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LE PROCESSUS DE FEODALISATION
D’après Studility etc.
Le terme féodalité apparaît au XVIIème. Il désigne alors tout ce qui se rattache au fief. A partir de 1789, le sens
s'altère et prend une connotation péjorative = tout ce qui mérite d'être détruit dans la société d'ancien Régime.
Deux conceptions :
- sens strict = ensemble d'institution créant et régissant des obligations d'obéissance et de services de la part
du vassal envers le seigneur. En retour, le seigneur doit protéger et entretenir le vassal, ce qui se concrétise par la
concession d'un fief.
- sens large = système social et politique caractérisé par la dispersion de l'autorité publique entre de
multiples mains, accompagné d'un morcellement extrême du droit de propriété et d'un développement très important
des liens de dépendance d'homme à homme, avec l'apparition d'une classe de guerriers qui occupent les échelons
supérieurs de la hiérarchie sociale.
La féodalité dans ce second sens est apparue au IXème quand les structures de l'état carolingien se sont effondrées.
Le point fort des carolingiens est la pratique du sacre (initié par Pépin le Bref en 751). Il modifie la nature de
l'autorité royale. Ce rite est très prestigieux : le roi carolingien reçoit l'onction des saintes huiles = il est roi par la
grâce de dieu. L'autorité royale doit donc être mise au service de la justice et de la paix. Cette théocratie a pour but
de faire régner le message chrétien sur un territoire et des populations aussi nombreux que possible. Les deux
premiers rois carolingiens y arrivent très bien, surtout Charlemagne, qui dans les années 790 a un grand rayonnement
en Occident. Il réactive d'ailleurs l'idée d'un empire chrétien qu'il considère comme le corps politique de la chrétienté
toute entière. Le pape Léon III profite de la vacance du pouvoir impérial en Orient pour remettre à Charlemagne la
couronne impériale. 20 ans plus tard, tout commence à s'écrouler car il manque à ce pouvoir des structures
administratives cohérentes.
Causes de la décadence carolingienne
• Le poids des faiblesses structurelles.
Charlemagne a beaucoup agrandi l'empire, qui est constitué d'un agglomérat de peuples très différents. Leur
seul point commun (imposé) est d'être chrétien. Il aurait donc fallu un encadrement administratif solide, mais malgré
les efforts entrepris, l'empire a toujours souffert d'un sous encadrement administratif. Les carolingiens ont donc eu
recours à la vassalité pour résoudre le problème.
* Les lacunes de l'administration carolingienne :
- l'administration centrale = le roi et ses conseillers, qui forment le palais. Il est itinérant, mais à la fin du règne
de Charlemagne, fixité relative à Aix-la-Chapelle. Trois personnages vont émerger : le comte du palais (en haut de
la hiérarchie comtale, il dirige le tribunal du palais en l'absence de l'empereur), l'archichapelain (le premier
conseiller ecclésiastique), et le chancelier (responsable de la rédaction des actes législatifs). Une assemblée
générale = le plaid général, composé de grands fonctionnaires du palais, des comtes, des abbés et des évêques,
prend des décisions, censées être prises avec l'assentiment de tous (tous les sujets sont supposés avoir été convoqués
et être présents). On y établit les capitulaires.
- l'administration locale ordinaire.
- l'administration civile : la structure de base est le comté (= le pagus). On en ignore le nombre exact (de 200 à
700), et leur taille varie (vaste au N, restreint au S). Le comte est un représentant permanent de l'empereur, c'est un
fonctionnaire nommé par l'empereur et révocable. Il est rétribué par une dotation foncière (l'honor) pour la durée de
ses fonctions. L'empereur a une liberté totale de choix, mais le plus souvent, il les choisit parmi les vieilles familles
aristocratiques franques.
Le processus de féodalisation
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Le comte est entouré d'auxiliaires : des vicomtes (choisis par le comte et placés sous son autorité) et des
centeniers (nommés par le comte au niveau du village). Leurs fonctions sont très étendues : pouvoir de police,
fonctions judiciaire, militaire et fiscale ; il préside le tribunal de police des francs.
- l'utilisation des structures ecclésiastiques à des fins d'administration : l'église est organisée selon une
hiérarchie dont la tradition remonte à l'antiquité romaine. Cette hiérarchie souffre durant la période mérovingienne,
mais est remise en vigueur sous les carolingiens, quand le pape Adrien remet à Charlemagne la collection canonique
Dionysiana-Hadriana. Charlemagne décide en 774 de réformer l'Eglise pour restaurer cette hiérarchie. Il réalise
la reforme au début du IXème = création d'une province ecclésiastique à la tête duquel on place un archevêque,
rattaché directement au pape. Il légifère et est juge en matière religieuse. A l'échelon inférieur, le diocèse est dirigé
par un évêque. C'est l'élément le plus important de la hiérarchie : il est entouré de chanoines qui forment son conseil
= le chapitre. Il a seul pouvoir d'ordre = il administre, enquête et juge dans sa circonscription.
Les diocèses sont fractionnés en archidiaconés dirigés par des archidiacres. Ils sont fractionnés en doyennés, ellesmêmes fractionnées en paroisses. Théoriquement, les évêques restent élus par le clergé et par le peuple de leur église,
mais en pratique, leur nomination est contrôlée par le pouvoir royal ou impérial. Charlemagne s'est même octroyé le
droit de refuser ou d'agréer certains candidats. En échange de sa fidélité à l'empereur, l'évêque recevait une gratification
sous forme de terre = le temporel de l'Eglise.
L'épiscopat doit en période de mobilisation assurer la transmission des ordres, voire organiser la mobilisation.
Les abbayes dans certains cas doivent mettre des troupes à la disposition de l'état. Un capitulaire de 817 distingue les
abbayes qui prient, celles qui apportent de l'argent, et celles qui recrutent.
L'Eglise est aussi associée en matière d'administration générale via le mécanisme des immunités = un
domaine est soustrait à l'action des agents ordinaires du roi et est rattaché directement à l'administration centrale
devant laquelle le propriétaire du domaine sera personnellement responsable de la plupart des services administratifs.
L'immuniste a tous les pouvoirs pour agir au nom du souverain, et doit veiller à l'exécution de ses ordres (surtout
à la perception des impôts). En contre partie, il bénéficie d'une grande liberté d'action et a de nombreux avantages
financiers. Ce régime est très vite devenu le régime normal des abbayes et des églises. Dès que les immunistes
considèrent qu'il n'y a plus d'intérêt supérieur à défendre, ils estiment que les pouvoirs qui leur ont été
délégués leur appartiennent. Un tel système risque donc de créer des zones potentielles d'autonomie.
- le contrôle de l'administration ordinaire = les missi dominici ont été créés par Charlemagne pour porter
remède aux négligences et à la corruption qui risque de miner l'autorité. Ils vont toujours par deux (un laïc et un
ecclésiastique). Ils sont envoyés dans tout le territoire pour faire connaître les ordres et les volontés du
souverain. Leur institution est généralisée à partir de 802. Ils ont des pouvoirs très larges non précisément énumérés
: ils effectuent un travail de contrôle de toute l'administration comtale et épiscopale.
Malgré tous ces efforts, l'encadrement des populations est insuffisant, et les rois carolingiens ont recours à des
institutions supplétives.
* Les institutions supplétives : leur but est de multiplier les convois de transmission entre les pouvoirs et les
individus = encadrer les individus. Les carolingiens ont créé des réseaux efficaces de fidélité. C'est une vieille
technique mérovingienne (la commandatio) qu'ils ont adapté et transformé en un mécanisme de vassalité.
La vassalité = le contrat de vasselage est un contrat privé passé entre 2 personnes de condition libre. Au
terme de ce contrat, le vassal s'engage aux services d'un autre homme = le seigneur qu'il reconnaît pour maître.
Le vassal rend des services et le seigneur doit protection. Ce contrat s'est répandu à l'époque mérovingienne car il y
avait une forte insécurité et les hommes libres recherchaient protection auprès des plus puissants, qui se créaient des
réseaux de clients. A l'époque carolingienne, l'octroi d'un bienfait (= un bénéfice) est généralisé = le vassal est
chasé. Les carolingiens ont encouragé les comtes et les grands ecclésiastiques à entrer dans leur vasselage : il y a
donc eu 2 liens entre le comte et le roi = celui qui unit tout fonctionnaire aux représentants de l'état et le lien
personnel de fidélité qui unit le comte au monarque. De plus, la monarchie a incité les hauts fonctionnaires à
multiplier leurs vassaux = dangers à partir du IXEme, car la remise d'un bénéfice à chaque vassal nécessite un
grand réservoir de terre et l'extension du territoire devient une nécessité vitale ; le roi a favorisé la constitution de
clientèles, et les vassaux obéissent d'abord à leur seigneur puis au roi, or un seigneur puissant doté de nombreux
vassaux peut envisager de se révolter contre l'autorité royale = danger de sédition ; en intégrant la vassalité dans
le système de gouvernement, le roi fait naître des confusions : le comte vassal du roi a une double relation avec le
roi, a deux biens (dotation foncière et bénéfice) = il est facile de considérer que la dotation foncière et le bénéfice se
confondent et que la fidélité que les comtes doivent au roi est simplement d'origine contractuelle et non pas liée à la
fonction publique qu'assume normalement le comte.
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Le serment : la multiplication des liens personnels. Il s'agit du lien le plus fort que l'on puisse imaginer à
l'époque, et son non-respectt est entouré de sanctions : le parjure fait du coupable un hors-la-loi soumis à des
sanctions très lourdes (criminelles, civiles et religieuses). Après l'échec de la conspiration contre lui entre 785 et
792, Charlemagne décide que tous les hommes libres de son royaume devraient lui prêter serment de fidélité
(s'engager à ne pas nuire, ni trahir). En 802, Charlemagne devenu empereur demande un nouveau serment
généralisé pour tous les hommes de plus de 12 ans de l'empire. La série d'obligation devient positive = fidélité
comme un vassal à son seigneur.
La confusion entre le serment et la vassalité dénature le lien qui naît du serment = lien de nature public,
alors que le lien qui naît de la vassalité est privé, personnel et d'homme à homme. La portée de ce lien a donc été
affaibli, et le danger a été révélé au IXème car on se trouvait dans un contexte d'insécurité grandissante.
• La force dissolvante de l'insécurité.
Les intrusions violentes et répétées ont modifié les comportements et accéléré un processus de désagrégation de
l'empire.
* Les Normands = les Vikings. Ils viennent de Norvège, Danemark et Suède. Ils déferlent de 800 à 950 sur
le monde chrétien qu'ils vont dévaster, surtout le royaume carolingien, car il est riche. Cet ennemi est difficile à
combattre car il utilise la technique de la razzia. Leur technique de combat est déroutante pour les carolingiens car
elle est rapide et ils sont considérés comme insaisissables.
A partir de 830, et surtout 840, le royaume connaît la présence normande de façon presque continue. A partir
de 850, ils ont installé une base permanente à l'Ile de Ré d'où ils partent. Dans les années 860, ils découvrent le Détroit
de Gibraltar, ravagent la Camargue et remontent la vallée du Rhône. En 911, Charles le Simple concède le comté de
Rouen aux Normands en échange de leur conversion au christianisme et qu'ils défendent les habitants.
* La piraterie byzantine dévaste les cotes méditerranéennes et la vallée alpine. Nombreuses razzias dans la
seconde moitié du 9ème. La concurrence normande pose problème au 9ème, mais en 890 ils arrivent à installer leur
base près de Saint Tropez.
* Les Hongrois viennent d'Asie centrale et déferlent à la fin du IXème. Ils ont ravagé l'Europe continentale
(Allemagne, Italie, Lorraine, Champagne, Bourgogne, Aquitaine). Sédentarisation de ces derniers avec conversion au
christianisme et intégration dans la population.
Le processus de dislocation du royaume franc
Avec le règne de Pépin Le Bref (751-768) et de Charlemagne (768-814), croissance et essor du royaume. Sous
Louis le Pieux (814) et surtout à partir de 822, le début des crises entraîne l'élimination progressive de la dynastie
carolingienne (de 888 à 987). En 987, Hugues Capet monte sur le trône. Il fonde la dynastie capétienne, mais n'a
presque aucun pouvoir : son autorité directe s'étend sur quelques possessions d'Ile de France.
• De l'empire aux principautés.
En 843, le traité de Verdun divise l'empire de Charlemagne en 3 royaumes. La Francia occidentalis est le premier
embryon de la France contemporaine ; elle revient à Charles le Chauve. L'aristocratie de plus en plus puissante, les
agressions extérieures constantes et l'économie en déclin entraînent l'émancipation des grands du royaume. Dès 877,
les provinces à la périphérie du royaume deviennent autonomes, et forment des principautés, dirigées par un princeps
qui a accaparé l'autorité publique et qui s'est arrogé les prérogatives d'un roi. Le phénomène gagne par la suite
l'intérieur du royaume.
* L'impossible maintien de l'unité de l'empire : la conception patrimoniale de l'empire (conception franque)
entraîne le partage du royaume entre tous les successibles. Par deux fois, un concours de circonstances a permis
d'éviter le partage.
Pépin le Bref meurt en 768 avec 2 fils (Charles et Carloman), mais l'un d'eux décède vite : Charles reconstitue
l'unité du royaume.
Charlemagne est empereur à partir de 800, or un titre impérial signifie unité et universalité. Charlemagne a
donc élaboré un règlement successoral en 806 qui prévoit le partage du royaume en trois parts, chacune revenant à
l'un de ses 3 fils légitimes. Aucune référence au titre impérial = il estimait qu'il ne devait pas lui survivre. Mais deux
de ses fils meurent, et en 814, à la mort de Charlemagne, Louis le Pieux, seul fils légitime restant reçoit
l'intégralité du royaume mais aussi le titre. Dès cette date, il prend un parti différent de celui de son père, n'utilise
plus que le titre impérial et gouverne de façon très étroite avec le clergé. L'église souhaite le maintien de l'empire, qui
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représente pour elle la condition nécessaire au développement du christianisme, mais le roi est attaché au principe de
patrimonialité du royaume. En 817, par l'ordinatio impérii, Louis le Pieux pose dans un plaid général le
principe de l'indivisibilité de l'empire au profit se son fils aîné = Lothaire. Les deux cadets Pépin et Louis
reçoivent le titre de roi et les royaumes d'Aquitaine et de Bavière, mais ils doivent gouverner leurs territoires tout en
restant sous le contrôle de leur frère. Si l'un des cadets meurt, la population devra choisir un fils pour leur succéder.
Ce règlement est difficilement accepté par les cadets, l'aristocratie, … et des rebellions apparaissent. Tout est
remis en question en 823 à la naissance de Charles (4ème fils du roi) : Louis le Pieux modifie l'accord
successoral, ce qui entraîne une guerre de près de 20 ans. Cette guerre renforce le pouvoir de l'aristocratie (les
belligérants multiplient les liens de vassalité pour s'assurer la fidélité des grands du royaume, mais ils doivent à
chaque fois monnayer ce soutien) et affaiblit le prestige de l'empereur.
A la mort du roi en 840, un règlement de 839 est remis en cause, et les combats reprennent entre 3 frères
(Pépin est mort). En 842, Louis et Charles s'allient par le Serment de Strasbourg et gagnent la bataille : Lothaire
consent à des négociations qui débouchent en 843 sur le traité de Verdun. Charles reçoit la partie occidentale = la
Francia occidentalis ; Louis la partie orientale = la Germanie ; Lothaire conserve le milieu du Royaume (dont Aix-laChapelle et Rome) et le titre impérial. Lothaire meurt en 855, et ses 3 fils qui se sont répartis le territoire ne lui
survivent pas longtemps. Louis et Charles se battent alors pour récupérer les morceaux de la Lotharingie.
En 30 ans, l'empire de Charlemagne est dissout. Il était inadapté à l'exercice du pouvoir : peu de moyen de
communications et de transports. Le traité de Verdun apparaît comme un premier pas vers l'adéquation de
l'organisation politique avec les réalités économiques et sociales du moment.
* Le règne de Charles le Chauve (843 - 877). Le partage de 843 n'a pas accordé les frères entre eux, et les
affrontements reprennent vite. Les conflits que Charles a avec ses frères puis ses neveux, le contexte d'insécurité
(invasion), … favorisent les intérêts de l'aristocratie et encouragent la prise d'autonomie des grands du
royaume. Sur le plan militaire, le soutien de l'aristocratie est déterminant pour l'issue du combat. Mais leur fidélité
se paye = les biens du trésor sont gaspillés rapidement, et le roi se sert même dans le patrimoine de l'église, ce qui
détériore leurs relations. Le problème des invasions normandes nécessite l'élaboration d'une nouvelle stratégie de
défense : Charles le Chauve instaure la technique des grands commandements confiés à un prince = un
ensemble de comtés sur lequel le prince exerce des pouvoirs administratifs et militaires très larges (toutes les
dispositions qu'il juge utile pour protéger la population et empêcher la dévastation). Le prince reçoit légalement
une puissance considérable : s'il fait preuve d'insubordination, le royaume risque de se désagréger. Le pouvoir
s'affaiblit pendant cette période, et de plus en plus, le roi devient incapable de reprendre les bienfaits et les fonctions
comtales qu'il a pu octroyer = le roi perd le contrôle sur ses agents, qui gagnent en autonomie. Le roi n'est plus en
mesure d'ordonner :
- en 843, le capitulaire de Coulaines : le roi garantit à l'église l'intégrité de ses biens qu'il s'engage à ne pas
distribuer ; les aristocrates sont assurés de ne pas être dépouillés de leurs charges publiques ni des liens qui y sont
attachés. En échange, les grands promettent fidélité et soutien au roi. Le roi ne peut plus révoquer librement un
comte (seulement un fonctionnaire infidèle).
- en 877, le capitulaire de Quierzy-sur-Oise (Charles le chauve est empereur depuis 2 ans et doit donc aider le
pape si Rome est menacé. Le pape Jean VIII demande de l'aide contre les sarrasins : avant de partir, le roi tient un
plaid général afin de définir comment son fils Louis le Bègue va diriger le royaume par intérim)
Le problème essentiel est celui de la vacance des charges publiques :
- les évêchés et abbatiats : un clerc désigné par l'archevêque et le comte assure l'intérim tant que le roi n'a pas
désigné un nouveau titulaire = le roi garde le pouvoir de nomination.
- les comtés : un groupe de fonctionnaires locaux, aidé de l'évêque assure l'intérim, sauf si le comte a un fils.
L'hérédité des fonctions comtales fait perdre au roi le contrôle de sa fonction publique. Toutefois, le roi garde un
pouvoir de confirmation de la dévolution par une investiture officielle.
Ce capitulaire introduit une confusion entre les fonctions publiques et la vassalité, car la même procédure est
prévue dans les deux cas.
Ces mesures exceptionnelles et transitoires marquent un progrès de l'idée d'hérédité des charges et des
biens qui est préjudiciable à l'autorité royale. Charles le Chauve meurt le 6/10/877 : l'unité de la Franci
Occidentalis va lentement se désagréger.
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* La naissance des principautés et l'élimination progressive de la dynastie carolingienne. La subordination
de l'aristocratie et du clergé va être favorisée entre 877 et 888, car 4 rois vont se succéder et aucun ne pourra enrayer
le mécanisme d'émancipation de l'aristocratie. Dès la fin du IXème, les premières principautés apparaissent = un
état dans lequel le prince exerce l'autorité publique précédemment dévolue au roi. Cette autorité peut s'exercer
légalement ou être usurpée, mais elle est toujours à titre héréditaire = la règle de la primogéniture masculine.
D'importantes dynasties se constituent, car les princes battent monnaies, font la guerre et la paix, prennent le
contrôle des évêchés et abbayes = exercent les attributs de la souveraineté royale sur le territoire qu'ils
contrôlent. Le seul lien qui les rattachent au roi est un lien de vassalité. Au IXEme, les principautés sont
périphériques (Flandres, Aquitaine, Bourgogne, Provence), certaines étant même favorisées par le roi (normands
reçoivent en 911 par le traité de St-Clair-sur-Epte le comté de Rouen), puis le mouvement gagne le cœur du
royaume : une principauté émerge entre la Seine et la Loire = le duché de France dirigé par Robert le Fort (il a reçu
le commandement du comté de Tours pour lutter contre les normands). Son fils aîné Eudes obtient en 882 le comté
de Paris qu'il défend avec succès contre les Normands : le roi lui offre une série de comtés en remerciement = Eudes
devient duc des Francs. En 888, les grands du royaume profitent de l'âge du roi (8 ans) pour l'écarter du trône,
qu'ils confient à Eudes. Pendant un siècle, la couronne va alterner entre carolingiens et robertiens : le roi ne peut
plus résister aux grands du royaume. En 987, Hugues Capet devient roi : les carolingiens sont définitivement
écartés du trône. La dynastie capétienne s'installe, mais au début son pouvoir ne s'étend que sur quelques possessions
entre Seine et Loire.
• Des principautés aux seigneuries.
* Des princes aux comtes : les principautés n'ont pas constitué une rupture fondamentale pour les habitants : les
princes exerçaient les mêmes prérogatives de puissance publique que le roi avant eux, mais sur une circonscription
limitée. Le mécanisme qui a favorisé l'émergence de ses principautés a continué à jouer, mais contre elles. Le prince
n'arrive pas à exercer son influence sur tout le territoire : bien qu'il concentre le pouvoir de ban (= de
commandement), il est obligé de le déléguer, et ceux qui le reçoivent en viennent à agir de façon indépendante.
Sur la zone interne, le prince exerce directement son autorité ; sur la zone externe, l'autorité du prince repose sur la
fidélité du comte. A partir de 960-980, les comtes ou vicomtes s'émancipent de la tutelle princière dès qu'ils la
sentent fragilisée.
* Des comtes aux sirs : dans la seconde moitié du Xème, des places fortes apparaissent. Ce sont des
instruments d'affirmation et de conquête du pouvoir, qui expriment une réalité féodale = le recours à la force et à la
violence est devenu le moyen naturel de régler les conflits. Ces places sont le siège permanent d'une garnison, dirigée
par un châtelain supposé exercer par délégation du comte un pouvoir de commandement militaire. Le châtelain
s'émancipe de l'autorité du comte à la première occasion : il considère le château comme un bien transmissible,
confisque le droit de rendre la justice et entreprend d'exercer à titre privé le pouvoir de ban.
Beaucoup de laïcs ont constitué des seigneuries, mais l'église y a aussi participé :
- les seigneuries épiscopales (nord du royaume au Xème et XIème) = le bras de fer entre les carolingiens et les
robertiens a souvent conduit à l'atrophie des pouvoirs du comte : l'évêque resté seul administrateur s'approprie les
pouvoirs du comte, accapare le pouvoir de ban et constitue une seigneurie (Reims, Beauvais, Sens).
- les seigneuries monastiques = certaines abbayes qui bénéficiaient du statut d'immuniste (pouvoir de justice
et de police) ont fait édifier des fortifications au IXème, puis ont décidé d'exercer le pouvoir de ban (parfois obtenu
au terme d'une concession).
Jamais l'autorité n'a été aussi proche ni concentrée.
I. LA SOCIETE FEODALE
C'est une société chrétienne dans laquelle le savoir est détenu exclusivement par les clercs. La pensée chrétienne
a façonné l'organisation sociale selon une image tirée du Nouveau Testament = l'image d'une société assimilée à un
corps humain : tous les membres du corps sont solidaires et tous apportent quelque chose à la vie du corps.
La plupart des auteurs distinguent deux ordres dans l'organisation sociale : les clercs et les laïcs. Les grands
bouleversements du IXème conduisent l'église à changer sa vision des choses : dès le début du XIème, une vision
tripartite de la société est élaborée = ceux qui prient, ceux qui combattent, et ceux qui travaillent. L'Eglise introduit
une hiérarchie au sein de l'état laïc : les guerriers dominent les paysans, et pour les évêques, les clercs doivent
dominer les guerriers.
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La paysannerie
• L'extension du régime domanial.
* Le régime juridique des terres : le régime domanial est une forme d'exploitation très ancienne (le
modèle classique au Bas Empire romain). Le domaine est une usine champêtre (plus de 1000 hectares de superficie) :
une part est réservée au maître, une autre est cultivée par les esclaves, et la troisième est concédée à des fermiers. La
chute de l'empire romain n'a pas stoppé ce genre d'économie qui se perpétue durant la période carolingienne : le
domaine est divisé en deux parts = la réserve du maître et la manse (la part concédée aux tenanciers qui exploitent
la terre moyennant des redevances et des corvées). Développement du double domaine : domaine éminent du seigneur
et domaine utile.
La petite propriété libre se maintient quand même avec les alleux. L'alleutier a un droit de propriété parfait sur
sa terre = il ne doit ni redevance ni corvée. Jusqu'au XIIème, la terre est la seule source de richesse, et la raréfaction de la
monnaie en fait un moyen de paiement.
L'apparition de la seigneurie banale s'accompagne d'une généralisation du système domanial au détriment de la
population libre et indépendante (= les alleux, très nombreux dans le midi et le nord, tendent à disparaître). Le seigneur
tente par tous moyens et surtout la force d'absorber ces terres dans le système seigneurial qu'il est en train de construire.
Le système des tenures se développe = le seigneur conserve le domaine, et concède la mouvance aux paysans à charge
de services économiques. Il existe deux grandes catégories de tenures = la censive concédée contre une redevance
fixe, et le champart concédé contre une redevance proportionnelle (1/16 à 1/3 de la récolte).
* Les obligations des paysans : le pouvoir de ban, à la source des prélèvements, est dévié et on arrive vite à une
exploitation systématique de la population paysanne. Obligations en matière militaire (participation à la défense du
château, garde du château, travaux défensifs, …), fiscale (la taille : protection militaire ; la taxe sur les opérations
commerciales, la circulation des hommes et des biens : le tonlieu ; au XIIème, les banalités sont des monopoles du
seigneur mis en place à son profit sur les instruments qui servent à transformer le travail agricole = four, moulin,
pressoir,…). La population paysanne est assujettie et livrée au seigneur, car au XIème, il n'y a pas d'autorité supérieure à
qui se référer .
• La condition juridique des paysans = vers la disparition de la liberté.
* La disparition de la distinction entre esclave et homme libre : distinction très claire = l'homme libre a la
personnalité juridique, pas l'esclave qui est considéré comme une chose. Prolongement sous la période franque et
Charlemagne, avec 3 sources d'alimentation : la naissance, les captures de guerre et la servitude pour dettes. Il disparaît
peu à peu avec l'influence de l'église (notion d'égalité entre les hommes). Mais, l'apparition de la seigneurie ramène
une nouvelle forme d'asservissement = le servage.
* Le développement du servage : il apparaît vers 1020-1030, quand les nouveaux maîtres du ban se posent en
détenteurs des hommes, qu'ils vendent, donnent, … alors qu'ils étaient libres. Ce mouvement part du centre de la
France et s'étend : il se développe surtout dans les régions où l'émiettement seigneurial est important. Les tentatives de
résistance des paysans sont vaines car ils sont mal armés et mal entraînés, contrairement aux guerriers des seigneurs.
Le servage diffère de l'esclavage car un serf est une personne : il peut se marier, fonder une famille, et avoir un
patrimoine. Il reste toutefois soumis à des obligations très lourdes et est frappé de beaucoup d'incapacités juridiques. Il
est astreint à résidence (passible du droit de poursuite), doit acquitter une taxe recognitive de conditions (le chevage).
Deux incapacités : le formariage (le serf ne peut se marier qu'avec l'accord de son seigneur, qui peut monnayer son
consentement lors de mariage hors de la seigneurie car il perd alors un droit acquis sur les enfants qui pourraient naître
de l'union) et la mainmorte (le serf ne peut pas transmettre son patrimoine par voie successorale, tout revient à son
maitre)
Un serf ne peut pas non plus rentrer dans les ordres (il faut être libre), témoigner en justice contre un homme libre, ni
prêter serment (toute la procédure judiciaire repose sur le serment).
Au XIIIème, l'évolution de la seigneurie accompagne la diminution du servage car les seigneurs multiplient les
affranchissements et les incapacités sont rachetées par des collectivités de serfs.
Un monde
des guerriers
Le processus de féodalisation
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Monde très composite, mais quelques points communs = ce sont des détenteurs du pouvoir de ban, et ils sont tous
indépendants. Ce monde est organisé, car des rapports d'obéissance se sont reconstitués autour du contrat féodovassalique.
Le contrat féodovassalique.
• Le contrat vassalique.
C'est une transformation de la commendatio mérovingienne : un contrat par lequel un vassal devient
dépendant d'un seigneur.
* L'hommage : il consiste en une dation des mains = le vassal, à genoux, met ses mains dans celles du seigneur. Le
seigneur devient ainsi responsable du vassal et a envers lui un devoir de protection. Le vassal accepte l'autorité et se
met dans une position d'obéissance. L'alliance est scellée par le rite du "baiser de paix" : ils sont unis et
physiquement dépendants l'un de l'autre.
* Le serment de fidélité : le vassal prête serment sur des livres saints d'être fidèle à son seigneur : il lui jure foi et
fidélité. Le serment prend une valeur religieuse : le vassal qui ne le respecte pas devient parjure. Ce serment renforce
l'hommage et marque la différence d'avec le servage car seul un homme libre peut prêter serment.
* Les obligations réciproques : elles sont déséquilibrées au profit du seigneur. Dans les années 1020, l'évêque Fulbert
de Chartres énonce dans une lettre à Guillaume d'Aquitaine les obligations du vassal envers le seigneur. Ce sont
surtout des obligations négatives : ne pas nuire au seigneur, à ses biens, ni à ses intérêts. La fonction primordiale du
lien vassalique n'est pas d'obtenir des prestations du vassal, c'est une garantie de paix et de sécurité. Si le seigneur veut
obtenir un service de son vassal, il faut au début du XIème siècle qu'il lui concède un fief. Sous les carolingiens, le fief
était la récompense du dévouement, la conséquence de l'engagement ; à l'époque féodale, le fief devient la cause
de l'engagement.
• Le fief : la prédominance de l'élément réel.
* La concession du fief : c'est un bien concédé à charge de service militaire par le seigneur à son
vassal. Le plus souvent, c'est une terre concédée éventuellement avec les droits de puissance publique qui y sont
rattachés (fin XIème - début XIIème siècle = fief-rente). Le fief est concédé à l'issue de l'investiture = un acte
solennel et très formaliste. A partir du XIIème, avec le progrès de l'écriture, on dresse un inventaire de ce que le fief
contient en biens, en droit et en homme = un aveu et dénombrement.
* Les obligations :
- l'aide : militaire = services d'ost (participation aux campagnes militaires du seigneur) et de chevauchée
(accompagner le seigneur). Au XIIème, le service d'ost est limité à 40 jours par an et est proportionnel à la taille du
fief. Et financière apparaît au 12ème et est fixée par la coutume à 4 cas : le seigneur se fait prisonnier, part en
croisade, adoube son fils chevalier ou marie sa fille.
- le conseil : il siège à la cour féodale = il donne son avis sur toutes les questions posées par le seigneur et est juge
en matière féodale : compétence pour tout ce qui touche au fief, à la qualité de vassal, aux obligations mutuelles et à
leur manquement = le seigneur peut confisquer le fief à titre provisoire ou définitif : commise du fief ; à partir du
XIIème, le vassal peut s'adresser au seigneur de son seigneur pour demander la rupture du lien avec le seigneur, et la
reconstitution du lien avec le suzerain.
II. LA DIFFUSION DU LIEN FEODOVASSALIQUE
• La prolifération du lien vassalique.
Le cadre privilégié de ce lien est la seigneurie banale. La puissance du seigneur lui a attiré des dévouements, le
plus souvent intéressés. Ce sont surtout des alleutiers assez riches pour passer leurs temps à l'entraînement militaire.
Le seigneur s'entoure ainsi de combattants dont l'aide est indispensable. Au 11ème, ils prennent le nom de chevalier.
Au XIème, les comtes, princes, … comprennent l'intérêt d'un tel lien pour renouer contact avec des seigneurs qui
se sont émancipés à un moment = fin 11ème, les aristocraties locales sont à nouveau passées sous le contrôle des
princes et des comtes. Le retour à l'ordre n'a pas lieu pour autant, car il n'est pas rare qu'un vassal ai plusieurs
seigneurs. Les juristes de l'époque ont essayé de mettre de l'ordre en hiérarchisant les engagements multiples.
Le processus de féodalisation
8
L'hommage lige implique un service prioritaire à celui qui l'a reçu ; l'hommage plain n'entraîne que des effets plus
limités. Les vassaux vont alors multiplier les hommages liges. Toutes les tentatives pour lier la priorité du service
à l'ancienneté de l'engagement ou l'importance du fief seront vaines.
• La patrimonialisation du fief.
Elle signifie que le fief est un bien que l'on peut transmettre et aliéner. Ces principes se sont imposés avec le
temps.
* L'hérédité : depuis la tenue des plaids de Coulaines et de QSO, tendance nette à l'hérédité des bénéfices et des
fonctions. Le morcellement territorial de la fin du règne de Charles le Chauve est propice à l'instauration de cette
hérédité dans la succession des principautés, comtés et seigneuries. Pour les fiefs, il faut attendre la fin du 11ème :
au début, le fils doit prêter hommage et fidélité, et une nouvelle cérémonie d'investiture est nécessaire (pas
hérédité de plein droit), puis l'hérédité devient automatique, mais le seigneur fait payer son consentement à
l'hérédité = le droit de relief. Quand il y a plusieurs fils, mise en place du lignage = seule une lignée d'homme peut
succéder, et droit d'aînesse. Les puissants ont donc évité la prolifération de la descendance : on autorise 1 ou 2 fils à
se marier, et on marie les filles avec une dot pour leur enlever le droit sur l'héritage foncier. Si l'héritier est trop jeune
: soit on met en place la garde seigneuriale (le seigneur a la garde du mineur et du fief qu'il administre jusqu'à la
majorité de l'héritier), soit on applique la garde familiale (idem, mais avec le plus proche parent du mineur, qui prête
l'hommage et perçoit les revenus du fief). Si l'héritier est une femme : au début, exclusion pure et simple de la
succession, puis elle y est admise à partir des croisades (1095), mais c'est son mari qui assure les fonctions
militaires : il doit donc prêter serment au seigneur. Si elle n'est pas mariée, le seigneur lui présente 3 candidats dans
lesquels elle doit choisir sous peine de confiscation du fief.
* L'aliénabilité : elle est devenue courante au XIIème car les seigneurs ont perdu la faculté de réévaluer les
redevances prélevées sur les paysans. Certains seigneurs ont des difficultés financières : ils doivent vendre tout ou
partie du fief = abrègement du fief. La procédure de devest est celle par laquelle l'ancien vassal rend le fief, puis le
nouvel acquéreur est investi. Au XIIIème, les contraintes économiques plus fortes font que l'on se contente de
demander le consentement du seigneur qui ne conserve que 2 droits : il perçoit une taxe (= le droit de quint ≈
1/5 du prix de vente) et le retrait féodal (= le droit pour le seigneur de se substituer à l'acquéreur en payant au vassal
désireux de vendre le prix de la vente).
Les fiefs sont achetés par les roturiers au XII et XIIIème : ils espèrent devenir nobles = certaines coutumes
l'admettent à la 3ème génération, d'autres y sont opposées. Cette diffusion de la noblesse hors des guerriers permet
l'apparition d'une définition précise de la noblesse.
• La définition de la noblesse.
Cette notion fascine les historiens mais surtout les divise : on considère que c'est un état de fait, le noble étant
celui qui est considéré comme tel. Au début, le noble est celui qui a la richesse, le pouvoir et la valeur guerrière.
Puis ajout de l'oisiveté et de la prodigalité (= gaspille l'argent). Ces éléments de fait font de la noblesse un corps au
contour flou.
Jusqu'au XIIème, accord sur un point = la noblesse n'est pas nécessairement héréditaire. Puis changement avec la
vente des fiefs à des roturiers : la noblesse tend à se fermer et à exclure les nouveaux venus par le concept
juridique de l'hérédité = est noble celui dont le père était noble. L'hérédité est devenue la seule voie d'accès à la
noblesse.
La condition de noble est très recherchée car elle confère des privilèges : un traitement juridique dérogatoire au
droit commun, le droit de porter l'arme, de déclencher des guerres privées, et différentes prérogatives en droit privé : droit
d'aînesse, majorité plus précoce, juridiction composée de pairs, …
Les clercs.
Hiérarchie de la société médiévale (= société chrétienne) : en haut, ceux qui prient et servent l'église. Les clercs
forment une société à part entière qui a ses règles (le droit canonique), son organisation interne et son chef (le
pape). Le terme clerc recouvre de nombreuses conditions : ceux qui servent l'église et tout individu qui bénéficie du
statut clérical même s'il n'exerce pas de fonctions religieuses au sens précis du terme. La qualité de clerc s'obtient
par le fait d'être tonsuré : le candidat doit être un homme libre, né d'une union légitime.
Le processus de féodalisation
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Les clercs séculiers sont répartis en deux catégories : ceux qui ont reçu les ordres mineurs (ils peuvent
continuer à vivre comme des laïcs : mariage, mais pas remariage, ni activités commerciales, et se consacrent à des
taches annexes au culte religieux) et ceux qui ont reçu les ordres majeurs (ils exercent des taches religieuses :
diacres, prêtres, évêques, … et sont astreints au célibat).
Le clergé régulier est composé d'hommes et de femmes : les moines et moniales en ont longtemps été exclu, puis
y ont été acceptés. Ils sont soumis au droit canonique et ont des tribunaux spécifiques = les tribunaux de
l'officialité (les juridictions épiscopales).
La mise en place de la féodalité a remis en question la place de l'église dans la société : elle a été impliquée dans
la société féodale et a été corrompue.
• L'Eglise aux mains des laïcs.
Au Xème, certaines abbayes ont profité de la dislocation de l'autorité publique pour constituer de véritables
seigneuries. Les dignitaires de l'église sont entrés dans le jeu des relations féodovassalique. Les princes et seigneurs
laïcs tentent d'imposer leurs candidats quand des sièges ecclésiastiques importants deviennent vacants. Mais souvent,
ces candidats appartiennent à la clientèle ou à la famille des princes : ils ne respectent pas les règles religieuses et
piochent dans le patrimoine des églises et abbayes pour les distribuer à leurs fidèles en multipliant les vassaux. Les
nouveaux titulaires sont investis suivant le rite vassalique de l'hommage et de la fidélité par le seigneur et non
pas l'archevêque. La situation est la même dans les paroisses car les petits seigneurs imitent les grands : on choisit
les curés, crée des églises privées dont le seigneur nomme les desservants à la place de l'évêque, sans se soucier des
compétences. Le clergé paroissial devient ignare, sans moralité, et ses revenus sont accaparés par le seigneur : il doit
vendre les actes de son monastère pour vivre = la simonie se répand à tous les échelons de la hiérarchie. Le
Nicolaïsme (mariage ou concubinage des prêtres) se répand aussi. Le clergé régulier a beaucoup mieux résisté : il
a été désorganisé au IX et Xème par les invasions, mais il s'est très vite reconstitué et le monachisme a connu un très
bel essor de la fin du Xème au XIIIème.
• La réforme grégorienne.
La papauté a mis en place une réforme très vaste qu'elle a voulu imposer à toutes les églises chrétiennes
occidentales. Elle s'est échelonnée de 1040 à 1130, mais c'est avec Grégoire VII (1073 - 1085) qu'elle a connu ses
moments forts.
* Les étapes de la réforme : le pape Léon 9 réunit en 1049 tous les textes qui affirment la primauté de Rome sur
toutes les églises dans une collection canonique : la collection des 74 titres. Elle permet au pape d'affirmer que le
lieu d'élection de l'église choisi par Dieu est Rome : rupture en 1054 d'avec l'église chrétienne d'orient.
La procédure d'élection du pape est réformée en 1059 : la tradition carolingienne fait que les pouvoirs séculiers
devaient confirmer cette élection (élection par clergé, acclamation par le peuple, confirmation par empereur). Le pape
étant l'évêque de Rome, la confirmation de son élection par l'empereur est nécessaire = celui qui utilisait le titre ou
les grands d'Italie = la papauté est entre les mains de laïcs. En 1059, alors que l'empereur de Germanie Henri IV est
mineur, le pape Nicolas II réforme l'élection et crée un collège de cardinaux : ils désignent un candidat qui est
ensuite acclamé par le peuple. L'empereur ne conserve plus qu'un rôle honorifique.
La querelle des investitures : le canon de Latran (1059) interdit aux prêtres et clercs de recevoir une église des
mains d'un laïc. En 1073, Grégoire VII, beaucoup plus exigeant réaffirme les interdictions énoncées avant lui, et
affirme qu'il veut revenir à la procédure canonique classique. Il prévoit par ailleurs des sanctions : si un évêque ou un
abbé reçoit sa dignité d'un laïc, l'archevêque devra refuser de consacrer l'évêque qui n'aurait pas respecté l'interdiction.
La fermeté du pape va à l'encontre des pratiques répandues dans l'empire germanique : l'empereur nomme
directement les évêques. Le pape fait alors rédiger un texte de 27 propositions (dictatus papae) dans lequel il affirme
avec force l'autorité universelle de la papauté, et revendique au nom de la primauté du pouvoir spirituel sur le
pouvoir temporel, la suprématie du sacerdoce sur les princes et l'empereur. Le pape peut donc déposer les princes
et l'empereur car il entend contrôler l'usage que les princes font de leurs pouvoirs. Il peut aussi délier les sujets de leurs
serments de fidélité vis-à-vis du roi, car seul le pouvoir spirituel est habilité à diriger le monde = la théocratie
pontificale. C'est une rupture complète avec la théorie de Gelase, qui reconnaît la supériorité de l'auctoritas
pontificale sur la potestas royale. Grégoire VII a gardé l'idée de la supériorité pontificale mais il refuse toute légitimité
propre aux pouvoirs temporels.
Le processus de féodalisation
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En 1075, la thèse défendue par le pape énerve l'empereur : il réunit un concile d'évêques et lui fait voter la
déposition du pape, qui réagit en excommuniant l'empereur et en le déposant. Henri IV doit alors se rendre à
Canossa en 1077 pour y faire amende honorable au pape. Grégoire VII lève l'excommunication, mais Henri IV
reprend le combat contre lui et le chasse de Rome en 1081. Les papes suivants ont été plus modérés et ont cherché
des solutions de compromis : la théorie de la dépendance directe des rois = la papauté prétend avoir le pouvoir de
contrôler l'action des puissances temporelles en raison des péchés que les rois et empereurs peuvent commettre dans
leurs fonctions.
Solution de compromis en 1022, avec le Concordat de Worms passé entre l'empereur Henri V et le Pape Calixte
V : il s'applique à toute l'église chrétienne occidentale et prévoit une distinction entre les fonctions spirituelles de
l'évêque, qui relèvent de l'élection canonique (l'évêque est consacré par l'archevêque, qui lui remet la crosse et
l'anneau) et les fonctions temporelles, qui relèvent d'une concession féodale. Le niveau de l'épiscopat s'améliore
mais le problème des prêtres n'est pas résolu.
* Les relais de la réforme grégorienne en France : le clergé régulier rassemble tout ceux qui ont renoncé au siècle
pour Dieu. Ils observent la prescription d'une règle et sont dirigés par un abbé ou un prieur.
En occident, succès considérable de la règle bénédictine fondée par Saint Benoît de Nursie (480-547) et reprise
par Saint Benoît d'Aniane au IXème. Au Xème, il s'agit de la règle par excellence et tous les ordres la revendiqueront
jusqu'au XIIIème. Sa renaissance est liée à l'Abbaye de Cluny fondée en 909-910 qui applique cette règle :
pauvreté, humilité, piété, et vie partagée entre travail manuel et travail intellectuel. Succès considérable et très
vite elle a organisé un réseau de maisons filiales dont elle prend la tête. A la fin du XIème, le réseau bénédictin de
Cluny compte plus de 1400 monastères dans toute l'Europe occidentale. Son succès tient aussi au fait qu'elle s'est
mise hors de portée des influences laïques par le système de l'exemption : un privilège qui permet à une abbaye ou à
un ordre religieux de ne relever que de la papauté et pas de la juridiction de l'évêque. Déclin de Cluny au XIème, et
au XIIème, l'ordre des Cisterciens prend le relais : volonté de retour à une tradition bénédictine dévoyée par les
Clunysiens. Dès la seconde moitié du XIIème, sous l'influence de Bernard de Clairvaux, partisan d'un retour à la pure
tradition bénédictine (vie austère, dépouillée, avec uniquement du travail manuel), 500 maisons sont affiliées à
Citeaux et à la fin du XIIIème, 700 maisons. Au XIème, des ordres militaires apparaissent en Terre Sainte, dont les
Templiers : leur vocation est d'escorter et défendre les pèlerins sur la route qui les mène au tombeau du Christ. Les
monastères ressemblent à des casernes et les moines sont de vrais soldats. Or l'idéal chrétien est opposé au combat.
Tous ces ordres ont un point commun : la richesse, car les abbés sont de bons gestionnaires et les ordres reçoivent
beaucoup de legs, donations, … des laïcs. Au XIIIème, des ordres mendiants (franciscains, dominicains, augustins,
carmes,…) parcourent les routes, prêchent et évangélisent les populations avec lesquelles ils vivent en contact direct.
Ils ont permis l'achèvement de la christianisation en occident.
Les efforts de l'église se sont portés sur les excès de la période féodale : elle a tenté de les limiter, mais elle a
engendré un courant pacificateur venu du milieu monastique = la paix et la trêve de Dieu.
• L'Eglise et la régulation des excès féodaux.
Sans un minimum de sécurité juridique, la paix chrétienne ne pourra pas être instaurée. L'église va tenter de
réguler cette société féodale, pour limiter la portée des conflits, déclenchés par le droit de guerre privée (un des
attributs de la noblesse)
* La paix de Dieu : vers la fin du Xème, des moines réformateurs répandent un mouvement qui vise à
interdire sous peine de châtiment ecclésiastique de s'attaquer aux clercs, de forcer la porte des églises, et d'arrêter ou
rançonner les paysans et voyageurs. Tous les guerriers prêtent donc serment sur des reliques et jurent qu'ils vont
respecter ces interdictions. But : limiter les abus dus à la guerre.
* La trêve de Dieu : vers 1020-1030, l'idée apparaît puis se généralise dans les années 1040. Le but est
d'interdire le combat et la violence pendant certaines périodes = la guerre privée est interdite le dimanche, puis
extension au jeudi, au vendredi et pendant les principaux temps liturgiques (Noël, Pâques, Pentecôte). Il reste
environ 100 jours par an à la noblesse pour combattre.
* La moralisation de la noblesse et de ses combats : l'église s'est immiscée dans la cérémonie de
l'adoubement. Cette cérémonie d'origine militaire (le jeune reçoit de son parrain un coup sur la nuque ou la joue, et se
fait remettre l'épée) se transforme en un rituel religieux = purifications, prières, bénédiction de l'arme, serment (le
chevalier doit vivre selon la loi de l'église et l'honneur de la chevalerie = protéger les faibles, défendre la veuve et
l'orphelin, aider son prochain, ne pas trahir, ne pas tuer qui n'est pas en situation de défense). La capacité à la
Le processus de féodalisation
11
violence a été exploitée au service de Dieu : les croisades (première en 1095, prêchée par Urbain II ; 8 jusqu'à la fin
du XIIIème).
III. LES DEBUTS DE LA ROYAUTE CAPETIENNE (FIN XEME - DEBUT XIIEME)
En 987, le roi carolingien Louis V meurt à Senlis, sans descendance. Son oncle ne rallie pas les suffrages des
grands. L'archevêque de Reims, Adalbéron, discrédite le candidat carolingien et vante les mérites d'Hugues Capet
(ducs des Francs, il préside la réunion), qui est élu roi des Francs lors de cette réunion. Il est sacré roi le 3 juillet 987.
Une nouvelle dynastie s'implante.
Les forces de la royauté capétienne.
• L'instauration de l'hérédité et de la primogéniture.
Hugues Capet est élu = acclamé par les grands. C'est une perpétuation d'une technique mérovingienne. La sacre
permet de légitimer plus sûrement son autorité, l'acclamation étant réduite au rang de simple formalité. Hugues Capet
souhaite faire triompher le principe de l'hérédité, mais les grands ne sont pas prêts à accepter une mise en place
brutale du principe. Hugues Capet a donc recours à l'association au trône = il sollicite des grands l'autorisation
d'associer son fils Robert au trône dès 987, en utilisant la prétexte d'un risque de vacance du pouvoir suite à une
intervention militaire nécessaire à Barcelone. Les grands ont fini par accepter : sacre de Robert le 25 décembre
987. Hugues est Rex Coronatus ; Robert est Rex Designatus. A la mort d'Hugues Capet en 996, Robert devient roi
unique, puis associe son fils au royaume,… = ce principe se perpétue jusqu'à Philippe-Auguste en 1080, puis le roi
estime qu'il n'est plus nécessaire d'associer son fils, qui lui succède effectivement sans problème. Le principe
d'hérédité est la première loi fondamentale du royaume. L'acclamation demeure intégrée dans la cérémonie du
sacre, mais ce n'est plus qu'une formalité, car c'est l'hérédité qui fait le roi, et non plus l'acclamation.
La primogéniture s'est imposée en s'inspirant des usages en vigueur pour la succession des fiefs, sous
l'impulsion de l'Eglise soucieuse de conserver une certaine unité. Le principe a été posé pour la première fois en
1027 : Robert 1er a bien associé son fils Hugues au trône, mais il meurt au combat en 1027. Un autre fils est associé
au trône = l'aîné des enfants puînés : principe de primogéniture acquis, mais pas encore de problème avec les sexes.
• Le sacre.
Jusqu'au XIVème, il fait le roi = il est créateur du pouvoir royal. A partir de 1027, il se déroule à Reims. La
cérémonie a lieu en 3 étapes :
- le roi entre dans la cathédrale, entouré des grands du royaume. Il prête plusieurs serments (défendre
l'église, lui conserver ses libertés, maintient de la paix entre les peuples et faire régner la justice). L'archevêque qui a
reçu les promesses procède à l'electio = l'acclamation par les grands (symbolique).
- l'onctio = l'archevêque bénit l'épée, le sceptre, la couronne et les habits du sacre. Le roi reçoit l'onction en
9 points (même baume que pour les archevêques), puis il reçoit les éléments symboliques de sa fonction (l'anneau =
union du roi et de ses sujets ; le sceptre court = la puissance du roi ; la main de justice = équité et droit).
- la coronatio = entouré des grands, l'archevêque place la couronne sur la tête du roi : le pouvoir temporel
dépend du pouvoir spirituel.
Le sacre moralise la fonction royale, légitime la dynastie et protège le roi. Il y a une alliance entre l'Eglise et la
royauté : le roi est l'intercesseur entre Dieu et ses sujets.
• Le pouvoir thaumaturgique du roi.
Le roi est capable de faire des miracles : innovation de la royauté capétienne. Il guérit les écrouelles
(tuberculose), par toucher le jour du sacre, le lendemain et tous les jours de grandes fêtes religieuses. Des guérisons
sont attestées dès Robert Le Pieux.
Cette croyance de l'opinion publique, qui confère aux capétiens un grand rayonnement auprès des plus simples,
est un grand soutien populaire qui compense le manque de légitimité. Le don de guérisseur n'est pas lié à un roi
en particulier, mais à la fonction royale en général : Dieu leur donne ce pouvoir = il soutient les capétiens, qui sont
donc politiquement infaillibles.
Les points faibles : une autorité royale restreinte.
Le processus de féodalisation
12
• Une autorité directe réduite au seul domaine royal.
* La définition du domaine : l'ensemble des terres sur lesquelles le roi exerce une autorité directe, et l'ensemble des
droits et revenus, parfois disséminés en dehors de ce territoire = l'ensemble de la fortune privée et des revenus
publics du roi.
Les diplômes royaux : des actes authentiques caractéristiques des chancelleries du Moyen Age, se divisent en
deux catégories : les jugements et les préceptes (un acte qui donne force exécutoire à des dispositions de caractère
gracieux ou administratifs).
Aux Xème et XIèmes, les diplômes sont expédiés par la chancellerie royale dans un espace de plus en plus
réduit : jusqu'en 987, les rois carolingiens adressaient des diplômes à des églises de l'extrême sud du royaume ; à
partir de 987, plus rien dans le sud du royaume = l'attachement manifesté à l'égard des carolingiens ne se manifeste
pas à l'égard des capétiens. Dans les autres zones, la perte d'autorité est moins nette mais quand même réelle : très
peu de diplôme pour la Normandie, le Poitou, le Berry, l'Auvergne, et aucun en Aquitaine et Toulousain, mais la
disparition est moins radicale qu'à Barcelone.
Le nombre de diplôme diminue et son contenu évolue : ce sont des chartes privées, signées par un grand nombre de
personnes = les témoins sont nécessaires pour fonder et étayer une décision car l'autorité royale ne suffit plus. Le roi est
un seigneur féodal comme les autres et son domaine est aussi confronté au problème d'émiettement seigneurial au
XIème : pas d'amputation majeure puis au XIème, le roi rachète des seigneuries, comtés, vicomtés,… L'extension du
domaine se fait aussi par mariage des puînés avec des familles comtales de la périphérie du domaine. Hors de ce
domaine, le roi a conservé un droit d'intervention et d'investiture sur des évêchés royaux.
* L'administration du domaine : le roi gouverne en prenant conseil comme tout seigneur. La composition
du conseil se dégrade entre le XIIème et le XIIIème, car les conditions sociales des personnes qui y siègent sont de
plus en plus modestes. Aucun grand laïc ne veut plus paraître dans l'entourage du roi, puis les grands prélats
ecclésiastiques désertent aussi le conseil avec la réforme grégorienne. Le roi s'entoure dans sa cour de chevaliers
ruinés = la mesnie royale, dans laquelle il puise pour pourvoir aux fonctions de grands officiers. Ce sont des
familiers du roi, investis de taches publiques et domestiques : le sénéchal a le pouvoir de commandement de l'armée
royale, et surveille ses agents ; le connétable est responsable de la surveillance des écuries royales ; le chambrier
est responsable de l'entretien du palais et de la garde du trésor royal ; le chancelier est responsable du secrétariat
royal, contrôle la rédaction, expédie les actes royaux et détient le sceau royal. Cette organisation n'est pas originale :
la plupart des chefs de principauté sont entourés des mêmes officiers, suivant la même organisation. A partir des
années 1030, apparition des prévôts = ils existent dans la plupart des principautés, et encadrent les populations,
rendent la justice et collectent les revenus attachés à la seigneurie.
• Le roi et les grands.
Au nord, il doit composer avec le comte de Flandres ; au nord-ouest avec le duc de Normandie, le comte d'Anjou
; au nord-est avec le comte de Champagne et le duc de Bourgogne ; au sud avec le comte de Nevers ; au sud-est avec
le duc d'Aquitaine et de Gascogne et le comte de Toulouse.
Certains princes ignorent totalement le roi : ceux les plus au sud n'entretiennent plus au XIème la moindre
relation avec le roi : ils ne lui prêtent pas hommage. Ils considèrent leurs honneurs comme des biens propres qu'ils
tiennent de Dieu et de leurs ancêtres. Les autres princes, moins éloignés du centre du royaume, ont plus ou moins
régulièrement fait hommage au roi mais ils ne considèrent pas leurs honneurs comme des fiefs ou des bénéfices pour
autant. Les grands laïcs considèrent leurs principautés comme des alleux. Les sentiments d'indépendance et de liberté
vis-à-vis de la royauté poussent certains à mener une politique diplomatique à l'échelle européenne (l'Anjou s'allie
avec l'empire germanique). La seule solution que le roi a, est de profiter des oppositions et affrontements qui
surgissent régulièrement entre ses grands dignitaires = il y joue un rôle d'arbitre.
Le roi n'a aucun pouvoir de décision ni de coercition juridique, mais il a une faculté d'arbitrage, un droit
de regard sur les affaires des grands et un appui fidèle de l'église qui exalte le rôle pacificateur du roi.
Cette politique très modeste a contribué à l'émergence très progressive de règles qui vont définir les rapports de
fidélité = apparition lente des obligations des grands à l'égard du roi. Quand Louis 6 est sacré en 1108, beaucoup
de grand laïcs refusent de lui prêter hommage, car ils savent que l'hommage et la fidélité sont liés.
Rupture au début XIIème avec l'instauration de l'idée qu'il faut mettre en place une logique hiérarchique.
Le processus de féodalisation
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IV. LES MUTATIONS ECONOMIQUES ET SOCIALES (XIIEME ET XIIIEME SIECLES)
La croissance démographique a été forte : fin Xème, 5 millions de français ; fin XIIème, 9.2 millions et au
XIVème, 14 à 15 millions. Cette population est très jeune, en raison du boom démographique et de la faible espérance
de vie : la moitié de la population a moins de 20 ans (travail dès 7-8 ans, et majorité fixée à 13-14 ans).
Modification de l'organisation agricole avec les changements de comportement en matière de production et de
consommation.
L'expansion agricole.
• Les progrès techniques.
L'homme du Moyen Age a hérité de l'Antiquité un certain nombre de techniques et d'outils qui le laisse moins
désarmé pour affronter la nature. Son principal atout est de savoir utiliser ensemble le feu et le fer, car ainsi il sait
produire de l'acier.
Dès le XIème, la production de métal commence à être consacrée aux instruments qui permettent le travail
du bois, de la pierre et de la terre : il utilise l'énergie hydraulique et éolienne (les moulins à eau et vent remplacent
les meules de pierre).
Il utilise mieux l'énergie animale = création de la brouette, de la roue ; on découvre que le cheval est plus
productif quand il tire par les épaules alors que pour le bœuf, c'est par le cou. Pour déforester et travailler la terre,
invention de la cognée, de la scie, de la hache, de la charrue,…
• La vague des défrichements.
Elle débute au XIème et s'amplifie aux XII et XIIIème. Au début, elle consiste en l'extension des terroirs préexistants
en gagnant sur la foret et la lande à proximité. Puis, on s'attaque à des zones restées jusque là vierges : des colons s'y
installent avec leurs familles (la défriche permet l'installation de villages). Enfin, les familles isolées se livrent aux
défrichements car avec les évolutions techniques, on n'a plus besoin de s'appuyer sur les ressources collectives du
village ou du groupe = individualisme agraire.
Coup d'arrêt à la fin du XIIIème, car on ne sait pas accroître les rendements du sol, le recul considérable de la foret
met en péril l'équilibre des terroirs (destruction irréversible des sols), et la foret produit des biens indispensables à la vie
des hommes du Moyen Age = gibier, bois de chauffe, miel (sucre)…
Avec cette vague de défrichements, on sort du cloisonnement, de l'enfermement dans le cadre de la
seigneurie : le monde rural est profondément modifié à la fin des défrichements.
• Les transformations du monde rural.
Les familles paysannes ont pu être à l'origine de ces mouvements de défrichements, mais dans la plupart des cas,
elles y sont incitées par les princes, les seigneurs laïcs, l'église,… car les terres appartiennent à ces puissants. Pour les
seigneurs, le défrichement a des avantages économiques et politiques car il permet de fonder de nouveaux
villages = consolider ou étendre une influence politique. Afin d'attirer des populations dans leurs villages, ils
concèdent des avantages et libertés dans des chartes de franchises. Il s'agit d'une lettre royale qui contient des
ordres ou décisions du roi qu'il veut permanente. Les franchises sont des privilèges accordés par un seigneur afin de
réglementer, limiter voire supprimer les droits qu'il exerçait auparavant de façon arbitraire au titre de son pouvoir de
ban. Les libertés concédées dans ce type de charte ont pour but de protéger les habitants des communautés rurales
contre les abus des agents seigneuriaux, et de développer le commerce et l'agriculture (pas de corvées, diminution du
cens, exemption de la taille,…). Il s'agit d'alléger le régime féodal mais pas de conquérir de l'autonomie car tout
se passe à l'initiative du seigneur. La communauté renégocie ses relations avec le seigneur mais n'obtient pas la
possibilité de s'administrer librement.
Renaissance urbaine, émancipation des villes
En occident, la civilisation antique a été surtout urbaine : la cité était le lieu d'expression du pouvoir politique.
Jusqu'au IIIème, ces cités étaient ouvertes, puis avec la crise de l'empire romain, elles se sont renfermées sur ellesmêmes. Elles vont garder cet aspect défensif pendant des siècles. A partir du Vème, les villes sont en décrépitude, et
ne sont maintenues que par l'église = les évêques se sont installés dans les vieilles cités. Les cités sont donc des
Le processus de féodalisation
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centres d'attraction religieux, puis au XIIème, les centres urbains sortent de leurs somnolences et deviennent
synonymes de vitalité économique et commerciale.
• Essor commercial et multiplication des bourgs.
L'explosion démocratique entraîne une demande croissante et un besoin de consommation : elle va être à l'origine
de progrès techniques en matière artisanale = début de la production en série en matière textile. Apparition de deux
nouvelles catégories sociales : les marchands et les artisans. Cette demande de consommation a aussi été à
l'origine directe de la renaissance urbaine, car la ville est le lieu où se rencontre l'offre et la demande. Les vieilles
agglomérations sont les premières à se relever, mais de nouveaux centres apparaissent également autour de
monastères, de châteaux. Il s'agit de constructions nouvelles à la périphérie des anciens centres = dans les bourgs.
Les nouveaux venus se distinguent par le fait que leur activité principale n'est pas le travail de la terre, mais la
production, la consommation, le transport. Les villes se distinguent alors des villages par leur mode et type d'activité,
et par l'idéal urbain (= valeurs communes défendues par les citadins : recherche de la paix et de la liberté, volonté de
se démarquer de l'autorité du seigneur).
Le mouvement de contestation est spectaculaire de 1110 à 1120 et dure jusqu'au XIIIème : il est très efficace en
1230 car l'immense majorité des communautés urbaines a obtenu des chartes garantissant les libertés et accordant
une autonomie dans l'administration.
• Les mécanismes de l'émancipation urbaine.
* Les réseaux de solidarité : constitution rapide car les nouveaux citadins, déracinés, en créent.
- les confréries sont les plus courantes : ce sont des associations à coloration religieuse et à vocation
charitable. Elles sont placées sous la protection d'un saint dont le culte est célébré par les membres de la confrérie.
C'est un lieu de piété, de dévotion, de fraternité régie par le principe d'assistance mutuelle entre les membres = aide
dans le travail, secours en cas de maladie,…
Mode d'organisation simple : le comité directeur dirige la confrérie, alors que l'assemblée générale regroupe tous
les membres. Entrée par cooptation avec cotisations.
- les associations de marchands : union pour défendre les intérêts matériels des marchands = s'unir pour faire
face aux difficultés et dangers que représente l'exercice d'une activité commerciale. Leur but est de partager les
risques, se porter assistance, organiser des déplacements de concert,… Distinction entre les hanses et les guildes
(ghildes) : les hanses sont des regroupements de guildes urbaines qui unissent des villes proches ou qui sont
intéressées par un même type d'activité.
L'Eglise reproche beaucoup aux marchands de vouloir faire des bénéfices et de pratiquer l'usure : le commerce est
une activité honteuse.
- les associations de paix : regroupement de catégories beaucoup plus hétéroclites. Elles sont crées à l'instigation
de l'église et surtout des évêques. Leur objectif est de mener en commun une œuvre d'utilité générale qui
nécessite qu'on regroupe les forces (construire des halles, un pont, une route,…) = assurer la paix et le maintien de
l'ordre à l'intérieur de la ville.
Ces 3 sortes d'association ont en commun qu'elles renforcent la cohésion du milieu urbain = les citadins
prennent conscience de leurs intérêts communs, de leurs spécificités et de leur puissance potentielle. Elles vont
souvent être à l'origine des revendications urbaines.
* L'expression des revendications urbaines et les réactions seigneuriales : le cas le plus extrême est celui dans
lequel les habitants d'une ville prennent l'initiative de la revendication et réclament une autonomie municipale
complète. Ils proclament la commune (dans le sud = le consulat), on s'organise par une conjuration (= un serment
prêté par les habitants les plus actifs = les bourgeois de tout faire pour avoir une situation meilleure) qui crée des
liens très forts de fraternité et solidarité. Les membres de la conjuration décident alors de créer une personne
morale capable de s'engager juridiquement. Le but est d'obtenir du seigneur la reconnaissance de cette
personnalité morale. Le schéma est similaire pour les consulats mais on trouve souvent à son origine des associations
de paix, et le mouvement est souvent dirigé par des chevaliers. Ils prétendent aussi à l'autonomie et à la liberté dans
la gestion.
Certains seigneurs (le plus souvent des seigneurs ecclésiastiques) ont des réactions très négatives face à ces
mouvements et les répriment violemment, car ils les considèrent comme des atteintes à leurs pouvoirs (ex : à Laon).
Le processus de féodalisation
15
Mais les révoltes et épisodes sanglants sont une exception et dans la plupart des cas, le corps de ville est assez
puissant pour imposer ses volontés par le seul fait de son existence. Ensuite, il utilise au mieux les circonstances
politiques (problèmes de succession dans la famille du seigneur, maladie du seigneur,…)
Le plus souvent, le seigneur lui même prend l'initiative car il est convaincu qu'il peut tirer un parti financier de
cette opération = ils font payer aux communautés l'octroi de privilèges et concessions. A long terme, la libéralisation
pourra attirer de nouveaux habitants et relancer la production économique. Souvent, c'est à la faveur d'un compromis
que le seigneur accorde à la collectivité urbaine une charte, dont le contenu est variable.
• Les formes de l'émancipation urbaine.
Traditionnellement, les chartes urbaines sont construites autour de deux axes = l'octroi d'un certain nombre
de privilèges (= les franchises) et la mise sur pied d'un système d'organisation municipale. Beaucoup de
possibilités sont offertes, de la reconnaissance d'une parfaite autonomie urbaine (villes de commune et consulats) à
une association des habitants à la gestion municipale (villes de franchises et de prévôtés). Dans tous les cas, la charte
concédée par le seigneur sert à la ville comme une véritable constitution.
* Les villes de franchises et de prévôtés : le seigneur conserve le pouvoir de ban et le fait exercer par un
agent délégué = le prévôt, qui incarne l'autorité seigneuriale. Il a juré de respecter la charte que le seigneur a
concédé. La population bénéficie de représentants (syndics et prud'hommes) qui défendent les intérêts de la
collectivité = travaillent en collaboration avec le prévôt. Il y a seulement une coopération et non pas un transfert du
pouvoir de ban à la ville comme dans les communes ou consulats.
Beaucoup de franchises mais 4 domaines principaux : en matière civile (abolition des contraintes relatives au
servage : plus de mainmorte ni de formariage), en matière militaire (allégement des charges militaires : exonération
complète ou limitation du service militaire), en matière fiscale (suppression pure et simple ou baisse considérable
des taxes directes et indirectes) et en matière judiciaire (obtention de garanties pour limiter l'arbitraire du seigneur :
tarification des peines et délits, pas d'arrestation préventive si le prévenu fournit une caution, répartition plus claire
de ce qui relève des juridictions urbaines et de celles du seigneur). Ce type de franchise est identique à celles des
communautés rurales.
* Communes et consulats : les formes extrêmes de l'émancipation. La reconnaissance d'une commune ou d'un
consulat débouche sur la reconnaissance d'une nouvelle entité juridique = une communauté ou une université. Le
concept d'unversitas, issu du droit romain, désignait un ensemble par opposition à ses éléments constitutifs. Cette
personne morale peut s'engager juridiquement (serment, hommage, concession de fief, exercice du pouvoir de
ban sur la ville et la banlieue). C'est une seigneurie collective, dirigée par des chefs élus, et administrée par des
statuts destinés à garantir la paix et la liberté et à obtenir des avantages juridiques, militaires, économiques,…
* Les diverses modalités d'organisation municipale. Cette diversité tient à la différence de degré d'autonomie
obtenue. Les administrateurs urbains comprennent deux catégories de personnes :
- les bourgeois = les personnes à l'origine directe de la commune ou du consulat, puis aussi les descendants des
premiers jurés. Acquisition possible en prêtant serment. Nombreux privilèges surtout juridiques.
- les assemblées générales = elles englobent tout ou partie de la population en fonction des cas. Leur rôle est
variable mais le plus souvent il consiste dans la participation à la désignation de ceux qui vont diriger ou représenter
la communauté. Ses fonctions sont généralement collégiales = ils sont assistés de conseillers. Dans les villes de
communes, les fonctions municipales sont assurées par les échevins (d'anciens auxiliaires du comte qui l'aidaient à
rendre la justice et qui se sont transformés en magistrats municipaux).
Les pouvoirs peuvent être très étendus en fonction du degré d'autonomie = ils sont fixés par la charte mais
dans la pratique, ils évoluent et constituent une coutume. Fonction de police économique (régulation des marchés,
vérification des poids et mesures), maintien de l'ordre et défense de la ville, levée des taxes,… Fonction judiciaire =
les échevins, consuls et conseillers constituent de véritables juridictions urbaines : être jugé devant ces juridictions
constitue un privilège de bourgeois. Ces juridictions sont compétentes pour toutes les causes qui ne relèvent pas de la
juridiction ecclésiastique. Le seigneur conserve des compétences importantes = les cas de haute justice (vol, meurtre,
rapt-viol, incendie).
• Le bilan du mouvement de renaissance urbaine.
Le processus de féodalisation
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Ce mouvement a beaucoup modifié la société féodale = apparition de nouveaux statuts personnels, de
nouveaux pouvoirs avec lesquels le roi et le seigneur doivent compter, de nouvelles techniques administratives de
gestion,…
Les chartes ont permis la rédaction de règles de fonctionnement des collectivités. La rédaction est acquise, et le
mot coutume connaît une évolution de sa signification : jusqu'au XIIème, il signifiait le prélèvement de toutes natures
imposé par le seigneur aux habitants de la seigneurie. Du XIIIème à la Révolution, il signifie l'exemption des droits du
seigneur et est synonyme de privilèges.
La mise par écrit a deux mérites = une meilleure garantie des libertés et la normalisation des relations entre
le seigneur et les communautés urbaines ou rurales. Pour la royauté, l'intérêt de la renaissance urbaine qu'elle a
vivement encouragé en dehors du domaine royal, mais freiné dans son propre domaine, est qu'elle réduit la puissance
des seigneurs qui lui ont fait de l'ombre. L'autorité royale interviendra dans les conflits entre populations urbaines
pauvres et oligarchie municipale en se posant en arbitre. Cela permet au roi de réaliser une entreprise d'unification et
d'uniformisation des statuts des villes. La royauté s'est efforcée de contrôler la gestion des villes, de réduire leur
autonomie et surtout de les utiliser comme des relais pour diffuser sa politique. Le titre de bonne ville est attribué à
des villes puissantes économiquement et dotées de moyens défensifs importants par le roi : les villes lui doivent
obéissance, loyauté et des subsides prélevés sous forme de terre ; en contrepartie, elle est associée au ministère royal
= le roi va la consulter régulièrement sur la gestion du domaine royal, sur les grandes questions diplomatiques et
militaires. Le roi s'appuie en fait sur le tiers état pour réduire la puissance de la noblesse. C'est en raison de cette
association que ce statut a été très recherché.
La ville est une des alliées les plus fidèles du roi dans son entreprise de reconstruction de son autorité tout
au long des XII, XIII et XIVèmes siècles.
V. L'AFFERMISSEMENT DU POUVOIR ROYAL
L'essor économique et urbain a rendu la société plus complexe et a engendré de nouveaux besoins en matière de
pouvoirs publics. Jusqu'au XIIème, pour le plus grand nombre, la vie se déroule à l'intérieur de la seigneurie. La
société est complètement figée = seuls quelques usages assez sommaires pour régler les litiges à l'intérieur des
groupes humains suffisent.
Pour assurer la prospérité commerciale, il faut une autorité régulatrice qui puisse garantir paix, sécurité,
stabilité à l'échelle d'un royaume, d'un état. Il faut aussi un cadre juridique plus stable, plus adapté aux nouvelles
activités = il y a besoin d'une législation. La royauté va se donner les moyens de remplir cette mission.
Elle va être aidée dans cette tâche de reconquête par l'apport théorique fourni par la pensée gréco-romaine
redécouverte au XIIème. Cet apport intellectuel va permettre à la royauté de légitimer sa suprématie sur les puissances
susceptibles de lui porter ombrage (comtes, ducs, papauté et empereur,…). Cette tâche va prendre 3 siècles (XIIXVème) au cours desquels la royauté va affirmer qu'elle est suzeraine puis souveraine.
Du roi suzerain des suzerains au roi souverain : l'affirmation de l'autorité royale sur le royaume.
Le roi s'affirme comme le sommet de la société féodale. Quand il a réussi à s'imposer suzerain des suzerains, au
XIIIème, il développe l'idée d'une souveraineté = elle caractérise celui qui a en charge la chose publique, alors
que la suzeraineté n'est qu'un rapport d'homme à homme. Apparition en filigrane de l'idée d'Etat. Le roi suzerain
des suzerains
Les clercs ont battis des théories politico-juridiques chargées de renforcer l'autorité royale. Le pouvoir royal va
diffuser ces modèles en les faisant apparaître comme des évidences à l'esprit du plus grand nombre. Ces modèles
vont beaucoup faciliter l'action du roi pour opérer la reconstruction de l'unité du royaume.
• Le modèle théorique.
L'abbé Suger (fin XIème-milieu XIIème), un des théoriciens de la royauté défend l'idée qu'il existe une pyramide
féodo-vassalique à la tête de laquelle ne peut se trouver que le roi. Il défend 4 idées : la mouvance doit servir à
reconstruire l'unité du royaume, la suzeraineté suprême de la royauté, il faut lutter contre l'adage "le vassal de mon
vassal est mon vassal", il faut donner un sens neuf et beaucoup plus abstrait à la notion de couronne.
Le processus de féodalisation
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* La mouvance et le royaume = la hiérarchie des terres. Suger écarte le lien personnel et raisonne à
partir du lien réel = le fief. Théorie assez simple : chaque fief est censé se mouvoir d'un autre fief plus vaste dont
il a été issu lors du démembrement féodal. Les seigneuries banales sont donc tenues en fief des comtés, eux-mêmes
tenus en fief des duchés et principautés qui sont tenus en fief du roi. Le royaume, qui est le point de départ du
démembrement est unitaire, cohérent, placé sous l'autorité du roi. Si le royaume est au sommet de la mouvance, au
sommet de tous les seigneurs il n'y a que le roi = hiérarchie des personnes qui vient de l'idée de hiérarchie des terres.
* La royauté suzeraine : la hiérarchie des personnes. Suger a bénéficié de l'apport du modèle
économique diffusé par la réforme grégorienne. On arrive à l'image d'une monarchie supérieure à tous degrés des
forces seigneuriales. Cette construction a été élaborée à partir des règles même de la féodalité = les seigneurs ne
peuvent pas refuser à leurs suzerains ce qu'ils exigent de leurs propres vassaux. Il faut donc que le roi ne soit pas
entré dans des relations de dépendance en tant que vassal, car il ne doit pas devoir l'hommage à qui que ce soit, ce
qui peut arriver quand il achète ou hérite d'un fief. On a donc inventé des mécanismes pour permettre au roi de ne pas
se soumettre aux contraintes de la vassalité. Fin XI-début XIIème, quand Philippe 1er achète le Vexin à l'abbaye de
Saint Denis, il ne prête pas hommage car il est le roi. Cette situation est injuste pour l'abbaye car il y a dispense des
obligations vassaliques. Louis VI, le fils de Philippe 1er, contourne l'obstacle en affirmant qu'il tient le fief de Saint
Denis lui même. Mais le recours à de telles fictions n'est pas toujours possible. Première solution en 1185 quand le
roi acquiert un fief qui dépend de l'église d'Amiens : il offre une compensation financière pour dédommager le
seigneur et prévoit que si le fief échoit à un nouvel acquéreur, celui-ci devra prêter hommage. Cette solution ne
remet pas en question le statut féodal du bien. Au XIIIème, des auteurs coutumiers vont exprimer la suzeraineté du roi
par l'adage de Beaumanoir "le roi ne tient de personne" = il est acquis que le roi est au sommet de la pyramide des
terres et des personnes.
* La limitation des effets de la règle "le vassal de mon vassal n'est pas mon vassal". L'adage présentait
un inconvénient considérable pour le roi car il n'avait d'autorité directe que sur ses vassaux directs, et pas d'autorité
du tout sur ses arrières vassaux. Ce principe pouvait ruiner la conception de Suger. Dans un premier temps, on a
essayé de supprimer le plus grand nombre d'arrières vassaux en les transformants en vassaux directs. Mais, il
fallait distribuer des fiefs, ce qui est devenu possible au 12ème avec le retour de l'économie monétaire : ce sera un
fief-rente (facile à suspendre si le vassal ne respecte pas ses obligations). L'autre technique utilisée à consister à ce
que le roi se substitue à l'ancien seigneur : les vassaux de l'ancien seigneur deviennent ainsi des vassaux directs du
roi. Ce système a bien marché pour des raisons de mentalité, car devant le prestige grandissant des capétiens, la
noblesse a été désireuse d'accroître son propre prestige en prêtant serment directement au roi. A partir du XIIIème, le
roi rencontre des difficultés et est incité à renverser la règle en question, ce qu'il fait en profitant de sa puissance
grandissante et de l'ignorance de cette règle dans le modèle anglo-saxon. Ainsi, tous les seigneurs, quels que soient le
degré qu'ils occupent dans la hiérarchie sont désormais sous l'emprise du roi.
* La couronne : jusqu'au milieu du XIIème, le mot "couronne" désignait l'objet matériel considéré comme
un insigne de la royauté. Dans la seconde moitié du XIIème, le sens évolue, et pour Suger, c'est une entité abstraite
distincte de la personne physique du monarque à laquelle les individus doivent fidélité. Elle dépasse la personne
investie du pouvoir royal et continue donc à exister après sa disparition.
• La reconstruction du territoire.
L'idée de la hiérarchisation des terres va beaucoup aider la royauté car si toutes les seigneuries sont un fief, elles
peuvent toutes se voir appliquer le droit féodal. Les capétiens réussissent ainsi à étendre le domaine royal, mais cette
entreprise est compliquée par la constitution de l'empire Plantagenêt.
* La formation de l'empire Plantagenêt : en 1066, Guillaume le Conquérant, duc de Normandie,
envahit l'Angleterre et bat les saxons : il devient ainsi roi d'Angleterre, or il est vassal du roi de France. Ses
descendants règnent donc sur l'Angleterre et la Normandie. A la mort de Henri 1er d'Angleterre en 1135, un conflit
éclate entre les deux personnes qui peuvent prétendre à sa succession = sa fille Mathilde, mariée à un Plantagenêt, et
son neveu Etienne de Blois. La guerre dure plusieurs années puis Mathilde abandonne l'Angleterre à Etienne et rentre
en Anjou. Son mari a profité des troubles pour annexer la Normandie. Les Plantagenêt dirigent donc le Maine,
l'Anjou et la Normandie. Leur fils Henri épouse Aliénor d'Aquitaine, qui amène l'Aquitaine et la Gascogne dans
le domaine des Plantagenêt qui compte aussi la Bretagne. En 1154, Henri Plantagenêt monte sur le trône anglais, ce
qui constitue une menace considérable pour le roi capétien. Les difficultés à gérer l'empire (deux continents séparés
par la mer) et l'opposition des fils qui prennent les armes contre leurs pères entraînent le déclin rapide de l'empire :
des 4 fils, l'aîné meurt, et Richard Cœur de Lion succède à son père en 1189, puis son frère Jean Sans Terre règne de
Le processus de féodalisation
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1199 à 1216. Pendant son règne, les capétiens parviendront à récupérer leurs autorités sur les possessions anglaises
du continent.
* Utilisation par les capétiens du droit féodal :
- le jeu de la patrimonialité. Le roi achète des fiefs à des seigneurs qui ont besoin d'argent (1343 = le Dauphiné),
négocie des mariages avec des héritières richement dotées (1180 = la mariage de Philippe avec Isabelle de Hainaut
intègre l'Artois dans le domaine royal), utilise des règles féodales qui permettent à un seigneur d'intervenir quand un
fief échoit à une héritière non mariée (met sur pied des politiques d'alliance) et des règles féodales en matière
successorale (quand un fief tombe en déshérence, il revient au seigneur = 1360, la Bourgogne). On peut aussi léguer
au roi des fiefs par testament (Provence au XVème).
- le jeu des sanctions féodales. C'est par ce jeu que le roi de France a dépossédé le roi anglais Jean Sans Terre de
ses fiefs sur le continent. Jean Sans Terre avait outragé un de ses vassaux Hugues de Lusignan en épousant la jeune
femme qui lui était promise. Hugues fait appel à son vassal, mais il s'agit de Jean Sans Terre qui refuse de porter
l'affaire devant la Cour Féodale de Poitiers. Hugues estime qu'il y a déni de justice et en appelle au seigneur de son
seigneur = le roi de France qui convoque Jean Sans Terre devant la Cour Royale. Ce dernier refuse de s'y présenter.
Le roi prononce en 1202 la commise des fiefs de Jean Sans Terre : ils retournent entre les mains du roi de France, le
serment prêté par Jean Sans Terre au roi de France est annulé et tous les anciens vassaux directs de Jean Sans Terre
sont déliés de leur fidélité à Jean Sans Terre mais dépendent directement du roi de France. Le roi de France
entreprend alors une campagne militaire contre Jean Sans Terre = en 1204, la Normandie, le Maine et l'Anjou
réintègrent le domaine royal, et en 1214, suite à la bataille de Bouvines, le Poitou réintègre le domaine royal. Seule la
Guyenne est encore contrôlée par le roi anglais.
Quand la royauté a du mal à prendre pied dans certaines zones, elle utilise d'autres techniques = des
prétextes. Au XIIIème, l'hérésie cathare que l'autorité royale combat à la demande du pape permet de faire passer le
Languedoc dans le domaine royal. En 1208, début de la croisade des albigeois, qui sous la conduite de Simon de
Montfort mettent à sac Béziers, et implantent leurs dominations dans le Languedoc : ils s'emparent du comté de
Toulouse et Simon de Montfort prête serment au roi de France Philippe Auguste, qui prend donc pied dans le
Languedoc de façon indirecte. Louis 8 interviendra pour soutenir les droits de la famille de Montfort, contestés par le
fils de l'ancien comte de Toulouse = intervention militaire, prise d'Avignon et rédition du Languedoc. Le traité de
Paris de 1229 fait passer la quasi totalité du Languedoc sous la domination du roi de France. Cette progression a
connu des retards et a été beaucoup entravée par l'utilisation que les capétiens ont fait du mécanisme de l'apanage.
* Les obstacles à la reconstruction : les apanages. L'usage féodal voulait que l'aîné succède à l'intégralité du fief
pour en maintenir l'unité et donc pour maintenir la puissance de la famille. Le problème était alors de savoir ce
qu'il fallait donner aux cadets. Pendant longtemps, ils n'ont rien reçu, puis une coutume est apparue et on leur a
donné une portion de territoire à titre d'apanage. Ce mot est apparu au XIIIème, mais il existait déjà des formules
compensatoires qui évoquaient ce mécanisme. Cette technique fut beaucoup pratiquée par la noblesse et dans la
famille royal car elle permet la paix et la tranquillité entre les frères, en évitant les jalousies. Cette technique
commence à apparaître sous le règne de Louis 6, mais est encore modérée et se développera sensiblement à partir du
règne de Louis VIII, qui par testament de 1225 a constitué 1/3 du domaine royal en apanage pour ses fils
cadets.
Comme il ne fallait pas remettre en cause pour autant l'indivisibilité de la couronne, le statut juridique des
apanages a été fixé très clairement = pas de don en pleine propriété, et les légistes ont défini un certain nombre de
règles pour limiter les inconvénients qui pourraient résulter de la constitution de ces apanages :- ne peuvent
succéder aux apanages que les héritiers en ligne directe. S'il n'y en a pas, l'apanage fait retour à la couronne.
- les femmes sont exclues de la succession aux apanages.
- le roi a l'exclusivité d'exercice des droits régaliens dans les apanages. Le but est de préserver les droits du
roi pour faire en sorte que les princes apanagés perçoivent les revenus de l'apanage, mais qu'ils n'en assurent pas
véritablement le gouvernement.
Certains princes ont tout de même réussi à faire de leur apanage une véritable puissance concurrente de
l'autorité royale : à partir de 1360, quand Jean II donne à son fils cadet la Bourgogne en apanage, une véritable
dynastie s'y installe et profite du contexte politique pour s'opposer à l'autorité royale. Pendant la guerre de 100 ans,
les ducs de Bourgogne vont même en faire un véritable état centralisé, et la Bourgogne ne rejoindra le domaine royal
Le processus de féodalisation
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qu'en 1477. Au XVème, quelques poches d'autonomie subsistent : la Bretagne ne sera rattachée qu'en 1532 et il aura
fallu 2 mariages d'Anne de Bretagne avec Charles VIII et Louis XII.
Dès le XIIème, la chancellerie royale remplace l'expression "rex francorum" (roi des francs) par celle de
"rex franciae" (roi de France) = un royaume a été reconstitué et la notion de souveraineté du roi apparaît.
le roi souverain.
L'idée de souveraineté exprime la volonté royale d'affirmer sa supériorité sur tous les hommes du royaume. Le
glissement de l'un vers l'autre a été très rapide et peu difficile : le plus dur a été de faire admettre la suzeraineté
absolue du roi. Il n'y a pas eu de problème politique ni social car l'élite du 1/3 état était tout à fait acquise à la
royauté. Le passage va s'opérer sous l'influence des légistes du roi.
• L'importance des légistes.
La renaissance du Corpus Juris Civilis relance le développement des études de droit, des universités et de la
formation de techniciens du droit (diplômés en droits romain et canonique). C'est dans ces deux droits que les
légistes vont puiser des modèles destinés à fortifier l'autorité royale. Les légistes sont des conseillers du roi,
proches de l'autorité royale, et qui siègent au Conseil du roi. Ils ont reçu leur formation aux universités de
Toulouse, Montpellier ou Orléans. Dès le règne de Louis 7, apparition de l'image d'un roi entouré d'un personnel de
juristes, qui continue avec Louis 9, mais les conseillers les plus célèbres sont ceux de Philippe le Bel : beaucoup
d'orléanais, dont Guillaume de Nogaret, Guillaume de Plaisians et Pierre Flot. Ce phénomène de juristes défendant la
souveraineté du roi se retrouve dans beaucoup de pays européens, mais en France, leur association avec le royaume a
été très étroite, et l'université a beaucoup servi l'autorité royale. Critiques constantes du 13ème au 15ème (N. Oresme,
Philippe de Mézières, et Juvénal des Ursins) reprochant une interprétation dangereuse du droit romain entraînant la
royauté vers l'absolutisme. Les légistes essayaient effectivement de doter la monarchie d'outils juridiques adaptés à la
reconstruction de l'état, mais ils plaçaient aussi des bornes à la toute puissance de l'état.
• L'apport intellectuel des légistes.
Ils vont utiliser le code et le digeste du Corpus Juris Civilis : référence à l'imperium, à la res publica, dont le
roi serait le gardien, et exploitation d'un fragment de texte d'Ulpien dans lequel il distingue le droit privé et le droit
public en fonction de leurs objectifs (le droit public traite de l'état et de la chose publique ; le droit privé concerne les
individus pris un à un). Le droit applicable au roi est le droit public = la souveraineté est par essence même
inaliénable et imprescriptible. Le roi peut disposer des prérogatives de puissance publique (monnaie, police,
commandement militaire, levée d'impôt) et un nouvel adage apparaît = "toute justice émane du roi" : la justice
déléguée est rendue au nom du roi par des représentants qui ne sont pas titulaires du pouvoir judiciaire (ils peuvent
être dessaisis à tout moment), et la justice retenue est rendue personnellement par le roi. Cette théorie met en échec
les principes féodaux, car elle signifie que les seigneurs ne sont pas propriétaires de la justice qu'ils rendent.
Le grand apport des légistes a été de justifier le pouvoir législatif du roi. Ils se sont appuyés sur deux adages
du droit romain : "ce que veut le prince a force de loi" et "le prince est supérieur aux lois". Dès le milieu du
XIIème, on a constaté une réapparition de la législation royale après 3 siècles d'inexistence. Le premier acte qui atteste
la reprise est une loi du 10 juin 1155 prise par Louis VII à Soisson, dans laquelle il ordonne une paix générale sur
tout le royaume pour 10 ans. Le roi n'a pas encore le monopole de la loi (concurrence des seigneurs et des villes)
mais à partir du XIIIème, il va le revendiquer pour imposer dans tout le royaume un ordre juridique uniforme facilitant
la reconstruction de l'état. Les légistes, suivant en cela les clercs et les théologiens, ont posé des bornes au pouvoir
législatif du roi : il ne doit aller ni contre la loi divine, ni contre les bonnes moeurs. Ils se sont beaucoup inspirés du
décret de Gratien, qui a accoutumé les esprits à l'idée d'une codification raisonnée des règles de droit, et des
canonistes qui avaient déjà beaucoup réfléchi au problème de la puissance législative du pape (administration
ecclésiastique très performante depuis la réforme grégorienne / droit d'imposition sur le clergé). Le roi va tenter de
les copier. Ces modèles vont s'imposer avec le temps.
VI. LE ROI DE FRANCE SOUVERAIN VIS-A-VIS DU PAPE ET DE L'EMPEREUR
Depuis la restauration de l'empire en 800, l'une des idées dominantes a été celle d'un peuple chrétien soumis à
l'empereur et au pape. A partir du XIIème sous l'effet de la réforme grégorienne, la papauté a affirmé qu'elle précédait
l'empereur dans l'entreprise de gouvernement de la chrétienté occidentale. Personne ne doute que l'occident chrétien
Le processus de féodalisation
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forme un ensemble homogène, mais cette idée disparaît au 13ème, quand les populations des pays d'Europe se rendent
compte de leurs différences : un sentiment d'appartenance nationale apparaît.
• L'indépendance du roi de France vis-à-vis de l'empereur.
Les thèses défendues par l'école des glossateurs servent le pouvoir impérial : le droit romain est une
législation vivante, applicable en tant que tel en vertu de la promulgation qui a été faite à l'époque romaine.
L'empereur du saint empire est donc considéré comme l'héritier des empereurs romains, et le droit romain tire son
autorité de cette permanence. Les légistes impériaux ont aussi redécouvert les adages sur le rapport entre le prince et
la loi : ils les exploitent en distinguant auctoritas et potestas. Dans leurs logiques, l'empereur possède l'auctoritas
(celui qui l'a est supérieur aux autres) alors que les rois n'ont que la potestas (un pouvoir dépendant de l'auctoritas).
Les rois seraient donc subordonnés à l'empereur. Les canonistes affirmaient que c'était le pape qui détenait
l'auctoritas, mais les légistes impériaux affirment qu'il a été donné à l'empereur en 27 av. JC, à une époque où il n'y
avait pas de pape. Le but est d'affirmer que l'empereur dispose de l'Imperium Mundi = il est le maître du monde. Ces
thèses ne plaisent guère aux différents rois européens et Philippe 2 s'attribue le surnom de Philippe-Auguste pour
montrer que le roi peut se prévaloir de la tradition impériale.
Seconde manifestation d'hostilité en 1219, avec l'interdiction de l'enseignement du droit romain à Paris
pour que ne se diffuse pas la pensée de l'école des glossateurs. Les légistes du roi de France répondent aux
prétentions impériales en s'appuyant sur la décrétale Per Venerabilem (1202 : le pape rejette pour incompétence la
demande d'un comte de légitimer un enfant adultérin et renvoie le problème devant le roi, en l'incitant à ne pas
reconnaître de supérieur au temporel = à être souverain). Ils en exploitent une phrase qu'ils sortent du contexte et
l'opposent à l'empereur en soulignant que le pape a lui même érigé en principe la souveraineté du roi de France. Les
légistes se sont repliés sur une autre solution juridique tirée du droit féodal : ils invoquent l'adage "le roi ne tient de
personne" pour réfuter les prétentions impériales. Cette entreprise doctrinale a été facilitée par les circonstances
politiques, car en 1250, l'empereur Frédéric 2 meurt et pendant un siècle, la couronne impériale est restée sans
titulaire. Durant cette période (début XIIIème), l'adage "le roi est empereur en son royaume" apparaît.
• L'indépendance du roi vis-à-vis du pape.
Cette indépendance sera acquise à l'issue d'un conflit de 7 ans qui a opposé Philippe le Bel et Boniface 8 de 1296 à
1303. Cette période marque l'apogée de la crise, mais ses racines sont plus anciennes : le droit romain et la redécouverte
d'Aristote au XIIème ont contribué au développement du mouvement de contestation de la théocratie pontificale.
* Contestation théorique de la théocratie pontificale : Saint Thomas d'Aquin, professeur de théologie à
Paris emprunte de nombreuses idées à la philosophie d'Aristote dont celle selon laquelle il existe un ordre social
autonome, indépendant de l'ordre religieux, car il existait avant le christianisme. Selon Saint-Thomas, l'état a une
autonomie, un droit qui lui est propre et n'a pas à se couler dans le moule de l'église. En parallèle aux travaux de
Saint-Thomas, les juristes trouvent dans le droit romain des principes qui vont dans le même sens, dont celui selon
lequel ce que veut le prince a force de loi = pouvoir autonome du prince, libre de toute ingérence politique.
* Le conflit entre Philippe-le-Bel et Boniface VIII (1296-1303) : Boniface VIII, est très âgé (80 ans) et a
été éduqué avec des thèses de théocratie pontificale. Philippe IV (30 ans) est convaincu que le roi et l'Etat sont au
service de Dieu et que c'est au roi de conduire son peuple vers le salut.
La première phase du conflit se déroule de 1296 à 1297. Le point de départ est un problème fiscal en raison de
la guerre contre l'Angleterre : pour financer sa campagne, le roi lève un impôt sur le clergé, or selon une coutume
bien établie, les biens du clergé sont exemptés de tout impôt en récompense des services que l'église rend à la société
(seul le pape peut imposer le clergé et ses biens pour financer les croisades). La taxe levée = la décime (1/10 des
revenus des biens) avait déjà été levée dans des cas particuliers. En 1294 et 1295, Philippe le Bel avait déjà obtenu
du clergé l'autorisation de la lever, en invoquant qu'il est normal que le clergé participe aux dépenses communes pour
maintenir la paix et la sécurité car ils en bénéficient comme les autres. En 1296, il recommence à lever l'impôt,
mais pour la première fois, le pape réagit et prend une décrétale le 24février 1296 dans laquelle il interdit au
clergé de payer la taxe, et rappelle au roi l'interdiction faite à toutes les puissances temporelles de lever un impôt sur
le clergé sans l'autorisation du pape. Tous ceux qui trouvent l'ingérence pontificale insupportable réagissent et
publication anonyme d'un libelle qui rappelle l'antériorité du roi de France sur l'église. Bonniface VIII riposte en
1296 par la bulle Ineffabilis Amor dans laquelle il menace le roi d'excommunication. Le roi interdit alors toute
sortie de fonds du royaume à destination du saint siège. Il bénéficie du soutien du clergé dans sa lutte, et le bras de
fer se termine en juillet 1297 par la capitulation du pape qui reconnaît que le roi, peut en cas de nécessité
obtenir l'aide financière des clercs du royaume.
Le processus de féodalisation
21
La phase aiguë du conflit se déroule de 1301 à 1303 : les officiers royaux arrêtent l'évêque de Pamiers pour
trahison et crime de lèse-majesté. Le roi souhaite le traduire devant un tribunal royal, alors qu'étant clerc, il relève de
l'officialité. Le pape menace de citer le roi à comparaître devant la cour de Rome et publie en décembre 1301 la
bulle Ausculta Fili, dans laquelle il cherche à mettre le roi dans une position d'infériorité et prononce un
avertissement pour lui rappeler qu'il lui est soumis. Philippe le Bel porte l'affaire devant l'opinion publique pour
qu'elle prenne position contre le pape, et réunit en 1302 une assemblée composée des représentants des 3 ordres. Il
envoie une délégation à Rome, qui est mal reçue par le pape, qui menace à nouveau d'excommunication le roi et
publie la bulle Unam Sanctam le 18/11/1302 dans laquelle il affirme péremptoirement toutes les thèses de la
théocratie pontificale. Le roi riposte en 1303 et convoque une assemblée à Paris, dans laquelle un légiste lance des
accusations (hérésie, simonie, idolâtrie, sodomie) contre le pape, et réclame qu'il soit jugé par un conseil
convoqué par le roi. Le concile reçoit le soutien du roi, et en 9/1303, Guillaume de Nogaret se rend à Rome pour
notifier au pape sa citation à comparaître. La tradition prétend que l'expédition a mal tourné, que les chevaliers
français auraient pillé la résidence pontificale et que Guillaume aurait giflé le pape = attentat d'Anagni. La mort du
pape en octobre 1303 met fin au conflit.
Portée politique du conflit et ses prolongements : les successeurs de Boniface VIII seront beaucoup moins
intransigeants et même complaisants : Benoît 11 et Clément 5 ont donné satisfaction au roi de France en condamnant
l'attitude de Boniface VIII. La lutte de Philippe le Bel aurait été "bonne, juste et sincère" et le roi aurait été "innocent, et
sans faute". Ils condamnent la théorie pontificale et reconnaissent l'indépendance et la supériorité du roi de France au
temporel = reconnaissance implicite de la souveraineté du roi de France. Au terme de ce conflit, le roi s'est affirmé
comme le maître des finances et de la justice de son royaume. Il se pose en protecteur des libertés de l'église de France =
elle reste soumise au pape en matière spirituelle, mais en matière temporelle, elle est soumise au roi de France = le
gallicanisme. Cette théorie n'est pas toujours très nette, et est à l'origine de nombreuses crises entre la royauté et la
papauté jusqu'au XIXème. Pour rétablir de bonnes relations avec le roi de France, la papauté s'est installée en Avignon à
partir de 1309, mais elle a continué à appliquer sa politique de centralisation, qui découle de la réforme grégorienne =
elle développe son administration et sa fiscalité. Mais l'installation en France et cette politique centralisatrice sont de
plus en plus contestées, même au sein de l'église. Des réformes sont réclamées mais elles ne viennent pas, et la crise
éclate en 1377 : il y a 2 papes, un en Avignon et un à Rome, les Etats européens soutenant l'un ou l'autre. La crise
prend fin en 1417, mais de nombreuses conséquences en résultent surtout en France : les théories gallicanes se sont
développées. En 1398, un conseil d'une cinquantaine d'évêques français prononce une soustraction d'obédience =
supprime toute soumission au pape et décide que l'église de France est désormais habilitée à gérer ses propres affaires
en accord avec le roi = gallicanisme religieux. L'église de France a volonté de s'émanciper de la tutelle du pape pour
passer sous la tutelle du roi.
L'union entre l'église de France et le roi a culminé dans la pragmatique sanction de Bourges (1438) : le roi
acquiert un véritable pouvoir législatif sur son Eglise, peut examiner la législation canonique avant qu'elle n'entre en
France, et détient une autorité sans partage sur des institutions qui relevaient jusqu'alors directement de la papauté =
les universités (en 1438). La question cruciale du mode de désignation des évêques est résolue de façon durable par
le concordat de Bologne de 1516, qui s'appliquera jusqu'à la constitution civile du clergé de 1790. Le roi désigne le
candidat au siège épiscopal, et s'il remplit les conditions d'âge (27 ans) et de sciences (en droit canonique) il est
investi par le pape.
A partir du XVème, l'église de France est placée sous le contrôle du roi, et intègre la structure étatique jusqu'en
1905. Tous ces événements marquent la fin de l'universalisme chrétien qui avait caractérisé la période médiévale
depuis le Vème. Fin XIIIème, début XIVème, des états nationaux se construisent en Europe, dont la France et la GB.
VII. CROISSANCE (XIVEME-XVEME) DE L'ETAT MONARCHIQUE. LOIS
FONDAMENTALES
La croissance est difficile en raison du contexte, et surtout en raison de la guerre de 100 ans (1340 - 1475), due en
apparence à un simple problème de succession, mais dont les causes sont en fait plus anciennes. Le début de la
guerre est catastrophique pour les français, et le roi Jean II est fait prisonnier en 1356 (la rançon ruine la France pour
quelques années). Dans les années 1360, un redressement a lieu sous le règne de Charles V, puis les chances
françaises sont à nouveau compromises en raison de la folie de Charles VI. La guerre civile (Armagnacs /
Bourguignons) viendra s'ajouter à ce conflit, et ne cessera qu'au XVème quand Charles VII parviendra à rétablir
l'autorité royale. Mais la paix ne sera pas durable et au XVIème les guerres de religion débuteront. Ce contexte
difficile a été aggravé par l'arrivée en Europe en 1348 de la peste noire. Les dirigeants successifs, devant les
Le processus de féodalisation
22
difficultés à affronter, ont du faire preuve d'imagination en matière administrative, juridique et politique. L'état est
sorti conforté de cette crise, qui a permis l'élaboration d'une série de principes qui vont constituer l'armature
constitutionnelle de la France, et la multiplication d'institutions qui donnent au roi des moyens de gouvernement.
Suite aux crises, en général, on assiste à l'élaboration de règles fixant le statut de l'état monarchique. Les solutions
dégagées pendant ces périodes sont souvent à l'origine de véritables coutumes constitutionnelles, qui vont finir par
former une véritable constitution dans la mesure où le roi ne peut pas les modifier. En 1575, ces coutumes ont pris le
nom de Lois Fondamentales du royaume. Ces principes ont tous en point commun de chercher à mettre le royaume et
la couronne à l'abri de l'arbitraire de la volonté royale.
• Les règles de dévolution de la couronne. Les capétiens ont vite rétabli le principe héréditaire et ont imposé via
l'association au trône le principe de primogéniture.
* L'exclusion des femmes : durant 3 siècles (12 générations), les rois capétiens ont toujours eu un fils pour leur
succéder. Mais le miracle capétien s'arrête en 1316 : Louis 10 le hutin meurt en laissant une fille, Jeanne, et une seconde
femme enceinte, le reine Clémence de Hongrie. Le frère de Louis 10, Philippe comte de Poitiers assure la régence par
intérim. L'enfant naît (un garçon) mais il meurt quelques jours plus tard. Le problème est alors de savoir si Jeanne peut
succéder à son père : le droit féodal admet que les femmes succèdent à un fief, ou qu'elles assurent la régence,… mais
plusieurs raisons vont se cumuler pour refuser cette succession : elle est très jeune (longue régence en perspective), on
n'est pas sûr de sa naissance (mère convaincue d'adultère), et son mariage risque de faire passer la maison de France
sous l'influence étrangère. Philippe de Poitiers s'oppose à la montée sur le trône de sa nièce, et en décembre 1316, les
grands du royaume acceptent qu'il conserve le pouvoir royal. Le sacre a lieu en janvier 1317, il règne sous le nom de
Philippe V-le-long et fait très vite proclamer que "femme ne succède à la couronne de France". On précise la règle de
masculinité, enrichie d'un principe nouveau conformément à ce qui vient de se passer : le principe de collatéralité
masculine = en l'absence d'un héritier mâle direct, la couronne passe au frère le plus âgé du roi défunt.
Quelques années plus tard, en 1324, Philippe V meurt en ne laissant que des filles et on applique la règle
dégagée en 1316 : la couronne passe au dernier fils de Philippe IV le Bel, Charles IV le Bel. En 1328, à sa mort, il n'a
que des filles et une sœur, Isabelle mariée au roi d'Angleterre, dont elle a eu un fils Edouard. Isabelle ne peut pas
revendiquer pour elle la couronne, mais elle le peut pour son fils, neveu du roi défunt. Politiquement, la chose est
inacceptable car on rattacherait les deux royaumes. On pose donc un nouveau principe.
* L'exclusion des parents par les femmes : au regard du droit féodal, Edouard aurait pu monter sur le trône de
France, car même les coutumes qui excluent les femmes de la succession aux fiefs admettent la règle coutumière "la
femme fait planche et pont" = elle ne succède pas personnellement, mais transmet ses droits à ses héritiers. Cette
solution est rejetée en 1328 par une assemblée composée de barons, prélats et bourgeois de Paris qui refusent la
montée d'Edouard sur le trône. Les juristes royaux font une application plus étendue du principe de collatéralité, et
choisissent en ligne collatérale masculine le plus proche parent du roi défunt. On remonte au père de Philippe 4, on
prend ses frères et leurs descendances (les cousins du roi défunt) : le choix se porte sur Philippe de Valois (fils aîné
de Charles de Valois) qui monte sur le trône en 1328 sous le nom de Philippe VI = début de la branche des capétiens
Valois. On ne justifiera cette succession qu'en 1338 quand Edouard III d'Angleterre entreprend de revendiquer la
couronne de France : on a alors recours à un argument religieux : le roi étant sacré, il a une fonction religieuse, quasi
sacerdotale, or les femmes ne peuvent pas devenir prêtre. L'exclusion de la parenté par les femmes (la loi salique),
est justifiée par un moine de Saint-Denis, Richard Lescot, qui a exhumé en 1358 une version des coutumes des francs
saliens, rédigée du vivant de Clovis et qui exclue les femmes de la succession à la terre allodiale (la terre de la
famille). Cette règle est élargie à la famille royale. Ces règles ont donné naissance à l'adage "En France, les lys ne
filent". Le trône de France ne tombe pas en quenouille
* La loi de catholicité : le roi de France est sacré et a donc des responsabilités vis-à-vis de l'Eglise. Il doit donc être
catholique. Aucun problème jusqu'au XVIème , puis le protestantisme apparaît. Luther pose la règle, utilisée en
Allemagne et Angleterre, selon laquelle la religion du roi détermine celle de ses sujets. A partir de 1577, on
s'inquiète en France de la portée de cette théorie, car Henri III n'ayant pas d'enfants et son frère étant mort, l'héritier
présomptif est Henri de Bourbon, roi de Navarre, passé au protestantisme (excommunié en 1585). Les Guise vont
défendre violemment le principe de catholicité du roi, et les états généraux de 1588 imposent à Henri III de
reconnaître ce principe, qui devient une Loi Fondamentale en 1588 = le cardinal Charles de Bourbon, oncle du roi de
Navarre devrait donc succéder à Henri III. En 1589, Henri III fait assassiner le duc de Guise à Blois, puis est
assassiné le 1er août par le moine Jacques Clément. Avant de mourir, il a désigné Henri de Navarre comme son
successeur. Une crise de succession s'ouvre et dure 4 ans, puis la situation se débloque en 1593, avec l'arrêt Lemaître
rendu par le Parlement de Paris, qui pose comme principe "la loi de succession désigne Henri de Navarre comme roi
Le processus de féodalisation
23
de France, mais il ne peut devenir roi d'exercice que s'il est né d'un mariage canoniquement valable et sous la
condition suspensive de sa catholicité". Le 25 juillet 1593, Henri de Navarre abjure le protestantisme et est sacré : il
devient roi légitime sous le nom de Henri IV => adage "Paris vaut bien une messe".
• La continuité de l'Etat.
C'est un principe fondamental, car l'un des points faibles de la monarchie française, c'est que depuis Hugues Capet,
c'est le sacre qui fait le roi : entre la mort du roi et le sacre de son successeur, il y a un vide juridique. Autre problème
en cas de minorité du roi, car les problèmes inhérents à la régence se posent : qui va être appelé à l'exercer ? La
solution de fait consiste à la confier à l'héritier présomptif de la couronne (celui qui en hériterait dans le cas de la
mort du jeune roi), à une personne désignée par le roi dans son testament, ou à défaut de manifestation de volonté, à
la reine mère. Mais il faut aussi définir les pouvoirs du régent, qui est traditionnellement assimilé au baillistre féodal
(celui qui a la garde du fief pendant la minorité), mais le problème vient du fait que le baillistre exerce les droits sur
le fief en son nom propre. Le régent exerce donc le pouvoir royal en son nom, au lieu de celui du roi, et il peut être
tenté de le conserver. La doctrine, la législation et le droit coutumier ont donc travaillé pour dégager le principe de
continuité de l'état, qui sera affirmé au XVème.
* La doctrine : les théoriciens et légistes du roi ont regardé du coté du droit canonique et de la pensée chrétienne,
et y ont trouvé la théorie des deux corps du christ : le vrai corps du christ (corps physique qui est mortel) et le corps
mystique (la société chrétienne dirigée par le pape). Ils ont raisonné par analogie et ont distingué les deux corps du
roi : le corps mortel et le corps mystique, qui incarne l'état et la fonction royale exercée par le roi. Ce corps mystique
se perpétue au delà de l'existence du souverain. Les légistes découvrent aussi la notion juridique de dignitas = la
fonction qui a pour essence de durer aussi longtemps qu'elle a des titulaires : ce n'est pas la personne exerçant la
dignité qui a reçu une délégation de pouvoir du pape, c'est la dignité elle-même. La royauté est une dignité.
* L'apport du droit coutumier : au milieu du XIIIème, la jurisprudence du parlement de Paris fait apparaître
l'adage :" le mort saisit le vif" = l'héritier est saisi instantanément de la succession sans la moindre formalité. Cette
instantanéité avait pour but de protéger la famille du défunt en renforçant les droits de la famille sur les biens vis-àvis des tiers. C'est une règle de pur droit privé transposée en faveur de la dignité royale.
* La législation royale : une série d'ordonnances royales prise entre 1374 et 1407 afin d'instaurer cette
instantanéité. Toutes ses ordonnances cherchent à consacrer de façon indirecte le principe de continuité.
L'ordonnance de Charles V (1374) fixe l'âge de la majorité royale à 13 ans révolus. A 14 ans, le fils aîné du roi a
vocation à régner sans attendre le sacre = le sacre ne crée plus le roi. L'instantanéité n'est pas encore parfaite et cette
ordonnance ne fait que limiter la période de la régence. Ces dispositions ne sont pas respectées à la mort de Charles 5
: Charles 6 est sacré avant ses 12 ans, les dispositions relatives à la régence sont contournées et la régence sera
désastreuse financièrement et politiquement. Les turbulences ont incliné à supprimer la régence. L'ordonnance de
Charles 6 (1403) affirme donc le principe selon lequel l'héritier est roi dès le décès du roi précédent, quel que soit son
âge et sans attendre le sacre, et nul ne peut être habilité à recevoir la régence. L'administration du royaume est
confiée à un conseil, composé de la reine assistée des princes du sang et de l'entourage royal. L'intérêt est double : la
succession de la couronne est instantanée, et on n'a plus besoin de fixer un âge de majorité ("en France, les rois sont
toujours majeurs") ; c'est un conseil et non plus une personne seule qui administre le royaume au nom du roi (il
exerce ses attributions en vertu d'une délégation).
Tous ces principes seront rappelés dans une ordonnance de 1407, et un adage du XVème illustre la continuité de l'Etat : "En
France, les rois ne meurent jamais". Le concept de continuité de la fonction royale a mis du temps à s'imposer, car dans les
esprits le corps physique du roi l'emporte sur le corps mystique (ex : énergie de Jeanne d'Arc pour faire sacrer Charles 7).
• L'indisponibilité de la couronne.
Le principe héréditaire qui s'ajoute à la continuité de la couronne fait de la fonction royale un office public qui obéit
à des règles particulières distinctes des règles de droit privé, car l'héritier est immédiatement saisi de ses droits à la
mort de son père. Sa fonction est donc soumise à un véritable statut qui échappe à sa volonté = le roi ne peut pas
disposer de la couronne. Ce principe implicite a été remis en question en 1420 par Charles VI quand il a signé le
Traité de Troyes. Il a fallu expliciter clairement ce principe.
* Le contexte et les enjeux : Charles VI monte sur le trône en 1380 (il a une dizaine d'années), et la régence est
assurée par ses oncles, Louis duc d'Anjou, Jean duc de Berry, et Philippe le hardi duc de Bourgogne. Le gouvernement
des oncles s'est caractérisé par des affrontements entre les 3 personnages et la dilapidation des fonds public. Seul
Philippe a rempli effectivement sa mission de conseiller du roi. En 1388, le roi, qui a 20 ans, décide de se débarrasser de
Le processus de féodalisation
24
ses oncles et de gouverner personnellement en s'entourant d'une équipe = les marmousets. Ce système fonctionne
jusqu'en 1392, date de la première crise de folie de Charles VI. Les oncles Jean et Philippe sont alors revenus sur le
devant de la scène, et en 1393, le frère cadet du roi, Louis duc d'Orléans entre au gouvernement des oncles. La
cohabitation avec les oncle est très difficile, et après la mort du duc de Bourgogne en 1404, le duc d'Orléans contrôle
totalement le gouvernement entre 1404 et 1407, jusqu'à ce que le nouveau duc de Bourgogne, Jean sans peur s'oppose à
lui, puis le fasse assassiner le 23 novembre 1407. Les princes désireux de venger sa mémoire se rangent sous la bannière
de son beau-frère, Bernard d'Armagnac qui mène la guerre contre les Bourguignons. Une véritable guerre civile
commence en 1410 et oppose deux conceptions de l'Etat : les Bourguignons prônent un retour à l'âge d'or de SaintLouis (peu d'impôt, peu d'Etat,… = beaucoup de liberté), alors que les Armagnacs souhaitent un Etat fort débarrassé des
pesanteurs féodales. Les deux programmes vont être soutenus par des théoriciens : Jean Gerson et Christine de Pisan
défendent les bourguignons et s'opposent à Jean de Montreil et Jean de Terrevermeille.
En 1415, la défaite française d'Azincourt permet à l'Angleterre de reprendre la Normandie, ce qui entraîne une
succession d'émeutes et de massacres. Le parti bourguignon qui tient Paris avec l'appui de la reine Isabeau (femme de
Charles 6), est opposé au dauphin Charles qui s'appuie sur les armagnacs et s'est installé à Bourges. Des tentatives de
réconciliation vont avoir lieu, mais le 10 septembre 1419, le duc de Bourgogne est assassiné par des membres de
l'entourage du dauphin, et le nouveau duc, Philippe, prend le parti des anglais. Le 21 mai 1420, le traité de Troyes est
signé par la reine et les bourguignons avec les anglais : Charles VI y donne en mariage sa fille Catherine au roi
d'Angleterre Henri V, considéré comme adopté par le roi de France et qualifié d'héritier du roi de France = à la mort de
Charles VI, Henri V devrait devenir roi de France. Le dauphin Charles est exclu de la succession en raison de ses
énormes crimes et délits. Le traité prévoit que les deux royaumes devraient rester indépendants, mais sont réunies dans
la personne d'Henri V qui devra porter les 2 couronnes. En 1422, Henri V meurt avec comme seul successible un bébé
de 9 mois. En octobre 1422, Charles VI meurt, et en application du traité de Troyes, le fils d'Henri V est proclamé roi de
France sous la régence du duc de Bedford. Les juristes français dénoncent le Traité et élaborent le principe
d'indisponibilité de la couronne ou théorie statutaire.
* La théorie de l'indisponibilité : elle découle de l'idée ancienne selon laquelle la royauté est une fonction dont le
roi n'est pas propriétaire. Cette théorie est due à Terrevermeille, qui défend dès 1419 dans 3 traités ce principe. Toutes
les règles successorales qui régissent la transmission de la couronne sont en France de nature coutumière, et ont été
élaborées par la communauté politique = elles constituent un ordre juridique indépendant et supérieur qui échappe à la
volonté du corps politique et du roi. Terrevermeille affirme qu'un véritable statut s'est formé et que lui seul désigne
l'héritier de la couronne. Ces différentes règles sont indépendantes de tout pouvoir et ne peuvent pas être assimilées à
des règles de droit privé, car la succession à la couronne n'est ni héréditaire ni patrimoniale, mais statutaire = elle ne
peut pas faire l'objet de stipulations conventionnelles. Le successeur présomptif a, du vivant de son prédécesseur, un
droit acquis qui ne peut pas lui être retiré = le dauphin Charles est le seul roi à la mort de Charles VII. La couronne est
indisponible et le roi ne peut pas disposer d'elle par aliénation ou legs, ni exhéréder son successeur, car il ne peut
modifier l'ordre de succession fixé par la coutume = affirmation de la continuité de l'état. Le sacre n'est plus qu'une
cérémonie qui confirme les pouvoirs du roi.
* Les conséquences ultimes de la théorie statutaire : le principe a posé des difficultés à l'usage : au XVIème, on
a tiré argument de l'indisponibilité de la couronne pour poser qu'un roi de France ne peut abdiquer, et qu'un héritier
ne peut refuser la couronne. Aucune renonciation anticipée n'est admise, ce qui a entraîné des conséquences
dramatiques en 1700 : Philippe, duc d'Anjou, petit-fils de Louis 14 est appelé au trône d'Espagne par le testament de
Charles 2 d'Espagne. Mais Louis 14 estime qu'il conserve ses droits potentiels sur la couronne de France = on a en
germe l'idée de la réunion des deux royaumes. Cette perspective a affolé les autres états européens, qui ont déclenché
la guerre de succession d'Espagne (1700-1713). Le traité d'Utrecht clôt le conflit, et un article prévoit que Philippe 5
d'Espagne renonce à ses droits sur le trône français, mais ce traité aurait été violé si Louis 14 n'avait pas eu de
descendance directe. Ce principe soustrait la couronne à l'arbitraire du roi, mais il doit être complété afin que le roi
ne puisse pas disposer du domaine royal.
• L'inaliénabilité du domaine.
En tant que chef de principauté (le duché de France), le capétien a au XIème un patrimoine familial que ses
successeurs se sont efforcés d'agrandir. Mais à mesure que le domaine capétien s'étend, il est difficile de savoir si le
roi agit en tant que personne privée (le domaine est patrimonial) ou en tant que titulaire de l'office de la royauté (le
domaine est la propriété de l'Etat). La solution qui triomphe est la seconde et très vite on considère que le domaine
perd son caractère de patrimoine.
Le processus de féodalisation
25
* Définition du domaine : il s'agit de l'ensemble des moyens corporels et incorporels mis à la disposition du roi
pour servir de support matériel à sa fonction. Le domaine corporel est composé de biens fonciers (terres, châteaux,
forets,…) et mobiliers (bijoux de la couronne, créances,…). Le domaine incorporel est l'ensemble des droits féodaux,
fiscaux et des prérogatives régaliennes (droit d'aubaine, droit de déshérence, droit de monnayage, droit de justice,…).
L'ancien droit ne distingue pas entre le domaine public de l'état et le domaine privé : tout ce qui est échu au roi par
achat, succession, annexion, confiscation ou traité diplomatique tombe dans le domaine public = même la fortune
personnelle du roi est incorporée dans le domaine de la couronne lorsqu'il monte sur le trône.
* Statut du domaine. Son régime juridique s'est dégagé sous l'influence des droits romains et canoniques.
L'inaliénabilité apparaît au XIIIème : les légistes se sont battus pour l'imposer car ils trouvaient que le roi consentait
facilement à de nombreuses aliénations. Ils ont trouvé des arguments en droit canonique (les évêques ne peuvent pas
aliéner les biens de leurs églises, considérés comme chose publique), qu'ils ont appliqué par analogie à l'office du roi =
le domaine est une chose publique. Il y a eu beaucoup d'ordonnances en ce sens dès 1318, mais leur grand nombre
prouve qu'elles ne sont pas appliquées. A partir de 1364, l'obligation de maintenir l'intégrité du domaine de la couronne
est insérée dans la formule du serment du sacre et au XVème, la théorie se précise : le domaine est affecté en permanence
aux besoins de la couronne ; le roi n'en a que l'usage. Il fallait aussi protéger le domaine contre les particuliers en évitant
les appropriations : la jurisprudence du Parlement de Paris, dès la fin du XIIIème, décrète que le domaine est
imprescriptible par destination. Tous ces éléments ont été proclamés dans l'édit de Moulins de 1566, qui fixe encore
partiellement aujourd'hui le statut du domaine.
* Le champ d'application de l'Edit de Moulins : il a été rédigé par Michel de L'Hospital (chancelier de Charles
IX) et enregistré par le parlement de Paris le 13 juin 1566. Il rappelle les deux grands principes (inaliénabilité et
imprescriptibilité) mais apporte une atténuation au principe d'inaliénabilité en distinguant entre le domaine fixe et le
domaine casuel.
La distinction entre le domaine fixe et le domaine casuel : le domaine fixe est parfaitement inaliénable et
comprend tous les biens et tous les droits acquis à la couronne lors de l'avènement du roi ainsi que tous les biens
personnels du roi. Le domaine casuel est formé de tout ce qui échoit au roi durant son règne par voie de conquête,
d'achat, de succession ou par le biais des droits d'aubaine, de déshérence,… Le roi peut disposer du domaine casuel
comme tout propriétaire pendant 10 ans sauf quand un élément a été rattaché expressément à la couronne par traité
ou testament. En tout état de cause, l'intégralité du domaine casuel revient dans le domaine fixe à la mort du roi, mais
il donne au roi un moyen pratique pour gérer ou échanger des biens de faible importance.
Les exceptions : l'Edit précise que le droit aux apanages est un usufruit indivisible et incessible, réversible à la
couronne quand l'héritier meurt sans descendance masculine. L'engagement est une mise en gage d'un bien domanial
entre les mains d'un particulier, prêteur du roi (un "engagiste"). C'est un moyen d'utiliser le domaine pour faire
rentrer de l'argent mais ce n'est pas une aliénation définitive. Le contrat comporte toujours la clause de rachat
perpétuel que l'administration du domaine pouvait toujours faire jouer.
L'organisation de l'imprescriptibilité : l'Edit pose le principe selon lequel quiconque réussit de manière officielle
ou clandestine à se réserver la possession d'une portion du domaine ne peut en acquérir la propriété par usucapion.
L'Edit n'arrête aucune prescription, pas même la classique prescription centenaire : apparition de l'adage "qui mange
l'oie du roi, 100 ans après, en rend les plumes". Le principe est dès lors arrêté que tout possesseur d'un bien domanial
dépourvu de titre est considéré comme un usurpateur et est tenu à restitution. Cet édit, complété par des ordonnances
antérieures est passé dans notre législation actuelle (art. 538 Code civ / code du domaine public).
L'élaboration d'un statut coutumier de la monarchie a complété la tâche politique de construction de la
souveraineté, et même si ces règles coutumières ne créent pas de contrepoids à l'autorité royale, elles dessinent avec
précision le contour de l'état monarchique. On les appelle Lois Fondamentales, Lois du Royaume, ou au XVIème Lois
de lEtat. Elles le protègent vis-à-vis du roi, préviennent les difficultés dans la succession au trône et favorisent la
continuité de l'état = un facteur de stabilité politique et institutionnelle. Le roi devant se soumettre aux LF, et
exerçant le pouvoir au nom de l'état dont il a la charge, il est dit roi légitime. Même lorsque la monarchie va devenir
absolue (fin XVème, début XVIème) elle ne cessera pas d'être légitime et ne sera pas perçue comme étant tyrannique.
VIII. LE GOUVERNEMENT MONARCHIQUE ET SES MOYENS
La croissance de l'Etat s'est accompagnée d'un développement institutionnel considérable en matière administrative
et judiciaire. Mais en matière de gouvernement monarchique, les LF ne font que poser des bornes au pouvoir du roi
Le processus de féodalisation
26
sans dire concrètement comment il doit gouverner. La solution qui triomphe du XIIIème au XVIème est une solution de
consultation, de dialogues = le gouvernement à grand conseil.
Le gouvernement à grand conseil.
Le roi féodal prenait ses décisions après avoir entendu son conseil, composé de l'ensemble des vassaux. Cette logique
du service de cour va se perpétuer, et le roi, même devenu souverain continue à gouverner en prenant conseil, mais
les modalités du conseil vont évoluer car le royaume s'étend (le roi ne peut pas convoquer facilement ses grands
vassaux), et avec l'évolution de la société les forces principales sont désormais les villes (apparition d'une élite
urbaine) = la bourgeoisie devient un partenaire indispensable. Le royaume a su prendre en considération ses
nouvelles évolutions et des assemblées élargies seront organisées pour apporter le conseil et le soutien au roi. On
copie le modèle ecclésiastique, qui consiste à consulter ses membres via des conciles et synodes, et la maxime de
droit canonique "ce qui concerne tout le monde doit être approuvé par tout le monde" est remise en vigueur à partir
du XIIème, et influence la pratique du pouvoir politique en débouchant sur le principe d'une consultation élargie. Pour
être efficace, les assemblées devaient être composées de membres élus par ceux qu'ils représentaient, et ayant reçu
des instructions précises. L'église apporte la solution car elle pratique très largement la technique de la procuration,
qui commence aussi à être utilisée en matière judiciaire à partir du XIIIème.
• Les Etats Généraux.
* Origine de l'institution : le roi féodal convoquait traditionnellement ses barons (vassaux laïcs) et prélats
(vassaux ecclésiastiques). A partir de Philippe-Auguste (fin XIIème), un petit groupe de bourgeois commence à être
appelé pour donner conseil au roi, mais ils sont toujours convoqués à part. Tournant décisif en 1302, quand Philippe
le Bel, à la recherche d'un soutien de son peuple pour lutter contre le pape, organise une consultation élargie à
l'ensemble du royaume, dans laquelle et pour la première fois les représentants des 3 ordres siègent ensemble dans la
même assemblée. Cette réunion est considérée comme l'acte de naissance des EG = une assemblée composée des
représentants des 3 ordres à l'échelle du royaume. En 1308, Philippe le Bel refait une réunion similaire car il a besoin
d'un appui politique dans sa lutte contre les Templiers, et la représentation du Tiers Etat est élargie aux représentants
des bourgs et villages (en 1302, seules les bonnes villes étaient représentées). En 1314, le roi confirme la structure de
l'assemblée et a recours à elle pour lever un nouvel impôt (la fonction principale des EG, qui entraînera la
multiplication des réunions avec la Guerre de 100 ans).
* Composition et fonctionnement : - de la nomination à l'élection. Au XIVème, quand l'institution des EG
apparaît, on a recours à la nomination, car la convocation est dans la logique féodale. On convoque donc aux EG
ceux qui sont liés au roi par hommage et serment de fidélité. La convocation est personnelle = adressée à une
personne ou à une institution. Les villes commencent déjà à avoir recours à une élection interne pour désigner celui
qui va la représenter. En 1308, Philippe le Bel s'adresse aux magistrats municipaux indépendamment de tout lien
vassalique, et en parallèle, on constate que les vassaux se désintéressent de ses réunions et qu'ils prennent l'habitude
de se faire représenter par un mandataire auquel ils donnent pouvoir d'agir en leur nom. Puis, des accords entre 5 ou
6 vassaux pour désigner un mandataire unique apparaissent, ce qui rend les assemblées moins pléthoriques et
composées de membres compétents.
L'idée s'impose aussi que les mandataires ne représentent pas seulement les personnes qui les ont désignés, mais les
ordres dont ils sont issus. Mais il est dur d'avoir une représentation correcte du Tiers Etat. Le principe de la
représentation par élection triomphe à partir de 1483, quand il est posé par la régente Anne de Beaujeu (fille de Louis
XI) et sera respecté pour toutes les réunions à suivre = dans chaque bailliage et sénéchaussée, on élit un représentant
de chacun des 3 ordres. L'instruction donnée par Anne de Beaujeu était rédigée de telle manière qu'on en déduisait
que la désignation d'un représentant devait se faire à l'intérieur de chaque ordre. En 1484, le principe de
représentativité triomphe, quand la souveraineté du roi est parfaitement effective = il commande à tous ses sujets
sans intermédiaires.
- le mandat impératif : les lettres de convocation aux EG ont toujours demandé avec insistance que les députés
soient munis d'une délégation de pouvoir qui permette de se prononcer sur de multiples questions. La royauté
préférait un mandat représentatif, mais les électeurs voulaient conserver le contrôle de leurs députés afin de pouvoir
les révoquer. Ils se sont donc obstinés à considérer le député comme un mandataire de droit privé qui a reçu une
procuration énumérant précisément ses pouvoirs : il ne peut pas se prononcer sur des questions pour lesquelles il n'a
pas reçu d'instruction, et est juste chargé de transmettre les voeux de la population, recensés dans des cahiers de
doléance rédigés séparément par chacun des ordres dans les paroisses et bailliages.
Le processus de féodalisation
27
- la réunion des EG : la royauté n'a jamais précisé les règles selon lesquelles elle les réunit = ils n'ont pas de statut.
Le roi les convoque seul quand il veut où il veut, sans aucune obligation de périodicité et décide seul de leur fin = il a
un droit de dissolution des EG. Ils siègent par ordres séparés = 3 assemblées distinctes qui siègent dans des lieux
distincts, et qui ne sont réunies que pour les cérémonies d'ouverture et de clôture. On y vote par ordre (un ordre = une
voix) et l'unanimité est érigée en principe fondamental en matière fiscale depuis 1561 (noblesse et clergé acceptaient
de lever un impôt qui ne pesait que sur le Tiers Etat).
* Les attributions : elles conservent l'empreinte des origines féodales = les EG ont une fonction d'aide et de
conseil.
Le conseil : la première réunion des EG (1302) témoigne du fait que cette institution est convoquée pour prendre la
température de l'opinion et faire œuvre de propagande. La remise des cahiers de doléance fournit au roi des
informations sur l'état général du royaume, les aspirations de l'opinion publique,… Les cahiers permettent aussi de
dénoncer les abus du fonctionnement de l'administration royale. Mais le roi n'est pas tenu de donner suite aux
revendications, mêmes si elles sont exprimées par les 3 ordres = il n'est pas lié par les doléances, mais le plus
souvent, une série d'ordonnance règle le problème après les EG. Des attributions plus exceptionnelles se sont
développées en période de crise, et les EG sont alors perçus comme le gardien de la LF (en 1589 à la mort d'Henri
III, on pose le principe selon lequel les EG doivent désigner une nouvelle famille régnante dans le cas de l'extinction
de la famille royale), et peuvent être amenés à se prononcer sur une interprétation de la LF (en 1588, pour le principe
de catholicité). Mais ils n'ont pas de pouvoir constituant véritable car ils ne peuvent pas donner spontanément leurs
avis. Leur consultation est obligatoire chaque fois que le roi doit aliéner une portion du domaine royal, et il y a une
ébauche de droit de ratification des traités. Les EG interviennent aussi pour trancher les litiges apparues lors des
régences, mais il s'agit plus d'une pratique que d'un pouvoir de droit.
L'aide : depuis le Moyen Age il existe un principe selon lequel le roi et l'administration doivent vivre des ressources
produites par le domaine royal, mais dans les périodes de guerre, les ressources du domaine sont insuffisantes et le
roi doit obtenir des ressources supplémentaires = lever des impôts. Dans l'esprit des hommes jusqu'au XVIIIème,
l'impôt a un caractère exceptionnel et temporaire. A partir de 1314, la question fiscale devient centrale, et les légistes
de Philippe le Bel permettent au roi de lever unilatéralement l'impôt en se fondant sur deux notions romaines : la
neccessitas et l'utilitas publica. Mais Philippe le Bel sait que l'impôt est impopulaire et il consulte la population, en
partant du principe qu'un impôt négocié par une assemblée sera plus facile à lever. La croissance de l'état qui se
continue au 14ème, dans le contexte de la guerre de 100 ans ruine le principe selon lequel le roi doit vivre des seuls
revenus du royaume, et il devient évident que l'exceptionnel fournit la quasi totalité des ressources. La fiscalité
royale se développe et se présente sous forme directe (inscrit dans le prolongement de l'ancienne fiscalité
seigneuriale = taille, fouage,…) et indirecte : les aides (sur la vente et la circulation des marchandises), la gabelle
(sur la vente et la consommation de sel), les traites (droit de péage). Pendant des siècles, on se demandera si les EG
ont le droit de consentir à l'impôt, mais la royauté finira par imposer le principe selon lequel le roi peut imposer
unilatéralement les impôts sans demander le consentement des populations.
* Les prétentions des EG : les aspirations au partage de la souveraineté.
Le nécessaire consentement à l'impôt : l'opinion publique était attachée au principe du libre consentement à
l'impôt, et les députés des EG étaient soucieux de mettre des limites au pouvoir royal d'imposition, estimant qu'un
impôt non consenti est le signe de la servitude d'un peuple. Les députés prétendront ainsi instaurer un contrôle sur les
sommes prélevées pour être surs qu'elles sont effectivement affectées à la défense du royaume. Dès 1439, la victoire
de la royauté se dessine car les EG acceptent pour une durée limitée de lever la taille royale que Charles VII réclame
pour la création d'une armée permanente. Ils pensaient ainsi être convoqués régulièrement pour confirmer la levée de
la taille, mais Charles VII va la renouveler année par année sans leurs autorisations, en mettant en avant la théorie de
l'urgence (l'organisation d'une réunion des EG prend un an, or le besoin d'argent est urgent). Lors de la réunion de
1484, le principe du libre consentement a été proclamé mais il ne s'agira que d'une déclaration de principe, et bien
que les EG ne seront plus réunis avant 1560, les rois successifs feront admettre une fiscalité autoritaire.
Les exigences de réformation du royaume et la revendication du partage législatif. Au Moyen Age, la
réformation est la volonté de rétablir dans sa forme primitive le système politique, administratif, fiscal,
religieux,… C'est un thème populaire en raison du nombre croissant d'administrateurs royaux, perçus comme trop
nombreux et envahissants. L'idée de réformation prend de l'ampleur et il apparaît que l'autorité royale doit être mise
sous tutelle, c'est à dire contrôlée par des représentants des 3 ordres. Le terme réformation devient alors synonyme de
contestation de l'autorité royale dont on craint une dérive absolutiste. Après le désastre de Poitiers de 1356 (le roi
Jean 2 est fait prisonnier), les EG font pression sur le dauphin Charles pour obtenir de pouvoir se réunir quand ils le
Le processus de féodalisation
28
désirent, d'être maîtres de l'assiette fiscale, et que le conseil permanent soit composé de représentants des EG.
Charles sera contraint de l'accepter (ordonnances de 1357) puis réussira à se débarrasser des fers de lance de
l'opposition (Etienne Marcel et l'évêque de Laon, Robert le Coq). En 1413, les EG reviennent au premier plan en se
faisant les porte-parole des bourguignons qui ont récupéré cet idéal de réformation, et l'ordonnance cabochienne sera
imposée au roi, mais elle ne s'appliquera que pendant 3 mois, puis l'idéal de réformation va commencer à disparaître
au milieu du XVème, et il sera cantonné à des matières beaucoup plus spécifiques.
A partir de 1484, des voix vont s'élever pour réclamer un partage du pouvoir législatif, et lors de la réunion des EG
de Tours de 1484, Philippe Pot présente le roi comme un simple délégué du peuple souverain, alors que les EG sont
un dépôt de puissance avec lequel le roi doit partager son pouvoir. La réunion suivante n'aura lieu qu'en 1560, mais
avec la guerre de 100 ans, les EG vont connaître un regain d'activité : réunions à Orléans de 10/1560 à 1/1561, à
Pontoise en 4/1561, à Blois en 1576-77 et 1588-89. Des thèses démocratiques se développent sous l'influence
protestante (les "monarchomaques"), et nourrissent les revendications des EG, qui deviennent turbulents. Ceux de
Blois soutiennent que si les 3 ordres prenaient une résolution commune, le roi était obligé de la suivre, car la
résolution est alors une véritable volonté devant laquelle le roi doit se plier. Par la suite, seules 2 réunions auront lieu,
en 1593 (problème de succession après la mort d'Henri 3) et en 1614 (organisation de la régence de Marie de Médicis
suite à l'assassinat d'Henri 4). Dans le règne de Louis 14, Colbert déclarera les EG coutumièrement morts car ils n'ont
plus été réunis depuis longtemps. La monarchie s'était engagée dans la voie de l'absolutisme, ce qui était
incompatible avec les EG qui prétendaient limiter le pouvoir du roi. Cette disparition n'a pas été mal perçue par la
population, car les EG coûtaient cher, et ils ont donné l'image d'une institution vindicative et velléitaire.
• Les états provinciaux.
Il s'agit d'une assemblée des 3 ordres d'une province réunissant régulièrement leurs représentants, ceux-ci étant aussi
périodiquement convoqués par le roi pour exercer certaines attributions politiques et administratives. Ce sont des
répliques à l'échelon local des EG.
* Les origines : il faut distinguer les provinces dans lesquelles siègent les états provinciaux en fonction de la date
de rattachement à la couronne. Dans les provinces réunies tardivement (Bourgogne, Dauphiné, Provence, Bretagne)
et dans les principautés puissantes, les princes territoriaux ayant eu les mêmes besoins que le roi et ayant créés des
organes de consultation élargie, le roi a conservé ces institutions lors de l'annexion des provinces pour faciliter
l'intégration des populations.
Dans les terres rattachées plus précocement (Normandie, Languedoc, Artois,…), la création des états provinciaux
correspondait aux mêmes buts que les EG = le roi avait besoin d'interlocuteurs en mesure d'accorder des subsides
pour soutenir la guerre contre les anglais.
* Organisation : très variable en fonction des régions, mais quelques points communs : elle est traditionnelle et
n'évoluera pas beaucoup. Il n'y a pas de représentants élus (logique féodale de la convocation personnelle), et on y note
une prépondérance très nette des seigneurs et des villes. Ils se réunissent théoriquement seulement à la demande du roi,
mais certains ont obtenu le privilège de se réunir librement (Languedoc). Le déroulement des séances suit un protocole
très précis : séance solennelle, dans laquelle les commissaires royaux présentent les demandes du roi, puis délibération
des délégués par ordres, et pour les décisions les plus importantes (fiscales,…) l'unanimité des 3 ordres est requise. A
l'issue des débats, un procès-verbal est dressé et on établit un cahier des charges financières qui a valeur de contrat passé
entre le roi et les états provinciaux, valable pour l'année ou la période durant laquelle les états ne sont pas réunis.
L'action des états provinciaux se poursuit dans l'intervalle des sessions car des organes ont été mis en place pour assurer
l'exécution des résolutions et pour préparer la réunion suivante. Ce sont de véritables organes d'administration locale.
* Compétences : l'idée de départ est que les états provinciaux sont investis de la défense militaire de la province.
Ils sont donc associés étroitement à l'effort de guerre pendant la guerre de 100 ans et on leur demande de trouver des
subsides. Ils votent donc les impôts, en assurent la perception et le contentieux. Ils ont des attributions
administratives très larges, puisqu'ils sont en charge de tout ce qui concerne l'écoulement des productions agricoles,
l'approvisionnement de la région, et le contrôle du secteur des travaux publics.
Leur puissance apparente est illusoire car dès le 15ème, la royauté a développé la centralisation administrative, avec la
volonté de faire sauter les obstacles au développement de l'absolutisme que sont les EG et les états provinciaux. La
royauté a donc mis en concurrence les états provinciaux avec une autre administration financière, dépendante
directement du roi, qui a étendu ses prérogatives au détriment des états provinciaux, puis a fini par ne plus réunir les
états provinciaux. Ce processus a pris 2 siècles, mais en 1789, seuls 4 états provinciaux subsistent (Bourgogne,
Bretagne, Provence et Languedoc).
Le processus de féodalisation
29
IX. LE DEVELOPPEMENT INSTITUTIONNEL OU LES MOYENS DE L'ETAT MONARCHIQUE
A partir du XIIIème, le roi est devant un enjeu important, car le territoire est en extension constante et il faut
enraciner l'autorité de l'état en développant l'administration. La situation de départ n'est pas brillante : la composition du
conseil se dégrade, l'administration du domaine se limite à quelques prévôts qui exerçaient les droits du roi dans le
domaine.
• Le gouvernement central.
Il s'élabore à partir de la cour du roi = la curia regis. Quand le pouvoir royal se réaffirme à la fin du XIIème, les
tâches assumées par le gouvernement royal se multiplient et on constate au sein de la cour du roi une spécialisation qui
va donner naissance à deux organes : la curia in consilio (le conseil du roi politico-administratif) et la curia in
parlamento (le parlement en tant qu'organe judiciaire). Il y a donc une dissociation des 2 fonctions assumées par la cour
du roi.
* La curia in consilio : au milieu du XIIème, le conseil du roi apparaît petit à petit comme une institution
politique et administrative. Il est alors formé de l'entourage royal, mais sa composition et ses règles de
fonctionnement dépendent de la volonté du roi, qui fait rarement appel à des membres de sa famille. Jusqu'au règne
de Philippe-Auguste (fin XIIème), la plupart des membres du conseil sont des grands vassaux du roi, puis les légistes
y font leur entrée (professionnalisation des membres) au moment où les affaires deviennent de plus en plus
techniques et où le personnel gouvernemental est laïcisé. En fonction de l'importance des affaires traitées, le roi peut
réunir un conseil élargi ou un conseil restreint (= le conseil secret ou le conseil étroit) dans lequel il n'admet pas les
grands vassaux. Les attributions de cette cour sont très larges et englobent toutes les questions politiques et
administratives relatives au royaume, la réception des ambassadeurs, la signature des traités, l'élaboration de la
législation royale et la nomination des agents royaux. Mais, jusqu'en 1789, son rôle est uniquement consultatif et le
roi décide seul. Il exerce à l'intérieur du conseil la justice retenue car comme tout seigneur féodal, le roi est seigneur
justicier mais cette fonction a été étendue par le sacre, et la justice est une dette du roi vis-à-vis de ses sujets. L'image
du roi source et fontaine de justice exprime le désir d'un roi proche, accessible et facilement saisissable. Dans la
pratique, le roi doit passer par une justice déléguée, et a donc créé des organes juridiques habilités par lui à rendre la
justice en son nom. Le roi peut toujours exercer la justice en personne au sein de ce conseil, par la justice retenue = il
reprend la justice qu'il avait délégué soit en l'exerçant personnellement sur requête des justiciables pour des affaires
déjà jugées (instance de cassation) soit en interrompant le cours de la justice déléguée en dessaisissant la juridiction
compétente (= droit d'évocation). A partir du XIIème, et jusqu'au XVIIIème, le principe selon lequel le roi peut toujours
reprendre le pouvoir de justice qu'il a délégué, est admis.
* La curia in parlamento : le Parlement de Paris. La cour féodale disposait de compétences judiciaires qui vont
s'accroître en raison de l'extension du champ d'influence du pouvoir royal. La spécialisation s'amorce avec le règne de
Saint-Louis, et à son retour des croisades en 1254, il confie à des commissions de légistes le soin de trancher toutes les
affaires dont il serait saisi. Ces commissions sont au départ temporaires (périodes de grandes fêtes religieuses), puis
elles s'allongent pour occuper toute l'année sauf la période estivale pendant laquelle une chambre de vacation chargée
d'expédier les affaires courantes est désignée. Cette permanence dans le temps va s'accompagner d'une permanence
dans l'espace, puisque Saint-Louis installe le Parlement dans l'Ile de la Cité. La spécialisation de l'institution se
manifeste aussi par le choix du personnel, qui dans sa grande majorité, est composé, dès 1270, de juristes
professionnels. En théorie, le Parlement ne peut siéger qu'en présence du roi mais comme il est devenu permanent, il
prend son autonomie et dès la fin du XIIIème, il travaille en dehors de la présence du roi, dont il a implicitement reçu une
délégation de pouvoir. Le Parlement se développe aussi dans son organisation interne, et on voit apparaître des
chambres spécialisées : la grande chambre devant laquelle s'ouvrent tous les procès, se déroulent les plaidoiries et qui
rend les arrêts. La chambre des requêtes se charge de recevoir les demandes des particuliers et d'apprécier la validité des
réclamations ; la chambre des enquêtes instruit les affaires (procédure inquisitoire) ; et au XVème, une chambre
criminelle, la "tournelle" est dotée au pénal des mêmes attributions que la chambre des requêtes.
Le Parlement est un organe de justice déléguée, qui a des compétences très vaste sur le plan territorial = tout le
royaume. Mais, entre le XIIIème et le XVème, des Parlements ont été créés en province à Toulouse, Grenoble,
Bordeaux, Dijon, Rouen, Aix-en-Provence, et Rennes, tous conçus sur le même modèle que le parlement de Paris,
qui restera tout de même supérieur aux autres en raison d'un plus grand prestige (le premier Parlement, et un ressort
territorial très important). En matière judiciaire, il est juge en première instance des causes féodales et il connaît de
toutes les instances qui concernent les vassaux du roi, ainsi que des causes qui relèvent du privilège de committimus
(possibilité d'échapper aux juridictions ordinaires) ; il est juge d'appel et réexamine les affaires tranchées par les
Le processus de féodalisation
30
juridictions royales inférieures et par les juridictions seigneuriales. Ses décisions sont qualifiées de souveraine car il
n'existe pas de juridiction supérieure pour en appeler, et on ne peut que faire une requête au roi.
La spécialisation du Parlement n'est pas complète car il conserve aussi des attributions législatives et
administratives. Ainsi, il peut envoyer des enquêteurs surveiller les agents locaux, et participe à la fonction
normative par le biais de deux techniques. Les arrêts de règlement sont des actes normatifs applicables à tout le
ressort du Parlement, qui permettent de régler provisoirement un point sur lequel ni la coutume ni la législation
n'apportait de solution. Dans un premier temps, ces arrêts étaient subordonnés à l'activité judiciaire (généralisation de
principes nouveaux portés au cas d'espèce pour combler un vide juridique, et toutes les affaires du même type
devaient être tranchées dans le même sens), puis le Parlement a étendu cette faculté en dehors de toute situation
contentieuse initiale.
La procédure d'enregistrement des ordonnances délibérées en conseil a permis au Parlement de prétendre très
tôt être associé à l'élaboration législative. L'enregistrement est une sorte de procédure de publication des actes
législatifs, qui étaient copiés dans les registres du Parlement pour en conserver une trace, et diffuser la législation.
Cette procédure n'impliquait qu'un simple contrôle de la forme et de la rédaction, puis le Parlement a commencé à
soutenir que c'est un acte essentiel nécessaire à l'application du texte. Il se met alors à examiner le texte sur le fond et
sur la forme, en y apportant des critiques sous forme de remontrances, et va jusqu'à refuser d'enregistrer tant que le
roi n'a pas examiné les remontrances. Les parlementaires expliquent ce comportement par le fait que le Parlement est
à l'origine un démembrement de la Cour du roi qui participait à la fonction normative, et le Parlement n'a d'ailleurs
pas hésité à se donner le titre de "vrai Sénat du royaume" en référence aux institutions romaines (Sénat apte à
intervenir dans toutes les questions en matière politique, administrative, et législative). Cette prétention est mal
acceptée par la royauté, et dès la fin du 14ème, une guerre de 4 siècles entre le greffe et la couronne commence. Pour
faire céder le Parlement, le roi devra multiplier les ordres d'enregistrement (lettres de jussion) et tenir des lits de
justice = des cérémonies au cours desquelles il se déplacera en personne dans l'enceinte du Parlement pour procéder
lui-même à l'enregistrement, sa présence signifiant qu'il retire la délégation de pouvoir accordée. La puissance
politique du Parlement dépendra des circonstances de la politique générale et de la personnalité des rois, mais la lutte
ne cessera pas et aura même tendance à s'exacerber à partir du 16ème, quand la monarchie prétendra devenir absolue.
• Les services publics de la monarchie.
* La justice : le développement de ce secteur était une nécessité mais il n'a pas été simple, et à la fin du XIIIème,
quand la royauté s'affirmera souveraine elle devra compter avec l'organisation judiciaire héritée de la période
féodale. Elle a donc contrôlé les juridictions parallèles par la technique du grignotage progressif des compétences.
La lutte contre les juridictions concurrentes : la lutte la plus délicate à mener fut celle contre les juridictions
ecclésiastiques, car elles étaient très organisées, fortement structurées et bénéficiaient d'un arsenal de techniques
juridiques beaucoup plus efficaces que celui des juridictions laïques. La procédure y est très moderne, et on y trouve
des auxiliaires de justice = elle est appréciée des justiciables.
A partir du XIVème avec l'affirmation du gallicanisme politique, la royauté ne peut laisser subsister ces
juridictions, et les légistes royaux vont mettre en avant le concept d'ordre public qui va servir à grignoter
progressivement les compétences de ces juridictions. Elles se sont beaucoup développées aux X-XIèmes quand
l'autorité royale était faible = compétence ratione personae pour les clercs, et compétence ratione materiae en matière
pénale pour les crimes, et en matière de droit privé pour toute une partie du droit de la famille. Les juridictions
royales ont commencé par réduire la compétence ratione personae en s'attaquant au privilège de for (jugement par les
juridictions ecclésiastiques) en vérifiant la réalité de l'état clérical par l'existence de la tonsure, le port des habits
cléricaux, et le genre de vie de l'intéressé qui devait être compatible avec la charge ecclésiastique. Si toutes les
conditions n'étaient pas réunies, le prétendu clerc perdait son privilège (souvent en raison de la dernière condition).
De plus, la théorie des cas privilégiés, qui implique que tout fait commis par un clerc contraire à l'ordre public est de
la compétence des juridictions laïques, s'est développée. Pour la compétence ratione materiae, la même procédure a
été utilisée : les crimes ont été assimilés à des crimes de lèse-majesté (crime contre Dieu et donc contre le
représentant de Dieu) ; en matière de contrat, avec la perte de puissance de la pratique du serment, la compétence des
juridictions ecclésiastiques a diminué, et les matières connexes au mariage sont passées progressivement aux
juridictions laïques car le mariage est un contrat. La procédure de "l'appel comme d'abus" permet au Parlement
d'obtenir de son propre chef l'annulation de l'acte résultant de l'excès de pouvoir commis par une juridiction
ecclésiastique qui empiéterait sur le domaine des juridictions laïques.
Le processus de féodalisation
31
La lutte contre les juridictions seigneuriales a été plus simple car elles sont archaïques et très impopulaire. On
va leur imposer l'appel devant le juge royal, en défendant l'idée qu'elles avaient été concédées par la royauté au
seigneur (mouvance appliquée à la chose judiciaire). Il commence à se pratiquer au milieu du XIIIème et est
généralisé au XIVème. La présentation renvoie à l'image du roi justicier, car comme il doit la justice, il ne peut
concevoir qu'un seigneur se montre négligent en ne rendant pas correctement la justice. Le juge royal qui constate
l'incurie d'un seigneur peut alors se saisir d'une affaire qui relève normalement du juge seigneurial, et prévient ainsi
l'action du juge seigneurial. Cette technique a tenté de limiter les compétences des juridictions seigneuriales à des
catégories secondaires. La théorie des cas royaux repose sur le même principe de limitation : tous les cas en rapport
avec la souveraineté et ses atteintes relèvent de la compétence exclusive de la juridiction royale. Il a été possible d'y
faire entrer des infractions nombreuses = atteintes à la personne du roi ou à sa famille, à la paix publique voulue par
le roi, aux droits qui découlent de la souveraineté, puis les atteintes portées à la personne et aux droits des officiers
royaux. Ces techniques ont permis à la juridiction royale de récupérer un champ de compétence de plus en plus large,
mais la reconquête n'a pas été parfaite, et en 1789, il reste des vestiges du système judiciaire de l'époque féodale.
Les juridictions royales : au Moyen Age, il n'y avait pas de séparation nette entre les fonctions administrative
et judiciaire, et les juges de droit commun était les administrateurs locaux. Hiérarchie des tribunaux : tribunaux de
prévôté < tribunal des baillis < Parlement. D'autres juridictions déléguées vont apparaître au fur et à mesure de la
croissance de l'Etat = des juridictions d'exception spécialisées en matière financière (chambre des comptes, cour des
aides, cour des monnaies), maritime (tribunal de l'amirauté), militaire (tribunal du prévôt des maréchaux), et pour les
eaux et forêts (la table de marbre).
* L'administration fiscale et financière : le fait majeur du XIIème au XVème est le développement du pouvoir
d'imposition, mais le développement de la fiscalité royale s'est accompagné de celui de l'administration des finances.
L'administration des finances ordinaires (administration du domaine) a été confiée au prévôt, puis au baillis et au
XVème, elle est passée aux mains d'agents spécialisées = les trésoriers, dont certains sont chargés de l'administration
pure, et d'autres du contentieux. L'administration des finances extraordinaires (chargée de la perception des impôts) a
été confiée à des "élus" (à l'origine, ils étaient élus = choisis par les EG, puis le roi s'est vite substitué aux EG), placés
à la tête d'une circonscription financière = l'élection. Les opérations de centralisation et de comptabilité sont confiées
à des agents du roi qui prennent le nom de généraux des finances. Un organisme est créé pour vérifier les comptes
par le démembrement de la cour du roi : la curia in compotis (la cour dans sa fonction d'appréciation des comptes),
dont l'organisation est fixée au début du XIVème sous le règne de Philippe le Bel : elle vérifie les comptes, contrôle
l'administration mais n'a pas la charge du contentieux fiscal, qui est confié à partir de 1390 à la chambre du trésor et
à la cour des aides.
* L'armée : le roi voulant créer une armée permanente, il a cherché des impôts = les 2 sont étroitement liés.
Dès le XIIIème, l'armée féodale est en déclin, et lors de la bataille de Bouvines (1214), Philippe-Auguste fait appel à
des soldats de métier. L'armée féodale s'effondre totalement au XIVème avec l'évolution des techniques militaires, et
en particulier l'infanterie des archers contre laquelle les chevaliers sont impuissants, mais ce ne sera qu'au XVème,
après de nombreux échecs, que l'armée va se réorganiser (en 1439, le roi a réussi à lever l'impôt). Charles VII va
organiser l'armée royale composée de soldats de métiers en compagnies d'ordonnance d'environ 700 hommes
commandés et encadrés par des capitaines nommés par le roi, révocables par lui, et payés à gage. A coté de cet
embryon d'armée permanente, Charles VII a constitué une infanterie de réserve, composée de paysans qui touchent
une petite solde, dispensés de la taille et astreints à un entraînement régulier. Louis XI réorganisera tout, choisira une
armée professionnelle et engagera une infanterie étrangère (≈ 6000 suisses). A la fin du XVème, l'armée royale s'est
étoffée et comprend entre 20 et 25000 hommes. Pour des raisons financières, les EG réclameront en permanence une
réduction des effectifs.
• L'administration locale.
Elle s'est organisée sans rupture, par une méthode souple et empirique. La technique de la monarchie a été de
faire contrôler les agents anciens par de nouveaux agents dotés de compétences plus adaptées aux évolutions
récentes, en les superposant. Mais, à force de superposer totalement les institutions, on assiste à la "sédimentation
institutionnelle", et l'administration devient irréformable. Les prévôts, les premiers agents royaux qui représentaient
le roi à l'intérieur du domaine au 11ème avaient des compétences très larges en matière judiciaire, financière et
militaire. Les prévôtés étaient concédées à terme, c'est-à-dire offertes au plus offrant, ce qui assurait des rentrées
d'argent immédiates, mais avaient l'inconvénient de voir le prévôt se rembourser sur les populations par le biais
d'impôts.
Le processus de féodalisation
32
A partir du XIIème, cette institution apparaît dépassée et corrompue, car plus les prévôts sont éloignés du centre
du royaume, et plus la corruption est grande. La royauté imite alors les institutions très novatrices du duché de
Normandie, et en particulier l'institution des baillis = des inspecteurs en tournée, chargés de surveiller les prévôts
par des missions temporaires, et exercées à plusieurs. Au cours du 13ème, ils se sédentarisent et supplantent le prévôt
dans la fonction de chef de l'administration locale.
Les sénéchaux trouvent leur origine à l'époque féodale = les grands officiers féodaux dans le personnel des
grands princes. Les Plantagenêt servent de modèle car depuis Henri II Plantagenêt, l'empire Plantagenêt comporte
une administration centralisée, Henri II ayant transformé le sénéchal en agent d'administration locale. Quand
Philippe-Auguste récupère de larges portion de l'empire Plantagenêt, il décide de laisser subsister le sénéchal qui
devient un agent d'administration royale, nommé par le roi en son conseil et toujours originaire d'une autre région
que celle qu'il aura à administrer. Ils sont la plupart du temps issus de milieux sociaux intermédiaires (petite noblesse
ou bourgeoisie), et représentent localement l'autorité royale en agissant au nom du roi. En matière militaire, ils sont
agents de recrutement et de mobilisation, et doivent s'assurer que toutes les dispositions utiles sont prises pour la
défense du territoire : ils disposent à cette fin d'un large pouvoir réglementaire qui lui permet de veiller au maintien
de l'ordre public et d'encadrer les populations en matière économique, religieuse, ou sur le plan sanitaire,… En
matière judiciaire, ils ont un rôle très important : leurs tribunaux (bailliages ou sénéchaussées) sont dès le XIVème les
tribunaux de droit commun, et ils sont très appréciés des justiciables, car ils sont entourés de juges spécialisés.
Dans la seconde moitié du XIVème et au début du XVème, le processus de spécialisation va entraîner un
démembrement des fonctions des baillis. Ce processus s'explique par le fait que l'on se trouve dans une période de
liquidation de la féodalité, et un certain nombre de structures inhérentes à la période féodale s'effondrent. Il faut donc
créer de nouvelles structures, et l'administration royale se développe autour de la création de deux nouveaux agents
investis des attributions anciennement confiées au baillis. Ainsi, en matière judiciaire, le baillis s'était entouré de
lieutenants de bailliage et au XVème, ce sont eux qui exercent la fonction judiciaire ; en matière militaire, on crée le
gouverneur, qui reprend la fonction militaire du baillis.
La stratification administrative a donc été très importante, et en 1750 on trouve encore des prévôts
(compétences très floues), des baillis et sénéchaux (inutiles), et des gouverneurs de province (pouvoirs en déclin)
alors qu'au 17ème, on a créé les intendants. En 1789, la monarchie n'a réussi à se débarrasser que de l'institution des
prévôts.
A partir du XVème, la monarchie française est authentiquement souveraine : le roi dispose du pouvoir vital
de lever l'impôt, il a réussi à imposer sa législation, il est maître de la justice et il commence à s'attaquer à la diversité
coutumière (obstacle à son autorité). La guerre a accéléré tous ces processus, et à la fin du XVème, la monarchie est
devant la tentation de l'absolutisme, à laquelle elle va céder sous l'impact des guerres de religion.
CONCLUSION DU COURS
A la fin du XVème, la féodalité politique est en voie de disparition. L'autorité publique a été finalement
reconcentrée entre les mains du monarque, qui gouverne un territoire réunifié, est indépendant à l'égard de tous,
maîtrise la fiscalité, l'armée et la justice = ne partage pas sa souveraineté. Certes, il convoque les EG car il reste
fidèle à la tradition du gouvernement à grand conseil, mais il prend toujours les décisions seul. Cette monarchie va
basculer dans l'absolutisme.
Si tout cela est en germe dès le XVème, l'absolutisme ne s'épanouira qu'au XVIIème, et dans l'intervalle, la
royauté française aura réussi à mettre en sommeil les EG. Sur le plan des institutions, le passage à l'absolutisme se
traduit par l'effacement politique des EG acquis en 1614, mais sur le plan intellectuel, il se traduit par une réflexion
autour de la notion de souveraineté.
Le siècle charnière a en fait été le XVIème, qui a ouvert une ère nouvelle en occident :
- le siècle des grandes découvertes : élargissement de l'horizon, avec l'économie qui se mondialise, et l'argent et
l'or (en provenance d'Amérique) qui se déversent sur l'Europe = modification de l'équilibre économique.
- le siècle de la 3ème renaissance intellectuelle après celles des 8-9ème et 12ème siècle = redécouverte de l'antiquité
: les valeurs païennes, l'épicurisme et le stoïcisme.
Le processus de féodalisation
- le siècle de la réforme protestante. Elle s'est développée en Allemagne avec Luther, puis est arrivé progressivement
en France à partir de 1520 : la propagande réformée touche d'abord les strates les plus élevées de la société (bourgeois,
professions libérales, nobles urbains,…). Les catholiques sont surtout inquiets en raison de la conversion de la noblesse
(en contact avec les paysans) et de l'organisation rapide du protestantisme (depuis Genève, Calvin suit de près la
progression du protestantisme en France et s'efforce de le structurer = réalisé vers 1560).
Durant la première moitié du XVIème, la vie quotidienne en France reste tout de même paisible, et le pays a une
image brillante = pays riche dont les institutions fonctionnent bien. Le tournant a lieu à la mort d'Henri III en 1559,
car son jeune fils, François II meurt en 1560. Charles IX, frère du roi, est mineur, ce qui ouvre une période de
régence de Catherine de Médicis. Il meurt lui aussi prématurément sans descendance masculine, et la couronne
passe à son frère, Henri IV.
La situation religieuse se dégrade à partir de 1562 et on entre vraiment dans les guerres de religion, qui seront
incessantes pendant 36 ans. Les luttes civiles sont marquées par de nombreux massacres dont celui de la Saint
Barthélémy (23 août 1572), et par de nombreux combats militaires. Compte tenu de la conception française de la
monarchie (pouvoir royal donné par Dieu et alliance étroite entre l'Eglise et l'Etat), l'impact de ses guerres risque de
miner les soubassements de la monarchie. Au début, le pouvoir monarchique est effectivement fragilisé, puis il se
renforce grâce aux théologiens et légistes qui jettent les bases doctrinales de l'absolutisme de droit divin. Le premier
point de fragilisation est la thèse scolastique = pour Saint-Thomas d'Aquin, Dieu a effectivement établi le pouvoir
politique, mais il a d'abord donné le pouvoir au peuple qui ensuite a organisé la souveraineté selon les circonstances
= le roi gouverne en vertu d'un pacte passé entre lui et le peuple. Avec les guerres de religion, cette thèse trouve un
nouveau souffle et est récupérée par des théoriciens protestants, les monarchomaques (T. De Beze, F. Hotman, F.
Duplessis-Mornay) qui reprennent l'idée de la monarchie contractuelle et en tirent des conclusions = si le roi
outrepasse ses pouvoirs et ses droits, il devient un tyran auquel on est fondé à résister = le peuple est fondé à
sanctionner, déposer voire mettre à mort le roi (justification des régicides d'Henri 3 et Henri 4). La diffusion de ces
théories a justifié la contre-offensive des juristes et théologiens qui vont justifier la monarchie de droit divin. Pour
les partisans du droit divin, le roi tient directement son pouvoir de Dieu, en est le lieutenant au temporel et n'est pas
responsable devant les hommes. On ne peut donc casser le contrat pour les fautes du roi. Les premiers éléments de
cette théorie ont été forgés dès le 14ème mais au 16ème on a redéveloppé la thèse du droit divin, qui atteint sa forme la
plus radicale sous l'influence de la pensée de Bossuet dans les années 1670. Dans son ouvrage "politique tirée des
propres paroles de l'écriture sainte", Bossuet affirme que le trône du roi est le trône de Dieu lui-même, que la
personne des rois est sacrée et que l'on doit obéir au roi car la religion l'ordonne. La seule limite que le roi ait à
reconnaître, est selon Bossuet, le respect du bien public. Cette vision apparemment sans failles, a en fait un gros
point faible : elle ne perdurera que tant que la croyance en Dieu demeurera forte, et dès que le sentiment irréligieux
se développe au XVIIIème, l'absolutisme de droit divin s'écroule.
A coté de cette théorisation du droit divin, les théories autour de l'absolutisme se développent. Au XVIème, la
souveraineté est considérée comme une autorité parfaite, entière, absolue sans laquelle un état n'est pas indépendant
: elle est considérée comme un monopole de contrainte, un pouvoir objectif institué pour conserver une organisation
politique économique et sociale. Avec Jean Bodin, la réflexion s'oriente dans ce sens, et en 1576 il publie "les 6
livres de la république" qui a un retentissement considérable : Henri IV, Richelieu, et Louis XIV se réclameront de
cet ouvrage, qui définit la souveraineté comme la caractéristique de l'état = une puissance absolue (déliée de toute
contrainte et de tout contrôle = seul le souverain a le pouvoir de faire la loi), perpétuelle (elle dépasse la personne
du roi) et indivisible (pour être parfaite, elle doit être sans partage, sinon elle est amoindrie et peut être paralysée).
Fort de ce principe, Bodin arrive à la conclusion que le meilleur régime politique est une monarchie, mais une
monarchie pure, c'est-à-dire avec un seul titulaire pour une souveraineté parfaite. Mais pour lui, l'absolutisme est
différent de l'arbitraire car le roi use de la souveraineté pour le bien commun = travaille au bien-être collectif, et sa
personne se confond avec le bien public. Il n'y a donc plus besoin de représentants de la nation, car seul le roi la
représente.
Cette vision de la souveraineté est encore la notre aujourd'hui : la révolution de 1789 n'a pas modifié la conception
de la souveraineté, mais n'a fait qu'en changer le titulaire (passage du roi au peuple).
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