4 Voir infra, la partie du cours consacrée aux règles de transmission de la couronne…
5 Un catastrophique mouvement de désagrégation du pouvoir central se produit : les grands (tel Charles le Mauvais, roi de Navarre)
fomentent des troubles pour appuyer leurs ambitions ; les États généraux, réunis presque sans interruption de 1355 à 1358, essayent de
substituer leur autorité à celle du régent, s’alliant pour cela au mouvement insurrectionnel parisien : Le premier soulèvement est conduit par
Étienne Marcel, prévôt des marchands, qui tente, lui, aussi de s’emparer de la direction du royaume en 1356 et 1357 (l’année suivante il est
assassiné à coups de hache par le bourgeois de Paris Jean Maillart). Le peuple étant lassé des troubles, le régent, le dauphin Charles (futur
Charles V le Sage), homme modéré, peut rétablir la situation.
6 C’est tout d’abord, en 1381, l’insurrection parisienne des Maillotins, qui s’opposent à la perception de nouvelles taxes. Puis, dans les
premières années du 15e siècle, le boucher Simon Caboche prend la tête des 500 bouchers parisiens et bourgeois, domine Paris quelque
temps et impose à Charles VI, en mai 1413, l’Ordonnance Cabochienne préparée par l’Université de Paris et contenant en 258 articles une
véritable charte constitutionnelle tendant au contrôle de la monarchie. (L’ordonnance est révoquée quelques mois après). Pendant la folie
intermittente du roi, les membres de la famille royale se disputent le pouvoir alors que la guerre continue toujours. Une farouche guerre
civile oppose le parti des Bourguignons, mené par l’oncle du roi Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, à celui des Armagnacs, conduit par
le duc d’Orléans, frère du roi. Les Bourguignons contrôlent la région parisienne, s’alliant le cas échéant avec les Anglais ; les Armagnacs,
recrutés plutôt dans le Sud-Ouest, en Bretagne et en Lorraine, sont partisans de l’indépendance française. En 1420 est signé le « honteux »
traité de Troyes : le roi fou, circonvenu par la reine Isabeau de Bavière, déshérite son fils Charles et nomme son gendre, le roi d’Angleterre
Henri V, régent du royaume de France et héritier de la couronne.
Deux ans plus tard, en 1422, meurent coup sur coup Henri V et Charles VI. Le jeune Henri VI, roi d’Angleterre, et en principe
également roi de France, étant âgé seulement d’un an, c’est son oncle, le duc de Bedford, qui devient régent. La lutte s’engage entre les
Anglais qui occupent tout le nord de la Loire, et le jeune dauphin Charles VII, le « petit roi de Bourges » (où il s’est installé pour
reconquérir la couronne), déshérité par son père. La lutte est indécise jusqu’en 1429, date de l’entrée en action de Jeanne d’Arc
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INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT
HISTOIRE DES INSTITUTIONS ET DU DROIT FRANÇAIS 5e-18e SIÈCLES
À partir de 1429, celui-ci recouvre heureusement sa légitimité grâce aux succès militaires de Jeanne d’Arc
(1412-1431) qui galvanise les énergies et devient le porte-drapeau de la lutte populaire contre l’étranger7. La
Guerre de Cent Ans se termine en 1453, tandis que cette même année, à l’autre bout de l’Europe, les Turcs
s’emparent de Constantinople et mettent fin à l’Empire romain d’Orient.
Les malheurs des 14e-15e siècles — guerre de Cent Ans, grande Peste Noire de 1348 — ont eu évidemment des conséquences
désastreuses sur la vie économique. Ils vont briser l’élan de production et d’échange. La guerre de Cent Ans, les épidémies (dont la grande
Peste Noire de 1348 qui décime le tiers des Européens), les famines et massacres de toutes sortes, abaissent la population française de 20
millions environ à 13 ou 14 seulement peut-être. L’agriculture régresse et de nombreuses terres ne sont plus cultivées. Le commerce est
fortement ralenti, parfois même entièrement interrompu. La guerre interminable et les crises politiques successives entraînent l’instabilité
monétaire avec baisse de la valeur des monnaies et hausses des prix (phénomène économique non encore maîtrisé par notre civilisation
moderne).
7 Elle prend Orléans (8 mai 1429) et emmène Charles VII se faire sacrer à Reims. Prise par les Anglais à Compiègne, Jeanne est brûlée
comme sorcière en 1431 à Rouen, mais l’impulsion est donnée : les Anglais iront de difficultés en difficultés jusqu’en 1453, date de leur
défaite de Castillon-la-Bataille, à 40 km de Bordeaux, livre la Gascogne à Charles et ne laisse plus à l’Angleterre que Calais, conservé
jusqu’en 1558.
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HUGUES CAPET
987-996
∞ Adélaïde d’Aquitaine
ROBERT II le Pieux
996-1031
∞ Constance d’Arles
HENRI Ier
1031-1060
∞ Anne de Kiev
PHILIPPE Ier
1060-Berthe de Hollande
LOUIS VI le Gros
1108-1137
∞ Adélaïde de Maurienne
LOUIS VII le Jeune
1137-1180
∞ 1. Aliénor d’Aquitaine
2. Adèle de Champagne
2
PHILIPPE II Auguste
1180-1223
∞ Isabelle de Hainaut
LOUIS VIII le Lion
1223-1226
∞ Blanche de Castille
Régente du royaume † 1252
CAPÉTIENS DIRECTS
LOUIS IX le Saint
1226-1270
∞ Marguerite de Provence
_________________________________________________________________________________________________
PHILIPPE III le Hardi
Robert
1270-1285
de Clermont † 1318
∞ Isabelle d’Aragon
∞ Béatrix, héritière
_____________________________________________________________________________
du Bourbonnais
PHILIPPE IV le Bel
Charles de VALOIS
Branche des
1285-1314
† 1299 ↓ Tige des
BOURBONS
∞ Jeanne de Navarre
VALOIS
↓
_______________________________________________________________________
↓
LOUIS X le Hutin
Isabelle
PHILIPPE V
CHARLES IV
1314-1316
† 1357le Long 1316-1322
le Bel 1322-1328
PHILIPPE VI de Valois
∞ 1. Marg. de Bourgogne
∞ Edouard II
∞ Jeanne de Bourgogne ∞ 1. M. de Luxemb. 1328-1350
2. Clémence de Hongrie
__________________________
roi d’Angleterre
2. Jeanne d’Evreux ∞ Jeanne de Bourgogne
|
↓
1
2
Jeanne
JEAN Ier le Edouard III
1316 †
Posthume roi d’Angleterre
Reine de Navarre
(1327-1377)
∞ Ph. d’Evreux
Branche de
NAVARRE
↓
↓N
(sans postérité mâle)
JEAN II le Bon
1350-1364
∞ Bonne de Luxembourg
se dit roi de France
↓
(ANGLETERRE)
↓
CHARLES V le Sage
1364-1380
∞ Jeanne de Bourbon
________________________________________
CHARLES VI le Fol
Louis d’Orléans
1380-1422
† 1407
∞ Isabeau de Bavière
∞ Valentine Visconti
↓
↓
↓
↓B
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HISTOIRE DES INSTITUTIONS ET DU DROIT FRANÇAIS 5e-18e SIÈCLES
↓N
↓
CHARLES VI le Fol
1380-1422
∞ Isabeau de Bavière
_______________________________|_______________
Isabelle
CHARLES VII le Victorieux
∞ Richard II
1422-1461
Roi d’Angleterre
∞ Marie d’Anjou
(1327-1377)
… et de France
LOUIS XI
1461-1483
∞ Charlotte de Savoie
__________________________
CHARLES VIII
Jeanne →
←
1483-1498
∞ Anne de Bretagne † 1514 remariée →
sans postérité
Louis d’Orléans
† 1407
∞ Valentine Visconti
________|______________________
Charles d’Orléans
Jean † 1467
le Poète † 1465
Cte d’Angoulême
∞ Marie de Clèves
∞ Marg. de Rohan
VALOIS-ORLÉANS
-ANGOULÊME
|
|
LOUIS XII
Charles de Valois
le Père du peuple
† 1496
1498-1515
∞ Louise de Savoie
∞ 1. Jeanne de France
|
2. Anne de Bretagne
FRANÇOIS Ier
|
1515-1547
Claude de France ∞ → ∞ Claude de France
↓B
↓
↓
|
HENRI II
1547-1559
∞ Catherine de Médicis
Régente de France † 1589
___________________________________________________|_____
_________
FRANÇOIS II
1559-1560
∞ Marie Stuart
CHARLES IX
1560-1574
∞ Elisabeth
d’Autriche
↓B
HENRI III
Marguerite (la reine Margot)
HENRI IV
1574-1589
(La reine Margot)
1589-1610
roi de France ∞ Henri de Navarre →
roi de Navarre *
et de Pologne
puis
de
France
∞ Louise de Lorraine
(morts sans postérité)
∞ 1. Margu. de France
2. Marie de Médicis
Régente de France † 1642
* Henri IV, d’abord roi Henri III de Navarre, est le fils d’Antoine de Bourbon, descendant de Robert de Clermont, fils de saint Louis
(branche B sur le tableau), et de Jeanne III d’Albret, reine de Navarre (descendante de Jeanne II de Navarre, fille de Louis le Hutin (branche
N).
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INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT
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Chapitre 1
Les sources du droit médiéval.
Au début des temps médiévaux classiques (11e-12e), la source essentielle du droit est la coutume.
Mais la renaissance du droit romain va redonner de l’unité au paysage juridique français et exercer sur
lui une grande influence. Par ailleurs, les progrès de l’autorité du roi vont lui permettre d’assumer de
nouveau sa fonction législative : il le fera par les ordonnances royales, autre facteur d’unification du
droit français. Enfin, le droit de l’Église ou droit canonique joue lui aussi un rôle majeur en la matière.
Section 1
La coutume
Aux 10e et 11e siècles, la notion de législation unique et écrite a complètement disparu, au Nord comme au Sud : le
système de la personnalité des lois s’est peu à peu dilué (mariages mixtes et déplacements) faisant place en droit privé à la
territorialité des lois avec les coutumes ; en ce qui concerne le droit public, les capitulaires carolingiens ont cessé d’avoir
force de loi avec la décadence du pouvoir. Les populations, livrées à elles-mêmes sur le plan de la législation, conservent de
leur propre mouvement certaines règles anciennes qui paraissent bonnes et ajoutent de nouvelles pratiques nées des nécessités
de la vie en société. Dans le silence d’un législateur absent, cette législation spontanément venue de la base (et non du sommet
comme de nos jours) est la coutume.
Durant une grande partie du Moyen Âge, le cadre de la vie sociale est la seigneurie (cf. infra, chap. 2,
section 2). Tous les habitants de la seigneurie ont les mêmes usages, la même coutume. D’où le nombre
et l’extrême diversité des coutumes : il y en aura encore 360 de recensées à la veille de la Révolution !).
Toutefois, à la fin du 12e siècle et au cours du 13e siècle, les coutumes tendent à s’uniformiser sur de
nombreux points dans des régions plus étendues que la seigneurie : la Champagne, la Normandie, la
région de Paris, par exemple. Après le Moyen Âge proprement dit, la coutume prend comme cadre l’unité
judiciaire, c’est-à-dire le bailliage ou la sénéchaussée.
a) Définition de la coutume.
La coutume est un usage juridique :
1° de formation spontanée ;
2° accepté par le groupe social intéressé, c’est-à-dire naissant d’une série d’actes publics et paisibles,
non fondés sur la violence et ne se heurtant à aucune contradiction ;
3° répété pendant un certain temps, qui est d’ordinaire de 40 années, ou, mieux, plus long encore et
nous avons alors une coutume immémoriale, la coutume par excellence (cf. Loysel : « Qui a mangé l’oie
du roi, cent ans après en rend la plume »).
La coutume disparaît :
1° par non usage, c’est-à-dire par désuétude ;
2° lorsqu’elle se heurte à une contradiction victorieuse.
La coutume est donc parfaitement souple, mais aussi souvent incertaine car, n’étant pas écrite, elle
se conserve par la seule tradition orale.
b) Application et preuve de la coutume.
Le juge ne crée pas la coutume, pas plus que le seigneur : il la constate et s’y soumet sans avoir la
possibilité de l’écarter. Toutefois le roi, approbateur des coutumes raisonnables, peut mettre à l’écart les
« mauvaises coutumes », qui ont proliféré autour de l’an mil, créant essentiellement des charges
abusives : elles sont mauvaises parce que nouvelles. C’est souvent l’Église qui a réagi contre ces abus,
dans le cadre du mouvement de la « Paix de Dieu » (supra).
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INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT
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La coutume étant orale, il faut la prouver et la question de la preuve de la coutume est très
importante. Aucun problème ne se pose lorsque les deux plaideurs sont d’accord sur la coutume à
appliquer pour trancher leur différend. Par contre, quand un plaideur avance une coutume niée par
l’adversaire, il doit en apporter la preuve. Le juge interroge les témoins du plaideur, regroupe des
informations en consultant d’autres personnes et décide lui-même si l’on est bien en présence de la
coutume avancée.
Tandis que ce procédé de preuve de la coutume se maintient tel quel dans le Midi, dans le Nord un
autre système de preuve de la coutume apparaît au 13e siècle, l’enquête par turbe : lorsque 10 témoins
reconnaissent ensemble l’existence d’une coutume, on considère que cet avis collectif est déterminant.
Une coutume prouvée et appliquée en justice devient une coutume reconnue et lorsque personne ne la
conteste plus, elle est notoire.
c) Expression des coutumes : leur rédaction.
Nous connaissons les coutumes de la France médiévale par les actes de la pratique (ou chartes) : ce
sont des actes passés entre particuliers pour telle affaire déterminée ; en les rapprochant on peut
reconstituer les coutumes appliquées. La plupart des chartes parvenues jusqu’à nous proviennent des
archives des grands établissements ecclésiastiques.
Par ailleurs, l’habitude est prise au 13e siècle de noter les décisions des juridictions. Ainsi, les plus
anciens registres du parlement royal, appelés Olim, remontent à 1254. La dénomination Olim, donnée
aux 4 premiers volumes [1254 à 1318] vient du 1er mot du 2e registre, olim, signifiant “autrefois” en latin.
→ Dès le 12e siècle commencent à être rédigés, avec le concours de la population, des recueils
officiels de coutumes, qui tomberont souvent ensuite dans l’oubli à cause de la renaissance du droit
romain. Mais on a surtout des coutumiers privés, rédigés à l’initiative de praticiens du nord du royaume,
relevant les coutumes s’appliquant dans leur région ; ils n’ont pas de valeur officielle, mais constituent de
précieux documents.
On distingue 2 grandes catégories de coutumiers, pour les 13e et 14e siècles :
1° les coutumiers normands (Le Très Ancien Coutumier de Normandie, anonyme, rédigé en latin et en
français, début 13e ; le Grand Coutumier de Normandie, en latin, v. 1235) ;
2° les autres, rédigés en français, dans la région de Paris et d’Orléans et empreints de droit romain
(enseigné dans les universités de ces cités) et de droit canonique : le Conseil à un Ami de Pierre de
Fontaine, bailli de Vermandois, v. 1250-1260 ; le Livre de Justice et de Plet, v. 1260 ; les Etablissements
de Saint Louis, 1270 ; les Coutumes de Beauvaisis, du bailli Philippe de Beaumanoir, 1283, véritable
traité de droit coutumier dégageant les principes directeurs des institutions ; au 14e siècle enfin, la
Somme Rurale de Jean Boutillier, bailli de Vermandois, 1387, et le Grand Coutumier de France de
Jacques d’Ableiges, bailli de Chartres et d’Évreux, v. 1388.
En 1454 enfin, le roi Charles VII, par l’ordonnance de Montils-lès-Tours, impose la rédaction
générale de toutes les coutumes du pays : « Que les coutumes, usages, styles de tous les pays de notre
royaume seront rédigés et mis en écrit ».
Section 2
Le droit romain
Redécouvert vers 1060-1080 en Italie du Sud, le droit romain oriental (celui de l’empereur Justinien,
édicté au 6e siècle à Byzance : cf. supra) va profondément modifier les données juridiques de la société
médiévale, car à l’inverse de la coutume, c’est un “droit savant”, écrit, rationnel et complet.
Il est tout d’abord enseigné avec éclat à Bologne, par le maître Irnerius, qui professe de 1088 à 1125
et fonde l’école des « Glossateurs » (ainsi appelée à cause de la méthode d’étude employée : le
professeur lit et explique les textes de droit romain et résume son exposé par une brève phrase, la glose,
que les étudiants inscrivent dans la marge de leur recueil en face du passage étudié).
38
INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT
HISTOIRE DES INSTITUTIONS ET DU DROIT FRANÇAIS 5e-18e SIÈCLES
Deux professeurs de renom, parmi beaucoup d’autres un peu moins célèbres, enseignent à la suite
d’Irnerius : Placentin, également italien formé à Bologne, mais chassé en France, réintroduit l’étude du
droit romain en France par son enseignement à Montpellier de 1160 à 1192 ; Azon († v.1230), d’abord
professeur aussi à Montpellier, puis à Bologne ; enfin Accurse (1182-1260) qui compose la Grande
Glose, vaste compilation dans laquelle il réunit et classe les meilleures gloses de ses prédécesseurs.
Enfin, Au 13e siècle, le droit romain est enseigné dans d’autres universités françaises (notamment
Orléans, avec Jacques de Révigny et Pierre de Belleperche), et un constant échange de maîtres et
d’étudiants a lieu entre l’Italie et la France.
Les maîtres Bolonais ne considèrent pas le droit romain comme une législation morte, mais comme
une législation vivante tenue à jour par les empereurs allemands et applicable sur tout le territoire du
Saint Empire Romain Germanique. Ainsi ce droit s’applique-t-il dans le Dauphiné, en Savoie et en
Provence, provinces de l’Empire. L’importante question qui se pose en France est de savoir si le droit
romain, enseigné et étudié dans le Midi français et jusqu’à Orléans, va également s’appliquer avec la
même force que dans l’Empire :
Le roi de France refuse catégoriquement de l’admettre car ce serait reconnaître la supériorité de
l’Empire germanique, ce dont il n’est pas question (cf. l’adage « Le roi de France est empereur en son
royaume ». Philippe Auguste demande au pape Honorius III l’interdiction d’enseigner le droit romain à
l’université de Paris : il l’obtient de lui, par la bulle Super speculam de 1219.
La différence de réaction du Nord et du Midi à l’égard de la renaissance du droit romain entraîne, sur
le plan du droit privé, la distinction des pays de coutumes (Nord) et des pays de droit écrit (Midi) qui
subsiste jusqu’au Code Napoléon. La ligne de séparation des pays de coutumes et des pays de droit écrit
est une ligne brisée qui va de l’île d’Oléron au lac Léman (ligne brisée car, alors que le Limousin, le
Lyonnais-Forez ou le Velay font partie du droit écrit, l’Auvergne appartient aux pays de coutumes, sauf
enclaves).
PAYS DE DROIT ÉCRIT (EN GRIS) ET PAYS DE DROIT COUTUMIER
« Le roi laisse ses sujets méridionaux libres de suivre le droit romain, mais le considère comme une coutume écrite, dont
l’autorité est fondée sur l’adhésion du peuple, et dans la mesure seulement où le peuple l’accueille à côté de ses vieux usages.
Les pays du Midi sont, au fond, des pays de coutumes comme les autres, mais, parmi ces coutumes, le droit romain tient une
grande place ».
Olivier-Martin
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INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT
HISTOIRE DES INSTITUTIONS ET DU DROIT FRANÇAIS 5e-18e SIÈCLES
Section 3
Les ordonnances royales
• Les premiers Capétiens, à la puissance si limitée, ne font naturellement pas de lois, c’est-à-dire de
textes de portée générale s’appliquant dans tout le royaume. Lorsque le pouvoir royal commence à
s’affermir, quelques textes législatifs apparaissent discrètement : on les appelle Établissements ; ainsi,
en 1155, est proclamée à Soissons une trêve de Dieu pour 10 années.
• À partir de la fin du 12e siècle, les Ordonnances royales sont plus nombreuses, mais leur autorité
n’est pas admise d’emblée par tous. Les hauts seigneurs estiment que le roi légifère seulement pour le
territoire de son domaine et que sa législation ne peut s’étendre dans leurs propres seigneuries qu’avec
leur assentiment. L’autorité totale du roi est reconnue seulement en temps de guerre. En dehors de ce
cas, lorsque le roi désire que ses ordonnances (ou établissements) s’appliquent dans tout le royaume, il
doit faire participer les grands seigneurs à leur élaboration et à leur adoption et obtenir d’eux la promesse
de les faire respecter dans leur seigneurie. Peu à peu, le droit du roi de légiférer en matière de droit
public pour l’ensemble du royaume progresse, s’appuyant sur les légistes et le droit romain (cf.
l’adage du jurisconsulte romain Ulpien : Quod Principi placuit, legis habet vigorem, (ce qui a plu au
Prince a force de loi), traduit en ancien français par la formule : Se veut le Roi, se veut la Loi (si le roi le
veut, la loi l veut).
• Au 14e siècle, il suffit que quelques grands seigneurs acceptent les établissements pour qu’ils aient
une application générale. Selon Beaumanoir, pour qu’une ordonnance royale soit appliquée, il faut 1°
qu’elle ait une cause rationnelle ; 2° qu’elle soit faite en vue du bien commun, du commun profit
comme on dira bientôt (c’est la notion romaine de res publica) ; 3° qu’elle soit délibérée en grand
conseil.
• À la fin du Moyen Âge, toutes les ordonnances présentent un caractère commun, à savoir que ce
sont des ordonnances de réformation8, qui répondent la plupart du temps aux doléances exprimées par
les États généraux, apparus au siècle précédent (ainsi l’ordonnance de 1413 ou celle de Montils-lèsTours, qui consacre la plupart de ses dispositions à la réorganisation des juridictions royales et à la
procédure). Pour le droit privé, il en va différemment : les populations étant très attachées à leurs
coutumes, les ordonnances royales ne concernent que très rarement les matières de droit privé.
Avec la Monarchie absolue, à partir du 16e siècle
(infra), on distinguera progressivement deux
catégories d’ordonnances :
- 1°) Les ordonnances de réformation (jusqu’au
Code Michau, de 1629), ainsi nommées parce que
remettant de l’ordre dans les institutions publiques
en supprimant les abus qui s’y sont glissés. Ce sont
des compilations législatives pouvant toucher à des
questions fort diverses, sans grand ordre (→ )
- 2°) Les ordonnances de codification (à partir
de Louis XIV) : concernant des matières
déterminées, coordonnant, unifiant, clarifiant les
textes antérieurs qui régissaient ces matières. Elles
seront rédigées avec minutie, selon un plan très
élaboré, annonçant les codifications napoléoniennes.
La première de ces grandes ordonnances est celle de
1667 sur la procédure civile.
8 Jusqu’au 17e siècle. Viendront alors les « ordonnances de codification », avec le règne régulateur de Louis XIV (infra).
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Section 4
Le droit canonique
C’est à l’époque médiévale que le droit canon ou canonique, qui a pris son essor aux temps
carolingiens (supra), se constitue véritablement en discipline autonome, indépendante cette fois de la
théologie.
On peut maintenant définir ce droit comme l’ « ensemble des règles régissant l’Église, relatives à son
organisation, aux droits et obligations des clercs, à la condition des biens ecclésiastiques, à sa
juridiction. Ces règles sont tirées des Écritures saintes, des écrits des premiers Pères de l’Église, des
décisions des conciles ou canons, des dispositions des papes dans leurs lettres ou instructions appelées
décrétales ».
Le droit canonique est une source fort importante du droit médiéval, car la compétence des tribunaux
ecclésiastiques va bien au-delà des matières religieuses proprement dites : elle comporte notamment les
questions relatives au droit familial (mariage et testament) et, s’il arrive que les tribunaux laïques
traitent de ces sujets, ils appliquent en principe le droit canonique.
Le premier grand texte de base du droit canon est le Décret (= compilation juridique) du moine toscan
Gratien, qui enseigne à Bologne, composé au milieu du 12e siècle (v. 1140). Bien que n’étant pas
officiel, cet ouvrage possèdera une autorité incontestée et peut être considéré comme le premier code de droit
canonique. Il sera complété : en 1234, à titre officiel cette fois, par le recueil de Décrétales de Grégoire IX,
e
composé par le dominicain Ramon de Peñaforte ; en 1298 par le Sexte (6 livre), de Boniface VIII ; peu
er
après, en 1313, par les Clémentines, de Clément V (1 pape d’Avignon), publiées en 1500 par l’éditeur
lyonnais Chappuis, qui les fait suivre de décrétales nouvelles, les Extravagantes de Jean XXII (13161334) et les Extravagantes communes de divers papes (Extravagantes ≈ en dehors des publications
officielles précédentes).
Un grand recueil complet, comprenant le Décret de Gratien, les Décrétales de Grégoire IX, le Sexte,
les Clémentines et les Extravagantes, appelé Corpus juris canonici, est officiellement publié par la
papauté en 1582. Le CJC restera en vigueur jusqu’à la promulgation du nouveau Codex juris canonici en
1917, réformé par Jean-Paul II en Code de droit canonique (1983).
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HISTOIRE DES INSTITUTIONS ET DU DROIT FRANÇAIS 5e-18e SIÈCLES
Chapitre 2
La société médiévale
C’est une société qui va être structurée en “ordres”, aux statuts bien définis, et ce jusqu’à la
Révolution française. Étudions donc d’abord cette société ordonnée, avant de parler du système féodal
proprement dit.
Section 1. Les trois ordres
Selon la théorie dite « des trois ordres », élaborée par les doctrinaires des temps carolingiens, mais qui
puise ses racines dans la pensée indo-européenne, la société, selon le plan naturel et divin, doit être
structurée en trois fonctions : la fonction sacrée, la fonction guerrière et la fonction productrice. C’est
ainsi qu’aux lendemains de l’an Mil (par delà la division radicale qui s’ébauche entre clercs et laïcs), le
monde occidental s’organise en répartissant les tâches sociales entre oratores (les prêtres : clercs),
bellatores (les guerriers : laïcs nobles/chevaliers), et laboratores (paysans/vilains/serfs)9. Ce seront les
« trois ordres » ou trois états qui survivront jusqu’à 1789…
Distinguons les clercs, les nobles et les “humbles” (serfs, roturiers, bourgeois), qui constitueront le
troisième ou Tiers état.
§ 1. Clergé
Dans la société médiévale, les clercs10, très nombreux, forment une classe très fournie,
du fait de l’importance de la religion (A), et complexe, avec des statuts différents, même
s’il existe des points communs à tous les clercs (B).
A. La chrétienté médiévale11
La société médiévale est chrétienne, rejetant dans la marginalité ou éliminant tous les païens : les Juifs, les
hérétiques (Cathares, Vaudois), et les “Infidèles” ou Musulmans.
La religion imprègne chaque individu dans sa vie quotidienne ; les grands moments de l’existence sont marqués
par des actes religieux : baptême, mariage, testament avec legs pieux, mais aussi fêtes liturgiques qui rythment le
calendrier de l’année, manifestations religieuses des corporations d’artisans, entrée en chevalerie des nobles, sacre
du roi. Le culte des saints, et son corollaire celui des reliques, est exacerbé.
L’Église entend christianiser les populations encore païennes, pas assez chrétiennes, ou contrevenant à ses
normes. De grandes entreprises sont dirigées par l’Église en ce sens :
- les pèlerinages, notamment ceux de Rome, de Saint-Jacques de Compostelle en Espagne et de Jérusalem
avant 1095, qui attirent des foules considérables de fidèles ;
- la Paix de Dieu ensuite Trêve de Dieu, mouvement parti d’Auvergne, d’essence populaire et “récupéré” par
l’Église, visant à lutter contre les violences seigneuriales et les guerres privées, pour faire des milites des chevaliers
du Christ. Il impose de ne pas s’attaquer à certaines personnes (les “sans armes”, inermes : clercs, paysans,
marchands, femmes et enfants) [Paix], puis de respecter les “temps“ sacrés, certains jours et grandes fêtes
religieuses [Trêve].
9 Cf. Georges Duby, Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris, Gallimard nrf, 1978. L’évêque Adalbéron de Laon, dans son
Poème au roi Robert, autour de l’an Mil, déclare : « La maison de Dieu, que l’on croit une, est donc divisée en trois : les uns prient, les
autres combattent, les autres travaillent. Ces trois parties qui coexistent ne souffrent pas d’être disjointes : les services rendus par l’une
fixent les conditions des œuvres des deux autres ; chacune à son tour se charge de soulager l’ensemble ».
10 Le clerc est celui qui a par excellence droit a l’héritage céleste (du grec kleros [κληροσ], bien, domaine, héritage).
11 L’un des meilleurs ouvrages de synthèse : Jean Chélini, Histoire religieuse de l’Occident médiéval, Paris, Hachette (coll. de poche
Pluriel), 1991.
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HISTOIRE DES INSTITUTIONS ET DU DROIT FRANÇAIS 5e-18e SIÈCLES
- les Croisades, 7 en tout, échelonnées de 1095 à 1270, qui ont pour but à l’origine la reprise des Lieux Saints
de Palestine et leur sauvegarde, et elles aussi d’encadrer chrétiennement les chevaliers, de canaliser leurs instincts
belliqueux, donc de lutter contre la violence.
- les cathédrales : Notre-Dame de Paris (1161-1330), Strasbourg (reconstruite après 1176), Lyon (1180-1500),
Chartres (1194-1225), Reims (1212-14e s.), Vienne, Grenoble, Valence, Chambéry, etc.
Enfin, évidemment, l’Église transmet et diffuse le savoir intellectuel, culturel12 et juridique13. C’est sous l’égide
de l’Église que naissent les Universités, premiers pas du système éducatif moderne.
B. Clercs séculiers et clercs réguliers
Les clercs sont des hommes et des femmes, relativement peu nombreux par rapport au reste de la population,
jouissent donc d’un prestige immense. Ils forment une classe à part, avec des statuts différents, même s’il existe des
points communs à tous les clercs. Précisons que c’est à partir du 11e siècle que le statut des clercs s’individualise et
se précise vraiment, avec la fameuse Réforme grégorienne14 : c’est alors qu’est mise en place la séparation
définitive entre clercs et laïcs.
Les conditions requises pour devenir clercs ne sont pas très strictes, tout au moins jusqu’à la Réforme
grégorienne (fin 11e) et même jusqu’au Concile de Trente (milieu 16e). Il faut être libre, soit de naissance, soit par
affranchissement, né de parents unis par un mariage légitime (non bâtard), posséder une instruction suffisante. Si
une de ces conditions manque, il y a “irrégularité”, c’est-à-dire empêchement à l’entrée dans le clergé.
L’état de clerc, marqué extérieurement par l’habit clérical et la tonsure, se perd ipso facto par un comportement
incompatible avec la dignité ecclésiastique (clerc bigame, clerc qui a commis un crime grave, clerc marchand qui
veut faire bénéficier son négoce de son exemption d’impôts) ; la dégradation est prononcée par l’autorité
supérieure.
On distingue traditionnellement les clercs séculiers (vivant dans le “siècle”, c’est-à-dire le monde) des clercs
réguliers (suivant une “règle”, vivant hors du siècle). La distinction entre haut et bas clergé n’est qu’une simple
distinction sociale.
1. Les clercs séculiers (vivant dans le siècle, c’est-à-dire le monde).
On les appelle aussi clercs ordonnés (ayant reçu les « ordres »15). Ce sont les membres les plus
visibles de l’Église : prêtres, évêques…
Ils jouissent de privilèges et sont frappés d’incapacités.
• Les privilèges :
— judiciaires ou pénaux : le privilège de for (privilegium fori16) fait qu’un clerc défendeur à un
procès ne peut être cité que devant la juridiction d’Église ; une protection spéciale (privilège de canon,
du canon 15 du concile de Latran de 1139) frappe d’excommunication tout laïque coupable de violence
envers un clerc.
— fiscaux : le clerc ordonné jouit d’une exemption totale d’impôts au Moyen Âge.
— militaires : exemption de tout service, la règle canonique interdisant aux clercs de verser le sang
(Ecclesia aborrhet a sanguine).
12 Il existe d’importantes bibliothèques épiscopales et surtout monastiques. Les établissements ecclésiastiques sont les foyers de la
culture médiévale. La théologie est considérée comme la mère de toutes les connaissances, y compris de la philosophie. L’une et l’autre
sont étudiées, enseignées et illustrées par de grands esprits comme Albert le Grand (1206-1280) ou Thomas d’Aquin (1225-1274).
13 Cf. supra, le droit canon…
14 Du nom du pape qui en est l’instigateur, Grégoire VII (1073-1085). Avec la Réforme grégorienne, l’Église subit une transformation
radicale de ses structures et de ses conceptions. Elle instaure la centralisation pontificale et refuse l’emprise des laïcs sur les biens
ecclésiastiques.
15 On distingue les ordres majeurs (sous-diacres, diacres, prêtres) et les ordres mineurs (portiers, lecteurs, exorcistes, acolytes).
16 du latin forum, la place publique (située hors de la ville) où l’on échange (dans tous les sens du terme, politiquement et
commercialement) et où on juge ; par dérivation, le forum désigne l’endroit où on juge, le tribunal (cf. au Puy la place du For, à côté de la
cathédrale).
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INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT
HISTOIRE DES INSTITUTIONS ET DU DROIT FRANÇAIS 5e-18e SIÈCLES
Enfin, l’accession aux dignités (chanoine, abbé, évêque…) et “bénéfices” ecclésiastiques (biens
procurant des revenus) est réservée aux clercs, théoriquement.
• Les incapacités sont mal respectées : ainsi l’interdiction de se livrer à une activité lucrative
(simonie, ou trafic des biens d’Église), ou celle de se marier ou d’avoir une concubine (nicolaïsme). À
l’époque carolingienne encore, des prêtres, des évêques, des archevêques même, étaient mariés ou
vivaient en concubinage. Le pape Grégoire VII (1073-1085), entreprenant de réformer le clergé fait
exclure de l’Église [par le synode de Rome de 1074] les prêtres et évêques qui ne se sépareront pas de
leurs femmes. Le synode de Paris de la même année répond que la règle du célibat étant insupportable
elle est par conséquent déraisonnable. Le 4e concile de Latran de 1223, convoqué par Calixte II (pape
d’origine bourguignonne, ancien archevêque de Vienne), décide que l’ordination est un empêchement
dirimant au mariage. Un nouveau fléchissement se produit aux 14e et 15e siècles : le concile de Trente
(1545-1563) prendra d’énergiques mesures pour la réforme et la discipline du clergé (telle l’obligation du
port du costume ecclésiastique).
Il faut enfin dire deux mots des clercs simples tonsurés, non ordonnés, mi-clercs, mi-laïcs : ce sont
les universitaires (étudiants et enseignants) et les hommes de loi qu’ils deviennent (cf. clercs de
notaires). Ils bénéficient du privilège de for et du privilège de canon, mais doivent acquitter l’impôt et
sont soumis aux obligations militaires. En revanche, ils peuvent se marier.
2. Les clercs réguliers (suivant une règle, vivant hors du siècle).
Ce sont les moines et moniales, vivant dans les monastères17. Ils ont fait profession religieuse (on les
appelle aussi religieux « profès ») en prononçant les trois vœux : chasteté, pauvreté et obéissance. Ils ont
le même statut que les clercs ordonnés, mais en outre sont soumis à des incapacités propres. Ainsi, en
raison du vœu de pauvreté, les moines sont frappés de “mort civile” : ils n’ont pas de patrimoine.
Église et laïcs ne sont pas d’accord sur les conséquences de cette situation : pour les canonistes, le
patrimoine actuel ou futur (héritage) du religieux doit échoir au monastère, alors que pour les
jurisconsultes laïques il doit revenir à ses héritiers légitimes. Les pays de droit écrit suivent le système
canonique et les pays de coutumes appliquent la dévolution des biens aux proches parents.
Les chanoines (de canon, règle), à la frontière des clercs
séculiers et des moines, entourent les évêques dans le cadre
de “chapitres” cathédraux (Lyon, Vienne, Belley, St-Jeande-Maurienne, Grenoble, Valence, Viviers). Les chanoines
dits “réguliers” (suivant la règle attribuée à saint Augustin)
vivent dans des chapitres monastiques (Saint-Barnard de
Romans, Saint-Maurice d’Agaune en Valais).
17 Le moine (du grec monachos/µονακοσ, seul) vit dans un monastère. Le monastère peut être “chef d’ordre”, à la tête d’une
congrégation de monastères : c’est alors une abbaye (ex. Cluny en Bourgogne). Abbayes et monastères ont des dépendances : prieurés,
églises, chapelles ou simples cellae. Les monastères sont organisés en ordres, en fonction de leur origine et de la “règle” qu’ils suivent.
Les ordres religieux au Moyen Âge sont nombreux : les plus anciens et répandus sont les Bénédictins (Ainay, L’Ile Barbe, Savigny,
Saint-Pierre-les-Nonnains à Lyon, actuel Palais Saint-Pierre ou des Beaux-Arts, près des Terreaux, pour les femmes) et leurs “dérivés” :
Clunisiens (de Cluny en Mâconnais, 909) et Cisterciens (fondés par saint Bernard de Cîteaux en Bourgogne). Viendront aux 11e et 12e
siècles les Casadéens de saint Robert de La Chaise-Dieu, les Chartreux de saint Bruno et les Prémontrés de saint Norbert, enfin, avec les
Croisades, les Ordres hospitaliers (Antonins : Saint-Antoine de Viennois) et militaires (Templiers, chevaliers teutoniques et de Saint-Jeande-Jérusalem)…
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§ 2. Noblesse
La noblesse médiévale18 est issue d’une part de l’aristocratie du haut Moyen Âge et d’autre part de
nouveaux éléments, les milites (chevaliers), apparus avec la mise en place de la féodalité.
À partir du 11e siècle, avec la mise en place du système féodal (infra), le “noble”, c’est désormais le
châtelain, qui devient le plus haut personnage de la hiérarchie sociale : il est le senior (seigneur) ou
dominus, maître incontesté des populations (les “ignobles”, “villains”, “manants”), tant au point de vue
politique et militaire qu’économique (infra). Seuls les clercs doivent lui inspirer le respect.
1. La condition nobiliaire
La noblesse s’acquiert par divers moyens :
1° la naissance, lorsque les deux parents sont nobles. Si
un seul des parents est noble, c’est la condition du père qui
l’emporte, sauf dans quelques régions qui admettent la
transmission de la noblesse maternelle, tels le Beauvaisis
(mais l’enfant n’aura pas accès à la chevalerie) et la
Champagne (l’enfant devra renoncer à la succession du
père).
2° le mariage : la roturière épousant un noble devient
automatiquement noble. En revanche, la serve n’est anoblie
que si c’est son maître qui l’épouse.
3° l’entrée dans la chevalerie. Dans les premiers temps troublés du système féodal, la chevalerie est
largement ouverte à quiconque se montre digne de porter les armes : de simples roturiers peuvent alors
entrer dans la noblesse, en s’équipant et devenant des milites, au service des sires (cf. les chevalierspaysans du lac de Paladru). L’ordre féodal régnant, un esprit de caste se forme et une réaction
aristocratique se produit : au 13e siècle, l’accès à la chevalerie est réservé aux fils de nobles. Seuls le roi
et quelques princes (duc de Bourgogne, de Bretagne), puis le roi exclusivement, peuvent encore conférer
la noblesse à des roturiers par la voie de chevalerie.
4° l’acquisition d’un fief, c’est-à-dire d’une terre noble (cf. infra : « terre concédée par une personne
appelée suzerain à une autre personne appelée vassal, à charge de certains services personnels et nobles,
comme le service d’ordre militaire principalement »). Cette terre peut être concédée par un seigneur à un
roturier qui devient alors noble ; ou bien un roturier riche peut directement l’acheter et entrer par ce
moyen dans la noblesse. Il faut attendre 1275 (ordonnance de Philippe III le Hardi) pour que soit
dissociée l’acquisition d’un fief de l’accession à la noblesse ; ce moyen de recrutement n’existe donc
plus19.
La noblesse est ainsi devenue une caste fermée dès la fin du 13e siècle et le restera jusqu’au 18e. Deux
procédés restent cependant aux roturiers pour accéder à cette classe sociale : l’octroi par le roi de lettres
d’anoblissement, et, à partir du 16e siècle et surtout du 17e siècle, l’occupation de certains hauts emplois
de l’État : c’est ce qu’on appelle la noblesse de robe20 , qui constituera en fait le plus gros de la noblesse
des deux derniers siècles d’Ancien Régime.
18 Martin Aurell, La noblesse en Occident (Ve-XVe siècle), Paris, A. Colin, coll. Cursus, 1996.
19 N.B. « La fameuse particule ne joue aucun rôle dans la noblesse : on peut être noble sans le de et être parfaitement roturier avec le
de. L’erreur a pourtant une origine historique : on est arrivé longtemps à la noblesse par la simple acquisition d’une terre noble, d’un fief ;
cette acquisition entraînait l’addition du nom du fief. Il y avait donc ordinairement un de dans le nom complet du gentilhomme, et surtout du
gentilhomme anobli par l’acquisition d’un fief. On prit très vite l’habitude de s’anoblir en ajoutant tout simplement ce de ; ou bien, malgré
les ordonnances qui avaient modifié l’ancien état de choses, on continua à se croire noble lorsqu’on avait acquis une terre féodale.
Aujourd’hui, il n’est resté de tout cela dans l’esprit du public que le de qu’on prend à tort et à travers pour le signe de la noblesse ». (Paul
Viollet, Histoire du droit français, Paris 1884, p.228).
20 Les “robins” désignent les gens de droit, hommes de loi.
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B. Les privilèges nobiliaires.
Outre les privilèges honorifiques, le noble possède des privilèges :
• militaires : seuls les nobles ont le droit de porter les armes et ils peuvent recourir à la guerre privée ;
à partir du 13e siècle ils ont seul accès à la chevalerie (cf. Bayard) et portent en cette qualité des éperons
dorés.
• judiciaires : le noble a droit au jugement par ses pairs ; à partir du 14e siècle, alors que les roturiers
sont pendus, les nobles seront décapités.
• fiscaux : les nobles sont exempts d’impôts, des péages et tonlieux (taxes sur les marchandises
circulant).
• civils (de droit privé) ou juridiques : ils sont en grand nombre, à tel point qu’on peut parler, au 13e
siècle, d’un droit des nobles distinct de celui des roturiers. Ainsi, par exemple, l’âge de la majorité est
plus tardif chez les nobles (20/21 ans pour les garçons, 15 ou 20 pour les filles, contre 15 et 12). Les
nobles ont droit de posséder un sceau pour authentifier leurs actes (alors que les roturiers doivent recourir
au notaire). Les biens d’un noble donnés en gage à un créancier ne peuvent être vendus qu’au bout de 40
jours après la date de l’échéance du remboursement (contre 7 pour les roturiers). Il existe beaucoup
d’autres différences, en matière de droit matrimonial et successoral par exemple.
Le noble étant voué uniquement au métier des armes (on dit qu’il paie l’impôt du sang), il ne doit pas
“déroger”, c’est-à-dire avoir des activités roturières donc “ignobles”, hormis l’exploitation de son
domaine. Sur le plan social, le noble doit donner l’exemple : s’il commet un acte déshonorant, il peut être
frappé de déchéance et perdre sa qualité de noble.
§ 3. Les humbles : le “Tiers état”
Au début du Moyen Âge classique, s’est produit — nous l’avons dit — une
révolution sociale d’envergure, liée à la mise en place d’une nouvelle société.
L’esclavage antique s’est mué en servage, lequel regroupe sous la domination des
seigneurs l’ensemble de la classe paysanne : libres, colons, non-libres. Ce sont les
serfs : presque toute la population laborieuse des campagnes appartient ainsi à la
catégorie servile.
Cependant, à partir du 12e siècle, l’amélioration de la situation politique et économique engendrant un
renouveau de liberté, la condition de certains roturiers21 va se distinguer de celle des serfs. Ces roturiers
resteront sous la dépendance de leur seigneur, mais seront exempts des charges serviles. Il y en aura de
plus en plus… Beaucoup iront peupler les villes (infra) : ce seront les bourgeois.
Le servage subsistera théoriquement en France jusqu’au 18e siècle, au moins dans l’Est et dans le
Centre. Les serfs demeurent totalement soumis aux propriétaires de la terre et attachés à celle-ci.. Voyons
les sources du servage, la condition juridique des serfs, les modes d’accession à la liberté :
― a) Sources du servage :
On est serf : — 1° par la naissance. En cas d’union mixte, la plupart des coutumes disposent que
l’enfant suit la condition de la mère, sauf en Bourgogne où la condition de l’enfant est déterminée par
celle du père. — 2° par l’entrée volontaire en servage : c’est l’oblation à un établissement ecclésiastique
(le nouveau serf, incliné devant l’autel de l’église, pose sur sa tête 4 deniers, taux de la redevance servile,
ou s’entoure le cou avec la corde de la cloche de l’église. — 3° par l’établissement sur une terre servile
: les habitants des terres serviles sont présumés serfs.
― b) Statut juridique :
21 De roture, du lat. ruptura, action de briser [la terre], d’où le sens de défrichement, puis de petite culture
46
INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT
HISTOIRE DES INSTITUTIONS ET DU DROIT FRANÇAIS 5e-18e SIÈCLES
Alors qu’à Rome et jusqu’en l’An Mil, l’esclave était une chose, privée de personnalité juridique, au
Moyen Âge classique, le serf est une personne ayant des charges et des obligations envers son seigneur,
mais également des droits : avoir une famille, un patrimoine, et la possibilité de devenir libre s’il se
trouve un jour sans maître.
Le serf est néanmoins attaché à la terre : en cas de fuite, le maître peut le poursuivre pour le
reprendre. Il est justiciable de son seigneur au civil et au criminel, et il ne possède aucun recours contre la
sentence. Le serf ne peut se marier sans le consentement de son maître (avec redevance). En cas de
mariage avec une serve étrangère à la seigneurie) le seigneur « lésé » peut imposer l’amende de
formariage, qui va quelquefois jusqu’à la confiscation du patrimoine du serf qui s’est marié à l’extérieur
sans autorisation. Souvent les seigneurs concluent entre eux des accords préalables d’échanges de serfs
ou de partage des enfants. Quant au fameux droit de cuissage, que le seigneur aurait possédé sur ses
serves la nuit suivant la cérémonie de mariage, c’est une fable historique.
Le serf est astreint à certaines redevances et charges :
— 1° le chevage, redevance personnelle (touchant au “chef”, au sens de tête), annuelle et immuable (donc
bientôt symbolique : 4 deniers), versée par les chefs de familles. Le chevage est tout de même important
juridiquement car spécifique du statut servile ; « recognitif » il constitue la marque de dépendance tangible du serf.
C’est une sorte d’hommage servile (par opposition à l’hommage noble).
— 2°) la taille, redevance en deniers levée également sur les chefs de famille. Irrégulière et de montant variable
à l’origine, elle va se transformer au fil des années en imposition plus régulière.
— 3°) les corvées , prestations gratuites de travail dues au seigneur : services manuels, transports et charrois,
labours. Ces corvées permettent au seigneur d’exploiter les terres qu’il s’est réservée, de débiter son bois, de
réparer les fortifications du château et d’en curer les fossés, d’entretenir les chemins.
— 4°) la mainmorte. Elle intervient au décès d’un serf : c’est son seigneur qui doit recueillir ses biens. On dit
que le serf a la « main morte », qu’il ne peut donc transmettre ses biens, notamment par testament. À partir du 12e
siècle, il y a de nombreuses atténuations au principe : la présence d’enfants légitimes écarte la mainmorte, les droits
du conjoint survivant sont reconnus sur une partie des biens. Même dans le cas où elle peut être exercée, la
mainmorte est limitée par les coutumes à une simple quotité de la succession : les meubles, le meilleur meuble, la
plus belle tête de bétail ou meilleur catel. Peu à peu, les proches du serf décédé peuvent garder ses biens à
condition de payer une redevance, sorte de taxe successorale. Pour détourner la mainmorte, les serfs utilisent le
procédé de la communauté taisible : la même famille servile possède tout en commun ; lors du décès de l’un de ses
membres, la part virtuelle qu’il possédait ne va pas au seigneur mais tombe dans la communauté.
― c) Les modes d’accession à la liberté :
1° L’affranchissement qui est fait par le maître (avec le cas échéant autorisation de son propre seigneur).
L’Église encourage l’affranchissement, qui peut donc avoir un mobile pieux ; très souvent aussi, cet
affranchissement est intéressé, pour obtenir une taxe de compensation ou conserver les serfs sur la terre. Des
seigneurs effectuent ainsi de nombreux affranchissements sous l’empire de la nécessité.
2° Le mariage (de la serve avec un non serf). —
3° L’entrée dans les ordres .
4° La résidence dans une ville de liberté (lorsque le statut de la ville prévoit que l’établissement dans ses murs
confère la liberté. Existe un adage : « l’air de la ville rend libre ». Le renouveau économique repeuple les anciennes
villes avec la venue d’anciens campagnards, de nouvelles agglomérations voient le jour. Artisans et commerçants
de ces villes échappent au seigneur car ils tirent leurs ressources de leur propre activité et non d’un travail sur les
terres. Ils peuvent aussi s’enrichir et se donner une puissance opposable à l’autorité seigneuriale. Devenus
nombreux, ils s’organisent, se groupent en associations pour défendre leur liberté. Ces roturiers citadins sont
astreints aux impôts et aux droits seigneuriaux, mais ils sont des hommes libres.
Dans la société médiévale, il existe d’autres groupes sociaux dont les membres sont théoriquement libres, mais
qui se trouvent en fait dans une situation analogue à celle des serfs, devant des redevances et étant frappés
d’incapacités : ce sont les aubains (étrangers et forains), les juifs, les bâtards et les lépreux ou cagots (frappés de
déchéance lors de la déclaration du mal).
47
INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT
HISTOIRE DES INSTITUTIONS ET DU DROIT FRANÇAIS 5e-18e SIÈCLES
Section 2
Fiefs et seigneuries (le système féodal ou féodo-vassalique).
À partir du 11e siècle, l’Occident se caractérise par
un paysage vraiment féodal : le cadre de la vie
quotidienne devient la seigneurie, circonscription
politique et administrative, lieu de production et
d’échanges économiques, lieu de vie sociale et
religieuse : le village, repérable par son église
paroissiale, est surtout dominé par le château
seigneurial, d’abord simple construction en bois (tour
carrée) élevée sur une motte artificielle de terre (→),
puis véritable château-fort de pierre, au donjon
circulaire, avec basse-cour et bâtiments annexes, à la
fois résidence seigneuriale et agglomération défensive
pour les populations.
Durant les temps féodaux, les maîtres des seigneuries — seigneurs, sires, châtelains, barons, etc. —
concentrent tous les pouvoirs jadis détenus par les agents publics au nom du roi, bientôt retrouvés par lui.
On dit que le seigneur possède le “ban” (bannum, pouvoir) : c’est d’abord un pouvoir économique que
lui procure l’utilisation par ses manants de services indispensables (moulin, four, pressoir : ce sont les
fameuses « banalités »22) ; c’est aussi et finalement surtout un pouvoir politique, judiciaire et militaire,
un pouvoir de contrainte que le seigneur exerce sur tous ceux de son ressort (district/“détroit”/
“[com]mandement”). Pour bien souligner cette importance du pouvoir seigneurial, les historiens ont
l’habitude de parler de « seigneurie banale » ou « justicière ».
Les revenus économiques que le seigneur tire de son ban, ou “banalités” (impôts direct/taille ou indirects/péages,
taxes) sont aussi appelés “coutumes”, c’est-à-dire ce qu’il est d’usage de prélever. Le problème vient souvent de
ce que le seigneur exige plus qu’il ne doit, qu’impose de nouveaux usages, donc de mauvais usages, de
« mauvaises coutumes ». L’Église lutte contre ces abus et oblige les seigneurs à renoncer à ces mauvaises
coutumes, à en « déguerpir ».
La féodalité touche donc à la fois le domaine économique et le domaine social, la condition des terres
(fiefs) et la condition des personnes (vassalité ou dépendance).
Pour ce qui est de la condition des personnes…
• En son sens étroit, technique, le mot féodalité désigne l’ensemble des liens unissant seigneurs et
vassaux, liens créant chez les parties contractantes un certain nombre de droits et de devoirs. En
échange de services multiples qu’il va rendre à son seigneur, le vassal se voit octroyer un "bienfait", un
bénéfice, le plus souvent une terre : la féodalité a une assise rurale évidente. C’est avant tout un système
de possession et d’exploitation de la terre au profit des classes supérieures de la société, voire, pour
certains historiens (notamment de l’école marxiste) un mode de production, qui subsistera jusqu’à la
destruction du régime féodal par l’Assemblée constituante, la nuit du 4 août 1789.
• En son sens large, la féodalité, c’est tout un système d’organisation de la société, du fait de la
fragmentation du pays en d’innombrables unités de vie : les seigneuries, désormais sièges du pouvoir
perdu par la royauté et récupéré par les sires.
22 Notre vocabulaire est encore fortement et inconsciemment imprégné de l’époque féodale : on parle de banalités, d’exactions, de
fieffés coquins, on supporte une corvée, on présente ses hommages, on fait sa cour, etc.
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HISTOIRE DES INSTITUTIONS ET DU DROIT FRANÇAIS 5e-18e SIÈCLES
Pour ce qui est de la condition des terres…
De nos jours, le propriétaire d’une terre en est le seul maître. Cette pleine propriété — proprietas,
hæreditas en droit romain — existe à l’époque médiévale : c’est l’alleu — alodis, puis allodium, du
germ. alod [al-, plein, entier et -ôd, biens] —, mais c’est l’exception ; le régime habituel de la majorité
des terres est celui de la tenure : les attributs de la propriété sont démembrés, partagés entre deux
personnes, le concédant et le tenancier. Le concédant reste propriétaire du domaine éminent (propriété
juridique de la terre), et le tenancier, sorte d’usufruitier à droits étendus, possède le domaine utile
(effectivement utilisé).
La tenure est donc une concession, à charge de services, faite par un homme (le seigneur, suzerain ou
propriétaire) à un autre homme (le tenancier ou vassal). En tant que concession d’une chose, la tenure
intéresse les droits réels23; c’est une catégorie de droit réel. La vassalité, organisation sociale liée au
système féodal, résulte d’un contrat par lequel un homme devient dépendant d’un autre…
Certaines terres sont concédées pour des raisons militaires et politiques, ce sont les tenures nobles ou
fiefs (§ 1.) ; d’autres pour la simple exploitation des terres : ce sont les tenures roturières ou censives,
concédées par un seigneur censier à un censitaire, et les tenures serviles, confiées à des serfs par leur
seigneur (§. 2).
Exception plus ou moins notable et de plus en plus fréquente au système féodal : les villes, qui se sont
émancipées et ont obtenu des franchises de leurs seigneurs (infra, section 3).
§ 1. La tenure noble ou fief.
De nombreuses sociétés (Égypte, Mésopotamie, Japon) ont connu le système féodal en tant que
récompense de services privés (dans le cadre de liens de fidélité personnels) ou rémunération de
services publics (fonctions ou charges officielles, administratives), par la remise, la concession d’une
terre, le fief. En Occident, tandis que les Germains “inventent” le mot « fief » (vieh) pour désigner la
remise d’un bienfait, le Bas-Empire pratique l’octroi du beneficium pour rémunérer les charges
publiques24. Traditions romaines et germaniques vont fusionner.
• À l’époque carolingienne, marquée par le développement du système vassalique, le phénomène
prend de l’ampleur : un vassus (du germ. was ≈ “gars”, diminutif vassalus). promet par engagement
personnel ses services à un senior (≈ “plus vieux”, ancien, donc supérieur → seigneur) ou suzerain
(superanus ≈ souverain) qui lui concède presque toujours un bénéfice foncier en contrepartie.
• Au début de l’époque féodale, la concession de terre découle bientôt automatiquement et
obligatoirement de l’engagement du vassal. On peut parler de système féodo-vassalique.
• Puis, c’est seulement à la suite de la concession d’un fief déterminé que le vassal porte l’hommage à
son seigneur et lui promet ses services.
Le régime de la tenure noble n’est pas le même durant tout le Moyen Âge. Voyons sommairement : 1°
le fief jusqu’au 12e siècle ; 2° à partir du 12e siècle.
A. Jusqu’au 12e siècle
1. Nature du fief
Le fief est constitué par une terre. La concession de cette terre se traduit par une cérémonie en deux
phases : la foi et hommage du vassal, puis l’investiture par le suzerain (ce qui touche la condition des
personnes).
23 Un droit “réel” désigne un droit sur une chose (en latin res) ; on parle aussi de droit “objectif”, par rapport à un droit “subjectif” ou
personnel. Distinction juridique évidemment capitale.
24 Plus précisément beneficium ad stipendium publicum. Cf. dans le Midi l’équivalence fevum sive fiscum.
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HISTOIRE DES INSTITUTIONS ET DU DROIT FRANÇAIS 5e-18e SIÈCLES
• L’hommage : « Veux-tu être mon homme ? ». — « Je le veux »… Durant tout le Moyen Âge, des
hommes ont échangé ces formules rituelles que nous rapportent de nombreux actes de la pratique. Elles
sont la base de ce qu’on a appelé le système féodal ou (féodo)-vassalique.
Dans la grande salle du château du suzerain, en présence de tous les nobles, le vassal, tête nue, sans
armes ni éperons, se met à genoux devant son seigneur, place ses mains dans les siennes et déclare à
haute voix être son homme pour le fief. Le suzerain le relève, lui donne un baiser sur la bouche et déclare
qu’il reçoit ce nouveau vassal comme son homme.
• La foi : le vassal prête ensuite serment sur l’Évangile ou sur des reliques de rester fidèle à son
seigneur suzerain.
• Le suzerain procède alors à l’investiture du fief en remettant au vassal, en un geste qui symbolise le
transfert de la terre, une motte, un fétu de paille, un bâton, ou même un gant, un poignard ou une épée.
Lorsque la terre n’est pas trop éloignée a lieu la montrée du fief : le seigneur suzerain fait visiter ce qu’il
vient de concéder en fief à son vassal.
2. Conséquences de la concession de fief
• Suzerain et vassal se doivent désormais fidélité, loyauté et assistance réciproques. Le suzerain doit
protéger paternellement son vassal en toutes circonstances. Le vassal, toujours déférent, doit au suzerain
l’aide (auxilium) et le conseil (consilium).
— L’aide est principalement une aide militaire et éventuellement une aide financière sans limites.
— Le conseil ou service de cour consiste à figurer à la cour du suzerain soit pour assister à des
cérémonies (prestations d’hommages, mariages...), soit pour lui donner son avis sur l’administration et la
défense de ses biens, soit comme juge, les vassaux ne pouvant être jugés que par leurs pairs.
• Les relations entre suzerain et vassal, qui reposent sur la droiture et la franchise mutuelles,
comportent d’éventuelles sanctions :
— Si le suzerain manque à ses devoirs, le vassal est délié de son obéissance et il relève désormais du
suzerain de son propre suzerain. Il existe en effet une hiérarchie pyramidale des fiefs qui aboutit au roi,
souverain, “plus grand fieffeux du royaume” : A est vassal du seigneur B, mais B est à son tour vassal du
seigneur C, plus important, qui peut être lui-même vassal du puissant D, dont le suzerain sera le roi. La
réalité est parfois moins mathématique et il arrive, avant qu’il ne soit plus puissant, que le roi soit luimême vassal de tel ou tel seigneur pour certaines de ses terres.
— Si c’est le vassal qui trahit son serment de fidélité et ses devoirs, le fief est repris par le suzerain par
la procédure de la commise.
• Lors du décès du suzerain, son héritier laisse généralement le fief au vassal, mais un nouvel
hommage et une nouvelle investiture sont nécessaires. À la mort du vassal, le suzerain peut concéder le
fief à son héritier, toujours avec nouvel hommage et nouvelle investiture. Mais, avant le 12e siècle, le
suzerain a la possibilité de concéder la terre à un autre vassal. Il n’y a pas encore d’hérédité.
B. À partir du 12e siècle
Avec la renaissance économique, la nature des relations entre suzerain et vassal se modifie. Sous
l’empire de préoccupations pécuniaires, les principes chevaleresques non écrits de loyauté et de
confiance cèdent peu à peu la place à des règles juridiques.
1. Changement de nature du fief
• Alors que précédemment le fief était toujours constitué par une terre, il peut être maintenant un
simple droit : par exemple, celui de lever une taille sur une superficie déterminée, de percevoir les
revenus d’une église ou d’une abbaye (car les biens ecclésiastiques sont tombés dans le commerce). Il
existe aussi des fiefs-rentes : un suzerain n’ayant plus de terres à céder, ou ne voulant pas en attribuer,
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HISTOIRE DES INSTITUTIONS ET DU DROIT FRANÇAIS 5e-18e SIÈCLES
concède en fief à un vassal une rente, c’est-à-dire un revenu fixe, sorte de salaire/solde, payable
généralement en son château. Le fief-rente est quelquefois qualifié de fief en l’air. L’on rencontre enfin
des fiefs-fonctions : une fonction administrative qui produit des revenus est concédée en fief : on en
revient ainsi aux origines du système.
• La cérémonie publique de foi et hommage qui faisait naître le lien unissant le vassal à son suzerain
perd de son importance. Ce qui compte désormais (toujours à partir du 12e siècle), c’est la rédaction d’un
acte écrit, dit “d’aveu et dénombrement”, sorte de procès verbal de l’accord contractuel entre le seigneur
et le vassal, notamment composé d’un inventaire détaillé de ce qui est concédé en fief avec l’énumération
des obligations corrélatives. L’élément réel l’emporte ainsi sur l’élément personnel, dans le contrat de
fief.
• Les obligations du vassal qui naissent du contrat avec le suzerain sont désormais limitées. Si le
devoir de conseil, consilium, ne se trouve pas modifié, le devoir d’aide, auxilium, est codifié :
- L’aide militaire du vassal, auparavant sans limites, comprend maintenant :
- 1° L’ost qui astreint le vassal à s’équiper militairement et à combattre 40 jours par an pour son seigneur ;
- 2° La chevauchée, obligation d’accompagner le suzerain dans de brèves expéditions militaires de 2 ou 3 jours
éventuellement dictées par les circonstances ;
- 3° Le tour de garde au château du suzerain ;
- 4° L’obligation de mettre son château à la disposition du suzerain si cela apparaît nécessaire dans la conduite
d’opérations militaires. Une sorte de réquisition. N’oublions pas toutefois que les obligations militaires perdent de
leur importance à partir du 13e siècle avec le développement de l’armée royale et la lutte contre les guerres privées.
- Le concours pécuniaire que le vassal doit apporter à son seigneur est limité à l’aide aux 4 cas :
- 1° lorsque le suzerain est fait prisonnier et qu’il faut payer une rançon pour le libérer ;
- 2° lorsque son fils aîné est armé chevalier ;
- 3° lorsque sa fille aînée se marie ;
- 4° lorsque le suzerain part en croisade.
• Avant le 12e siècle, quand le vassal s’engageait totalement, sans limitation, il ne pouvait avoir qu’un
seul suzerain. Maintenant, un vassal peut dépendre de plusieurs suzerains parce que des fiefs divers
lui ont été concédés par différents seigneurs. Comment, dans ces conditions, concilier le devoir de fidélité
à l’égard de plusieurs suzerains, notamment si deux d’entre eux s’opposent au cours d’une guerre ? La
difficulté est résolue par le système de l’hommage-lige (sans doute du latin læticum, lète, fidèle) : c’est
l’hommage le plus ancien qui a priorité sur les autres. On doit d’abord servir le suzerain à qui on est uni
par un hommage lige. Le roi, grand fieffeux du royaume, ne reçoit que des hommages liges ; même si on
était déjà le vassal d’un autre suzerain avant de devenir celui du roi, l’hommage du roi a toujours priorité.
2. “Patrimonialisation” du fief.
L’époque qui va du 12e au 15e siècle voit les droits du vassal sur le fief s’étendre progressivement. La
première étape est constituée par l’obtention de l’hérédité du fief et la seconde par l’aliénabilité du fief.
a) Hérédité
Très souvent le suzerain inféode le fief à tel seigneur et à ses hoirs (héritiers). Ainsi, à la mort du
vassal, le fief, censé faire retour au suzerain, est restitué à l’héritier dès qu’il a prêté hommage et versé le
droit de mutation appelé relief ou rachat qui correspond à une année de revenus du fief. Lorsque le
vassal décédé a plusieurs descendants, différentes solutions sont adoptées :
― Les fiefs titrés (duchés, comtés, vicomtés) sont régis par le droit d’aînesse : ils ne sont pas
morcelés et passent intégralement à l’aîné.
― Pour les autres fiefs, le Midi de la France adopte la co-seigneurie : les profits sont partagés et les
services dus au suzerain sont assurés à tour de rôle par les coseigneurs. Dans les autres régions, c’est
d’abord le système du parage ou pariage qui est adopté : à l’égard du suzerain, le fief est représenté par
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INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT
HISTOIRE DES INSTITUTIONS ET DU DROIT FRANÇAIS 5e-18e SIÈCLES
l’aîné, qui à son tour, à la suite d’un partage, devient le seigneur de ses frères. Le parage, entraînant un
émiettement du fief, est assez rapidement abandonné.
Le système de l’aînesse va cependant l’emporter et se répandre : le fils aîné reçoit le château et une
large part des terres, le reste étant partagé entre les puînés.
Lorsque le fief échoit à une femme, c’est son mari qui la représente et assume ses obligations. Si elle
est célibataire, elle doit rapidement se marier et le choix de son époux doit être approuvé par le seigneur.
Si le fief est dévolu à un mineur (donc incapable d’assumer ses obligations à l’égard du suzerain), il est
gardé provisoirement soit par le suzerain lui-même (garde seigneuriale), soit par un proche parent (garde
familiale). À la majorité du mineur, le fief lui est restitué et il le dessert normalement.
b) Aliénabilité
Avec le consentement du suzerain, le vassal peut sous-inféoder une partie du fief. Mais l’évolution va
encore plus loin et, au 13e siècle, l’aliénabilité du fief est admise selon les modalités suivantes :
1° La cession d’un fief à un établissement ecclésiastique doit toujours obtenir l’autorisation du
suzerain et être accompagnée du paiement à ce dernier d’un droit d’amortissement car « les services
vassaliques ont des chances d’être mal remplis et surtout les droits de mutation sont perdus pour l’avenir,
l’établissement ecclésiastique aliénant rarement et ne mourant jamais » (P.-C. Timbal) ;
2° la cession à un autre vassal est possible mais le suzerain garde la faculté de se substituer à un
acheteur qui lui déplaît par le retrait féodal. S’il autorise la vente, il perçoit le quint, droit de mutation
représentant le cinquième du prix. L’ancien et le nouveau vassal se présentent ensemble au suzerain ;
l’ancien est dessaisi du fief et le nouveau porte hommage au suzerain qui l’investit du fief.
§ 2. Les tenures non nobles
A. La tenure servile
C’est une terre concédée par un seigneur à un serf. Le serf exploite le sol et verse au seigneur des
redevances en argent ou en nature auxquelles peuvent s’ajouter des corvées. La concession n’est pas un
contrat, elle est considérée comme une bienveillance du seigneur qui peut, tout au moins au début de
l’époque médiévale, fixer et modifier à son gré les redevances. Peu à peu, toutefois, ces diverses charges
sont déterminées par les coutumes. La tenure servile se transmet souvent par succession, mais, à la
différence de la censive, elle ne devient jamais pleinement héréditaire et ne peut être aliénée qu’avec la
permission expresse du concédant.
B. La tenure roturière ou censive
La tenure roturière, appelée également censive ou encore villenage25, est la concession d’un bien
(terre à cultiver ou quelquefois habitation) par un seigneur à un tenancier le plus souvent roturier, à
charge de redevances annuelles. À la différence du fief, la censive ne comporte pas de services militaires
et politiques (donc pas d’hommage, ni d’investiture, mais simple écrit probatoire). Le tenancier paye
chaque année au concédant soit, dans la plupart des cas, une redevance fixe et portable au château, le
cens, qui peut être en nature, mais plus généralement en argent, soit une quote-part de la récolte : on parle
de tenure à champart, variable suivant les régions (En Forez, le quart et cinquaine, c’est-à-dire 1/4 à 1/5
de la récolte). Avec la dépréciation monétaire continue, le cens représente un montant peu élevé. Mais les
seigneurs censiers tiennent à son paiement régulier car il est récognitif de seigneurie. Dans certaines
régions, à ce cens de base obligatoire s’ajoute parfois une redevance plus importante. En cas de non
paiement du cens, le seigneur censier inflige au censitaire une amende, ou peut même s’approprier
directement les produits de la terre.
25 L’habitant de la seigneurie est appelé “manant” (du lat. manere, demeurer, cf. anglais to remain) ou “vil(l)ain” (de la villa).
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INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT
HISTOIRE DES INSTITUTIONS ET DU DROIT FRANÇAIS 5e-18e SIÈCLES
L’hérédité de la tenure roturière est admise assez rapidement et sans que le seigneur censier perçoive
un droit. La censive devient aussi très vite aliénable, même au profit d’un acquéreur étranger à la
seigneurie. Le seigneur exige cette fois un droit de mutation, qui rappelle le quint, mais qui est
d’ordinaire seulement du douzième des prix : c’est le droit de lods et ventes (du bas-lat. laudes,
promesses), le plus important et le plus productif de tous les droits seigneuriaux. Rares sont les coutumes
qui admettent le retrait seigneurial pour les censives.
Pour “recenser” les terres acensées et répertorier tous ses “censitaires”, le seigneur fait tenir un
registre, révisé régulièrement, le censier, autrement appelé terrier, compoix ou liève. Il y en aura jusqu’à
la fin de l’Ancien Régime.
C. L’alleu
C’est l’exception. L’alleu est une terre de pleine propriété restée en dehors de l’organisation féodale.
Lorsqu’elle est d’Église, cas le plus fréquent, elle porte le nom d’aumône ou franche aumône. Le
propriétaire de l’alleu ne dépend de personne et ne prête donc hommage à aucun seigneur suzerain.
Lorsque l’alleu est assez étendu, l’alleutier peut, s’il le désire, concéder sur ses terres des fiefs et des
censives et se placer ainsi lui-même au sommet d’une petite pyramide. Mais le monde féodal qui
considère l’alleu comme une fâcheuse exception, essaye de l’intégrer dans sa hiérarchie. Des alleux, se
plaçant plus ou moins de gré ou de force dans la mouvance de terres seigneuriales, deviennent très
souvent des fiefs. Ils se maintiendront libres seulement dans le Midi de la France. Citons le cas
“folklorique” du royaume d’Yvetot, en Normandie.
REPRÉSENTATIONS DE VILLAGES FORÉZIENS DANS L’ARMORIAL DE GUILLAUME REVEL (XVe SIÈCLE, BN)
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INTRODUCTION HISTORIQUE AU DROIT
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Section 3. Les villes et l’émancipation urbaine.
Au 11e siècle, la ville est comprise dans une seigneurie dont le seigneur est
tantôt un laïque, tantôt un ecclésiastique. Elle est administrée par un officier
du seigneur, prévôt ou bailli (qui perçoit les impôts et rend la justice). La
situation se transforme autour du 12e siècle : avec la renaissance de la vie
économique (commerce, circulation monétaire, marchés, artisanat, petite
industrie), les villes reprennent leur activité et retrouvent leur importance.
Cette renaissance des villes, qui se produit à peu près en même temps dans
toute l’Europe occidentale, s’accompagne d’un mouvement de contestation
des pouvoirs seigneuriaux. Les habitants des villes ou “bourgeois”
(première apparition du mot burgensis au Puy vers 990) cherchent à échapper
à l’autorité des seigneurs et obtiennent, plus ou moins facilement, des
privilèges municipaux, “franchises” ou libertés.
SCEAU DE LYON DE 1271 (A.N.)
§ 1. Le mouvement d’émancipation
La cause générale du mouvement urbain est la renaissance économique, mais il convient d’examiner
d’abord les causes du mouvement (A), occasionnelles, plus proprement sociales, même si elles découlent
de l’économie, et de voir ensuite quelles ont été les réactions au mouvement (B).
A. Les causes du mouvement.
― L’inadaptation du système féodal aux activités nouvelles. Si dans les campagnes, la production
vient directement des terres concédées aux cultivateurs par le seigneur, dans les villes en revanche, la
richesse découle du travail des artisans et commerçants (activité des ateliers et fabriques), des
marchés et des foires (cf. les statuts privilégiés accordés par le roi aux villes de foires) ; elle repose sur
l’argent et le crédit. À la différence des paysans, les citadins doivent beaucoup plus à eux-mêmes et aux
nouveaux circuits commerciaux qu’au seigneur, et supportent de plus en plus mal les interventions
seigneuriales, les redevances et taxes anciennes. Par tous les moyens, les bourgeois (certains devenus
riches) font pression sur leur seigneur pour qu’il renonce à certains de ses droits traditionnels et leur
accorde liberté d’action.
― La prise de conscience des citadins, suscitée par le développement économique. Les bourgeois26
désirent se différencier des ruraux, auxquels ils s’estiment supérieurs et souhaitent que cette différence se
marque par des privilèges et une organisation particulière. Des groupements vont se former dans les
villes, avec lesquels il faudra rapidement compter, groupements à but économique et professionnel :
corporations, ghildes ou guildes, hanses, à l’instar des associations jurées du Bas-Empire. Les
marchands se réunissent afin de prendre en commun les dispositions nécessaires au transport de leurs
marchandises sans courir le risque d’être attaqués ou dépouillés. Les artisans s’organisent également et
forment des associations ou confréries placées sous la protection de saints (saint Antoine pour les
charcutiers, saint Fiacre pour les jardiniers, saint Éloi pour les orfèvres, saint Crespin pour les
cordonniers...). Ces associations ou confréries/confraternités assurent la défense de leurs membres et
jouent le rôle de sociétés de secours mutuels. Parfois ces groupements, se réunissant entre eux, échangent
des serments jurés et promettent de se soutenir réciproquement face au seigneur. Elles ont des rites
constitutifs et de fonctionnement bien particuliers, qui survivront parfois jusqu’à nos jours.
― La nature des rapports avec le seigneur compte aussi : dans le Midi, beaucoup de nobles résident
dans les villes et leurs relations fréquentes et personnelles avec les bourgeois atténuent les oppositions ;
26 Première apparition du mot (burgensis) vers 990, au Puy.
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dans le Nord, au contraire, les nobles ne résident pas dans les villes mais habitent leur château. Les
bourgeois ne connaissent que les officiers des seigneurs et sont irrités par l’attitude de ce personnel par
définition avide et déplaisant. Les heurts seront donc très durs dans le Nord et souvent même sanglants :
B. Les réactions au mouvement.
L’attitude des seigneurs n’est pas uniforme :
- Certains, fort avisés, comprennent que plus leurs sujets sont riches, plus eux-mêmes peuvent le
devenir également. Les plus dynamiques créent de leur propre initiative des villes nouvelles, établissent
des marchés, attirent de nouveaux arrivants et facilitent leur installation. Agissant ainsi, ils comptent, non
sur les anciennes impositions, mais sur le produit des foires, des marchés, des péages. Favorables
également à l’activité urbaine, d’autres seigneurs, moins entreprenants, se contentent de permettre aux
bourgeois de commercer et de s’enrichir librement.
- Des seigneurs ayant besoin d’argent (croisades, par exemple) accordent privilèges et exemptions
contre le paiement d’une redevance globale, sorte de rachat des anciennes obligations.
- Il arrive que certains seigneurs résistent au mouvement d’émancipation urbaine et ne cèdent aux
revendications que par lassitude, ou seulement contraints et forcés car les villes qui se révoltent contre
leur seigneur sont nombreuses. L’exemple le plus connu est celui de Laon, où en 1112 le seigneurévêque Gaudry, refusant catégoriquement l’émancipation de sa ville, fut massacré.
Le roi, quant à lui, est fort réservé lorsqu’il s’agit de l’émancipation des villes de son propre domaine
(cf. la charte de Lorris ; Paris et Orléans resteront des villes de prévôté) ; en revanche il encourage bien
volontiers les mouvements urbains chez ses vassaux directs parce qu’il y voit un moyen de les affaiblir.
Le roi devient l’allié, le protecteur des villes contre le seigneur. Pour se prémunir contre les violations
des engagements seigneuriaux, ou contre des contestations ultérieures, les villes demandent fréquemment
que les chartes de franchise accordées par les seigneurs soient approuvées et confirmées par le roi. À la
fin du 13e siècle, le juriste Philippe de Beaumanoir, dans son Coutumier de Beauvaisis (infra), déclare
que le consentement du roi est nécessaire pour faire une ville libre.
§ 2. Les conséquences de l’émancipation
A. Les différents types de villes
L’organisation municipale est très variable selon les cités, mais on peut distinguer assez nettement 3
grands types de villes :
1. Les communes, que l’on trouve dans le Nord de la France (Lille, Metz, Strasbourg), évoquent par
leur nom même le caractère insurrectionnel qui les vit naître (cf. la Commune de Paris, de la Révolution
de 1789 ou de 1870, ou plus simplement le mouvement “communiste”). Ce sont, à l’origine, des
associations jurées (guildes de marchands) formées par les habitants d’une ville pour se protéger contre
leur seigneur et pour s’apporter une aide mutuelle. L’association jurée crée un lien très solide entre les
bourgeois et donne à la ville cohésion, énergie et dynamisme. Les habitants de la commune ont obtenu
l’autorisation de leur seigneur soit par des moyens pacifiques, soit à la suite d’une insurrection (supra,
Laon). Cette autorisation ne fait pas toujours l’objet d’une charte et peut se trouver confirmée par écrit,
mais longtemps après.
Au 13e siècle, un changement se produit : d’après les légistes royaux, la commune n’existe que si elle
peut produire sa charte de fondation, si elle possède un sceau, un beffroi avec une cloche (cf.
l’urbanisme du Nord et les hôtels de ville à beffroi), des archives, et si elle a à sa tête un maire
(bourgmestre dans le Nord), qui la représente et peut ester en justice en son nom ; il est assisté
d’échevins (une douzaine) qui composent le corps de ville. Le serment d’association, si important
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initialement, cède le pas aux éléments formels juridiques et administratifs. Puis apparaîtra la notion de
“bonne ville”, qui absorbera plus tard les communes.
2. Les villes franches, encore appelées villes de franchise, de prévôté, de bourgeoisie, ou de syndicat
[dans le Midi] : on les rencontre entre Seine, Loire et Saône, soit au Centre, comme à Clermont ou dans
le Forez-Lyonnais27. Ce sont les villes les moins libres : bien que titulaires de franchises, elles continuent
à être administrées par un prévôt représentant le seigneur, lequel conserve ses droits de supériorité. Une
charte énumère les nouvelles règles de la ville en matière fiscale, pénale et civile : elle peut acquérir et
gérer des biens, mais elle ne possède presque jamais ce que nous appelons aujourd’hui un conseil
municipal. Lorsqu’un grave problème se pose, le prévôt peut réunir les habitants et demander leur avis.
3. Les consulats se rencontrent au Sud de la Loire, dans le “Midi”, où le régime seigneurial a toujours
été moins rigoureux que dans le Nord et où règne une tradition de liberté issue du droit romain. Ainsi
Marseille, Arles, Avignon, Toulouse, Bordeaux, Le Puy-en-Velay, Saint-Étienne. L’institution même du
consulat est d’essence romaine, faisant référence aux deux magistrats suprêmes de la République
romaine, les Consuls, et l’influence des villes italiennes est sensible (Gênes est libre dès 1098). Les villes
de consulat constituent de petites républiques indépendantes, gérées par des délégués des habitants
appelés selon les régions consuls ou capitouls (Toulouse), recrutés par cooptation et renouvelés
annuellement. Les petites bourgades n’ont que 2 consuls, les grandes cités plus d’une 10aine, jusqu’à 24
(Toulouse). Dans ce corps municipal qui administre la ville, et dont les membres sont sur un strict pied
d’égalité, plusieurs postes de consuls sont fréquemment réservés aux nobles.
27 Des villes ”pilotes” servirent de modèles pour les types de chartes rencontrées : Villefranche (1260) et Lyon (1320), furent imitées
par Condrieu, Thizy, Saint-Chamond ; en Forez, Montbrison, dont les franchises furent accordée par le comte Guy IV vers 1227, et SaintBonnet-le-Château (même date), furent suivies par Saint-Rambert, Saint-Galmier, Sury-le-Comtal, Néronde, Saint-Germain-Laval,
Villerest.
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B) Les privilèges obtenus
1. sociaux : tous les habitants de la ville, quelle que soit leur origine, deviennent des roturiers ; les
anciennes corvées dues au seigneur pour l’entretien du château et la culture de ses terres ne sont plus
dues ; les redevances urbaines qui subsistent ne sont plus acquittées en nature, mais toujours en argent.
2. juridiques : les villes ont le droit de légiférer, par leurs magistrats municipaux qui font des
règlements et statuent librement et largement. Les villes ont aussi le droit de justice, même si par endroits
le seigneur n’abandonne pas toute compétence, : se réservant les cas les plus graves (crimes) entraînant
confiscation des biens. Les juridictions municipales rendent la justice au nom de la commune sous la
présidence d’un officier municipal.
3. politiques : la ville libre apparaît comme une sorte de seigneurie collective, la communauté des
bourgeois étant d’une certaine manière devenue le seigneur de la ville. Les villes libres sont maintenant
titulaires de certains droits seigneuriaux (bien qu’elles n’aient toutefois jamais de vassaux) : le droit de
guerre, ce qui implique l’entretien d’une milice bourgeoise conduite par les officiers municipaux ; le droit
d’administrer son territoire et de lever sur ses habitants les impôts nécessaires.
4. économiques : les métiers dans les villes sont organisés en corporations et confréries ; chacun a ses
caractères et sa réglementation propres.
Notons que certaines villes importantes comme Bourges ou Reims ont une municipalité élective sans
avoir d’indépendance politique, et que des villes de tout premier plan, connaissant une intense activité
économique, telles que Paris, Orléans, Tours, Angers, jouissent de diverses franchises sans avoir à
l’époque féodale une municipalité autonome.
Lyon est enfin un cas particulier : en 1269, les
bourgeois s’insurgent contre le pouvoir féodal des
chanoines-comtes de Lyon : pour défendre leurs
droits, ils élisent 12 syndics. N’obtenant
satisfaction, ils en appellent au roi Philippe le Bel
qui prend la ville sous sa protection et en profite
pour l’annexer (1312). L’archevêque octroie une
charte de franchises en 1320, avec maison de
ville, place St-Nizier. Les syndics seront appelés
consuls sous l’influence méridionale (on est en
pays de droit écrit) et italienne (banquiers et
“soyeux” de la Renaissance). La ville est
régulièrement agitée par des troubles d’origine
bourgeoise ou populaire (la “rebeyne” de 1529 et
la grève des ouvriers-imprimeurs de 1539). C’est
une des raisons pour lesquelles, sous Henri IV, le
consulat de 12 membres est remplacé par 4
échevins et un prévôt des marchands choisis par
le roi, pour mieux surveiller la cité.
L’institution des gouverneurs, véritables chefs
de la ville et représentants du souverain, assistés
de l’intendant, achèvera de réduire les initiatives
locales ; c’est alors que le prestige de la
municipalité baisse que celle-ci se dote d’un
véritable hôtel de ville, place des Terreaux, en
1652.
LYON. PLAN SCÉNOGRAPHIQUE DE 1550 →
LE QUARTIER SAINT-NIZIER, OÙ ÉTAIT LA MAISON DE VILLE
PRIMITIVE (À DROITE DE L’ÉGLISE).
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