dans la phrase, ces derniers ne pouvant prétendre constituer, de ce fait, des entités phoniques
(Nyrop, 1925 ; Troubetzkoy, 1949). Ce phénomène serait ainsi la conséquence d’une
désaccentuation systématique qui veut que toutes les catégories de mots, y compris les
substantifs, peuvent se comporter comme des proclitiques (Roudet, 1907). Pour Rossi (1980)
la désaccentuation du mot dans le groupe serait par ailleurs un corollaire inévitable de l’état
de langue sans accent.
En réalité, peu de chercheurs ont été enclins à soutenir cette vue extrême, en particulier
lorsque le cursus est assimilé au groupe de souffle. Ils considèrent en effet qu’il est difficile
d’admettre qu’un cursus (à l’exception de ceux qui se réduisent à un mot ou a un syntagme
court) puisse être dépourvu d’une structure accentuelle interne ou, en d’autres termes, d’une
structure métrique. Il n’est pas hors de propos de rappeler ici que le français est rangé par la
tradition dans la catégorie des langues dites à “ isochronie syllabique ” (syllable-timed), par
opposition à celles, comme l’anglais, par exemple, que l’on classe dans la catégorie des
langues dites à “ isochronie accentuelle ” (stress-timed). Cette distinction typologique, établie
à l’origine par Pike (1945), signifie que dans une langue appartenant à la première catégorie,
le rythme est fondé sur une grande régularité de la succession des syllabes (ou une
isosyllabicité), tandis que dans une langue de la seconde catégorie, le rythme est déterminé
par la régularité des intervalles inter-accentuels et donc sur l’alternance régulière de syllabes
accentuées et inaccentuées. La notion d’isosyllabicité tend ainsi à conforter l’idée que toutes
les syllabes ont un poids équivalent au sein du cursus où, par conséquent, n’alternent pas
syllabes fortes et faibles. Il s’avère cependant que ce phénomène n’a pas reçu de confirmation
empirique dans plusieurs études qui se sont attachées à comparer le français à d’autres
langues et qui rejoignent ainsi la conclusion que la métrique du français procède aussi d’un
certain isochronisme accentuel (Wenk & Wioland, 1982 ; Dauer, 1983 ; Fant et al., 1990 ;
Fletcher, 1991) . Cette observation n’est donc pas compatible avec l’hypothèse du cursus
évoquée plus haut, dans la mesure où une langue à cursus se caractérise notamment par un
rythme syllabique (Lyche & Girard, 1995).
La révision de l’hypothèse du cursus (que Pulgram considère comme une étape marquante de
l’histoire de l’accentuation du français: “ The typological change of French from a language
that does not phonologically mark word-boundaries to one that does, become a distinct
prospect ”, Pulgram, 1967, p. 1641), est en agrément avec les observations de phonéticiens
comme Grammont (1934) et Delattre (1939) qui conduisent à affirmer que les mots ne sont
pas systématiquement désaccentués dans les unités dont l’empan est celui d’un groupe
assimilable à un cursus. Pour Grammont, le mot peut perdre ou conserver son accent, “ selon
le rôle qu’il joue ” (1934, p. 122). Delattre (1940, 1966) affirme de son côté que pour des
“ mots majeurs ” autres que le dernier du groupe, la désaccentuation est “ incomplète ”, ou
l’accentuation est “ partielle ”, ce qui concourt à la “ délimitation du mot au sein du groupe
rythmique ” (1966, p.143).
Le phénomène de la désaccentuation incomplète, ou de l’accentuation partielle, des mots
appartenant à un groupe d’extension variable est confirmé par des analyses expérimentales,
comme celle qui ont été conduites par Rietveld, 1980. Ces résultats sont de nature à conforter
l’idée qu’il puisse exister plusieurs niveaux (ou degrés) d’accentuation en français (une idée
qui sera développée notamment par Dell (1984), dans la cadre d’une approche de
l’accentuation du français inspirée de la phonologie métrique). Cette idée est également à
mettre en relation avec de l’opinion de Garde (1968) selon laquelle il conviendrait de
distinguer entre “ l’unité accentuelle ” (une unité minimale comportant un seul accent) et le
“ groupe accentuel ” (un ensemble d’unités accentuelles délimitées par un accent de rang