Il apparaît ainsi une très forte complémentarité entre ces initiatives et ces différents
groupes. Ce n'est donc pas faute d'idées, d’initiatives, d'expériences ou de volonté d'agir dont
l'anthropologie pâtit, mais bien de l'absence d'une organisation professionnelle suffisamment
forte et unifiée, capable de relayer les déterminations communes, d'unir les initiatives
communes et les réseaux parallèles, et de mettre en place les structures de développement de
la discipline propres à assurer son avenir.
Rappelons pour mémoire que le contexte actuel est loin d'être favorable aux
ethnologues, alors même que la « demande sociale » d'ethnologie existe. Les transformations
des institutions d'enseignement supérieur et de recherche exposent la discipline à un
effacement progressif : la réforme licence-master-doctorat (LMD) a fait s’évanouir le terme
« anthropologie » ou « ethnologie » des titres de diplômes qui n'apparaît plus qu'en deuxième
ou en troisième place pour l'intitulé des spécialisations ; toujours réel apparaît le risque de
disparition de l'entité « anthropologie » du CNRS comme de l’IRD, dont témoigne la pétition
« Sauvons l'anthropologie au CNRS » qui a mobilisé nombre d'ethnologues français et
étrangers en 2006 ou la table ronde organisée par l’APRAS en 2005, en présence de
nombreux collègues dont ceux de l’AFA et de la SEF. Cela montre que l’espace est
dorénavant ouvert pour rassembler nos énergies dans l’objectif commun de défense de la
discipline et du métier.
La logique de contractualisation (ANR, appel d'offres, faible financement des
laboratoires, etc.) et de regroupement des petits laboratoires et des équipes innovantes, le
renforcement des concurrences internes et de la compétition internationale, la fragilisation des
statuts de chercheurs et d'enseignants chercheurs laissant hors statut nombre de docteurs, tout
cela participe à la fragilisation de l'anthropologie aujourd'hui. Ces changements ne concernent
pas seulement les fractions de la discipline les plus vulnérables et les moins institués, mais la
discipline dans son ensemble.
Le temps apparaît donc venu de renforcer les structures collectives et de refonder une
association unitaire de tous les ethnologues et anthropologues en France. Est-il besoin de
rappeler que le rassemblement n'implique pas l'absence de différences ou l'affirmation d’un
consensus mou. Il peut être au contraire le creuset de débats féconds et enrichissants pour les
uns comme pour les autres et pour la discipline elle-même. Il nous semble que l’on est
toujours plus intelligents à plusieurs que seul. On peut même affirmer sans crainte que plus
nous serons différents séparément et plus nous serons intelligents ensemble. Saint-Exupery le
formulait bien lorsqu'il écrivait : « Si je diffère de toi, loin de te léser, je t'augmente ».
Formule que tout ethnologue pourrait reprendre pour lui-même et inscrire au fronton du
Musée de l'Homme ou à celui du quai Branly. Pourquoi ne serions-nous pas capables
d'appliquer pour nous-mêmes ce que nous pensons pour autrui et qui apparaît comme le fil
rouge de notre éthique professionnelle ? D'autres l'ont fait et l'ont réussi sans rien retrancher
de leurs différences et de leurs paradigmes théoriques, comme les géographes, les sociologues
à travers la fondation de l'Association française de sociologie il y a seulement quelques
années.
Pourquoi ne serions-nous pas capables de nous doter d'une association ouverte à tous,
qui se proposerait de favoriser le développement de l'ethnologie et de l'anthropologie dans
tous les domaines, théoriques et pratiques, académique et professionnel, en multipliant les
rapports entre ses membres, les contacts avec les autres disciplines et avec les autres
associations d’anthropologues existant au niveau européen et mondial.
Ce projet d’une nouvelle association devrait trouver un nouveau nom afin de
manifester son changement, sa volonté d'ouverture et sa représentation aux yeux des
associations internationales d'anthropologie.