S : livre - Pratiques philosophiques

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I.U.F.M. de l’Académie de Montpellier
Centre de Montpellier
MÉMOIRE PROFESSIONNEL
En quoi les ateliers « philo »
Permettent-ils de faire évoluer
l’identité professionnelle
d’un enseignant débutant ?
Mme Astrid DE LA MOTTE – MORISSE
Mlle Samantha VAN GEENHOVEN
Directrice du mémoire: Mme Françoise ARBOUET
Juin 2001
I.U.F.M. de l’Académie de Montpellier
Centre de Montpellier
MÉMOIRE PROFESSIONNEL
En quoi les ateliers « philo »
Permettent-ils de faire évoluer
l’identité professionnelle
d’un enseignant débutant ?
Mme Astrid DE LA MOTTE – MORISSE
Mlle Samantha VAN GEENHOVEN
Directrice du mémoire: Mme Françoise ARBOUET
Juin 2001
2
RÉSUMÉ
C’est en faisant des ateliers philosophiques que nous avons
réussi à construire notre identité professionnelle d’enseignant
débutant, c’est-à-dire mettre plus de cohérence entre ce que nous
pensons, ce que nous disons et ce que nous faisons dans la classe.
Es practicando filosofia con los ninos, que hemos conseguido
construir nuestra identidad profesional de maestro principiante,
es decir, ser coherente entre lo que pensamos, lo que decimos y lo
que hacemos en classe.
Mots clés : philosopher, identité, penser, autonomie, accompagner
3
MENTION ET OPINION MOTIVEE DU JURY
4
À tous les enfants,
aux adultes de demain.
A Vigdis, Victoria et Louise, mes filles,
Astrid
A Carla et Marie , mes petites sœurs,
Samantha
Remerciements
Merci à Françoise Arbouet pour avoir accepté d’être notre directrice de mémoire.
Merci à Michel Tozzi pour nous avoir encouragées dans notre recherche.
Merci à nos maîtres d’accueil pour les stages en Pratique Accompagnée,
Françoise Morel, Isabelle Ferrandez et Robert Pastor.
Merci aux enseignants qui nous ont laissé leur classe pour le stage en
Responsabilité et permis de mener ces ateliers philo, ainsi qu’aux enfants de ces
ateliers qui nous ont formées.
Merci enfin, à nos conjoints respectifs, Carl et Dat, pour leur patience, pour nous
avoir donné la possibilité de nous investir dans ce mémoire.
5
SOMMAIRE
INTRODUCTION
2
I. THÉORIE SUR LA PHILOSOPHIE A L’ECOLE
3
A.
DEFINITION DE LA PHILOSOPHIE ET DU PHILOSOPHER
B.
ORIGINE DE LA PHILOSOPHIE A L’ECOLE PRIMAIRE
C.
OBJECTIFS
1. MAITRISE DE LA LANGUE
2. VERS UNE CITOYENNETE RESPONSABLE
3. APPRENDRE A PENSER
4. DEVELOPPER UNE MEILLEURE IMAGE DE SOI
D.
DISPOSITIFS ET DEMARCHES
1. M. LIPMAN
2. J. LEVINE
3. A. DELSOL
4. AUTRES DISPOSITIFS
NOTRE DEMARCHE
3
3
4
4
4
4
5
5
5
5
5
5
6
II. IDENTITE PROFESSIONNELLE
7
III. PRATIQUES ET ANALYSE
8
A.
ASTRID
8
1. QU’EST-CE QU’AVOIR RAISON ? (11/01/01)
8
2. POUR VOUS, QU’EST-CE QUE ÇA VEUT DIRE LA TRISTESSE, ETRE TRISTE ET QUAND EST-CE QUE DES
ENFANTS SONT TRISTES ? (15/01/01)
9
3. PEUT-ON RIRE DE TOUT ? QUELLE EST LA DIFFERENCE ENTRE RIRE ET SE MOQUER ? (23/01/01)
9
4. QU’EST-CE QUE L’IMAGINATION ? (01/02/01)
11
B.
SAMANTHA
14
1. L’ANALYSE « SUBJECTIVE »
14
2. L’ANALYSE « OBJECTIVE »
19
C.
SYNTHESE
21
IV. POURQUOI LES ATELIERS PHILOSOPHIQUES ?
23
D’AUTRES MOMENTS AURAIENT PU FAIRE EVOLUER NOTRE IDENTITE PROFESSIONNELLE 23
POURQUOI LA PRATIQUE DES ATELIERS PHILO PERMETTRAIT-ELLE DE DEPASSER NOS
REPRESENTATIONS OBSTACLES ?
24
C.
ATTENTION NE NOUS MEPRENONS PAS…
24
A.
B.
V. CONCLUSION
25
VI. ANNEXES
26
VII. BIBLIOGRAPHIE
27
1
INTRODUCTION
« Réfléchis bien ! » Quel enseignant n’a pas prononcé cette phrase tout en s’interrogeant
sur sa signification. Quand et comment apprend-on aux enfants à « bien » réfléchir ? C’est par
des cheminements différents que nous en sommes arrivées à nous poser cette question. L’une
réfléchissait aux moyens de faire accéder l’enfant à l’autonomie intellectuelle et se demandait
comment aider les enfants à apprendre par l’intermédiaire de la méthodologie et des études
dirigées. L’autre se demandait comment faire évoluer les représentations tout en développant
l’esprit critique afin de former les citoyens de demain. A ce moment de notre réflexion, nous
avons découvert un livre qui s’intitulait « Des enfants qui philosophent » (LAURENDEAU,
1996).
Nous avons alors voulu en savoir plus et avons décidé de faire notre mémoire sur ce
sujet. Notre questionnement initial était de voir en quoi les ateliers philosophiques
permettaient de développer certaines compétences chez les enfants du primaire, et lesquelles.
C’est en animant nos premiers ateliers que nous nous sommes aperçues des changements
produits dans notre façon d’enseigner. En effet, nous avions remarqué une certaine
incohérence entre notre vision de l’enseignement (ce qu’on a appris pour le concours) et notre
réelle pratique (reflétant une représentation de l’enseignant telle que nous l’avions vécue en
tant qu’élève). De là est née notre problématique : En quoi l’animation des ateliers philo
permet de faire évoluer l’identité professionnelle d’un enseignant débutant ?
Dans un premier temps, nous nous sommes documentées sur les différentes pratiques de
la philosophie à l’école primaire, c’est ce que nous développerons dans une première partie.
Puis, nous avons mené les séances en classe. De là, est né notre questionnement sur l’identité
professionnelle. C’est en décrivant et analysant les séances que nous essayerons d’y répondre,
et, enfin, dans une dernière partie nous nous interrogerons sur la particularité de ces ateliers.
2
I. THÉORIE SUR LA PHILOSOPHIE A L’ECOLE
A. DEFINITION DE LA PHILOSOPHIE ET DU PHILOSOPHER
Étymologie : gr. et lat. philosophia, du gr. philia, amour, et sophia, sagesse.
Il semble qu’il y ait plusieurs définitions de la philosophie et la rechercher est d’ailleurs
une question philosophique. Voici celle qui nous convient le mieux :
« Exercice de réflexion critique sur tous les problèmes qui se posent à l’homme
concernant le monde, lui-même et les fondements de ses connaissances, comme sur le sens à
donner à son existence et sur la conduite à tenir. » (MORFAUX, 1989).
B. ORIGINE DE LA PHILOSOPHIE A L’ECOLE PRIMAIRE
Il existe deux courants. Le premier concerne l’histoire de la philosophie et consiste à
dire qu’il faut une certaine maturité psychique des élèves, et un minimum de connaissances
comme matériau réflexif. Le deuxième s’appuie sur l’idée que le premier acte du philosophe
est de se questionner (construire sa propre pensée) . « On n’apprend pas la philosophie, disait
Kant, on n’apprend qu’à philosopher. » (site internet de l’IUFM de PARIS). On peut alors se
demander si seuls les philosophes assermentés peuvent philosopher, et par conséquent, à
partir de quel âge est-il possible de philosopher puisque les enfants se posent des questions
métaphysiques dès l’enfance.
Par ailleurs, on voit apparaître sous forme d’effet de mode, avec les cafés-philo, une
nouvelle pratique du philosopher : le débat philosophique collectif (peut-on philosopher
seul ?). Jusqu’à présent on connaissait surtout le dialogue socratique hyper directif à deux ou
trois, la disputation moyenâgeuse avec de longs monologues successifs, contradictoires entre
deux protagonistes, et le cours magistral.
Le fait que ce débat soit collectif implique une réflexion sur son organisation, celui-ci
devant être à la fois démocratique et philosophique (DELSOL et TOZZI, 2000).
Pour qu’une discussion soit démocratique, il faut se demander qui anime et selon
quelles règles et pour qu’une discussion soit philosophique, il faut qu’elle articule des
processus de problématisation (interroger les évidences, questionner la question), de
conceptualisation (définir les notions) et d’argumentation (fonder son propos et déconstruire)
(TOZZI, 1994).
L’émergence de ces cafés philo est probablement due à un besoin, à la fois des adultes
de répondre aux questions enfouies ou restées sans réponses depuis l’enfance et de créer un
lieu où se réunissent d’autres personnes se posant les mêmes questions dans le but de
confronter leurs idées, de penser ensemble et de s’écouter mutuellement.
Parallèlement est né l’intérêt des adultes (parents et enseignants) pour les questions des
enfants. Anne Lalanne, maître formatrice à l’École Charles Baudelaire à Montpellier,
témoigne de la nécessité de mettre en place un atelier philosophique :
« Lorsque des enfants demandent à la sauvette au milieu d’une leçon :
- Dis maîtresse, pourquoi est-ce qu’on existe ? ,
- à quoi ça sert l’école ? ,
- qui a inventé le langage ?, ou encore,
- est-ce qu’on peut tout savoir ?,
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l’enseignant est généralement surpris voire décontenancé.
Que doit-il faire d’une telle interrogation qui dépasse le champ des compétences
disciplinaires ? Doit-il vraiment y répondre ou l’éluder dans un diplomatique « on en parlera
plus tard » qui d’ailleurs n’advient jamais ? ».
Historique : La philosophie pour enfants est née aux Etats-Unis avec Matthew Lipman.
Au Brésil, plus de 200 000 enfants s’initient au débat philosophique. A l’IUFM de Caen, il
existe une formation à la méthode de la philosophie pour enfants. Une centaine d’école en
France s’initie aujourd’hui à la pratique des ateliers philo….
C. OBJECTIFS
Suis-je en accord avec les I.O. de 1995 ? Référons-nous à ce texte :
« … pour une pédagogie de la compréhension » «…initier chaque enfant à l’usage de son
intelligence » « …dans l’appréhension de ce qui se passe autour de lui » « …pour donner un
sens à ce qui est perçu ».
Différents objectifs peuvent être poursuivis lors de ces ateliers philosophiques :
1. Maîtrise de la langue
- Développer l’expression orale
- S’exprimer en public
- Mieux communiquer (se faire comprendre, se faire entendre)
- « Le maître met en place des situations dans lesquelles les élèves s’exercent à raconter,
décrire, expliquer, questionner et justifier, commencer à argumenter... »
- Enrichir son vocabulaire
2. Vers une citoyenneté responsable
- Confronter ses idées à celles des autres
- Écouter les autres et le maître
- Prendre la parole à bon escient
- Respecter les règles de vie au sein de la classe
- S’initiatier à la vie démocratique
- Apprendre à dialoguer
- Travailler ensemble
- Coopérer
- Travailler l’éthique communicationnelle
3. Apprendre à penser
-Éveiller la curiosité
-Donner du sens aux apprentissages
-Éveiller à la pensée réflexive par un rapport non dogmatique au savoir (conceptualiser,
argumenter, problématiser)
-Amener l’enfant à mettre en mots sa pensée, mettre sa raison à l’épreuve, s’autoriser à
penser à voix haute.
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4. Développer une meilleure image de soi
- Valoriser la parole des enfants
- S’engager: l’enfant accepte le risque de voir sa pensée contestée, d’avoir à repenser sa
position, à affronter une forme d’insécurité.
- Permettre à l’enfant de prendre conscience qu’il pense et que sa pensée est en éternelle
évolution.
- Donner confiance à l’enfant en ses capacités de réflexion, tout en lui montrant que
toute pensée se heurte, puis s’enrichit de la différence.
D. DISPOSITIFS ET DEMARCHES
Il existe plusieurs sortes de dispositifs et de démarches associées. Nous les avons
classés, pour généraliser, en quatre catégories :
1. M. Lipman
C’est le dispositif correspondant à la méthode la plus ancienne et la plus connue. M.
Lipman a développé au Canada un programme de philosophie pour enfants basé sur la
communauté de recherche. Sa spécificité est l’utilisation de romans philosophiques (écrits par
lui-même) qui permettent aux enfants, après lecture, de poser des questions qui sont les leurs.
Une seule est retenue par vote pour donner suite à une discussion philosophique. *
2. J. Lévine
Psychanalyste, il propose un dispositif où les enfants sont libres de s’exprimer avec un
bâton de parole sans intervention de l’enseignant. *
3. A. Delsol
Il mise sur l’organisation de l’espace pour favoriser les échanges entre les élèves,
l’éthique communicationnelle et une exigence intellectuelle. Cette dernière s’inspire de la
thèse de M. Tozzi, selon laquelle les élèves doivent être amenés à penser par eux-mêmes en
tentant de conceptualiser, problématiser et argumenter. Son dispositif évolue en fonction des
élèves.
4. Autres dispositifs
Ce sont des dispositifs souvent utilisés par les enseignants qui souhaitent aménager un
espace de parole pour traiter des vraies questions que se posent les enfants, sans adhérer
forcément aux méthodes citées plus haut, ou bien en prélevant et combinant certains critères
de celles-ci.
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Notre démarche
Il nous semble intéressant ici de décrire les différents dispositifs que nous avons
rencontrés et sur lesquels nous nous sommes appuyées pour mettre en place nos séances.
Lors de notre deuxième stage de pratique accompagnée, l’enseignante pratiquait un
atelier qu’elle appelait « Journal d’opinion ». C’était un débat hebdomadaire sur des sujets
qu’elle imposait. Les enfants étaient placés en cercle. Les règles de prise de parole, d’écoute
et de respect de l’autre dont elle était la garante, étaient rappelées. Son objectif étant de les
faire argumenter, la démarche lui semblant la mieux appropriée était un entretien collectif
maîtresse / élèves.
Suite à ce stage, nous avons participé à une journée pédagogique organisée par une
conseillère pédagogique du Piémont-Héraultais sur la pratique de la philosophie à l’école
primaire. Nous avons visionné des séances menées par trois enseignants, la discussion s’en
suivant a porté principalement sur les dispositifs. Une première constatation mettait en
relation le dispositif choisi et les objectifs poursuivis. Ces pratiques étant innovantes , il nous
a semblé important de passer tous par la pratique pour ensuite se revoir au mois de mai et
analyser les différents dispositifs mis en œuvre.
Puis, l’une a participé à un café-philo à Narbonne et observé une séance menée en
grande section par A. Delsol. L’autre a observé une séance de type J. Lévine.
Dès notre stage en responsabilité de janvier, nous avons donc expérimenté.
Le parcours personnalisé de philosophie avec M. Tozzi nous a aidé à élaborer une grille
d’analyse de nos séances.
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II. IDENTITE PROFESSIONNELLE
Il n’y a pas qu’une identité professionnelle, mais plusieurs (Cahiers pédagogiques,
janvier 2000). On peut la définir comme étant un moment de bonheur d’exercer son métier et
de cohérence d’existence (CAMANA, 2001): cohérence entre notre personnalité et notre vie
privée d’une part, et notre vie professionnelle (même si elle est récente) d’autre part. Elle
correspond à notre propre système de valeurs et par conséquent est liée à l’identité sociale qui,
elle, dépend de notre passé.
Marquées par ce passé d’élève et les représentations persistantes que nous avions des
professeurs (celui qui détient la parole, le savoir qu’il veut transmettre à ses élèves pour les
aider à réussir, pour avoir un diplôme, celui qui détient la fameuse autorité , qui sait tenir sa
classe…), nous avons cherché à comprendre par quel moyen trouver notre identité
professionnelle puis la construire.
L’identité professionnelle se construit, en particulier, par rapport à notre passé d’élève
(ce qu’on ne voulait pas être, ce qu’on voulait être :« moi j’aurais fait…, j’aurais été comme
ci, j’aurai formulé … à la place de mes professeurs »), et par rapport à notre raison d’être
enseignant.
Astrid : « En tant que bonne élève, et donc souvent observatrice, j’ai été choquée,
enfant, du non respect des « mauvais » élèves, souvent humiliés en public : séance de lecture
où les mauvais lecteurs devaient subir la lecture à voix haute pour finalement de pas savoir
lire à la fin du CM2. Dès lors, j’ai eu le désir de réparer les enfants abîmés par l’école et
d’inventer des moyens pour lutter contre l’échec scolaire. De là, est né le désir de devenir
enseignante. Par la suite, j’ai réfléchi aux moyens de faire progresser tous les élèves.»
Samantha : « J’ai toujours été une élève qui écoutait en classe et qui avait beaucoup de
plaisir à apprendre de nouvelles connaissances. Mais, surtout à l’Université, mes résultats ont
toujours été médiocres alors que je pouvais souvent expliquer les cours à d’autres qui
n’avaient pas compris. Pendant quatre ans, j’ai essayé de comprendre pourquoi, et comment je
pourrais améliorer mes résultats. J’ai toujours détesté apprendre et réciter par cœur, or, c’était
souvent, ce qu’on attendait de nous. Pour moi, il était plus intéressant d’écrire dans mes
devoirs ce que je comprenais…. Puis, en observant de « bons » élèves en cours (pour voir
comment ils faisaient), je me suis aperçue qu’ils posaient des questions ! Je me suis toujours
dit que s’il y avait une chose à enseigner, c’était à poser des questions. Donner la parole aux
élèves et les écouter, me semblait être la base de tout enseignement. Ce n’est que plus tard,
que j’ai voulu être enseignante, pour transmettre mon enthousiasme à apprendre, ma curiosité
et aussi, pour participer à la mise en œuvre d’un monde meilleur… »
Nous avons donc émis l’hypothèse, que la pratique des ateliers philo nous permettrait
d’évoluer dans notre rapport au savoir, au pouvoir et sur le rôle du maître.
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III. PRATIQUES ET ANALYSE
A. ASTRID
1. Qu’est-ce qu’avoir raison ? (11/01/01)
a) Dispositif
Les enfants sont disposés en cercle sur des chaises et des bancs afin que tous puissent se
voir. Ils sont 27 élèves. Je leur dis qu’on va faire une discussion philosophique ensemble. Ils
pratiquent déjà avec leur maîtresse une forme de discussion (qu’elle ne dit pas philosophique)
axée sur des problèmes de vie quotidienne, de citoyenneté. Ils ont une certaine habitude de la
prise de parole et respectent les règles instaurées avec leur maîtresse, soit : on ne coupe pas la
parole, on lève la main pour avoir la parole, on ne se moque pas de se que disent les autres, on
écoute les autres. Après un rapide rappel de ces règles, je pose la question : « Qu’est-ce
qu’avoir raison ? ». Je m’impose président de séance, c’est-à-dire, à la fois animateur et
responsable de la parole.
b) Analyse
Peu de dispositif mis en place, pas de bâton de parole, aucunes règles énoncées, pas de
président de séance clairement nommé (en l’occurrence, moi).
Difficultés personnelles pour animer la séance : gérer la prise de parole, laisser les
enfants s’exprimer, impression que « on tourne en rond », on ne dépasse pas l’exemple. Or,
par deux fois, on dépasse l’exemple, mais je n’ai pourtant pas l’impression que la discussion
progresse (dans mon sens ?). Au bout de dix prises de paroles d’enfants, je propose d’arrêter
la discussion : je me sentais mal à l’aise, j’avais l’impression (réelle) de ne pas maîtriser ce
qu’il se passait. En effet, je ne connaissais pas à l’avance les réponses qu’allaient apporter les
enfants et je ne pouvais pas cacher mon malaise derrière un cours construit par avance et
auquel ce seraient les enfants qui s’adapterait.
Je ne prends la parole qu’une seule fois après quatre interventions d’élèves en
questionnant tous les élèves pour les faire argumenter, pour créer une confrontation. Je
cherche à utiliser les exemples et affirmations des quatre élèves qui sont intervenus pour
ancrer le débat dans le vécu des élèves ( Le premier élève a rapporté un exemple personnel où
il avait raison et son père avait tort : avoir raison, c’est quand l’autre a tort ! Le deuxième
élève se réfère à un exemple lié à la vie de la classe : je demande aux élèves qui est absent le
matin, les enfants me signalent eux-mêmes les absents : celui qui donne la bonne réponse a
raison. Les deux derniers parlent des mamans, des parents qui, eux, ont raison). J’interviens à
ce moment-là pour essayer de créer une confrontation entre les élèves qui pensent que les
enfants peuvent avoir raison contre les parents et ceux qui pensent que ce sont forcément les
parents qui ont toujours raison. Il me semble, à ce moment, important, que les enfants
réfléchissent sur leur capacité à avoir une opinion, une idée ou des valeurs différentes de
celles de leurs parents. Puis, après cinq interventions d’élèves, je me sens vite dépassée par
tout ce que j’ai à gérer en même temps : la discipline dans le groupe, les tours de parole, la
compréhension de ce que disent les élèves, l’articulation et la progression du débat . Cette
surcharge cognitive provoque chez moi cette impression que le débat n’avance pas et que je
ne maîtrise rien de ce qui se passe.
8
 Interventions des discutants
Les trois premiers élèves donnent des exemples, la quatrième tente de rattacher la
question et les interventions des autres élèves à son propre vécu : cela ne fait pas avancer le
débat, mais peut-être cela le fait-il avancer personnellement.
Essai de définition (conceptualiser) : la dernière élève qui intervient essaie de donner
une définition de ce que c’est qu’avoir raison.
2. Pour vous, qu’est-ce que ça veut dire la tristesse, être triste et quand estce que des enfants sont tristes ? (15/01/01)
a) Dispositif
Je propose le même dispositif que la dernière fois . Le maître E qui intervient cette fois
dans ma classe propose cette idée du bâton de parole que je reprendrai pour les autres séances.
C’est le maître qui agit comme président de séance mais sans le préciser à l’avance.
b) Analyse
Il n’intervient qu’une seule fois pour des raisons de discipline. Il ne fait aucune
intervention sur le fond du débat pour le faire progresser. Il part du postulat qu’il faut donner
la parole à l’enfant . Je n’ai plus eu l’occasion de rencontrer cette personne après la séance
pour que nous puissions échanger à ce sujet. De mon côté, me trouver au sein de ce débat en
qualité d’observateur, en me déchargeant de toutes ces fonctions difficiles à gérer, m’a permis
de mieux comprendre comment me positionner dans ces débats, comment les animer et
surtout comment accepter la parole de l’enfant, comment accepter que tous les enfants ont
besoin de passer par leur exemple personnel, par leur vécu, pour s ‘approprier une question,
un sujet.
3. Peut-on rire de tout ? Quelle est la différence entre rire et se moquer ?
(23/01/01)
a) Dispositif
Le même que précédemment .
b) Analyse
Je m’impose cette fois encore Président de séance. Suite à mon observation lors du
précédent atelier, j’accepte l’idée selon laquelle les enfants ne s’approprieront la question
qu’en la reliant à leur propre vécu. Il m’apparaît, dès lors évident que je dois les laisser
s’exprimer suffisamment avant d’intervenir. Je ne prends donc la parole qu’après onze
interventions d’élèves (qui ne dépassent pas l’exemple) et suite à l’intervention d’une élève
qui fait rire tous les enfants (elle adopte une posture et un ton destiné à faire rire les autres
manifestement). Au lieu de demander le retour au calme, je décide de me servir de cette
situation-là, vécue par tous les élèves collectivement et qui les touche affectivement pour
9
tenter de faire évoluer le débat ( j’espère ainsi les faire problématiser) :je demande alors aux
élèves s’ils rient parce qu’ils se moquent ou s’ils rient parce que ce qu’elle dit est drôle. Un
seul élève relève mon intervention et me répond sans raccrocher sa réponse au débat. Quatre
autres élèves continuent de donner des exemples personnels. Je tente une nouvelle
intervention : je questionne tous les élèves dans le but de les faire argumenter : peut-on rire de
tout ? En effet, les élèves donnent des exemples de situations vécues où on s’est moqué d’eux
alors qu’ils avaient mal ou peur…Deux élèves continuent de donner des exemples suite à mon
intervention. Une élève donne une affirmation sur laquelle il aurait été possible de rebondir,
mais les enfants commencent à fatiguer. Après une dernière intervention d’élève sur son
propre vécu, la discussion arrive à son terme.
 Interventions des discutants
Pour cette troisième séance, il est intéressant de relever que plus d’enfants prennent la
parole que la dernière fois. Se sentent-ils plus à l’aise, la question les touche-elle plus ? La
participation est active. Les élèves restent fermement et affectivement attachés à l’exemple.
Ils s’approprient malgré tout la question et s’y intéressent. De là, émerge chez moi l’idée qu’il
faut du temps également dans les autres disciplines à l’enfant pour s’approprier le sujet d’une
part et pour dépasser ses représentations d’autre part.
c) Transfert de cette analyse dans mon enseignement
La veille de cette séance, j’avais commencé une séquence de sciences physiques sur
l’évaporation de l’eau. Ma première séance, que j’avais préparée à l’avance, prévoyait un
temps d’émergence des représentations puis une recherche par groupe d’expérience possibles
à réaliser pour chercher où est parti l’eau des flaques d’eau qu’il y avait encore la veille dans
la cour. Cette séance a été , à mon sens catastrophique parce que je n’ai laissé qu’une ou deux
minutes aux enfants pour, à l’oral, donner leur avis sur la question et j’induisais très fortement
les réponses des enfants quant aux expériences possibles à mettre en place. Je sentais que je
n’étais pas satisfaite de cette séance mais je l’avais bien préparée et je ne savais pas quoi
remettre en cause. Je réfléchissais encore à la façon dont j’aurais du conduire ma séance de
science quand nous avons eu cette discussion philosophique.
J’ai compris que je ne pouvais pas prévoir le temps qu’il fallait aux enfants de ma classe
pour s’approprier la question , la rattacher à leur vécu propre, faire des liens avec des
réflexions, des expériences déjà réalisées, des savoirs déjà construits, puis laisser émerger
leurs représentations, avoir l’idée, le courage de mettre en place des expériences susceptibles
de remettre en cause ces représentations dans un laps de temps très limité (environ une demie
heure !).
Cette réflexion m’a permis de transférer ce début de pratique des ateliers philo à ces
séances de sciences. Pourquoi animerais-je des ateliers philo dans le but de donner la parole
aux enfants sans valider leurs réponses comme étant bonnes ou mauvaises ? Pourquoi
tenterais-je de créer une communauté de recherche, un échange entre les enfants ? Pourquoi
serais-je capable peu à peu d’avoir une attitude attentive et d’écoute dans les ateliers philo et
redeviendrais-je par contre l’enseignant qui détient la parole dès que j’aborde les autres
disciplines ? Pourquoi admettrais-je l’idée que les enfants ont besoin de temps et d’espace de
parole pour s’approprier une question qui les concerne pourtant déjà et que dès qu’ils
abordent les disciplines plus scolaires, ne leur laisserais-je plus ce temps que je perçois
comme nécessaire ?
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Je décide de reprendre complètement ma première séance de sciences dès le
surlendemain .
Je laisse vraiment le temps nécessaire aux enfants pour faire émerger leurs
représentations sachant qu’ils sont 27 élèves, ce qui prend plus de temps, sans culpabiliser
parce que j’ai l’impression de perdre du temps et de « ne pas faire classe », c’est-à-dire avoir
la parole et communiquer des informations aux élèves.
Je reprends donc la séance comme si je ne l’avais pas mise en place trois jours plus tôt.
Je pose simplement la question suivante aux enfants : « A votre avis, où est partie l’eau des
flaques qu’il y avait encore hier dans la cour ? » Les enfants participent activement, émettent
des hypothèses, tentent de créer un lien entre cette question, ce qui les questionne eux-mêmes,
ce qu’ils savent déjà, ce qu’ils supposent. Je n’interviens pas, ne montre pas d’impatience à
voir émerger les tentatives de réponses qui me permettraient d’amorcer la suite de ma séance.
Je ne valide pas les réponses comme étant bonnes ou mauvaises, je dis qu’on discute, que
c’est intéressant d’écouter les réflexions de chacun. J’observe peu à peu que les regards des
enfants ne sont plus dirigés uniquement sur moi, mais qu’ils regardent celui qui parle et
communiquent directement avec lui pour tenter de s’expliquer ensemble, de confronter leurs
idées. Cela dure vingt minutes jusqu’à ce qu’un élève me demande comment on va faire pour
savoir qui a raison. Je réponds qu’on peut imaginer des expériences pour essayer de répondre
à la question. Mais je dis qu’on va arrêter là, qu’on peut réfléchir jusqu’à demain .
Le lendemain, les enfants m’ont demandé dès leur arrivée si on allait bien faire des
expériences aujourd’hui. Ils avaient hâte de commencer et semblaient avoir continué à
réfléchir après l’école. Je les ai disposé en petits groupes de recherche en leur demandant
d’imaginer des expériences pour montrer où part l’eau des flaques. Puis, j’ai demandé aux
rapporteurs de chaque groupe d’expliquer l’expérience qu’ils avaient imaginée. J’ai été
surprise de voir avec quelle attention les enfants s’écoutaient et utilisaient les éléments
d’analyse ou de réflexion des uns et des autres pour compléter leur propre hypothèse. J’avais
prévu deux séances pour cette partie en comptant un temps pour mettre en place les
expériences mais finalement, ça n’a pris qu’une séance tellement les enfants étaient actifs,
intéressés et avides de recherche.
J’ai compris alors que le temps « perdu » à écouter les élèves était gagné par ailleurs du
fait qu’ils s’étaient appropriés le sujet et qu’ils cherchaient donc à résoudre un problème qui
se posait désormais à eux..
4. Qu’est-ce que l’imagination ? (01/02/01)
a) Dispositif
Le même que précédemment
J’ai choisi ce sujet moi-même parce que j’ai mené pendant tout ce mois de stage en
responsabilité un projet de création d’album avec les enfants. Ils ont du inventer une histoire,
imaginer des illustrations, se servir de différents matériaux pour fabriquer concrètement le
livre. J’ai donc eu la curiosité de voir s’ils se serviraient de cet exemple pour expliquer ce
qu’est l’imagination.
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b) Analyse
Je ne prends la parole qu’une seule fois après quatorze interventions d’élèves (j’observe
que je réussis à écouter plus longtemps les élèves) dans le but de rebondir sur l’idée de
Mélanie qui poursuit son idée évoquée plus haut selon laquelle l’imagination sert à inventer
des poésies en précisant que sans l’imagination, il n’y aurait pas de poésies. Comme lors de sa
première intervention aucun enfant n’a poursuivi son idée, je demande à quoi sert
l’imagination afin de donner l’idée aux enfants de compléter sa réflexion.
 Interventions des discutants
La première intervention est une tentative de définition contextualisée : l’imagination sert à
inventer des poésies.
La deuxième est un exemple personnel que l’enfant tente de généraliser.
La troisième se sert d’une réflexion émise par ses parents : « Tu as trop d’imagination ! ».
Elle tente d’en donner une explication-exemple : « c’est quand on imagine quelque chose qui
n’existe pas ».
Les trois élèves suivants donnent des exemples.
Tristan donne une tentative de définition : « c’est des histoires et des trucs qui existent
pas » complétée par Fanny : « On peut imaginer dans sa tête. »
Les deux interventions suivantes reprennent l’exemple d’Ayoub, trois interventions plus
haut.
Sarah compare imaginer et rêver. Puis fournit un exemple personnel.
Nicolas donne une réponse peu claire mais sur laquelle rebondit Louis en contextualisant :
« on imagine des choses qui n’existent pas mais certains peuvent croire que ça existe ».
Mélanie( la première intervenante) poursuit l’idée de Louis en la reliant à sa première
idée : l’imagination sert à inventer des poésies et sans l’imagination ça n’existerait pas (sousentendu : l’imagination fait exister des choses qui n’existaient pas !)
J’interviens en posant une question à tous les enfants pour les aider à poursuivre et
approfondir l’idée de Mélanie : « A quoi ça sert l’imagination ? ».
Louis émet alors l’idée que l’imagination sert à réfléchir à quelque chose (suite à l’idée que
l’imagination c’est dans la tête, ça permet d’inventer des poésies…)
Ayoub reprend l’idée de Louis : on réfléchit quand on dort (suite à l’intervention
comparant rêver et imaginer).
Laura et Taylor s’approprient l’idée d’Ayoub avec leurs propres mots.
Tristan donne un exemple (je pense qu’il relie son exemple à la fabrication du livre :
« quand on fait une feuille »).
Florie, la dernière intervenante, fait du lien entre tout ce qui a été dit : elle synthétise :
quand on imagine quelque chose qui n’existe pas, on invente et on le fabrique pour qu’il
existe.
12
Je suis assez étonnée de voir , pour la première fois, les enfants se détacher de leur
exemple personnel, discuter d’une notion abstraite en tentant de la définir de façon générale et
impersonnelle et construire leur réflexion de façon claire en écoutant les autres et en reliant
les idées de chacun.
Je pense qu’ils avaient tous un vécu commun et affectif connu de tous sur ce sujet : la
conception et la fabrication collective du livre. Ils ressentaient peut-être moins le besoin
d’évoquer chacun un exemple personnel. C’est aussi une notion qui touche moins à l’affectif,
à des problèmes plus personnels ( telles que les notions comme :aimer, être triste, grandir ).
Je pense avoir développé ici une qualité d’écoute qui me servira dans les autres
matières.
D’autre part découvrir à quel point les enfants de cinq ans peuvent s’écouter et
construire leur raisonnement en s’appropriant les idées des autres m’interpelle par rapport à la
façon dont je pourrai envisager par la suite d’enseigner dans les autres disciplines. Même si je
savais à quel point est parfois inefficace le cours magistral, j’imaginais très difficilement
comment il était concrètement possible de mettre à profit le travail de groupe, la recherche en
commun pour permettre aux enfants de se construire leurs propres savoirs.
De plus, concevoir le groupe classe comme une communauté de recherche où chaque
élève se construit son propre savoir, sa propre réflexion dans le respect de son individualité
grâce à ce fourmillement d’idées que procure le nombre d’élèves me rassure quant à ma
capacité à gérer une classe.
Je perçois également que ces ateliers philo rendent la classe plus clémente. Une
ambiance de classe se crée dans le respect de chacun .
Je me sens de plus en plus à l’aise avec la classe entière comme avec chaque élève en
particulier. Cette mise en place de ateliers philo a réglé d’elle même mes inquiétudes quant à
mon autorité : plus je donne la parole aux enfants de façon réglementée, plus à l’inverse les
enfants sont attentifs quand c’est moi qui parle (pour donner une consigne, une explication,
régler un problème de discipline). Valoriser la parole des enfants, valorise la notre aussi.
13
B. SAMANTHA
Mon analyse repose en fait sur deux analyses distinctes, l’une que je qualifierai de
subjective, et l’autre d’objective. La première est dite subjective car c’est une analyse qui
s’appuie sur ce que j’ai vu, entendu, ressenti, à la fin de chaque séance. C’est en quelque sorte
mon point de vue, et par conséquent, il relate l’évolution de ma réflexion et ce que je pense
avoir réussi à atteindre parmi les objectifs que je m’étais fixés lors des ateliers philo. La
deuxième analyse est objective, car elle vérifie si ces mêmes objectifs ont réellement été
atteints.
1. L’analyse « subjective »
Pour une plus grande clarté, cette analyse se présente en cinq phases (voir tableau cidessous, les dispositifs A, B, C sont explicités plus loin), précédées d’une pré-phase et suivies
d’une post-phase. Ces cinq phases correspondent aux sept séances menées pendant mon stage
en responsabilité. Chaque phase correspond à un ou deux objectifs principaux que je me suis
fixés par rapport à une séance précédente, même s’ils continuent d’être poursuivis dans les
séances suivantes. J’ai considéré la première séance que j’ai menée comme une pré-phase car
je l’ai vécue comme un premier essai, comme une évaluation diagnostique qui m’a permis de
me fixer mes premiers objectifs. La post-phase, quant à elle, aurait pu être une évaluation
sommative, mais, étant en stage de PA3, je n’ai pas pu, et je ne sais pas si j’aurais osé,
changer le dispositif déjà mis en place, ce qui, comme nous le verrons ci-dessous, est assez
significatif.
Phases
No.
Sujet de discussion philo Niveau
Séance
Conditions
Qu’est-ce que les droits
de l’enfant ?
GS
Sujet proposé par MAT
(dispositif A) en PA2
1
Peut-on rire de tout ?
CE2CM1
2
Qu’est-ce qu’être
grand ?
«
»
3
Qu’est-ce que
l’imagination ?
«
»
4
Sommes-nous tous
pareils ?
«
»
Sujet imposé par la maîtresse
(dispositif B) en R1
Sujet imposé par la maîtresse
(dispositif B) en R1
Sujet imposé par la maîtresse
(dispositif B) en R1
3 sujets au choix imposés par la
maîtresse (dispositif B) en R1
5
Qu’est-ce qu’un animal
et est-ce qu’il pense ?
«
»
Phase 4
6
Qu’est-ce que la peur ?
«
»
Phase 5
7
Pourquoi aimer ?
«
»
Qu’est-ce qu’avoir
raison ?
CE-CM Sujet imposé par la maîtresse
(dispositif A) en PA3
Pré-phase
Phase 1
Phase 2
Phase 3
Post-phase
Sujet imposé par la maîtresse
(dispositif B)
Sujet imposé par la maîtresse
(dispositif C)
3 sujets au choix proposés par les
élèves (dispositif C)
14
a) Pré phase
Le premier atelier que j’ai animé, m’a été proposé en Grande Section par la maîtresse
d’accueil temporaire lors de mon deuxième stage en Pratique Accompagnée. La question était
imposée. Le dispositif utilisé (Dispositif A), était le suivant : tous assis en cercle, par terre ou
sur des chaises (ou bancs), j’ai rappelé les règles de fonctionnement, posé la question du jour,
et les enfants ont discuté. J’avais beaucoup de difficulté à écouter, chercher à comprendre ce
qu’ils disaient, donner la parole et, en même temps, me demander s’il fallait que j’intervienne,
pourquoi et comment. Plutôt que de m’imposer en étant exigeante et sur la forme et sur le
fond, ce qui m’obligeait à intervenir pour chaque enfant au risque de les faire taire par la peur
de l’erreur, j’ai demander à l’enseignante de la classe de continuer. Pour trouver des réponses
sur la manière d’intervenir, j’ai du, dans un premier temps, recourir à des publications.
Avant de commencer le stage en responsabilité, la journée pédagogique à Olargues
m’a permis de mieux cerner l’importance du dispositif (lieu, nombre d’élèves, gestion du
micro, …) et la participation au café philo de Narbonne dirigé par M.Tozzi et A. Delsol, m’a
aidé à comprendre comment je pourrais intervenir dans les ateliers philosophiques suivants et
m’a servi de modèle pour le dispositif. En effet, il se base sur une coanimation avec un
introducteur de la problématique, un répartiteur de parole, un reformulateur, et deux
synthétiseurs.
b) Phase 1 : L’écoute (séance 1)
Le dispositif B que j’ai mis en place pendant mon stage a donc été composé, dans un
premier temps, d’un responsable de la parole, d’un reformulateur, d’un responsable du micro
et j’avais le rôle de l’animatrice (que j’ai nommé : président de séance). J’énonçais aussi la
question de la séance (voir tableau en annexe 5).
 Objectifs
-
Laisser du temps aux enfants pour s’exprimer, accepter les silences et les longues
hésitations.
Intervenir sans donner la réponse dans la question, sans essayer de leur faire dire ce que je
veux qu’ils disent.
 Analyse
Ma première surprise fut de voir à quel point ils pouvaient être silencieux et calmes,
respectueux de la parole, du début jusqu’à la fin de l’atelier philo. J’avais peur qu’ils ne
finissent par trouver ennuyeux de rester assis, sagement, en train d’écouter et de discuter.
J’avais peur qu’ils ne s’agitent à la moindre hésitation d’un des discutants ou si les propos
d’un discutant ne les intéressaient pas. J’ai donc, eu tendance à remplir les vides, à accaparer
le micro à la moindre hésitation, à essayer d’attirer l’attention sur moi régulièrement, comme
pour mieux les maîtriser…J’étais assez fière pourtant de ce premier atelier. D’une part, j’étais
rassurée (j’avais « maîtrisé la situation »), d’autre part, vers la fin de l’atelier, j’arrivais à les
laisser au moins terminer de dire ce qu’ils avaient à dire. Je devais maintenant réussir à
accepter les moments où personne ne prenait la parole, et continuer de clarifier mes exigences
intellectuelles afin que mes interventions les fassent progresser.
15
c) Phase 2 : L’exigence intellectuelle (séances 2 et 3)
Même dispositif que précédemment.
 Objectifs
-
-
Intervenir aussi pour conceptualiser en créant de la cohérence, du sens entre les différentes
interventions. L’exigence intellectuelle consiste à conceptualiser, argumenter et
problématiser.
Accepter les silences entre les interventions.
 Analyse
Le deuxième objectif me semble ici atteint. Quant au premier, j’arrive maintenant à
percevoir les différentes conceptions et notions mises en jeu lors des discussions, mais cela
demande beaucoup de concentration. Les élèves ont exprimé à la fin d’une séance
l’importance du reformulateur. J’y vois alors, un intérêt plus grand à reformuler leurs propos,
sans chercher à rebondir. Par ailleurs, en intervenant trop souvent, je les empêche d’interagir
entre eux.
Un enfant m’a demandé s’ils pouvaient, eux aussi, proposer des questions
philosophiques. Cela m’a fait remettre en question ma démarche : un des intérêts de l’atelier
philo est de réfléchir aux questions que se posent les enfants, or, c’est moi qui choisis et pose
la question ! Je décide donc, pour l’atelier suivant de leur proposer trois questions au choix. Je
ne me sentais pas encore à l’aise pour qu’il y ait un atelier sur une grande question
existentielle. En effet, je ne savais pas si je pouvais tout laisser dire, même si le raisonnement
était logique. Ce n’est que plus tard que je saurai faire la distinction entre des valeurs que l’on
peut accepter et des valeurs qui vont à l’encontre de celles des Droits de l’Homme, et de
celles véhiculées par une République démocratique et que l’on ne peut accepter (Comment
faudrait-il intervenir à ce moment-là est une autre question…).
d) Phase 3 : Le sens d’un atelier philosophique (séances 4 et 5)
Même dispositif que précédemment.
 Objectifs
-
Les enfants doivent pouvoir proposer et choisir la question philosophique qu’ils ont envie
d’aborder.
Mes interventions doivent être moins fréquentes pour augmenter le nombre d’interactions
entre les élèves.
 Analyse
Pour la séance 4, je leur ai proposé trois questions au choix (vote). Ils étaient ravis. Je
leur ai ensuite demandé pour la séance suivante de m’écrire des propositions de questions
philosophiques qu’ils avaient envie que l’on traite. Mais, ils oublièrent de l’écrire dans leur
cahier de textes (je n’étais plus en stage de responsabilité). Ce ne sera qu’à la septième séance
que j’arriverai à improviser pour qu’ils fassent leurs propositions. Par contre, les élèves font
remarquer qu’ils n’ont, pour la plupart, obtenu qu’une seule fois la parole. Je l’avais déjà
remarqué, mais je voulais qu’ils en prennent conscience pour pouvoir justifier un changement
de dispositif, et qu’il soit accepté.
16
e) Phase 4 : Interactions entre les élèves (séance 6)
Le nouveau dispositif (voir tableau no 3 : dispositif C) a la particularité d’être composé,
en dehors des divers responsables, en un groupe de discutants et un groupe d’observateurs
selon le modèle d’Alain Delsol. Les observateurs doivent observer un élève en particulier, et
ne peuvent s’exprimer que pour poser une ou plusieurs questions pendant l’atelier.
 Objectifs
-
Mettre en place une situation permettant de diminuer le nombre de discutants pour
augmenter le nombre d’interventions par enfant, et pour qu’il y ait plus d’interactions
entre eux.
 Analyse
J’ai eu peur que les discutants soient gênés par les observateurs, et que la discussion soit
moins riche. J’ai été très impressionnée lorsque je me suis aperçue que ce n’était pas le cas et
que les observateurs intervenaient de temps en temps, me permettant ainsi de moins
intervenir. Je me suis alors aperçue que ce dispositif était « plus » philosophique, dans la
mesure où il invitait les élèves à poser des questions. Au départ, je pensais que ce dispositif
poursuivait un objectif surtout démocratique, maintenant je le vois aussi comme un outil
facilitant les interactions entre élèves, par le questionnement des observateurs. Il me semble
alors, qu’il faudrait les faire intervenir davantage, et je me demande si leur rôle n’est pas plus
formateur que celui des discutants…
f) Phase 5 : Partage du pouvoir (séance 7)
Même dispositif que précédemment. Les discutants deviennent observateurs et vice
versa, de même pour les différents responsables et leurs observateurs respectifs.
 Objectifs
-
-
Débuter la formation du responsable de la parole en animateur : lui apprendre à demander
une plus grande clarté des interventions (« Plus fort !», « Peux-tu le redire s’il te plaît ? »),
et demander d’argumenter à ceux qui ne le font pas (« Pourquoi ? »).
Susciter les interventions des observateurs.
Intervenir le moins possible, pour voir si les observateurs le feraient à ma place.
 Analyse
Je me suis sentie désemparée pendant tout l’atelier, je ne savais plus ce que je devais
faire ! Je ne voulais absolument pas guider la discussion en y mettant de la cohérence, et m’y
contraindre n’a vraiment pas été facile. Par moment, je m’interrompais, prenant conscience
que j’empêchais peut-être un enfant de le dire (Script, Annexe 7):
17
Ex.1
§8 Maîtresse : Alors, pourquoi …. (je m’interromps pour laisser la parole au
Responsable de la parole).
§9 Responsable de la parole : La question, c’est « Pourquoi aimer ? », pas « Pourquoi
on est né ? ».
Ex. 2
§27 Maîtresse : Tu dis qu’aimer, il y a deux sens. Peux-tu expliquer quels sont ces deux
sens ? Ou, les autres aussi, les discutants, essayez de trouver quels sont les deux
sens d’aimer. Est-ce que c’est pareil, par exemple…(je m’interromps, prenant
conscience que je vais induire la réponse) Je ne vous donne pas d’indice !
(14 interventions plus loin :)
§42 Myriam (obs) : Moi, je me demande pourquoi, si on aime quelqu’un par amour ou
par amitié ou si on aime, par exemple des bottes ? Je me demande comme ça…
Je voulais voir si les observateurs pouvaient relever une incohérence dans le discours
d’un discutant, et si leurs questions pouvaient être une problématisation d’un propos d’un
discutant. La distribution de la parole se faisant selon un ordre d’inscription, il ne fallait pas
s’attendre à ce que les réactions des observateurs s’expriment immédiatement après
l’intervention qui en était à l’origine. Au contraire, cela pouvait se produire bien plus tard.
C’est en partie pour cette raison que j’avais l’impression de ne plus rien maîtriser. En effet,
les interventions se succédaient assez rapidement, et les observateurs se sont beaucoup plus
exprimé que je ne l’avais pensé. J’avais donné comme consigne au responsable de la parole,
de donner la parole en priorité aux observateurs, afin de les susciter à poser des questions. Je
n’avais pas prévu qu’il y aurait autant de mains levées et si fréquemment !
Cette dernière séance a, pour moi, été déstabilisante, et par conséquent, ce conflit
cognitif que j’ai vécu, me semble montrer que mon identité professionnelle était en train
d’évoluer. Le fait de vouloir déléguer mon pouvoir grâce à l’évolution du dispositif m’aidait
peut-être à évoluer un peu, mais c’est à partir du moment où ce pouvoir m’a, en quelque sorte,
« échappé » et que je me suis sentie « désemparée », que j’avais enfin réussi à faire ce que je
pensais. En prenant du recul, et en essayant d’analyser, j’ai émis l’hypothèse que ce qui
m’avais dérangé et déstabilisé était que ce n’était plus moi qui faisais les liens entre les idées,
qui conceptualisais, qui demandais des arguments, qui problématisais, mais eux ! Jusqu’alors,
l’exigence intellectuelle qu’il me semblait poursuivre, était (peut-être) MON exigence, alors
que dans le dernier atelier, elle était (peut-être) devenue la LEUR. Serait-ce cela apprendre à
penser par soi-même ? Serait-ce aussi cela les mettre en situation d’apprentissage, le maître
veillant au bon déroulement des opérations, à la sécurité affective des enfants ? Suis-je en
train d’idéaliser ? Ce qui est certain, c’est que cela me questionne…
18
2. L’analyse « objective »
Etant donné l’enjeu des questions soulevées par ce dernier atelier, il me semble
indispensable de ne pas en rester au subjectif, bien que mon expérience, pouvant être
considérée comme un cas particulier, ne peut être généralisée. A partir des objectifs que je me
suis fixés lors des ateliers philo et des analyses des séances, voici les hypothèses que je peux
émettre :
-
J’ai réussi à prendre plus de temps pour écouter les enfants jusqu’au bout.
-
Ce sont eux qui ont « travaillé » et non moi à leur place.
L’analyse qui suit porte sur la comparaison entre un état initial qui est la séance 2 (S.i.)
et un état final, la séance 7, la dernière (S.f.). Les scripts des deux séances se trouvent en
Annexe 5 et 6, respectivement. Ne sont pas prises en compte les interventions relatives au
fonctionnement de l’atelier, à la reformulation par le reformulateur et à la synthèse.
a) Hypothèse 1 : L’écoute
On peut en déduire que je laisse plus de temps aux enfants pour s’exprimer si:
 j’interviens moins.
Le pourcentage de mes interventions par rapport à celles des enfants devrait donc
diminuer entre S.i (voir tableau du bas, Annexe 5) et S.f. (voir tableau du bas, Annexe 6). En
effet, elles diminuent de moitié, passant de 40 % à 20 %. (grâce aux obs. et resp. parole). De
plus, le nombre moyen d’interventions par enfant passe de 3,2 à 5 pour les discutants. Ce
dispositif C permet donc aux discutants de prendre plus souvent la parole tout en donnant la
possibilité aux observateurs de poser en moyenne 1,7 questions.
 les interventions des enfants sont plus longues.
La moyenne des nombres de mots total par enfant et par intervention devrait alors
augmenter entre les deux séances. (Analyse inachevée)
b) Hypothèse 2 : Qui philosophe ?
De même, on peut en déduire que ce sont les enfants qui raisonnent, qui philosophent,
si :
 il y a plus d’interactions entre eux.
S’il y a des interactions entre eux, cela signifie qu’ils s’écoutent, et s’approprient par
conséquent, un minimum la pensée d’autrui. Pour cela il aurait fallu que j’analyse le contenu
de leurs interventions, mais le temps m’a manqué…
 ce sont les enfants qui problématisent. (voir Annexe 7 et 8 )
Le nombre de questions problématisantes posées par les enfants devraient augmenter
par rapport aux miennes. C’est effectivement le cas car, dans la S.i. (Annexe 7) je suis la seule
à problématiser (9 questions dont 1 répétition), alors que dans la S.f. (Annexe 8), les enfants
19
ont posé 13 questions problématisantes dont 4 reformulations et moi 3. Par ailleurs, j’ai
recensé plus de questions philosophiques (16) dans la S.f. que dans la S.i. (9).
 ce sont les enfants qui conceptualisent.
Analyse intéressante, mais demandant beaucoup de temps…
 ce sont les enfants qui exigent des arguments.
Dans la S.i. je demande 8 fois des arguments, alors que dans la S.f. je ne suis plus la
seule à en demander : j’en demande 6 fois et le responsable de la parole en demande 3 fois
(§75-98-104 du Script de l’Annexe 6). Ce n’est que vers la fin qu’il commence à s’investir de
son rôle sans incitation de ma part.
(Il m’a semblé important pour une question de rigueur, de laisser les intitulés des parties
que je n’ai pu traiter)
***
L’hypothèse 1 est en partie validée, j’ai réussi à intervenir moins souvent. Je m’exprime
en moyenne toutes les 4,7 interventions d’enfants, contrairement au début où j’intervenais en
moyenne presque à chaque intervention d’enfant. Si l’on regarde de plus près les moments où
je n’interviens pas, un observateur intervient en moyenne toutes les 4,6 interventions et le
responsable de la parole toutes les 7,7 interventions. Ce qui rejoint l’hypothèse 2, et qui
contribue de même, en plus de ce que nous venons de voir, à la valider. J’ai donc réussi ,
aussi, à leur donner la possibilité de philosopher, et par conséquent, d’être exigeants. Car
qu’est-ce que philosopher sinon exiger une plus grande clarté ?
Le dispositif et les règles de fonctionnement ont donc un rôle extrêmement important. Je
pense que c’est, en partie, ce qui m’a permis d’évoluer.
Mes représentations ont changées, c’est une certitude. J’ai réussi à être plus cohérente
entre ce que je pense, ce que je dis et ce que je fais dans les ateliers philo. Pour s’assurer que
mon identité professionnelle a bien évoluée, il faudrait que je montre que dans les autres
matières aussi, je garde cette cohérence. On peut cependant supposé, que si mes
représentations ont changées, ce devrait être le cas ….
20
C. SYNTHESE
C’est en étant en stage que nous avons pris conscience que l’identité professionnelle que
nous pensions déjà avoir construite d’après notre passé et nos lectures, ne l’était pas encore.
Nous avions comme une certitude que nous ne serions pas comme nous ne voulions pas
être…Il s’agissait en réalité d’une projection de l’enseignant que nous nous imaginions
devenir. Nous ne savions pas qu’il y avait une phase intermédiaire, un entre-deux, où nos
actes et nos idées pouvaient être en désaccord.
« Ce terrain m’apparaît en effet, comme particulièrement riche car c’est dans ce moment
charnière, dans ce moment de passage, que s’amorce la quête d’identité professionnelle –voire
personnelle- du sujet, que se pose la question du qui suis-je ? , question à laquelle, me
semble-t-il, peu de réponses sont apportées. » « On sait le nombre de travaux qui portent
sur entre le dire et le faire , mais peu d’expériences concrètes d’investigation de cet entredeux ont été faites. » (DIERKENS, 2001).
La construction de cette identité implique une phase de déconstruction. L’avantage du
débutant, c’est qu’il n’a pas à déconstruire un passé d’habitudes professionnelles mais
seulement ses représentations obstacles. De plus, plus les représentations sont anciennes, plus
elles sont ancrées, plus elles sont difficiles à remettre en cause et à dépasser.
Lors de la formulation de notre problématique, nous avions émis l’hypothèse du
changement de nos représentations sur trois axes : le rapport au savoir, le rapport au pouvoir
et le rôle du maître, mais nous ne savions pas dans quelles mesures. Par ailleurs, lors de nos
pratiques, nous en avons recensés plusieurs autres.
 Le rapport au savoir
Nous avons découvert que nous pouvions avoir un rapport non dogmatique au savoir.
D’une culture de la réponse qui tue la question et qui tue l’envie de savoir, nous sommes
passées à une culture de la question. Celui qui détient le savoir, détient le pouvoir. Autoriser
l’enfant à se construire lui-même ses savoirs implique le partage du pouvoir, et la
transformation d’une relation duelle avec chaque enfant sous forme d’entretien philosophique
en une discussion philosophique.
 Le rapport au pouvoir
Peu à peu est née l’idée que l’enseignant n’était pas l’unique garant de la loi, mais qu’il
lui était possible de déléguer une partie de ses pouvoirs aux enfants sans pour autant perdre
son autorité. Le rapport à la loi devient plus coopératif. En outre, de quel pouvoir j’arme
l’enfant au moment où je lui propose de philosopher ?
 Le rôle du maître
En caricaturant, notre rôle est passé de celui du maître induisant fortement la parole de
l’enfant à celui d’animateur la guidant, puis à celui d’accompagnateur (Cahiers Pédagogiques,
avril 2001) sécurisant l’enfant lors du conflit socio-cognitif. Apprendre à penser par soi-même
nécessite, comme tout apprentissage, de faire bouger le système de représentations du sujet.
Cette déstabilisation cognitive entraîne une déstabilisation affective qui, souvent, gêne
l’apprentissage. L’accompagnateur est alors là pour veiller à la sécurité affective des enfants.
Nous avons aussi découvert qu’il y a plusieurs manières d’écouter et d’entendre les questions
des enfants : scientifiquement, philosophiquement et psychologiquement. Cette écoute permet
21
de dénicher les questionnements des enfants, à condition d’en prendre le temps. C’est une des
premières difficultés que nous avons surmontées (un peu de pouvoir en moins…) : apprendre
à écouter vraiment et jusqu’au bout, la parole des élèves.
 Le rôle de l’école
Ce qui nous a paru important, c’était de clarifier nos valeurs, de les définir, pour donner
du sens à l’école. La discussion philosophique est un lieu où les valeurs sont discutées, ce qui
a pour conséquences de relier celles des enfants aux nôtres. Définir clairement nos valeurs,
nous permet d’ajuster nos actes à celles-ci et nous aide à construire notre identité
professionnelle.
 Notre rapport à l’enfant
Notre représentation de l’élève a également été remise en cause. Si pour nous l’élève
était un sujet essentiellement apprenant, il est devenu aussi un sujet pensant. D’ailleurs, nous
avons pris conscience du poids des mots dans notre langue et de l’usage que nous en faisons
tels que : « infantiliser », « puéril »…
 Le rapport à la langue
C’est en étant déchargées de certaines responsabilités que nous avons pu observer
l’impact de la signification des mots. Nous avons remarqué combien certains enfants se
sentent agressés quand un camarade dit « je ne suis pas d’accord avec toi » alors qu’il pense
« je ne suis pas d’accord avec ce que tu dis ». Ce qui nous a permis de distinguer ce que
l’élève pense, ce qu’il dit, ce qu’il fait, et de le transférer dans notre pratique.
Cette évolution de notre identité professionnelle, nous l’attribuons, ici, à la mise en
place de pratiques philosophiques avec les enfants. Mais, n’y a t-il pas d’autres situations qui
l’auraient permis ?
22
IV. POURQUOI LES ATELIERS PHILOSOPHIQUES ?
Puisque le mémoire porte sur la philosophie, problématisons notre problématique :
-
N’y a t-il que les ateliers philo qui permettent de faire évoluer l’identité professionnelle
d’un enseignant débutant ?
-
Pourquoi les ateliers philo peuvent-ils faire évoluer notre identité professionnelle ?
-
Notre identité professionnelle évolue t-elle systématiquement lorsqu’on met en place des
ateliers philo ?
A. D’AUTRES MOMENTS AURAIENT PU FAIRE EVOLUER
NOTRE IDENTITE PROFESSIONNELLE
Nous avons recensé trois espaces de parole ayant lieu dans les écoles dont les objectifs,
pour les enfants, rejoignent certains de ceux des ateliers philo.
Espaces de parole
Objectifs principaux en
commun avec les ateliers
philo
Obstacles pour remise en
cause de nos représentations
Quoi de Neuf
Droit d’expression
Il n’y a pas de
confrontation entre les élèves
(pas de recherche de vérité).
Par conséquent, le maître n’a
pas à intervenir dans ce sens.
Conseil
Citoyenneté
La parole n’est pas
utilisée pour rechercher la
vérité mais pour décider par le
vote, convaincre les autres
(vérité = nombre).
Argumentation
Débat scientifique
Questionnement
La parole est utilisée
pour
se questionner, se
Confrontation des hypothèses
confronter argumenter et
Argumentation
valider par le réel (vérité =
réalité).
Nous avons eu l’occasion de mettre en place ces moments de parole mais ceux-ci ne
nous avaient pas permis de remettre en cause nos représentations. Nous en déduisons, que
détenir la vérité au sens philosophique du terme, devait être l’obstacle à cette remise en cause.
23
B. POURQUOI LA PRATIQUE DES ATELIERS PHILO
PERMETTRAIT-ELLE DE DEPASSER NOS REPRESENTATIONS
OBSTACLES ?
Parce que philosopher ne nous a pas été enseigné au primaire, donc nous n’avons pas de
référence vécue. L’enseigner au primaire est une innovation et nous procure une grande
liberté d’action.
Parce que c’est propre à la philosophie : il n’y a pas une seule réponse, donc rien à
valider. De plus, il faut respecter que tous pensent différemment.
Parce que ça fait partie de la démarche : laisser les enfants s’exprimer et se confronter
(argumenter ..). L’exigence est portée sur la qualité du raisonnement et non sur la justesse de
la réponse (attention à la forme de l’intervention pour ne pas imposer son raisonnement :
clairvoyance du maître).
Parce que nous n’avons pas de formation philosophique, pas de savoir philosophique
supérieur au leur, nous ne nous sentons pas investies du pouvoir de valider leur réponse ou
leur réflexion.
Parce que croire en l’éducabilité philosophique de l’enfant génère un effet pygmalion.
Croire en leur capacité à penser de façon autonome dans les discussions philosophique c’est
croire qu’ils peuvent le faire dans les autres matières.
C. ATTENTION NE NOUS MEPRENONS PAS…
Il faut préciser que nous étions déjà en quête de notre identité professionnelle avant de
commencer à pratiquer ces ateliers. Par ailleurs, filmer et analyser nos pratiques pour le
mémoire a probablement contribué à nous faire évoluer ! Quant au dispositif, nous avons déjà
vu son importance…
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V. CONCLUSION
Pratiquer ces ateliers philo a développé en nous des compétences dans le domaine de la
langue : cela nous a fait prendre conscience de la difficulté à s’approprier la parole de l’autre
et de l’intérêt de la reformulation pour y arriver (l’enseignant pour comprendre l’élève et
l’élève pour comprendre la consigne et les explications de l’enseignant). Quel usage voulonsnous faire de la parole : parler pour soi, pour se faire entendre, ou pour communiquer ? Avoir
réalisé ce mémoire à deux nous a fait découvrir une méthode de travail, non pas basée sur la
confrontation, mais sur l’écoute et la reformulation, dans le respect de la pensée de l’autre.
Cette quête de l’identité professionnelle est particulièrement importante chez le débutant
qui est soumis aux difficultés du métier médiatisées à outrance (violence, dépression, ….),
anticipant ainsi sur la crise, que 26% des enseignants de l’école primaire, vivent. L’atelier
philo permet à l’enseignant de ne pas être isolé par rapport aux élèves (communauté de
recherche), cet isolement professionnel étant un des facteurs de cette crise.
En outre, les enseignants débutants font peut-être partie de la génération de
l’immédiateté et souhaitent prendre du plaisir à se retrouver dans leur moi professionnel tout
de suite.
De plus, cette recherche nous a apporté, un entraînement à l’analyse de pratiques et nous
a conforté sur la nécessité de travailler en équipe (communauté de recherche). Elle nous a fait
réfléchir sur l’importance de l’autoformation et d’un outil trop peu utilisé : la vidéo et
l’analyse de scripts.
: « La paresse la plus courante consiste non pas à refuser de travailler, mais refuser
de faire appel aux capacités les plus subtiles de notre outil intellectuel, en particulier à
l’imagination. Nous sommes prêts à des calculs complexes et à de laborieux exercices, mais
notre esprit est rétif devant la mise au point d’interrogations formulées en termes nouveaux. »
(Albert Jacquart, 1984) Et de répondre aux enfants de la SES qu’il est très facile de « ne pas
devenir intelligent » en s’assoupissant dans la passivité des réponses apprises, en renonçant
à l’effort de formuler ses propres questions. C’est pourquoi il renvoie chacun, formateur ou
apprenant, à l’impérieuse nécessité de faire flèche de tout bois, d’aller au bout des
questionnements des enfants, en prenant garde de ne pas hiérarchiser les complexités des
intelligences. Bref, en utilisant « les dons de la nature comme apports de l’aventure »
(Chatelain, et Picard, 1999).
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Annexes : voir fichier « Annexes »
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VI. BIBLIOGRAPHIE
(Références citées dans le mémoire uniquement)
CHATELAIN G., PICARD P, « Oui, nous sommes paresseux », 1999, dans (fenêtre sur
cours), no. 178, 30 septembre 1999, Paris, p. 15.
Dossier « Notre métier, notre identité », dans Cahiers pédagogiques, no. 380, janvier
2000, Paris, p.7-57.
FAVRE Daniel, « Accompagner la déstabilisation cognitive et affective », 2001, dans
Cahiers pédagogiques, no. 393, avril 2001, Paris, p.14-15.
JACQUARD Albert (1984) : Moi et les autres, Seuil Point Virgule.
LAURENDEAU Pierre (1996) : Des enfants qui philosophent, Montréal, Canada, Edit.
Logiques.
MARFAUX Louis-Marie (1989) : Vocabulaire de la philosophie et des sciences
humaines, Paris, Armand Colin, p. 272.
TOZZI Michel (1994) : Penser par soi-même. Initiation à la philosophie , Chronique
sociale.
Brochure
TOZZI M., DELSOL A. (2001) : Le café-philo de Narbonne. Réflexions et débats.
Sites internet
CAMANA, « Facettes et fonctionnement de processus de transition intervenant dans la
construction de l’identité professionnelle de l’instituteur. Analyse sociologique. », 2001,
http://www.inrp.fr./Access/Biennale/5biennale/Contrib/74.htm
DIERKENS Carine, « A la recherche des fondements de l’identité professionnelle des
instituteurs par des histoires de formation : approche herméneutique », 2001,
http://www.inrp.fr./Access/Biennale/5biennale/Contrib/125.htm
Pour joindre les auteurs de ce mémoire : [email protected]
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