Quelques thèmes philosophiques dans la littérature latine Les

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Quelques thèmes philosophiques dans la littérature latine
Les thèmes de la réflexion philosophique occupent une place
particulièrement importante dans la littérature latine, sans doute parce que la
philosophie offre aux penseurs et aux écrivains des références et des
possibilités d’approfondissement que la religion, essentiellement rituelle au
moins dans ses aspects officiels, ne leur propose pas. C’est dans les écoles
philosophiques (sectae) qu’on trouve des attitudes qui pour nous
appartiennent plutôt au domaine religieux : l’adhésion à un véritable credo, la
soumission à un mode de vie conforme aux principes de l’école, la
vénération pour un maître. Et puis, dans la mesure où la maîtrise de la
parole joue dans la cité un rôle essentiel, c’est dans la philosophie et le
procès qu’elle instruit contre la rhétorique, maîtresse de mensonge, que
l’apprenti orateur cherche les sujets de ses développements et une réflexion
sur son art. Cicéron a eu le rôle capital de faire du latin une langue capable
d’exprimer la réflexion philosophique mais l’orientation de sa pensée est
plutôt humaniste que philosophique. Lucrèce pour l’épicurisme, Sénèque
pour le stoïcisme, sont des maîtres importants mais, pour l’essentiel, la
philosophie est grecque.
Étapes de l’histoire de la philosophie
1/ les physiciens ou présocratiques
Nous ne connaissons les premiers philosophes qu’à travers les citations
quelquefois énigmatiques qu’en ont fait leurs successeurs après Socrate. La
philosophie naît avec Thalès de Milet autour d’une interrogation sur le
monde : de quoi le monde est-il fait ? Quelle est la cause qui explique son
existence ? Et très vite, cette première interrogation en entraîne une
seconde : l’homme peut-il connaître la vérité du monde ? Il le peut dit
Parménide et avec lui l’école d’Élée en Italie, à condition de se détourner de
tout ce qui change et de contempler l’être immuable. Il ne le peut pas,
répond Héraclite d’Éphèse, car tout est changement incessant et vertige.
Pythagore qui invente le mot philosophe voit dans les nombres l’élément
stable qui permet de rendre compte de l’univers et de son harmonie. Le
monde est une musique. L’homme peut parvenir à l’harmonie intérieure par
une vie toute vouée à la méditation de l’harmonie universelle.
Empédocle d’Agrigente pense que l’univers est fait de quatre éléments
(la terre, l’eau, l’air et le feu), successivement soumis à une force qui les
conduit à se mêler : l’Amour et à une force qui les sépare : la Discorde.
Démocrite pense que la matière est faite de particules indivisibles dont
les combinaisons constituent le monde que nous percevons.
Anaxagore enfin dont Socrate a suivi l’enseignement pense que l’univers
est un grand vivant soumis à une puissance intelligente : le Nous, l’Esprit,
comme le corps est soumis à l’âme.
2/ Socrate
Née aux deux extrémités du monde grec : en Asie mineure (Thalès,
Héraclite en Italie (Parménide et Pythagore) et en Sicile (Empédocle), la
philosophie élit domicile à Athènes pour un siècle et demi. Cela commence
par une crise : en même temps que s’épanouit à Athènes au temps de
Périclès (dans les années 450) la démocratie, des hommes, les sophistes,
partant de l’idée que la vérité est inconnaissable, que l’homme ne saurait
sortir de sa subjectivité et que l’important n’est pas d’avoir raison mais de
faire croire qu’on a raison, se font fort de démontrer tout et son contraire.
Un homme se dresse en face d’eux : Socrate. Il n’écrit pas, ne fait pas de
conférences, mais sur l‘agora, interroge les hommes qu’il rencontre, surtout
ceux qui sont convaincus de leur propre savoir et les oblige peu à peu par
ses questions à reconnaître qu’ils ne savent rien, mais qu’ils peuvent
apprendre à condition de se débarrasser des opinions, des idées toutes
faites.
Malgré les apparences, Socrate n’est nullement un nihiliste provocateur.
Comme Anaxagore, il croit à l’ordre et à l’harmonie du monde mais l’homme
ne peut parvenir à la sagesse sans entreprendre humblement d’apprendre à
bien conduire sa pensée. Cet apprentissage est d’autant plus important que
Socrate croit que c’est toujours par ignorance qu’on fait le mal. Être homme,
c’est se servir de la raison. Humilité intellectuelle et courage : Socrate
accepte une condamnation à mort injuste, par obéissance aux lois de la cité.
3/ Platon et l’Académie
Disciple de Socrate, il garde de lui l’exigence intellectuelle et le souci de
rechercher la vérité, mais sa pensée est dominée par l’opposition entre le
devenir et l’être, l’apparence et la réalité. Il existe une réalité harmonieuse et
éternelle, le monde des formes ou des idées, modèles de tout ce qui existe
mais nous n’en percevons que l’image, le reflet comme les prisonniers
enfermés dans une caverne et qui ne connaîtraient du monde que ce qui se
reflète sur la paroi du fond de la caverne. Ainsi, le monde visible participe à
l’éternité stable de l’être tout en étant emporté par le flux du devenir. Parce
que l’âme préexiste au corps et a contemplé les idées éternelles), elle peut
retrouver à travers le monde visible l’image de ce qu’elle a vu avant de
s’incarner (réminiscence) mais la connaissance humaine est dans bien des
domaines approximative et la vérité ne peut être atteinte que par une
démarche métaphorique et analogique. Le philosophe passe à travers les
apparences pour essayer d’atteindre l’être ou se détourne des apparences
pour contempler la vérité immuable. Les apparences et le corps sont une
prison auxquelles l’âme cherche à échapper à travers les réincarnations. A
bien des égards, Platon est dans la filiation de Pythagore. Platon fonde une
école, l’Académie. Chaque école philosophique est désignée par le lieu de
son enseignement.
1 Thèmes philosophiques
4/ Aristote et le Lycée
Élève de Platon qui l’avait surnommé « l’Intelligence », il refuse le divorce
entre les apparences et l’être. Le monde est inséparablement devenir et
stabilité, stabilité d’une intelligence qui dirige le monde, montée vers l’ordre
et l’harmonie. Le devenir n’est pas un déficit d’être, mais l’épanouissement
de la réalité, comme la plante et la fleur sont l’épanouissement de la graine.
Aristote continue Anaxagore.
Platon et Aristote sont deux géants de la pensée mais la postérité de leur
œuvre est fort différente. La pensée platonicienne a une influence
considérable mais diffuse. C’est au-delà des temps classiques qu’elle
retrouvera une très grande influence.
Quant à Aristote, beaucoup de ses œuvres majeures ne sont pas
connues dans l’antiquité. C’est au Moyen Age et par l’intermédiaire de
traductions arabes de ses œuvres qu’elle inspirera la philosophie de saint
Thomas d’Aquin, pour qui Aristote est « le Philosophe ».
5/ les philosophies hellénistiques : le Jardin et le Portique
Deux écoles dominent le champ de la pensée après Alexandre. Elles
s’opposent à Platon, comme à Aristote. Elles ont en commun de refuser le
dualisme, matière et esprit opposés chez Platon, unis chez Aristote.
L’épicurisme (ou philosophie du Jardin) fondé par Épicure : il n’y a
aucune intelligence qui présiderait à un ordre du monde. L’univers est tout
entier soumis au hasard et à la nécessité. La connaissance n’est que
l’impression dans l’âme des images des choses et l’homme trouve la
sagesse et le bonheur dans une gestion intelligente du plaisir.
En réaction à l’épicurisme, le stoïcisme (ou philosophie du Portique) : le
monde est tout entier un ordre intelligent et le sage est celui qui fait coïncider
sa propre pensée et l’ordre du monde.
Face à ces pensées dogmatiques et systématiques, le scepticisme ou
pyrrhonisme qui conteste absolument la possibilité de parvenir à la vérité.
Mais le scepticisme ne constitue pas une école à proprement parler, d’autant
plus que bien des positions sceptiques ont été utilisées par l’académie dans
sa lutte contre les dogmatismes.
Quelques grands thèmes
Le monde. L’éternel retour. Le cosmos.
La première question philosophique, celle que pose Thalès : de quoi le
monde est-il fait ?
Une conviction commune : le monde n’a ni commencement ni fin. L’idée
de création ex nihilo est étrangère au paganisme antique. Donc ou bien
l’écoulement du temps n’a aucun sens : c’est la chute éternelle des atomes,
comme une chute de neige qui n’aurait ni commencement ni fin. Les atomes
s’entrechoquent et leur agglomération crée un univers provisoire. C’est ce
que pensent les épicuriens.
Ou bien l’histoire éternelle du monde est une alternance de phases
d’ordre et de désordre, alternance éternelle. Au bout d’un cycle, tout
recommence : c’est le thème de l’éternel retour, un peu comme un cinéma
permanent (Empédocle) vision reprise par les stoïciens qui pensent l’histoire
du monde à travers le mythe des âges métalliques qui représentent l’histoire
comme une décadence qui se termine par une conflagration universelle
(l’ecpyrose).
Pour la plupart des intelligences, la contemplation de l’univers suscite
l’admiration devant un ordre parfait et beau. Les étoiles sont des vivants
divins dont le mouvement est circulaire, c’est-à-dire parfait. On oppose
quelquefois l’ordre parfait du cosmos au désordre du monde humain, le
monde sublunaire. Même dans une perspective platonicienne où le monde
visible n’est qu’une image confuse des réalités invisibles, le ciel est l’image
la plus proche des réalités immuables et le sage par la contemplation s’élève
jusqu’à la sérénité parfaite.
Opinion et vérité
Il y a quelque chose de fondamentalement aristocratique dans la pensée
antique. Bien des écoles opposent le petit nombre des vrais savants et des
sages à la foule ignorante tout entière emportée par l’opinion et incapable
d’atteindre la vérité. De ce point de vue, épicurisme et stoïcisme se
ressemblent : Lucrèce représente le Sage comme contemplant depuis la
terre ferme les vaines agitations des hommes ballottés par les rêves
illusoires des passions. Pour le stoïcien, tout homme qui n’est pas sage est
criminel, fou et esclave. Dans l’opposition fondamentale entre l’être et le
devenir, la stabilité et le changement, la réalité et l’apparence, la foule des
stulti est toute du côté de l’apparence et du faux semblant. Elle ne connaît ni
le bien ni le mal, car elle est livrée à la subjectivité des passions, proie pour
les démagogues et les manipulateurs.
On distinguera soigneusement les tendances naturelles qui peuvent
représenter une sorte de forme inconsciente de la sagesse (le Sage retrouve
consciemment les mouvements spontanés de l’enfant) et les attitudes
sociales qui sont perverties.
Face à la crise de la sophistique et des maîtres du langage qui se font
fort de démontrer avec un égal pouvoir de persuasion une chose et son
contraire, Socrate contraint chacun à reconnaître son ignorance et à prendre
le chemin de la vérité par la recherche de définitions exactes. Ainsi naît la
logique qui entend établir dans quelles conditions le langage qui peut servir
au mensonge permet de parvenir à la vérité.
2 Thèmes philosophiques
La puissance des passions, le char de l’âme et le tyran
Si la foule vit dans le mensonge, c’est qu’elle est toute entière livrée aux
passions, à la peur, à la colère, au désir. L’âme dit Platon est comme un
char tiré par deux chevaux : un cheval blanc qui représente les passions
nobles, le désir d’honneur et de gloire, et un cheval noir qui représente les
passions basses, celles du ventre et du corps en général. Ce char a un
cocher, un aurige. L’âme bien dirigée est celle dont le cocher est le maître
de son attelage qu’il conduit où il veut. L’âme mal dirigée est celle dont le
cocher est trop faible, incapable de maîtriser l’attelage qui l’entraîne à sa
perte.
Si l’on songe qu’il y a une sorte d’équivalence entre la vie intérieure d’un
homme particulier et une communauté humaine, on voit que la société
harmonieuse est celle où la foule est soumise à l’individu ou au petit groupe
de ceux qui sont maîtres de leurs passions.
Mais la société peut être dominée par un homme qui par la démagogie et
la terreur s’est imposé à ses concitoyens. C’est le tyran. Il représente le
contraire exact du Sage, le mal absolu. Il réduit ses concitoyens en
esclavage, mais en fait il est lui-même esclave des ses propres passions. Il
est un être monstrueux et un malheureux qui, si on ne peut le ramener à la
raison, ne peut être délivré de lui-même que par l’assassinat. La littérature
se réfère souvent à ces tyrans typiques que sont Phalaris qui faisait cuire
ses victimes dans un taureau d’airain, Alexandre de Phères et surtout Denys
l’Ancien, tyran de Syracuse. La tragédie romaine met en scène des tyrans,
des êtres dominées par des passions qui les font sortir de l’humanité. Les
empereurs détestés (Caligula, Néron) seront représentés avec les traits du
tyran.
Les quatre vertus et le Sage stoïcien
Aristote élabore la théorie des quatre vertus : la vertu est l’excellence du
comportement moral devenue non pas un mouvement passager de
l’affectivité mais un comportement constant, un habitus. Il y a quatre vertus
distinguées par leur point d’application :
face à soi-même, la vertu de maîtrise de soi, la temperantia, qui consiste à
demeurer maître de ses appétits et de ses émotion
face aux autres hommes, la vertu de justice qui consiste à rendre à chacun
ce qui lui est dû.
face aux événements, la vertu de force ou de courage, la magnanimitas, la
capacité à rester soi-même dans les difficultés de la vie
enfin la vertu de prudence, la prudentia, qui est la capacité à voir le vrai. Elle
est la vertu principale, puisque c’est elle qui est en mesure de fixer aux
autres vertus leur conduite.
Pour Platon et pour Aristote, comme le suggère l’image du char de l’âme,
la vertu ne consiste pas à éliminer les passions, car elles sont la source de
la force de l’âme. Il s’agit de les maîtriser et d’orienter leur action vers le
bien. Le stoïcisme a vis-à-vis des passions une position radicale : par
définition, une passion est mauvaise, elle st potentiellement monstrueuse et
entre l’individu dont la colère n’a aucune conséquence visible et l’homme
tout-puissant, il n’y a aucune différence.
La passion est une erreur de jugement. Le sage au contraire a un
jugement constamment juste. Le stoïcisme, face à l’opposition de l’être et du
changement, répond par l’idée qu’être et changement sont une seule et
même chose : l’univers est tout entier raison et dynamisme et le Sage
adhère à cet ordre du monde par un jugement qui est en même temps un
acte : il veut ce qui est. La passion, qui ne se confond pas avec les réactions
immédiates de l’affectivité, n’est rien d’autre que vouloir ce qui n’est pas. Le
stoïcisme partage les grands présupposés métaphysiques de la pensée
grecque : l'univers est le grand tout en dehors duquel il n'y a rien, qui n'a ni
commencement ni fin. Il reprend même à son compte les figures divines de
la Grèce, dans lesquelles il voit soit des puissances intermédiaires entre
l'univers et les hommes, soit des images populaires de l'unique divinité qui
est le grand tout.
Son affirmation essentielle est que l'univers est l'unique réalité, qu'il est à
la fois Dieu, la nature, la raison et le souverain bien. L'être étant un, toute
réalité est matérielle et le spirituel est lui-même matériel.
Dans la mesure où l'homme est une partie de l'univers, il est partie de la
raison et du bien de l'univers et il a le pouvoir de faire coïncider la part de
raison qui est en lui et la raison du monde.
L'homme qui réalise en lui cette coïncidence est en parfaite harmonie avec
lui-même, parce qu'il est en parfaite harmonie avec l'univers. Il adhère à son
destin et il ne peut connaître aucun mal, car d'avance il accepte tout ce qui
est lié à sa condition. Cet homme est le Sage, il jouit d'une sécurité et d'un
bonheur inaltérables, c'est lui qui est véritablement roi. Le Sage existe-t-il :
Certains pensent que oui et citent Socrate. A l'époque impériale, pour
beaucoup, Caton d'Utique qui a lutté contre César et s’est suicidé plutôt que
d’implorer son pardon a réalisé l’idéal du Sage. D'autres pensent qu'il n'y a
jamais eu de Sage, mais que la Sagesse existe comme une réalité
potentielle, une vocation qui peut orienter le progrès spirituel.
Qu'est-ce qui empêche la plupart des hommes d'atteindre la Sagesse ?
Ce sont les passions, les mala dira pectoris. Les passions sont des fautes de
l'intelligence, des erreurs de la raison : il y a quatre passions principales qui
sont uoluptas : juger à tort qu'un bien est présent, cupiditas : juger à tort que
quelque chose à venir est bien, dolor : juger à tort qu'un mal est présent,
metus : juger à tort que quelque chose à venir est un mal. Toutes les
passions sont d'abord des jugements faux (et cette opinion est profondément
socratique) Les passions viennent de ce que l'individu est détourné de la
nature et de la vérité par l'éducation et entretenu dans l'erreur par la foule
3 Thèmes philosophiques
qui lui inculque le désir de faux biens et la crainte de maux qui n'en sont pas.
L'homme se laisse transformer en une marionnette, dupée par les
apparences.
Ainsi, le stoïcisme est une quête du bonheur, un bonheur qui suppose
qu'on se libère des passions aliénantes et qu'on adhère sans réticence à ce
qui est. C'est pourquoi le sage stoïcien ne craint pas la mort qui est
conforme à l'ordre du monde, il adhère à ce qui est, c'est-à-dire au caractère
provisoire de sa vie physique et de son être. Le système stoïcien a exercé
sur les Romains une fascination profonde et durable. La figure du Sage,
maître de soi comme de l’univers, rencontre des tendances profondes de
Rome, le culte du héros qui se sacrifie à la fois par amour de la patrie et par
fidélité soi-même. Régulus à l‘époque républicaine, Caton d’Utique à
l’époque impériale, apparaissent comme des incarnations du Sage selon le
stoïcisme.
L’épicurisme, philosophie du retrait
Épicure refuse la vision platonicienne d’un univers, image confuse et
fluente du bien éternel, tout comme l’aristotélisme qui se représente le
monde comme un ensemble intelligible et harmonieux. Il reprend la théorie
démocritéenne des atomes, particules indivisibles et indifférenciées
entraînées dans un mouvement de chute éternelle. Les déviations des
atomes provoquent l’apparition de toutes les formes de la réalité. Aucune
intelligence ne gouverne le monde entièrement soumis au hasard et à la
nécessité (expression de Démocrite).
Les dieux existent : ils sont eux aussi le produit de l’agglomération des
atomes, mais un produit plus réussi que l’homme. Ils n’ont nul souci des
hommes mais les hommes, par l’intermédiaire des images qui se détachent
du corps des dieux comme de tous les corps (un peu comme la mue des
cigales) et qui viennent s’imprimer dans l’esprit humain, ont une idée du
bonheur qu’ils peuvent eux aussi atteindre.
Mais il faut éliminer la peur des dieux et de l’au-delà qui n’a aucune
réalité. L’homme peut parvenir au bonheur en prenant comme guide le
plaisir, à condition de le gérer avec intelligence, en évitant les plaisirs qui ne
sont ni naturels ni nécessaires, le plaisir que peut donner la puissance car il
dépend de la fortune et d’autrui, et même les plaisirs naturels mais non
nécessaires, comme les raffinements de la nourriture. Le sage se tiendra à
l’écart de la foule et de ses folies.
Violemment attaqué par ses adversaires, l’épicurisme est pour Cicéron,
la philosophie contre laquelle on pense, il n’en a pas moins une grande
influence à Rome. Car l’épicurisme, s’il peut prendre les formes les plus
grossières (« les pourceaux d’Épicure »), peut prendre aussi des formes très
raffinées. Le jeune Virgile a été profondément marqué par l’épicurisme.
L’épicurisme est surtout illustré par l’œuvre puissante et fervente de
Lucrèce. Dans le domaine politique, l’épicurisme souhaite un gouvernement
à la fois autoritaire et sage, une monarchie qui permette de se désintéresser
de la politique. Il a une grande influence dans les milieux césariens.
L’amitié et la source du lien social
Par définition, le Sage est autarcique : aimer quelqu’un, c’est faire
dépendre son bonheur d’autrui. Un Sage dont la ville vient d’être prise, dont
les biens ont été pillés, la femme et les enfants emmenés pour servir au
plaisir du vainqueur, répond au général ennemi qui l’interroge : omnia
mecum fero : « j’ai avec moi tout ce qui est à moi ». Pourtant, l’amitié a une
place essentielle dans la philosophie. C’est la forme la plus haute de la
relation entre les hommes. Il s’agit d’une relation entre hommes, la relation
avec une femme ayant pour but la procréation ou le plaisir sexuel. Il arrive
cependant que le lien conjugal dont la finalité est essentiellement biologique
s’élève à une hauteur vraiment humaine dans la communion des vertus.
Pour l’épicurien, la relation amicale est comme le moyen d’amplifier le plaisir
en le partageant.
Pour le stoïcien, elle est communion dans la vérité entre les sages ou
relation entre le Sage et celui qui est en marche vers la sagesse, le
proficiens. Car, contrairement à la stricte orthodoxie stoïcienne qui est
binaire : on ne peut être que sage ou fou, dans les faits, celui qui est en
marche vers la sagesse s’est déjà en partie dégagé de la folie et de
l’ignorance – atténuation de l’orthodoxie d’autant plus importante qu’il est
bien possible que la sagesse ne se soit jamais incarnée.
Cette amitié s’élargit en une bienveillance générale à l’égard de
l’humanité et on retrouve là un aspect positif du caractère aristocratique de
la philosophie. Platon n’a jamais cessé de vouloir traduire sa pensée
philosophique en réalité politique, malgré les échecs qu’il a essuyés à
Syracuse. Aristote, ami d’enfance de Philippe de Macédoine, a été chargé
de l’éducation du jeune Alexandre. Si l’épicurisme n’envisage la politique
que d’une façon négative, en la chargeant de permettre le bonheur d’un
sage qui se désintéresse de la politique, elle a en revanche une importance
centrale dans le stoïcisme.
Il y a un lien profond entre le microcosme qu’est l’homme et le
macrocosme qu’est la société. La société parfaite est celle dans laquelle la
raison l’emporte sur les passions de la foule et s’oppose aux manipulations
des démagogues, l’homme parfait est aussi celui dont la raison domine (pour
Platon et Aristote), élimine (pour les stoïciens) les passions. Le Sage a donc
une responsabilité envers les hommes : être celui qui dirige la société ou qui
conseille ceux qui dirigent la société. C’est bien ce qu’a voulu Sénèque mais
tragiquement Néron a gardé l’idée de la toute-puissance du Sage et l’a mise
au service de ses passions. Mais, à distance, l’empereur Marc Aurèle a
réalise le rêve de Sénèque.
4 Thèmes philosophiques
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