Le respect des droits fondamentaux des
travailleuses du sexe :
Développer une position féministe
Document de réflexion
Comité sur la violence faite aux femmes
Coalition nationale des femmes contre la pauvreté et la violence
Juin 1999
Table des matières
Introduction ..................................................................................................................................................... 3
Analyse ............................................................................................................................................................. 4
Le contexte : la criminalisation, la judiciarisation et la discrimination ..................................................... 5
Conclusion ....................................................................................................................................................... 7
Proposition de revendication ......................................................................................................................... 8
Annexe 1 : Quelques idées largement répandues sur le travail du sexe et quelques ébauches de
réponses, pour alimenter votre réflexion ..................................................................................................... 9
Contribution ................................................................................................................................................... 14
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Introduction
Rappelons d’abord que nous parlons exclusivement du travail du sexe exercé par
des femmes adultes. La question de la prostitution ou d’autres formes de travail
sexuel exécuté par des mineures amène des enjeux différents.
Depuis maintenant vingt ans, les mouvements féministes mondiaux débattent les enjeux du travail
du sexe
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et de la prostitution sans arriver à de réels consensus. Au Québec, les derniers grands
débats se sont déroulés dans les années soixante-dix et ont provoqué une division au sein des
féministes, entre les groupes de défense des travailleuses du sexe et certaines alliées, d'une part, et
la plupart des autres groupes de femmes, d'autre part. Depuis lors, très peu de discussions ont eu
lieu.
Depuis, les groupes de femmes impliqués dans la Marche mondiale des femmes et les travailleuses
du sexe du Québec tentent un rapprochement. Étant préoccupé par la situation de toutes les
femmes, le Comité violence de la Coalition nationale des femmes contre la pauvreté et la violence a
décidé d'aborder cette problématique. Un des objectifs de la Marche est de soutenir les luttes des
femmes particulièrement stigmatisées et discriminées telles que les travailleuses du sexe. Il n’y a
pas unanimité entre les féministes, au Québec comme ailleurs, quant au travail du sexe. Comme
vous le verrez dans ce texte et dans l’annexe, les opinions et analyses divergent énormément quant
à l’explication des origines du travail du sexe et de ses causes, ainsi que de ses répercussions sur
les femmes et les hommes qui le pratiquent ou y ont recours.
Bien que plusieurs femmes ressentent un profond malaise en regard du travail du sexe, elles
demeurent généralement malgré tout solidaires de la situation vécue par les travailleuses
concernées. Nous pensons que l’ambivalence qui traverse le mouvement féministe face au travail
du sexe ne doit pas nous empêcher de travailler à améliorer les conditions de vie de ces
travailleuses par l'apport de nouvelles solutions féministes. Les féministes de toutes allégeances se
sont battues pour le respect des droits fondamentaux de toutes les femmes. Malheureusement des
femmes, encore aujourd’hui, vivent une double ou une triple discrimination, que ce soit à cause de
leur orientation sexuelle, de leur condition physique, de leur origine ethnique, ou du travail qu’elles
exercent, comme c’est le cas des travailleuses du sexe.
La plupart des femmes reconnaissent que la pauvreté et la violence qui caractérisent les conditions
de vie des travailleuses du sexe sont inacceptables. C'est à partir de notre expérience commune,
comme femmes, de la pauvreté et de la violence que nous vous proposons de travailler. Nous (du
Comité violence) croyons indispensable de faire une distinction importante entre les positions que
nous pouvons avoir, toutes et chacune, quant au travail du sexe et les préoccupations que nous
avons face aux conditions de vie et de travail des travailleuses. Nous vous invitons à fléchir et à
débattre dans cette perspective avec vos amies, vos collègues de travail et les militantes dans vos
organisations. Tous les débats certes nécessaires au sujet du travail du sexe ne se feront donc pas
lors de l'adoption de la revendication pour la Marche québécoise. Nous entamerons la discussion et
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Définition du travail du sexe : Toute activité où il y a échange d'argent ou de biens (y compris de la drogue)
contre un ou des services sexuels. Le travail du sexe comprend la prostitution de rue, les services d'escortes,
la danse nue, le massage érotique, le téléphone érotique commercial, le fait d'agir à titre de modèle ou
d'actrice pour des photos ou des films érotiques ou pornographiques.
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nous croyons qu’il est possible d’adopter une revendication pour améliorer les conditions de vie et
de travail des travailleuses du sexe, sans qu’il soit nécessaire d’avoir fini de discuter de toute la
question. En effet, pour nous, le débat principal à cette étape-ci consiste à répondre à la question
suivante : la proposition de revendication, répond-elle à l’objectif poursuivi, c’est-à-dire d’améliorer
les conditions de vie et de travail des femmes pratiquant un travail sexuel ?
Analyse
Depuis des centaines d’années en Occident, la survie économique des femmes passait en grande
partie soit par le mariage - qui constitue un type de contrat économique ou bien par la vie
religieuse, par le travail comme paysannes ou artisanes, par le travail domestique et... le travail du
sexe. Les moyens de survie étaient particulièrement limités et reflétaient des inégalités profondes
entre les hommes et les femmes. L'exploitation, la violence sexuelle et la pauvreté caractérisaient
une large part du travail et de la vie des femmes. Heureusement, de nos jours, les Québécoises
bénéficient de plus de choix économiques.
Malgré tous les changements des dernières années, les choix de vie et de travail des femmes
demeurent marqués par de profondes inégalités : iniquités salariales, ghettos d’emplois féminins
précaires et sous-payés, intimidation et harcèlement psychologique, etc. Prenons en exemple le
domaine de la couture persistent l’exploitation, la sous-rémunération et le harcèlement sexuel.
Pensons aussi aux femmes cheffes de familles monoparentales qui vivent dans la misère. Sans
oublier, les lesbiennes qui subissent une discrimination énorme dans nos sociétés hétérosexistes
marginalisant diverses formes de sexualité. S'ajoute à tout cela, la conciliation travail-famille ; une
lourde tâche largement assumée par les femmes dans nos sociétés qui leur attribuent encore trop
souvent la responsabilité de l’éducation des enfants et des soins aux proches. Trop de femmes
encore sont battues, humiliées, violées, tuées par des hommes qui leur refusent le droit à
l’autonomie et à l’égalité. Maints exemples de discrimination existent et peuvent constituer 2000
bonnes raisons de marcher !
Cette organisation patriarcale et capitaliste de notre société a également des conséquences sur la
vie des travailleuses du sexe. Face aux pénuries d'emplois, à la précarité et la pauvreté, plusieurs
femmes choisissent de survivre en pratiquant une forme de travail du sexe. Par exemple, une
femme cheffe de famille monoparentale vivant sur l'aide sociale peut parfois y avoir recours pour
boucler les fins de mois. Les motifs économiques ne sont pas les seuls qui amènent des femmes à
devenir travailleuses du sexe mais ils sont importants.
En fait, les travailleuses du sexe sont touchées par les mêmes rapports d’inégalités présents dans
l'ensemble de la société. Cependant, elles les vivent de façon plus aiguë, puisque la société les
méprise, criminalise leur travail et marginalise leur vie.
Pour certaines féministes, dont la majorité des groupes de défense des travailleuses du sexe, la
criminalisation est la source principale d'une discrimination qui maintient et perpétue l'oppression.
Pour elles, la criminalisation et la discrimination créent une sous-classe de femmes que les autres
membres de la société peuvent dénigrer.
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Pour d'autres féministes, l'exploitation du corps des femmes est au cœur de la question. Elles
considèrent que l’intimité des travailleuses du sexe est constamment violée par des hommes qui ont
défini la sexualité féminine en fonction de leurs besoins. Dans cette perspective, le fait d'acheter le
corps d'une femme est un exemple extrême du rapport inégal entre les sexes. Elles espèrent que
dans une société égalitaire, l'industrie du travail du sexe n'aura plus sa place puisque les femmes
seront en mesure de définir leurs besoins et de les combler.
Toutes les femmes sont interpellées par la situation des travailleuses du sexe lourdement
stigmatisées par notre société. Il n'est pas nécessaire pour une femme d'exercer un métier dans
l'industrie du sexe pour être qualifiée de putain ou de salope ”. Nous savons toutes que le
mépris de certains hommes peut les mener à des actes de violence envers n’importe quelle femme.
La criminalisation du travail du sexe cautionne cette violence et cette stigmatisation. La violence
dont sont victimes les travailleuses du sexe concerne toutes les femmes, car c'est en vertu de cette
même stigmatisation que n’importe quelle femme soupçonnée de mœurs douteuses peut encore
voir, aujourd'hui, son témoignage en cour mis en doute en raison de “ son manque de crédibilité ” et
ce, même dans des accusations de voies de fait ou d'agression sexuelle. Nous faisons face à une
division et une hiérarchisation de la sexualité des femmes qui fait en sorte que des milliers de
femmes subissent de la discrimination et voient leur mode de vie criminalisé et judiciarisé.
Sans écarter le débat idéologique autour du travail du sexe, nous croyons qu'il existe un terrain
d'entente sur lequel nous pouvons cheminer. Pour nous, il est extrêmement dangereux pour
l’ensemble des femmes de participer au maintien des divisions entre les travailleuses du sexe et les
autres femmes. Si nous laissons la société décider quelles femmes sont bonnes, méritantes,
acceptables, nous risquons toutes une augmentation de la discrimination, de l'oppression et du
mépris. Les balises patriarcales définissant les standards sont changeantes et elles deviennent
particulièrement inquiétantes dans une période de montée du conservatisme et de la droite. La lutte
des travailleuses du sexe pour le respect de leurs droits fondamentaux est la lutte des toutes les
femmes.
Nous devrons poursuivre nos luttes pour l’élimination de la pauvreté et la violence faite aux femmes
et pour une société fondée sur des valeurs différentes de celles proposées par le capitalisme et le
patriarcat. En conséquence, nous devrons aussi lutter pour améliorer les conditions dans lesquelles
les travailleuses du sexe vivent et exercent leur travail, sans que cela implique de célébrer
l’existence même de ce travail.
Le contexte : la criminalisation, la judiciarisation et la discrimination
Le travail du sexe, en soi, n'est pas illégal au Canada, ce sont certaines pratiques qui sont
sanctionnées par la loi. Le Code criminel incrimine :
1. Le fait de tenir ou de se trouver dans une maison de débauche (a. 210)
L'article 210 empêche la pratique du travail d'escortes à domicile (petites annonces) ; celle
du travail d'escortes et de massages érotiques dans un endroit géré par un groupe de
femmes ou d'autres personnes (les travailleuses ne peuvent donc par porter plainte par
rapport à leurs conditions de travail) ; et la pratique de la danse contact (danse à 10 $), etc.
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