UNE SUPPLEMENTATION EN MULTIVITAMINES POUR PREVENIR LE CANCER ? Plus d'un tiers des adultes Nord- Américains prennent régulièrement des préparations associant vitamines et oligo-éléments, moins dans un but nutritionnel qu'afin de prévenir un cancer. Jusqu'à ce jour toutefois, des études observationnelles de longue durée n'avaient pas permis de retrouver un lien entre prise de multivitamines et prévention des cancers dans la population générale en bonne santé. La Physicians' Health Study II (PHS II) est un essai randomisé, mené à grande échelle, en double aveugle contre placebo qui s'est donné pour objectif de préciser le rôle d’une complémentation multivitaminique dans la prévention primaire (et secondaire) des cancers, les effets d’une telle supplémentation dans la survenue des événements cardiovasculaires, des troubles visuels et du déclin cognitif ayant fait l’objet de publications séparées. Elle a concerné 14 641 médecins Nord-Américains de sexe masculin, âgés de 50 ans ou plus, y compris ceux ayant des antécédents de cancer, d'infarctus myocardique ou d'accident vasculaire cérébral. Près de 15 000 médecins américains de plus de 50 ans Les participants à PHS II, après avoir donné leur accord, ont été randomisés en bloc de 16, avec stratification en fonction de l'âge (par tranches de 5 ans), des antécédents néoplasiques ou cardiovasculaires et d'un éventuel traitement précédent par béta-carotène, administré dans le cadre d'un essai antérieur dénommé PHS I. Neuf pour cent d'entre eux avaient un cancer à l'entrée dans l'étude (à l'exclusion des cancers cutanés non pris en compte sauf les mélanomes). Le suivi a été de 11,2 ans en moyenne (10,7- 13,3). Le critère principal d'évaluation était le nombre des cancers incidents durant l'étude (hormis les cancers cutanés non mélanocytaires). Les critères secondaires, pré définis lors de la conception de PHS II, étaient le nombre des cancers secondaires, leur répartition par site spécifique, prostate ou colorectum notamment. Tous les cancers épithéliaux ont été inclus, à l'exclusion des lymphomes et des leucémies. Du fait du grand nombre de cancers de la prostate dépistés précocement grâce au dosage de l'antigène prostatique spécifique (PSA), l'analyse a été 1 double, à la fois globale, puis après exclusion des cancers prostatiques. En ce qui concerne l’apparition de nouveaux cancers, l’analyse a pris en compte tous les participants. Par contre, pour un cancer donné, les sujets avec des antécédents cancéreux de même type n'étaient pas inclus dans les calculs statistiques. Toutes les analyses ont été effectuées en intention de traiter. Enfin, une étude additionnelle a tenté de séparer un éventuel effet précoce, dans les 2 à 5 ans après le début de l'apport multivitaminique d'un effet à plus long terme. L'âge moyen des 14 641 médecins ainsi randomisés dans PHS II était de 64,3 ans (9,2); leur indice de masse corporel s'établissait à 26,0 (3,6) ; 40 % étaient d'anciens fumeurs, 9,6 % des fumeurs encore actifs. Conséquence d’une participation fréquente à l'étude antérieure PHS I, 77,4 % d'entre eux prenaient de l'aspirine en prévention. Neuf pour cent avaient des antécédents de cancer et 5,1 % un passé cardiovasculaire. Durant l'essai, l'adhésion au protocole a été, dans l'ensemble, très satisfaisant, encore respectivement à 67,5 et 67,1 % à 8 ans. Au cours du suivi sont survenus 2 669 cancers dont 1 373 cancers de la prostate et 210 cancers colorectaux. La mortalité globale s’est située à 18,8 % dont 5,9 % de cause néoplasique. Réduction modeste mais significative de l’incidence des cancers sous supplémentation Les résultats de PHS II ont été les suivants. Pour le critère d'évaluation principal, on a noté une réduction modeste mais significative de l'incidence de l’ensemble des nouveaux cancers en cas de prise quotidienne de compléments multivitaminiques sur une longue période (risque relatif RR à 0,92; p = 0,04). Dix-sept nouveaux cancers sont apparus pour 1 000 sujets- années sous multivitamines versus 18,3 sous placebo. Il n’a, par contre, pas été constaté d’effet significatif pour un site particulier, notamment pour la prostate (RR 0,98; p = 0,70), ni le colorectum (RR = 0,89; p = 0,39). La mortalité globale est restée inchangée, respectivement à 4,9 et 5,6 décès pour 1 000 participants-années (RR =0,8; p =0,071). En seconde analyse, il n’a pas été non plus observé de différence entre survenue précoce, dans les 2 à 5 ans et survenue plus tardive du nombre de cancers. Ni l'âge des patients, ni leur style de vie ou leurs habitudes alimentaires, ni enfin la prise préalable de vitamine C, E ou de 2 béta-carotène n'ont eu d’influence sur les résultats. Il faut à l’inverse noter qu’un apport multivitaminique est apparu plus efficace chez les 1 212 participants qui avaient déjà eu un cancer (RR = 0,73; p = 0,02 ), témoignant ainsi d'un probable bénéfice en prévention secondaire. Durant le suivi, il n’a pas été rapporté d'effets secondaires particuliers imputables à la supplémentation bien que les allocataires du traitement parussent signaler plus de rashs cutanés et de saignements mineurs. Ainsi ressort- il de ce vaste essai randomisé contre placebo, mené à long terme chez plus de 10 000 médecins américains d'âge moyen ou avancé que l'apport de multivitamines pendant plusieurs années a un effet modeste mais significatif, avec une baisse de l'ordre de 8 % sur l’incidence des cancers sans qu'il soit possible de la rapporter à un site donné, prostate ou colorectal notamment. Cet effet est apparu plus net en prévention secondaire, chez les participants qui étaient déjà porteurs d'un cancer à l'entrée dans l'essai qu'en prévention primaire. Des résultats contradictoires Ces résultats s'opposent à ceux publiés dans des études antérieures. Ainsi, dans les années 1980, sur une population de plus d’un million d'américains adultes, la Cancer Prevention Study II n'avait décelé aucun bénéfice en cas de supplémentation vitaminique. De même, la Women' s Health Initiative, menée chez plus de 160 000 femmes suivies en moyenne pendant 8 ans, n'avait montré aucune relation patente entre apport de compléments multivitaminiques et survenue de cancers du sein,du côlon ou d'autres localisations. Bien plus, ils sont en contradiction majeure avec ceux d'un travail suédois ayant porté sur plus de 35 000 femmes qui, lui, retrouvait une surmortalité de 19 % à 10 ans liée à la prise de polyvitamines. Plus récemment, une méta-analyse effectuée à partir de 8 essais randomisés a également été dans l’incapacité de démonter un effet bénéfique d'une supplémentation par acide folique et vitamine B dans la prévention des cancers. Mêmes constatations en ce qui concerne l'étude SU VI MAX (Supplémentation Vitaminique et Minéraux Anti Oxydants). La force de l’essai PHS II réside dans la longue durée de l'étude et du suivi ainsi que de la grande adhésion au traitement durant toute la durée du protocole, liée au fait que les participants étaient eux-mêmes des médecins d'âge moyen ou avancé. À l'inverse, en 3 corollaire, ce travail n'a pas concerné des individus plus jeunes ou d'origine ethnique plus variée. Enfin, il reste toujours envisageable qu'une étude encore plus longue puisse conduire à des résultats différents. En conclusion, l'essai PHS II tend à monter un bénéfice modeste mais significatif de l'apport d'une supplémentation vitaminique de longue durée face au risque de survenue de cancers chez des hommes d'âge moyen ou avancé. Michel J Gaziano et coll. : Multivitamins in the prevention of cancer in men. The Physicians' health Study II randomized controlled trial. JAMA, 2012; 308: E1- E9. Genève, juin 2014 4