HOSTIS ET CIVIS
Comment la petite cité latine de Rome, aux origines si modestes, a-t-elle pu
devenir, en quelques siècles seulement, un empire universel ? Comment a-telle pu
maintenir si longtemps, sous une autorité unique, un empire composé de peuples
tellement divers par leur langue, leur histoire ou leur mode de vie ?
On explique souvent l’extraordinaire extension de Rome et son étonnante
longévité par l’efficacité de son armée. Mais on oublie alors une particularité du
modèle romain : sa capacité politique à organiser de façon originale les peuples
soumis et à les intégrer progressivement.
En cas de conquête, les Romains ne massacrent pas les populations vaincues mais
les font passer, génération après génération, du statut de vaincus à celui d'alliés,
puis de citoyens incomplets (civitas sine suffragio), et enfin de citoyens complets
(civitas cum suffragio).En accordant ainsi progressivement le droit de cité, les
Romains s’émancipent lentement du modèle grec de cité, et en dégagent la notion
d’Etat. Ils assurent l’unité institutionnelle de l’Empire, tout en permettant aux
populations conquises de conserver leur identité religieuse, culturelle et politique.
Les Romains passent avec chaque cité vaincue un foedus,c’est-à-dire un pacte
d’assistance mutuelle : Rome assure la protection de la cité conquise et en
contrepartie, les alliés, ou socii, doivent lui fournir des troupes auxiliaires en cas de
guerre.
Toutes les cités conquises n’ont pas le même statut. Certaines villes reçoivent de
Rome le droit de cité incomplet, comme les praefecturae, préfectures, auxquelles
Rome impose un préfet, ou les municipia, municipes, qui choisissent eux-mêmes
leurs magistrats. Si elles font l’effort de se « romaniser » (utilisation du latin, du
droit latin, intégration de citoyens romains dans la cité), les cités peuvent accéder à
un statut supérieur. Peu après la révolte des Alliés, vers -90, tout le territoire
italien obtient le droit de cité romain.
Tous les territoires conquis situés hors d’Italie sont organisés en provinces,
circonscriptions administratives gérées par un gouverneur romain. Ces provinciae
regroupent des territoires ayant une ville pour chef-lieu, les cités-états; certaines
de ces cités sont romaines, la plupart étrangères, mais toutes sont placées sous
l’autorité supérieure de Rome présentée comme un modèle à imiter.
Vocabulaire
- civis, is, m. : le citoyen
-civitas, atis, f. : la cité, l’état
- colonia, ae, f. : la colonie
- fides, ei, f. : la foi, la confiance
- foedus, eris, n. : le traité
-hostis, is, m. : l’ennemi
- municipium, ii, n. : le municipe
- provincia, ae, f. : la province
-socius, ii, m. : l’allié
En commentant cette citation de Tacite, explique l’originalité de la politique romaine.
« Pourquoi Lacédémone et Athènes sont-elles tombées, malgré la gloire de leurs armes, si ce n’est pour avoir
toujours repoussé les vaincus en qualité d’étrangers ? Notre fondateur Romulus, au contraire, eut assez de
perspicacité pour voir en un même jour dans la plupart des peuples des ennemis et des concitoyens. »
Chaque provincia conserve son
originalité, mais l’empreinte
romaine y est toujours présente,
de l’organisation de l’espace au
goût pour les jeux de
l’amphithéâtre comme en
atteste cette vue aérienne de
l’amphithéâtre de Carthage.
Le terme foedus provient du nom de la déesse Fides, garante de la
parole donnée et de la bonne foi.
Chaque foedus conclu offre l’occasion
de nouveaux conflits ou alliances avec
les voisins des villes alliées, ce qui
favorise l’extension de Rome. Par
ailleurs, lors de durs conflits, Rome
profite des troupes auxiliaires envoyées
par les socii. Ici, l’infanterie auxiliaires
porte des boucliers ovales. Ceux des
légionnaires romains sont
rectangulaires.
Au départ, Rome absorbe toutes
les cultures italiques. Son
évolution se fait alors au contact
des Etrusques, dont elle
s’émancipe peu à peu. Certains
symboles politiques romains,
comme la chaise curule, viennent
de la culture étrusque.
Certains des gouverneurs de provinces se
montrent avides et brutaux. Ainsi Verrès abuse
de son pouvoir en Sicile (73-71). Il est poursuivi
en justice par les cités, qui confient leur cause à
les révoltes sont assez rares en province, et
quand, au IIIème siècle, les invasions menacent
l’existence de l’Empire, les provinciaux n’y
voient nullement une occasion rêvée pour
s’affranchir de l’autorité de Rome, mais ils
participent à sa défense.
L’origine familiale des empereurs est symbolique de la
capacité d’intégration romaine: les Antonins par exemple
venaient d’Espagne et de Gaule Narbonnaise descendants
d’Italiens.Ci-dessus, Antonin le Pieux.
Rome impose aux peuples soumis un
cadre municipal en adaptant son
autorité. Ainsi laisse-t-elle leurs
institutions aux cités des royaumes
hellénistiques. Mais la Gaule
chevelue, qui n’a pas de structures,
est découpée en cités. Les délégués
des soixante «cités» gauloises, chaque
année, se rendent à l’autel du
confluent pour célébrer le culte de
Rome et d’Auguste.
En associant les étrangers à la défense de son Empire, en
accordant le droit de cité, en implantant sur les
territoires conquis des cités organisées et gérées sur le
modèle romain, en répandant ainsi son droit, Rome
diffuse sa culture tout en s’enrichissant de celle des
peuples conquis. Elle construit ainsi l’unité de son Empire
et invente l’Etat de droit, étonnamment moderne,
qu’elle lèguera à la postérité.
Les citoyens romains peuvent
fonder des colonies : ils y gardent
leurs droits et reconstituent sur
place une Rome en miniature où
ils jouent le premier rôle. Ces cités
facilitent l’intégration des
populations soumises. César fonde
en Espagne la colonie d’Urso dont
voici le règlement municipal.
Cicéron. L’orateur
prononce contre Verrès un
ensemble de discours
conservés intégralement
dans un ouvrage intitulé
les Verrines.
Mais si parfois, les
Romains font preuve de
brutalité sanguinaire,