On y trouvait un Desmond Morris beaucoup moins scolaire que dans ses documentaires. Il était plein
d’humour. Il vulgarisait sa pensée pour le grand public. On nous a donné la permission d’utiliser sa voix, et
le spectacle s'articulait sur un certain nombre de ses pensées.
C’était un spectacle assez politique, parce que Desmond Morris parlait beaucoup de la guerre et de cette
qualité que nous avons, nous les humains, de coopérer. Qualité qui nous permet de vivre dans des
mégapoles sans trop d'anarchie.
Mais faculté qui crée aussi les soldats qui obéissent aux ordres et vont tuer des gens. Ce spectacle a eu une
carrière internationale, comme tous nos spectacles. On va notamment souvent jouer aux Etats-Unis.
Celui-là a été peu vu là-bas, parce qu'après le 11 septembre, les Américains ne voulaient pas entendre ce
discours, même les intellectuels.
La Tempête, de Shakespeare
Tous nos spectacles sont extrêmement différents les uns des autres. Ce qui déstabilise beaucoup les
puristes, parce qu'ils s'installent dans un style de spectacle. Quand Lorraine Pintal - qui est la directrice
artistique du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), le plus grand théâtre de répertoire français en Amérique –
nous a invité, Victor Pilon et moi, à faire un spectacle dans son théâtre, elle voulait que ce soit, du théâtre
classique. Elle produit aussi du théâtre de création, mais en bonne directrice de théâtre, elle doit composer
une saison, et cette saison-là, il y avait déjà beaucoup de créations. Evidemment, on ne pouvait pas espérer
refaire le film de Greeneway, qui est absolument génial. Mais, La Tempête, c’est une pièce déjà un peu
virtuelle. Dans les didascalies, sur certaines traductions, on peut lire « Ici apparaissent des spectres
évanescents, sur une musique étrange »… On a lu cela et on s’est dit, « mais, c’est nous ! C’est vraiment
nous. Il faut monter cette pièce ! ».
Il faut savoir que le théâtre élisabéthain se faisait le jour, à ciel ouvert. Le Globe Theater est à ciel ouvert.
Et les pièces duraient très longtemps, 4, 5, 6 heures. J'ai eu la chance de voir un opéra chinois, qui dure
éternellement, et Shakespeare, c’est un peu comme un opéra chinois : les gens entrent, sortent, ils arrivent
à l'entracte, mangent durant le spectacle. On dirait qu'ils n’écoutent pas, et tout d'un coup, un acteur arrive
sur scène, et tout le monde se met à applaudir. Car ils écoutent, en fin de compte. Mais ils connaissent
tellement la pièce, que l’on dirait qu’ils n’écoutent pas. Le théâtre élisabéthain, c’était un peu comme ça. On
faisait du business, on se livrait à des échanges sociaux… et la pièce se déroulait. C'est pour cela que dans
le texte original de La Tempête, qui dure plus de 3 heures, chaque information est répétée au moins quatre
fois. Et quand on arrive à la troisième répétition, il y a toujours un : « M'écoutes-tu Miranda ? ! », pour dire au
public : « Là, maintenant, c’est la troisième fois, il faut que vous écoutiez, si vous voulez comprendre
l'histoire ». Comme de nos jours, on est dans une perspective de public captif, où le public voit trois films en
DVD par semaine, il commence à être habitué aux ellipses et aux techniques de narration : on n'a plus
besoin de répéter.
Le travail en équipe
Quand le TNM nous a invité, ils avaient un peu peur, parce qu'ils savaient qu'on ne fait pas vraiment du
théâtre. On est des metteurs en scène de danse, de performance, de multidisciplinarité, mais on n'est pas
vraiment des metteurs en scène de théâtre classique. Alors, quand nous avons dit que nous aimerions
monter La Tempête, mais pas tout seuls, avec une metteur en scène que nous aimons beaucoup, Denise
Guilbault, ils ont été très soulagés. Ils allaient avoir un spectacle qui puisse plaire à leurs abonnés. Et en
même temps, pour nous, c’était une façon de travailler avec cette femme extraordinaire, qui ne travaille pas
du tout le multimédia ou l'audiovisuel, et est vraiment dans le théâtre pur. On ne se sentait pas assez calé en
dramaturgie et en direction d'acteurs classique pour monter cette pièce. Donc, nous avons fait la mise en
scène à trois. Ce qui se fait très bien parce qu'au Québec, on a une hiérarchie horizontale. Contrairement en
Europe, où on a une hiérarchie verticale. Ici, le théâtre est très jeune. Ça fait 30 ans que l'on fait du théâtre
original au Québec. Avant on faisait une copie du théâtre français. Au Québec, le technicien et le concierge
du théâtre peuvent donner leur avis. Et si elle est géniale, l'idée du concierge, qui suis-je pour la refuser ?
On a beaucoup de créations collectives au Québec, à cause de cela. Il y a une espèce de convivialité. Alors
faire une mise en scène à trois, ce n’est pas difficile pour nous.
Pour Denise, ce qui était déstabilisant, c’était la présence du virtuel. Pour elle, tout était possible. Alors
quand on a commencé à lui indiquer les limitations : « Tu peux pas sortir du cadre, ça reste sur scène, c’est
à l'italienne, tu peux pas aller dans la salle, ça reste quand même frontal... » elle s'est mise à comprendre