Document de réflexion - Fédération des femmes du Québec

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Le respect des droits fondamentaux des
travailleuses du sexe :
Développer une position féministe
Document de réflexion
Comité sur la violence faite aux femmes
Coalition nationale des femmes contre la pauvreté et la violence
Juin 1999
Table des matières
Introduction ..................................................................................................................................................... 3
Analyse ............................................................................................................................................................. 4
Le contexte : la criminalisation, la judiciarisation et la discrimination ..................................................... 5
Conclusion ....................................................................................................................................................... 7
Proposition de revendication ......................................................................................................................... 8
Annexe 1 : Quelques idées largement répandues sur le travail du sexe et quelques ébauches de
réponses, pour alimenter votre réflexion ..................................................................................................... 9
Contribution ................................................................................................................................................... 14
Introduction
Rappelons d’abord que nous parlons exclusivement du travail du sexe exercé par
des femmes adultes. La question de la prostitution ou d’autres formes de travail
sexuel exécuté par des mineures amène des enjeux différents.
Depuis maintenant vingt ans, les mouvements féministes mondiaux débattent les enjeux du travail
du sexe1 et de la prostitution sans arriver à de réels consensus. Au Québec, les derniers grands
débats se sont déroulés dans les années soixante-dix et ont provoqué une division au sein des
féministes, entre les groupes de défense des travailleuses du sexe et certaines alliées, d'une part, et
la plupart des autres groupes de femmes, d'autre part. Depuis lors, très peu de discussions ont eu
lieu.
Depuis, les groupes de femmes impliqués dans la Marche mondiale des femmes et les travailleuses
du sexe du Québec tentent un rapprochement. Étant préoccupé par la situation de toutes les
femmes, le Comité violence de la Coalition nationale des femmes contre la pauvreté et la violence a
décidé d'aborder cette problématique. Un des objectifs de la Marche est de soutenir les luttes des
femmes particulièrement stigmatisées et discriminées telles que les travailleuses du sexe. Il n’y a
pas unanimité entre les féministes, au Québec comme ailleurs, quant au travail du sexe. Comme
vous le verrez dans ce texte et dans l’annexe, les opinions et analyses divergent énormément quant
à l’explication des origines du travail du sexe et de ses causes, ainsi que de ses répercussions sur
les femmes et les hommes qui le pratiquent ou y ont recours.
Bien que plusieurs femmes ressentent un profond malaise en regard du travail du sexe, elles
demeurent généralement malgré tout solidaires de la situation vécue par les travailleuses
concernées. Nous pensons que l’ambivalence qui traverse le mouvement féministe face au travail
du sexe ne doit pas nous empêcher de travailler à améliorer les conditions de vie de ces
travailleuses par l'apport de nouvelles solutions féministes. Les féministes de toutes allégeances se
sont battues pour le respect des droits fondamentaux de toutes les femmes. Malheureusement des
femmes, encore aujourd’hui, vivent une double ou une triple discrimination, que ce soit à cause de
leur orientation sexuelle, de leur condition physique, de leur origine ethnique, ou du travail qu’elles
exercent, comme c’est le cas des travailleuses du sexe.
La plupart des femmes reconnaissent que la pauvreté et la violence qui caractérisent les conditions
de vie des travailleuses du sexe sont inacceptables. C'est à partir de notre expérience commune,
comme femmes, de la pauvreté et de la violence que nous vous proposons de travailler. Nous (du
Comité violence) croyons indispensable de faire une distinction importante entre les positions que
nous pouvons avoir, toutes et chacune, quant au travail du sexe et les préoccupations que nous
avons face aux conditions de vie et de travail des travailleuses. Nous vous invitons à réfléchir et à
débattre dans cette perspective avec vos amies, vos collègues de travail et les militantes dans vos
organisations. Tous les débats certes nécessaires au sujet du travail du sexe ne se feront donc pas
lors de l'adoption de la revendication pour la Marche québécoise. Nous entamerons la discussion et
1
Définition du travail du sexe : Toute activité où il y a échange d'argent ou de biens (y compris de la drogue)
contre un ou des services sexuels. Le travail du sexe comprend la prostitution de rue, les services d'escortes,
la danse nue, le massage érotique, le téléphone érotique commercial, le fait d'agir à titre de modèle ou
d'actrice pour des photos ou des films érotiques ou pornographiques.
3
nous croyons qu’il est possible d’adopter une revendication pour améliorer les conditions de vie et
de travail des travailleuses du sexe, sans qu’il soit nécessaire d’avoir fini de discuter de toute la
question. En effet, pour nous, le débat principal à cette étape-ci consiste à répondre à la question
suivante : la proposition de revendication, répond-elle à l’objectif poursuivi, c’est-à-dire d’améliorer
les conditions de vie et de travail des femmes pratiquant un travail sexuel ?
Analyse
Depuis des centaines d’années en Occident, la survie économique des femmes passait en grande
partie soit par le mariage - qui constitue un type de contrat économique – ou bien par la vie
religieuse, par le travail comme paysannes ou artisanes, par le travail domestique et... le travail du
sexe. Les moyens de survie étaient particulièrement limités et reflétaient des inégalités profondes
entre les hommes et les femmes. L'exploitation, la violence sexuelle et la pauvreté caractérisaient
une large part du travail et de la vie des femmes. Heureusement, de nos jours, les Québécoises
bénéficient de plus de choix économiques.
Malgré tous les changements des dernières années, les choix de vie et de travail des femmes
demeurent marqués par de profondes inégalités : iniquités salariales, ghettos d’emplois féminins
précaires et sous-payés, intimidation et harcèlement psychologique, etc. Prenons en exemple le
domaine de la couture où persistent l’exploitation, la sous-rémunération et le harcèlement sexuel.
Pensons aussi aux femmes cheffes de familles monoparentales qui vivent dans la misère. Sans
oublier, les lesbiennes qui subissent une discrimination énorme dans nos sociétés hétérosexistes
marginalisant diverses formes de sexualité. S'ajoute à tout cela, la conciliation travail-famille ; une
lourde tâche largement assumée par les femmes dans nos sociétés qui leur attribuent encore trop
souvent la responsabilité de l’éducation des enfants et des soins aux proches. Trop de femmes
encore sont battues, humiliées, violées, tuées par des hommes qui leur refusent le droit à
l’autonomie et à l’égalité. Maints exemples de discrimination existent et peuvent constituer 2000
bonnes raisons de marcher !
Cette organisation patriarcale et capitaliste de notre société a également des conséquences sur la
vie des travailleuses du sexe. Face aux pénuries d'emplois, à la précarité et la pauvreté, plusieurs
femmes choisissent de survivre en pratiquant une forme de travail du sexe. Par exemple, une
femme cheffe de famille monoparentale vivant sur l'aide sociale peut parfois y avoir recours pour
boucler les fins de mois. Les motifs économiques ne sont pas les seuls qui amènent des femmes à
devenir travailleuses du sexe mais ils sont importants.
En fait, les travailleuses du sexe sont touchées par les mêmes rapports d’inégalités présents dans
l'ensemble de la société. Cependant, elles les vivent de façon plus aiguë, puisque la société les
méprise, criminalise leur travail et marginalise leur vie.
Pour certaines féministes, dont la majorité des groupes de défense des travailleuses du sexe, la
criminalisation est la source principale d'une discrimination qui maintient et perpétue l'oppression.
Pour elles, la criminalisation et la discrimination créent une sous-classe de femmes que les autres
membres de la société peuvent dénigrer.
4
Pour d'autres féministes, l'exploitation du corps des femmes est au cœur de la question. Elles
considèrent que l’intimité des travailleuses du sexe est constamment violée par des hommes qui ont
défini la sexualité féminine en fonction de leurs besoins. Dans cette perspective, le fait d'acheter le
corps d'une femme est un exemple extrême du rapport inégal entre les sexes. Elles espèrent que
dans une société égalitaire, l'industrie du travail du sexe n'aura plus sa place puisque les femmes
seront en mesure de définir leurs besoins et de les combler.
Toutes les femmes sont interpellées par la situation des travailleuses du sexe lourdement
stigmatisées par notre société. Il n'est pas nécessaire pour une femme d'exercer un métier dans
l'industrie du sexe pour être qualifiée de “ putain ” ou de “ salope ”. Nous savons toutes que le
mépris de certains hommes peut les mener à des actes de violence envers n’importe quelle femme.
La criminalisation du travail du sexe cautionne cette violence et cette stigmatisation. La violence
dont sont victimes les travailleuses du sexe concerne toutes les femmes, car c'est en vertu de cette
même stigmatisation que n’importe quelle femme soupçonnée “ de mœurs douteuses ” peut encore
voir, aujourd'hui, son témoignage en cour mis en doute en raison de “ son manque de crédibilité ” et
ce, même dans des accusations de voies de fait ou d'agression sexuelle. Nous faisons face à une
division et une hiérarchisation de la sexualité des femmes qui fait en sorte que des milliers de
femmes subissent de la discrimination et voient leur mode de vie criminalisé et judiciarisé.
Sans écarter le débat idéologique autour du travail du sexe, nous croyons qu'il existe un terrain
d'entente sur lequel nous pouvons cheminer. Pour nous, il est extrêmement dangereux pour
l’ensemble des femmes de participer au maintien des divisions entre les travailleuses du sexe et les
autres femmes. Si nous laissons la société décider quelles femmes sont bonnes, méritantes,
acceptables, nous risquons toutes une augmentation de la discrimination, de l'oppression et du
mépris. Les balises patriarcales définissant les standards sont changeantes et elles deviennent
particulièrement inquiétantes dans une période de montée du conservatisme et de la droite. La lutte
des travailleuses du sexe pour le respect de leurs droits fondamentaux est la lutte des toutes les
femmes.
Nous devrons poursuivre nos luttes pour l’élimination de la pauvreté et la violence faite aux femmes
et pour une société fondée sur des valeurs différentes de celles proposées par le capitalisme et le
patriarcat. En conséquence, nous devrons aussi lutter pour améliorer les conditions dans lesquelles
les travailleuses du sexe vivent et exercent leur travail, sans que cela implique de célébrer
l’existence même de ce travail.
Le contexte : la criminalisation, la judiciarisation et la discrimination
Le travail du sexe, en soi, n'est pas illégal au Canada, ce sont certaines pratiques qui sont
sanctionnées par la loi. Le Code criminel incrimine :
1.
Le fait de tenir ou de se trouver dans une maison de débauche (a. 210)
L'article 210 empêche la pratique du travail d'escortes à domicile (petites annonces) ; celle
du travail d'escortes et de massages érotiques dans un endroit géré par un groupe de
femmes ou d'autres personnes (les travailleuses ne peuvent donc par porter plainte par
rapport à leurs conditions de travail) ; et la pratique de la danse contact (danse à 10 $), etc.
5
2.
le fait de mener ou de transporter quelqu'un vers une maison de débauche (a. 211) ;
L'article 211 peut condamner, par exemple, un chauffeur de taxi, simplement parce qu’il
transporte une personne vers un salon de massage, le domicile d'une escorte ou un bar de
danse contact.
3.
le fait d'induire une personne à se livrer à la prostitution ou de vivre entièrement ou en partie
des fruits de la prostitution d'autrui (a. 212) ;
L'article 212 condamne l'ensemble des relations affectives et d'affaires des travailleuses du
sexe (enfants, chums, blondes, employeur-e-s, gérant-e-s, etc.) et ne permet pas aux
femmes d'organiser leur milieu de travail de façon sécuritaire.
4.
le fait de communiquer avec une autre personne, dans un endroit public, dans le but de se
livrer à la prostitution (a. 213).
L'article 213 a comme conséquence de rendre la pratique de la prostitution de rue plus
dangereuse puisqu'elle doit être davantage cachée.
Ces dispositions du Code criminel criminalisent principalement les femmes qui pratiquent une forme
ou une autre de travail du sexe ainsi que leurs relations d'affaires et leurs relations affectives. Cette
criminalisation se traduit par des activités de répression quotidiennes (dont ne sont pas exclues la
violence et la brutalité policière) : les arrestations, les détentions, les poursuites en justice, les
amendes, les restrictions de quadrilatère, etc.
Les policiers utilisent également des règlements municipaux et des lois provinciales (par exemple,
le Code de la route) contre les travailleuses du sexe : interdiction de solliciter et de pratiquer des
activités commerciales sur la rue ; interdiction pour un piéton de traverser la rue sur un feu rouge ;
interdiction de marcher en bas du trottoir ; port de la ceinture de sécurité obligatoire, etc. Ces
infractions sont surtout attribuées aux prostituées de rue et aux “ squeegees ”. Il est plutôt rare qu'un
piéton reçoive une contravention pour avoir marché en bas du trottoir, mais c’est une pratique
courante envers les prostituées. C'est une pratique manifestement discriminatoire à l’égard des
travailleuses du sexe. L'accumulation des contraventions et leur non-paiement mènent à
l'arrestation, la judiciarisation et la détention des travailleuses du sexe. Le simple fait que la section
de la police qui s'occupe du travail du sexe se nomme encore “ L'escouade de la moralité ” nous
indique la perception patriarcale des corps policiers.
L’accès à la protection de la police cause également problème pour les travailleuses du sexe. Les
femmes ayant des contraventions non-payées ou qui ont un mandat d’arrestation contre elles ne
demandent que rarement de l’aide à la police quand elles subissent de la violence. Si elles portent
plainte, elles sont souvent arrêtées. Même celles qui n’ont pas de mandat d’arrestation contre elles
ne demanderont pas de l’aide de la police puisqu’elles se sentiront obligées de dévoiler leurs
activités illégales. Le fait de travailler dans l’illégalité les rend particulièrement vulnérable. De plus,
les travailleuses du sexe font face, comme toutes les femmes, aux problèmes reliés à la mentalité
concernant la violence faite aux femmes. Il n’est pas rare que des policiers affirment que les
travailleuses du sexe courent après des problèmes, qu’elles devraient s’attendre à subir de la
violence ou qu’elles cherchent du “ trouble ”. Cet argument sert aussi à dire, par exemple, qu’une
femme victime d’une agression sexuelle et portant une jupe courte la méritait.
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Les travailleuses du sexe font face aussi à des services sociaux, juridiques et de santé qui ne
veulent pas toujours les servir ou qui ont des attitudes discriminatoires à leur égard. Il arrive que les
hôpitaux refusent de traiter une travailleuse du sexe parce qu’elle est toxicomane. En cour, certains
juges sont connus pour le mépris qu’ils peuvent avoir pour les travailleuses du sexe. Qu’elles soient
témoins ou accusées, les femmes subissent les conséquences des préjugés : crédibilité remise en
question, attitude méprisante envers elles, etc. Enfin, il n’est pas rare que les travailleuses du sexe
rencontrent des problèmes de discrimination en logement. Lorsqu’un propriétaire découvre que sa
locataire est travailleuse du sexe, il prend parfois tous les moyens pour l’évincer du logement en
l’accusant par exemple de faire trop de bruit ou de posséder des animaux.
Conclusion
La criminalisation et la judiciarisation des travailleuses du sexe contribuent à la détérioration de
leurs conditions de vie et aggravent leur situation de pauvreté et de violence. Pour nous au comité
violence de la Coalition nationale des femmes, il est temps que le mouvement des femmes
s’intéresse à la défense des droits fondamentaux des travailleuses du sexe à l’égalité, à la dignité et
à la sécurité.
7
Proposition de revendication
La décriminalisation versus la légalisation
La décriminalisation signifie le retrait des articles 210-213 du Code criminel (ceux concernant le
travail du sexe). Des groupes féministes comme le Comité canadien d’action sur le statut des
femmes et la Société Élizabeth Fry ont pris position en faveur de la décriminalisation des
travailleuses du sexe. Il s’agit, pour ces groupes, d’un moyen de protéger les travailleuses du sexe
contre l’emprisonnement, la pauvreté accrue et la marginalisation. De plus, si les travailleuses du
sexe ne couraient aucun risque d’accusation criminelle, elles seraient plus portées à dénoncer la
violence exercée contre elles par les clients, la police ou les conjoints.
La légalisation du travail du sexe signifie la réglementation ou la régulation. Ce système se
caractérise souvent par l’enregistrement des travailleuses du sexe au service de police, l’obligation
d’exercer leur travail avec un permis et un contrôle médical obligatoire. La légalisation est contrôlée
par l’État, et, en terme concret, elle prend la forme de “ maisons de prostitution ” ou de quartiers
réservés, style “ red light ”. Cette approche considère le travail du sexe comme un mal nécessaire
sinon comme une nécessité sociale.
La plupart des groupes de défense des travailleuses du sexe sont farouchement opposés à la
légalisation. Ils craignent notamment la création d’un double standard : d’un côté les travailleuses
du sexe légales, munies d’un permis émis par le gouvernement et, de l’autre, celles qui ne se
conforment pas aux règles et qui pratiquent leur travail dans la marginalité, aggravant ainsi leur
vulnérabilité.
Ils invoquent aussi que la légalisation entraînerait que l’État, en contrôlant les maisons de
prostitution, ou encore en tirant profit des bénéfices du travail sexuel tende à devenir lui-même une
sorte de proxénète (pimp).
La déjudiciarisation signifie que l’État lance le mot d’ordre aux corps policiers et aux municipalités
que les travailleuses du sexe ne doivent pas être harcelées en raison de leur travail au nom du Code
de la route ou d’autres lois et règlements.
La proposition de revendication du Comité violence à la Coalition nationale des femmes contre la
pauvreté et la violence pour la Marche québécoise des femmes est la suivante :
la décriminalisation et la déjudiciarisation du travail du sexe2.
Le débat sur cette proposition aura lieu à la première rencontre de la Coalition nationale au début de
l'automne.
2
Il est à noter que les articles de loi touchés par la décriminalisation du travail du sexe ne concernent
aucunement la pornographie. La pornographie est régie dans le Code criminel par un article sur l’obscénité.
L'appui à la décriminalisation et à la déjudiciarisation du travail du sexe ne touche donc pas la question de la
pornographie.
8
Annexe 1
Quelques idées largement répandues sur le travail du sexe et quelques
ébauches de réponses, pour alimenter votre réflexion

Le travail du sexe, notamment la prostitution, est le plus vieux métier du monde
Il existe plusieurs analyses féministes différentes sur les origines du travail du sexe. Et très souvent
ces analyses se chevauchent en partie. Il n’y a pas de noir et blanc pour expliquer un tel
phénomène. Nous avons choisi de vous résumer très succinctement les deux tendances principales
à l’intérieur du mouvement féministe, mais en vous invitant à garder en mémoire que plusieurs
nuances s’imposent et que ces analyses ne se coupent pas au couteau :
1.
Selon une première analyse, issue de certains milieux féministes, le travail du sexe sera là
tant et aussi longtemps que l’inégalité entre les sexes existera. Le travail du sexe est aussi vieux
que la domination masculine. La très grande majorité des personnes qui exercent ce travail sont des
femmes, et la majorité d’entre elles sont pauvres, immigrantes, ou des femmes originaires des pays
du Sud qui sont plus pauvres que les pays du Nord. Ce n’est pas un hasard si celles qui offrent des
services sexuels font partie des rangs marginalisés de la société et ceux qui en “ achètent ” font
partie de la classe qui a un statut supérieur : des hommes souvent blancs qui disposent de certaines
moyens financiers. Dans un contexte d’injustice sociale, les femmes (surtout celles vivant une
double discrimination) n’ont pas beaucoup de choix économiques et le travail du sexe est parfois
une solution pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants. Malgré ce “ refus ” ou ce
questionnement du travail du sexe, ses tenantes sont souvent sensibles aux problèmes de violence
et de pauvreté vécues par les travailleuses et sont favorables à la décriminalisation.
2.
Selon un deuxième courant, issu le plus souvent des regroupements de travailleuses du
sexe, le travail du sexe, notamment la prostitution, existe depuis plusieurs siècles. Ses diverses
manifestations ont été décrites depuis l’Antiquité et depuis, presque toutes les sociétés ont tenté
d’en limiter la pratique, voire de le contrôler via diverses réglementations. De façon générale, ces
réglementations ont du même coup défini les comportements sexuels des femmes, et départagé
ces comportements entre ceux qui sont socialement acceptables et ceux qui ne le sont pas. La
criminalisation du travail du sexe continue de renforcer cette division morale et traditionnelle de la
sexualité des femmes : entre “ bonne femme ” (épouse, mère) versus “ mauvaise femme ”
(lesbienne, putain, prostituée, travailleuse du sexe) .
Les tenantes du deuxième courant revendiquent que l’on reconnaisse que les femmes qui
pratiquent le travail du sexe sont autonomes, courageuses, dignes et fières. Très souvent, elles ne
se reconnaissent pas dans ce qu’elles perçoivent comme un portrait de “ victimes ”, et contestent
les jugements moraux à l’égard de leur travail.
Selon leurs informations, au cours des cinquante dernières années, le travail du sexe s’est diversifié
et l’on retrouve maintenant, outre la pratique de la prostitution, des milliers de femmes qui, au
Québec, exercent les métiers de danseuses nues, escortes, masseuses érotiques, etc. Les
travailleuses concernées proviennent de milieux socio-économiques et culturels divers. Si plusieurs
9
sont issues de milieux défavorisés, ce n’est pas le cas de toutes. Parmi les travailleuses du sexe on
rencontre des mères de familles monoparentales, des étudiantes, des travailleuses de divers
domaines qui désirent arrondir leurs fins de mois et s’offrir des petits “ extras ”.
Pour la plupart des travailleuses du sexe, la motivation première pour pratiquer une forme ou une
autre de ce travail est économique. Le travail du sexe représente souvent pour elles une opportunité
d’accéder à un revenu décent.
Elles reconnaissent que l’industrie du sexe est traversée par les mêmes rapports inégaux entre
hommes et femmes que dans le reste de la société. En effet, les hommes sont propriétaires et
gérants de la majorité des bars, agences, hôtels et commerces où se pratique une forme ou une
autre de travail du sexe tandis que les femmes forment la plus grande partie de la main-d’œuvre de
ces établissements. Par ailleurs, même si de plus en plus de femmes consomment des services
sexuels et du matériel érotique, les hommes forment encore la majeure partie de la clientèle de
l’industrie.

Le travail du sexe est un métier comme les autres
Ici aussi, on retrouve plusieurs analyses féministes différentes, avec des tendances principales qui
recoupent les analyses présentées plus haut:
1. Selon la première tendance, le travail du sexe n’est pas un métier comme les autres parce qu’il
renforce des rôles sexuels traditionnels et stéréotypés qui réduisent les femmes à des objets
sexuels. Le travail du sexe perpétue une vision de la sexualité définie par les hommes dans un
contexte social où les femmes sont traditionnellement leur propriété. Dans cette perspective, quand
nous réussirons à vivre réellement d’autres modèles de rapports hommes-femmes, fondés sur
l’égalité et quand l’expression de la sexualité sera définie tant par les femmes que par les hommes,
cette institution n’existera peut-être plus.
2. Pour les tenantes de la deuxième tendance, les femmes qui font métier du sexe ne verront pas
leurs droits comme femmes, travailleuses et citoyennes reconnus tant et aussi longtemps que l’État
continuera à criminaliser leurs activités. Selon elles, c’est la criminalisation du travail du sexe qui
perpétue une division traditionnelle et stéréotypée des femmes et de leur sexualité. Les femmes ne
pourront pas prétendre à une pleine autonomie sur leur corps et leur sexualité tant et aussi
longtemps que l’État criminalisera une catégorie de femmes et que socialement nous tolérerons que
leurs droits humains les plus fondamentaux soient bafoués et que des actes de violence soient
commis à leur endroit. Selon elles, l’autonomie des femmes comprend aussi la liberté d’échanger
des services sexuels contre rémunération sans crainte du mépris social, de la répression et de la
violence institutionnalisée.

Toutes les travailleuses du sexe ont des proxénètes (pimps)
L’image populaire du proxénète réfère à un homme, souvent violent, qui contrôle une ou plusieurs
travailleuses du sexe et qui vit des revenus du travail du sexe effectué par ces femmes. Au Québec,
cette image populaire est d’abord et avant tout un mythe. En effet, la grande majorité des femmes
10
qui pratiquent le travail du sexe travaillent sans la présence d’un souteneur, et gèrent elles-mêmes
leurs revenus.
D’autres travailleuses du sexe choisissent de tisser des liens d’affaires avec des hommes ou
d’autres femmes, afin d’assurer leur sécurité et pour les tirer d’affaires en cas de pépins (paiement
des amendes et des cautions en cas d’arrestation ou d’emprisonnement, transport etc.). C’est le cas
de quelques prostituées de rue et des travailleuses du sexe qui choisissent de travailler pour des
agences d’escortes par exemple. La criminalisation du travail du sexe étant la principale cause des
problèmes d’insécurité et de violence vécus par les travailleuses du sexe, sa décriminalisation
réduirait une grande partie de ces besoins de protection.
Par ailleurs, les travailleuses du sexe considèrent souvent que les villes et l’État sont les pimps les
plus importants, contrôlant les travailleuses du sexe et prélevant une grande partie de leurs salaires
par l’entremise des permis, amendes et cautions à payer régulièrement.
Tout comme beaucoup d’autres femmes, il arrive que des travailleuses du sexe vivent des situations
de violence dans le cadre de leur travail, mais aussi à l’intérieur de leurs relations affectives et
amoureuses. Différentes formes de violence et de contrôle peuvent prendre place : violence
verbale, physique, sexuelle, prise de contrôle de ses revenus. Cependant quand elles désirent
obtenir la protection ou l’intervention de la police ou du système de justice, elles se heurtent à un
mur de préjugés et de résistance.
Pourquoi cette différence de traitement ? C’est la violence qui est problématique et non pas la
source des revenus des femmes violentées. Bien que les lois criminalisant la violence soient
imparfaites, elles doivent offrir une protection efficace à toutes les femmes, y compris les
travailleuses du sexe. Ce n’est certainement pas la criminalisation du proxénétisme qui les protège
contre les abus et la violence.
Le travail du sexe ne va pas nécessairement de pair avec l’utilisation de la violence, la
séquestration, les voies de fait et l’agression. Mais si tel est le cas, il existe, au Québec, des lois qui
doivent servir à protéger les femmes.

Il ne faudrait plus criminaliser les travailleuses du sexe mais par contre il faudrait
criminaliser plus durement les clients.
En continuant à criminaliser la consommation de services sexuels, l’industrie du sexe continuerait
de fonctionner dans l’illégalité. Par le fait même, aucun des problèmes d’insécurité auxquels font
face les travailleuses du sexe ne serait résolu puisqu’elles seraient maintenues dans une situation
où elles devraient cacher leurs pratiques ou les rendre les plus discrètes possibles.
Et, après tout, pourquoi criminaliser les clients ? Espère-t-on que la répression va réellement les
empêcher de recourir aux services d’une travailleuse du sexe ? Veut-on les “ punir ” et si oui, la
prison est-elle vraiment la “ punition ” appropriée ? Ne devrait-on pas, plutôt, chercher à
comprendre pourquoi des hommes, en apparence, “ bons époux, bons pères de famille et bons
citoyens ” recourent aux services de travailleuses du sexe ? Et pourquoi des femmes commencent
aussi à pratiquer certaines formes de tourisme sexuel ?
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
Toutes les travailleuses du sexe sont des droguées, n’ont pas de valeurs et transmettent
le SIDA et les MTS… bref, elles ne sont pas “ correctes ”
D’abord, tout comme l’ensemble des hommes et des femmes, les travailleuses du sexe ne sont pas
parfaites. Plusieurs d’entre elles ont parfois un problème de surconsommation de drogues ou
d’alcool. Elles doivent se préoccuper de la transmission de maladies transmissibles sexuellement.
Et elles ont à faire des choix en fonction de leurs valeurs. Les travailleuses du sexe sont des
femmes comme les autres : elles sont parfois mères et elles ont les mêmes rêves que les autres
femmes. Que l’on aime ou non leur choix de vie, toute personne a droit au respect, à la dignité, à
une vie privée.
Chaque femme connaît des ami-e-s, des membres de sa famille, des personnalités du monde
artistique, sportif ou politique ainsi que des professionnel-le-s qui ont ou qui ont déjà eu des
problèmes de consommation abusive de drogues (et/ou d’alcool). L’alcoolisme et la toxicomanie
représentent de sérieux problèmes individuels et sociaux mais ils ne sont pas la chasse gardée des
travailleuses du sexe.
Dans le Rapport Fraser (un rapport d’enquête sur la pornographie et la prostitution, effectué en 1985
par le gouvernement canadien), il a clairement été établi que les prostituées sont le groupe de la
population qui prend le plus de précautions lors des relations sexuelles. Parfois, des clients offrent
plus d’argent aux femmes pour avoir des relations non-protégées; celles qui sont toxicomanes sont
plus vulnérables à ces demandes, mais ce sont elles qui sont le plus souvent en danger, davantage
que le client.
La majorité des travailleuses du sexe sont conscientes des dangers reliés à leur métier, tels les
risques de violence et de maladies. Elles ont donc adopté (et ce bien avant l’apparition du sida) des
comportements sécuritaires. Malheureusement la criminalisation limite certaines des mesures de
protection qu’elles peuvent mettre en place, les clients les sachant vulnérables devant les policiers
par exemple.

Les hommes ont une très forte libido, ne sont pas capables de la contrôler et les services
sexuels comblent ce besoin
Ce mythe sert bien les hommes qui choisissent de s’en servir ! Il est à la base de la justification de
l'existence du travail du sexe, des agressions sexuelles… C'est une attitude qui découle d'une
vision de la sexualité conçue par et pour les hommes. Non seulement, il est faux que les hommes ne
puissent pas se contrôler mais ce mythe est extrêmement méprisant à leur égard. De plus, il les
déresponsabilise face à la violence sexuelle et condamne les femmes en invoquant leur
habillement, leurs sorties seules ou tardives, leurs attitudes soi-disant provocantes, etc. D’après ce
mythe les femmes n'ont pas autant de désir sexuel que les hommes; conséquemment, ils doivent
avoir recours aux services sexuels offerts par une autre classe de femmes: les “ putes ”. Ce mythe
sous-estime les besoins sexuels des femmes, leur volonté de dépasser les stéréotypes et leur désir
de vivre librement une sexualité égalitaire.

Le travail sexuel est une forme de prévention de violence conjugale; s'il y n'en avait pas,
les hommes seraient plus violents envers les femmes
12
Il n’existe aucune preuve que la consommation des services sexuels contribue à prévenir ou
diminuer la violence conjugale. Propager ce mythe revient à dire que les hommes violents envers
leur conjointe excuseraient leur comportement en invoquant des difficultés dans leurs rapports
sexuels. Or nous savons que rien n’est moins vrai. La violence conjugale trouve sa source dans un
profond mépris des femmes, un refus de les considérer comme des égales et une volonté derme de
les contrôler. Nous savons, par ailleurs, que les femmes qui font de la prostitution de rue sont
victimes d'agressions physiques et sexuelles environ dix fois par année et leur statut marginal
(criminel) leur enlève la protection de la police et la possibilité d'exercer leurs droits. Est-ce cela que
l’on veut vraiment : des femmes que les hommes ont la permission de dénigrer, violer et violenter au
nom de la protection des autres femmes ? La violence à l’égard des femmes doit être jugée
inacceptable pour l'ensemble des femmes.
13
Contribution
Rédaction :
Alexa Conradi, Michelle Roy, Claire Thiboutot
Correction :
Catherine Boucher
Avec la collaboration des membres du comité violence de la Coalition nationale des femmes contre
la pauvreté et la violence :
Fabienne Thibert
Odette Pouliot
Mireille Brais
Sylvie Desbiens
Louise Riendeau
Carole Tremblay
Patricia Rossy
Sappho Morissette
Remerciements :
Lise Lamontagne
Anick Druelle
Nicole Kennedy
France Bourgault
Manon Massé
Louisette Laforest
Françoise David
Diane Yaros
Centre d’éducation et d'action des femmes et Stella pour nous avoir laissé reproduire des extraits de
leurs documents
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