CARICATURES XENOPHOBES ET REACTIONS FANATIQUES :
A QUAND LA FIN DES AMALGAMES ?
Mohamed-Chérif FERJANI
(Professeur à l’Université Lyon2, Directeur du GREMMO, UMR 5195, CNRS-Université Lyon2, Auteur de
travaux sur l’islam, le monde arabe, la laïcité et les droits humains dont Le politique et le religieux dans le
champ islamique, Fayard, 2005, et Islamisme, laïcité et droits de l’Homme, L’Harmattan, 1992)
Les réactions suscitées par les caricatures concernant le Prophète de l’islam dans les
mondes de l’islam comme celles qu’elles ont provoquées dans le reste du monde, plus
particulièrement dans les pays occidentaux, témoignent de l’ampleur des amalgames, des
incompréhensions et des malentendus qui alimentent les tensions et les haines des deux côtés.
Que le message véhiculé par quelques unes des caricatures en question soit xénophobe,
il n’y a aucun doute. Qu’il contribue à entretenir la confusion entre islam et terrorisme, c’est
évident. Qu’il soit « caricatural », comment peut-il ne pas l’être puisqu’il s’agit précisément
de caricatures ? Que des musulmans et des antiracistes soient choqués et indignés par ce genre
de messages et le condamnent, c’est légitime et normal. Mais que ce soit un prétexte à un tel
déchaînement de délires fanatiques, liberticides et aussi xénophobes que ce qui est dénoncé
dans les caricatures incriminées, c’est non seulement inadmissible, c’est grave et dramatique à
la fois. En effet, ces réactions se situent sur le même terrain de la xénophobie et de la vision
caricaturale de l’AUTRE - avec l’art en moins - qui a inspiré les images qu’elles veulent
dénoncer. Ce faisant, elles ne font qu’apporter l’eau au moulin des préjugés qui assimilent
islam, fanatisme, et terrorisme. Les plus xénophobes s’en frottent les mains en y voyant la
preuve de ce qu’ils ont toujours dit de l’islam et des musulmans. Certains, parmi les mieux
disposés à l’égard des musulmans, croient leur trouver une excuse en prétendant que « l’islam
interdit la représentation du Prophète » ! Où ont-ils trouvé les fondements d’un tel interdit ? Si
ce qu’ils disent est vrai, comment se fait-il qu’on puisse admirer dans des musées d’art
musulman, y compris dans des pays musulmans, des miniatures musulmanes représentant le
Prophète de l’islam avec d’autres prophètes ou avec ses proches et ses compagnons ? S’agit-
il d’un interdit de l’islam ou de théologiens rigoristes, comme on en trouve dans différentes
religions, qui s’autorisent à interdire non seulement la représentation du Prophète mais aussi
toute représentation humaine ?
Ce ne sont pas les images d’hystérie collective, par lesquelles des musulmans ont réagi aux
caricatures publiées dans un journal danois, qui vont faire reculer les préjugés sur l’islam et le
monde musulman ! Au lieu d’envier aux pays européens les droits dont ils jouissent et qui
leur manquent tant, ces musulmans se laissent manipuler par leurs gouvernants qui, tout en les
opprimant et les privant de leurs droits fondamentaux dont en premier la liberté d’expression,
les laissent se défouler contre les pays occidentaux pour demander aux Etats européens de se
mettre à leur école et limiter la liberté de la presse ! Les victimes des dictatures revendiquent
pour les peuples jouissant de la liberté d’expression le même régime que leur imposent leurs
oppresseurs ! Les musulmans qui se laissent ainsi manipuler savent-ils vraiment ce qu’ils
demandent et pour le compte de qui ? Au lendemain de la victoire de Hamas aux élections
palestiniennes, et au moment où les pressions de l’intérieur et de l’extérieur se font sentir
pour que les régimes en place acceptent un minimum de réformes démocratiques, ceux qui
participent à ces manifestations savent-ils qu’il sont encore une fois victimes de la surenchère
entre l’islam politique fanatique, les dictatures aux abois et les « modernistes » timorés qui se
disputent le credo de l’islam sur le dos de leur quête de dignité et de liberté ? Sinon, comment
expliquer l’intervention de ces réactions en ce moment, quatre mois après la publication des
caricatures qui ont suscité tant de haine ?