WLUML Dossier 20 décembre 1997
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Néanmoins, ce phénomène est particulièrement frappant pour tout ce qui concerne la condition
féminine dans la société. L’impact de l’Islam en la matière peut mieux se comprendre lorsqu’on se
penche sur les débats des grands réformateurs de la fin du XIXème siècle et du début du XXème
siècle (l’époque du
Nahda Arabia
ou renaissance arabe). La plupart de ces réformateurs ont fréquenté
des universités françaises et, de retour chez eux, ont appelé à la modernisation de l’Etat (des
hommes comme Salameh Musa et Quassim Amin)
. Amin, l’un des plus grands réformateurs, est
considéré comme un pionnier en matière d’émancipation féminine. D’origine turque, il a appris le
Droit à l’Université de Montpellier en France et a, par la suite, occupé la fonction de législateur en
Egypte à la fin du XIXème siècle. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la condition féminine. Dans
son livre,
The Liberation of Women
, Amin préconise l’égalité de la femme dans la vie sociale et met
l’accent sur la nécessité de l’éducation pour les femmes. En même temps, il s’efforce continuellement
de trouver des appuis dans le Coran. Pour lui, la conformité au Coran était la preuve même qu’il était
sur le droit chemin, qu’il restait dans le cadre de la “légitimité” de “notre société”. Ce qui l’a entraîné
dans de longues digressions religieuses, entremêlées de façon étrange à sa pensée autrement
rationnelle. Par exemple, après avoir cité le passage du Coran recommandant aux croyants de “dire
aux croyantes… de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît et qu’elles rabattent leur voile sur
leurs poitrines ; et qu’elles ne montrent leurs atours qu’à leur mari, ou à leur père, ou au père de leur
mari, ou à leurs fils (…)” (Le Coran, sourate 24, “La lumière”), Amin écrit des pages tentant de
démontrer qu’“atours” (autrement dit “les parties génitales”) ne désignent pas le visage et les mains.
Nous parlons du début du XXème siècle. Qu’en est-il aujourd’hui ? Il y a trois ans à peine, un Cheikh
“émancipé et éclairé” a participé à une table ronde organisée par des féministes de Dar el-Fann, à
Beyrouth, et a tenté de convaincre l’assistance que l’Islam a libéré les femmes et que le Coran doit
être suivi à la lettre dans tous les domaines du privé. Il ne faisait que reprendre les positions
officielles répétées pendant des années par les “partisans de l’égalité des femmes musulmanes”. Et
bien sûr, il a défendu la légitimité de l’Etat théocratique.
L’idéologie bourgeoise dans le monde arabe : une idéologie arabo-islamique ?
Nos bourgeoisies semblent trouver l’élaboration d’un code privé laïc plus dangereux que les
nationalisations.
Dans certains pays musulmans non arabes, la laïcité a été instituée par une bourgeoisie luttant pour
moderniser et renforcer un capitalisme local. Cela prouve que l’explication de la situation humiliante
des femmes arabes (et les causes de l’obsession malsaine que les Arabes ont pour leur virilité) n’est
pas à rechercher uniquement dans le Coran. Elle se trouve plutôt dans la nécessité ressentie par les
classes dirigeantes -et la bourgeoisie locale maintenant au pouvoir- de “respecter” la tradition
islamique et de diriger des Etats islamiques (sauf dans le cas spécial du Liban où la laïcité n’existe
nulle part, et de la Tunisie qui doit être étudiée séparément).
Après la révolution conduite par Kemal Atatürk en Turquie, l’Etat est devenu laïc et beaucoup de
changements ont été introduits dans le statut des femmes, notamment dans les villes. Pourquoi les
efforts de Nasser en vue d’une Egypte moderne et indépendante n’ont-ils pas été renforcés par la
proclamation d’un Etat laïc ? Pourquoi le Front de libération algérien, même au plus fort de la lutte
anti-impérialiste, n’a-t-il pas utilisé cette arme contre les réactionnaires et les impérialistes
démagogues “clairvoyants” ? Pourquoi le parti Baas, en Irak et en Syrie, s’est-il senti obligé d’associer
la lutte pour l’unité arabe à l’identité islamique et, une fois au pouvoir, s’est-il empressé de proclamer
l’Islam comme religion d’Etat ? (Le fondateur intellectuel du Baas, Michel Azflaq, d’origine chrétienne,
converti à l’Islam il y a un an environ, affirmait qu’arabité et Islam ne pouvaient être séparés). Et on
pourrait ajouter les caricatures de ces phénomènes : la “
Jamahiria
” de Kadhafi ou l’Arabie Saoudite,
où le ridicule n’allège en aucune façon l’oppression abominable qui refuse tout choix aux femmes,
même celles des classes dirigeantes.
Salameh Musa,
el-Mar’a laysat li’bat el-rajul
(La femme n’est pas le jouet de l’homme), Le Caire ;
Quassim Amin,
Tahrir el-Mar’a
(La libération des femmes) et
el-Mar’a el-Jadida
(La nouvelle femme),
Le Caire.